rue mercière
PEOPLE D’HIER ET D’AUJOURD’HUI
« Il y a deux rues Mercière : la partie chaude et la partie froide ». La formule est de Jean Bailly qui fut pendant 10 ans le président de l’association « Habiter rue Mercière ». Autant dire un spécialiste des us et coutumes d’un quartier qui a énormément évolué au fil des siècles.
C
omme nous l’ont conté Gérard nés. « C’étaient les pensionnaires des nonnes qui les généralisé (aussi bien par la pègre que par l’extrême Corneloup (page 22) et Pierre étouffaient et les enterraient-là » raconte Alain Roche, gauche), mais ça n’empêche pas les frères Fougerol Jourdan (page 26), on a du mal sans que l’on sache bien si c’est du lard ou du cochon. de tenter l’aventure. Jean-Paul s’associe au british Paul à croire que jusqu’au XVIIIe siècle Une histoire qui ne va pas perturber les jeunes Lyonnais Milden pour monter le Grand Pub ; son frère crée c’était la rue de la Ré d’aujourd’hui. qui adoptent immédiatement le lieu. « C’est le premier le Fou du Roi (aujourd’hui « Le Charles ») avec une boite La seule à traverser la presqu’île de bar où les gens sont dehors au lieu d’être dedans » se de jazz en sous-sol fréquentée par le juge Renaud. part en part. Les travaux pharaoniques Mais le jeune patron à la folie des du préfet Vaysse qui a créé la rue grandeurs, se retrouve vite dépassé par Centrale, la rue Impériale* et la rue de ses engagements financiers. RIP. l’Impératrice l’ont relégué peu à peu En 1974, l’ouverture du Bistrot de Lyon à un statut de seconde zone avant de donne le coup d’envoi officieux de la sombrer définitivement dans la zone tout rue qui absorbe aussi bien les fêtards court. «J’y ai laissé quelques plumes invétérés qu’une clientèle plus rangée. Et et quelques francs » rigole le flibustier c’est entre ses murs que se dérouleront Alain Roche. Etudiant aux Beaux-Arts, les plus beaux épisodes d’une vie le futur sculpteur a son rond de serviette rythmée par les passages des célébrités (hygiénique) au bistrot de Mémère ou les pires souvenirs comme le décès (aujourd’hui Façade Café). Un café de de Fred Bondil, qui meurt étouffé dans demoiselles peu farouches qui officiaient dans les escaliers de l’immeuble. Et les toilettes après avoir mangé un noyau que Christian Mure et ses copains de cerise… Juste en face, au sousarrosaient de boules de neige. Combien sol de l’hôtel Horace Cardon, sauvé de jeunes Lyonnais ont-ils connu, comme de la démolition, les Parisiens tentent lui, leurs premiers caleçons mouillés et d’imposer le Procope, sans succès. En leurs premières désillusions amoureuses 1981, la famille Jorcin délocalise dans cette artère qui avait le goût de « Les Enfants terribles » de la Croixl’interdit ? Du monde au balcon pour Rousse au 58, rue Mercière. Avec la Gloire éphèmère. La chanteuse Zoélie, rue Mercière, en 1989. Photo © Serge Corrieras des filles de joie, en veux-tu, en voilà. piétonisation, la rue connaît un nouvel Avec pignon sur rue ou en claques. essor qui va perdurer jusqu’au milieu Celles qui se perdent sont à distribuer des années 90. Ensuite, une page se à la courtisane Najat Vallaudtourne pour laisser place au tourisme Belkacem et sa fausse pudibonderie de masse et aux grandes enseignes de qui vont priver la France des joies la bouffe mondialisée. Les historiques éphémères de la gaudriole et interdire de la rue Mercière se réfugient alors le retour des maisons closes. Il y en avait rue Tupin chez Daniel Léron (Daniel une à la place du Bistrot de Lyon avant et Denise), chez Sylvain Roiret (Le que Caro et Lacombe ne s’y installent Comptoir de Lyon) ou chez Billy au (lire page 146). Les bourgeois la Gnafron, rebaptisé Billy’s Café. Jeancontournent mais la jeunesse l’arpente. Claude Caro qui vient de divorcer de Elle fréquente alors « Le Petit David » le Jean-Paul Lacombe s’exile rue du resto de Nicole Daru, rue éponyme. Bât d’Argent. La rue égrène ensuite les Ou celui de Leny, dans le passage concepts, et ceux de Michel Barthod Mercière qui accueille dès 1972 gauchistes, théâtreux et artistes à sa sont suivis à la trace. C’est au tour table. Après avoir vendu son estanco aujourd’hui des grandes enseignes de à Jean-Louis Manoa, elle monte à s’installer sous haute surveillance. Pour Paris ouvrir un établissement plus chic garder son âme, la municipalité doit Jean-Paul et Fabienne Lacombe ont fêté début 2014 les 40 ans du Bistrot de Lyon. fréquenté par François Mitterrand veiller à ne pas laisser rentrer le loup Photo © Fabrice Schiff himself. La jeunesse dorée qui avait ses dans la bergerie. Marc Polisson habitudes au Café de la Paix ou chez Vettard, place souvient Jean-Marc Requien, tout jeune publicitaire Bellecour (Lyon People n°120 de juin 2012) vient s’encanailler chez Mémère. La bande à Bondil et à à l’époque. Le succès est à l’aune des débordements * Rebaptisée rue de la République, ce qui correspond parfaitement à son Polidori finira par convaincre la vieille dame de leur qu’il engendre. Les tauliers – qui n’étaient pas du métier évolution bas de gamme et à la faune en survet-capuche qui la fréquente. vendre son bistrot pour 300 000 francs. Façade Café - font appel à Billy (de son vrai nom Nabil Zenati, Une artère qui n’a plus rien d’impérial, objet de spéculation immobilière est né. Au cours des travaux de transformation de la issu d’une famille harki) pour remettre de l’ordre dans de sociétés mondialisées. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans un cave, les ouvriers déterrent des cadavres de nouveau- la baraque. Le racket des bars et des restos est alors prochain dossier. Lyonpeople / Juin 2014
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