LM magazine - novembre 2018

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n°145 / novembre 2018 / GRATUIt

Art & CulturE

Hauts-de-France / Belgique



sommaire © Stéphane Camors / Vincent Bouley

LM Magazine #145 Novembre 2018

News – 06 Dossier paranormal – 10 Fantômes en écosse Tchin Spirit Mona Chollet Sorcières mal-aimées Le Thriller En voiture Michael !

Portfolio – 28

Massimo Colonna La légèreté

Rencontre – 64 Kheiron Graine de cinéaste

Musique – 36

L'Impératrice, Tour de Chauffe, Les Nuits Plasma, Jeanne Added, Parcels, Curtis Harding, Halo Maud, Pop Factory, Depardieu chante Barbara, Lauryn Hill, Tom Misch, Natalie Prass… Agenda...

Disques – 60 Livres – 62 écrans – 64

Mauvaises herbes, Arras Film Festival, En Liberté !, Le Grand bal, Suspiria…

Exposition – 78

Les Américains, Amour, Beyond Klimt, Serial Graveurs, La Braderie de l'Art, Alix, Benoît Deneufbourg… Agenda...

événement – 104 Next Festival Pas de côté

Théâtre & danse – 110

Mémoire de fille, Odyssée, Festival Via, Eperlecques, L'Homme qui rit, Les Idoles…, Agenda…

Le mot de la fin – 130 Julien de Casabianca à l'art libre


Magazine LM magazine – France & Belgique 28 rue François de Badts 59110 La Madeleine - F tél : +33 (0)3 62 64 80 09

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Direction de la publication / Rédaction en chef Nicolas Pattou nicolas.pattou@lastrolab.com Rédaction Julien Damien redaction@lm-magazine.com Marion Humblot info@lm-magazine.com

Direction artistique Cécile Fauré cecile.faure@lastrolab.com

Administration Laurent Desplat laurent.desplat@lastrolab.com

Graphisme Christophe Gentillon concepteur-graphic.fr

Réseaux sociaux Sophie Desplat

Couverture Massimo Colonna massimocolonna.com

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Impression Imprimerie Ménard 31682 Labège Diffusion C*RED (France / Belgique) ; Zoom On Arts (Bruxelles / Hainaut)

Ont collaboré à ce n° : Thibaut Allemand, Céline Beaufort, Elisabeth Blanchet, Madeleine Bourgois, Mélissa Chevreuil, Massimo Colonna, Mathieu Dauchy, Marine Durand, Sarah Elghazi, Hugo Guyon, Raphaël Nieuwjaer, Angélique Passebosc, Marie Pons et plus si affinités.

LM magazine France & Belgique est édité par la Sarl L'astrolab* - info@lastrolab.com L'astrolab* Sarl au capital de 5 000 euros - RCS Lille 538 422 973 Dépôt légal à parution - ISSN : en cours L’éditeur décline toute responsabilité quant aux visuels, photos, libellé des annonces, fournis par ses annonceurs, omissions ou erreurs figurant dans cette publication. Tous droits d’auteur réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, par quelque procédé que ce soit, ainsi que l’enregistrement d’informations par système de traitement de données à des fins professionnelles, sont interdites et donnent lieu à des sanctions pénales. LM / Let'smotiv est imprimé sur du papier certifié PEFC. Cette certification assure la chaîne de traçabilité de l’origine du papier et garantit qu'il provient de forêts gérées durablement. Ne pas jeter sur la voie publique.

Papier issu de forêts gérées durablement



Museum of the Moon © Luke Jerram

news

Moon safari La Lune fait ses premiers bonds sur Terre. Œuvre du Britannique Luke Jerram, baptisée Museum of the Moon, cette sphère de sept mètres de diamètre reproduit notre satellite à l’échelle 1 / 500 000, avec une précision stratosphérique. Gonflée à l’hélium et éclairée de l’intérieur, cette sculpture est en effet habillée de photographies prises par la NASA, et se dévoile sous son meilleur jour à travers le monde (en ce moment, à Leicester). www.lukejerram.com

Mannequin d’origine malaisienne, Sheena Liam s’est mise à la couture pour tuer le temps entre deux séances photos. De fil en aiguille, elle a littéralement propulsé la broderie au rang d’art. Travaillant à l’ancienne, elle utilise des petits tambours et un fil noir pour représenter des jeunes filles dont les cheveux sortent toujours du cadre. Ça décoiffe, non ? www.timesnewromance.net

Times New Romance © Sheena Liam

#6

Cousues de fil noir


© Paloma Rincón

L’âge de glace

© Kenji Kawakami

IRL Glasses © Scoot Blew

Paloma Rincón immortalise de rares instants. Dans la série Broken Heart, cette photographe mexicaine plonge des roses dans l’azote liquide pour les congeler à - 200 degrés. Elles deviennent ainsi plus dures et délicates que le cristal. En les lâchant, elle les brise comme du verre, illustrant avec poésie la fragilité de la relation amoureuse. www.palomarincon.com

Ceci n’est pas un objet

Digital detox

Dans une société toujours plus consumériste, le Japonais Kenji Kawakami pousse à son paroxysme le concept de "fausse bonne idée". Il nomme ça le "chindogu", soit l’art de créer des objets à priori géniaux, mais inexploitables. Parmi ses "innovations", citons les mini-parapluies pour chaussures ou le stick à beurre, pour obtenir des tartines parfaites ! Ce qu’on appelle joindre l’inutile à l’agréable.

Des lunettes permettant de voir moins... mais mieux ? C’est possible. Conçus par l’Américain Scott Blew, ces verres sont recouverts d’un filtre obscurcissant les écrans LCD et LED. Notre horizon se dégage ainsi loin de toute pollution visuelle, des émissions de Cyril Hanouna jusqu’aux panneaux publicitaires, en passant par la trogne de Trump. Classe, ces binocles "détox" nous rouvrent les yeux pour moins de 70 euros.

www.chindogu.com

www.scottblew.com

s w ne


© Mohamad Hazef

© Siaka S. Traore © Seo Young-Deok

Travail à la chaîne

Maux valises

Les œuvres de Young-Deok Seo ont pignon sur rue. Cet artiste sud-coréen crée des statues en soudant des chaînes de vélo. Ces corps humains représentés avec une science du détail confondant affichent des visages torturés (voire effacés). Ils offrent une sublime métaphore de l’enchaînement de nos chairs au monde industriel. On attend maintenant qu’il mette un peu de selle dans notre vie…

Installé dans le Connecticut, le Syrien Mohamad Hafez a reconstitué dans de petites valises de (vrais) bâtiments ou paysages ravagés par la guerre. Chacune de ces petites scènes est accompagnée d’un récit de réfugié ayant fui son pays (Afghanistan, Irak, Soudan...) pour poser ses bagages en Amérique. Intitulée Unpacked : Refugee Baggage, cette série rend d’autant plus poignant le drame de l’exil forcé.

www.youngdeok.com

www.mohamadhafez.com

Citéphilo Après les croyances, le festival lillois des-gens-qui-aiment-se-creuser-latête-sans-se-la-prendre se penche sur le "féminin, singulier pluriel". à l’heure du mouvement MeToo, près de 120 rendez-vous gratuits (débats, expos, concerts, conférences…) s’intéressent au "deuxième sexe", d’Olympe de Gouges à Françoise Héritier, de la parité à la mixité, sous le regard averti de Christian Jambet, invité d’honneur de cette 22e édition. Hauts-de-France, 08.11 > 01.12, divers lieux, gratuit, www.citephilo.org



# 10

dossier paranormal


Fantômes en Ecosse

esprit es-tu là ? Photographies © Elisabeth Blanchet

En écosse, on trouverait plus de fantômes que de pubs… Des esprits surgiraient même au coin du zinc ! Pour en avoir le cœur net, nous avons sauté dans le premier ferry. Direction Islay et Jura, des îles somptueuses réputées pour leur whisky mais aussi leurs spectres. Voyage initiatique et paranormal au milieu de cimetières, d’églises en ruine et de légendaires distilleries.

L'Èglise de Machir Bay, Islay.


# 12

B

ienvenue sur la côte sud-est d’Islay, surnommée "la Reine des Hébrides", à quelques miles des fameuses distilleries de Lagavulin, Laphroaig ou Ardberg. La route à une voie qui longe la mer s’enfonce dans une forêt opaque. Nous voici devant un grand portail verrouillé et barré d’un "propriété privée". Derrière, un manoir délabré serait hanté par un homme vêtu d’un long par-dessus, et son chien... Un peu plus loin, un chemin permet de progresser dans le bois, mais la végétation luxuriante empêche toute intrusion sur ces terres… à l’exception de magnifiques paons et d’un renne sur ses gardes, on ne distingue pas grand-chose. Sommes-nous à côté de la plaque ?

« Une bonne enquête paranormale nécessite des repérages avec des caméras infrarouges, un détecteur de variations électromagnétiques et un enregistreur, prévient Xavier, de l’association France Recherche Paranormal. Ensuite, vous analyserez tranquillement le matériau recueilli à la maison ». Une séance préparatoire s’impose donc au pub le plus proche ! Le fantôme des cabinets The Ardview Inn, établissement centenaire, tombe à pic. Un petit remontant avec des locaux devrait ouvrir des portes. En tout cas, Janice nous accueille chaleureusement. Et la conversation dérive vite sur suite ces présences "étranges".


Muet comme une tombe.


# 14

Janice nous met la pression.

Apparemment, notre investigation sur les traces du gentleman farmer reclus relève de la mission impossible. « Les propriétaires du domaine de Kidalton vivent cloîtrés », explique un client. Les langues se délient, quand Janice intervient : « Et puis, vous savez, pas besoin d’aller si loin. Un fantôme rôde aussi entre nos murs… ». Personne ne semble surpris, mais tout le monde se tait pour écouter. « C’est vrai, depuis que je bosse ici, je le sens passer presque tous les jours au bout du bar, comme s’il sortait des toilettes. Une espèce de forme… ». Celle-ci se manifesterait quand elle est seule. « Ça me fait un peu froid dans le dos mais, vous savez, dans la

région on est habitués… ». Eh oui, sur Islay, on vit avec les revenants et on s’en accommode ! Janice rappelle d’ailleurs que "spirit" signifie non seulement "esprit" mais aussi "alcool fort". Dans ce domaine, les îles d’Islay

« De nombreux lieux abandonnés favorisent la présence de tous ces esprits » et de Jura demeurent des références absolues. On se presse du monde entier pour déguster leur fameux whisky et visiter leurs 13 distilleries… Un chevalier sans tête hanterait d’ail-


Sur tous les coups.

leurs celle du village de Bowmore (un buveur contrarié sans doute). « Sur Islay comme dans toute l’Ecosse, on recense de nombreux lieux en ruine ou abandonnés. Voilà ce qui favorise la présence de tous ces esprits, explique Alex Dorrens, fondateur de Ghost Hunters Scotland. Ils ont aussi tendance à se manifester à proximité des lignes énergétiques, comme s’ils se servaient à une station service ». Nous en prenons bonne note. Bardés d’appareils photos et de magnétophones, nous repartons à la chasse. Plein les fouilles C’est dans une église en friche de Machir Bay surplombant une superbe

On the road again.

plage (où contrebandiers et pirates devaient s’en donner à cœur joie) que nos pas nous guident. Le dernier révérend s’est suicidé ici dans les années 1970. Il y ferait quelques apparitions. Nous privilégions la traque suite de nuit mais, à part un envol


de corbeaux effrayants… rien. Malgré tout, on prend des photos. On analysera plus tard… Bredouilles, nous tentons enfin notre chance le lendemain

« Dans la région on est habitués à vivre avec ces revenants »

# 16

sur l’île voisine. Jura "la sauvage" est majoritairement peuplée de rennes – plus de 5 000 contre 150 humains. L’ancienne directrice d’école se manifesterait parfois à la fenêtre du troisième étage. Mais, nous avons beau la

Une affaire à saisir à Islay.

fixer longuement, aucun ectoplasme en vue… Ont-ils décidé de nous snober ? Il est temps de débriefer à l’Ardview Inn. Le fantôme de Janice n’est pas passé aujourd’hui mais elle nous raconte le fin mot de l’histoire : « Il y a 20 ans, l’ancien patron du pub s’est pendu dans les toilettes, je pense que c’est lui… ». Quant à nous, il reste à examiner nos clichés. Hum... Et cette ombre-là, sur la porte d’entrée murée de l’église, ne serait-ce pas le révérend ? à force d’arroser notre travail de grands crus écossais, nous finirons bien par y croire ! Elisabeth Blanchet


Un paon de l'histoire.

Croix de bois, croix de fer…


dossier paranormal

Interview

Mona Chollet

Beauté fatale dévoilait les injonctions sexistes de l’industrie de la mode. Avec Sorcières, Mona Chollet poursuit son analyse du contrôle social des femmes. Elle interroge une figure peuplant notre imaginaire. Traquées pendant des siècles en Europe et aux Etats-Unis, ces centaines de milliers de femmes sont devenues le symbole de l’oppression patriarcale - jusqu’à notre époque, où revendiquer son indépendance est loin d’être une évidence… Entretien.

© Zazzo

# 18

Sorcières mal-aimées


Pourquoi vous intéressez-vous aux sorcières ? J’avais envie d’écrire sur les femmes âgées et celles sans enfants. Je tournais autour sans parvenir à engager ce travail. Puis-je me suis aperçue qu’elles renvoyaient aux sorcières… Ce livre était une manière de parler de ces "mégères" qui ne seraient pas dans l’accomplissement de leur féminité. Comment cette figure est-elle née ? Très progressivement. Le Marteau des sorcières est un livre fondamental qui a installé le mythe. C’est un ouvrage écrit par des prêtres dominicains, sans cesse réédité. Il servit de références pour les juges dans toute l’Europe et a fixé cette imagerie du sabbat, du balai, du pacte avec le Diable… Un continent entier a cru à ces histoires complètement fantaisistes, mais qui ont fourni des raisons de tuer. Qui étaient ces femmes accusées de sorcellerie ? Des femmes pauvres qui n’avaient pas les moyens de se défendre. Sous la torture, elles avouaient n’importe quoi. En général, il s’agissait de vieillardes ou de femmes indépendantes. Toutes celles qui n’étaient pas sous la domination d’un homme, c’est-à-dire les célibataires et les veuves.

Quelle est la réalité des chasses aux sorcières ? L’imagerie véhiculée au cinéma et dans les dessins animés est très farfelue. N’oublions pas que ces persécutions ont vraiment eu lieu. J’ai réalisé qu’il s’agissait d’un véritable crime de masse. Les chasses aux sorcières ont servi d’exutoire à cette haine envers les femmes.

« Il s’agit d’un véritable crime de masse » Combien d’entre elles ont péri durant ces persécutions ? Les historiens et les historiennes évoquaient dans les années 1970 plusieurs millions de victimes. Puis, les estimations ont été revues à la baisse : entre 50 000 et 100 000. Mais ces chiffres ne prennent pas en compte celles qui ont été lynchées ou sont mortes en prison. On associe les chasses aux sorcières au Moyen-Âge, alors que celles-ci se sont principalement déroulées durant la Renaissance... C’est encore une manière de mettre à distance cette tragédie. Le Moyen-Âge est considéré comme une suite époque sinistre et brutale.


dossier paranormal

The Witch © Universal Pictures

Cela nous arrange de penser qu’une chose aussi affreuse a eu lieu durant cette période. Rapprocher ces faits de la Renaissance implique une tout autre lecture. Ce sacrifice révèle une face sombre de la modernité, du progrès et des Lumières.

# 20

Comment la sorcière est-elle devenue une icône féministe au xxe siècle ? Elle a resurgi avec le mouvement W.I.T.C.H, apparu à New York en 1968. En hommage à ces femmes sans pouvoir, les féministes de l’époque ont décidé de les doter de pouvoirs fantasmés, cette capacité de faire peur. Elles ont transformé l’accusation de sorcellerie en revendication. N’est-elle pas aussi un symbole de la communauté queer ? C’est une figure dans laquelle se

retrouvent beaucoup de communautés marginalisées. Ainsi, les populations opprimées transforment leurs faiblesses en force. Qui seraient les sorcières aujourd’hui ? Toutes celles qui vivent pour ellesmêmes, car c’est d’abord la liberté qui a été réprimée. Pour moi c’est la femme qui s’affirme en tant qu’individu, indépendamment des liens avec les hommes ou les enfants. Propos recueillis par Hugo Guyon

à lire Sorcières. La puissance invaincue des femmes de Mona Chollet (La Découverte / Zones) 240 p., 18 € www.editionsladecouverte.fr La version intégrale de cet article sur lm-magazine.com



dossier paranormal

Thriller

Train d’enfer Photographies : Stéphane Camors / Vincent Bouley

# 22

Apparu après la Seconde Guerre mondiale, descendant du freak show américain et de la maison hantée anglaise, le train fantôme a bien changé. Les wagons métalliques et autres animatroniques ont laissé place à un déluge d’effets spéciaux. Et de bonnes idées. En témoigne le Thriller, qui nous replonge dans le célèbre clip du "roi de la pop". Hee-hee !


Mon manège à moi, c'est toi.


dossier paranormal

# 24

Michael est de retour.


A

vec sa façade rose tâchée de sang et ses balcons inclinés, elle est visible de loin. Surtout, cette maison de trois étages un peu flippante affiche LE détail qui tue (forcément). Au premier niveau, un Michael Jackson de trois mètres, veste en cuir rouge et noir, visage de zombie, semble bien s’éclater en dansant sur Thriller au-dessus de la foule. C’est louche... On monte ? Oui, mais « pour une descente aux enfers » promet une voix lugubre (« hahaha… »). Nous voilà embarqués dans l’obscurité pour quatre minutes de frayeur. Un voyage en spirale peuplé d’automates loups-garous en blouson de sport, petits rigolos déguisés en clowns et armés de tronçonneuses (plus enclins à nous trancher la tête qu’à la gratter) ou autres macchabéeshologrammes s’échappant littéralement des écrans... « Oui, j’aime bien mélanger grands classiques et nouvelles technologies », s’amuse Stéphane Camors, propriétaire de ce manège inspiré du fameux film réalisé par John Landis, en 1983. Sur les bons rails Notre hôte est issu d’une famille de forains « depuis six générations,

précise-t-il. Mes arrière-grandsparents parcouraient la France avec les premiers cinémas ambulants. Mon père a acheté un train-fantôme dans les années 1960, puis pratiquement tout le monde a suivi ». L’attraction reste un "hit" des fêtes foraines - combien de premiers baisers échangés dans ces wagons ?

« J’aime mélanger grands classiques et nouvelles technologies » Pour autant, l’exigence du public est croissante, et l’innovation essentielle. « Je possédais déjà le "Fantom Manor", hérité de mon père, mais je cherchais à en concevoir un nouveau, plus contemporain, explique le quinquagénaire. Un jour, mes enfants sont tombés sur Thriller à la télé, et semblaient fascinés. Ce sont eux qui m’ont donné l’idée ». Niveau supérieur Epaulé par son ami Vincent Bouley, plasticien œuvrant, entre autres, à la fabrication de décors suite pour la Comédie-Française,


dossier paranormal

Stéphane conçoit la maquette puis confie la réalisation du bébé à un constructeur. 18 000 heures de travail plus tard, le Thriller accueillait ses premiers passagers, en septembre 2013.

« C’est le premier train fantôme construit sur trois niveaux » Depuis, son succès ne se dément pas, de la Foire du Trône de Paris au Lunapark de Fréjus, en passant par la Fête à Neuneu au Bois de Boulogne ou sur la Place de la Bastille, à Noël. Il faut dire que les caractéristiques du manège impressionnent : 21 mètres de long, 13 de haut, une montée en colimaçon de 400 mètres… « Et puis c’est le premier train fantôme construit sur trois niveaux, assure le pilote en chef, pas peu fier de sa création. Il nécessite trois jours de montage ». Mais quelques secondes pour déclencher ses premiers cris d’effroi.

# 26

Julien Damien

à visiter / trainfantomethriller.com vincentbouley.com


Encore un qui fait le mort.


portfolio

SĂŠrie Just Before


Massimo Colonna L’art de la suspension

U

n œuf sur le point de tomber, un ballon de basket figé en plein rebond, un sac plastique dansant au gré du vent… Qu’ils précèdent un accident, se jouent de nos perceptions ou de la gravité (dans les deux sens du terme), ces moments suspendus sont tous magnifiés par Massimo Colonna. Né en 1986 dans le nord de l’Italie, à Scandiano où il vit encore aujourd’hui, cet « artiste numérique » mêle photographie et 3D pour concevoir des œuvres aussi surréalistes que minimalistes. « J’aime communiquer avec peu, confie-t-il. Je cherche toujours à obtenir une image nette, sans trop de fioritures ». Le choix d’une palette de couleurs pastel offre « une vision plus douce des volumes, tout en évoquant cette atmosphère méditerranéenne, ajoute le Transalpin. Il s’agit de transmettre une sensation de légèreté mais aussi la chaleur, révélant des espaces où il serait agréable de se promener ». Et même de se perdre ! Inspirés pour certains des bâtiments colorés du Mexicain Luis Barragán ou de l’Espagnol Ricardo Bofill, ces sublimes paysages d’architecture affichent des géométries parfaites. Une harmonie formelle entre les arcs et les lignes que l’Italien prend un malin plaisir à bouleverser. Il ouvre ainsi le champ des possibles en introduisant une note d’humour, un subtil décalage, une ambiguïté. Est-ce un unique drap qui sèche ici dans la moiteur de l’été, sortant du cadre pour mieux revenir en arrièreplan ? à vous de voir mais, sûrement, tout cela ne tient-il qu’à un fil… Julien Damien

# 29

à visiter / massimocolonna.com


SĂŠrie Just Before


SĂŠrie Just Before


Série (Non) Gravità


Série Ambiguous


Série (Non) Gravità


Série (Non) Gravità


musique

L’Impératrice

# 36

L'air de rien Charles de Boisseguin échafaude d'étranges compositions, à la façon du génie François de Roubaix ou des réévalués Space. Ancien journaliste et ex-conseiller éditorial pour Microsoft, ce doux rêveur a fondé L’Impératrice, formation donnant vie à ces songes jazz-funk et post-disco. Evidemment, en 2018, l’ensemble peut sonner un peu hors-sol. En même temps, c’est peut-être ça l’air du temps, non ? À l’heure où le lâcher-prise est préconisé par tous les experts en management, L’Impératrice compose la bande-son d’une époque... sans jamais parler d’elle, justement – trop grise, vous comprenez. On peut rapprocher cette démarche de celle de glorieux anciens (Air, Sébastien Tellier…) ou de jeunes pousses (Juliette Armanet, Flavien Berger) : ces gens ne semblent pas avoir grand-chose à dire, mais le disent quand même. Joliment, parfois. Nous autres, public indulgent depuis que la musique est gratuite, nous nous laissons porter. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Bénie soit L’Impératrice. Thibaut Allemand


© Julie Oona Lille, 09.11, Le Splendid, 20 h, 25 € www.le-splendid.com


les nuits plasma

Mine de rien, voilà 13 ans que ce dispositif favorise la professionnalisation de musiciens amateurs des Hautsde-France et de Belgique. Bilan scénique, résidences, mise à disposition d’un studio… En novembre, le festival permet de mesurer le chemin parcouru, ces jeunes pousses assurent la première partie d’artistes confirmés. Ce sont par exemple les rockeurs lillois d’Audioriders qui chauffent la place aux punks de Bison Bisou. Ou The Breakfast Club, ouvrant tout en douceurs pop la voie au Belge Tamino et ses envolées cristallines. Charles Pasi, rare jazzman français à avoir signé de son vivant chez Blue Note, pourrait bien donner des idées de grandeur au très éclectique Solomon Pico, qui puise son inspiration chez Beck… Rendez-vous l’an prochain ? J.D.

Initiées par le Club Plasma (plateforme des scènes de musiques actuelles), ces nuits révèlent au grand jour les nouveaux talents du plat-pays. Du Belvédère de Namur au Rockerill de Charleroi, en passant par le Magasin 4 de Bruxelles, ces salles poursuivent en effet une mission de défrichage et de professionnalisation. Elles partagent leurs coups de cœur lors de 70 concerts, durant lesquels ces jeunes artistes croisent des groupes internationaux (Pro-Pain, Peter Kernel) et des références belges (Mustii, Veence Hanao et Le Motel, Pale Grey). La folk d’Ebbène donne ainsi le change à Clara Luciani au Reflektor de Liège, quand Peritelle défend son flow barré et ses compos rétro-futuristes face à DC Salas, Jean Jean ou GaBlé à la Ferme du Biéreau - du lourd ! J.D.

Métropole lilloise (+ Tournai), 02.11 > 08.12 divers lieux et horaires, 16 > 5 € www.tourdechauffe.fr

Wallonie & Bruxelles, 10 > 27.11 divers lieux et horaires, 25 > 5 €, www.clubplasma.be

Sélection : 09.11 : Bison Bisou + Audioriders 16.11 : Charles Pasi + Solomon Pico 24.11 : Tamino + The Breakfast Club 08.12 : Piers Faccini + YN…

Sélection : 14.11 : Clara Luciani + Ebbène // 17.11 : Mustii + Løyd // 22.11 : Veence Hanao + Le Motel // 23.11 : Pale Grey + Faces On TV // 24.11 : Peter Kernel + DC Salas + Peritelle + Jean Jean + Wild Classical Mucic Ensemble + Hypochristmutreefuzz + GaBlé…

La Jungle © Jekyll n Hyde

musique Tamino © Alexander Popelier

# 38

Tour de Chauffe



Haute tension

# 40

D’un showcase casse-gueule à des salles combles. Telles sont les images que l’on conserve de Jeanne Added. Adepte de chansons à la rage rentrée, cette sauvageonne lettrée fit irruption dans nos existences comme on ouvre un coffre fermé – par effraction. En y glissant désormais une petite douceur, histoire de se faire pardonner. On se souvient encore de la première fois où l’on vit Jeanne Added. C’était au Village des Transmusicales. Plus précisément, dans le hall d’entrée du Liberté. Là, au milieu des courants d’air, du passage de quelques inconscients guère attentifs, de soiffards accoudés au bar et de journalistes venus récupérer leur accréditation (les soiffards en question, bien souvent), la fausse débutante s’élançait. Fébrile, elle dévoilait le fameux A War is Coming, qui deviendrait un tube quelques semaines plus tard. Soutenu par la claviériste Narumi Omori (Tristesse Contemporaine), l’ensemble, rêche et revêche, déstabilisa. Et convainquit. Quelques années et de nombreuses dates plus tard, on la redécouvre. On savait qu’elle n’était pas toujours en colère. Elle avait étudié le chant lyrique au CCR de Reims, suivi une formation de violoncelliste, traîné dans le milieu free jazz… Un peu de velours, de feutre et de folie sur la rage, donc. Elle se dévoile désormais en plein soleil ou presque. Le timbre demeure sûr de lui, les mélodies sont joliment Lille, 10.11, L’Aéronef, 20 h troussées et les arrangements synthétiques se 26 > 19 €, www.aeronef.fr font plus présents. Une autre manière d’évacuer Bruxelles, 13.12, Botanique 19 h 30, complet ! la tension et d’irradier les foules. Thibaut Allemand

© Julien Mignot

musique

Jeanne Added



La pop de Parcels lorgne sur les seventies, le yacht-rock ensoleillé et des plages à perte de vue depuis… la grisaille de la continentale Berlin. Un comble, lorsque l’on sait que ces cinq hurluberlus viennent d’Australie ! Nourrie à la soul sophistiquée de Philadelphie, aux harmonies vocales des Bee Gees comme à la pop adulte de Steely Dan, la bande mâtine son soft rock d’electro funk. Elle a d’ailleurs conquis Daft Punk, ex-modernistes et vrais nostalgiques. Dès lors, il importe peu que ces experts ès groove visent à ressusciter un temps définitivement révolu. Parcels incarne tout bêtement la BO parfaite d’un été sans fin (mais achevé). T.A. Lille, 11.11, L’Aéronef, 18 h 30, 26 > 19 € www.aeronef.fr

Parcels © Anna-Lena Krause & Olive Brown

# 42

Bruxelles, 21.11, Botanique, 19 h 30, complet !

Curtis Harding Il fut ce gamin banal, chanteur de gospel dans les églises. Il fut ce choriste remarqué dans le groupe de Cee Lo Green. Il fut aussi ce compagnon des Black Lips. Ou cette belle gueule pour Saint-Laurent, via Slimane. Il est désormais l’un des plus réjouissants représentants du revival soul et R’n’B post-Amy. On ne sort pas des clous. On ne quitte pas l’âge d’or (Isaac Hayes, Curtis Mayfield…). Mais on y met tout son cœur. Sur scène, c’est l’essentiel. T.A. Anvers, 11.11, De Roma, 20 h, 19 / 17 € www.deroma.be

© Hedi Slimane

musique musique

Parcels



© Lola Pertsowsky

musique

Halo Maud

Rêve party

# 44

Elle fut d’abord aperçue aux côtés de Melody’s Echo Chamber et de Moodoïd, représentants français d’une pop chamarrée estampillée "psychédélique". Les volutes qui accompagnent l’aventure en solo de Maud Nadal exhalent, elles, une certaine innocence. Le projet musical Halo Maud est chevillé à son auteure-compositrice-interprète, égocentré jusqu’à l’usage de la première personne, dans le morceau-titre de son premier album, Je suis une île. De ce chant fragile et de ces bricolages pop se dégage une grande sincérité, à la façon d’un Connan Mockasin qui confie son amour pour les dauphins. On compare aussi Halo Maud à Beach Bruxelles, 13.11, Botanique, 19 h 30 House, certes un peu rapidement… 17 > 11 € www.botanique.be Sa musique est assurément rêveuse, emplie Bruxelles, 21.11, Ancienne Belgique (première partie d’Etienne Daho), complet ! de songes enfantins. Porté sur scène, cet www.abconcerts.be onirisme candide saura-t-il nous bercer ? Mathieu Dauchy

Roubaix, 22.11, La Cave aux Poètes, 20 h 12 > 8 € www.caveauxpoetes.com



vague Bigarrée, inventive, la "french pop" méritait bien son festival. Les caractéristiques de cette énième "nouvelle scène française" ? Des blases étranges (Vendredi sur Mer, Agar Agar…) et un indéniable sens du patchwork sonore. à l’image de ces quatre noms, ces artistes avancent en regardant à la fois le passé et le futur. Logique, pour une génération qui a grandi avec la dématérialisation de la musique, puisant dans une étagère infinie de disques. étienne Daho peut dormir sur ses deux oreilles – mais Bénabar a du souci à se faire. Julien Damien

# 46

Flavien Berger Flavien Berger est-il à Contre-temps, comme l’annonce son deuxième disque, ou plus simplement le fruit de son époque ? On pencherait plu­ tôt pour la seconde option. Membre du collectif bruxellois Sin, qui fait rimer sons et lumières, ce Parisien s’est lancé dans la musique depuis sa chambre d'adolescent, en détraquant sa Playstation et le fameux jeu

Music 2000. Depuis, il triture ses ordinateurs, détournant la pop de son droit chemin, entre punchlines absurdes, BO de films, touches de piano ou… de smart­phone. Sur scène, notre gusse ex machina jongle avec ses boutons, trafique sa voix, crée des samples en direct sans jamais se départir d’un bon mot pour le public. Tel un Kraftwerk en short.

Flavien Berger © Andrea Montano & Marine Peyraud

musique

pop factory


Grand Blanc

Derrière cet alias fleurant bon le laboratoire (ou la cuisine moléculaire) se cachent deux expérimentateurs sonores. Passés par les Beaux-arts de Cergy, Clara Cappagli et Armand Bultheel usent d’ingrédients disparates pour concocter des tubes entre réel et virtuel, résonances tribales et synthétiques. Au menu ? Italo-disco sous kétamine, techno dada, claviers eighties et boîte à rythmes épileptique. Sur scène, on s’attend à une performance tantôt planante, tantôt dansante, mais jamais gélifiante.

Révélé en 2016 par l’impressionnant Mémoires vives, Grand Blanc continue de jouer avec les sons et les mots (usant de paronomases, d’allitérations). Les Messins redonnent sens au terme "variété" en brassant indie-pop, techno, rap, coldwave ou chanson française (avec un clin d’œil à Françoise Hardy). Dans Image au mur, son deuxième album, le quatuor voyage de Belleville à Los Angeles, laisse entrer la lumière dans ses morceaux et promet un concert en clairobscur, dans une ambiance électrique.

© Ph. Lebruman

Malik Djoudi Malik Djoudi a d’abord signé quelques génériques pour le petit écran et la téléréalité – il faut bien manger. Il s’est depuis rattrapé, nous invitant désormais Au cinéma, pour citer l’un de ses hits. Lorgnant vers le bon côté de la chanson française (Michel Berger, Christophe), reconnaissable à son timbre androgyne, le Poitevin pose des textes (faussement) naïfs sur des mélodies électroniques teintées de mélancolies. En somme ? Des riffs en acier sur une voix de velours. Roubaix, 15 > 17.11 La Condition Publique, 19 h 30, une soirée : 21 > 17 €, www.laconditionpublique.com / legrandmix.com Programme : 15.11 : Flavien Berger + Agar Agar + Grand Blanc // 16.11 : Clara Luciani + Thousand + Paprika Kinski // 17.11 : The Pirouettes + Vendredi sur Mer + Malik Djoudi + Chaton

© Boris Camaca

© Racket

Agar Agar


André Manoukian André Manoukian est un passionné. Érudit ? Pas dit : d’après lui, « Elvis a été élevé avec les chanteurs de la Motown ». On en rit encore. Mais on lui pardonne, charmé par sa faconde (ses sorties lunaires dans La Nouvelle Star…). Et puis, au piano, l’homme n’est pas manchot. Le collaborateur de Liane Foly ou d’Aznavour renoue avec ses racines arméniennes, épaulé par des tambours sacrés iraniens, un violoncelliste turc, une chanteuse syrienne, un duduk arménien… Transports musicaux en perspective. T.A.

Lille, 09.11, maison Folie Wazemmes (World Groove Session), 21 h, 9 > 3 €, maisonsfolie.lille.fr

Lens, 13.11, La Scène du Louvre-Lens, 20 h 30 25 > 5 €, www.louvrelens.fr

Amiens, 15.11, La Lune des Pirates, 20 h 30 10 / 5 €,www.lalune.net

© Ebru Yildiz

# 48

Parquet Courts Cela n’a guère été relevé, car on a préféré gloser sur le parcours de ces Texans relocalisés à Brooklyn. Cela n’a pas été dit, car il semblait plus sage d’évoquer l’apport de Danger Mouse à son dernier essai, le septième en sept ans. C’est passé sous silence, car on tombait en pâmoison devant ces guitares barbelées, ces basses girondes et ces rythmes trépidants. N’empêche : la pochette du dernier LP de Parquet Courts semble avoir été dessinée par Tibet, tant elle rappelle Chick Bill. Et ça, ça vaut tous les compliments. T.A. Bruxelles, 15.11, Botanique, 19 h 30, 22 > 16 €, www.botanique.be

© Solène Renault

© Pierre Mérimée

bcuc

Originaires de Soweto (banlieue de Johannesburg), ces sept musiciens qualifient leur style de "funky soul indigène". Basse en avant, sifflets zoulous, percussions traditionnelles, rap tonitruant, chœurs masculins et féminins, rythmes hip-hop et dérives psychédéliques : la vie quotidienne des townships sud-africains peuple ces chansons. S’agit-il d’ailleurs de "chansons" ? Pas vraiment. Plutôt de longues échappées sous Ritaline qui conduisent, inexorablement, à la transe. T.A.



Reprise de haute volée

© 2017, Bertrand Rindoff Petroff

musique

Gérard Depardieu chante Barbara

# 50

Gérard Depardieu ? Un corps de colosse, un timbre de jeune fille. Une stature imposante, des expressions féminines… Cette sensibilité, trop peu évoquée, fit de lui un véritable ami et confident pour de nombreuses femmes, de Catherine Deneuve à Barbara. Dont il reprend plus que dignement le répertoire. Un geste fou… et émouvant. « Gérard ne se permet pas tout parce qu’il est Depardieu. Mais c’est parce que Gérard se permet tout qu’il est Depardieu ». Joli, n’est-ce pas ? Profitezen, elle est de Yann Moix, et c’est bien la première et dernière fois qu’on le cite. N’empêche, voici bien résumé le personnage. Pas question de revenir ici sur les frasques de ce Gargantua contemporain. En revanche, se souvenir de l’appréhension avec laquelle on avait abordé son album de reprises paru l’an passé. On savait le géant de Châteauroux et l’oiselle de nuit très proches. Mais de là à ce que Gégé s’empare de son répertoire… Alors on écouta. Et l’on fut saisi. Dès les premières secondes. Comédien génial, Gérard n’imite pas, il interprète, tout simplement. On redécouvre Nantes, Göttingen ou Dis, quand reviendras-tu ? en pleine lumière, sans l’ombre tutélaire de leur créatrice. Jadis, Patrick Bruel s’était essayé à l’exercice. S’était viandé – normal. Mais sa démarche avait le mérite de ramener les chansons de Barbara, femme mythifiée, à ce qu’elles sont : des mots et des mélodies que chacun peut reprendre. Encore faut-il oser. Gérard Depardieu ose, évidemment. Et relève Bruxelles, 17.11, Théâtre Saint-Michel, 20 h 145 > 57 €, www.theatresaintmichel.be le pari, haut la main. Thibaut Allemand



© Fabric

# 52 musique


Lauryn Hill

Retour gagnant Vingt ans qu’est paru The Miseducation of Lauryn Hill. Non, ça ne nous rajeunit pas. En fait de "mauvaise éducation", cet album a bercé (et élevé) une génération entière, séduite par cet habile alliage de voix soul, de hip-hop et de doux parfum reggae. Pour l’occasion, l’Américaine qui n’a jamais surpassé ce premier LP solo, le défend à nouveau sur les routes, dans son intégralité.

E

n 1998, l’Amérique est différente : il ne se passe pas grand-chose, sinon les affres de Clinton et Mlle Lewinsky, Bill Gates accusé de monopole et, ah, des regains de tension entre les USA et l’Irak… Bref, morne plaine. Le 11 Septembre est encore loin. De son côté, Lauryn Hill peut tout se permettre. Au sein des Fugees, la diva mène au Score (1996) et, si le trio n’est plus, elle tente l’aventure en solitaire. Généralement, dans ce cas de figure, on s’entoure de valeurs sûres, histoire d’assurer ses arrières. Pas Hill, qui produit tout comme une grande, excepté Lost Ones (avec Che Pope et Vada Nobles). Quelques invités (Mary J. Blige, Santana et un D’Angelo débutant ou presque) complètent le tableau. à pleins tubes C’est donc véritablement son œuvre que l’on découvrait alors, emmenée par des tubes tels l’inusable Doo Wop (That Thing), Can’t Take My Eyes off of You (une belle reprise de Frankie Valli & The Four Seasons) ou encore Everything is Everything et Nothing Even Matters. De Kelis à Adele, d’Amy à Beyoncé, toutes lui doivent quelque chose. Le monde a évidemment changé, mais ces chansons n’ont pas pris une ride. Lauryn, si, un peu. Mais elle a conservé sa voix et, on l’espère, cette présence magnétique qui nous fait tout oublier. À commencer par ces deux décennies. Thibaut Allemand

Bruxelles, 18.11, Forest National, complet !


Tom Misch a 23 ans. Mais il semble qu’il en aura toujours 16 – l’âge auquel il débuta le bidouillage musical. Le Londonien ne sera jamais adulte, tant ses morceaux demeurent propices à la rêverie et à la douce mélancolie propre à cet entre-deux qu’est l’adolescence. N’empêche, jeunot ou pas, il maîtrise sacrément son art et connaît ses classiques : entre un clin d’œil à Stevie Wonder et un featuring avec De la Soul, cet héritier de J. Dilla mêle soul antique, évidence pop, moiteur funk, accroches hip-hop et dérives jazz dans des tracks où il est bon de se lover. Ce petit surdoué n’a pas fini de nous étonner – on a bien fait de le déscolariser. T.A. Bruxelles, 18.11, Ancienne Belgique, 20 h, 27 / 26 €, www.abconcerts.be

© Tonje Thilesen

# 54

Natalie Prass égérie de l’écurie Spacebomb (maison de qualité tenue par Matthew E. White), Natalie Prass a convaincu son monde avec un premier LP presque parfait (à un morceau à la Disney près). Le deuxième affiche notre héroïne fringuée comme l’as de pique – mais toujours plus classe qu’Eddy de Pretto, rassurez-vous. Au menu ? Soul pop toujours, mais mâtinée de funk vieille école et rehaussée d’un discours féministe qui ne fait pas de mal, en ces âges obscurs. T.A. Bruxelles, 19.11, Botanique, 19 h 30, 19 > 13 € www.botanique.be

© Hollie Fernando

musique

Tom Misch



© Andy Martin

gruff rhys

et aussi… Jeu 01.11 Talib Kweli Bruxelles, VK*, 19h30, 28/25e Tunng Bruxelles, Botanique, 19h30, 18>12e Father John Misty Anvers, De Roma, 20h, 26/24e

Ven 02.11 UNKNOWN MORTAL ORCHESTRA + STEPHEN MALKMUS… Anvers, Trix, 19h, 30/27e

Bruxelles, 26.11, Botanique, 19 h 30, 18 > 12 €, www.botanique.be

Dim 04.11

Ven 09.11

Kamaal Williams… Lille, L'Aéronef, 18h30, 22>14e

Alb + Chapelier Fou + Stienis Oignies, Le Métaphone, 20h30, 10/5e

Lun 05.11 CHVRCHES + Let's Eat Grandma Bruxelles, Ancienne Belgique, 20h, 30/29e

Mar 06.11 Jon Spencer Bruxelles, Botanique, 19h30, 24>18e Avishai Cohen Béthune, Théâtre de Béthune, 20h30, 34>17e

MNNQNS + Caviar Spécial Béthune, Le Poche, 20h30, 10>8e Serenity 4tet Lomme, maison Folie Beaulieu, 20h30, 5,10e BCUC + Supagroovalistic Lille, maison Folie Wazemmes, 21h, 9>3e

Sam 10.11 L'Or du Commun Lille, Le Splendid, 20h, 27,80e

Mer 07.11

Let's Eat Grandma + C. Barnett Courtrai, De Kreun, 20h, 62>17 e

Ben Mazué Lille, Théâtre Sébastopol, 20h, 39>29e

General Elektriks Béthune, Théâtre de Béthune, 20h30, 22>11e

Cascadeur Arras, Théâtre, 20h30, 10/8e

Superorganism Lille, Le Splendid, 20h, 24,20e

Jeu 08.11

The KVB Roubaix, La Cave aux Poètes, 20h, 14>10e

Lord Esperanza + Fang The Great Dunkerque, Les 4 Ecluses, 20h, 13/10e

Etienne De Crecy - Egomix tour Liège, Reflektor, 22h, 15 e

Mille et une nuits (RIMSKIKORSAKOV : Shéhérazade / Dir : JC Casadesus) Lille, Nouveau Siècle, 20h, 55>5e

Sam 03.11 Nothing but Thieves… Lille, L'Aéronef, 20h, 26>19e # 56

Leader fantasque des regrettés Super Furry Animals, Gruff Rhys (mot compte triple au Scrabble) mène, depuis la défection des boules de poils, une carrière solo passionnante et souvent surprenante. Auteur de quelques incontournables (citons Hotel Shampoo ou le projet Neon Neon avec Boom Bip), le Gallois vient de signer un joyau de pop orchestrale où le politique percute Lee Hazlewood – pour le dire très vite. Si SFA fut toujours sous-estimé, espérons que le quadragénaire prenne enfin sa revanche. T.A.

Vanupié Dunkerque, Les 4 Ecluses, 20h, 15/12e

Psychic Ills Roubaix, La Cave aux Poètes, 20h, 12>8e Svinkels Lille, L'Aéronef, 20h, 29e

Fuse Presents : Recondite… Bruxelles, Fuse, 23h, 13>9€

Dim 11.11 Morcheeba Roubaix, Le Colisée, 18h, 50>15e Poliça + Melanie De Biasio… Courtrai, De Kreun, 20h, 62>17e

Mar 13.11 U.S. Girls Bruxelles, A.B., 20h, 18e



© Matthias Bosch / Jeremy Flament

Ukulele Night Fever

Lille, 01.12, Auberge de la maison Folie Wazemmes, 19 h 30 10 > 5 €, maisonsfolie.lille.fr

Mer 14.11

Mar 20.11

Christophe Mons, Th. Royal, 20h, 49>29e

Birth of Joy Béthune, Le Poche, 19h30, 10>5e

Here's to the lion Lille, maison Folie Wazemmes, 20h, 5>2e

My Brightest Diamond… Lille, L'Aéronef, 20h, 18>5e

Thomas de Pourquery Lomme, maison Folie Beaulieu, 20h30, 16,20/12,10e

Sam 24.11

Orelsan Lille, Le Zénith, 20h, 46>36e

Cabadzi x Blier + Ours Samplus Roubaix, La Condition Publique, 20h, 10/5e

Calypso Valois & Yann Wagner Arras, Théâtre, 20h30, 10/8e

Minuit Lille, Le Splendid, 20h, 24e

MC Solaar Lille, Le Zénith, 20h, 59>35e

Saratoga Marcq-en-Barœul, Théâtre de la Rianderie, 20h30, 9>5€

Arno Hem, Zéphyr, 20h30, 36>29e

Général Elektriks… Boulogne-sur-Mer, Carré-Sam, 20h30, 10/5e

Mer 21.11

U.S. Girls + Puts Marie Lille, L'Aéronef, 20h, 15>5e

Jeu 15.11

Ven 16.11 Columbine + Le Motel… Lille, Le Zénith, 18h30, 40>33e

Sam 17.11

Gaëtan Roussel Lille, Théâtre Sébastopol, 20h, 32e Grand Corps Malade Mons, Th. Royal, 20h, 49>29e

Jeu 22.11

Dim 25.11 BB Brunes Lille, Casino Barrière, 18h, 31>25e Vald Lille, Le Zénith, 20h, 40>35e

Mer 28.11

Josman Lille, Le Splendid, 20h30, 21,80e

Tahiti 80 + Jelly Bean Roubaix, La Cave aux Poètes, 19h, 12>8e

Ven 23.11

Gaz Coombes + Santa Cruz Lille, L'Aéronef, 20h, 22>14e

Juliette Armentières, Le Vivat, 20h, 24>8e

Jeu 29.11

Moha La Squale + Eden DillingeR Lille, L'Aéronef, 20h, 26>19e

Hippocampe Fou Lille, Le Flow, 20h, 19,80e

Dim 18.11

Biga Ranx Calais, C.C.G.P., 20h30, 12>4e

Ven 30.11

Michel Jonasz Quartet : saison 2 Lille, Théâtre Sébastopol, 18h, 60>50e

PROTOJE & THE INDIGGNATION… Oignies, Le Métaphone, 20h30, 19>13e

The Human League Ostende, Kursaal, 20h, 54,50>30,25e Girls in Hawaii Béthune, Théâtre de Béthune, 20h30, 34>17e Triggerfinger Calais, C.C.G.P., 20h30, 15>9e

# 58

Instrument au potentiel comique indéniable, le ukélélé méritait bien sa soirée ! En guest, l'orchestre non-symphonique de Poznan livre une version toute personnelle de Highway to Hell ou de Billie Jean. Dans un même élan iconoclaste, Sancho et Diego Rodriguez, les frères mexicains (enfin, comme ils se présentent…) de Ukuleleboboys, réarrangent à leur sauce des hits de Donna Summer ou Led Zeppelin. Ay, caramba ! J.D.

Camille Arras, Théâtre, 20h30, 22/12e



disques Stereolab

Switched On (Duophonic UHF Disks) À quoi reconnaît-on des précurseurs ? Eh bien, lorsqu’on les réécoute, 25 ans après, ils nous paraissent (presque) banals. On doit alors recontextualiser, se souvenir de l’époque. Lorsqu’apparut Stereolab, aux alentours de 1992, les têtes de gondoles se nommaient R.E.M., Sonic Youth, Nirvana, ou Dr Dre. Issu de l’indie pop, Tim Gane, cofondateur du "Lab", affichait des références telles The Velvet Underground (comme toute la vague indie) mais aussi Neu!, Françoise Hardy ou Terry Riley (plus rarement cités). Sous la bannière du label Too Pure (Moonshake, Pram, Seefeel…), la formation franco-britannique ouvrit une brèche rétro-futuriste. Parues entre 1992 et 1998, ces trois compilations réunies dans un même coffret donnent à entendre l’évolution d’un groupe éminemment paradoxal, ami de John McEntire et Luke Vibert ou Mouse On Mars, adepte de mélodies répétitives et d’arrangements acidulés. Aujourd’hui, la chanteuse Laetitia Sadier poursuit en solo (parfois épaulée par Aquaserge), Tim creuse la veine kraut avec Cavern Of Anti-Matter, et il ne se passe pas une semaine sans que l’on cite Stereolab. Lequel n’a pas défini le son des années 1990, mais a durablement marqué les suivantes. Thibaut Allemand

Odezenne

# 60

Au Baccara (Universeul) Des punchlines tenant sur une feuille OCB (« tupuducu », « je veux te baiser ») ont permis à Alix, Jacques et Mattia de dérider un large public. La période berlinoise (Dolziger Str.2 en 2015) a offert une dimension nouvelle à Odezenne. Au Baccara voit le groupe bordelais insister dans cette veine, de plus en plus éloignée du rap et de moins en moins bricolée. Enregistrés aux très prisés studios Konk à Londres, ces 11 nouveaux titres assument une poésie imagée et des productions sensibles. Gageons que leurs prestations scéniques seront plus tapageuses. Toujours porté sur l’alcool, l’herbe et une saudade très "millennial", Odezenne sculpte ses états d’âme avec meilleur goût et en tire quelques chansons au réel pouvoir hypnotique. Mathieu Dauchy


Dead Can Dance

Les Big Byrd

(PIAS)

(PNKSLM Recordings)

Dionysus

La faute à ce nom, et aux trop nombreux gothiques qui leur servent de fans, Dead Can Dance a longtemps eu la réputation d’un groupe macabre. Or, ses compositions sont profondément lumineuses. Et ce dixième disque relève, une fois de plus, de la world music. Un terme affreux, mais comment désigner autrement ces deux amples mouvements au thème païen et piochant dans les traditions de tous les continents ? À la voix de baryton de Perry, et au sabir séraphique de Gerrard, se marient des instruments à cordes brésiliens, des tambours iraniens, des flûtes slovaques et quelques "field recordings". On songe parfois au Mystère des voix bulgares (avec lesquelles Lisa Gerrard vient de signer un album) et, pour le reste, à rien de précis – c’est là toute la magie. Thibaut Allemand

Iran Iraq Ikea

Quatre longues années après le faramineux They Worshipped Cats, les Suédois cramés signent un deuxième album où se pointe l’ex-Spacemen3 Sonic Boom. Si le disque précédent mettait les gaz, la tête dans le cockpit, son successeur prend le temps de se poser. Il ménage des plages contemplatives où synthétiseurs et guitares vibrent à l’unisson. Reste tout de même des moments de bravoure où, toutes pédales dehors, ces complices d’Anton Newcombe font parler la poudre. Un regret cependant : cette manie de chanter en anglais. Elle leur ouvre sans doute un plus large auditoire, mais touche moins que lorsqu’ils s’expriment dans la langue de Zlatan. Reste, enfin, cet intitulé, l’un des plus beaux de la décennie. T. A.

Alan Stivell

Human-Kelt (Keltia / World Village [PIAS]) Alan Stivell a réalisé avec le folk breton ce que Pentangle ou Clannad pratiquèrent avec son homologue britannique : une connaissance intime de la tradition au service d’une modernisation harmonieuse. Après l’âge d’or (1970-78), il s’est plongé dans l’évolution new age comme dans la révolution électronique - avec plus ou moins de bonheur. N’empêche, Stivell, c’est un menhir, un phare, bref, un repère pour quiconque s’intéresse aux musiques bretonnes. Ce 22e disque en bientôt… 55 ans de carrière le voit revisiter son passé en compagnie de quelques pointures (Yann Tiersen) et d’invités surprenants (Francis Cabrel !). Paradoxalement, ce nouvel album rétrospectif, émouvant et étonnant, s’adresse autant aux fans qu’aux néophytes. T. A.


livres Alexandra David-Néel Le Grand art (Le Tripode) D’Alexandra David-Néel, on connaît l’aventurière intrépide, l’écrivaine, l’exploratrice solitaire aux confins d’une Asie encore secrète à l’époque (les années 1920), où les femmes sortaient rarement de leur cuisine. C’est tout à l’honneur du Tripode de lever le voile sur sa première vie de chanteuse lyrique, tout aussi rocambolesque, à travers la publication d’un roman inédit, Le Grand art. Présenté comme un journal intime, ce texte en partie autobiographique raconte les vicissitudes de Cécile Raynaud, jeune comédienne et chanteuse d’opéra passionnée par son art, mais en proie à la dureté de sa condition. Femme sans protection parmi mille autres, elle dépend du bon vouloir et du désir des hommes pour gagner sa place sur scène. Mais le rideau de velours dissimule mal une société misogyne et cupide, où règnent honte et solitude. à travers son avatar, la Franco-Belge porte un regard acéré et nostalgique sur ce monde d’illusions auquel elle a voulu appartenir. Dans ce roman poétique et charnel, sourd pourtant la beauté du geste que Cécile continue de poursuivre. Les épiphanies sont d’autant plus grandes qu’elles sont rares. 400 p., 23 €. Sarah Elghazi

Alexandre Mathis

# 62

Un Monde parfait selon Ghibli (Playlist Society) Franchement, on s’est toujours allègrement tamponné des productions Ghibli, de leur supposée supériorité formelle et de leurs messages humanistes. On a pourtant essayé de s’incruster chez Mon Voisin Totoro, de se recueillir sur Le Tombeau des Lucioles ou de partir en voyage avec Chihiro. En vain. L’animation demeure faiblarde et le message, simpliste. Ceci dit, on a lu cet ouvrage avec plaisir car il est signé d’un passionné qui décortique son sujet et fait œuvre de passeur. Du féminisme diffus à l’aéronautique, en passant par la nature, les grands thèmes qui traversent les films de Miyazaki et Takahata (et affiliés) sont passés en revue. De quoi prendre la pleine mesure de l’importance (objective) de ces studios condamnés à disparaître sous peu. 163 p., 14 €. T. A.


Luz

Jean-Gabriel Périot et Alain Brossat Ce que peut le cinéma (La Découverte) Ce que peut le cinéma n’est pas un livre d’entretiens, mais de conversations. Si les films de Jean-Gabriel Périot (Une Jeunesse allemande…) en constituent le point de départ, c’est à la construction d’un terrain commun de pensée que s’efforcent le cinéaste et le philosophe. De fait, ils partagent bien des préoccupations, s’étant chacun intéressés à la période de la Libération ou au bombardement nucléaire du Japon. Entre les échanges se glissent des extraits de leurs travaux qui prolongent une réflexion souvent passionnante sur les archives, la mémoire, la relation des images à l’Histoire… Ainsi l’art et la théorie apparaissent, brûlants d’une même exigence politique, comme les deux faces d’une même pièce. 300 p., 21 €. Raphaël Nieuwjaer

Indélébiles (Futuropolis) Avec Catharsis (2015), Luz tentait de faire son deuil. Dans Indélébiles, on peut parler d’acceptation. Le dessinateur se souvient de ses débuts à La Grosse Bertha, qui allait (re)devenir Charlie Hebdo, de son existence de provincial débarqué à Paris et, surtout, de ses rencontres avec Cabu, Charb, Gébé… Caricaturiste génial mais aussi (on l’oublie trop souvent) maniaque du petit détail planqué dans les coins, Luz ressuscite le Paris des années 1990, glissant çà et là des références nous ramenant très loin en arrière. On croise par exemple Renaud (en Bosnie !), le RPR vu de l’intérieur… Le ton, intimiste, n’exclut pas la bonne grosse marrade (les blagues potaches de Charb) et rend leur humanité aux martyrs. Salutaire. 320 p., 24 €. Thibaut Allemand

Jean-Yves Leloup Techno 100 (Le Mot et le Reste) On ne présente plus la collection 100, véritable guide d’écoute érudit et subjectif dédié à un genre (indie pop, folk, reggae…), voire un continent (l’Afrique). Soit une sélection de 100 albums, détaillés et commentés, classés par ordre chronologique de sortie. Pour la première fois (à notre connaissance) sont analysés maxis et singles – mais aucun LP. Un choix naturel, puisque la techno s’est longtemps fichue du format album. Ici, de 1981 à 2018, de Kraftwerk à Surgeon (un ancien, c’est vrai), l’insigne J-Y Leloup se penche sur Richie Hawtin, Dave Clarke, évoque Aphex Twin et Rone, cite Recondite, Laurent Garnier ou Âme. Bien sûr, on pourra débattre de tel choix ou de tel absent, mais c’est également ce qui fait le charme de cette collection. 236 p., 20 €. T. A.


écrans

Rencontre

Kheiron

à bonne école # 64

Propos recueillis par Angélique Passebosc - Photos Mars Films

Kheiron signe avec Mauvaises herbes son deuxième long-métrage. Il y incarne Waël, un ex-enfant des rues vivant de petites arnaques avec Monique (Catherine Deneuve). Jusqu’au jour où Victor (André Dussollier), vieille connaissance de cette dernière, propose au jeune homme de s’occuper d’adolescents exclus du système scolaire. Ancien éducateur, l’humoriste franco-iranien puise dans son vécu pour réaliser une comédie sensible sur la jeunesse des banlieues. Rencontre (improvisée) avec un type sincèrement drôle.


Comment présenteriez-vous Mauvaises herbes ? C’est un film familial traitant de thèmes assez durs comme la violence, l’exclusion, la rédemption… Mais ces sujets sont abordés sans pathos. L’humour est le meilleur moyen de porter un message. Faire rire quelqu’un c’est le désarmer et le rendre attentif. Pourquoi vous intéressez-vous aux jeunes en difficulté ? On entend des jugements négatifs sur les jeunes : on en a peur, on les exclut. Il faut aussi prendre le temps de les comprendre. Ils vont nous succéder, plaçons-les dans les meilleures dispositions, pour qu’ils fassent mieux que nous ! Ce film comporte-t-il une part autobiographique ? J’ai effectivement accompagné des jeunes en difficulté. On m’avait choisi car j’avais un bon feeling avec les gamins considérés comme des délinquants. Sur le terrain, on se rend compte que chaque problème a sa solution. Il faut simplement être pédagogue. Ne revivez-vous pas aussi quelques moments plus dramatiques ? Je répondrais "oui" à cette question

si je n’avais pas réalisé Nous trois ou rien (ndlr : retraçant le trajet de ses parents, de l’Iran aux cités parisiennes). Dans mon premier longmétrage, j’étais au maximum de ce qu’un être humain peut encaisser. Pour l’occasion, j’ai perdu 13 kilos, arborant la barbe de mon père.

« Sortir un film sur des banlieusards normaux devient un acte citoyen !»

Tandis qu’on me battait, j’imaginais ce qu’il avait vécu pendant sept ans et demi. En écrivant ce film, j’ai évoqué avec lui des sujets dont on n’avait jamais parlé auparavant : la torture, le viol en prison... Comment avez-vous établi le casting de votre film ? Pour le rôle de Monique, j’ai tout de suite pensé à Catherine Deneuve. Cela m’amusait de la placer dans des situations incongrues. Elle n’a jamais été aussi négligée, comique, avec un tel lâcher-prise ! Et quel plaisir de l’associer à André Dussollier. Il a une palette de jeu infinie, entre suite le drame et la malice.


écrans

# 66

Quelle importance avez-vous accordé à l’image ? Avant de réaliser Nous trois ou rien, je n’avais dû voir qu’une trentaine de films. Pourtant, j’ai tout de suite eu envie de produire du beau cinéma. J’adore la comédie, ses blagues tout en rythme, ses champs et contrechamps, mais j’affectionne aussi les plans-séquences. Alors, j’ai mixé les deux. Mauvaises herbes se termine relativement bien. N’offrez-vous pas au spectateur une vision magnifiée de la réalité ? J’aime les drames, être bousculé. Mais j’ai besoin d’une note d’espoir. J’ai horreur de sortir démoralisé d’une salle de cinéma. Alors certes,

Mauvaises herbes se termine bien. Mais le destin de ces jeunes reste incertain… Il ne s’agit pas d’une histoire manichéenne où le héros règle tous les problèmes. Les films sur la jeunesse dans les banlieues ne sont pas rares. Quelle est la singularité du vôtre ? Il y a deux genres de film sur les cités, en France : ceux très noirs décrivant une certaine réalité, filmée caméra à l’épaule sur fond de misère sociale. Et puis il y a les héros attachants mais vraiment cons, cancres… Sortir un film sur des banlieusards "normaux" devient un acte citoyen ! Mauvaises herbes De Kheiron, avec lui-même, Catherine Deneuve, André Dussollier… Sortie le 21.11



écrans

Arras Film Festival

Séance ouverte

# 68

Lola et ses frères © Christophe Brachet

Des films rares, des avant-premières, des rencontres, des rétrospectives, une compétition... Oui, c’est tout cela un bon festival de cinéma. Celui d’Arras se distingue par sa qualité d’accueil et son caractère humain. Alors silence, moteur et décontraction.

L’Arras Film Festival, c’est un peu « la caverne d’Ali Baba », confie éric Miot. Avec ses affiches attrayantes et ses joyaux (La Favorite de Yorgos Lanthimos, « une claque visuelle »). Parmi les pépites, citons aussi Heavy Trip, des Finlandais Juuso Laatio et Jukka Vidgren, relatant l’aventure (bien) barrée d’un groupe de metal finnois en fourgonnette… Le casting est alléchant, mais dans la cité de Robespierre, ce sont les spectateurs qui ont le premier rôle (plus de

45 000 l’an passé). « Il n’y a pas de tapis rouge ici, on cultive la proximité avec le public », soutient le délégué général. Pignon sur rue Une humanité qui traverse aussi cette sélection de près de 80 fictions inédites. Tournés vers l’Europe (de l’Est, du Nord…), ces films abordent des thématiques communes, telle la montée des extrémismes. Sono Tornato de Luca Miniero imagine


L'Empereur de Paris © Gaumont

ainsi le retour de Mussolini en Italie et le saisit en caméra cachée, avec son lot de réactions troublantes… « On observe également pas mal de préoccupations liées à la famille ». à l’image de Lola et ses frères de JeanPaul Rouve, qui ouvre cette 19e édition. En parlant d’invités prestigieux, on note la venue de Vincent Cassel et Jean-François Richet, dévoilant « en première mondiale » L’Empereur de Paris, sur les traces de Vidocq. Pour l’occasion, ils inaugurent une rue au

nom du bandit devenu policier, où il naquit en 1775, à deux pas de la Grand’Place. Oui, à Arras, l’aventure est bien au coin de la rue. Julien Damien

Arras, 02 > 11.11, Cinémovida, Grand’Place Casino d’Arras et divers lieux 1 film : 7 / 5 € (soirée d’ouverture : 8 €) pass festival : 67 €, 10 films : 45 €, 5 films : 27,50 € www.arrasfilmfestival.com Sélection : 02.11 : soirée d’ouverture, Lola et ses frères avec l’équipe du film // 03.11 : Première mondiale de L’Empereur de Paris (en présence de l'équipe du film) // 10.11 : Rencontre avec Michel Ciment


écrans

En liberté !

No limit Flic ripou, braquage en combinaison de latex et amours contrariées. Tels sont, dans le désordre, les ingrédients du nouveau film de Pierre Salvadori. Une comédie délibérément foutraque, se jouant autant des codes du policier que de la romance. Déjantée ? Assurément. Réussie ? à voir…

# 70

Y

vonne, inspectrice de police, se retrouve veuve après la mort en exercice du commandant Jean Santi. Par un concours de circonstances, elle réalise que l’homme qu’elle aimait, célébré comme un héros, se révèle être un imposteur, un ripou. Pire, un innocent croupit en prison depuis huit ans à sa place. Mortifiée, la poli-

cière commence à filer cet ex-détenu traumatisé, se faisant spectatrice puis complice de ses comportements de plus en plus transgressifs... Pour les virées destructrices d’Adèle Haenel et de Pio Marmaï, le réalisateur des Apprentis et de Hors de prix ne s’est fixé aucune limite. Colorée, enlevée, la mise en scène sert ce débordement


© Claire Nicol

libérateur, questionnant au passage le bien-fondé des normes sociales. Ainsi, quelques gags patauds (une partouze SM, un psychopathe trimballant les restes de sa tante dans des sacs de supermarché) parviennent à nous arracher des rires. Célébrer l’imaginaire à l’humour sous acide, Salvadori ajoute les grosses ficelles d’une triple intrigue sentimentale... Déclarations qui tombent à plat, dialogues trop travaillés pour être honnêtes. La

poésie d’En liberté ! ne réside donc pas dans son écriture. En revanche, les "légendes" sur Santi qu’Yvonne raconte chaque soir à son fils, courtes séquences parodiques façon James Bond, soulignent l’importance de la fiction dans nos vies et, finalement, son rôle d’exutoire. N’est-ce pas aussi la mission du cinéma ? Marine Durand

De Pierre Salvadori, avec Adèle Haenel, Pio Marmaï, Audrey Tautou, Vincent Elbaz… Sortie le 31.10


Tourbillon de la vie

# 72

C’est un drôle de marathon qui se déroule chaque été à Gennetines, petite commune située dans la campagne d’Auvergne. Répondant à l’appel d’un festival, 2000 personnes venues de toute l’Europe partagent sept jours et huit nuits de danse. Un tourbillon filmé avec une rare sensibilité par Laetitia Carton. Dans son quatrième long-métrage, la réalisatrice française saisit le monde dans un balancement permanent. Elle observe la pulsation de la vie. Qu’elles soient celtes, grecques, irlandaises ou régionales, les danses traditionnelles sont ici exécutées au cours des ateliers en journée ou sur les parquets des bals le soir. Des bœufs ou sessions improvisées stimulent même la foule jusqu’au petit matin. Dans cette ancienne ferme, toutes les générations virevoltent ainsi jusqu’à l’épuisement. Et jamais le "bal trad" n’a semblé aussi vivant. Ce documentaire dynamite l’image d’épinal des grands-parents valsant au son de l’accordéon sur la place du village. Ici, on adhère à la sensualité d’une mazurka, au rythme tellurique des bourrées et à l’allégresse des cercles circassiens. Laetitia Carton capte discrètement (en plans serrés, en mouvement) toute l’ivresse de la danse et la rencontre avec l’autre. Politique autant que poétique, le bal affirme une utopie où les hommes partagent un même espace. à mesure que les corps se mêlent sur la piste, c’est l’humanité qui s’organise. Le Grand bal est une œuvre joyeuse, sondant avec délicatesse tout le plaisir d’être Documentaire de Laetitia Carton. Sortie le 31.10 ensemble. Marie Pons

© Pyramide Films

écrans

Le Grand bal



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Destins réanimés

# 74

Décembre 2008 : Tsahal lance contre Gaza une offensive baptisée "Plomb durci". S’ensuivront trois semaines de bombardements et une invasion terrestre. Au total, 1315 Palestiniens et 13 Israéliens y trouveront la mort. Stefano Savona revient sur cette tragédie en s’intéressant à une famille : les Samouni. Une petite fille dit en souriant qu’elle ne se souvient d’aucune histoire. Un bâton à la main, elle trace pourtant dans le sable quelques traits qui sont comme l’esquisse du film à venir. C’est d’ailleurs d’un trait qu’elle indiquera où se dressait le sycomore, détruit par l’armée israélienne, autour duquel s’organisait la vie de sa famille. L’année d’avant, 29 de ses proches ont été tués dans une attaque aérienne. Comment dire cela ? Comment le montrer, alors que le gouvernement de Netanyahou n’a autorisé ni les journalistes, ni les cinéastes à entrer en Palestine durant cette période, préférant servir une propagande officielle ? Aux prises de vue réelles, Stefano Savona mêle des séquences d’animation. Elles surgissent tantôt comme des bouffées d’inquiétude ou des rêveries, tantôt comme la reconstitution des heures entourant la mise à mort des Samouni. Ces dessins s’arrachent à la noirceur de l’écran grâce à une technique de grattage développée par l’artiste Simone Massi. L’image rappelle ainsi cette terre que les paysans travaillent depuis des générations. Creuser le papier ou le sol, raconter ou cultiver traduisent une même exigence : celle d’avoir à soi un lieu où vivre. Un endroit aussi fertile pour l’imaginaire que Documentaire de Stefano Savona. Sortie le 07.11 la nourriture. Raphaël Nieuwjaer

© Jour2Fête

Samouni Road



Dancer in the dark

# 76

Fort du succès de Call Me by Your Name, Luca Guadagnino s’attaque au classique d’épouvante signé Dario Argento en 1977. Résultat ? Un hommage sans prise de risque mais tout en respect et modernité, qui donne un sacré coup de vieux à un certain Black Swan. Susie Bannion, ballerine en herbe, pose ses valises à Berlin pour rejoindre l’une des plus prestigieuses académies de danse au monde. La jeune Américaine tape dans l’œil de Madame Blanc, sa chorégraphe, qui la promeut danseuse étoile. Simple alchimie professionnelle ? Pas si sûr. D’autant plus qu’une relation malsaine s’installe entre les deux passionnées. L’ambiguïté s’intensifie, à mesure que le cadre se révèle. Derrière cette école se cache en effet un macabre couvent de sorcières, avec son lot de rituels et d’hémoglobine… Ce Suspiria reprend ainsi fidèlement le chef-d’œuvre éponyme de Dario Dargento. Se pose alors une question : peut-on apprécier un film dont on connaît déjà les grandes lignes ? Eh bien oui, car la relecture de Luca Guadagnino tire davantage vers l’hommage que le plagiat cupide. Comme dans la mouture d’origine, cette nouvelle itération prend le temps d’installer son sujet et impose une réalisation tout en sobriété. On apprécie par exemple l’absence de "jump scares", fléaux du genre, au profit d’une violence crue servie par des plans aux petits oignons. Ajoutez à cela un casting cinq étoiles (Tilda Swinton, effrayante…) et vous De Luca Guadagnino avec Dakota Johnson, Tilda Swinton, comprendrez pourquoi le film fut la sensation Chloë Grace Moretz… Sortie le 14.11 de la dernière Mostra de Venise. Mélissa Chevreuil

© Metropolitan Film Export

écrans

Suspiria


Mila Turajlic` n’a pas eu à aller loin pour rencontrer l’Histoire. L’un de ses arrière-grands-pères assista à la création du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, en 1918 (la "première Yougoslavie"), tandis que sa mère contribua à faire tomber Milosevic` en 2001. Depuis l’appartement familial, Turajlićretrace ainsi un ` siècle où récits intimes et nationaux ne cessent de se croiser. Mais l’enjeu n’est pas que mémoriel. à l’heure où l’extrême droite gagne du terrain, la transmission d’une conscience politique s’avère nécessaire. En tournant principalement dans ce logement bourgeois, le film semble tenté par le repli. Le dialogue parfois vif avec la mère laisse néanmoins entrevoir la possibilité d’une véritable tradition de la révolte. Raphaël Nieuwjaer ^

© Survivance

Documentaire de Mila Turajlic. ` En salle

© SND

L’Envers d’une histoire

Chacun pour tous En pleine préparation aux Jeux Paralympiques, Martin fait face à l’abandon de son équipe de basket, composée de déficients mentaux. Prêt à tout pour ramener la médaille d’or, le coach décide d’engager… des joueurs "valides". On suit alors cette bande dans leur découverte du handicap au quotidien... Soutenu par un casting cinq étoiles, le film s’inspire d’une histoire vraie : celle des basketteurs espagnols victorieux lors des Jeux Paralympiques de Sidney, en 2000. Loin du pathos, Vianney Lebasque détourne avec humour les clichés pour mieux les dézinguer. On apprécie la réalisation rythmée, notamment par des séquences tantôt ralenties, tantôt très intenses durant les matchs à l’image de ce combat pour la vie. Drôle et touchant. Marion Humblot De Vianney Lebasque avec Ahmed Sylla, Jean-Pierre Darroussin, Camélia Jordana… Sortie le 31.10


exposition

# 78

St. Petersburg, Florida, 1955, from The Americans


Les Américains

Moments de vérité Photographies © Robert Frank - courtesy Pace MacGill Gallery, New York. Collection Maison Européenne de la Photographie, Paris.

« Un flou absurde ». « Une lumière sale ». « Un poème triste pour pervers »… Voilà le genre de critiques reçues par Les Américains lors de sa publication, en 1958. Il faudra dix ans à Robert Frank pour que son livre soit reconnu à sa juste valeur : l’essence même de la "street photography". Cette exposition dévoile la totalité de ces images qui immortalisèrent la vie quotidienne aux états-Unis, au milieu du siècle dernier.


exposition

City fathers - Hoboken, New Jersey, 1955, from The Americans

# 80

N

é à Zurich en 1924, issu d’un milieu bourgeois, Robert Frank se forme dès l’âge de 12 ans à la photographie. C’est aux états-Unis qu’il fourbit ses armes, travaillant d’abord pour le magazine féminin Harper’s Bazaar, avant de décrocher une bourse auprès de la Fondation Guggenheim. Sa mission ? « Documenter visuellement la civilisation américaine ». Dès 1955 et durant un an, "Bob" sillonnera avec sa femme et ses deux enfants quelque 30 états du pays de l’Oncle Sam, photographiant ses autochtones au gré de ses rencontres ou des événements. « Il n’a suivi aucun programme défini, il partait en voiture et se laissait guider par le hasard et son intuition »,

explique Adeline Rossion, collaboratrice scientifique au Musée de la Photographie de Charleroi. Ici une serveuse à l’air boudeur dans un "diner" à Hollywood, là les funérailles d’un croque-mort en Caroline du Sud… Bien souvent, il s’agit de plans serrés, en noir et blanc. « C’est parfois flou et les cadrages sont approximatifs, mais il capturait la vie comme elle s’offrait à lui ». Filtre révélateur Cette approche sauvage permettra à ce « chasseur d’images » de révéler le pays dans toute sa vérité. Ses moments de tendresse, saisis par exemple dans le regard d’un couple de danseurs insouciants, mais aussi


sa violence, son racisme ambiant, comme cette photo de bus dans lequel tous les passagers avant sont blancs, et ceux à l’arrière noirs…

« Documenter visuellement la civilisation américaine » « Il a écorné le mythe de cette belle Amérique glorifiée après la Seconde Guerre mondiale, la montrant avec ses hauts et ses bas ». Au total, le Suisse aura parcouru 16 000 kilomètres, pris 27 000 clichés pour en retenir… 83 (tous exposés à Charleroi). Refusé par le pudibond Life, ce livre fut d’abord

Elevator - Miami Beach, 1956, from The Americans

publié en France grâce aux éditions Delpire. L’ouvrage est préfacé par un certain Jack Kerouac. « Il s’était attiré la sympathie de la Beat Generation, séduite par la liberté de ses images ». Sales et brutes comme un riff des Rolling Stones, auxquels Robert Frank consacrera d’ailleurs un documentaire en 1979… déclenchant, là aussi, un beau scandale. Le titre ? Cocksucker Blues. Tout est dit. Julien Damien

Charleroi, jusqu’au 20.01.2019 Musée de la Photographie mar > dim : 10 h > 18 h, 7 > 4 € / gratuit (-12 ans) www.museephoto.be à lire / la version intégrale de cet article sur lm-magazine.com


Giuseppe della Porta Salviati, Adam et Ève © STC – Mairie de Toulouse

# 82 exposition


Amour

Le cœur à l’œuvre Le Louvre-Lens inaugure une nouvelle manière d’exposer, en s’intéressant aux grandes thématiques universelles. En cela, quel meilleur point de départ que l’amour ? Cette aventure à la fois intime et collective nous est racontée en sept chapitres, du péché originel à la libération des mœurs. Une histoire ardente, parfois coquine, s’écrivant au gré de 250 sculptures, peintures ou films. En somme, le cœur ET la raison.

L’

© Julien Damien

amour ? Vaste question… « Notre parti pris fut donc de raconter une histoire, celle de nos manières d’aimer », indique Zeev Gourarier, co-commissaire de cette belle exposition. La grande "star" de ce récit, c’est la femme. Et ça commence plutôt mal, car elle fut d’abord considérée comme une abominable tentatrice, nous coûtant le Paradis (Eve) et

les pires maux du monde (Pandore). En témoigne ce chef-d’œuvre de la sculpture de James Pradier, Satyre et Bacchante (1834), où la belle amante « provoque les pires égarements, emportant l’homme tout entier ». Il faudra attendre le Moyen Âge et l’amour courtois pour voir les choses progresser. « La femme est alors la suzeraine de son seigneur, qui doit accomplir moult exploits pour la séduire ». Symbole de ce changement : le jeu d’échecs. D’abord vizir, la pièce la plus puissante devient… la reine. Un rapprochement des cœurs propice, dès le xvie siècle, à l’éclosion de la galanterie et ses peintures emplies de doubles sens. « Quand les petits oiseaux s’envolent, c’est une vertu qui disparaît derrière un suite bosquet… ».


François Boucher, L’Odalisque © C. Devleeschauwer

exposition

Peu à peu, l’Homme s’émancipe de la religion, les mœurs s’allègent et les corps se dénudent. Nous voici au xviiie siècle, en plein libertinage. Dans une scénographie évoquant un boudoir, L’Odalisque de François Boucher nous offre ainsi son séant charnu sans rougir.

# 84

Vent de liberté Le xixe siècle rhabillera ces canailleries de romantisme. Les sentiments sont rois et les âmes fusionnent, à l’image de La Valse de Camille Claudel, où les amoureux virevoltants sont réunis par le même drap de bronze. Le xxe siècle, enfin, sera celui de la liberté et de l’émancipation du sexe dit faible, symbolisée par Niki

de Saint Phalle, dont on découvre l’une des premières Nanas. Le parcours s’achève en musique avec près de 350 pochettes de vinyles issues du fonds du Golf Drouot, ce club parisien où émergea le rock hexagonal à la fin des fifties. On y entend par exemple Sylvie Vartan chanter Comme un garçon, préfigurant nos questions liées au genre. Une nouvelle façon de se chérir, propre au xxie siècle ? Pour une fois, Zeev Gourarier botte en touche : « ça, c’est au visiteur de l’imaginer… ». J. D. Lens, jusqu’au 21.01.2019, Louvre-Lens, tous les jours sauf mar : 10 h > 18 h, 10 > 5 €  gratuit (-18 ans), www.louvrelens.fr à lire / la version intégrale de cet article sur lm-magazine.com



Artistes en sécession

# 86

à l’aube du xxe siècle, Gustave Klimt ouvrit la voie à la modernité. Durant l’entre-deux-guerres, de nombreux peintres se sont engouffrés dans la brèche. Le Palais des beaux-arts de Bruxelles raconte en 15 salles et plus de 75 noms cette aventure emplie d’audaces formelles. 1918. La Première Guerre mondiale s’achève, entraînant son lot de changements géopolitiques, économiques, mais aussi artistiques. Gustav Klimt s’éteint cette même année, mais demeure une figure de proue de l’avant-garde. En rupture avec l’académisme, ce précurseur de l’Art nouveau initia un style plus libre, idyllique, loin des sombres réalités de la guerre : formes circulaires, utilisation de couleurs telles que le rouge et l’ocre… à l’instar de son Portrait de Johanna Staude (inachevé) qui ouvre le parcours. Cette exposition n’est pas dédiée à l’Autrichien, mais retrace l’évolution qu’il a enclenchée à travers les toiles de maîtres d’Europe centrale. Des expressionnistes Egon Schiele ou Oskar Kokoschka qui traduisit la musique en couleurs (Le Pouvoir de la musique) jusqu’à l’école du Bauhaus, réinjectant de l’humanité dans la nouvelle société industrielle (László Moholy-Nagy), la peinture de ce début de xxe siècle bouillonne. Elle soulève aussi des questions politiques. Dans Tête fracassée de poupée (1937), montrant un visage en porcelaine fissuré, Rudolf Wacker illustre par exemple la brutalité de cette période, et l’éparpillement de l’indiBruxelles, jusqu’au 20.01.2019, Bozar vidu dans la société, annonçant en filigrane mar > dim : 10 h > 18 h, jeu : 10 h > 21 h 16 / 14 €, www.bozar.be la Seconde Guerre mondiale… Marion Humblot

Robert Angerhofer (1895-1987), Dead Soldier in Barbed Wire, C. 1920, Oil on canvas, 107 x 147cm © NORDICO Stadtmuseum Linz

exposition

Beyond Klimt



exposition

# 88

Frans Masereel, Sans titre pour La Ville, pl. 32 (détail), 1925, gravure sur bois - Coll. Musée de Gravelines © Adagp, Paris, 2018 / Frans Masereel, Stiftung Saarbrücken


Serial graveurs

Feu de tout bois Gravelines met à l’honneur deux géants du roman xylographique. Le premier, Frans Masereel, l’inventa il y a tout juste un siècle. Le second, Olivier Deprez, perpétue cette tradition à travers une œuvre située entre la BD et les arts plastiques. Présentées sous forme de séquences pour l’un, et de rétrospective pour l’autre, ces gravures sur bois alimentent le 9e art de perspectives brûlantes.

M

éconnu du grand public, Frans Masereel (1889 -1972) demeure une figure majeure de la bande dessinée. Pour cause, « il est considéré comme un pionnier du roman graphique », selon Samuel Dégardin, commissaire de cette exposition. Né à Blankenberge, ce Belge fait partie d’une vague d’artistes qui remit la gravure sur bois au goût du jour. Il se fit connaître avec 25 Images de la passion d’un homme, publié il y a tout juste 100 ans. Ce premier « roman sans parole » raconte en 25 "planches" l’émancipation d’un ouvrier se battant pour plus de justice. Ami d’écrivains pacifistes tel Stefan Zweig, Frans Masereel fut en effet « très engagé dans les luttes sociales » et un observateur acéré des bouleversements de son temps.

En témoigne La Ville, « son véritable chef-d’œuvre, insiste Samuel Dégardin. Il raconte le cycle d’une journée en milieu urbain, livrant une vision panoptique dans l’espace public ou l’intimité des logements ».

« Masereel est un pionnier du roman graphique » Mondes cachés Au-delà de cette narration muette et figurative, l’autre caractéristique de son travail se situe dans l’emploi quasiexclusif du noir et du blanc, offrant une puissance graphique indéniable. Moderne, universelle, son œuvre influence nombre d’artistes suite contemporains.


# 90

fig. 1

exposition


fig. 2

fig. 3

fig. 4

fig. 1 : Frans Masereel, La Ville, 1928 - Coll. Musée de Gravelines fig. 2 : Frans Masereel, Aventure nocturne, 1958 - Coll. particulière, Belgique fig. 3 : Frans Masereel, Un Fait divers, 1920 - Coll. particulière, Belgique fig. 4 : Frans Masereel, Mon Livre d’heures, 1919 - Coll. particulière, Belgique


exposition

Notamment un autre Belge, Olivier Deprez. Ce Binchois est un membre fondateur des défricheuses éditions Frémok. La découverte de Masereel fut pour lui une révélation. C’était en 2003, et l’ancien élève de Saint-Luc cherchait la technique lui permettant de traduire en images Le Château, de Franz Kafka. « J’y ai alors vu une analogie entre le geste de l’écrivain et celui du graveur. Kafka creuse des vides pour faire émerger des formes : chez lui elles sont littéraires, chez Masereel visuelles ». Là où ce dernier utilisait du "bois de bout" (c’est à dire dur) qu’il taillait au burin et à

la gouge, Olivier Deprez se sert du contreplaqué. Ce "bois de fil", une fois encré, introduit un "bruitage"

« Un travail saisissant sur la lumière et les contrastes » particulier. Plus abstraites, les créations du quinquagénaire partagent cette même appétence pour le clair et l’obscur. « Le noir permet aussi de combler les trous, de stimuler l’imagination du spectateur, comme s’il cachait plusieurs mondes ». à nous de les découvrir. Julien Damien

# 92

Après la mort, après la vie, 2014 © Olivier Deprez

Gravelines, jusqu’au 17.02.2019, Musée du dessin et de l’estampe originale, tous les jours sauf mardi : 14 h > 17 h (week-end : 14 h 30 > 17 h 30) 3,50 / 2,50 € / gratuit (-15 ans), www.ville-gravelines.fr

à lire / l a version intégrale de cet article sur lm-magazine.com



Cycle reproducteur

# 94

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Oui, parfois on aime bien citer des chimistes décapités pour attaquer nos articles. Même si la célèbre maxime de Lavoisier ne sied pas tout à fait à la Braderie de l’Art. Car en guise de création, le bébé d’Art Point M se pose comme un rendez-vous franchement détonnant. Si le principe est inchangé (ou presque) depuis 1991, il demeure des plus pertinents. Jugez plutôt : durant 24 h, 250 designers, sculpteurs, peintres ou soudeurs "s’enferment" dans la Condition Publique, à Roubaix. Ils disposent de 3 000 mètres cubes de matériaux de récupération pour façonner divers objets (meubles, lampes…) ou œuvres d’art devant le public. Collectés auprès d’entreprises locales, ces petits ou gros rebuts, en bois, métal ou plastique deviendront autant de pièces uniques, revendues entre 1 et 300 euros. « Ces créateurs fabriquent même leurs propres outils, comme une forge mobile capable de fondre de l’aluminium », s’enthousiasme Sabine Duthoit, la porte-parole d’Art Point M. Pluridisciplinaire, collectif, démocratique « et pédagogique », ce bouillonnant workshop soulève des enjeux plus que jamais d’actualité, comme la protection de l’environnement ou l’économie de circuit court. Cette 28e édition met à l’honneur la Roumanie, conviant six designers de Bucarest. Parmi eux, on a déjà repéré la plasticienne Denis Simion qui confectionne des petits cœurs avec tout ce qui lui passe par la main : porRoubaix, 01 & 02.12, La Condition Publique celaine, quincaillerie… Bref, toujours à sam : 19 h > 2 h 30, dim : 8 h 30 > 19 h, gratuit www.labraderiedelart.com pied d’œuvre ! Julien Damien

© Mathieu Colin - La Cuisine

exposition

La Braderie de l’art



exposition © Jacques Martin

Alix

L'art de JAcques Martin

Jeune esclave gaulois devenu citoyen romain, Alix (dit "l’intrépide") a fait dès 1948 les belles heures du Journal de Tintin. Sous la forme d’albums, ses aventures se sont écoulées à 12 millions d’exemplaires (et furent traduites en 15 langues). Son créateur, le Français Jacques Martin (rien à voir avec L’Ecole des fans…), compte parmi les grands du 9e art. à l’occasion des 70 ans de son héros légendaire, cette rétrospective rend donc hommage à un auteur un peu oublié, à travers 150 planches originales. De ses premiers travaux publicitaires à son entrée aux Studios Hergé, le parcours retrace l’évolution d’un précurseur de la BD historique. M.H. Bruxelles, jusqu’au 06.01.2019, Musée Art & Histoire (Parc du Cinquantenaire), mar > ven : 9 h 30 > 17 h sam & dim : 10 h > 17 h, 10 > 4 € / gratuit (-18 ans), www.kmkg-mrah.be

# 96

Un shelter, c’est un abri de fortune, protégeant notamment des refugiés. C’est dans le camp humanitaire de Grande-Synthe, ouvert en octobre 2016 et dévasté en avril 2017, que la journaliste Ludivine Fasseu et le photographe Pascal Bachelet se sont arrêtés. Ils se sont intéressés au shelter 29, où vivait alors une famille iranienne. Cette exposition témoigne en une vingtaine de clichés des rêves ou moments de doute de ces naufragés de l’Histoire. J.D. Lomme, 13 > 24.11, maison Folie Beaulieu, mer > ven : 10 h > 12 h & 14 h > 18 h, sam : 10 h > 21 h, gratuit, www.ville-lomme.fr

© Pascal Bachelet

Shelter 29



exposition

Des barricades estudiantines aux manifestations ouvrières, Mai 68 fut un épisode d’intense protestation populaire. Et les artistes, dans tout ça ? Cette exposition mesure l’influence du créateur dans la transformation de la société, et cherche les marques de contestation dans les pratiques contemporaines. Des affiches coup-de-poing de l’Atelier populaire ("Interdit d’interdire") à la conférence performée des Guerrilla Girls (le 9 novembre), ces œuvres nous rappellent l’urgence de désobéir.

Hornu, jusqu’au 03.02.2019 CID, mar > dim : 10 h > 18 h 8 > 2 € / gratuit (- 6 ans) www.cid-grand-hornu.be

Bruxelles, jusqu’au 27.01.2019, Centrale For Contemporary Art, mer > dim : 10 h 30 > 18 h 8 > 2,50 € / gratuit (-18 ans), www.centrale.brussels

Candle Plate, 2017 © Benoît Deneufbourg - Another Country

Resistance

© Guerrilla Girls

Benoît Deneufbourg Vitrine pour les designers belges, le CID présente la première exposition de Benoît Deneufbourg. Le travail de ce jeune créateur né à La Louvière se distingue par sa sobriété, conjuguant fonctionnalité et esthétique (à l’image de Jasper Morrison). Ses luminaires, meubles ou objets s’insèrent de façon intuitive dans notre quotidien. Le parcours dissèque ce processus de fabrication en dévoilant moult croquis, prototypes ou photos - car faire simple est plus complexe qu’on ne le croit.

# 98

Le Touquet, jusqu'au 19.05.2019 Musée du Touquet-Paris-Plage tous les jours sauf mar : 14 h > 18 h 3,50 / 2 € / gratuit (-18 ans), www.letouquet.com

Hervé Di Rosa, René sous l'eau, 2011 acrylique sur toile, 157 x 125cm.

Hervé Di Rosa Pionnier de la Figuration libre, inventeur de l’Art modeste, infatigable globe-trotter, Hervé Di Rosa puise dans tous les courants artistiques, cultures ou techniques. Il crée ainsi un langage foisonnant, entre la BD et les films de série B, le rock ou le graffiti. Ce parcours revient sur 40 années de peinture, depuis ses diptyques sur carton de 1978 à ses très grands formats, en passant par un voyage en 19 étapes autour du monde, entrepris dès 1993.


Les Commémorations 2018 au Mons Memorial Museum Visites guidées, conférences, concerts, rencontres, ateliers…

Du 06 octobre 2018 au 06 janvier 2019 www.monsmemorialmuseum.mons.be

© Mara de sario


Catel. Héroïnes au bout du crayon Kiki de Montparnasse, Joséphine Baker, mais aussi Lucrèce, Lucie… Fictives ou réelles, gamines impertinentes, grandes romantiques ou militantes, ces "héroïnes au bout du crayon" ont toutes été croquées par Catel Muller, dite "Catel". Elles nourrissent une rétrospective de 300 pièces originales : croquis d’étudiante, aquarelles ou planches de ses célèbres "biographiques" (dont quelques-unes d’Alice Guy, la première femme cinéaste et prochain sujet de la dessinatrice française…). Bruxelles, jusqu’au 25.11, CBBD, tous les jours : 10 h > 18 h, 10 > 3,50 €, www.cbbd.be

Haute Dentelle

Power to the People

L’usage récurrent de la dentelle dans la haute couture est un gage de modernité. Volants et jeux de transparence, dentelle de cuir découpée au laser… 14 vitrines présentent les créations d’autant de maisons de couture, chacune marquant de sa patte la luxueuse étoffe. De Chanel à Valentino, cette exposition révèle 65 silhouettes d’exception, célébrant des gestes stylistiques forts et un savoir-faire propre aux Hauts-de-France.

Milieu des années 1960, Etats-Unis. Malcolm X vient d’être assassiné. La guerre du Vietnam bat son plein. La ségrégation raciale aussi… à Oakland, en Californie, deux jeunes militants de la cause noire, Huey P. Newton et Bobby Seale, rédigent sur un coin de table le Ten-Point Program. Le Black Panther Party est né. Cette soixantaine de photos en noir et blanc signées Stephen Shames nous précipite dans ce grand mouvement d’émancipation, loin des légendes urbaines. Lille, jusqu'au 06.01.2019, maison Folie Moulins mer > dim : 14 h > 19 h, gratuit, maisonsfolie.lille.fr

Niki de Saint Phalle. Ici tout est possible

# 100

De Niki de Saint Palle, on connaît tous les Nanas colorées investissant nos villes. Mais sait-on qui est la femme derrière l’artiste ? Cette première grande rétrospective belge révèle en 140 pièces l’évolution de l’œuvre mais aussi la vie de la "Calamity Jane de l’art". On (re)découvre sa fameuse série des Tirs, ses peintures, films ou, bien sûr, ses monumentales sculptures féminines, disséminées un peu partout dans le BAM et même… dans la cité du Doudou ! Mons, jusqu’au 13.01.2019, Musée des beaux-arts et divers lieux en ville, mar > dim : 10 h > 18 h, 9 / 6 € / gratuit (-6 ans) www.bam.mons.be

(Détail) - Niki de Saint Phalle, Tir première séance – deuxième séance shooting session, 1961. MAMAC, Nice. Donation Niki de Saint Phalle, 2001 © 2018 NIKI CHARI

Calais, jusqu’au 06.01.2019, Cité de la Dentelle et de la Mode, tous les jours sauf mardi : 10 h > 17 h 4 / 3 € / gratuit (-5 ans) www.cite-dentelle.fr



Morlanwelz, jusqu’au 02.12, Musée royal de Mariemont mar > dim : 10 h > 17 h, 5 > 2 € / gratuit (-12 ans) www.musee-mariemont.be

Réouverture de la Piscine

Panorama 20

Le bâtiment Art déco s’agrandit de 2 300 m2, portant à 8 000 la surface accessible. Derrière ces chiffres, l’ambition est claire : s’imposer comme une référence incontournable en matière de sculpture moderne. Parmi les nouveautés, on découvre notamment la reproduction quasi à l’identique de l’atelier de Henri Bouchard, mais aussi un nouvel espace dédié aux expositions permanentes. Il accueille pour sa grande première L’Homme au mouton, de Pablo Picasso.

Lancée il y a 20 ans, l’exposition annuelle des étudiants du Fresnoy est un rendez-vous de premier ordre, où l’on découvre les artistes de demain et des œuvres emplies d’interrogations. Depuis quelques années, une veine nouvelle anime cette jeune création : penser notre devenir et l’évolution de l’être humain. à l’image de Thomas Garnier, qui figure notre frénésie constructrice en inventant une machine agglomérant et désassemblant en continu des pièces de béton… Intrigant et vivifiant.

Roubaix, La Piscine, mar > jeu : 11 h > 18 h ven : 11 h > 20 h, sam & dim : 13 h > 18 h, 11 / 9 €  gratuit (- 18 ans), www.roubaix-lapiscine.com

Tourcoing, jusqu’au 30.12, Le Fresnoy, mer > dim : 14 h > 19 h, 4 / 3 € / gratuit (-18 ans) www.lefresnoy.net

Danser brut

# 102

Quels sont les liens entre la danse et l’art brut ? Contemporain ? à travers une sélection inédite de près de 300 films, dessins, sculptures ou photographies, le LaM place le mouvement au cœur de la création, sous toutes ses formes, dénichant des gestes au creux d’œuvres aussi diverses que magistrales. On croise au gré de ce parcours la cabarettiste allemande Valeska Gert, les tribulations de Charlot ou la grande silhouette dégingandée de Jacques Tati. Villeneuve d’Ascq, jusqu’au 06.01.2019, LaM, mar > dim : 10 h > 18 h, 10 / 7 € / gratuit (-12 ans) www.musee-lam.fr

Portrait de Galien © Wellcome Collection

Au Temps de Galien Médecin grec de l’Antiquité, Galien (129 – env. 216 ap. J.-C.) exerça notamment à Rome où il soigna plusieurs empereurs. Auteur prolifique, le praticien laissa à la postérité de nombreux écrits. Ces manuscrits et papyrus rares, portraits ou statuettes de divinités guérisseuses, scalpels et autres objets hétéroclites décrivent les pratiques sanitaires aux premiers siècles de notre ère. Un voyage fascinant dans l’Empire romain, nous emmenant aux confins de la médecine moderne.



théâtre & danse

Next Festival Têtes chercheuses

# 104

Lentement mais sûrement, l’audacieux Next s’impose comme un poids lourd du paysage franco-belge. 2018, année de la "maturité" ? Le festival dédié aux formes nouvelles des arts de la scène s’offre en version XXL, essaimant des deux cotés de la frontière avec des partenaires inédits. Comment aborder les 45 spectacles de cette édition ? Pointons déjà les têtes d’affiche, dont le nom suffit à asseoir la légitimité du rendez-vous : Rodrigo Garcia, Latifa Laâbissi et

Jan Martens répondent toujours présents, dévoilant de Courtrai à Roubaix leurs dernières créations. Défricheur par essence, le festival assume son rôle de laboratoire.


El Conde de Torrefiel, Guerrilla © Luisa Guitierrez

Argent trop cher Parmi les immanquables, notons aussi la performance de Mette Edvardsen. Inspirée par Fahrenheit 451, dans lequel on brûlait des livres, la Norvégienne a demandé à des acteurs

de mémoriser puis de réciter leur ouvrage préféré à des spectateurs, en tête-à-tête. « Dès lors, l’intime et le sociétal s’entremêlent », relève le coordinateur Benoit Geers. Next affirme ainsi, plus encore, sa dimension citoyenne « à l’heure du repli politique ». Cela passe par des conférences, ateliers, expositions ou la mise en exergue de thèmes d’actualité. Par exemple "l’argent roi" est fustigé, dix ans après la crise financière. Ou encore Geconomicus, un jeu simulant une monnaie… gratuite. Un pied de nez de la génération émergente, riche avant tout de sa créativité. Marine Durand ^

Laissez-vous donc surprendre par Guerrilla (El Conde de Torrefiel), en ouverture. Cette performance se décompose en une leçon de tai-chi, une conférence puis une sortie en boîte, soit trois moments de vie en apparence apaisants, mais contrebalancés par les pensées secrètes des participants, projetées sur un écran en arrière-plan…


Le chant de l’exil

© Christophe Raynaud de Lage

Gurshad Shaheman

Un charisme magnétique, une écriture sensible, un regard intense… Gurshad Shaheman est une perle rare du théâtre contemporain. Après Pourama Pourama, révèlant son propre exil, le Franco-Iranien revient avec Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, délivrant la parole de réfugiés. Ses carnets de notes sont remplis de témoignages. Gurshad Shaheman les a recueillis aux portes de l’Europe, entre Beyrouth et Athènes. Autant d’histoires singulières, dures et belles, qu’il porte sur scène dans un troublant oratorio. Ces histoires d’amours interdites ou de guerre ont toutes été vécues par des personnes de la communauté LGBT, au Moyen-Orient ou au Maghreb. Leur exil est non seulement à lié à un conflit armé mais aussi à leur identité sexuelle. Né en Iran pendant la Révolution, ado durant la guerre contre l’Irak, Gurshad Shaheman sait la nécessité de fuir, parfois, pour exister… Ces récits intimes ont été fragmentés, mêlés les uns aux autres. Les paroles, bouleversantes, sont rapportées par 14 comédiens sur un plateau épuré. Les mots s’enlacent sur la musique de Lucien Gaudion. Par une écoute attentive, le public partagera un temps l’expérience des protagonistes. La pièce rend hommage à tous ces parcours accidentés en gardant à l’esprit que l’exil est provisoire. Car chacun finit par s’établir quelque part, et se reconstruire grâce à l’amour. Céline Beaufort

# 106

Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète Valenciennes, 10 & 11.11, Le Phénix (Next Festival), sam : 17 h, dim : 15 h, 15 > 8 €, scenenationale.lephenix.fr Amiens, 22.11, Maison de la Culture (Next Festival), 20 h 30, 15 > 8 €, www.maisondelaculture-amiens.com Pourama Pourama Maubeuge, 03 & 04.04.2019, Le Manège, 19 h, 10 €, www.lemanege.com



© Superamas

© Clara Hermans

Passing The Bechdel Test

CHEKHOV Fast&Furious

"Outil de mesure" du sexisme d’une œuvre, le test de Bechdel est aussi le point de départ de cette pièce de Jan Martens. Avec 13 jeunes, le chorégraphe belge interroge l’héritage de personnalités féminines d’hier et d’aujourd’hui (Virginia Woolf, Solange...) et dresse un état des lieux sans concession de l’égalité des sexes dans notre société.

Six mois durant, le collectif Superamas a travaillé avec des jeunes adultes de France, d’Autriche et d’Islande sur le texte d’Oncle Vania de Tchekhov. En découle une proposition théâtrale hors norme, explorant les grands thèmes de l’œuvre (qu’est-ce que vieillir ? Quel est le sens de la vie ?). Un kaléidoscope révélant une jeunesse plus sensible qu’on ne le croit...

Roubaix, 20.11, La Condition Publique, 20 h, 15 > 8 €

Maubeuge 29.11, Le Manège, 20 h, 10 > 8 €

Villeneuve d’Ascq, 30.11 & 01.12, La Rose des Vents ven : 19 h, sam : 20 h, 15 > 8 €

Eurométropole (Lille, Tournai, Courtrai, Roubaix, Tourcoing, Villeneuve d’Ascq Armentières, Maubeuge), 08.11 > 01.12, divers lieux et horaires, 1 spectacle : 21 > 8 € www.nextfestival.eu Next Festival / Sélection : 08.11 : Rodrigo Garcia : Encyclopédie de phénomènes paranormaux. Pippo Y Ricardo… // 08 & 10.11 : El Conde de Torrefiel : Guerrilla // 09 > 30.11 : Mette Edvardsen : Time has fallen asleep in the afternoon sunshine 09.11 : Le Théâtre de Chambre : Barbaresques // 10.11 : Sorour Darabi : Farci.e // 10, 11 & 22.11 : Gurshad Shaheman : Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète // 11 & 12.11 : Paul/a Pi : Alexandre // 16 & 17.11 : Lies Pauwels : Truth or Dare, Britney or Goofy, Nacht und Nebel, Jesus Christ or Superstar // 16 > 25.11 : Jan Martens : Pauline Thomas 24 & 25.11 : Antonia Baehr, Latifa Laâbissi & Nadia Lauro : Consul and Meshie // 30.11 : Geconomicus… ^

© Dorothée Thébert Filliger

Hate Désormais (re)connue pour ses rôles au cinéma, l’auteure et metteure en scène Laetitia Dosch s’essaie à l’exercice peu commun du duo avec… un animal. En l’occurrence un cheval, avec qui elle noue un dialogue intense, en mots et en mouvements. Le spectacle ouvre ainsi la réflexion sur notre relation (contrariée) aux autres êtres vivants et à Dame Nature.



© Jeanne Roualet

# 110 théâtre & danse


Mémoire de fille

Je collectif Voilà plus de 40 ans qu’Annie Ernaux puise dans sa propre vie pour nous tendre un miroir. Son "je" est un "nous" et son écriture « d’intimité publique », selon Cécile Backès. La directrice de la Comédie de Béthune porte sur scène Mémoire de fille, sublime texte dans lequel la Normande narre sa brutale entrée dans le monde des adultes.

L

d’Annie Ernaux est politique, au sens large : elle raconte sa vie « ’ œuvre pour que les autres s’y reconnaissent », analyse Cécile Backès. Un dessein qui sied plutôt bien au théâtre. Après L’Autre fille, lettre adressée à sa sœur disparue (cf LM l37), la metteure en scène adapte donc Mémoire de fille. Dans ce texte publié en 2016, Annie Ernaux replonge dans l’été 1958, celui de ses 18 ans au sein d’une "colo", dans l’Orne. Elle y vécut sa première expérience sexuelle mais aussi la honte, après que cet homme l’eût repoussée - un épisode fondateur dans son parcours d’auteure. Mémoire de fille est ainsi un voyage entre ses souvenirs, à la recherche de cette jeune fille perdue ("elle") et le livre qu’elle écrit ("je"). Plus-que-présent Dans un décor épuré, évoquant diverses chambres, Cécile Backès organise la rencontre entre ces "deux" femmes en débordant, littéralement, des planches. « Je m’empare du théâtre dans son ensemble : le plateau et la salle. Les cinq acteurs évoluent partout, y compris au milieu du public, détaille-t-elle. Dans le livre, la scission a lieu entre le "elle" et le "je", le passé et le présent. Ici, elle s’organise entre la scène et la salle ». Là où L’Autre fille s’appuie sur le son, Mémoire Mémoire de fille de fille utilise la vidéo pour projeter Béthune, 13 > 17.11, La Comédie de Béthune des images impressionnistes de ce (Le Palace), 20 h, (sauf jeu : 18 h 30), 20 > 6 € www.comediedebethune.org passé qui ne passe pas (une forêt, L’Autre fille une étendue de ciel…) et, surtout, Béthune, 14 > 17.11, La Comédie de Béthune ces si jolis mots, en perpétuel dia(Le Palace), 18 h 30, 20 > 6 € www.comediedebethune.org logue avec le monde. Julien Damien


Mer agitée

# 112

Après Iliade en 2015, Pauline Bayle s’attaque à Odyssée. La trentenaire signe une mise en scène sobre et puissante, dépeignant un Ulysse profondément humain. Elle prouve aussi que ce chef-d’œuvre d’Homère, vieux de trois millénaires, n’a pas pris une ride. Mieux : il éclaire avec force notre actualité. Si L’Iliade met en exergue les combats durant la guerre de Troie et la figure d’Achille, L’Odyssée narre le retour d’Ulysse vers sa terre natale d’Ithaque, 20 ans après son départ. Pauline Bayle cueille ainsi notre valeureux baroudeur le cœur alourdi par la perte de ses compagnons, en proie au doute. Après ce long voyage, y aura-t-il encore quelqu’un pour l’attendre ? Reconnaîtra-t-il ce monde ? La Française adapte ce classique avec simplicité : un plancher au centre, un jeu de chaises, un puits de lumière. Elle retient l’essentiel du texte pour le livrer avec une fougue bienvenue et un verbe sans emphase. Les cinq comédiens, deux femmes et trois hommes, endossent une quinzaine de rôles, tour à tour héros et héroïnes, dieux, déesses et mortels sans distinction de sexe. Les thèmes abordés son multiples - comme les facettes d’Ulysse : il est ici question de la perte, de l’exil, de l’hospitalité due à l’étranger ou de la quête d’identité. Cette jeune compagnie (à Tire-d’Aile), dont les membres se sont rencontrés au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, sublime cette épopée Armentières, 13.11, Le Vivat, 20 h, 16 / 8 €, www.levivat.net venue du fond des siècles, Iliade + Odyssée Douai, 21 > 23.03.2019, Hippodrome, divers tarifs et en parfaite résonance avec horaires, www.tandem-arrasdouai.eu le temps présent. Marie Pons

© Lorine Baron

théâtre & danse

Odyssée



théâtre & danse

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AK47 © Thierry Laroche Nassim © David Monteith-Hodge La Gioia © Luca Del Pia Survivance des Illusions © Yohan Lopez Ose © Jean-Christophe Bordier


Festival Via

Des pixels et des hommes Deux expositions, huit spectacles explorant les forces de la création actuelle et, toujours, une fascination pour la puissance poétique du numérique. Depuis 20 ans, le festival transdisciplinaire du Manège garde le cap. Et se réinvente au gré des expérimentations scéniques.

P

longeons d’abord dans le grand bain des émotions digitales, à l’espace Sculfort de Maubeuge. Une dizaine d’installations immersives composent le versant "arts numériques" de Via. « Pour La Dispersion du fils, pièce maîtresse de l’exposition Dimensions, on pénètre dans un cylindre baigné d’images en continu. Cela crée une impression de vertige, c’est une expérience sensorielle forte », s’enthousiasme Géraud Didier. Voilà ce que cherche à montrer, depuis deux ans, le directeur du Manège : « que la technologie, loin de renvoyer à un monde sans âme, peut aussi être sensible et artistique ». Confirmation du côté "scène" du festival, avec Barbaresques (cie Le Théâtre de chambre). Vidéo, hip-hop, chant et slam se mêlent ici dans « une tour de Babel des expressions scéniques » pour traiter de l’immigration. Le dernier mot Au royaume des illusions, étienne Saglio règne en maître. Dans Les Limbes, il se débat contre un spectre en plastique et des monstres holographiques. Mais il ne s’agirait pas de négliger le théâtre, tout artisanal qu’il soit. L’illustre Pippo Delbono Maubeuge & Louvroil, 08 > 29.11 divers lieux et horaires, 1 spectacle : 20 > 4 € (La Gioia) déplace encore les lignes, avec sa www.lemanege.com troupe de clochards célestes d’une moderSélection : 08.11 : Perrine Maurin : nité folle. Inattendues, ambitieuses, défriAK-47 // 08 & 09.11 : Le Théâtre de chambre : Barbaresques cheuses : telles sont les propositions de 13 & 14.11 : étienne Saglio : Les Limbes 14 & 15.11 : Pippo Delbono : La Gioia Via. Dernier exemple avec l’Iranien Nassim 15.11 : Gualtiero Dazzi : Survivance des Soleimanpour, qui convie chaque soir un illusions // 20 & 21.11 : Chloé Moglia : Ose // 21.11 : Nassim Soleimanpour : acteur à découvrir, en direct sur le plateau, Nassim // 29.11 : Superamas : Chekhov, Fast & Furious // Expositions à l’Espace le scénario de sa pièce. De fait, les mots Sculfort : 09 > 25.11 : Adrien M & trouvent encore leur place au cœur de Claire B : Mirages & Miracles / Richard Castelli : Dimensions l’innovation. Marine Durand


Plus drôle la vie

# 116

Entre conférence et récit intime, Lucien Fradin remonte le fil de sa vie pour nous conter son adolescence. Membre de la compagnie HVDZ fondée par Guy Alloucherie, cet ancien élève du Conservatoire de Roubaix révèle toute la force du théâtre documentaire, dans un spectacle aussi drôle que touchant. éperlecques est une petite commune du Pas-de-Calais, à côté de Saint-Omer. Depuis 2016, c’est aussi le nom d’un sacré spectacle. « C’est le village où j’ai grandi, explique Lucien Fradin. Il devient ici prétexte à une conférence théâtrale. Je donne l’impression qu’un prof d’histoire-géographie livre un cours sur cette ville. Puis, au fur et à mesure, il s’intéresse à une famille et à un adolescent en particulier, Lucien ». Seul sur scène, armé d’un rétroprojecteur et d’un humour pince-sans-rire, il mêle ainsi considérations sociologiques et personnelles. Tout y passe : la famille, la vie au collège, la découverte de son homosexualité… « Tandis que cet ado ressent les choses intensément, le conférencier observe tout concrètement. à un moment, il aborde la question du désir avec des équations, rit-il. Cet enseignant tient des propos dont il ignore la portée comique. Il Arras, 13.11, Théâtre d’Arras, 19 h 30 5 €, www.tandem-arrasdouai.eu (+ tournée utilise par exemple la photo de mariage de hors-les-murs du 11 au 15.03.19) mes parents pour décrypter les genres. Son Lille, 16.11, maison Folie Moulins, 20 h analyse est si profonde qu’elle en devient 5 / 3 €, www.maisonsfolie.lille.fr absurde ». Un spectacle décalé donc, mais Lille, 01.12, Le Prato, 19 h, 17 > 5 € www.leprato.fr sincère. Car en puisant dans sa propre exisComédie de Béthune, 06 > 08.02.19 tence, c’est finalement la nôtre que Lucien "en goguette" (Th. municipal de Béthune, Fradin raconte, touchant à l’intime pour 06.02 // Lillers, 07.02 // Annequin, 08.02) www.comediedebethune.org mieux atteindre l’universel. Julien Damien

© Aloïs Lecerf

théâtre & danse

éperlecques



Bestioles de légende © Christophe Loiseau

# 118 théâtre & danse


L’Homme qui rit

Foire à la grimace On connaît tous Quasimodo ou Cosette. Un peu moins Gwynplaine. Il demeure pourtant l’un des plus grands héros de Victor Hugo - et inspira des années plus tard le personnage du Joker. Publié en 1869, L’Homme qui rit est porté sur scène par Claire Dancoisne, sublimant cette épopée baroque avec son théâtre d’objets.

A

ngleterre, fin du xviie siècle. Des bandes organisées achètent et mutilent des enfants, les transformant en monstres de foire. Un jour, ces "comprachicos" abandonnent un garçonnet qu’ils ont défiguré, la bouche fendue jusqu’aux oreilles, lui laissant sur le visage un rictus éternel. Il est recueilli par Ursus, un saltimbanque. 15 ans plus tard, Gwynplaine accomplit son destin, devenant la "star" des fêtes foraines. Son succès l’emmène jusqu’à Londres où il découvre sa véritable identité : il est le fils d’un Lord… Objets connectés L’Homme qui rit est à la fois un conte peuplé de personnages pittoresques et une violente charge politique contre l’injustice sociale. « Tous les ingrédients son réunis pour en faire un immense mélodrame », s’enthousiasme Claire Dancoisne, la directrice du Théâtre La Licorne. Voilà plus de 30 ans que cette compagnie dunker-

quoise mêle jeu d’acteurs et créatures en bois ou ferraille, mécanisées ou manipulées. « Fidèle à l’itinéraire du héros », la pièce condense cette odyssée en une heure et demie, dans l’esprit « du théâtre de tréteaux ». Sept comédiens incarnent tous les personnages, changeant de scènes et de rôles en quelques secondes, « grâce à la force symbolique des objets. Une ceinture en fer figure par exemple un forain, des épaulettes un lord… ». Au centre, Gwynplaine est incarné par une marionnette portée, soulignant sa difformité dans un monde où les monstres ne sont pas ceux qu’on croit… Julien Damien Dunkerque, 07 > 09.11 Le Bateau Feu, mer & jeu : 19 h, ven : 20 h, 9 € www.lebateaufeu.com Arras, 22 > 24.11 Théâtre, jeu & sam : 20 h 30, ven : 19 h, 22 > 12 € www.tandem-arrasdouai.eu Béthune, 05 > 08.12 La Comédie de Béthune (Le Palace) mer, jeu & ven : 20 h, sam : 18 h 30, 20 > 6 € www.comediedebethune.org


Tableau d’honneur

# 120

Donner voix à ses modèles : voilà la mission que poursuit Christophe Honoré au théâtre. En 2012, il ressuscitait Marguerite Duras, Claude Simon, Françoise Sagan et les autres pour raconter le Nouveau Roman. Cette fois, six comédiens incarnent des Idoles, toutes emportées par le Sida, que le cinéaste a passionnément chéries. De Jacques Demy à Bernard-Marie Koltès, les invités de la nouvelle création de Christophe Honoré sont pour le moins prestigieux. Pour son retour au théâtre, il réunit « tous les artistes dont il tombait amoureux » à 20 ans, en 1990, au cœur de cette triste période qu’on appela "les années Sida". Guibert l’écrivain, Lagarce le dramaturge, Daney le journaliste... Tous fauchés par le virus. Flamboyants, provocants, engagés, ils étaient aussi tous homosexuels. Certains assumés, d’autres dans l’ombre. Inconsolé de n’avoir pu les côtoyer, Christophe Honoré rend hommage à ses idoles en leur inventant des retrouvailles tantôt drôles, tantôt poignantes. Admiratif et nostalgique, le metteur en scène s’autorise néanmoins quelques libertés : Marina Foïs campe Guibert et son ironie grinçante, Cyril Collard, sulfureux cinéaste des Nuits Fauves, danse sur Despacito. Sur les quais du métro ou à Beaubourg, de scènes de music-hall en tableaux d’agonie, ces six figures se croisent, se moquent et s’affrontent dans une époque incertaine, entre hier et aujourd’hui. Elles sont magnifiées par la tendresse d’un artiste Douai, 15 > 17.11, Hippodrome jeu & ven : 20 h, sam : 19 h, 22 > 12 € orphelin, refusant de faire le deuil d’une www.tandem-arrasdouai.eu génération décimée. Madeleine Bourgois

© Jean-Louis Fernandez

Les Idoles



© Jennifer Mitchell

© Sidney Carron

éloquence à l'assemblée

Dita Von Teese

Robespierre, Aimé Césaire, Olympe de Gouges… Leurs mots ont marqué l’Histoire et résonnent aujourd’hui encore. JoeyStarr interprète avec la puissance et le charisme qu’on lui connaît les discours célèbres prononcés à l’Assemblée nationale, depuis la Révolution française jusqu’à nos jours. En s’emparant de sujets comme le droit à la culture pour tous, l’avortement ou encore l’abolition de la peine de mort, l’ancien de NTM donne corps (et gorge) au grondement du peuple.

Fantasme, paillettes et glamour. Dita Von Teese se dévoile comme personne. La "super-héroïne du burlesque" comme l’a baptisée Vanity Fair, cultive en effet un art de la pose digne des divas hollywoodiennes des années 1950. Au long d’un effeuillage gracieux et au milieu de décors somptueux, l’ex de Marilyn Manson titille ainsi notre imaginaire, non sans humour. La musique et les lumières sensuelles parachèvent cette science délicate de la mise à nu. Lille, 17.11, Hôtel du Casino Barrière, 20 h 30 63 > 49 €, www.casinosbarriere.com

Lille, 06.11, Théâtre Sébastopol, 20 h, 39 > 36 € www.theatre-sebastopol.fr

# 122

Dunkerque, 23.11, Le Bateau Feu, 20 h, 6 € (+ De la morue : 24.11, 19 h, 6 €), www.lebateaufeu.com

© NASA, JPL, Frédéric Ferrer

Wow ! « Wow ! », c’est la célèbre exclamation de l’astrophysicien Jerry R. Ehman suite à sa découverte, en 1977, d’un signal radio-stellaire suspect dans l’univers. C’est aussi la 5e conférence azimutée de Frédéric Ferrer (cf LM 127). Ce géographe de formation pose ce problème : la Terre est condamnée, il nous faut donc partir… Mais où ? Comment ? Fondée sur de solides données, sa démonstration glisse rapidement vers une cosmique absurdité. Oui, nous sommes perdus. Mais c’est drôle, non ?



Un Grand cri d’amour

© Isabelle de Beir

Daniel Hanssens / Josiane Balasko

Il y a 15 ans, Hugo et Gigi formaient un couple vedette. Puis le temps a passé. Lui a poursuivi sa carrière, elle a sombré dans l’oubli. Suite à un concours de circonstances, les voici à nouveau réunis sur scène. Les retrouvailles s’annoncent explosives. Le public assiste aux répétitions avant la grande première… pour le meilleur et le rire ! Ecrite en 1996, portée à l’écran deux ans plus tard, cette comédie de Josiane Balasko se joue avec maestria des affres de l’amour et du théâtre. Bruxelles, jusqu’au 18.11, Théâtre Royal des Galeries mar > sam : 20 h 15, dim : 15 h, 26 > 10 €, www.trg.be

Fracassés

Ahmed Sylla

Gabriel Dufay / Kate Tempest

Ahmed Sylla / Moussa Sylla

Londres, de nos jours. Après avoir survécu à tous les excès (alcool, sexe, drogues…), Ted, Danny et Charlotte se sentent enfermés dans leur vie d’adulte. L’un est devenu fonctionnaire, l’autre chanteur raté et la dernière une prof amère. Dix ans après la mort de leur meilleur ami Tony, ils se retrouvent pour un ultime frisson… Ecrite par la rappeuse Kate Tempest, cette pièce met en scène nos illusions perdues en croisant musique, cinéma et théâtre lors d’un moment incandescent.

Révélé par Laurent Ruquier (encore lui…), Ahmed Sylla porte un regard acéré sur l’actualité (mais jamais méchant) et un talent certain pour la caricature (voir ses imitations de Karine Le Marchand ou de… Mamadou Gassama). Après avoir conquis les sommets (dans le film L’Ascension) et la scène (Avec un grand A), ce grand fan de Louis de Funès étrenne son deuxième one-man-show, Différent, dans lequel il dézingue la xénophobie avec son arme favorite : l’absurde.

Amiens, 05 > 07.11, Maison de la Culture lun & mer : 20 h 30, mar : 19 h 30, 20 > 10 € www.maisondelaculture-amiens.com

Bruxelles, 06.11, Centre culturel d’Uccle 20 h, 44 / 37 €, www.ccu.be Hem, 23.11, Le Zéphyr 20 h, 33 / 27 € www.zephyrhem.fr

Kirina

Serge Aimé Coulibaly / Faso Danse Théâtre

# 124

Kirina est le nom du lieu où se déroula une bataille fondatrice de l’Afrique de l’Ouest, au xiiie siècle. Après avoir rendu hommage à Fela Kuti (Kalakuta Republik), Serge Aimé Coulibaly s’inspire de ce Waterloo malien pour créer une épopée dansée et musicale – sur une partition de Rokia Traoré. Neuf interprètes, six musiciens et 40 figurants incarnent un peuple nourri de colère et d’espoir. Un spectacle total, symbolisant la migration, entre la tragédie grecque et les grands récits bibliques. Mons, 06 & 07.11, Théâtre le Manège, 20 h, 15 > 9 €, surmars.be // Gand, 08 & 09.11, Vooruit, 20 h  24 > 8 €, www.vooruit.be // Bruxelles, 29.01 > 02.02.2019, Théâtre National, 20 h 15 (sauf mer : 19 h 30) 30 > 17 €, www.theatrenational.be



Coraline

Arie Van Beek / Aletta Collins / Mark-Anthony Turnage

© ROH/Stephen Cummiskey 2018

écrit en 2002 par Neil Gaiman, popularisé sept ans plus tard par le film d’animation de Henry Selick, ce conte trouve une nouvelle vie à l’opéra, grâce au compositeur britannique Mark-Anthony Turnage. Coraline raconte l’histoire d’une fillette découvrant un monde parallèle dans la maison où ses parents ont aménagé. Tout y semble identique, sauf que chacun a des boutons cousus à la place des yeux… En résulte un spectacle coloré et familial, entre classique et jazz et à l’humour… piquant. Lille, 07, 10 & 11.11, Opéra, mer : 20 h, sam : 18 h, dim : 16 h 23 > 5 €, www.opera-lille.fr

Ronce-Rose

Para

Joël Jouanneau / Eric Chevillard

Raven Ruëll / David Van Reybrouck

Ronce-Rose est une fillette de huit ans consignant dans un carnet son drôle de quotidien. Elle vit avec Mâchefer, son père, qui a un étrange travail. Avec son copain Bruce, il "s’occupe" des banques ou des bijouteries. Mais un soir, il ne rentre pas. Ronce-Rose décide de partir à sa recherche, croisant sur sa route une sorcière, un unijambiste… De ce conte de fées (divers) écrit en 2017 par Eric Chevillard, Joël Jouanneau tire une odyssée tendre et poétique, interprétée par Anne Caillère.

Après Mission, souvenirs du Congo d’un père blanc, l’écrivain David Van Reybrouck, le metteur en scène Raven Ruëll et l’acteur Bruno Vanden Broecke déterrent un épisode oublié de l’histoire belge : son intervention militaire en Somalie, en 1992. Inspiré de témoignages de para-commandos, ce solo n’est ni un réquisitoire ni une plaidoirie. Construit comme une conférence virant à la confession, il tente d’analyser ces "opérations internationales de maintien de la paix" et leur issue tragique.

Lille, 07 > 25.11, Théâtre du Nord mer, ven & dim : 20 h, jeu & sam : 19 h, 25 > 10 € www.theatredunord.fr

Bruxelles, 09 > 11.11 (en néerlandais : 14 > 17.11) KVS, ven & sam : 20 h, dim : 15 h, 20 > 7 € www.kvs.be

L’Ecole des femmes

Jean-Marc Chotteau / Molière

# 126

Classique parmi les chefs-d’œuvre de Molière, cette comédie dénonçant la misogynie et la soumission des femmes n’a pas pris une ride. Mieux : elle résonne comme jamais avec notre époque, à l’heure du mouvement MeToo. Metteur en scène, Jean-Marc Chotteau incarne lui-même le vieil Arnolphe qui, par peur d’être cocufié, a fait élever sa promise dans un couvent en la privant d’instruction… Un sommet du théâtre « qui corrige les mœurs en faisant rire », pour citer le grand Jean-Baptiste. Tourcoing, 16 & 17.11, Théâtre municipal R. Devos, ven : 20 h 30, sam : 17 h, 15 > 7 €, www.lavirgule.com Mouscron, 28 > 30.11, C. cult. Marius Staquet, mer & jeu : 19 h 30, ven : 20 h 30, www.centremariusstaquet.be



Let’s Move !

Nouveau directeur du Ballet du Nord, Sylvain Groud aime partager son goût pour la danse avec le public. En organisant des impromptus dans la ville ou en montant de grands spectacles participatifs. à l’image de Let’s Move !, mobilisant six professionnels, six musiciens et quelque 60 amateurs ! L’idée ? Célébrer la comédie musicale et, surtout, se laisser porter par de grands classiques, de Chantons sous la pluie à Lalaland, en passant par Grease. Car la danse est avant tout une fête. Roubaix, 17.11, Le Colisée, 20 h, 25 > 10 € www.coliseeroubaix.com

Monstre !

Cirkopolis

Comédie de Béthune

Cirque Eloize

Mais qui sont les monstres ? Des êtres fantastiques et effrayants ? Un miroir de notre propre (in)humanité ? Le collectif d’artistes de la Comédie de Béthune interroge les notions de norme, de marge et de différence dans une lecture-performance insolite. Puisant dans la littérature d’hier et d’aujourd’hui (de Homère à Kafka en passant par Victor Hugo), le spectacle expose une galerie de créatures hétéroclites, nous invitant à composer la nôtre.

Entre cirque, théâtre et danse, cette compagnie québécoise redessine les contours du genre depuis plus de 20 ans. Dans Cirkopolis, le Cirque Eloize nous plonge dans une mégalopole rétro-futuriste écrasant les individus (tel Brazil de Terry Gilliam). Au pied des gratte-ciel, dans une ambiance de music-hall des années 1930, voltigeurs et jongleurs défient cette monotonie (dictature moderne ?) via moult prouesses acrobatiques et une bonne dose de fantaisie.

Béthunois, 21.11 > 01.12, divers lieux, villes et tarifs : voir la Comédie de Béthune au 03 21 63 29 19 www.comediedebethune.org

La Louvière, 29.11 > 02.12 Le Théâtre, 20 h, 30 > 10 € www.cestcentral.be

He’s a Maniac

Cyril Viallon / Cie Les Caryatides

# 128

Cyril Viallon évoque cette époque charnière qu’est le passage à l’âge adulte. Sa première boum, son premier film, sa première idole... Seul sur scène, tantôt assis sur un tabouret, chantant derrière un micro ou commentant des images projetées sur un écran, il se remémore ces anecdotes qui ont construit sa vie. Durant un peu plus d’une heure, il se raconte avec délicatesse et humour, mais pour mieux parler de nous. Lens, 30.11, Scène du Louvre-Lens, 19 h, 10 > 5 €, www.louvrelens.fr // Arras, 21 & 22.01.2019, Théâtre, 20 h 30, 10 / 8 €, www.tandem-arrasdouai.eu // Lille, 01.02.2019, Le Prato, Lille, 20 h 30, 17 > 5 €, www.leprato.fr (+ He’s a Maniac, opus II : Lille, 18.01.2019, Le Prato, 19 h, gratuit (sortie de résidence), www.leprato.fr) Villeneuve d’Ascq, 12 > 15.03.2019, La Rose des Vents, www.larose.fr

© Old Visuals / Alamy Stock Photo

Sylvain Groud / CCN de Roubaix



© DR

Outings Project © Julien de Casabianca

le mot de la fin

# 130

Julien de Casabianca – Rendre grâce aux œuvres oubliées et les "libérer" du musée. Telle est la mission que s’est donnée le Corse J. de Casabianca à travers le projet Outings, dont fait partie cette fillette mélancolique. Inspirée du tableau Au pied de la falaise de W.-A. Bouguereau (1886), cette fresque s’étale sur les sept étages du Memphis Brooks Museum of Art (Tennessee). www.juliendecasabianca.com




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