14 | 20.12.2021 | ÉDUCATION
L’académie des geeks
Avec sa pédagogie innovante, l’École 42 Lausanne à Renens (VD) forme les développeurs informatiques de demain. Pas de profs, pas d’horaires, mais le jeu comme méthode d’apprentissage. Texte: Patricia Brambilla Photos: Niels Ackermann / Lundi13
«
Entrez dans le cluster, là où le virus informatique va s’étendre», lâche Christophe Wagnière en rigolant derrière sa barbe rousse. Le directeur des lieux, qui préfère se faire appeler le capitaine, a le sens de la formule et l’esprit d’entreprise. À l’École 42 Lausanne, qu’il a lancée en juillet dernier, on forme des développeurs en trois ans en cassant tous les codes. Il n’y a ni professeurs, ni horaires, ni frais d’écolage. Bienvenue dans l’école à la pédagogie révolutionnaire où tout le monde se tutoie! Les locaux sont installés sur une moitié de rez-de-chaussée des anciens ateliers de reliure à Renens (VD). Des salles spacieuses au matériel flambant neuf, avec des tables construites sur mesure pour accueillir les écrans en quinconce, «et
favoriser la proximité entre les étudiants». Une salle de repos et une douche seront bientôt disponibles. Tout respire l’atmosphère décontractée façon start-up, avec le coin lounge, le baby-foot, l’espace cuisine et les salles aux noms inspirés de la culture geek: Gotham, Chill Valley, Foundation, Asgard et autre Quai 9 ¾. Vocabulaire du gaming
Le mot clé de l’apprentissage: le jeu. Ici, on apprend en jouant, d’ailleurs les étudiants sont répartis en coalitions, façon maisons de Harry Potter et tout le vocabulaire s’inspire du gaming. On ne reçoit pas de notes, mais des points d’expérience. On n’a pas de devoirs, mais des projets, qui doivent être réalisés pour débloquer les niveaux suivants, comme dans une partie de Fortnite. Et si on dépasse le temps imparti pour
terminer le cursus, on disparaît dans le «black hole». «C’est pour mettre un peu de challenge. Mais les étudiants n’attendent rien de personne, ils savent qu’ils doivent aller chercher l’information. Ça crée des compétences. On apprend ensemble, on découvre ensemble, on collabore et on s’évalue les uns les autres.» Ainsi, certains préfèrent travailler le matin, d’autres le soir ou le week-end. À chacun son rythme et son endurance. En tout, ils sont 180 élèves et deux apprentis, dont 80% n’avaient jamais fait de codage auparavant. Sur l’ensemble, on ne compte que 20% de filles, «mais on vise la parité», assure le capitaine. Cette première volée est composée des survivants, ceux qui, parmi les 2700 inscrits, ont réussi le test d’admission en ligne et résisté à l’épreuve de «la piscine». Un mois intensif où les
candidats ont été poussés à bout, «pour voir les comportements quand les barrières tombent», et bûchaient soixante heures par semaine. Ont été évaluées une certaine logique algorithmique, mais surtout une aptitude à travailler en réseau. Être trop individualiste, voire antisocial, est un critère éliminatoire. «On a dû écarter ceux qui étaient difficiles à intégrer, ou qui, sous stress, cassaient le matériel.» Un espace bien autogéré
Alors qu’on croyait ne rencontrer qu’une classe de geeks à capuchon, à moitié autistes et penchés frénétiquement sur leur clavier, on découvre une ambiance claire, du partage et de l’entraide, beaucoup de débrouillardise. Des petits groupes échangent devant un écran, alors que d’autres préparent… des biscuits de Noël.