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Finance
Quel horizon pour nos finances?
L’économie se redresse rapidement. Christoph Sax, économiste en chef de la Banque Migros, propose une analyse de la situation actuelle et future et parle de l’inflation et du franc fort.
Texte: Benita Vogel
Illustration: iStock; Photo: DR L’année dernière, on disait que, si une troisième et une quatrième vagues arrivaient, l’économie en souffrirait. Aujourd’hui, la Suisse affronte la cinquième, mais tout se passe étonnamment bien. Pourquoi? Nous avons appris à faire face à la pandémie. Grâce à la vaccination et au nombre croissant de personnes guéries, des lockdowns ont pu être évités. En même temps, de nombreux États, comme les États-Unis, ont augmenté les dépenses publiques afin de stimuler l’économie, ce qui a parfois conduit à un boom de la consommation.
La situation reste fragile. Le nouveau variant Omicron est également une source d’incertitude en Suisse. Quel est le danger pour l’économie? Ce qui est déterminant, c’est l’efficacité de la vaccination contre ce variant. Les virologues estiment que cette dernière protège au moins contre les formes graves. Si, contre toute attente, Omicron s’avérait résistant aux vaccins, il faudrait attendre quelques mois avant de disposer d’une nouvelle formulation. Un léger recul de la performance économique au cours du premier semestre serait alors à prévoir. Mais sur l’ensemble de l’année 2022, l’économie suisse devrait connaître une expansion modérée, même dans le pire scénario.
Les prix augmentent pour la première fois depuis des années. Aux États-Unis, le taux d’inflation dépasse les 6% et, dans la zone euro, il avoisine les 5%. Cela vous inquiète-t-il? Au début de la pandémie, les prix de nombreux biens et services ont fortement chuté, maintenant ils remontent à nouveau. Cela stimule l’inflation, mais seulement à court terme. Les effets de la forte augmentation de la demande mondiale devraient durer un peu plus longtemps. De nombreux producteurs ont des problèmes de livraison, il y a une pénurie de matières premières, de capacités de transport et de semi-conducteurs notamment. Tout cela fait monter les prix. Est-ce à dire que les banques centrales ne doivent pas fermer les vannes monétaires pour freiner l’inflation? Aux États-Unis, si. La Réserve fédérale américaine augmentera progressivement ses taux directeurs au cours des deux prochaines années. Et ce, notamment parce que le pays agit de manière de plus en plus procyclique et stimule une économie qui se porte déjà bien par des programmes de relance. Les pressions inflationnistes resteront donc plus persistantes que dans la zone euro et les hausses des taux directeurs seront moins urgentes. Et en Suisse, peut-on espérer la fin des taux d’intérêt négatifs? Les taux d’intérêt resteront assez certainement négatifs au cours des deux prochaines années. En Suisse, le taux d’inflation n’est que de 1,5%. Cela s’explique aussi par le fait que la hausse des prix des carburants se répercute moins fortement sur le panier-type suisse. Le franc fort freine également l’inflation. La Banque nationale suisse (BNS) ne relèvera pas son taux directeur avant la Banque centrale euro-
Christoph Sax, 45 ans, est économiste en chef à la Banque Migros péenne, qui, elle, veut maintenir sa politique de taux négatifs. Depuis des semaines, l’euro ne vaut plus que 1.05 francs. Il y a sept ans, un tel cours provoquait encore un tollé dans l’industrie exportatrice. Aujourd’hui, cela ne semble poser aucun problème. Que s’est-il passé? Cette situation s’explique par différentes raisons. D’une part, la demande mondiale est actuellement très forte. D’autre part, le renchérissement dans la zone euro est depuis des années plus élevé qu’en Suisse. Les coûts y augmentent donc plus fortement. Conséquence: la compétitivité des entreprises suisses s’en trouve améliorée par rapport à la concurrence dans la zone euro. Parallèlement, les entreprises locales ont fait du bon travail pendant la crise. Elles peuvent désormais profiter de la reprise mondiale dans une position plus confortable. Les mesures d’urgence prises pendant la pandémie expirent en mars prochain. Les entreprises vont-elles alors licencier en masse? Non, le chômage partiel est aujourd’hui beaucoup moins utilisé. Au printemps 2020, l’écart entre le taux de chômage avec et sans chômage partiel atteignait parfois 17 points de pourcentage. Aujourd’hui, la différence ne dépasse pas un demi-point. Selon l’évolution de la pandémie, on pourrait observer une nouvelle hausse, mais nous ne pensons pas que le chômage augmentera massivement en Suisse l’année prochaine. Les cours de la Bourse ont atteint des sommets vertigineux. Certaines valeurs ont plongé mais pour une courte durée seulement. Combien de temps la situation va-t-elle durer? La raison principale de la bonne ambiance sur les marchés boursiers est que la plupart des entreprises se portent très bien. Les hausses de
cours reflètent la forte croissance du chiffre d’affaires et des bénéfices. De nombreuses sociétés ont réussi à maintenir leurs marges malgré la hausse des coûts de production. Qu’est-ce que cela signifie pour l’année boursière 2022? Le variant Omicron et l’inflation élevée créent de la nervosité. Les hausses et les baisses se succèdent donc à des intervalles plus courts. Néanmoins, notre confiance dans la poursuite de la tendance haussière des marchés boursiers reste entière. Pour 2022, nous tablons sur une croissance de l’économie mondiale aux alentours de 4,5%. Que doivent faire celles et ceux qui ont quelques économies à investir? Les taux d’intérêt restent bas, il vaut donc la peine de passer à des plans d’épargne en fonds par exemple. Il est important de placer l’argent par tranches, comme un gâteau à couches, plutôt que de mettre tous ses œufs dans le même panier. Avec le principe par couches, on peut mieux faire face à d’éventuelles corrections.
Pourquoi ne pas investir dans les crypto-monnaies? Les rendements font rêver... et les pertes peuvent être abyssales. Les personnes qui en achètent doivent pouvoir s’accommoder de fortes fluctuations de cours. Les cryptomonnaies comme le bitcoin sont en vogue, notamment parce qu’elles ne sont pas liées aux États et à la politique des banques centrales. Celles et ceux qui investissent dans ces supports acquièrent ainsi une certaine indépendance. Entre-temps, de nombreux investisseurs institutionnels les utilisent également comme classe d’actifs. Mais pour la plupart des autres profils, ce sont avant tout des véhicules de spéculation. Un bien immobilier en tant que placement est très lucratif, mais toujours moins de personnes peuvent se permettre d’être propriétaires. La pandémie a encore fait grimper la demande et donc les prix. Mais il existe encore de grandes différences selon les régions et les segments. Les maisons individuelles sont très recherchées. Tant que rien ne changera sur le front des taux d’intérêt, la situation du marché immobilier n’évoluera pas beaucoup. MM