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QUESTIONS À UN

Trader

Thomas Veillet a pratiqué clichés du cinéma.

Texte: Patricia Brambilla

1 Quel est le quotidien d’un trader?

C’est d’abord beaucoup de lecture pour savoir ce qui s’est passé la veille. Je prends deux heures à digérer les informations financières, géopolitiques, macroéconomiques et me mettre un scénario en tête. Vu qu’il y a des millions de produits différents pour gagner de l’argent ou en perdre, il faut dessiner son plan de trading. Ensuite, une fois que l’on a une vision, on passe à l’action. Tout dépend de son appétit au risque et de ses objectifs. Le plus important est de savoir reconnaître ses erreurs: le trader qui gagne à tous les coups n’existe pas. Un bon trader est celui qui a raison six fois sur dix, et surtout qui sait couper ses pertes avant qu’elles ne deviennent trop graves.

2 Y a-t-il de vrais traders en Suisse?

Il y en a de moins en moins, ce sont souvent de simples exécutants. Depuis la crise des subprimes en 2008, les

Bio express

Thomas Veillet commence le trading en 1991, à l’âge de 21 ans. Il travaille dans différentes banques à Genève, et un an à Wall Street. Il décrit son métier comme une espèce de grand huit émotionnel, difficile à vivre sur le long terme. Aujourd’hui, à 51 ans, il a pris un peu de distance, est devenu chroniqueur boursier pour son site investir.ch et vient de s’improviser romancier. Son thriller Wall Street à genoux paraîtra en avril chez Talent Éditions.

3 Trading, ça rime avec cocaïne?

C’est un boulot très stressant, et il faut bien évacuer la tension d’une manière ou d’une autre. Dans les années 1980, les gens buvaient et se droguaient beaucoup, surtout aux États-Unis. Après, les traders ont commencé à faire du sport à outrance. Aujourd’hui, tout ça s’est bien calmé. Quand j’ai travaillé aux États-Unis en 1997, les traders étaient juste de bons pères de famille.

banques, qui avaient presque toutes une division trading, ont regroupé ces opérations très risquées à Zurich, Londres, New York. La Suisse est devenue davantage une place de gestion de fortune que de trading.

4 «Le loup de Wall Street» donnet-il une image correcte du trader? Non, mais le film a contribué à construire l’image d’Épinal du trader. En fait, Jordan Belfort, qui a inspiré le film, n’était pas un trader, mais un vendeur, qui proposait des solutions d’investissement aux clients en prenant des commissions au passage. Pareil avec Gordon Gekko, du film Wall Street, il désossait les entreprises et les revendait par morceaux. Ce sont différents métiers de la finance.

5 Un trader peut-il vraiment couler une banque?

Nick Leeson a coulé la Barings en 1995. Il avait fait des transactions perdantes, mais à la place de les fermer, il les a conservées et laissé pourrir sur des comptes secrets. En 2008, Jérôme Kerviel a pris des risques inconsidérés, et a perdu beaucoup d’argent au moment de la crise des subprimes. Aujourd’hui, il y a tellement de contrôles électroniques que l’on peut difficilement provoquer la faillite d’une banque. Mais en tant que trader individuel, on peut toujours couler un client ou un fonds d’investissement.

6 Faut-il être immoral pour gagner en bourse?

Certains traders ne tradent pas sur l’armement, le tabac, le pétrole... D’autres font n’importe quoi du moment qu’il y a de l’argent à gagner. Chacun a ses propres valeurs et se fixe ses propres règles. La limite est de savoir jusqu’où on s’accroche à ses convictions. On a tous un prix.

7 Il paraît que le salaire annuel moyen d’un trader est de 143 000 francs… Vrai?

Oui, facilement. Mon premier salaire de trader, dans les années 1990, se montait à 80 000 francs par année avec un bonus dérisoire parce que j’étais jeune. Deux ans plus tard, j’ai été engagé dans une autre banque, qui a doublé mon salaire. À 35 ans, je gagnais 280 000 francs avec le bonus... Je reconnais que c’est trop bien payé. J’avais un copain chirurgien, avec qui j’avais honte de parler salaire, parce que je gagnais le double de lui, alors que je ne sauvais pas de vies.

8 Est-ce qu’un trader a des amis? Quand, à 25 ans, vous gagnez quatre fois plus que vos copains d’apprentissage, ça crée une déconnexion de la réalité. Vous changez de milieu et forcément vous changez de standing. Mais on se refait de nouveaux amis dans le métier. J’ai finalement acheté un chien, mais pas à cause des conseils de Gordon Gekko…

9 Les algorithmes vont-ils vous piquer votre job?

Les algorithmes fonctionnent tous sur la même base et génèrent des performances correctes sur le long terme, mais pas très satisfaisantes. À mon avis, on aura toujours besoin de gens pour prendre des risques. Le trading demande de la réflexion, du boulot. Et de l’instinct. Pour l’instant, l’instinct n’est pas programmable. MM

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