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Métier
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QUESTIONS À UN guide de montagne
Depuis quarante ans, Armand Salamin fait découvrir à ses clients les sommets du val d’Anniviers (VS) et d’ailleurs. Sécurité, humanité et humilité sont les maîtres mots de ce passionné.
Texte: Estelle Dorsaz Photo: Sedrik Nemeth
1 Comment décide-t-on de devenir guide de montagne? Quand j’étais petit, mon papa, guide de montagne, nous emmenait avec lui, mes deux frères et moi, à tour de rôle, lorsqu’il faisait des courses avec des clients. Ça suscite des vocations puisque l’on est tous les trois devenus guides. Moi, paradoxalement, j’étais plutôt craintif. Durant toute ma vie, cette peur de la montagne ne m’a jamais quitté. En fait, c’est la meilleure assurance vie que peut avoir un alpiniste, car un excès de confiance peut être fatal. 2 Est-ce que les accidents sont évitables? Connaissance de la neige et de la roche, conditions météo, sauvetage, il y a une partie que l’on peut maîtriser et il y a le facteur chance. Je dis souvent qu’il y a des jokers de vies qu’on a grillés en montagne. On ne peut pas tout éviter. Parfois, on se trouve juste au mauvais endroit au mauvais moment, par exemple quand il y a une grosse chute de sérac ou un pan de rocher qui tombe. Il s’agit pour nous de bien calculer la course, de mettre des limites et de rebrousser chemin si les conditions ne sont pas favorables. 3 Quelles sont les qualités d’un bon guide de montagne? Il faut avant tout aimer le contact avec les clients. Notre métier est d’accompagner des gens au sommet, de les aider et les motiver dans l’effort. Au fil du temps, des nuits en cabane, une proximité s’installe, les langues se délient. En montagne, on devient un peu des psychologues. Les barrières tombent très facilement quand quelqu’un s’est retrouvé pendu au bout d’une corde parce qu’il a fait un faux pas et qu’on a pu le retenir. 4 Que faites-vous durant les périodes creuses? Au printemps, je travaille pour la sécurité sur la route du val d’Anniviers. Entre autres, on fait des purges de rochers et on nettoie les filets de sécurité remplis de pierres. Avec un ami guide, on pose des toitures en pierres naturelles dans le val d’Hérens. Je travaille aussi pour les remontées mécaniques suisses. Enfin, depuis vingt-cinq ans, je suis chargé d’homologuer la sécurité des pistes de ski un peu partout en Suisse. J’ai exercé plein de boulots différents durant les entre-saisons, mais toujours en lien avec la montagne et mon métier de guide. 5 Travaillez-vous surtout en Suisse ou à l’étranger? J’ai beaucoup travaillé en Suisse, en particulier dans la région d’Anniviers, où on a un terrain de jeu fantastique. Et puis, je suis souvent allé en France dans la région de Chamonix et en Italie, dans la région sud du Mont-Rose. J’ai aussi pris part quelquefois à des expéditions, au Népal, au Pakistan, en Russie, en Amérique du Sud, en Afrique… C’est une chance du métier de guide: il y a des montagnes partout dans le monde! 6 Quelles sont les demandes les plus fréquentes? J’ai beaucoup gravi la DentBlanche et le Zinalrothorn, que j’ai dû escalader une cinquantaine de fois. Mais j’ai un coup de cœur pour le Weisshorn. C’est une montagne très spéciale avec des voies très raides et très engagées. À ceux qui me demandent si je n’en ai pas marre de gravir les mêmes montagnes, je leur réponds: vous n’en avez pas marre, vous, de travailler tous les jours dans le même bureau? Moi, j’ai un sacrément beau bureau! En plus, les courses sont toujours différentes et la montagne change de jour en jour. Sur un glacier, une crevasse peut s’ouvrir du jour au lendemain par exemple, il faut alors trouver un autre chemin. 7 Comment le métier évolue-t-il? Il y a eu beaucoup d’améliorations durant ces dernières décennies, par exemple au niveau des prédictions météo. On peut aussi avoir sur son smartphone un GPS exprès pour la montagne. Grâce à ça, on sait toujours où on est. Aujourd’hui, on a également du matériel de pointe et des habits performants, alors que nos anciens partaient en paletot et chemise en montagne… Une autre évolution, moins positive, c’est la
Bio express
Pour Armand Salamin, la montagne est une histoire de famille. Ses premières traces dans la neige, il les a faites derrière son père, lui-même guide dans le val d’Anniviers (VS). Devenu aspirant guide à 18 ans, il obtient le brevet fédéral de guide à 22 ans. En 1984, il remporte la mythique Patrouille des Glaciers avec ses deux frères Marcelin et Aurel, eux aussi guides. S’il avoue, à 64 ans, lever le pied, l’Anniviard n’en demeure pas moins un amoureux des sommets alpins.
8Quel est votre meilleur souvenir en tant que guide?
Une fois, un client a appelé sa femme lorsqu’on a atteint le sommet du Zinalrothorn. Mais aucun mot n’est sorti de sa bouche, car il était tellement pris par l’émotion. Participer à ce genre de moments me touche particulièrement.
transformation des montagnes liée au réchauffement climatique. Le rétrécissement des glaciers, notamment, est très visible. 9 On voit aujourd’hui sur les réseaux sociaux beaucoup de très belles images de montagne qui font envie. Les réseaux sociaux ont-ils changé le métier? Moi je n’ai pas vu de différence marquante à ce niveau-là. Peutêtre que c’est aussi une question de génération, car mes clients ont souvent le même âge que moi. Par contre, si quelqu’un partage sur un groupe ou sur les réseaux sociaux un bon spot pour faire du hors-piste, inutile d’y aller le week-end suivant, car tout le monde s’y sera précipité. 10 Que diriez-vous à celui qui pense qu’il n’a pas besoin d’un guide pour se rendre en montagne? Certains font du hors-piste sans en mesurer les dangers. Ce n’est pas parce qu’il y a une trace qui signifie que quelqu’un est passé par là que c’est bon! Il y a plein d’alpinistes qui ont largement le niveau pour aller seuls en montagne, mais s’ils sont pris par le mauvais temps ou s’ils tombent dans un trou, est-ce qu’ils arriveront à s’en sortir? S’ils perdent leur téléphone en tombant ou que le réseau ne passe pas, comment vont-ils appeler les secours? Il faut donc qu’ils se posent les bonnes questions. MM