LYON PEOPLE JUIN 2016 / Toques Blanches Lyonnaises - L'album des 80 ans

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CÔTÉ FEMMES

Arlette Hugon

Les mères se comptaient par dizaines, se distinguant toujours les unes des autres par leurs spécialités. Aujourd’hui de nombreux établissements ont disparu. La mère Michel rue de la Platière, est devenue la sandwicherie Gourmix, la mère Riguet à l’angle des rues d’Anvers et Montesquieu est désormais, signe des temps, une épicerie équitable. On a perdu trace de la mère Victor place Morand (explace Louis XVI). Comme la mère Trolliet, qui a probablement exercé à l’emplacement du Café du Pond, place Lyautey, mais les clients n’ont pas spécialement perdu au change, au vu du caractère du patron Albert, tout à fait raccord avec l’historique du lieu. La mère Vittet, célèbre pour ses services nocturnes, et qui accueillait jusqu’à 500 personnes à Perrache à coups de gratin d’écrevisses, escalope de saumon à l’oseille, mousseline de sandre et turbot en écaille de pommes de terre (cuisinés par son chef Jean Poitoux) n’a pas résisté au XXIème siècle. Comme la Grande Marcelle, institution des Brotteaux, au caractère trempé dans l’acier et la crème, dont les additions dépassaient la taille des nappes. Exit la « Mère Baleine » à Saint-Jean ou la mère Carron et son épicerie comptoir de la rue Corneille. Exit aussi madame Camille, qui tenait le Bidon 5, sis rue Mercière. Elle cuisinait peu, sinon quelques tripailles marinées, seulement, de l’avis de tous, elle était une mère lyonnaise de par son seul caractère. Mais certains lieux mythiques sont toujours des restaurants. Ainsi chez la mère Pompon, rue Chavanne, à quelques mètres de la fameuse madame Bigot, spécialiste du rognon et étoilée Michelin. Cette reine du canard à l’orange et des écrevisses à l’américaine a laissé sa place à la tante Paulette (de 1950 à 1990) et son fameux poulet à l’ail, célèbre jusqu’aux Etats-Unis grâce à la critique culinaire Patricia Wells. Trente

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gousses d’ail dans la cocotte, voilà le secret. Or à cette même adresse, un des successeurs, Patrick Scalia sous le nom de « Au bon temps », a continué à mettre du poulet à l’ail à la carte, comme ses propres et actuels successeurs du Casse-museau. Jamais on ne verra de vampires rue Chavanne.

Florence Perrier

Mères démontées Sur les quais de Saône, la mère Léa, une figure du quartier Saint-Antoine, qui achetait ses produits sur le marché avec une charrette à bras, a trouvé des héritiers, non pas pour la ressusciter comme dans les films de momies, mais pour sauvegarder son âme. L’amazone du gratin de macaroni a légué les cuisines de son restaurant la voûte au chef Philippe Rabatel qui a dû lui jurer, au moment d’acheter son

restaurant, La Voûte, de cuisiner à jamais ses plats historiques de tablier de sapeur, quenelles et poulet au vinaigre. Il a lui-même légué cet héritage à Christian Morel, un client gourmet fou de l’établissement et Christian Têtedoie. Le Musée, créé par Francine Laverrière, existe toujours, comme la mère Jean, rue des Marronniers, ouvert en 1923. Ou son voisin datant de 1925, tenu jadis par la mère Noëlle (cela ne s’invente pas) et aujourd’hui madame Mounier officiant dans un décor antique avec vaisselle et mobilier dépareillés, qui ne semble pas avoir bougé depuis les origines. A la Croix-Rousse, les fêtards des années 90 qui voulaient terminer la nuit avec une escalope de veau à la crème connaissaient tous Marithé, une Bressane, en cuisine dès 5h du matin, qui n’aurait jamais pensé être une mère lyonnaise. Pourtant à déjeuner, on retrouvait des fonds d’artichauts au foie gras, la tête de veau gribiche et la bouteille de poire au digestif, pendant que Marithé enfournait les billets de l’addition dans son décolleté. Aujourd’hui, Marithé n’est plus là, le restaurant ne s’appelle plus le comptoir Bressan, mais en lieu et place il y a Gargagnole – un nom qui sonne un peu comme la fille à Guignol- et Edwige et Cynthia gardiennes de la tradition. Il y a encore la mère Hugon, qui s’est fait à elle seule la réputation de mère lyonnaise, alors qu’elle succédait à deux femmes mythiques, la mère Barbet et Monique Dussaud. Dans le même décor de la taille d’un mouchoir de poche, cette fille de marinier s’est fait notamment pour spécialité le poulet aux écrevisses, tandis que son regretté mari se plaisait naguère à arsouiller la clientèle. Plus loin, on pourrait aussi évoquer la mère Blanc à Vonnas, dont le petit-fils a su prolonger la destinée en pluie d’étoiles. Mais la mère lyonnaise n’est pas qu’un coup de soufflet sur des braises du passé. Il y a de nouvelles mères lyonnaises. A l’instar de Clothilde Mathieu (Les Intimes) ou de Florence Perrier. L’ex madame Têtedoie -le chef étoilé- a créé de toutes pièces un authentique bouchon Lyonnais, le Café du peintre au Brotteaux. Elle a de qui tenir : sa grand-mère était déjà mère lyonnaise. Et même si on ne croit pas plus que cela à la génétique ou au destin, on sait que le talent est passé de générations en générations. Il ne faut pas oublier le Bouchons des filles ; Isabelle et Laura, deux jeunes femmes à la gouaille détonnante. Plus insolite, Saloua Cherkaoui, propriétaire et cuisinière du P’tit bouchon est originaire du Maghreb, et pourtant quand on goûte son gâteau de foie de volaille, on reconnaît immédiatement l’authentique mère lyonnaise. Que dire encore de Deux filles en cuisine, sur les pentes de la Croix-Rousse. Certes, Davia et Sophie ne font pas de plat lyonnais, mais elles cuisinent au jour le jour avec générosité et ce contact indispensable avec le client. La cuisine ouverte, l’esprit bistrot, le retour du produit, le chef en salle qui sont actuellement en vogue. En fait, la mère lyonnaise l’avait déjà inventé. François Mailhes


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