Introduction aux fermes du Brabant wallon

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Les fermes brabançonnes au 18e siècle

Ferme d’Awans - Sart-Mélin

Une ferme ? La ferme est un terme qui désigne d’emblée le lieu d’habitation du fermier. Sous cette appellation se regroupe aussi l’ensemble des espaces nécessaires au bon fonctionnement d’une exploitation agricole. Une véritable ferme est composée d’au moins trois cellules essentielles : le logis où réside la famille du fermier, l’étable qui sert à la stabulation du bétail nécessaire à l’exploitation et la grange où s’entrepose le fruit des récoltes. En wallon, le terme utilisé pour désigner la ferme est la «cînse» et le fermier est appelé le «cînsie» ou censier. Cela n’est pas sans lien avec l’époque de la féodalité, au Moyen Âge, où le cens était une redevance fixe que le possesseur d’une terre payait au seigneur du fief.


Les fermes brabançonnes au 18e siècle La richesse de la terre Le milieu joue donc un rôle clé sur le cours de l’histoire humaine. Jadis et jusqu’au début du 19e siècle, sinon davantage, dans la plupart des régions de l’Occident, l’agriculture était la source principale de la richesse et la terre constituait le capital par excellence. La situation géographique d’un lieu détermine la nature de son sous-sol et son climat. Ces deux éléments vont influer sur le type de culture qui va s’y développer mais ils vont aussi avoir une incidence sur le bâti. La nature du sous-sol et le climat vont déterminer le choix des matériaux utilisés dans la construction des habitations et la morphologie de l’implantation des villages ou des agglomérations. La Wallonie se divise grosso modo en trois sous-régions aux conditions physiques spécifiques avec, du nord au sud :

Ferme de Mellemont - Thorembais-les-Béguines

• la région limoneuse, connue pour ses bas plateaux et ses grandes étendues fertiles au climat moyen, jusqu’au sillon sambro-mosan ; • les plateaux condrusiens, sorte de pré-Ardenne avec des sols et des climats intermédiaires ; • L’Ardenne et ses sols médiocres peu adéquats à la culture, prolongée au sud par la Lorraine, qui bénéficie d’un sol et d’un climat plus favorables. Il en résulte une appropriation des terres fort sélective sous l’Ancien Régime. L’Église va se tailler la part la plus importante – en la partageant partiellement avec la noblesse – de la région limoneuse. C’est la région la plus intéressante pour s’enrichir, au travers de la culture des céréales notamment. La noblesse, les seigneuries et les propriétaires fonciers vont se répartir, par petits morceaux, une majeure partie des terres du Condroz, partagées entre prairies, petites zones arables, bois et carrières de pierre. Les paysans les plus pauvres, eux, vont devoir se satisfaire des terres indigentes et rocheuses de l’Ardenne. Ces différentes appropriations se sentent encore très fort dans les témoins conservés du bâti rural et agricole. De grandes censes carrées se dressent sur les terres limoneuses, d’innombrables fermes-château ponctuent les terres du Condroz et des fermes familiales forment l’essentiel du bâti rural de la région ardennaise.


Les fermes brabançonnes au 18e siècle Le 18e siècle, un contexte socio-économique plus favorable Pour l’essentiel, il n’y a plus de trace de l’habitat rural wallon avant le dernier tiers du 17e siècle ou la première moitié du 18e siècle. Les fermes restent néanmoins fidèles à des genres ou à des moyens éprouvés jusque-là et qui en font le volet traditionnel jusqu’au dernier tiers du 19e siècle et parfois même jusqu’à la première Guerre mondiale, avant de verser ensuite vers une industrialisation dont nous pouvons aujourd’hui mesurer les effets. Pourquoi n’y a-t-il presque rien de représentatif avant 1650 ? Les villages et bourgades qui étaient nées et qui avaient grossi entre l’an 1000 et 1300 ont subi par après la guerre et la peste. Toute une série de vagues de calamités n’ont cessé de déferler ensuite, si bien qu’elles n’ont laissé à notre vue qu’église et château, le reste étant détruit puis reconstruit en des temps meilleurs. Architecturalement, le 18e siècle est un temps plus apaisé et plus prospère qui apparaît comme l’âge d’or des grandes fermes. Les témoins issus de cette période sont légions, qu’ils siègent au milieu de leurs terres ou qu’ils soient assimilés au village.

Le Brabant wallon, une terre fertile ! La caractéristique qui va déterminer la destinée de la Grande Hesbaye, c’est la nature de son sous-sol : l’argile et surtout le limon qui y regorgent. De plus ses grandes plaines se prêtent particulièrement bien à la culture des céréales qui seront l’ingrédient de base, tant pour la nourriture des humains que celle des animaux. La grande Hesbaye est donc bel et bien le plus fameux des greniers à blé de nos régions. Les Carolingiens y tenaient déjà leurs domaines familiaux aux 8e et 9e siècles. Une part du Brabant wallon y prend place et bénéficie d’une terre particulièrement fertile, comme en témoignent ses nombreuses exploitations agricoles et sa campagne toujours intensément cultivée.


Les fermes brabançonnes au 18e siècle Les différents types de fermes Les fermes peuvent se répartir en deux groupes distincts : l’un qui s’exprime par un volume unique, rassemblant les fonctions principales en un seul corps de bâtiment ; et un autre, qui s’organise en plusieurs constructions autour d’une aire de dégagement, la cour. L’habitat rural de base, la petite exploitation familiale Comme se plaisait à le répéter le professeur Luc-Francis Genicot, c’est à tort que le Brabant wallon apparaît presque exclusivement comme le « pays des grosses fermes ». D’une part elles sont présentes dans le paysage rural des autres provinces, d’autre part si les traces nous manquent en ce qui concerne les moyennes et les petites exploitations, ces dernières furent assurément très largement répandues dans le tissu de nos villages. À côté de ces grands bâtiments qui attirent naturellement le regard, il existait bien évidemment ces fermes familiales dont on peut sans doute se faire une idée en observant les constructions du 19e siècle Elles sont souvent dotées d’une petite cour et d’un logis complété par quelques dépendances parfois implantées en « L » le tout enfermé d’un muret rappelant, de manière appauvrie, le périmètre de la grande « cense ».

Une petite ferme familliale du 18e s. - Beauvechain


Les fermes brabançonnes au 18e siècle Les grosses fermes en quadrilatère Les grands ensembles clôturés restent néanmoins les symboles incontournables des paysages de la Hesbaye brabançonne, et du Brabant wallon en général. Elles sont isolées au milieu de leurs terres ou intégrées au cœur des villages. Pour faire bref, il y a deux catégories de personnes qui étaient à même de présider ces domaines. Soit leur origine est seigneuriale, soit leur création est due à une institution religieuse. Pour les abbayes ou les seigneurs, l’importance de leurs terres est primordiale puisqu’elles sont le siège de l’activité nourricière qui autorise leur survie et procure leur richesse.

Ferme de la Petite Cense - Thorembais-les-Béguines


Les fermes brabançonnes au 18e siècle Les fermes d’origine seigneuriale sont bien représentées et témoignent de l’existence d’une petite aristocratie terrienne dont les lignages se sont taillés, au fil des successions, autant de fiefs qu’il y avait de terres disponibles. C’est bien souvent au milieu de leur domaine que les propriétaires fonciers ont fixé leur résidence qui associait la fonction d’habitat (donjon, manoir, gros logis) et d’unité agricole, exploitée par eux-mêmes ou par un censier qui agissait à leur compte. Ces fermes sont souvent – mais pas toujours – implantées au cœur des villages dont elles ont suscité d’éclosion ou le développement. Les fermes issues des institutions religieuses s’érigent souvent au cœur de leur domaine, esseulées dans les campagnes. Elles vivent en autarcie, avec une chapelle, un fournil, parfois une brasserie. La fin de l’Ancien Régime signera le démembrement partiel de ces immenses ensembles par saisie, vente ou reprise.

La ferme en carré, une synthèse entre la fonctionnalité et le prestige Les fermes dites « en carré » ou « en quadrilatère », sont les plus connues. Elles vont fixer l’organisation de bâtiments aux fonctions bien précises – logis, stabulation et remisage – autour d’une cour centrale pour arriver à l’expression la plus aboutie et la plus efficace du système agricole de son époque. Les ailes ainsi formées, en s’assemblant les unes aux autres, dessinent une cour polygonale au départ de laquelle s’organise un sens giratoire efficient et logique pour répondre aux différentes actions de la ferme. Son expression la plus aboutie serait la ferme en quadrilatère, parfaitement régulier, à l’image de la ferme de Wahenges, patrimoine exceptionnel de Wallonie. Ces grands ensembles reflètent également l’opulence de leur propriétaire et participent à leur prestige.

Quelques caractéristiques récurrentes La volumétrie générale de l’ensemble est très horizontale, elle a tendance à s’accrocher parfaitement au sol. Cette allure a pour conséquence que la majorité des fermes s’intègre très bien à son environnement. Seuls la grange et le porche se développent vers le haut et se détachent de l’horizon. La première résume la raison d’être de l’exploitation et le second en symbolise le pouvoir et l’importance du propriétaire.


Les fermes brabançonnes au 18e siècle Une drève crée généralement la distance avec le visiteur de passage et met en scène la richesse du domaine.

Ferme d’Awans - Sart-Mélin

Parfois le logis se distingue également des autres volumes par le soin qui lui est procuré. Il est positionné le plus souvent en face du porche. Ainsi le maître des lieux peut garder l’œil sur les visiteurs extérieurs et à l’inverse, ces derniers peuvent aisément mesurer la qualité de l’habitation, la richesse ou le rang du propriétaire. L’opacité extérieure de ces fermes est victime d’une mauvaise compréhension de son utilité. D’aucuns ont défendu l’idée que cette disposition en quadrilatère doublée de cette opacité des façades extérieures soit justifiée par un souci défensif. La ferme en carré est alors pressentie comme l’expression d’une ferme fortifiée, avec ces fentes de tirs dirigées vers l’extérieur. En réalité il n’en n’est rien. S’il existe des fermes-château, surtout dans le Condroz, la majorité des fermes en carré résulte d’un chantier de longue haleine, ce qui contredit la nécessité, souvent urgente, de se réfugier dans un espace clos. De plus, même lorsque l’ensemble est terminé, la ferme possède toujours des portails ou des entrées piétonnes qui sont autant de points faibles dans l’enceinte. En réalité, la forme quadrangulaire et l’économie des ouvertures vers l’extérieur des volumes répondent à des considérations pratiques. Le souci étant d’économiser l’emprise du bâti sur le sol, de limiter les distances à parcourir entre les cellules et permettre une direction optimale de toutes les activités. Les soi-disant fentes de tir ne sont en réalité que des prises d’air et de lumière, bien utiles au bétail. Le plan de circulation est donc adapté. Il s’organise autour de la cour centrale et s’appréhende uniquement de l’intérieur. La cour fait le lien entre les différentes parties de la ferme. Les cheminements principaux y sont souvent empierrés et dessinent la circulation d’usage.


Les fermes brabançonnes au 18e siècle La grange en long et la grange en large La grange est LE symbole des régions céréalières. Il y a deux types de grange : la grange en long et la grange en large. Les deux types coexistent même si la grange en long semble être légèrement dominante durant l’Ancien Régime. La grange en long est définie par ses deux portails percés en vis-à-vis dans les pignons. L’un fait office d’entrée et l’autre de sortie. La grange en large ne dispose que d’un portail qui s’ouvre au milieu du mur gouttereau, côté cour.

Grange en long - Ferme des Vignes - Nodebais

La grange en long est adoptée par les grandes censes car elle donne deux avantages majeurs : elle peut être extensible à souhait car sa longueur est théoriquement infinie et permet le déchargement simultané de plusieurs chariots à la fois sans se gêner l’un l’autre. La grange en large s’inscrit plus facilement dans le cœur des villages, dans des exploitations de moindres dimensions. Qu’elles soient en long ou en large, lors des moissons, elles sont pleines « à craquer ». Le portail est leur point de fragilité, du coup c’est en cet endroit qu’apparaissent des fissures dans la maçonnerie. La majeure partie des granges est dès lors renforcée à l’angle le plus proche du portail, pour éviter le dévers du mur qui subit la pression de la charge de l’engrangement.


Les fermes brabançonnes au 18e siècle

Ferme de la Hutte - Ottignies

Mathieu Bertrand


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