L'Officiel-Levant, December/January Issue 71

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FOCUS

GONFLÉE… La doudoune, ce machin matelassé qu’on portait pour aller au ski ou au supermarché il y a vingt ans ; cette espèce de barde qui a l’air grasse mais n’est rembourrée que de plumes ; ce vêtement qui vous amplifie, vous rajoute ces rondeurs que vous avez tant peiné à perdre, la doudoune, tenezvous bien, est parée à l’attaque cet hiver, et vous allez adorer. PAR FIFI ABOU DIB

Un peu plus de soi-même Pour quelle raison au monde se complairait-on à paraître plus grosse qu’on ne l’est vraiment ? Appelons cela le syndrome du poisson-globe, vous savez, ce poisson qu’on appelle aussi Diodon (toute ressemblance phonétique avec le vêtement qui nous occupe n’est pas si fortuite que ça), et qui se gonfle d’eau dès qu’il se sent menacé. Car il est convenu que grossir, chez les humains, est une façon d’évacuer son stress en s’amplifiant. D’ailleurs, dans « La vie devant soi », Romain Gary écrit bien : « Lorsqu’il n’y a personne pour vous aimer autour, ça devient de la graisse ». Bref, la doudoune, c’est toute la confusion des sentiments résolue à 0% de matière grasse. Qui dit mieux ? Quand il y a de la marge Le paradoxe de la doudoune, c’est qu’elle est au vêtement ce que le kilo de plume est au kilo de plomb. Des doudounes, on hésite à en porter quand on est déjà gâté par la nature dans tous les sens du terme. « Quand elle marche, on dirait qu’elle déménage », écrit le même Romain Gary, et avec une doudoune, l’allure déménageuse menace 99,99% des humaines. Reste les happy few, celles qui ont l’os de la clavicule à vif et les côtes en cage de canari, shortlistées d’office pour endosser ce graal de la nouvelle saison en continuant à paraître sveltes. Elles, elles ont de la marge, évidemment, et la doudoune leur va comme un gant de satin quand pour les autres c’est plutôt gant de boxe. Bref, la doudoune, plus on est mince, plus elle a de la gueule, et comme elle ne va pas à tout le monde, elle fait des envieuses et se transforme en objet de désir. Quand il n’y a plus de saisons La doudoune, c’est évidemment de l’hiver en barre. Quand les vacances ont été inventées, il y avait pour les citadines un snobisme

évident à paraître bronzées. L’horrible lupus blanc laissé par les lunettes de ski se portait avec fierté, comme un tatouage qui disait « j’en suis ». A présent que la planète se réchauffe, il faut aller loin pour trouver de la neige. Du coup, la doudoune se porte comme la relique d’une expédition au pôle Nord. Elle laisse croire que vous avez vu « ce que l’homme a cru voir », c’est à dire la poudreuse de la nuit et les traces de vos pas sur cette merveille, aussi retentissants que ceux d’Armstrong et Aldrin dans la poussière lunaire. Bref, la doudoune, par les temps qui courent, c’est peu dire qu’elle en jette. Ca crée et ça craint Il restait donc à réécrire cette page là où on l’avait abandonnée : au seuil du nouveau millénaire, entre autres rebuts à recycler qui n’ont jamais quitté leur premier cycle. Or voici que les créateurs, en cet hiver 2017, nous ressortent la chose du sac « à donner ». La doudoune n’avait pas dit son dernier mot. Aujourd’hui, on la veut tellement qu’on serait prêtes à sortir enveloppées d’un édredon, comme nous l’a suggéré Martin Margiela dans sa collection automne hiver 2012 pour H&M. Oui, les obsédées qui ont fait la queue pour découvrir cette collection pionnière vont enfin pouvoir exhumer de leur penderie le fameux manteau écru taillé dans une vraie couette, acquis à titre anecdotique parce qu’on ne sait jamais… Maintenant on sait. Il n’y a qu’à voir les nouvelles collections Alexander McQueen, Balenciaga, Marc Jacobs, Stella McCartney et bien d’autres : la couette, -pardon, la doudoune, fait un triomphant come back, se porte avec un petit glissé en arrière comme une étole (en noir assortie de plumes chez Marc Jacobs), joue le satin cuisse de nymphe et les imprimés floraux (Alexander McQueen), la cuirasse de samouraï, assortie d’une écharpe de la même matière rembourrée, ou le gilet de sauvetage gonflable (Balenciaga), en XXL et textures brillantes (Stella McCartney). Frileuses s’abstenir, ou au contraire se lover dans cette douce armure, dans ce grand nuage cotonneux, ce cocon ambulant qui tient la réalité à distance.

PHOTOS DR

Dans « doudoune », il y a « doux », il y a « doudou », et c’est déjà tout un programme. A l’heure où la mode nous propose des cuirasses en tout genre, ayant compris notre besoin de sécurité, le revival de la doudoune répond au retour du cocooning.


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