Lyon People Juin 2012 / Place Bellecour

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alléchantes et du côté Saône, les chantiers se déroulent dans de bonnes conditions : les maisons n°33 à 37 sont achevées entre 1810 et 1813. Il n’en est pas de même pour la façade opposée, concédée avec difficulté aux frères Hotelard entre 1809 et 1810. Le chantier sera chaotique en raison de l’absence presque totale de matériaux de démolition, de la pénurie de main-d’œuvre mobilisée dans les guerres de l’Empire, de la rareté et du coût des capitaux qu’il faut quémander à Grenoble ou à Genève, et surtout par l’ampleur d’un chantier dépassant les capacités de l’entrepreneur. Les fournisseurs réclament leurs paiements et suspendent le chantier. Acculé, le promoteur vend des immeubles inachevés promettant mais en vain de réaliser les finitions. Il est enfin déclaré en faillite en 1818 et les derniers immeubles sont vendus aux enchères à la séance des criées du tribunal civil.

LA PLACE DES BAS-RELIEFS

Photos © Archives municipales de Lyon et DR

LA PLACE BONAPARTE Après Thermidor et la chute de Robespierre, les langues se délient. « Je pleure devant les ruines de nos édifices quand je cherche en vain sur cette place les monuments des arts qui faisaient l’admiration des étrangers », écrit un lyonnais. Mais la ville punie est exsangue et les propriétaires qui ont survécu à la Terreur sont ruinés ou exilés. Dans son désarroi, la ville se donne à Bonaparte. Acclamé par les Lyonnais, à son retour de Marengo, le 26 juin 1800, le Premier Consul pose symboliquement la première pierre de la maison faisant l’angle de la place et de la rue Bellecour (depuis rue Bonaparte puis Chambonnet). Une plaque commémore cet évènement. En témoignage de reconnaissance, la ville donne le nom du Premier consul à la place et à la rue Bellecour. Elle décidera aussi d’ériger en son centre une statue équestre de l’Empereur afin que les façades rétablies servent d’écrin à cette statue. Mais les Lyonnais s’aperçoivent très vite que cela n’est qu’un leurre. Pendant quatre ans, on attendra en vain la pose de la deuxième pierre. Les plans des immeubles demandés à Gabriel Thibière (1758-1822), corrigés par Pascal Gay (1775-1832), devront être soumis à concours, passer devant des commissions et obtenir la sanction du ministère. En outre, l’ordonnance des façades entraîne un surcoût de 750 000 francs par rapport aux immeubles de qualité semblable dans le même quartier. Or les anciens propriétaires sont exsangues et aucun investisseur n’obtiendrait une rentabilité suffisante dans de telles conditions. La Ville sollicite donc l’aide de l’Etat mais pour toute réponse, le Premier Consul l’autorise à prélever 400 000 F sur les recettes de l’octroi. Encore une application de l’art de faire des cadeaux avec l’argent d’autrui !

LA PLACE EN RECONSTRUCTION La Ville est donc contrainte de recourir à d’autres procédures. De septembre 1807 à juillet 1809, le maire, Fay de Sathonay, achète aux anciens propriétaires le terrain de leurs immeubles et les matériaux issus de leur démolition. Simultanément, il concède ces parcelles aux entrepreneurs qui ont soumissionné, en plus grand nombre du côté Saône qu’en face où la majeure part des matériaux a disparu. Les promoteurs lyonnais ne se précipitent pas sur ces chantiers mais laissent la place à des entrepreneurs parisiens ou dauphinois. Début 1810, le maire a la fierté d’informer son conseil que tous les lots sont attribués. Comme auparavant, chaque terrain permet de construire deux immeubles. Du côté de la place, le constructeur est tenu de respecter des prescriptions d’architecture, à l’arrière il est libre. Parfois, il lie le sort des deux maisons par des servitudes de passage réciproques et une conciergerie commune. Au plan financier, le contrat de concession n’implique aucun paiement de la part du concessionnaire mais, au contraire, l’attribution de subventions destinées à compenser le surcoût dû aux prescriptions architecturales. Sous peine de déchéance, l’entrepreneur est tenu d’engager les travaux dans les trois mois et de les achever deux ans après. Enfin, pour favoriser les transactions, la ville exonère les concessionnaires de droits pour les deux premières mutations et d’impôts fonciers durant 25 ans. Ces conditions ont semblé

Napoléon pose la première pierre d’une des façades de Bellecour

Reste encore un problème loin d’être résolu. En couronnement des façades, Thibière a dessiné des attiques destinées à recevoir des basreliefs. Les vicissitudes des chantiers et la faible somme affectée à ces décorations retardèrent leur exécution. En outre, les fréquents changements de régimes rendent caducs les symboles des régimes précédents. Nous connaissons les projets de Gabriel Thibière, Joseph Chinard, Fleury Epinat, Jean Blandin, Charles Percier (celui de l’arc de triomphe de l’Etoile), Frédéric Lemot (auteur de l’actuelle statue de Louis xiv). De guerre lasse en 1828, le maire de Lyon, baron Rambaud, fait monter Louis Flacheron sur les toits du côté Saône. L’architecte municipal ne peut que constater que les attiques lézardés ne supporteraient pas le poids de bas-relief et qu’il en coûterait fort cher de les reconstruire. C’est l’arrêté de mort des bas-reliefs. Deux siècles après leur construction, les Lyonnais apprécient les nouvelles façades de Bellecour qui forment un ensemble homogène et harmonieux et enserre le Louis xiv de Lemot à la place de celui de Desjardins et à défaut de l’effigie de l’Empereur déchu de son trône avant d’avoir pu monter sur son piédestal. Dalleurs n’avait-il pas comparé ces façades à celles d’une caserne ? Quant aux actuels propriétaires dont rares sont les descendants des bâtisseurs de l’Empire, savent-ils que leurs prédécesseurs ont souscrit l’obligation, indéfiniment transmissible, de maintenir et entretenir à perpétuité ces façades en bon état et selon les plans initiaux sous peine de restituer à la Ville le terrain qu’elle leur avait concédé (et qu’ils n’ont jamais acheté) ? O

Paul Feuga JUIN 2012

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