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Métier
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QUESTIONS À UNE anesthésiste
Alexia Cuenoud s’occupe d’endormir les patients au bloc opératoire du CHUV, à Lausanne. Un travail de l’ombre qui nécessite sang-froid, empathie et connaissances fines de la pharmacopée. Et ne laisse aucune place à l’approximation.
Texte: Patricia Brambilla Photo: Jeremy Bierer
1 Comment choisit-on le métier d’anesthésiste? C’est le plus beau métier du monde! J’ai découvert l’anesthésie pendant mes études et la première fois que j’ai vu une personne s’endormir, j’ai trouvé ça incroyable. C’est un métier intense et intéressant, pluridisciplinaire, qui demande une grande capacité d’adaptation dans l’univers parfois hostile que peut être le bloc opératoire. J’aime aussi cette activité qui est à la fois intellectuelle et manuelle, puisqu’il faut établir des stratégies, tout en travaillant aussi beaucoup avec ses mains. On est un peu l’ange gardien du patient, chargé de lui faire traverser cette période difficile de sa vie. 2 On dit que, au cours de ces cinquante dernières années, l’anesthésie a autant évolué que l’aviation. Vrai? Oui, elle a énormément évolué, surtout en termes de sécurité. C’est devenu une spécialité très technique. On fait des chirurgies de plus en plus engagées sur des patients de plus en plus malades, mais avec un maximum de sécurité. 3 Quels produits trouve-t-on dans votre pharmacopée? Il y a plusieurs classes de médicaments, plus ou moins dangereux si on ne les utilise pas à bon escient... Mais on est formé pour ça. L’anesthésie générale repose sur un trépied: un médicament pour endormir, un autre contre les douleurs, genre morphine, et parfois des substances, qui relâchent la musculature. L’association de ces médicaments permet de s’adapter et de faire une anesthésie balancée. 4 Il paraît que vous recourez aussi à des poisons comme le curare… Oui, celui-ci est nécessaire pour des raisons anesthésiques et chirurgicales. Il nous permet de relâcher la musculature et de faire une intubation. C’est-à-dire de glisser un tuyau dans la gorge, lequel est relié à un appareil d’anesthésie permettant de ventiler un patient. Le curare est également nécessaire pour certaines chirurgies, comme la chirurgie abdominale ou orthopédique. 5 Est-ce que vous utilisez encore du gaz hilarant? Très peu. Il n’est pas dénué d’effets secondaires comme des nausées ou de la confusion. De plus, il s’agit d’un gaz à effet de serre. Mais on l’utilise encore de temps à autre en pédiatrie et à la maternité pour soulager les femmes enceintes. Il n’endort pas à lui seul, mais facilite et accélère l’endormissement. 6 Vous restez auprès du patient tout au long de l’intervention. Pourquoi? Notre rôle est de surveiller le patient pendant toute l’opération jusqu’à ce qu’il soit en salle de réveil. En fonction de ce que fait le chirurgien, on doit pouvoir s’adapter. On surveille plusieurs paramètres: le rythme cardiaque, la pression artérielle, la saturation en oxygène. Un monitoring avec des capteurs nous donne aussi une courbe d’activité cérébrale qui nous indique le degré d’endormissement. 7 La grande peur des patients est de se réveiller pendant l’opération. C’est possible? Cela peut arriver, mais c’est extrêmement rare. La littérature parle d’un cas sur 20 000. On a plusieurs garde-fous pour éviter cette situation-là. À nous de jongler entre les médicaments inducteurs, antalgiques et le curare pour s’assurer que le patient dorme assez profondément. Cependant, si un patient devait avoir des souvenirs de son intervention, il doit absolument en parler au médecin anesthésiste pour qu’on puisse l’aider à traverser cette expérience. Bio express
Après une formation médicale complète, suivie de cinq ans de spécialisation en anesthésie, Alexia Cuenoud travaille depuis 2021 à la maternité du CHUV à Lausanne. À 41 ans, elle occupe un poste à 80%, ce qui lui laisse un peu de temps pour son «travail de maman». Elle se ressource notamment en pratiquant la randonnée avec son mari.
8Est-ce qu’on endort tout le monde de la même façon?
Non, l’anesthésie est personnalisée pour chaque patient. On établit toujours une stratégie, on interroge le patient, on regarde ses comorbidités et de quoi il va être opéré. Le travail en amont est très important. Comme en aviation, il faut gérer le décollage, soit l’endormissement, la stabilité du vol, soit le maintien de l’anesthésie, puis l’atterrissage, soit le moment du réveil.
9 La péridurale est-elle devenue un geste banal? Tous les gestes médicaux comportent une part de risques et aucun n’est banal. Sur environ 3200 naissances par année au CHUV, plus de 70% des femmes accouchent sous péridurale. II y a beaucoup de mythes autour de cette anesthésie locale. Elle se fait en dessous de la moelle, le risque neurologique est extrêmement rare. Elle peut par contre être difficile à poser ou parfois ne pas soulager la patiente suffisamment. 10 Les anesthésistes sont-ils mieux rémunérés que les chirurgiens? Nous avons la même formation universitaire, puis nous nous formons chacun dans notre domaine. Je me bats contre l’idée qu’une spécialité serait inférieure à l’autre. L’anesthésie est un travail de l’ombre, et je ne crois pas qu’il soit mieux rémunéré. 11 Quelles qualités sont indispensables pour faire ce métier? Il faut être capable de gérer l’urgence et aimer les situations intenses. Ça peut être calme pendant des heures, mais quand ça commence à aller mal, ça va très vite très fort. Il faut aussi être très rigoureux. Il n’y a pas de place pour l’approximation. MM