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Cinéma

Le jour où Notre-Dame a failli disparaître

Le réalisateur français Jean-Jacques Annaud signe un film brûlant sur le combat des pompiers de Paris pour sauver des flammes la célèbre cathédrale le 15 avril 2019.

Texte: Catherine Hurschler

Face au feu qui ravageait Notre-Dame, les pompiers de Paris ont combattu avec bravoure. Ce que l’on sait moins, c’est que ce 15 avril 2019, les embouteillages, le matériel défaillant et l’incompréhension autour des trésors à sauver ont compliqué leur mission. Dans son dernier film, qui sortira au cinéma le 16 mars, Notre-Dame brûle, le réalisateur Jean-Jacques Annaud nous plonge au cœur de ce sauvetage incroyable mais vrai. Jean-Jacques Annaud, aimez-vous jouer avec le feu? Je ne sais pas si c’est une attirance ou un hasard. En termes cinématographiques, le feu est le meilleur ennemi qui puisse être. Ici, la structure est très simple: vous avez une super vedette internationale, NotreDame de Paris, et un méchant, d’une dangerosité effroyable. Je reprends les mots de mes amis, les pompiers de Paris, qui m’ont dit avec hésitation: «C’était terrifiant, tragique, mais on a eu le sentiment que c’était beau comme un opéra.» Les pompiers de Paris vont souvent à l’Opéra pour assurer la sécurité, et qu’ils aient cette référence était très intéressant. Le feu est un élément que vous aviez déjà travaillé, en quoi est-il différent dans ce film? Dans La Guerre du Feu, on voit que la conquête du feu a été un vrai tournant dans l’histoire de l’humanité: la capacité de maîtriser le feu, de le conserver et de le fabriquer. C’était un feu gentil. Sur Le Nom de la Rose, c’était un feu tragique, complètement destructeur non seulement pour les choses matérielles mais aussi immatérielles. Avec Notre-Dame, on est un peu dans la même configuration, ce feu s’en est pris à un symbole de la foi. Où étiez-vous le jour de l’incendie, ce 15 avril 2019? J’étais dans ma maison familiale, en bord de mer, avec mon épouse.

L’image impressionnante de la flèche de Notre-Dame qui s’effondre a fait le tour du monde.

J’attendais le discours du président Macron parce que la France était en pleine crise des gilets jaunes. La télévision ne fonctionnait pas, alors j’ai écouté la radio. J’ai vécu l’incendie en l’imaginant, à partir de ce que j’entendais. Je connais NotreDame de Paris depuis l’enfance, c’est là que j’ai fait mes toutes premières photos, j’avais 7 ans et demi. Je la voyais tous les jeudis, en venant à Paris avec ma mère. On faisait le tour de la cathédrale, on montait dans les beffrois. Qu’est-ce qui vous attire dans cette cathédrale? J’habite à 150 mètres d’elle depuis vingt ans. J’ai un rapport très charnel avec elle: je lui dois d’avoir déclenché ma passion du Moyen Âge. C’est une bizarrerie qui commence à me troubler, car enfant, j’avais décidé de faire des photos d’architecture sacrée et d’églises. J’ai retrouvé ces vieilles photos récemment et cela m’a stupéfié, car je suis athée, mais j’aime les lieux de prière, de sérénité, je suis allé visiter la cathédrale de Lausanne, je me sens bien là-bas. C’est beau.

Ce film présente le sauvetage de la cathédrale heure par heure, comment avez-vous démêlé le vrai du faux sur les faits? J’ai travaillé à la manière d’un journaliste qui ne croit pas ce qu’il voit, j’ai rencontré plusieurs fois tous les protagonistes sauf deux (ndlr, deux personnes qui restent marquées par cet incendie). Très souvent, comme lors de l’invraisemblable sauvetage de la Couronne d’épines du Christ, ce sont des informations croisées. Je suis devenu ami avec Laurent Prades, le régisseur de NotreDame, qui m’a fait un compterendu très précis, il avait tout noté, tous les horaires, toutes

les mésaventures qui lui sont arrivées. J’ai aussi le point de vue des participants qui ont vu cette scène, notamment celui du pompier chargé de la récupération des œuvres. La règle, sur ce film, c’est que tout ce qui est invraisemblable est vrai…

Les pompiers avaient sûrement dû préparer des plans d’intervention à Notre-Dame et là, c’est un grand cafouillage… Oui, ils avaient fait ces exercices, ils avaient ces plans, sauf qu’ils ont été prévenus avec une demiheure de retard, qu’il y a des embouteillages partout et qu’ils mettent du temps pour arriver. Le plan ne sert alors plus à grandchose. La cathédrale n’était pas reliée directement à la caserne des pompiers. Et ce que je raconte dans le film, à savoir que les généraux ont été prévenus par un copain, qui était en vacances à Florence, c’est la vérité. Et pourquoi les pompiers n’ont-ils pas pu être prévenus plus rapidement? Parce que les premiers à avoir vu la cathédrale flamber ont pensé que cela avait été fait. La maire de Paris a été l’une des premières à alerter les pompiers, elle aussi a pensé tout d’abord que l’incendie concernait un autre bâtiment. De l’extérieur, c’est un bâtiment de pierre, personne ne se doute que ces pierres sont soutenues par du bois. Normalement, une charpente comme celle-là, on la cloisonne. Or, les architectes ont voulu garder la perspective et ont fait sauter les cloisons, donc il n’y avait pas de pare-feu. Depuis ce feu, les instructions ont-elles été remises à jour? Cela a été un tel choc que maintenant la plupart des monuments historiques en France sont en train de réviser les procédures contre les incendies, en particulier dans les cathédrales. Il y a des systèmes qui ont été remis à neuf. Ces «ratages» des pompiers de Paris, malgré leur courage immense, prêtent à sourire… Il y a du burlesque dans le film, c’est tragiquement comique. Je dis souvent que c’est le charme de la France. Vous mettez en avant le fait qu’il y avait deux postes de commandement pour les pompiers. Pourquoi cette organisation? Les pompiers avaient eu un tragique incendie à la rue de Trévise, un feu dû au gaz, et des hommes y ont laissé leur vie. Lors de l’intervention, ils avaient été très gênés par l’afflux de «stars» de la politique. Ils ne pouvaient plus travailler. À Notre-Dame, ils avaient préparé un camion pour les «visiteurs », de façon à laisser tranquille le commandant. Est-ce que les équipements des pompiers de Paris sont technologiquement suffisants, parce que leur robot «Colossus» semblait bien faible ce jour-là? Vous savez, ils ne peuvent pas le dire, mais ils auraient été bien contents de garder un ancien bateau-pompe qui aurait pu éteindre le feu très rapidement, mais les budgets se sont rétrécis. Par exemple, ils n’ont pas de bras élévateurs, comme les pompiers de Lausanne qui en ont un de 46 mètres. À Genève, il y a un bras élévateur de 32 mètres. Moimême, j’imaginais le «Colossus» comme un char puissant et en fait, c’est presque un Lego. On se moque un peu de lui, mais il reste néanmoins très utile… Oui, c’est un petit engin qui est conçu pour descendre des escaliers dans le noir absolu et arroser un parking en fumée. Il faut se souvenir que Paris est une ville médiévale, que les rues sont tortueuses et que l’on ne peut pas

Jean-Jacques Annaud lors du tournage de «Notre-Dame brûle».

Bio express

1943 Naissance le 1er octobre à Juvisy-sur-Orge. 1962 Premier court métrage. Début de carrière dans la publicité. 1976 Tourne son premier film, La victoire en chantant, rebaptisé Black and White in Color. 1986 Réalise Le Nom de la rose, avec Sean Connery. 1988 Sortie du film L’Ours. 1997 Réalise Sept ans au Tibet, avec Brad Pitt. 2018 Tourne la série télévisée La vérité sur l’affaire Harry Quebert, adaptation du roman de Joël Dicker.

«La règle, sur ce film, c’est que tout ce qui est invraisemblable est vrai»

avoir de grands camions comme aux USA. Le matériel est adapté à la réalité historique de Paris, mais je sais que les pompiers souffrent de ne pas avoir mieux pour travailler. Pour Notre-Dame, c’est simple, le seul engin efficace était à Versailles, le feu a été détecté à 18 h 17, les pompiers ont été opérationnels à 20 h 20! Vous évoquez une mission de la dernière chance, avec des pompiers qui étaient prêts à se sacrifier. Les pompiers ont-ils apprécié que vous en parliez? Oui, beaucoup. J’ai demandé au général si le pompier qui a trouvé comment atteindre les combles avait été promu. La réponse est oui, il est devenu adjudant et en plus il a obtenu une des plus importantes récompenses que l’on puisse avoir dans ce métier, en reconnaissance de son idée et de son action héroïque. Les pompiers de Paris vous ont fait «pompier d’honneur de première classe». Quelles manœuvres savez-vous faire? À 78 ans, je ne suis plus en âge de suivre les entraînements physiques, mais j’ai appris beaucoup de choses sur la façon de donner des ordres.

Quel est votre lien aujourd’hui avec Notre-Dame? Je me surprends à lui parler tout bas. Je lui demande comment elle va, comment elle récupère de ses cicatrices, comme je le ferais avec une actrice. Je dis bonjour à ma star en rentrant chez moi.  MM

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