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Cinéma
«Le cinéma est ma manière de m’engager»
L’actrice Elsa Zylberstein s’est glissée dans la peau de Simone Veil, l’une des femmes politiques françaises les plus célèbres du siècle.
Texte: Patricia Brambilla
Elsa Zylberstein, incarner Simone Veil, c’est un rôle que l’on ne peut pas refuser? Cela ne s’est pas passé dans ce sens-là. C’est moi qui ai initié tout le projet, je suis coproductrice du film. Je connaissais Simone Veil, je l’ai rencontrée plusieurs fois, notamment lors d’une remise de prix de l’Université hébraïque de Jérusalem. À cette occasion, sa famille m’avait invitée à sa table et, petit à petit, nous avons noué des liens. Très vite l’idée a germé dans ma tête qu’il faudrait tourner un grand film sur elle. Je me suis battue pendant huit ans. Ça faisait peur à certaines maisons de production… Alors oui, ce rôle, c’est une montagne, mais je l’ai voulu. Qu’est-ce que vous mettriez en premier sur son épitaphe? La résiliente. Parce qu’elle commence sa vie dans le bonheur, mais à 16 ans, elle se rend compte qu’il y a du monstrueux chez les hommes. Elle est déportée à Auschwitz en 1943, elle traverse l’horreur des camps avec sa famille. Mais elle a survécu et a surmonté le pire. C’est une femme qui va vers la lumière, qui choisit la vie, malgré les morts autour, la disparition de sa mère qui la marque pour toujours, la mort tragique de sa sœur, son père et son frère disparus. Elle est hantée par tous ces fantômes, mais elle continue sa bataille pour la justice et la dignité humaine. Son idée de l’Europe, comme bastion de la démocratie et de la paix, vient peut-être de là, de tout ce qu’elle a enduré. Vous êtes entrée dans la peau de cette femme. Racontez-nous cette métamorphose physique et psychique… Je ne voulais pas juste mettre un chignon et des boucles d’oreilles. Je voulais lui ressembler le plus possible. Pour que l’intime et l’apparence coïncident, j’ai vécu un an de préparation. J’ai tout lu, regardé des documentaires, j’ai pris 9 kilos. À chaque respiration, à chaque battement de cil, à chaque pas, j’ai appris à devenir elle. Pour parler comme elle, j’ai changé ma voix. C’est peut-être le rôle de ma vie…
Deux autres films ont été tournés sur elle, vous en êtes-vous inspirée? Non, pas du tout. Je ne vais pas regarder le travail d’une autre actrice. J’ai travaillé avec des coachs, j’ai rencontré les gens qu’elle connaissait, sa secrétaire, son directeur de cabinet, Philippe Douste-Blazy, qui était ministre délégué à la Santé. J’ai parlé à sa cousine, j’ai glané toutes les infos que j’ai pu pour comprendre fondamentalement «la femme aux cheveux lâchés». Je voulais saisir ce qu’il y avait derrière l’armure de la femme politique et cerner la femme dans l’intime, comment elle s’exprime en interview et dans la vie. Ce n’était pas une politicienne pour moi, parce qu’elle n’avait pas peur de perdre un poste. Elle n’essayait pas de plaire, mais elle se battait pour ses convictions.
Est-ce que vous avez l’impression, en tant que femme, de lui devoir quelque chose? Oui, je pense que les femmes lui doivent beaucoup. Notamment
«Elle n’était pas une politicienne pour moi. Elle n’essayait pas de plaire, mais elle se battait pour ses convictions»
la bataille qu’elle a menée pour la légalisation de l’avortement en 1975… Le film devait sortir en février, il sort maintenant et les planètes s’alignent. Il fait incroyablement écho à ce qui se passe en Amérique, en Espagne, en Pologne, où a lieu justement le procès de cette femme qui pratiquait des avortements clandestins.
Pour vous, son combat et ses discours sont toujours d’actualité? Totalement! Sa parole reste vraie, on dirait que ses discours ont été écrits hier. L’immigration, la dignité dans les prisons, l’adoption, tous les combats de Simone sont encore d’actualité. Rien n’est jamais acquis finalement. Ces luttes pour la justice et l’égalité sont un éternel recommencement. Qu’est-ce qu’on apprend de l’Histoire? Le cinéma a une portée politique à ce niveau-là. D’ailleurs je me réjouis d’aller présenter le film au parlement européen de Strasbourg et de voir la réaction des politiciens. La résistance des femmes est souvent plus grande que celle des hommes, disait-elle. Qu’en pensez-vous? Oui, en tout cas, elle l’a vécu comme ça dans les camps.
Qui était Simone Veil?
En 140 minutes, le film d’Olivier Dahan retrace la trajectoire de cette politicienne hors norme, femme de volonté, de courage et de résilience. Née à Nice en 1927 dans une famille heureuse, sa vie Elsa Zylberstein (à droite) s’est glissée dans la peau de Simone Veil (à gauche), femme politique qui a marqué la France.
bascule en 1944. Déportée avec sa mère et sa sœur à Auschwitz, elle s’en sortira, survivante révoltée par l’injustice. Son père, sa mère et son frère n’en reviendront pas. Une douloureuse réalité que le film montre dans un montage alterné, où les fantômes du passé viennent constamment infuser le présent. Après la guerre, elle entreprend des études de droit, obtient un poste de magistrate à la Pénitentiaire.
Elle devient ministre de la Santé en 1974 sous Jacques Chirac, a légalisé l’IVG en 1975 – la loi porte aujourd’hui encore son nom –, s’est battue pour la dignité dans les prisons et n’a cessé de militer pour l’égalité. En 1979, elle devient la première femme à présider le Parlement européen. Celle qui préférait être dans l’inconfort plutôt que dans le mensonge repose au Panthéon depuis 2018.
Ce qui a été intéressant pour moi était d’entrer dans la psyché de cette femme. Elle dégage une image de dureté, mais c’est une carapace énorme, qui cache une fragilité. Comme chez les gens qui ont beaucoup souffert et qui se protègent. Elle dégageait un mélange de force et d’humanité, de sensibilité. Dans ses yeux, il y avait une grande compassion. Et le regard ne trompe pas. Aurait-on besoin d’une nouvelle Simone Veil? Non, les gens sont ce qu’ils sont. Elle est unique, avec son destin, son parcours. Mais elle nous manque pour sa liberté de parole, pour sa virulence parfois. Quand il y avait les camps en Yougoslavie, elle s’énervait vraiment, parce que ça la renvoyait à ce qu’elle avait vécu. On aimerait avoir quelqu’un comme ça aujourd’hui, qui fasse bouger les lignes. Mais on n’entend plus beaucoup les responsables politiques. Est-ce que ce rôle vous a donné envie de vous engager ou d’entrer en politique? Pas d’entrer en politique, mais de faire des films qui ont du sens. J’aimerais pouvoir ne faire que ça. Le cinéma a un devoir politique. Je suis d’ailleurs en train de développer plusieurs projets autour de personnages de femmes héroïques. Pas forcément des femmes connues, mais qui sont toutes étonnantes. À commencer par un film sur une acupunctrice en zone de guerre, tiré d’une histoire vraie aussi. Ce sont des femmes qui ont des destins incroyables, qui me passionnent, m’interrogent. Le cinéma est ma manière de m’engager. Je suis faite pour ça, autant que j’utilise toute cette passion. MM

«Ce rôle m’a donné envie de faire des films qui ont du sens. Le cinéma a un devoir politique»
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