L'éclipse totale du soleil du 11 août 1999

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Entre les nuages, à la recherche de l’astre brillant

A Chambley, une éclipse de plus de deux minutes.

80e année - N° 189

Fondateur Victor DEMANGE

Un croissant de Soleil à Thionville

jeudi 12 août 1999

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2 minutes 17 d’émotion

La Lorraine saisie d’émotion. Hier, lorsque la nuit tomba sur les coups de 12 h 30, un frisson envahit les centaines de milliers de spectateurs présents au rendez-vous de la dernière éclipse du millénaire. Et pourtant, la Lorraine a joué de malchance avec la météo. Seuls quelques privilégiés ont profité d’éclaircies surprises pour admirer ce face-à-face unique de la Lune avec le Soleil. Photos : Pierre HECKLER, Michel PIRA, Marc WIRTZ et AFP.

La leçon du ciel A coup sûr, ce ne fut pas la plus belle éclipse de tous les temps mais nulle autre, en tout cas, n’aura eu autant de témoins, sans compter les centaines de millions de téléspectateurs captivés par cet étrange rendez-vous du Soleil et de la Lune. Ce public planétaire, qui croit à chaque fois avoir déjà tout vu depuis que les progrès de la science repoussent indéfiniment les bornes du possible, s’est pourtant laissé conquérir cette fois par la nature. On se félicitera donc de cette tardive revanche de l’environnement, au terme d’un siècle où l’on n’a jamais hésité à polluer massivement le ciel et la terre, pour peu qu’il y ait de la richesse et du profit au bout de ce massacre. Personne n’en voudra longtemps à ces nuages et à ces pluies qui ont souvent gâché la fête, car il ne reste plus en mémoire que cette fierté d’avoir en quelque sorte participé par sa présence à la création du génial spectacle que les astres ont bien voulu donner pour nous. Il est bien aussi que les sceptiques et les blasés aient été de la sorte renvoyés dans leur coin et les prophètes de malheur proprement ridiculisés. Tout doit nous servir dans cette leçon du

ciel. Les oiseaux en s’arrêtant de voler, le zoo en s’assoupissant et le coq en annonçant deux fois le même jour nous ont rappelé la dépendance dans laquelle la nature tient ses créatures. Voilà ainsi ramené à sa juste mesure le pouvoir que nous croyons avoir sur elle pour l’avoir tout simplement un peu domestiquée à notre profit. Égaux dans notre petitesse devant l’Univers, n’allons pas pour autant oublier les incroyables différences de situation économique que nous avons acceptées et sachons que les enfants de Bucarest et de Belgrade n’ont pas pu lever les yeux au ciel parce que le prix des lunettes de protection équivaut à plus d’une journée de salaire de leurs parents ! On retiendra tout autant de l’immense succès populaire de cette éclipse qu’il est l’éclatant aveu de notre impérieux besoin de surnaturel et de rêve, que ni la science ni le progrès technique ne parviendront seuls à satisfaire. Si nous avons seulement entrevu aussi que nous ne commanderons jamais à la nature qu’en lui obéissant, alors le Soleil ne se sera pas éclipsé en vain.

Jacques MALMASSARI.

Image hors du commun, prise par satellite météorologique hier vers 12 h 30 : l’ombre de la Lune (la tache sombre au centre) se déplace au-dessus de l’Europe, au moment de l’éclipse totale.


LA DERNIÈRE ÉCLIPSE DU SIÈCLE

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Sous les mirabelliers

Jeudi 12 août 1999

Une marée humaine déferle sur la Lorraine Des millions de paires d’yeux de toutes nationalités tournés vers le ciel pour observer l’éclipse. Qui s’est éclipsée… un peu partout. Seuls quelques privilégiés ont pu l’admirer plongeant la région entre bonheur et frustration. Récit d’une journée particulière.

Un millier de personnes a suivi le passage de l’éclipse dans les vergers de mirabelliers de Viéville-sous-les Côtes où seul un croissant de soleil était visible deux minutes avant que le pays soit plongé dans l’obscurité. VIEVILLE. — Ce village meusien fleuri de 200 âmes, épargné par les sanglants combats de la Grande guerre aux Eparges, a conservé son authenticité. Venus en voiture avec leurs enfants, certaines familles de Besançon, Saint-Etienne et même d’Istres, comme ces deux mécaniciens de la BA 125 qui ont déposé une perm de 48 heures pour vivre ces « 2 minutes de bonheur ». Bravant la pluie, une vingtaine de cyclotouristes du club alpin de Nancy n’a pas hésité à parcourir 90 km pour partager avec les Meusiens, Mosellans et Luxembourgeois cet évènement. Dans les vergers de mirabelliers où l’ont scrutait un ciel gris et nuageux, l’apparition vers 12 heures 15 d’un petit croissant de soleil a mis un peu de baume au cœur des visiteurs. Chaussant leurs lunettes spéciales, ils étaient un peu ébahis par ce rendez-vous du soleil avec la lune au goût d’inachevé. Surmontant leur déception de ne pas avoir vu l’éclipse totale, des jeunes de Tannois ont engagé un dialogue vivant.-Gael : « Le spectacle est unique ».-Florent : « La nuit a été courte. Je n’ai pas eu le temps de dormir. »Alexandre : « La vitesse à laquelle la nuit est tombée, c’est tout de même impressionnant ».-Florent : « çà m’a donné faim », avant de prendre un sandwich dans

son sac à dos. A l’écart Eric, écrivain hollandais en vacances à Chaillon, confie à ses amis : « Je pensais que l’obscurité serait plus grande ». L’éclipse a été une aubaine pour l’association des producteurs de mirabelles de Lorraine (250 membres de trois coopératives) qui exploitent des parcelles de 50 ares à 30 hectares. « Après deux récoltes catastrophiques, celle de 1999 est prometteuse. La mirabelle est sucrée. La production atteindra 6 500 à 7 000 tonnes », se réjouit son président Philippe Daniel qui avait convié industriels et distributeurs à la station d’expérimentation de Billysous-les Côtes pour découvrir le label rouge accordé au fruit d’or qui désormais peut être dégusté dans les yaourts. Lieu de contemplation, l’observatoire des étoiles à Viéville a séduit les visiteurs venus en car pour certains de Dijon. Piloté par ordinateur, son télescope géant (83 cm de diamètre) est le plus grand en Europe ouvert au public. « On observe sur la lune des formations de 400 m et, par temps calme, Jupiter et le détail des divisions dans l’anneau de Saturne », expliquent Marie-Hélène et Marc Kaschinski, astronomes amateurs, cofondateurs du projet géré par une association. (Visite guidée : tél. 03 29 89 58 64).

METZ. — C’est drôle une éclipse qui tourne ainsi au supplice ! Des heures à se tortiller d’anxiété. La verra-t-on ? Ne la verra-t-on pas ? Des heures à marmonner : « c’est pas vrai ! », ou : « c’est pas possible, la Lorraine a le mauvais œil ! ». Car bien sûr, dès potron-minet nous avons tous en chœur jeté un regard implorant au ciel. Oh râge, oh désespoir… Et nous avons tous fulminé contre cette météo boudeuse et ces nuages amoncelés sur nos têtes. Venus nous narguer alors que nous attendons la fabuleusee rencontre de deux étoiles : la lune et le soleil. L’avènement d’une bonne vieille affaire entre vieilles connaissances. 9 H, 10 H, 11 H, les cumulus culminent toujours, et on ne sait plus s’il faut médire du temps ou du sort. Courage, en 1 H 30, un bon petit vent peut tout balayer. Alors nous gardons espoir, et nous voilà tous dehors. En route pour la grande aventure de cette fin de siècle : l’éclipse totale dans presque toute la Lorraine. Un phénomène unique qui devait draîner une foule monstre, mettant les autorités sur les dents. Rien qu’en Moselle, 300 gendarmes, 580 policiers, 500 sapeurs-pompiers, 150 agents de l’équipement, un SAMU renforcé, étaient sur le pied de guerre. Un déluge d’acier s’est effectivement jeté sur les routes et autoroutes. Mais les conseils de prudence et les mises en garde répétés sur tous les tons, ont joué à fond. Tout s’est bien passé. Il y a bien eu deux tôles froissées et un capot envolé, sur l’A31 à hauteur de Maizièreslès-Metz. La routine sur cette autoroute… Il y a bien eu des trains renforcés entre Nancy et Metz, des ralentissements un peu partout en Moselle et quelques bouchons aussi sur le chemin des retours (La Maxe, Mondelange, Thionville, frontière luxembourgeoise et à l’échangeur de Loupershouse

concours de 150 des quelque 2 000 visiteurs qui ont choisi cet espace privilégié pour la faune européenne en vue d’observer l’éclipse. Bien leur en a pris ! Deux minutes avant l’heure fatidique, la pluie torrentielle s’arrête comme par enchantement. Un miracle ne venant jamais seul, l’inquiétant manteau nuageux se fend pour offrir l’étonnant spectacle d’un soleil noir en plein midi.

Plus troublés par la pluie que par l’éclipse !

Certains sont passés au travers des mailles du battage médiatique entourant l’éclipse. La preuve hier sur les coups de 13 heures au Prisunic de Nancy. Une mamie rentre dans le magasin, toute tourneboulée, la mèche en bataille : « Qu’est-ce qui s’est passé ? La nuit en plein midi ! J’ai cru que c’était la fin du monde. Mon coeur a failli s’arrêter… » Heureusement que la jeune fille qui tenait le rayon fruiterie était "branchée", elle. Elle l’a rassurée et lui a expliqué le phénomène.

Elle a eu tout juste un an. Elle aurait pu être Manon des sources, tant il a plu le jour même de son anniversaire. Le soleil s’en est caché mais Manon rayonne de son sourire. Car pour souffler sa première bougie, la fillette était assistée d’un couple d’Indiens, venu admirer l’éclipse à Creutzwald, pour contourner le voile de la mousson indienne. Les nuages étaient malheureusement aussi en Lorraine mais Marion n’avait qu’à rappeler que le jour de sa naissance, c’était la journée la plus chaude en Lorraine… Il y a un an. Dès les premières lueurs du jour, les aires d’autoroute ont été prises d’assaut par les touristes. notamment), mais sans gravité ni énervement. En Meurthe-etMoselle, du côté de Longuyon, point de ralliement de très nombreux Hollandais, on a fait du pare-choc contre pare-choc entre 13 H et 15 H. Et puis, à proximité, toute la partie belge de la Lorraine, la Gaume, a été submergée : plus de 100 000 personnes entre Virton et Arlon.

Noël en été Midi. Nous approchons de l’heure fatidique. Toutes les aires d’autoroutes sont bondées, la si longue attente touche à sa fin. Sympas, les CRS distribuent des lunettes d’observation aux routiers arrêtés sur l’A31. Quelque part sur cette même autoroute, la reine de la mirabelle et ses dauphines se sont mises en retard. Elles seront sauvées par des princes charmants en uniforme. Des policiers. Dans les villes, des marées humaines déferlent,

comme pour un pélerinage gigantesque. Français, Allemands, Luxembourgeois, Belges, Hollandais, Anglais, Américains aussi, tous pressent le pas à la recherche du meilleur poste d’observation possible. Combien sont-ils ? 10 000 sans doute plus à Metz, 6000 à Amnéville, autant à Thionville, 1000 à Bitche, 1500 à Bliesbrück, 8000 sur les 24 sites de Meurthe-et-Moselle. Mais ils sont dix fois plus nombreux, dispersés dans les rues, sur les talus, les collines, sur chaque mètre carré disponible. Tous unis pour cette grande communion avec la nature. Mais, le ciel, ah le ciel ! Il fait toujours des siennes, et un peu partout, nous tombons à la renverse dans l’averse en trombe. Et cette délivrance, cette éclaircie en or que l’on attend… 12 H 30. Les dés sont jetés. Ils feront beaucoup de malheureux et quelques heureux. A Bliesbrück, dans la ré-

Car le coq a évité le piège en refusant de pousser un second cocorico, pendant que les oiseaux oubliaient provisoirement leurs chants.

Rien à signaler Du côté des loups gris comme des loups blancs, pas de hurlements intempestifs. « Ils se sont rassemblés sur le promontoire de l’enclos, comme pour observer ce qui se passait alentour », explique Anne Frézard, la jeune éthologue du parc de SainteCroix. Et rien à signaler chez les chats sauvages, les ratons laveurs ou les grands ducs qui resteront cois durant ces deux minutes. Seuls les quatre ours bruns y perdront un peu de leur latin, Graoully et ses copines gagnant la forêt avec la pénombre, avant de revenir jouer dans les herbes une fois la lumière de retour. Et les cervidés se feront eux aussi prendre au piège, se réfugiant dans les sous-bois comme le font chaque soir ces espèces lorsqu’elles vivent en captivité. « On souhaitait simplement constater un certain nombre de choses », confesse Pierre Singer, rassuré sur le moral de ses troupes à poil et à plumes. Ce qui ne l’empêche pas de s’être piqué au jeu : « J’espère être en Afrique en 2001 pour y étudier le comportement des animaux sauvages ! »

gion thionvilloise, dans quelques localités de l’agglomération messine, comme à Vigy, ou sur quelques points du Pays-Haut entre Briey et Longwy, on a vécu Noël en plein mois d’août, entre deux passages nuageux. La grosse orange de rêve était enfin sous le sapin. Ici l’éclipse totale, là presque totale. Un pur moment de bonheur. Une joie immense, enfantine et adulte, une joie qui fait pleurer et chanter. C’est idiot, merveilleusement idiot.

« Remboursez, remboursez » ! Ailleurs, partout ailleurs, un déni de pluie prive les spectateurs d’orange. Une pluie têtue, obstinée, despotique. C’est stupide, cruel et injuste. Une insulte faite au rêve. La frustration est totale. « Remboursez, remboursez » crie la foule à Pont-à-Moussson. « Escroquerie, escroquerie » répond Metz en écho et avec

humour. Car la déconvenue n’entame pas la bonne humeur et l’ambiance de fête. « Il a fallu se battre pour avoir des lunettes, elles sont restées dans le sac » lance en riant un visiteur de la Haute-Marne. A Bitche, rieuse aussi, l’association culturelle du pays du verre et du cristal, a pris son petit-déjeuner en pyjama sur les hauteurs de Goetzenbrück, après la tombée de la nuit noire. Impressionnante, angoissante même cette obscurité presque violette. « Même tous phares allumés on a du mal à voir » s’étonne un automobiliste messin. Le silence est lourd puis les applaudissements fusent quand le jour revient. Vers 13 H 30, à Metz, un rayon de soleil perce. La foule qui s’était mise à l’abri réinvestit les rues, chausse les lunettes pour tenter d’attraper quelques bribes d’éclipse. La miette de consolation…

Mariés au soleil Peu importe le romantisme du crépuscule de l’éclipse, deux fiancés de Château-Salins ont dû attendre le retour du soleilpas du beau temps-pour unir leurs destinées. Sans doute aurait-ce été un mauvais présage que de se marier dans l’obscurité… Toujours est-il que la loi ne prévoit pas encore de mariage de nuit, et encore moins de mariage d’éclipse !

Champagne ! Le ciel était bas, à la ferme de Tréhémont, près de Moyeuvre-Grande. Si bas qu’un ruisseau de champagne s’y est perdu. Clin d’œil à Brel et à son plat pays. N’empêche que les bouchons ont fait "pèter" l’ambiance, faute d’exploser le rideau de nuages. Et juste au cœur de la nuit… de midi.

Deux minutes trente de bonheur à Chambley Plusieurs milliers de personnes venues à la « Biennale Mondiale de l’Aérostation » à Chambley ont eu le privilège de contempler l’éclipse totale du soleil : soit deux minutes trente de bonheur pour s’émerveiller devant ce que certains qualifiaient de « Diamant noir ».

Et si les animaux avaient l’esprit plus cartésien que les êtres humains ? Au parc de SainteCroix, le comportement des loups, des ours, des bisons, des ratons laveurs ou des lynx n’a guère été affecté par le phénomène de l’éclipse. leurs propres angoisses sur les animaux ! », estime le directeur du parc animalier de Sainte-Croix. Et l’occasion est belle de le vérifier grâce à cette éclipse totale du Soleil. En vertu d’un protocole scientifique établi par le Pr Gilles Le Pape, une équipe d’éthologues et de naturalistes observe depuis cinq jours déjà, à heure fixe, le comportement des animaux du parc. Aujourd’hui, ils vont recevoir le

Tourneboulée

Manon de l’éclipse

Sainte-Croix : les loups n’ont pas hurlé RHODES. — « Une chose est sûre : les poules ne vont pas se mettre à pondre des œufs carrés, et les loups ne chanteront pas la Marseillaise ! » Deux heures avant le grand moment tant attendu, Pierre Singer se veut serein « Le mécanisme céleste est tellement bien réglé qu’on n’a pas le droit d’avoir peur d’une éclipse. En fait, les hommes font de l’anthropomorphisme en projetant

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Décrochez la lune sur le web du RL L’édition électronique du Républicain Lorrain n’a pas manqué le rendezvous astral. Vous pouvez ainsi revivre (virtuellement) la dernière éclipse du siècle. En vous connectant sur le www.republicain-lorrain.fr, vous retrouverez une vidéo tournée d’avion de la rencontre céleste mais aussi deux reportages multimédias (intégrant textes, photos et vidéos) réalisés à Metz. Outre le supplément en ligne faisant toute la lumière sur l’événement, vous pourrez également consulter une revue de presse des articles parus dans nos colonnes, comme ces milliers d’internautes du monde entier qui se branchent chaque jour sur la déclinaison numérique du RL. Et comme ces centaines de japonais qui, depuis une semaine, font le siège du web de votre quotidien. Des ressortissants du pays du soleil levant qui ne pouvaient rester dans l’ombre de la lune… ∆ www.republicain-lorrain.fr

La journée avait bien mal commencé avec de grosses averses et un ciel totalement obstrué par les nuages. Mais, vers 11 h 45, un œil s’ouvrait dans les cieux permettant de voir le début du phénomène pendant quelques dizaines de secondes. Puis le rideau de nuages se refermait. Vers 12 h 25, alors que le public doutait d’une autre représentation « céleste », un second œil apparaissait avec en son centre l’éclipse totale. Une ombre géante inondait le site d’un seul coup. La foule ressortait alors ses lunettes en criant de bonheur. Pendant plus de deux minutes, un calme oppressant tombait sur la base. Rares étaient ceux qui firent un commentaire à haute voix. Seuls les moteurs des camescopes et les brûleurs de la douzaine de montgolfières

gonflées pour offrir une parade au phénomène troublèrent ce silence. Dés que les cumulus se refermèrent à nouveau, la vie reprit sur le site. Dans le village de « Ballonville », les jeunes invités du Conseil Régional de Lorraine et du Conseil Général de Meurthe-et-Moselle ne cachaient pas leur étonnement et leur joie. « Je vais garder soigneusement mes lunettes, en souvenir » assurait un gamin. Un peu plus loin, André Turcat, l’ancien pilote d’essai du « Concorde » ne cachait pas sa satisfaction d’avoir pu enfin suivre une éclipse. « J’avais déjà accueilli des scientifiques dans mon avion pour ce type de phénomène en Afrique en 1973, mais je n’avais pas le droit de l’observer ».

Une superbe flambée dans le crépuscule de midi.


LA DERNIÈRE ÉCLIPSE DU SIÈCLE

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Pierrots lunaires sur le pavé messin Le pavé messin a été gagné par l’énergie dégagée. 500 saltimbanques l’ont martelé à la faveur de la parade de l’éclipse qui a fait vibrer le cœur de dizaines de milliers de spectateurs, tous « pierrots lunaires » en communion. METZ. — La lune a fait la nique au soleil à l’abri des nuages. Le symbole de l’intuition a pris le pas sur celui de la raison. Quelques heures plus tard la parade messine de l’éclipse a donc été totalement déraisonnable. Un rien décalée, la mise en scène de Gad Weil, a parfois même pris des airs très « allumés ». En particulier avec l’orchestre embarqué à bord du camion toupie à béton transparent, qui a ouvert la marche, et dépensé force énergie pour donner le « la » à cette démonstration ludique destinée à célébrer le retour de la lumière. Sous Saturne qui orne l’arche de la porte Serpenoise, JeanMarie Rausch, sénateur-maire de Metz entouré de ses adjoints Christine Raffin et Marie-Alberte Carles inaugure la parade. Il y procède en lâchant symboliquement un ballon aux couleurs du soleil, tandis que ses deux adjoints de charme abandonnent deux lunes noires au gré du vent. A cet instant le public massé à cet endroit de Metz peut résolument se dire que le soleil est de retour, et oublier ses craintes. Car même si dans le ciel de la

cité, l’astre continue de jouer à cache cache avec les nuages, le ballon solaire du maire est le plus fort et le plus agile. Il se libère de toute attraction, et éclaire de ses rayons favorables le défilé de l’éclipse. Les deux lunes noires n’en demeurent pas moins insensibles, poursuivant leur envol à leur rythme.

Gilles et échassiers… Les athlètes du « zigrolling » (ces machines en structures d’acier circulaires) dorment du sommeil des justes, dans le gazon qui jouxte le monument aux morts. L’endroit peut paraître étrange, mais à l’effort que nécessite leur prestation quelques instants plus tard, on comprend mieux que ces forains éprouvent le besoin de reprendre des forces où qu’ils se trouvent. Dans le même temps un aimable charivari gagne les lieux, où se massent cinq cents comédiens, miss, danseurs, musiciens et membres de groupes costumés. Le scénario imaginé par Gad Weil pour cette parade de l’éclipse est un étrange assemblage de tradition et d’avant garde. « Gilles » et « Bersa-

glieri » voisinent les « échassiers lunaires ». Au fur et à mesure que cette cohorte bigarrée s’étire avenue Schuman, le public se fait de plus en plus dense. Au carrefour de la rue Serpenoise, cette foule semble un instant surprise par toute cette agitation, puis cédant au charme, s’emploie à applaudir ce corso de la lune, du soleil, et même de la voie lactée. Car ce sont de petites étoiles qui déambulent en tête, comme agitées de pulsions internes, et dont plusieurs dizaines de milliers de personnes goûtent la chorégraphie. Parvenue place d’Armes, la tête de cortège libère les forces contenues par l’étroitesse des rues du centre. Groupes et musiques ressemblent alors à un univers en expansion qui vient à la rencontre de la foule. L’osmose se produit enfin avec ces danseuses de sambas, ces adeptes du soleil aztèques. L’éclipse et ses fastes ont réalisé cette subtile alchimie, en instillant dans cette masse critique de spectateurs, l’indispensable dose de passion. Qui a dit que la lune était un astre froid ?

Fenêtre ouverte sur la frontière La dernière éclipse totale du millénaire ne s’est pas arrêtée à la frontière. Une fenêtre météo quasi divine, peu avant 12 h 30, a permis à plusieurs milliers de Français et d’Allemands présents sur le site éminemment symbolique du parc archéologique européen, d’observer un spectacle féerique d’une splendeur inouïe.

Spectacle haut en couleurs avec notamment les Echassiers de Belgique.

Des Américains à peine déçus METZ. — « C’est une expérience incroyable ». Clyde Simpson, directeur du muséum de Cleveland, est heureux de savourer ces minutes magiques. La pluie n’a pas entamé sa bonne humeur. Les nuages, qui masquent désespérément le soleil sur le technopôle messin, ne l’empêchent pas de vivre pleinement les émotions que suscite une éclipse. Il a réservé sa chambre depuis près de 3 ans et ne le regrette pas. « Bien sûr, un ciel plus dégagé aurait été préférable, mais vivre une éclipse totale, quel que soit le temps, est un phénomène unique », s’enthousiasme-t-il. Les 90 Américains, qui ont investi l’hôtel Holiday Inn sur le technopôle Metz 2000, partagent son sentiment et ne se sentent pas

frustrés. Regroupés sur la terrasse de l’hôtel, ils accueillent la nuit dans un silence quasi religieux. Plus le ciel s’obscurcit, plus les conversations deviennent feutrées. Le retour du jour est salué par des applaudissements spontanés. Ces Américains venus du Michigan, de Californie, d’Arizona ou de Pennsylvanie ont vécu l’éclipse avec beaucoup de bonhomie, en sachant apprécier l’instant présent. L’après midi, ils ont reçu la visite de JeanMarie Rausch, sénateur maire de Metz, et de Nathalie Griesbeck, présidente de la SEM du technopôle, qui sont venus partager avec eux le cocktail de l’éclipse. Avant de rentrer aux EtatsUnis, ils vont encore profiter de la France quelques jours pour visiter notamment les grottes de Lascaux.

Regards de physiciens à Vigy

A Bliesbruck-Reinheim, Allemands et Français se sont réunis pour assister au dernier grand spectacle du millénaire, aperçu de justesse ! BLIESBRUCK-REINHEIM. — Une bruine obstinée voile la frontière franco-allemande et confère au parc archéologique européen de Bliesbruck-Reinheim des allures de deuil. Il est 12 h 15, tout est triste, incroyablement gris. Gris du ciel et des visages, dont les mines ne s’en remettent pas de rater ce que d’aucuns présentent comme le spectacle du siècle. Les centaines de jeunes réunis pour la circonstance par l’Office Franco-allemand de la Jeunesse semblent résignés. Et puis, soudain, une fenêtre météo quasi divine laisse entrapercevoir le flirt du soleil avec la lune. Miracle ! En l’espace de quelques secondes, le crépuscule arrive sans prévenir. Ce n’est déjà plus tout à fait le jour et ce n’est pas encore complètement la nuit. Une agitation discrète s’empare alors du site archéologique dont le pouls bat exceptionnellement au rythme de la jeunesse, de la science et de l’Europe. C’est sous ce triple signe en effet que l’Office Franco-allemand pour la Jeunesse, sous la haute autorités des Ministères français et allemands de la Jeunesse, en liaison avec le Conseil Général de la Moselle, a organisé ce grand rassemblement populaire sur un site éminemment symbolique en regard de son passé et de sa situation géographique en plein sur la ligne de centralité. A deux pas des fouilles qui contribuent à faire de l’endroit un témoin privilégié du défile-

ment des siècles, en digne représentant de l’Association nationale sciences et techniques, Mathieu n’en finit pas de scruter l’horizon. Tous les jeunes qui l’accompagnent hurlent le compte à rebours. Encore une respiration et, bientôt, la nuit est totale. Un long silence débouche sur une explosion de joie. Des tonnerres d’applaudissements ponctués de clameurs d’enthousiasme saluent la superposition pleine et parfaite des deux astres. Dans la nuit noire, l’émotion est à fleur de peau. « Les teintes somptueuses de la campagne, les ombres fugaces, un clair obscur légèrement bleuté : tout concourt au féerique », exprime-t-il poétiquement. A dire vrai, ce subtil dégradé de lumière draine dans la foule massée, une ambiance fabuleuse. A 15 ans fraîchement sonnés, les larmes aux yeux, Mathieu l’astronome est conscient de vivre un rêve éveillé ; son rêve. Hypnotisé par cette image surréaliste, le jeune homme écarquille les yeux, littéralement stupéfait, fasciné. « Ces protubérances qui jaillissent du soleil noir, cette couronne de feu orangée et puis Vénus si lumineuse que l’on aperçoit en contrebas : C’est magique ! Wouahhh, comme c’est beau… Encore plus beau que tout ce que l’on pouvait imaginer et que tout ce qu’on nous avait dit ! »

VIGY. — « A dix heures, nous étions prostrés », reconnaît Evelyne Lavoisier, présidente de la section Lorraine de l’union des physiciens (association des professeurs de physique et chimie de France), qui a vécu l’éclipse au centre Adepa de Vigy avec 150 de ses collègues et leurs familles, venus de Nantes, Rennes, Bordeaux, Montpellier ou Perpignan… Les caprices de la météo leur ont fait craindre le pire jusqu’au bout. Le ciel leur a finalement fait un clin d’œil, leur offrant entre deux nuages quinze secondes d’éclipse totale, le temps de pouvoir apprécier la couronne solaire, composée de jets de gaz diffus, et les points de diamant, c’est-à-dire les premiers instants du retour du soleil, explique Guy

Thionville : le soleil a exaucé Tintin A Thionville comme dans Le temple du soleil, c’est Tintin qui a déclenché l’éclipse. L’événement tant attendu s’est déroulé pendant un spectacle réalisé d’après le célèbre album d’Hergé et interprété par 160 enfants. THIONVILLE. — Dans Le temple du soleil, Tintin échappe à la mort en programmant son exécution au moment d’une éclipse solaire. Une idée géniale. A Thionville, un tintinophile averti, le Dr Jackie Helfgott, adjoint délégué aux affaires culturelles, a eu une autre idée qui ne l’était pas moins, celle d’intégrer l’éclipse dans un spectacle inspiré de cette aventure. Les animateurs du Théâtre de l’Araignée II ont adhéré avec enthousiasme à ce projet, les enfants des centres aérés aussi et le public thionvillois n’a pas manqué le rendez-vous. Il était là dès avant 11 h, tandis que les acteurs se concentraient dans leur tente et que la foule des 150 figurants, oriflammes, masques et ponchos au vent, investissait les abords des cinq praticables où allait se dérouler l’action. A 11 h 25 précises, quand les jeunes acteurs ont fait leur entrée sur scène, bien des spectateurs ont jeté un coup d’œil incrédule vers le ciel, désespérément bouché par de lourds nuages gris, puis ils sont entrés dans l’aventure à la suite de Tintin, flanqué d’un superbe Milou téléguidé, d’un Tournesol plus vrai que nature et, bien sûr, d’un capitaine Haddock truculent à souhait. Il faut saluer ici la qualité de ce spectacle, à la fois visuel et musical, qui est parvenu à suggérer l’action en mettant en œuvre des acteurs de chair et

d’os, des marionnettes, des masques et des figurants aux superbes costumes colorés.

Jeux de nuages A Midi 10, tandis qu’Haddock tourne comme un ours en cage dans sa cellule, on aperçoit un croissant de lune dans une trouée. Un murmure parcourt la foule qui scrute le ciel. L’espoir renaît, d’autant qu’un petit coin de bleu s’est installé au-dessus de la place André Malraux. A Midi 20, sur son bûcher, Tintin invoque le soleil. Le spectacle s’interrompt. Lunettes sur le nez, acteurs et spectateurs ont tous les yeux au ciel. Soudain, des cris dans le public : ça y est, on voit un mince croissant lumineux entre deux nuages et presqu’aussitôt, l’obscurité s’étend, bleue, magique, si émouvante que beaucoup ont les larmes aux yeux. La foule hurle sa joie et applaudit. Hélas, les nuages ont repris le dessus et l’on ne pourra pas voir le fameux disque noir irisé de lumière. Le retour du jour entraîne la reprise du spectacle mais les nuages se déchirent à nouveau, permettant d’observer toute la fin de l’éclipse. Les Incas et Tintin font la fête et des milliers de Thionvillois, le nez en l’air, applaudissent à la fois le spectacle des acteurs et celui de la nature.

Chambon, professeur à Fameck, qui conservera de cette éclipse une impression tout à fait différente de celle de 1961. A l’époque, élève en terminale, il était allé observer le phénomène à Nice. Il avait certes pu le voir dans un ciel dégagé, mais n’avait pas pu l’apprécier à sa juste valeur faute de connaissances suffisantes. Hier, il s’est rattrapé avec tous ses collègues, fort des formidables progrès de l’astrophysique au cours des trois dernières décennies. La couverture nuageuse les a néanmoins privés d’une partie du spectacle. « Sans nuages, nous aurions pu voir les étoiles et notamment l’alignement Vénus, Mercure, Saturne, Jupiter », explique M. Chambon, carte du ciel à l’appui.

Reportages de : Michel BITZER, Monique HECKER, Antonella KREBS,Gilbert MAYER, Michel PELLET, Jean-Marc PHILIPPE, Didier ROMAND, Jean-Louis THIS. Photos de : Dominique BESANCENET, Bruno ESTRADE, Pierre HECKLER, Michel NOLL, Michel PIRA, Clotilde VERDENAL, Marc WIRTZ.

Depuis le bûcher dressé pour leur supplice, le professeur Tournesol et le capitaine Haddock observent l’éclipse du soleil.


LA DERNIÈRE ÉCLIPSE DU SIÈCLE

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Emotion et déception à Volmerange-lès-Boulay !

Cris de joie et soupirs de déception ont alterné sur le terrain de football de Volmerange-lès-Boulay. même été grandiose », raconte M. Pascal Boissière, président du club.

Leçon d’astronomie Les spectateurs ont en tout cas perfectionné leurs connaissances en astronomie en écoutant les spécialistes et, grâce à la maquette à l’échelle du sys-

tème solaire, celle exposant la sphère céleste et la précession des équinoxes, et au planétaire montrant la disposition des astres. Au milieu de la foule et de la pelouse, Didier Chenet, de Valmont, accompagné par son épouse et sa sœur, a planté son appareil photo sur pied. « Je suis venu plus pour pho-

Foule et parapluies à Saint-Avold Près de 2 000 personnes au champ de foire de Saint-Avold. L’éclipse était commentée par Fabrice Drouin, professeur de physique appliquée au lycée Jully.

tographier les comportements des gens, tristesse, hystérie, cris, que l’éclipse. Par ailleurs, j’attache plus d’intérêt à la poésie des astres qu’au côté scientifique. » D’autres ont tenté d’immortaliser le phénomène en filmant, mais garderont de bien meilleurs souvenirs de la ré-

gion : « Au moins, on aura vu le pays qui est si joli et passé de bonnes vacances », explique une famille originaire de Savoie. Les plus gâtés ont finalement été ceux qui ont suivi l’éclipse à la télé, dans la salle polyvalente. C’était bien la peine de courir partout pour dénicher des lunettes !

SAINT-AVOLD.— Le bureau postal temporaire ouvert hier à l’ancienne verrière de l’église Sts-Pierreet-Paul de Saint-Avold a fait des heureux. Du monde, il y en avait dès son ouverture à 9 h. Les passionnés d’éclipse, venus de différents pays d’Europe, ont voulu envoyer un petit mot, une lettre ou une carte postale à leurs amis et proches parents. Avec une originalité, celle de coller un timbre éclipse, marqué d’un cachet spécial éclipse. Monique Funfschilling, caissière à la poste naborienne, et AnneCatherine Domptail, agent de contact, ont eu du pain sur la planche. Elles ont vendu et oblitéré plusieurs centaines de timbres et de lots de cartes pré-affranchies. Ces deux charmantes employés de la Poste ont pu souffler entre midi et 13 h 15, le temps de regarder l’éclipse. Jusqu’à 18 h, les philatélistes se sont bousculés au portillon.

On se bouscule au bureau de poste temporaire de Saint-Avold.

En rang d’oignons

Boucheporn triple sa population BOUCHEPORN. — Cette commune de 500 âmes du canton de Boulay, située en plein milieu de la bande de totalité de l’éclipse, a triplé hier sa population.avec la présence de plus d’un millier de visiteurs. Certains d’entre eux ont trouvé refuge dès la veille sur les hauteurs avec leurs instruments dans les anciens bunkers de la ligne Maginot. Quatre bus de Nancy, trois autres de Metz, ont déchargé leurs touristes d’un jour, sans compter la présence de colonies de vacances. Du coup, les quatre associations chargées de la restauration étaient littéralement débordées par les événements.

Ville morte ! CREUTZWALD.-Rebutés par le mauvais temps ou fuyant une quelconque apocalypse, les Creutzwaldois ont tout bonnement déserté leur ville hier sur les coups… de l’éclipse. Pas âme qui vive dans les rues du centre ville, des quartiers dépeuplés, des jardins fantômes, des pas-de-porte vides, Creutzwald faisait presque froid dans le dos. A ce propos, c’est peut-être l’impression ressentie par certaines personnes âgées qui, selon de nombreux témoignages, se sont claquemurées chez elles en attendant, non plus que le ciel leur tombe sur la tête, mais que la station Mir passe son chemin.

Cette famille de Hollandais a pris ses aises. CREUTZWALD. — En rang d’oignons, lunettes chaussées, cette famille de Hollandais s’impatientait sous le ciel couvert de Creutzwald, sur la pelouse du quartier Ga-

rang. Où était le soleil ? D’où se pointerait la lune ? La première réponse fut une averse calamiteuse. La deuxième fut le noir complet. Nos Hollandais reprirent la route.

Dieter et Horst : et de sept !

Un écran noir au golf FAULQUEMONT.— M. Hubert Cékanowski, golfeur et instituteur à Pontpierre, a proposé au directeur du golf de Faulquemont-Pontpierre Jean-François Poey, d’organiser une animation au départ du trou n°3, point le plus haut du parcours avec vue circulaire. Pour cela il s’est muni d’une longue-vue et d’un écran pour projeter l’image du soleil. Hélas il n’y avait pas assez de lumière pour capter l’astre et le projeter. M. Cékanowski a donné alors des lunettes qui avaient été fournies par la mairie de Faulquemont.

Russe impatient à Boucheporn

Malheureusement, le temps n’était pas au rendez-vous : des parapluies décoraient le site d’observation. SAINT-AVOLD.— Dès 10 h, près de 2 000 personnes étaient installées sur le champ de foire de Saint-Avold. Les plus prévoyantes avaient emporté leur siège. Casse-croûte et boissons les attendaient à quelques mètres de là. Une radio locale a animé le podium en passant des tubes à la mode, en posant des questions

aux touristes afin de leur faire gagner des lots offerts par l’office du tourisme de la ville. Des télescopes étaient mis à disposition par le club d’astronomie du lycée Charles-Jully ainsi qu’un téléviseur diffusant un documentaire. Mais, malheureusement, le temps n’était pas au rendez-

Le bonheur est dans le pré

Alberto Pappalettera est venue de Milan pour passer une nuit à la belle étoile sur le champ de foire de Saint-Avold. SAINT-AVOLD.— Alberto et son père Nicola Pappalettera de Milan ont passé la nuit à la belle étoile au champ de foire de Saint-Avold. N’ayant pas de tente, ils ont acheté à leur arrivée mardi soir une toile cirée, dont les motifs sont des vaches dans un pré… et des sacs de couchage. De quoi installer un lit pas très douillet, sur un pré mouillé. « Tout ça pour assister à la dernière éclipse du millénaire ! » s’exclame Alberto qui a pris soin de recouvrir ce lit de fortune d’un plastique, pour ne pas être trop trempé. « Nous avons même vu quelques étoiles dans le ciel avant de nous endormir. » Hier matin, Giovanna et Oona, la mère et la fille d’Alberto, qui ont sommeillé dans la voiture, ont elles aussi eu droit à leur carré de toile cirée.

vous : des centaines de parapluies décoraient le site d’observation. Des Marseillais se sont exprès déplacés à Saint-Avold pour voir l’éclipse en totalité. Résultat : « Rien. On ne voit pas le soleil derrière ce paquet de nuages. C’est décevant ! Mais on va attendre ! » La situation est encore plus frustrante quand un ami resté au pays appelle et annonce que le beau temps est bien présent dans la cité phocéenne, et l’éclipse aussi ! Des jeunes de la cité Huchet, du centre ville, ont « un petit pincement au cœur » car le ciel est maussade. Cependant, les Naboriens, Allemands, Hollandais et autres touristes venus des quatre coins de l’Europe ont pu vivre la tombée de la nuit très rapide. En quelques secondes, ce fut la nuit noire, et deux minutes plus tard, le jour est revenu d’un seul coup. Tous ont poussé des cris d’admiration, des enfants ont hurlé, effrayés. Quelques personnes s’agitaient comme des abeilles dans une ruche, les autres restaient figées comme des statues de sel, de peur de rater de précieuses secondes de l’éclipse. Une fois le jour réapparu, retour à la dure réalité : il pleuvait toujours. Les gens, un tantinet mouillés, se regroupaient autour des stands sandwichs ou couraient vers leurs véhicules. En quelques heures, SaintAvold a connu un instant de gloire, de brouhaha touristique et d’espoirs pleins la tête Même nuageuse et pluvieuse, l’éclipse a été entrevue.

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Timbre et cachet

Attente impatiente, cris de joie et déception se sont succédé à Volmerange-lès-Boulay, où il valait mieux oublier ses lunettes et allumer la télé pour voir le soleil noir. VOLMERANGE-LESBOULAY. — Les visiteurs sont venus d’Allemagne, de Hollande, de Grande-Bretagne, d’Espagne et de la France entière, Paris, Chambery, Angers, du Vaucluse, des Vosges, d’Alsace… pour ouvrir leurs parapluies sur le terrain de football de Volmerange-lèsBoulay ! A 11 h 45 premiers cris et sauts de joie lorsque le roi soleil a enfin daigné montrer sa robe sombre. Certes, l’éclipse tant attendue a généré de l’émotion mais aussi une grande déception parmi les centaines d’observateurs. Il a fallu scruter attentivement le ciel chargé pour ne pas manquer deux ou trois autres brèves apparitions du soleil noir à travers les nuages. Et le précieux matériel apporté par le club d’astronomie Paul Gidon de Myans en Savoie (télescopes munis de filtres pleine ouverture et lunettes astronomiques), a plus pris l’eau que le soleil. « Cela fait un an que nous avions programmé cette journée et choisi ce site. Nous n’avons pas eu tout ce que nous attendions mais c’était toujours mieux que de rester en Savoie. Le spectacle de l’assombrissement puis le retour de la lumière a tout de

Jeudi 12 août 1999

SAINT-AVOLD.— Une zone de stationnement pour les poids lourds de plus de 7,5 tonnes qui ne pouvaient pas circuler de 11 h à 14 h a été matérialisée hier dans la montée de Boucheporn sur l’A 4 dans le sens Saint-Avold/Metz. Un seul engin précédé d’une voiture de gendarmerie occupait la bande de secours. En revanche, les chauffeurs étaient plus nombreux à ronger leur frein sur le parking de la station service de Longeville. Un quart d’heure avant la levée de l’interdiction de rouler, un camionneur russe a tenté de passer à la barbe de deux gendarmes de Thionville venus renforcer l’effectif de surveillance. Il n’est pas allé bien loin. Il a tenté de jouer la carte de l’ignorance. Ces Allemands sont de vrais chasseurs d’éclipses.

Les saucisses sont cuites FOLSCHVILLER.— 400 personnes ont participé à la marche jusqu’à l’observatoire, belvédère de la zone du silence, pour voir l’éclipse à Folschviller. A l’arrivée de la marche, les gens ont pris d’assaut les stands de saucisses et de boissons. Malgré l’intense activité les empêchant de profiter pleinement du spectacle, les préposés à la cuisson des barbecues ont glissé avec humour « On a appris qu’avec l’éclipse totale, il devait faire froid… Ici, on ne risque rien ! ». Après l’éclipse, à la caisse, on claironnait pour mieux vanter la qualité des produits « Il reste des saucisses cuites pendant l’éclipse ! »

SAINT-AVOLD.-Dieter Schwertfeger et Horst Warnke sont venus de Essen, en Allemagne. « On voulait observer l’éclipse depuis le Chiemsee, mais les conditions météo ayant l’air plus favorables dans l’Est de la France, nous sommes venus à Saint-Avold », racontent ces astronomes amateurs qui ont déjà vécu six éclipses en Europe et en Afrique. « Un moment unique. » Equipés comme des pros, ils étaient à l’affût du moindre spectacle pour l’enregistrer avec leur matériel sophistiqué. Finalement ils ont été déçus. Tant pis. « Heureusement l’ambiance était super et l’accueil au champ de foire formidable ! »

Un site de recueillement

Casse-croûte et barbecue PORCELETTE.— Les casse-croûte et les boissons servis à volonté pour la fête populaire organisée par la municipalité de Porcelette ont consolé les nombreux spectateurs venus admirer le phénomène astronomique qui n’a pu être entr’aperçu que dans deux trouées de nuages. Mais qu’importe, loin de maugréer, les Porcelettois réunis à l’école primaire ont dignement salué l’événement autour des barbecues et de la buvette en levant leurs chopes à la prochaine éclipse.

Cuvée spéciale VOLMERANGE-LES-BOULAY.— Le syndicat arboricole de Volmerange-lès-Boulay a distillé une cuvée spéciale d’eau-de-vie. 100 petits coffrets renfermant des petites bouteilles de 4 cl à la mirabelle, à la poire, à la quetsche et à la cerise se sont vendus comme des petits pains à la distillerie, la moitié ayant déjà été réservée avant le phénomène.

Sur les ondes de Savoie VOLMERANGE-LES-BOULAY. — Le club d’astronomie Paul Gidon de Myans en Savoie, présent à Volmerange-lèsBoulay pour commenter l’éclipse, a pu faire vivre le phénomène à sa région grâce à ses interventions sur Radio-France Savoie. Invité du jour à 8 h, le président du club était également au rendez-vous de flash-infos en direct tous les quarts d’heure. Les Savoyards avaient donc le son et l’ambiance et pour l’image, ils n’avaient qu’à se remémorer… le 15 février 1961, jour d’une éclipse totale en Savoie !

Marie Walaster n’oubliera jamais la vision de l’éclipse. FALCK. — Marie Walaster, 77 ans, a choisi le cimetière de Falck et sa sérénité pour observer l’éclipse en solitaire. La vue y était nette, les corolles

des dipladenias se sont refermées, l’horizon s’est assombri, Marie a dit qu’elle garderait « cette vision en mémoire jusqu’au bout de la vie ».


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500 personnes à la Citadelle BITCHE. — Elle domine la ville de Bitche. C’est donc tout naturellement que certains en ont fait leur site d’observation de l’éclipse… dont ils ont vu des croissants solaires à défaut de la couronne. Dès potron minet, ils se sont retrouvés sur les hauteurs, à l’intérieur de l’enceinte fortifiée, mais aussi sur le chemin de ronde à l’affût du soleil. Résultat : l’édifice de Vauban a fait le plein toute la journée : on a frôlé la rupture de casques, qui permettent d’entendre le commentaire historique.

LA DERNIÈRE ÉCLIPSE DU SIÈCLE

A Forbach, on s’est battu jusqu’au bout pour des lunettes

Un astronaute à Bitche BITCHE.— Il était à bord de Columbia, qui a réalisé le plus long voyage américain dans l’espace en 1996. L’astronaute français Jacques Favier avait choisi le Pays de Bitche pour vivre l’éclipse. Mardi soir, il a ainsi donné une conférence dans la Cité fortifiée sur le thème : « L’Homme dans l’espace : enjeux et défis ». Sa présence était annoncée sur le site de Hottviller… mais les prévisions météorologiques ont dû avoir raison de ses intentions. Il a vraisemblablement observé l’éclipse sous des cieux plus cléments.

FORBACH.— Pas un chat ! Entre 11 h et midi et demi, les rues de Forbach étaient quasiment désertes. De nombreux

commerces avaient fermé leurs portes. Au moment de l’éclipse totale, les bus se sont tous arrêtés ; la ville s’est retrouvée

dans le noir complet, lampadaires éteints… Du monde par contre, il y en avait beaucoup au stade et dans le parc du

2 000 paires de lunettes ont encore été distribuées hier matin à Forbach dans la cohue générale.

Sarreguemines pleure les villages rient Réactions mitigées hier dans la région de Sarreguemines où les nuages ont joué de drôles de tours aux spectateurs.

Les camions à la Brême d’Or FORBACH.— A la frontière, on ne passe pas ! C’est ce qu’ont pu constater hier entre 11 h et 14 h de nombreux chauffeurs routiers, sur l’autoroute au niveau de la Brême d’Or. Certains étaient au courant de l’interdiction de circuler en France durant la durée de l’éclipse, d’autres se sont fait tirer l’oreille. « Il y en a qui disent qu’ils ne savent pas et qui tentent leur chance », explique un policier en faisant ranger un camion sur le côté. Tous les chauffeurs ont gagné une pause déjeuner plus longue que d’habitude !

Facteurs en calèche FORBACH.— Hier matin, les automobilistes ont été surpris de voir une calèche tirée par un cheval islandais avenue Saint-Rémi à Forbach. Dans l’attelage, un facteur de ville et un facteur rural en tenue datant de 1870. La calèche a traversé le centre-ville pour monter au stade du Schlossberg et voir l’éclipse. Le cheval islandais appartient à un habitant de Kappelkinger, chef d’équipe des facteurs au bureau de poste de Forbach.

Averse et déception FREYMING-MERLEBACH. — Grosse déception à Freyming-Merlebach où le ciel était chargé de nuages sombres. Une averse est tombée juste avant la totalité de l’éclipse et a refroidi les ardeurs des observateurs, dont la plupart ont préféré regarder le spectacle devant leur téléviseur. « La tombée de la nuit est un moment émouvant et spectaculaire », commentait une dame à sa fenêtre. Les trois sites d’observation ont été boudés, tandis que les rues de la ville étaient désertes.

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5 000 Sarrois à Spicheren

Ce n’est pas tous les jours qu’on nous promet un show céleste ! Cette affiche alléchante a attiré près de 2 000 personnes au Schlossberg.

Un lustre dans le ciel SAINT-LOUIS-LESBITCHE. — Jean-Louis Dumas, président de la cristallerie de Saint-Louis et du groupe Hermès, est venu observer l’éclipse à… SaintLouis-lès-Bitche. Une animation privée a été organisée dans l’enceinte même de l’usine. Les 300 artisans de la cristallerie avaient été invités ainsi que des habitants du village. Pour marquer l’évènement, un lustre en cristal éclairé uniquement à la bougie avait été hissé dans le ciel à l’aide d’une grue et au-dessus d’un gigantesque miroir. Même si l’éclipse était difficilement observable à SaintLouis, le lustre s’est allumé au moment de la période d’obscurité totale.

Jeudi 12 août 1999

Eclipse rimait avec parapluie à Sarreguemines, dans les jardins de ruines du Musée des techniques faïencières. SARREGUEMINES.— Hier, il valait mieux se trouver à la campagne qu’en ville. A Sarreguemines on a pu voir le début de l’éclipse quand les nuages gris se sont légèrement estompés. Lorsque l’éclipse était totale, le disque solaire s’est montré entre les nuages mais quelques secondes après, lorsque le jour a commencé à revenir, une énorme averse a éclaté, forçant les badauds à se mettre à l’abri. Par contre à Woustviller à deux kilomètres à vol d’oiseau, quelque trois cents personnes rassemblées dans le verger des arboriculteurs ont pu voir l’astre dans un petit coin de ciel bleu. C’est à Bliesbruck et sur la rive allemande de la Sarre que l’éclipse a été merveilleuse. Le ciel était bleuté, la lumière changeait de couleur. On a même pu, tout comme à Sarralbe par exemple, voir les étoiles. A Hambach, des spectateurs ont eu droit à un trou dans le ciel gris à 12 h 10. L’éclipse a commencé à 12 h 30, et le ciel est resté dégagé jusqu’à 13 h. M. Louis Gabriel, ingénieur retraité astronome et photographe éclairé, a pu admirer à loisir le fameux effet diamant. « Ce nom est donné à une sorte de protubérance très brillante lors de l’éclipse totale. Cette bosse de lumière s’explique

par le fait que l’émergence du disque solaire se fait à l’endroit où le limbe lunaire présente un creux », explique-t-il. Certains spectateurs avertis ont pu voir et photographier des étoiles.

Phénix était au rendez-vous A l’occasion de l’événement cosmique, une initiative sarregueminoise était des plus originales. La capitale de la faïence a su marier la rencontre du soleil et de la lune à une série d’événements organisés au Musée des techniques faïencières sous l’appellation "Phénix". Phénix, oiseau qui comme le soleil renaît de ses cendres… Le point culminant de cette animation était sans conteste la vente aux enchères à 16 h des poteries défournées à 13 h juste après l’éclipse. Depuis la veille, quelque 80 pièces étaient en cuisson à l’intérieur de deux fours spécialement construits pour la circonstance : un four "papier" et un four "raku" selon une technique initialement nippone. Les objets en céramique ont été vendus aux enchères par un huissier de justice au profit de l’AFAEI (Association familiale pour l’aide aux enfants inadaptés de la région de Sarreguemines).

Schlossberg. Près de 2 000 personnes ont convergé là haut, dans le but d’assister au superbe show céleste. Dès 7 h du matin, des gens se sont précipités au stade pour avoir une paire de lunettes. « Il y a eu une telle ruée, une telle bousculade qu’il a fallu faire appel à la police », raconte un organisateur. « Les gens se sont montrés très agressifs, je trouve cela vraiment dommage. » En une heure, 2 000 lunettes ont été distribuées. A l’entrée, le stand de la poste a fait de bonnes affaires, 1 500 timbres à l’image de l’éclipse et 500 prêts-à-poster ont été vendus. Les T-shirts, réalisés par le Syndicat d’initiative et la ville, sont également partis comme des petits pains… Sur la pelouse, les jeunes élèves de l’Ecole de théâtre ont présenté un spectacle, conçu par Jacky Ropital et Samuel Theis, « une histoire d’amour entre le soleil et la lune ». Un œil sur les danseurs, un œil dans le ciel : dès 11 h, le

public a surtout été attiré par ce qui se passait au dessus de sa tête. « Ça y est, je la vois ! », s’exclame une dame ravie. « Ne regarde pas le ciel », gronde une maman à son enfant. On aurait dû voir « un collier de perles de lumière, les derniers rayons qui se font un chemin à travers les cratères de lumière »… Hélas la pluie et les nuages ont gâché le spectacle tant attendu. Mais quelle moment d’émotion à l’arrivé brutale de la nuit. En plein milieu du stade, la foule a frissonné, crié, applaudi. « Fantastique, merveilleux, poignant ! » « Nous nous sommes levés ce matin à 6 h pour venir à Forbach », raconte une famille de Belfort. « Ce sera la seule éclipse de notre vie ». « Je me suis pris au jeu, j’en rêve toutes les nuits depuis trois semaines », dit ce postier, devenu un accro de l’éclipse. « Je me sens un peu frustré, mais pour le peu qu’on a pu voir en 20 minutes, c’était magnifique. En 2001, j’irai en Afrique ».

SPICHEREN.— L’endroit était bien choisi, l’organisation franco-allemande sans faille. Quelque 5 000 personnes, de Sarrebruck essentiellement, furent acheminées par navette notamment vers le site de la croix, sur les hauteurs de Spicheren. Là les attendaient divers stands de victuailles, mais aussi des chapiteaux, et une petite plate-bande abritée, dévolue aux astronomes. Malheureusement la pluie s’est abattue sur les spectateurs. A 12 h 26, au moment le plus intense du phénomène, et malgré les nuages qui empêchaient ne serait-ce que d’apercevoir le soleil, la nuit en plein jour a tout de même fait son effet. Des regards rivés au ciel, quelques cris, des applaudissements, mais aussi des bouteilles de champagne, qui ont tourné de main en main. A peine le jour revenu, les spectateurs un tantinet frustrés se sont prestement dirigés vers les voitures et les différents cars, créant quelques bouchons à la sortie de Spicheren.

Soleil et Lune dansent à Forbach

Le Soleil mal luné au Pays de Bitche Déception au Pays de Bitche. Rares sont ceux qui ont pu voir l’éclipse… et encore moins la phase de totalité. Celle-ci a été visible à peine quelques secondes à Hottviller. BITCHE.— 12 h 45 hier sur le grand site aménagé au Guckenberg à Rohrbach. Une colonne d’hommes, de femmes et d’enfants repart, tête basse. L’éclipse de soleil est bien passée sur le Pays de Bitche… mais derrière les nuages. La seule consolation : cette phase d’obscurité totale qui offre une sensation unique. « On est vraiment déçus. Nous sommes venus de la région parisienne. Et dire qu’à Reims, il paraît qu’ils ont tout vu », lance une dame. La pilule est dure à avaler pour les milliers de touristes qui avaient choisi le Pays de Bitche pour l’évènement. En dehors des sites officiels de Rohrbach, Philippsbourg et Hottviller, beaucoup de passionnés avaient laissé leur voiture au bord des routes, notamment le long de la nationale 62. A Gros-Réderching ou Ormersviller, où des sites avaient été installés à la hâte, le soleil n’a pas plus montré ses rayons. A Goetzenbruck, sur la colline de la Dreispitz surplombant Meisenthal, plus de 300 personnes s’étaient rassemblées : un site improvisé. Parmi eux, des Anglais, des Suisses, des Marseillais et… les animateurs de l’AICSEPT, association culturelle du Pays du verre. En pyjamas, ils ont observé vainement le ciel avec quelques jeunes du secteur. « Je ne suis pas déçu. C’était tout de même très impressionnant. On dira que le soleil, aujourd’hui, était mal luné », tranche

En attendant l’éclipse, Soleil et Lune étaient sur le stade.

Coiffures en carton et habits en tissu multicolore, les jeunes du camp d’ados de Munster se sont livrés à des danses librement inspirées des Mayas, à Hottviller. Pour les Mayas, l’éclipse correspond à un changement de soleil. Hélas, ils n’ont pas réussi à le faire venir. Ou si peu… avec philosophie Yann Grienenberger, l’un des animateurs, qui avait aussi emmené sa chèvre. « Elle n’a pas bougé et s’est arrêtée de bêler c’est tout ! »

Miracle à Hottviller Revêtus de costumes multicolores librement inspirés des Mayas, des adolescents d’un camp de Munster dansent sur des rythmes de percussions : « Si avec ces incantations, il n’entend pas… », plaisante une femme. Lui, c’est le soleil. Il est 11 h et le ciel audessus du site de Hottviller (un grand champ) est désespérément gris. Pire, à midi, il se met à pleuvoir. Parmi les 3000 personnes rassemblées ici, certains n’y croient plus… et plient bagage. « C’est pas de chance… », regrette déjà Richard Phi-

lipps, astronome de Hottviller. Et c’est alors que le miracle se produit. A 12 h 30, alors que la nuit s’abat d’un coup sur le Pays de Bitche, la couronne solaire apparaît l’espace de dix secondes, au détour d’un nuage menaçant : c’est l’éclipse totale ! « Ah ! » entend-on du côté des astronomes. Le speaker de la Société astronomique de France-qui jusqu’alors meublait comme il pouvait-reprend du poil de la bête : « Mettez vos lunettes, la lune commence à partir. » A Philippsbourg en revanche, pas de couronne solaire. De l’éclipse, on n’a vu que quelques croissants solaires. 150 personnes s’y étaient retrouvées dans une ambiance bon enfant sur le site d’observation, situé au cœur du village.

FORBACH.— Sur la pelouse du stade du Schlossberg, à Forbach, les jeunes élèves de l’Ecole de théâtre ont présenté un spectacle, conçu par Jacky Ropital et Samuel Theis, « une histoire d’amour entre le soleil et la lune. » Les adolescents, acteurs et danseurs, préparaient le spectacle depuis plusieurs semaines.

Des ballons à Petite-Rosselle

Pas de soleil mais des ballons dans le ciel de Petite-Rosselle. PETITE-ROSSELLE. — Près de 200 personnes, dont de nombreux gamins des centres de vacances, se sont donné rendezvous à la caserne des sapeurs-pompiers. Une caserne providentielle qui a permis à tout le monde de se mettre à l’abri ! Après avoir tenté d’apercevoir l’éclipse, tous les gamins ont assisté à un spectacle de clowns. Pour terminer la fête, un lâcher de ballons a eu lieu. Et les enfants ont mis tout leurs vœux pour que leur ballon aille très loin… Le plus grand voyageur gagnera en effet une lunette astronomique, l’occasion d’observer encore les étoiles !

Coupe de circonstance

Au milieu des fruits WOUSTVILLER.— Dans leur verger expérimental, les arboriculteurs de Woustviller avaient installé des tentes et assuré un accueil à quelque 300 personnes qui ont eu la chance d’avoir un petit bout de ciel bleu. De nombreux touristes néerlandais, belges, allemands, suisses et même irlandais ont convergé vers le site et partagé l’enthousiasme des habitants.

Ce sont essentiellement des Allemands qui sont montés sur les hauteurs de Spicheren.

Les animateurs de l’Association culturelle du Pays du verre ont improvisé un petit-déjeuner de l’éclipse à la Dreispitz sur les hauteurs de Goetzenbruck et Meisenthal. Certains sont même venus en pyjama pour voir la danse du Soleil et de la Lune.

ROHRBACH-LESBITCHE.— La seule éclipse visible sur le site de Rohrbach était sur la tête de John Walter. Ce jeune étudiant de 18 ans habitant Sarreguemines mais originaire de Rohrbach a sculpté une image de l’éclipse de sa chevelure. « J’ai fait ça avec un pote… à la tondeuse. Mais je suis très déçu de ne rien avoir vu. J’étais impatient… tant pis ! Maintenant je vais peut-être aller à mon job d’été demain avec cette coiffure. Mais je vais vite changer. »

La seule éclipse visible hier à Rohrbach… sur le crâne de John Walter.


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LA DERNIÈRE ÉCLIPSE DU SIÈCLE

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Jeudi 12 août 1999

AU CENTRE-VILLE

Soleil noir soleil vert La croix et la bannière pour se dénicher une place aux premières loges. De Sarrebourg à Abreschviller, chaque coin de prairie, chaque muret avait été pris d’assaut par des hordes de touristes avides de phénomènes célestes. Normal, il faudra attendre 82 ans pour observer une même partie de cache-cache entre le soleil et la lune. Peu importait l’endroit, pourvu que l’on ne loupe pas une miette de ce spectacle. Une trentaine de voitures se sont donc arrêtées à la décharge de Hesse. Un drôle d’endroit pour tutoyer une éclipse… Surtout lorsque le soleil est devenu noir… Ça rappelait un peu les prédictions de ce cher Paco moins la station Mir, mais avec en prime des centaines de kilos d’ordures ménagères. A vrai dire, ça ressemblait plus à une séquence de "Soleil Vert" qu’à une vision de fin du monde.

Nous rêvions, un peu trop sans doute, d’une rencontre poétique entre un jour de lumière et une nuit en évasion comme une écharpe qui vole. L’image aurait pu rappeler une ambiance inspirée par Folon sur une musique d’Ennio Morri-

Des étrangers et de rares Sarrebourgeois Peu avaient choisi les rues de Sarrebourg comme lieu d’observation. Ce n’était pourtant pas un mauvais choix. On y a presque tout vu !

Le Haut-Barr pris d’assaut… par les nuages Le ciel n’a pas fait de fleurs aux Alsaciens du Nord, ni à leurs nombreux hôtes : les nuages ont désespérément, fait obstruction à l’astre de lumière, même au sommet du Haut-Barr.

11 h. Le centre-ville sarrebourgeois est presque désert. De petites grappes de touristes néerlandais, allemands et de de rares Sarrebourgeois attendent, près de la gare et place du Marché. Peu de monde, la plupart a préféré rouler quelques kilomètres pour se rendre dans les sites d’observation privilégiés. Deux jeunes son postés place des Cordeliers. Il est 11 h 45.

« C’est pile poil, s’exclame Sébastien Richard. Ceux qui sont derrière les immeubles ne verront rien ! On peut tout observer d’ici alors autant ne pas se déplacer… pour une fois que c’est chez nous ! » Sur les terrasses, les consommateurs patientent tranquillement. Il pleut. Dans un bar, un client reste stoïque : « Ça n’a aucun intérêt. Je suis Yougoslave, peut être

que la mentalité est différente… » Et il se replonge dans la lecture de son journal.

Les mains dans les poches Il est 12 h 15. James, lui, ne tient pas en place : bière-lunettes, lunettes-bière… Entre les nuages, le croissant de soleil s’amincit. « C’est un jeu, je suis comme un gosse ! J’avais vu ma première

Place du Marché, et place des Cordeliers, les curieux sont en place, prêts à saisir l’instant fugace. éclipse à Sarrebourg à l’âge de 7 ans mais elle était partielle. Nous nous étions fait des lunettes avec des négatifs photo superposés. » Trois hommes en costume-cravate ont les yeux rivés vers le ciel, sans protection. Ils ne sont pas les seuls. Des Allemands cherchent désespérément une paire. Ils ont fait 300 km et sont arrivés les mains dans les

poches. 12 h 30. La nuit tombe d’un coup, dans un grand silence. Place de la Gare, une dame s’écrie : « Venez voir, il fait tout noir ! ». Les irréductibles, attablés dans les cafés et restaurants se précipitent à l’extérieur. Immanquable. 12 h 40. Sarrebourg se réveille. Les gens sont médusés, mais heureux !

brèves célestes

Raphaël, Philippe, David et les autres L’éclipse c’est un peu comme une grande kermesse. On y vient en famille, entre amis, avec ses sandwichs, ses bouteilles d’eau, ses couvertures. Et puis, on y fait des expériences et des rencontres. Trente minutes à Hesse…

Ephémère cone. Un générique de l’espace. Cruelle histoire de l’éphémère. Sens mythique de tous les phénomènes qui déjouent nos curiosités. Sur les bords d’une Sarre, se réjouissant d’une averse d’été, nous dérobions quelques bribes d’émotions aux mouvements qui glissaient au fil de l’inadvertance. Pendant ce temps, les poissons demeuraient calfeutrés dans leurs recoins mousseux et les roseaux pliaient à peine. Voilà enfin le court écart accordé par la providence. Superposés, soleil et lune, s’échappaient vers un destin inconnu, dans le flot des brumes. Une séparation d’un siècle éloigne le risque d’une fâcherie. Et dans leur sillage de certitude temporelle nous ressentions l’amertume des poussières égarées. Au contraire de la rose, l’enfant né ce matin aura le droit de poursuivre la chimère proposée par les âges qui s’égrènent. Mais il y aura toujours les menaces des nuages, des rondeurs grises, des barrières en suspension. Depuis l’avènement de la narration, les mots ont suggéré… Et la décision appartient au hasard qui domine l’illusion. L’éclipse a eu lieu, c’est sûr. Agaçant une flopée de moineaux en perdition. L’instant d’une surprise. Et tout recommence. Hier soir, comme le berger sur sa montagne, nous avons, comme à l’habitude, cherché Vénus, au-delà d’un magnifique sapin. Mais, il y a des heures où l’infidélité s’acharne…

Gérard STRICHER. Mythique, le site du Haut-Barr a accueilli des centaines de visiteurs, déçus autant que ceux du parc du château des Rohan. La fête était préparée de longue date, à Saverne, les lunettes distribuées, les parkings fléchés… Jamais les voitures aux plaques étrangères n’ont circulé aussi nombreuses dans la contrée. Mais le soleil a posé un lapin ! Depuis le haut des ruines du Haut-Barr, des centaines d’astronomes en herbe et de touristes – certains avaient planté là leur tente dès mardi soir pour être aux premières loges – la larme à l’œil, observaient les éclaircies, certes brèves, mais réelles, qui griffaient la plaine en contre-

bas… et regrettaient d’avoir grimpé si haut. Seule consolation, un bon coq au riesling que Bernard Baudendistel, restaurateur du lieu, prépara avec amour… à la lumière des néons de sa cuisine ! Non loin de là, quelques irréductibles pêcheurs bravaient l’interdiction légale de la prise de nuit, toujours persuadés que le poisson mord mieux entre le coucher du soleil et son levé. Sans doute ont-ils été moins déçus de regarder les reflets de l’éclipse dans l’eau que de scruter le ciel !

Dabo : la météo « éclipse » l’événement

Les commerçants s’éclipsent Une foule de touristes : des Anglais, Allemands et des Français venus de tout le territoire.

P

hilippe et David étaient en congé. Raphaël, lui, avait informé la direction de son entreprise qu’il ferait une halte au moment où le jour deviendrait nuit. Tous trois se sont donné rendez-vous à la sortie de Hesse non loin d’un réservoir du service des eaux d’Imling. Un endroit flanqué en pleine nature, à l’orée de champs de maïs. Ils n’étaient pas les seuls. Ils étaient entourés d’une foule de touristes : des Anglais,

Allemands, et des Français venus de tout le territoire. Ça ressemblait à un dimanche à la campagne, moins le soleil, plus les nuages, les averses et tout ce qui peut gâcher le spectacle. David avait tout prévu : l’appareil-photo, le trépied, les lunettes et un vieux rideau vert qu’il avait trouvé dans la cave, chez ses parents. « Je devais m’en servir comme couverture. Finalement, j’aurais mieux fait de prendre un parapluie ! »

Le Rocher devait être un endroit d’observation privilégié : une météo plus que défavorable en a décidé autrement. 200 personnes sur la plate-forme du Rocher : autant sur les parkings en contrebas, le site du Rocher a connu une affluence record pour les rendez-vous du soleil avec la lune. Le Rocher devait être un endroit d’observation privilégié : une météo plus que défavorable et une épaisse brume en décidèrent autrement. L’Office de tourisme a voulu créer l’événement en installant un site d’observation sur le plateau du Hopstein. Seule une centaine de spectateurs s’étaient déplacés alors que les organisateurs en attendaient quatre cents. L’abbé Braun, friand d’astronomie, avait fait mettre en place une série de panneaux expliquant les différentes phases de déroulement de l’éclipse. La planète Vénus, les grains de Bailly, le diamant solitaire étaient « éclipsés » par la couverture nuageuse très basse et très épaisse.

Les minutes s’écoulent au rythme des trombes d’eau. Le ciel s’obscurcit. Nuages ou éclipse ? Cumulus toujours. Il n’est que 12 h. A leurs côtés, deux dames et deux petites filles à la chevelure d’or. Elles arrivent de Paris et ont de la famille dans le secteur. Elles ne quittent plus leurs lunettes, à croire que les filtres permettent de voir à travers les masses d’air ! Perché sur un muret, un homme effectue les derniers réglages de ses objectifs. Il lui faut à tout prix une photo ! Soudain, un léger vent se lève. La nuit tombe aussi vite qu’un rideau de théâtre. Plus un bruit. Les vaches se sont arrêtées de ruminer, les oiseaux de voler, sauf un épervier qui va et vient. Il semble s’être égaré. Perdu dans la nuit, il trouve refuge sur un fil électrique. L’obscurité est totale. « C’est impressionnant ! J’en ai la chair de poule »

laisse échapper David. Et Philippe de renchérir : « On dirait que la fin du monde approche. En plus, il fait froid ! J’aurais du prévoir une petite laine ! »

Et la lumière fut Le soleil pointe à nouveau le bout de ses rayons. Les nuages se dissipent. Un premier coin de ciel bleu se dessine. « J’ai fait une nuit blanche et je ne l’ai pas vu passer. Je ne suis pas fatigué. Il en faudrait plus souvent des éclipses » lance amusé David. Raphaël, lui, scrute chaque pore de sa peau. « On dirait qu’on a bronzé. On a pris un sacré coup de lune ! Au moins, ce soir, on n’aura pas besoin de crème pour calmer les brûlures. Allez les gars, il est temps d’aller se rafraîchir. Après tant d’émotion, un petit verre est bien mérité. » Les trois compères regagnent leur voiture. Ils en reparleront de ce soleil noir. Ce soir et demain encore…

Un peu comme un grand festival populaire, l’éclipse a créé des liens. Les gens se sont parlé, ont échangé leurs impressions et même leurs adresses. C’est le cas de trois couples. L’un de Montélimar, l’autre de Raônl’Etape, le troisième de Grenoble. Ils ne se connaissaient pas et sont devenus amis. Au cœur de cette convivialité, un œuf posé sur le béton. Marie-Bérangère, 10 ans a tout casser, a vu ça à la télé. « Il tient tout seul. C’est presque de la magie ! » L’œuf ne bouge pas. Il pose. Normal, il est devenu la starlette de Hesse et a été pris d’assaut par des photographes en quête d’insolite. « On attend qu’il tombe » souffle François le papa de la petite chimiste. « Et puis, je le mangerai » enchaîne Marie-Bérangère. L’œuf ne s’est pas renversé comme fossilisé par cet étrange soleil noir.

Les chiffres de l’éclipse

Au cœur de l’éclipse, l’œuf de Marie-Bérangère tient tout seul. Sans doute l’effet du soleil noir.

Les différents lieux d’observation ont enregistré de belles affluences. Ainsi, les autorités ont dénombré plus de deux milles visiteurs au Parc de Sainte-Croix à Rhodes, venus étudier le comportement des animaux, en particulier des loups. La foule était également au rendez-vous au château de Lutzelbourg (700), au rocher de Dabo (600) ou au Opstein à Dabo (250), à la Croix-Guillaume de Saint-Quirin (150), au stade de Saint-

Louis (100) et placé d’Armes à Phalsbourg (100). Dans l’ensemble, la circulation a été dense, mais aucun problème n’a été recensé. Interdits de circulation entre 10 h et 14 h, les routiers ont respecté les consignes. Une quarantaine de camions s’est arrêtée à la sortie d’autoroute de Phalsbourg et dix-huit à Ibigny. « Le comportement des chauffeurs a été très correct », soulignaient même les autorités.

Comme tout le monde, les commerçants n’ont pas raté une miette de l’événement astronomique de l’année. En fin de matinée, la plupart des magasins du centre-ville de Sarrebourg avaient prématurément fermé leurs portes. Lu sur une affichette scotchée à un rideau de fer de la Grand’rue : « Veuillez nous excuser, nous nous sommes éclipsés ! »

En voitures ! Sous la pluie, la place des Cordeliers de Sarrebourg baignait dans une ambiance hitchockienne. Le ciel nuageux cachait complètement le soleil et les rares personnes à s’y trouver s’étaient réfugiées dans leurs voitures… Impossible de voir quoi que ce soit. Heureusement, ça n’a pas duré !

Histoire de lunettes Entendu jusque hier, 11 h 45 : « Bonjour, vous avez des lunettes pour l’éclipse ? » Ce n’est pas une histoire belge. C’était à l’Office du tourisme de Sarrebourg… Ceux là sortaient sans doutes d’une longue hibernation !

Les gendarmes savaient ! Forts de l’expérience de collègues ayant observé des éclipses dans les départements d’Outre mer, les gendarmes n’étaient pas particulièrement chagrinés par le ciel nuageux du matin. « Au moment de l’éclipse, les nuages vont s’écarter ! » prévoyait l’un d’eux. Répété à d’autres, cela a déclenché des ricanements… C’était vrai !


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LA DERNIÈRE ÉCLIPSE DU SIÈCLE

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L’union céleste

Jeudi 12 août 1999

FESTIN DE L’ECLIPSE A LA CROIX-GUILLAUME

Averses, hydromel et bonne humeur…

Fruits Avant midi, des trombes d’eau ont largement arrosé le site archéologique de la Croix-Guillaume, à Saint- du soleil

Quirin. Il en fallait plus pour entamer la bonne humeur du groupe venu fêter l’éclipse solaire…

Les astres étaient favorables : Isabelle Flon et Charles Houpert ont attendu ce 11 août pour unir leurs destinées. CHATEAU-SALINS.— La loi ne prévoyant pas de se marier la nuit, un jeune couple a attendu le retour de la lumière hier, pour convoler en justes noces. Isabelle Flon, secrétaire, et Charles Houpert, enseignant, demeurant 3 rue Martin-L’Huillier à Château-Salins, ont dit « oui » devant le maire. Nos félicitations aux mariés de l’éclipse.

Saulnois : une faim de lune non rassasiée Côte de Delme, hauts de Phara, route de Vic-sur-Seille… Les points culminants du Saulnois étaient aussi noirs de monde que le ciel gris.

Une pluie astronomique le jour de l’éclipse… c’est évidement l’actualité. CHATEAU-SALINS.— 11 h 30 hier sur les hauteurs de Vic-sur-Seille : entre les touristes et les autochtones, les places de stationnement sur la petite route communale en rase campagne sont devenues chères. Il tombe des cordes. « Juste une averse », lance un rigolo dans la foule. Si seulement… Les gens rangent les lunettes "spéciales" et sortent les parapluies, sans quitter la voûte céleste des yeux. Une pluie astronomique le jour de l’éclipse… c’est évidement l’actualité. 11 h 40 : toujours le déluge. Spectacle consternant pour les innombrables personnes venues parfois de loin pour voir la nuit de midi. Des Hollandais ont planté longues vues et matériel photographique sous l’abribus. 11 h 55 : alors que Balavoine

chante l’amour à la radio, un petit coin de ciel bleu se dessine. L’espoir renaît dans les rangs, surtout que le reporter à bord du Concorde cherche ses mots pour décrire l’incroyable lumière – au dessus des nuages il s’entend –. « C’est magnifique », s’écrie la voix. Pas drôle : ici, c’est toujours gris à travers les hublots. Pauvres terriens ! La pluie cesse, le soleil fait une apparition. Trop brève, car il est déjà 12 h 20 et les nuages ont repris du large. L’heure tourne ; l’obscurité tombe sur la campagne. Les vaches dans le pré broutent, imperturbables. Les derniers automobilistes encore en piste se garent. A 12 h 30, la départementale 955 est déserte. Il fait nuit : entre deux bouchons, c’est le moment de s’éclipser.

Morhange : la totale

11 h, la Croix-Guillaume : Réunis sur les hauteurs de SaintQuirin, amateurs d’astronomie ou curieux sont venus assister à l’éclipse solaire et au festin organisé par l’office de tourisme de Sarrebourg. Quelle déception ! De gros nuages noirs ont assombri le ciel et la pluie a commencé à déverser ses torrents sur le chantier de fouilles archéologiques. Chacun a tenté de se protéger comme il pouvait. Mais il fallait se rendre à l’évidence : « on ne verra pas grand’chose du phénomène tant attendu ». Malgré la valse des parapluies et autres cirés, Materne Hansch, président de l’office du tourisme et organisateur de la cérémonie, a convié le groupe à un repli vers la salle des fêtes de la commune. Peu après midi, si certains avaient choisi d’aller sous d’autres cieux, d’autres sont res-

tés fermement sur place, bien décidés à profiter du spectacle de l’éclipse sur ce lieu chargé d’histoire. « On n’a pas pu voir le soleil caché par la lune, mais on a été plongé dans une nuit venue d’on ne sait où. C’était magnifique et terriblement surprenant ! En plus, choisir ce site attestait d’un certain état d’esprit. Une sorte de recul par rapport à toute cette médiatisation. Nous avons voulu créer une belle fête et tout a fonctionné dans ce sens » avouait Materne Hansch. Alors, vers 13 heures, tout le groupe s’est retrouvé pour un festin digne de nos ancêtres gallo-romains, à la salle des fêtes de Saint-Quirin. Dans la bonne humeur, chacun a pu savourer le sanglier à la broche et faire tinter les verres d’hydromel… « A la santé de la prochaine éclipse ! »

Le nez dans les étoiles, le groupe du festin a rêvé d’une journée sans nuages. C’était la nuit un court instant et, promis, ils seront tous là, en 2081.

Marta, la charmeuse de lune Marta Kratochvilova est une joueuse de flûte émérite. On raconte que les sons produits par son instrument sont capables de charmer les esprits, comme les forces célestes. Sur le site, l’artiste a tenté à maintes reprises de s’exécuter. Elle voulait ravir la lune pour qu’elle rende le soleil au plus vite. Hélas, les éléments se sont déchaînés. A tel point que même les parapluies et les parasols censés la protéger ne servaient plus à rien. Alors, l’instrument s’est endormi. Et Marta a attendu d’être au sec, à la salle des fêtes, pour charmer cette fois… le public !

Toute la forêt frissonnait aux échos fantastiques de la flûte de Marta.

MORHANGE.— Tristes mines sur la commune : les étrangers venus de loin pour jouir du spectacle se désolent, pas l’ombre d’une éclaircie. Les choses s’enveniment et la pluie fait son apparition vers dix heures. Pourtant certains espèrent encore et les navettes du comité de pilotage jeunesse fonctionnent emportant sous les gouttes les animateurs de la ville et les jeunes Morhangeois, plein

d’espoir vers la Mutche. Quelques minutes avant la totalité c’est l’éclaircie tant espérée. Tous profitent du spectacle grâce aux précieuses lunettes. Pour les plus jeunes, les responsables du centre aéré Familles Rurales avaient cousu des élastiques afin qu’elles s’ajustent parfaitement sur les petits nez. Lorsque l’obscurité s’est faite, tonnerre d’applaudissements dans les immeubles.

Présent à Saint-Quirin, Philippe Sornette, responsable de la LPO (Ligue Protectrice des Oiseaux), a observé les animaux et a noté un changement notable du comportement de nos amis à plumes et à poils durant les instants où le phénomène céleste a eu lieu. « A 12 h 28, tout un groupe d’hirondelles a volé très vite, près de leurs nids. Une minute plus tard, elles se sont toutes posées. Durant l’obscurité, elles n’ont pas bougé. Lorsque le soleil a commencé à réapparaître, l’une d’entre elles s’est envolée. » Près de la chapelle haute, on a entendu des chiens hurler leur angoisse, juste au moment de l’éclipse. Dans le village, deux papillons de nuit virevoltaient autour d’un lampadaire. Quant au roi de la bassecour, le coq Agenor, il a chanté lorsque la lumière est revenue.

Les pieds dans l’eau la tête dans les nuages

Conférence et concert CHATEAU-SALINS.— Le sujet développé par Roger Klein, astronome amateur, lundi soir au lycée agricole a passionné une salle comble venue en savoir plus sur la valse des planètes et les cadeaux de la lune (saisons, marées). Un thème autant d’actualité que le concert donné hier soir en l’église de Château-Salins. Eclipse oblige, Jean-Philippe Fetzer, organiste à la basilique Notre-Dame de Lourdes à Nancy, a charmé les mélomanes avec un programme musical entièrement dédié aux astres. Un coup de chapeau à Dominique Klein, instigateur de ces deux rendez-vous placés sous le double signe du soleil et de la lune.

Mathilde : du "déjà vu"

A Lutzelbourg, les lunettes sont restées dans les poches, et les parapluies ont chanté sous la pluie. Maudite météo ! LUTZELBOURG.— Au château de Lutzelbourg, on aurait aimé voir une multitude de visages masqués par des lunettes au reflet argent. Signe de bon augure. On a finalement assisté à l’éclosion d’une meute de parapluies. Chacun avait pourtant espéré que les nuages s’écarteraient pour dévoiler ce duel entre la lune et le soleil. Mais sous cette grisaille, les regards ont rapidement abandonné le ciel. Alors on a commencé à papoter, comme si de rien était. Certains se hasardaient même à pointer du doigt l’horizon qui semblait s’éclaircir. L’espoir était vain ; les premières gouttes de pluie apportaient une évidence : le soleil allait avoir rendez-vous avec la lune, en aparté, perdu entre les cumulus. Un groupe de Suisses faisait part de sa déception : « C’est malheureux, on ne voit rien ». Un peu plus loin, David, Stéphane et Ludovic avaient recouvert leurs appareils photos d’une veste ou d’un parapluie. La joie des Savernois s’était elle aussi assombrie : « On a

A Lutzelbourg, le soleil avait surtout rendez-vous avec la pluie ! Qu’importe car chacun a pu goûter aux délices d’une nuit en plein jour. Grandiose ! juste pris quelques clichés au début ». D’autres en revanche se hâtaient d’en rire, comme ces deux types hilares, apostrophant la foule : « Qui

veut nos lunettes, on les vends ! ». Avant que l’un d’eux ne réfléchisse : « Enfin j’attendrais tout de même la fin de l’éclipse, on ne sait ja-

Trempé, mais heureux ! Sur les bords de l’étang, le spectacle, splendide et émouvant, n’a laissé personne indifférent.

L’éclipse et… nos amies les bêtes

MORHANGE.— Commande spéciale pour un jour d’exception : c’est avec plaisir que le pâtissier Didier Foltz à l’enseigne du « Pain doré » à Morhange a mis tout son talent au service d’un gâteau très éclipsé. Mousse aux chocolat, crème pâtissière et génoise, arrosé d’alcool de mirabelles et fourré des précieux fruits du soleil Lorrain… elle avait bon goût l’éclipse du 11 août.

A Lutzelbourg, le temps exécrable a « éclipsé » les photos de Patrick. Tant pis, il a vécu l’évènement. L’éclipse totale n’est pas encore une réalité. Il reste une bonne heure. Patrick explique à son fils Frédéric, croquis à l’appui, le phénomène de l’ombre projetée par la lune. Accompagné de sa famille et de quelques amis, cet amateur d’astronomie est un peu excité à l’idée de découvrir pour la première fois le face à face de la lune et du soleil : « J’avais vu quelques éclipses partielles auparavant,mais là, c’est tout simplement exceptionnel, d’autant qu’elle est visible à midi ». Nanti d’un petit télescope d’un diamètre de 120 mm et d’une focale de 720 mm, ce dernier entend bien immortaliser

l’évènement : « Je m’en sers aujourd’hui comme téléobjectif photo ». Sans oublier d’y ajouter le filtre ad hoc « qui divise environ un million de fois le flux lumineux ». Peu avant 13 h, le jour a repris ses droits, l’éclipse totale n’est plus qu’un souvenir… Mouillé de la tête aux pieds par ces satanées averses, Patrick livre ses premières impressions : « Je ne pensais pas que l’obscurité viendrait aussi rapidement ». Quant au temps subitement désastreux, il cherche une explication : « Peut-être que le refroidissement de la température a accéléré les précipitations ». Mais il n’en a cure. Il a vécu cet instant magique : « On est trempé mais on gardera un bon souvenir, c’est ça qui est important ». Il a bien raison.

Si la météo a éclipsé ses photos, Patrick (ici avec son fils) a toutefois savouré l’évènement. Il est heureux.

mais ». Et puis le moment tant attendu est arrivé. Inspiré par la pluie, un groupe de jeunes s’est soudainement lancé dans une farandole im-

provisée, en chantant gaiement « I’m singing in the rain ». Pas de chance. A cet instant l’averse s’intensifia, provoquant une nuée d’éclats de rire. La danse de la pluie avait fait son effet. La nuit est alors brusquement tombée. Concert d’applaudissements : « c’est encore plus impressionnant qu’avec un ciel bleu. On dirait la fin du monde », lâchait une dame. Puis le jour est revenu, presque plus rapidement, salué une nouvelle fois par la foule. Quant à la pluie, elle demeurait insolente. A l’abri dans la tour pentagonale du château, quelques personnes évoquaient tous ces « chanceux qui ont assisté à l’éclipse en concorde ». Tandis qu’une femme acceptait les intempéries avec philosophie : « Au moins, les gens qui n’avaient pas de lunettes ne regretteront rien, et il n’y aura pas davantage d’aveugles en France. Tout va bien ». Quant aux autres, ils regagnèrent prestement leurs véhicules. Et devinez quoi ? Ils s’éclipsèrent !

Mathilde, âgée de 96 ans, a déjà vu une éclipse au début du siècle et ne regarde jamais deux fois le même spectacle. GUINZELING.— C’est aux fins fonds du Saulnois que Mathilde, doyenne de Guinzeling, a été surprise en train de lire le Républicain Lorrain. Oh, pas les articles consacrés à l’éclipse… Le sujet la laisse de marbre. Née en 1903, elle se souvient de la première éclipse du siècle : 1912. « J’avais 9 ans. Accompagnée de nombreux habitants du village, j’ai été au jardin suivre la course de la lune devant le soleil. Pour se protéger les yeux, tous les moyens étaient bons ». Une simple plaque de verre recouverte de suie a fait l’affaire. L’observation a été brève, le travail des champs ne connaissant pas de répit. Les journaux y avaient consacré un tout petit entrefilet, c’est tout. En 1961, elle n’a même pas levé la tête. Et hier, dernière éclipse solaire du millénaire ou pas… à midi et demi, Mathilde est passée à table.

Textes : Isabelle FERET, Céline REICHART, Romuald PONZONI, Olivier SIMON et Olivier PIERSON en collaboration avec les correspondants locaux. Photos : Bruno ESTRADE, Laurent MAMI et Gilbert HECKLER.


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LA DERNIÈRE ÉCLIPSE DU SIÈCLE

Jeudi 12 août 1999

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Il a fait nuit sous la pluie

P a roles de terr i e n s

Philippe Fontan, 30 ans, est dessinateur industriel. Féru d’astronomie, il est aussi membre du Club Astro de Blénod, présidé par Patrick Brandebourg. Jœuf.— Mamoud Chalekh, 25 ans, de Saint-Privatla-Montagne, pratique la boxe française à Jœuf. Premières impressions : « On se croirait dans un film, ça fait drôle, le plus fou, c’est que la nuit tombe aussi vite. C’est exceptionnel ». Mahmoud avait entendu parler d’un autre phénomène : un œuf pourrait tenir debout durant l’éclipse totale. Les paris étaient ouverts. Mamoud était perplexe : « A mon avis, c’est impossible », et il a eu raison.

D

Briey.— Kevin, 10 ans, a vu l’éclipse au plan d’eau de Briey. Il avait pris sa peluche pour ne pas la laisser toute seule. Tout au long du phénomène, il l’a serrée contre lui « pour pas qu’elle devienne aveugle. Le spectacle m’a impressionné mais je pensais que la nuit totale durerait plus longtemps ».

Villerupt.— M. Chinotti, 70 ans et résidant à Crusnes, avait tout prévu hier pour fixer l’éclipse sur la pellicule… à tout jamais : camescope sur pied transporté en haut d’une colline, lunettes spéciales fin prêtes… tout y était. L’installation du matériel lui a permis de passer le temps avant l’heure H. « Ce n’est pas ma première éclipse, raconte-t-il. C’était dans les années 40, j’avais 13 ans, j’ai vu une éclipse partielle. C’était en octobre puisqu’on avait ramassé les patates !

Longwy.— « C’était superbe ». Pas démontée pour deux sous par le temps nuageux, Jacqueline a passé une "éclipse" fantastique, « ça vous prend là », dit-elle en pinçant son cou entre deux doigts. Enthousiaste ? « Le moment le plus émouvant, c’était lors de l’éclipse totale quand on a pu observer le reflet du soleil tout autour de la lune ». Et c’est décidé, elle donne rendez-vous à tous ses amis pour l’an 2081.

Jarny.— « Avant, c’était moi qui voyait se lever le soleil. Maintenant c’est l’inverse. » Roulant SNCF en retraite, Michel Petit-Dumont a un faible pour le ciel. Ce Jarnysien de 60 ans n’a pas manqué d’observer l’éclipse. « Vu le temps, j’étais très pessimiste. Finalement, on en a vu pas mal. » L’obscurité qui est partie aussi vite qu’elle était arrivée l’a impressionné. « Je pensais que c’était plus progressif. »

Blénod.— « Pendant 45 secondes, une minute, on a vu un quart du cadran solaire recouvert par la lune, remarque Laurent, 38 ans, de Blénod. Je pensais voir ça, je ne suis pas trop surpris car je l’avais déjà vu à la télévision… Sinon bien sûr, à part la nuit, on n’a pas vu grand chose. Mais bon, nous, on a bougé de Toul en famille et c’était surtout pour nous une occasion de se retrouver ».

epuis ce matin, on court partout. On a vérifié que la sono était bien branchée, on a mis en route l’horloge, contacté la météo ». Matinée d’autant plus éprouvante à Blénod-lès-Pont-à-Mousson que la nuit fut courte : la veille, Philippe et ses camarades du Club Astro ont participé à l’émission "la Nuit des Etoiles" et sont revenus de Manderen à 3 h du matin. L’horloge électronique, installée pour l’occasion sur la pelouse du stade Marcel Crusem, affiche 11 h 15, les gens commencent à chausser leurs lunettes cartonnées pour observer le ciel. Mais les nuages masquent le spectacle, il faut attendre. Et la pluie qui commence à jouer les troublesfêtes bouleverse quelque peu l’organisation. Conséquence, Philippe se dépêche de ranger le télescope muni du filtre Halpha (celui qui, relié à une caméra, devait permettre de suivre l’éclipse à la télé) sous la tente dressée près du banc de touche. La mine est sombre mais Philippe garde espoir : « Pendant l’éclipse, l’ombre

génère une baisse de la température et ça crée une dépression qui pourrait chasser les nuages. Alors peutêtre… » 11 h 50, une éclaircie entame une percée. Philippe enfile vite ses lunettes, aperçoit le soleil découpé en croissant, c’est l’éclipse partielle. Elle ne sera visible qu’une minute. Dommage, « on n’a pas eu le temps de remonter les télescopes… On va essayer de profiter du spectacle à l’œil nu, en prenant quelques photos peut-être ». Un blouson bleu marine sur le dos, Philippe s’obstine. Court chercher son camescope dans sa voiture. Pendant ce temps, la lune continue son bonhomme de chemin. Il est 12 h 28, le ciel s’assombrit, il fait nuit en plein jour. C’est l’éclipse totale. Philippe scrute le ciel dans tous les sens. Sans résultat. « Non je n’ai rien vu, il y avait trop de nuages, on s’est juste aperçu qu’il faisait nuit », lâche-t-il, amer. La pluie, elle, se défoule et déchire le ciel redevenu clair, qui regarde les spectateurs fuir vers leurs voitures.

Passionné d’astronomie, Philippe Fontan est resté sur sa faim… La faute aux nuages et à la pluie.

Timbres et symboles

Remboursez ! Remboursez ! Grosse déception sur les hauteurs de Pont-àMousson. Le rendez-vous tant attendu entre la lune et le soleil a été quasi intégralement masqué par des trombes d’eau. « Remboursez, remboursez ! », s’est mis à scander à l’unisson le public frustré. Pour autant aucun nuage n’a réussi à contrarier la bonne humeur générale. Le simple plaisir d’une communion avec la nature a même été dopé par l’irruption de la nuit totale. En contrebas, la vision des éclairages de ville à la mi-journée a compensé le déficit d’éclipse.

Pas d’effet bœuf à la ferme

Une fièvre de cheval

Des milliers de visiteurs

Hier, sur le site d’Homécourt, Marcial Paygnard s’est fait une belle peur. Au milieu du rassemblement et des stands, il proposait des balades à cheval. Mais pendant l’obscurité, ses deux islandais ont été pris de panique. « Si je n’étais pas venu les calmer dans l’enclos, il se seraient sauvés », a expliqué le propriétaire. Mais heureusement, à son contact et au son de sa voix, les deux destriers se sont calmés. « Je suis étonné, je ne pensais pas qu’ils réagiraient comme cela, ils étaient en sueur ! » La foule et les cris n’ont sûrement pas arrangé cette peur… astronomique !

La ville de Briey compte 5 000 habitants. Autant que le nombre de visiteurs venus voir l’éclipse : 3 500 au bord du plan d’eau et 1 500 sur le stade de football. A Homécourt, située sur la ligne de totalité, 3 000 personnes ont connu l’émotion de la tombée de l’obscurité sur le site du Haut-des-Tappes. Le PED de Longwy a accueilli 1 500 curieux. A Jœuf, ils étaient environ 200. A Mance, une centaine d’enfants se sont retrouvés au centre aéré. La base de Serry à Moineville a accueilli 200 personnes, dont 20 % de Néerlandais et d’Allemands.

Personne n’oubliera. Mais, pour marquer l’événement, à Homécourt, l’atelier artistique (AAH) a vendu 2 000 cartes postales et enveloppes. Et, la Poste a oblitéré 4 000 timbres dont 3 000 sur le site du Hautdes-Tappes et 1 000 dans les bureaux homécourtois. Quant aux enfants du centre aéré de Mance, ils ont planté deux arbres, symbolisant la force et la vie. En face, une roche a été placée pour perpétuer le souvenir de cette journée unique.

A Landres, les aéromodélistes professeurs avec Vénus

A l’élevage du Bréau à Béchamps, Claude Warin n’était pas du tout tourmenté hier matin par les éventuels effets de l’éclipse sur ses animaux.

Aidés par Dame Météo, le club d’aéromodélisme de Landres et les élus de l’EPCI ont offert un beau cadeau à une centaine d’enfants des centres aérés.

La lune sans lunettes

L’éclipse totale de soleil n’a pas franchement perturbé les vaches de Claude Warin, éleveur à Béchamps. Les enfants des centres aérés ont pu profiter des explications des spécialistes.

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omme à l’accoutumée, ses vaches laitières ont regagné le pré après la traite de 7 h. Avant l’événement et pour les occuper, certains agriculteurs avaient décidé d’apporter plus de fourrage aux bovins. La famille Warin n’est pas de cet avis : « Il faut laisser faire la nature », recommande Claude. Cet éleveur et sa femme Anne-Marie sont plutôt préoccupés par le retard de leurs amis exploitants, invités autour d’un barbecue à fêter la fin du spectacle céleste. Tous les convives, enfin arrivés, partagent la même inquiétude, les yeux tournés vers le ciel gorgé de nuages. Les vaches, quant à elles, sont loin de se douter de la scène qui se prépare. Elles pâturent allègrement et, contentes d’avoir de la visite, s’approchent de la clôture. La Lune arrive à grande vitesse. La luminosité s’habille de son manteau cendre bleue comme au crépuscule. A 12 h 27, la nuit tombe brutalement, affolant les pin-

tades de nature très craintives. Les gazouillis de leurs congénères se sont tus. Aucun bruit n’est perceptible, si ce n’est les cris de joie, humains cette fois-ci, qui déchirent la nuit. Nos vaches, imperturbables et insensibles à la baisse de la température, continuent à paître. Leila se lève, puis rumine, intriguée par la présence de son propriétaire, à ce moment de la journée. Brusquement, un nuée d’étourneaux prend son envol et traverse le ciel. « Les sansonnets sont perdus ! Ils repartent se coucher comme tous les soirs vers l’étang de Lanhères », s’exclame Claude. Le jour fait son retour aussi rapidement qu’il s’est absenté. Avec lui, la volée d’étourneaux toujours aussi perturbés. Et le cocorico attendu du coq ? Le volatile est resté muet alors qu’il fait si souvent ses gammes. Le soliste à plumes a pourtant salué les rayons insolents et tardifs du soleil.

Difficile de comprendre pourquoi il faut mettre des lunettes pour ne plus rien voir. Cette fillette de Hayange, venue hier à Briey, en a fait l’expérience. Elle a aussitôt voulu arracher les protections au grand dam de sa maman.

La 23e éclipse de Pierre Bourge Pierre Bourge est ce qu’on peut appeler un astronome amateur éclairé. Résidant en BasseNormandie, il est venu rendre visite à des amis lorrains passionnés, eux aussi, par l’éclipse. Il s’agissait de sa 23e éclipse totale ou annulaire. « Mais, déplore-t-il, je ne les ai pas toutes vues à cause des conditions météorologiques ». Comme la première, le 30 juin 1954 en Suède : « Les conditions météo étaient exécrables. En comparaison, celle du 11 août était beaucoup plus belle ». Un regret tout de même : le ciel était couvert à 98 %.

A Landres, l’EPCI et le club d’aéromodélisme de Landres-Blénod ont eu la baraka : le temps d’une "fenêtre", les enfants des centres aérés de Piennes, Bouligny et Tucquegnieux, les élus des communes adhérentes à l’EPCI, les membres du club d’aéromodélisme, les amis des uns et des autres ont pu voir l’éclipse totale dans son intégralité, avec son anneau. Et comble de chance, Vénus, elle aussi, était au rendez-vous. Quand la lumière est revenue, Mohamed, Emeline, Rémy, Vanessa et leurs copains d’une voix émue, ont commenté le grand moment qu’ils venaient de vivre : « Il faisait froid » lance Vanessa. « Il y avait un anneau et une petite étoile » raconte Mohamed. Rémy, comme beaucoup, a trouvé que c’était « trop court »… Les enfants ont d’autant mieux profité du spectacle qu’ils ont bénéficié des "cours" de sept jeunes aéromodélistes, professeurs, ingénieurs

et étudiants qui avaient décidé de se mettre au service des enfants. Les explications ont été fournies sous forme d’un jeu de piste à partir de 10 h. Sylvain, Virginie, Georges, Pascal, Fabrice et Nicolas ont expliqué le mécanisme de l’éclipse de soleil…et de l’éclipse de lune. « Plus on est loin, plus les objets nous semblent petits », concluent ensemble, Sylvain, et un groupes d’ados qui vient de vérifier les faits grâce au prunier voisin ! Professeur de technologie, Sylvain confie être heureux d’expliquer aux enfants « tout en adaptant le discours selon l’âge ». Et comme il était plus intéressé par « la magie de la nuit » que par l’observation continue du phénomène, Sylvain n’a pas été frustré d’accompagner les enfants. Multipliant les « surtout, mettez lunettes quand vous regardez le soleil », Sylvain, Virginie et leurs amis modélistes ont trouvé leur bonheur dans les commentaires admiratifs des gamins.


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LA DERNIÈRE ÉCLIPSE DU SIÈCLE

La famille Bertin… à la télé « J’ai tout vu ». Pourtant, Daniel Bertin n’était pas dans les rues joviciennes, hier matin. Il est resté dans sa maison, au 63, rue Sainte-Alice, à Jœuf, pour regarder l’éclipse… à la télé. « Je ne prends aucun risque comme ça. Les lunettes sont bonnes, pas bonnes… on ne sait pas », a fait remarquer Daniel, très méfiant. Ainsi, il est sûr « de ne pas avoir mal aux yeux ». Daniel est boulimique de documentaires, il a été servi et « par des professionnels », affirme-t-il. Lorella, sa femme, même si elle est restée, la majorité du temps, également devant le petit écran, s’est finalement laissée tenter tout comme Ludovic, l’un de ses deux fils, 13 ans, et Mickaël, un cousin âgé de 11 ans : « J’ai regardé trois secondes. J’ai vu un tout petit croissant ». Lorella a même levé le rideau alors que la pénombre était tombée dehors, et que les lampadaires s’allumaient dans la rue. « J’ai aussi entendu des cris à l’extérieur », fait remarquer la Jovicienne. Selon Daniel, aucune étape ne leur a échappé : « C’était étrange de voir qu’il faisait jour ici et nuit dans d’autres endroits… ». Et, le Jovicien estime que « les émotions sont les mêmes ». Et, il ajoute avec un sourire : « On était mieux servi que ceux qui étaient en dessous ».

Jeudi 12 août 1999

De Bruxelles à Amsterdam… via le pays de Longwy

Ludovic, Daniel, Lorella et Mickaël n’ont pas levé les yeux au ciel… De Bruxelles, Amsterdam ou d’ailleurs, de nombreux frontaliers ont convergé vers la région longovicienne.

La famille Mohandi… au plan d’eau Parmi les 3 500 spectateurs de l’éclipse venus hier sur le parking du plan d’eau, une famille de Mirecourt (Vosges) a fait le déplacement à Briey. Farid Mohandi, son épouse et leurs trois enfants Anthony (14 ans), Jennifer (10 ans) et Kevin (9 ans) sont venus avec Jérôme, un ami d’Anthony et leur chien Kiki. « Nous partons ce soir en camping dans le midi, mais avant de boucler nos valises nous voulions voir l’éclipse, ici, à Briey, car le site figurait sur le programme télé ». Et Kevin d’expliquer le processus à sa famille : la lune entre le soleil et la terre, les lunettes… Entre deux éclaircies dévoilant le ballet céleste, les discussions reprennent. 12 h 17, un petit croissant lumineux subsiste.

Avant son départ en vacances, la famille Mohandi ne voulait pas rater le rendez-vous du soleil avec la lune.

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« Tiens, à Mirecourt, ils doivent voir comme ça, mais pas plus », lance le père. Le chien Kiki commence à aboyer, Farid le porte… Anthony rappelle qu’il a observé le soleil à l’école "en indirect" avec un télescope. Les ténèbres approchent et voilent le sol. Un vent froid surprend la mère et la fille. Kiki se terre contre son maître. 12 h 27 et 34 secondes, le top est donné. La nuit et le silence sont intégrales. Entre les nuages, toute la famille observe la couronne lumineuse entourant le rond noir. « On ne voit plus rien, oh ça revient ! ». Pendant 2 minutes 18 secondes, le temps suspend son vol. Et le croissant de lumière déborde l’astre de la nuit. « On ne s’est pas déplacé pour rien ».

Des bouchons entre Longwy et Longuyon, des cohortes de voitures étrangères, des champs pris d’assaut, des bottes de paille en guise de perchoir, nul doute, l’éclipse n’a pas laissée nos voisins frontaliers indifférents. Certains chasseurs d’éclaircies n’ont pas hésité à parcourir plus de cinq cent kilomètres. « Nous sommes partie de Hollande ce matin à quatre heures, juste parce qu’on nous avait dit qu’ici ce serait dégagé… » explique Rosemarie Dejong assise au milieu des blés fraîchement fauchés en compagnie de sa famille. « On savait qu’il y avait des animations proposées, mais on préférait un peu d’intimité… » poursuit-elle. Et comme pour le temps, de ce côté-là, c’est aussi la pagaille, mais joyeuse. Stationnement sur le bord des

routes, petit déjeuner dans le foin, tentatives d’échanges culturelles et linguistiques, les champs ne sont plus qu’une immense tour de Babel. Et c’est encore par signes que l’on se comprend le mieux… Pierrot et Jeanne eux viennent de Bruxelles, « c’est pas si loin finalement… » L’éclipse, ils en rêvaient depuis longtemps, alors forcément les nuages, ça les dérange un peu. « Mais pas tant que ça en fait, on en profite pour discuter avec nos voisins, des gens de Bruxelles aussi, comme quoi le hasard… » Hasard qui fait bien les choses puisqu’au gré de petites éclaircies, passionnés ou néophytes, Belges, Hollandais ou Allemands ont pu apercevoir le soleil s’embraser pour la lune. Histoire de ne pas avoir fait le déplacement pour rien !

L’éclipse de toutes les générations Mousson : plus d’un millier Virginia Penza, 98 ans et sa première éclipse totale

Pour sa première éclipse, Virginia Penza, 98 ans, n’a vu ni la lune ni le soleil… mais la nuit. 11 h 30 hier matin, Virginia Penza fait le guet à sa fenêtre, du Foyer pour personnes âgées, à Homécourt. Elle attend ce que ses yeux n’ont jamais aperçu en 98 années sur cette terre : la fameuse éclipse totale du soleil. La doyenne d’Homécourt est aux premières loges. Tout cela, elle l’a bien compris car elle a disposé son fauteuil près de la fenêtre et ses lunettes de protection sur le radiateur tout proche. Des amis font irruption dans sa chambre, les

discutions fusent en français et en italien. La plus ancienne des bilingues de la chambrée reste intraitable : elle n’a pas très envie de mettre ses lunettes au moment clé. A l’échelle d’une vie, ces deux minutes lui semblent bien dérisoires. Elle est loin d’avoir peur. D’un air malicieux, elle répète plusieurs fois : « Tout ça, c’est des blagues ! ». Finalement, elle a bien vu la nuit tomber, mais le soleil et la lune ne lui ont pas fait de clin d’œil…

Des regard d’enfants baignés de soleil

de personnes sur la butte

Michela Torti, 5 ans, venu d’Italie, n’a pu s’imaginer un instant le ciel autrement que bleu clair. Sur le site d’Homécourt un stand en particulier a attiré l’attention : celui des peintures réalisées par les enfants. Avant que le rendez-vous céleste ne se déroule, 52 enfants avaient déjà pris les pinceaux pour exprimer leur vision de l’éclipse. Ainsi Michela et Giulia Torti, 5 et 13 ans, venus d’Italie n’ont pu s’imaginer un instant le ciel autrement que bleu clair. Leur œuvre, baptisée Eclipsa solaria, ne tient donc pas compte des nombreux cumulus et montre un disque noir recouvrant une grosse boule claire, sous fond d’azur. Venus en vacances pour rendre visite à de la famille homécourtoise, les parents de Michela et de Giulia s’étaient renseignés à l’avance sur cette journée historique. Tous étaient protégés.

Les enfants du centre aéré de Loisy… les yeux vers le ciel. Bousculade sur la butte de Mousson. Plus d’un millier de chasseurs d’éclipse ont convergé vers la colline surplombant la Moselle. Marcel et sa petite famille ont posé dès 9 h leurs sacs sous la grande tente prévue à cet effet. Ils ont fait la route

depuis Saulxures-sur-Moselotte, dans les Vosges. Grands parents, parents et enfants ont patiemment attendu l’événement sous une pluie quasi incessante. Quelques minutes avant la nuit totale, un croissant de soleil a salué l’assistance. Mais la fusion

de la lune et du soleil s’est jouée derrière les nuages. « Heureusement, mon fils est resté à la maison pour brancher le magnétoscope. On va pouvoir suivre l’éclipse avec un léger différé à la télé ». Contre mauvaise fortune bon cœur.

Attente, observation, derniers réglages et prises de vue. Membre du club d’astronomie d’Amnéville, Christian Loess avait tout prévu pour ne pas manquer ce rendez-vous exceptionnel.


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Et le coq chanta A Montenach, comme partout ailleurs, l’éclipse du soleil tant attendue était au rendezvous. Les nuages se sont eclipsés cinq minutes avant la phase finale. Montenach était donc aux premières loges pour offrir, à tous ceux qui ont choisi son site, un des spectacles les plus passionnants de la fin de ce siècle. Et il fut magnifique ! Pendant près de deux minutes on put ad-

mirer l’éclipse totale : la couronne entourant le disque noir masquant le soleil fut impressionnante, splendide. Tout de suite, dès que le premier diamant de soleil refit son apparition, le coq chanta. M. le maire avait perdu le pari qu’il avait engagé avec Julie, sa fille : « Je suis sûre qu’après la nuit engendrée par l’éclipse, le coq chantera »..

Camping à Queneau L’auberge de jeunesse de Thionville a été prise d’assaut depuis quelques jours, au point que les responsables des lieux ont demandé (et obtenu) l’autorisation de la municipalité pour l’installation de tente dans l’enceinte du parc Queneau. L’initiative a été un réel succès. Certains visiteurs ont même été s’acheter des toiles de tentes pour pouvoir passer la nuit à Thionville et être présent pour le jour J.

Rombas : les cieux bénis des Dieux Le ciel capricieux n’a pas gâché le sublime mariage du Soleil et de la Lune. Les nuages ont tiré leur révérence devant le spectacle magique de l’éclipse totale.

Du vide au trop plein Devant la mairie, juste après la tombée de la "nuit", des groupes de jeunes et astronomes bien équipés commentent l’événement dans l’effervescence.

Nuages contre éclipse Un partout, la foule au centre Autour de la place du Marché à Thionville, les observateurs de l’éclipse ont craint le pire. Mais après une première phase décevante, la foule, plongée dans la nuit, a finalement été conquise par la magie du spectacle.

Tous ont communié dans la même liesse à la grand’messe du ciel. ROMBAS. — Grandiose. Pourtant, quelques minutes encore avant le mariage sublime du soleil et de la lune, les deux mille personne invitées à la noce au Fond-Saint-Martin de Rombas pouvaient craindre le pire. Jusqu’à la dernière seconde, les nuages ont mis à fleur de peau les nerfs des spectateurs, projetant sur le grand écran céleste toutes leurs nuances de

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gris et de noir. Seuls de rares croissants de lumière volés au ciel, heureux présages, arrachaient à la foule des cris de joie mêlés de doute. Mais ce jour-là, contrairement à de nombreuses communes voisines où l’éclipse a été clouée au piloris, Rombas était bénie des Dieux. A 12 h 27, heure locale de l’éclipse totale, le barrage de nuages couvrant les astres s’est rompu comme par enchante-

Une éclipse pour créer des liens… Deux jeunes demoiselles fraîchement débarquées de leur Espagne natale ont pu se rendre compte de l’élan de solidarité qu’a engendré la dernière éclipse du siècle à Thionville. « Mardi soir, l’auberge de jeunesse était pleine, plus une place, alors de jeunes Italiens qui avaient planté leur tente derrière l’auberge nous ont gentiment proposés de partager la tente » Irène et Rachel n’ont pas hésité mais en tout bien tout honneur. Pas de doute, ça rapproche une éclipse !

ment, laissant place à la magie d’une lune noire cerclée d’or, à l’unisson de l’étrange obscurité environnante qui faisait croire au plus beau des sortilèges. A n’en pas douter, le spectacle se jouait autant sur terre que dans les airs : les visiteurs venus d’ici et d’ailleurs, ne formaient plus qu’une marée de bras tournés vers le ballet cosmique, pas de deux mouvant, émouvant et pénétrant.

THIONVILLE. — Il n’aura fallu aux astres qu’un bref quart d’heure pour emporter l’adhésion de la foule immense amassée entre l’Hôtel de Ville et la place du Marché à Thionville. Pourtant, des nuages encore plus impopulaires qu’à l’accoutumée, ont caché aux "observateurs" thionvillois toute la première phase du phénomène. Installés sur place depuis parfois plusieurs heures, les adorateurs du soleil ont joué au maximum la carte de la diversité. Toute la matinée, les accents étrangers des touristes ont côtoyé le jargon professionnel des serveurs et commerçants de la place, tandis que les rires des enfants explosaient sur fond de discussions scientifiques entre astronomes d’un jour. Soudain, un cri surgit devant l’Hôtel de Ville, entraînant tous les regards dans la même direction : « une éclair-

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cie ! C’est bon ! ». Malheureusement, ce petit cadeau des nuages n’est pas encore en phase avec la localisation de l’éclipse. Problème de coordination céleste.

Brève déception Fausse alerte, donc, vite traduite sur les visages déçus des observateurs. Les lunettes se replient, les épaules retombent, les discussions reprennent sur un ton aigre. Le découragement s’empare alors de la foule, qui maudit en chœur le cabotinage inopportun des nuages. Un homme, parapluie en main, adresse de grands gestes à l’éclaircie, tentant de lui proposer une translation qui contenterait tout le monde. Les gens sourient, unis dans l’attente. Puis un nouveau cri éclate : « Ça y est ! ». Effectivement, l’éclaircie ayant suivi les conseils de l’homme au parapluie, la rencontre de l’astre et du satel-

On savait que les sites élevés allaient être les plus prisés pour bien vivre l’événement. Et au hit-parade des "hauteurs" prises d’assaut, la palme revient sans doute au Stromberg à Sierckles-Bains. Dès hier matin, il fallait jouer des coudes pour y trouver une place. Pour les arrivants du jour, c’était d’autant plus difficile que des petits futés avaient pris les devants en s’installant avec leur tente depuis plusieurs jours déjà.

Déception à Amnéville

L’émotion et la déception se sont côtoyées hier à Hayange où les nuages ont joué un vilain tour à un public venu parfois de très loin…

Près de dix mille curieux, dont un tiers de Hollandais, s’étaient rassemblés au Centre thermal et touristique d’Amnéville. Malheureusement, les nuages ont éclipsé le spectacle. AMNEVILLE. — Tout avait pourtant été organisé avec minutie. Les huit cents invités de la Maison de l’Astronomie étaient installés depuis 3 h du matin sur l’esplanade du Galaxie. L’espoir au cœur, ils avaient pointé leurs lunettes et télescopes vers un ciel désespérément chargé. Les commentaires allaient bon train : « Mais si ! Tu verras, la météo a annoncé que le ciel se découvrirait aux alentours de midi ! » Lorsque le disque lunaire a commencé à grignoter le disque solaire, tous les visages se sont levés vers la voûte céleste dans l’espoir d’une éclaircie et, lorsque celle-ci se pro-

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Comment immortaliser une éclipse ? Attention aux photos, gare aux caméscopes, la télé n’est pas vraiment excitante. A Thionville on a trouvé la parade. Devant l’entrée de l’émouvant spectacle : Tintin sauvé par une éclipse, un petit stand bien modeste proposait des tee-shirts frappés à l’effigie de la vedette du jour Madame l’éclipse.

Ces policiers hayangeois ont spécialement été réquisitionnés pour veiller à la sécurité. Mais hier, la bagarre était dans le ciel, pas sur terre.

Des animations festives à Basse-Ham place de la salle des fêtes et le Comité d’animation hamois a continué à distribuer des lunettes acquises par la Municipalité. Bien qu’elles aient été conformes, elles ont été de peu d’usage vu la couverture nuageuse sur le coup de midi. On a pu se restaurer sur place et, après un lâcher de pigeons, une boum s’est déroulée pour les jeunes à la salle des fêtes.

Le Stromberg pris d’assaut

A Hayange, le ballet astral furtif

Qu’ils sont beaux mes tee-shirts !

Avant le départ en vacances, la Municipalité avait pris toutes dispositions afin que l’éclipse soit à la fois une découverte pour les habitants et l’occasion d’une journée de fête. C’est ainsi que la Société astronomique de France a pu présenter une exposition découvrant le soleil et les éclipses à travers le temps. Vers la fin de la matinée, on s’est réuni sur la

lite retrouve le premier rôle. Les observateurs s’emparent de leurs lunettes, voire de leurs masques à souder ( !), et fixent le spectacle. Cris de joie. Applaudissements fournis. C’est presque au même moment que la "nuit" tombe sur les places, plongeant l’assemblée dans une euphorie contenue, mais bien réelle. Certains plaisantent, d’autres se contentent de regarder les gens autour d’eux. Silencieux et incrédules. Puis, très vite, un peu trop vite sans doute, le Soleil revient sur scène, observé à la terrasse d’un café par un couple de militaires et par un groupe d’Espagnols, les yeux cernés par des lunettes métallisées. Alors tous les spectateurs oublient uniformes et cassecroûte, commentaires et appareils photos, pour redevenir de simples adorateurs du soleil. Jusqu’au retour des nuages.

12 h 29 : à quelques secondes de l’éclipse totale, l’autoroute A 31 est quasiment déserte dans le secteur de Thionville. Les camions n’ont plus le droit de circuler et les automobilistes ont préféré prendre les sorties et les aires de repos pour observer le phénomène sans danger. Mais quelques minutes à peine après le retour du jour, le flux de la circulation a repris son cours de plus belle au point que l’on a frôlé l’asphyxie dans l’heure qui a suivi.

HAYANGE.- Ce devait être le ballet astral le plus grandiose du siècle… Hélas hier, à Hayange, les nuages ont joué les trouble-fête. « On aurait dû aller en Hongrie. Là bas au moins, il fait beau, on aurait vu quelque chose… », regrettait amèrement Johannita Bergantz. Avec ses amis du club d’astronomie Altaïr, la jeune femme avait installé le matériel nécessaire à l’observation de l’éclipse sur les hauteurs de la ville. Un peu plus près des étoiles… Mais les télescopes, dûment équipés de filtres, n’ont été d’aucune utilité. Instants fébriles… Vite, une percée s’amorce ! Il est 11 h 45. « Mettez vos lunettes, mettez vos lunettes ! ». Le public s’extasie, crie, applaudit et admire les croissants de Soleil. Contemplation furtive, solitaire. On y croit. Certains croisent les doigts,

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duisait, les lunettes spéciales apparaissaient comme par magie et transformaient leurs utilisateurs en espèce d’extraterrestres aux yeux miroirs. Des applaudissements saluaient la brève apparition et un "oh" de désappointement retentissait au retour des nuages. Sur le golf, même scénario avec les membres du club d’astronomie d’Amnéville qui avaient installé leur matériel. Un haut-parleur annonçait les différentes phases de l’éclipse. Le compte à rebours faisait monter la tension. La fraîcheur qui s’installait, le vent qui se levait étaient autant de précurseurs de l’événement et lorsque, brutalement, la pé-

nombre s’est installée, l’émotion qui a saisi tous les spectateurs était palpable. Tout aussi vite, la lumière est réapparue et chacun a pu mesurer la beauté, la majesté de l’univers. Devant ce spectacle, une dame n’a pu retenir son émotion et a éclaté en sanglots en balbutiant : « Je n’y peux rien, mais c’est si beau, c’est si beau ! » A peine l’éclipse était-elle passée dans le ciel amnévillois que les nuages se sont éloignés et ont laissé la place à un soleil resplendissant. « Pourquoi nous ? » se sont lamentés les organisateurs des différents camps d’astronomes. Où fautil chercher la réponse… sinon dans le ciel !

d’autres scrutent désespérément l’horizon. Les touristes marseillais, bordelais ou allemands commencent à douter. « On est venu pour rien… ». Plus loin, un jeune homme joue du djembé. On ne sait jamais, dès fois que les cieux entendent l’appel… Mais rien n’y fait, la couche nuageuse s’accroche, empêchant de saisir le spectacle dans toute sa splendeur. « Dites, je rêve ou il commence à faire frais ? ». Comme prévu, la température commence à chuter. Quelques minutes plus tard, la nuit tombe. Un frisson d’émotion parcours la foule lorsque l’on aperçoit vaguement et durant quelques secondes l’éclipse totale. « C’est quand même exceptionnel, je m’en souviendrai », confie Bernadette. Demain, elle regagnera Le Vésinet, en région parisienne. Elle pourra dire : « J’y étais ».

Tous les moyens sont bons !

Des panneaux ont été commentés par des astronomes amateurs mais très férus.

Si les Thionvillois ont été gâtés par la mairie, d’autres n’ont pas eu la chance de pouvoir s’équiper de lunettes de protection new look. Au détour des différentes rues et places Thionvilloises on pouvait donc apercevoir quelques Mac Gyver en puissance usant et abusant de divers moyens pour entr’apercevoir un soleil bien capricieux. Certains affu-

blés de tristes masques de soudure ont d’ailleurs à coup sûr terrorisé plus d’un enfant, bien malgré eux. D’autres tentant l’impossible ont donné dans le recyclable en s’armant de carton en guise de visière et de bouteille plus ou moins opaque qui fera pour l’occasion office de filtrant… L’affaire était loin d’être dans le sac. Lunettes et télescopes étaient pointés sur un ciel désespérément chargé de nuages.


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Beau et noir… comme le Soleil

Tournesol au milieu des tournesols. Il fallait bien cela pour saluer le champ improvisé du parc Queneau arrivé à maturité.

Deux jeunes bien débrouillards Il parait que les Méditerranéens ont le sang chaud, cette petite affirmation fondée ou non n’a pas empêché deux jeunes Marseillais de faire preuve de lucidité et d’ingéniosité. A Thionville depuis une semaine, les deux étudiants sont venus pour l’éclipse : « Nous sommes à Thionville pour les vacances mais surtout pour photographier l’éclipse… ». Tout était prévu. Normalement aucune mauvaise surprise en vue… sauf le prix de certains filtres indispensables aux prises de vue du phénomène céleste. Or, ils n’ont pas assez de moyens pour investir dans des équipements spéciaux : le budget-vacances étant un peu serré. Advienne que pourra, les deux "kamikazes" décident de tenter leur chance sans artifices. Ils ont bien des lunettes de protection pour eux mais… « le jour même, on a finalement eu l’idée toute simple de scotcher les lunettes sur l’objectif. Ils serviront finalement de filtre de fortune… ». On ne demande qu’à voir le résultat !

Photo-montage.

A 12 h 27’ et 59", la place André-Malraux plonge dans la nuit en plein midi… sous les clameurs.

C’est à n’y rien comprendre Sur l’eau, les cygnes ont « failli devenir dingos », comme le constate un passant. La nuit tombée, l’espace de deux minutes, deux petits groupes se sont réunis en un seul, du côté de la rive gauche… pour aller dormir, visiblement !

Hier à Thionville, l’univers a tourné pour une poignée de minutes autour de la place André-Malraux. Le temps pour Tintin d’être sauvé par l’éclipse totale du Soleil… Le temps aussi, pour les milliers de personnes venues se masser devant la scène dressée pour l’occasion, de vivre un des plus riches moments d’émotion de leur existence. Même si, pudiques, Soleil et Lune se sont retirés derrière une épaisse purée de pois pendant les deux minutes et dix secondes de leur "rencontre totale", les fenêtres ouvertes dans les nuages ont été assez nombreuses pour que les cœurs puissent tout de même vibrer. Chroniques, réactions et anecdotes… 11 h 09 : avertissements en boucle concernant les dangers de l’éclipse. Le public s’est massé place AndréMalraux. Il attend que la magie opère sur scène et dans le ciel. Mais là-haut, le phénomène a commencé en toute discrétion… On commence à maudire le voile nuageux… 11 h 25 : les planches vibrent aux premières répliques. Bien des yeux scrutent encore le ciel. En vain… 11 h 51 : une épaisse fumée de théâtre baigne le public. Les têtes sont plus que jamais dans le nuages. Mère et fille s’interpellent : -« Vanessa, tu vois le Soleil ? -Dis maman, il est où Milou ? » 12 h 09 : une heure que Lune et Soleil se tutoient. Lors, ils décident enfin de nous faire profiter du spectacle ! « On ne voit rien avec les lunettes », crie-t-on un peu partout avant qu’une énorme bronca monte de la foule. De milliers de tête se tournent simultanément vers le Soleil. L’éclipse est enfin là, qui a failli décevoir à force de timidité… 12 h 23 : partie de cache-cache avec les nuages. Les apparitions sont courtes. Le spectacle se fait rare. Plus précieux encore. Une clameur accompagne chaque poignée de secondes de visibilité… Sonnant comme autant de rappel.

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« Qui a rallumé la lumière ? » Sur scène, les marionnettes répondent aux acteurs de chair et d’os : le spectacle emporte l’adhésion du public qui attend la vedette du jour, l’éclipse.

12 h 27’ et 59" : l’instant a été co-imaginé par Spielberg et Kafka. La masse des

Certains sont venus en famille…

spectateurs se pétrifie et regarde tomber cette nuit de midi qu’elle n’imaginait pas. Dix anges passent. Au moins ! Quelques flashs crépitent et c’est l’explosion. Finies les précautions de pansements : bouche ouverte, lunettes maintenues, la joie, les cris, les embrassades… 12 h 30’ 09" :-« Qui a rallumé la lumière ? ! 11 h 45 : on a kidnappé le professeur Tournesol et on est en train de nous priver d’éclipse. Devine… » Maudits nuages ! Le jour est revenu avec une brutalité inouïe. Que c’est court 2’ 10" ! 12 h 35 : les nuages se font moins épais. A croire que l’éclipse a ses pudeurs. La phase de totalité ne s’est pas laissée apprivoiser mais passée les minutes fatidiques elle redevient cabotine… Avec le spectacle de Tintin, les enfants 12 h 38 : Tintin s’est tiré d’affaire. La place André-Malraux commence à se des centres aérés du secteur et les membres vider. de l’Araignée théâtre II devaient mettre La foule passe, les cœurs sont gros comme ça, les nez toujours en l’air… en scène le phénomène de l’éclipse. Sans se Il reste une heure et quart de spectacle.

Soleil et Lune n’ont pas éclipsé Tintin

laisser éclipser par lui. Mission accomplie.

Personne n’est en reste sur le bord de la Moselle. Certaines familles sont au complet avec le parfait attirail du petit campeur : toile de tante, panier repas, tapis de sol pour pouvoir admirer l’éclipse en toute quiétude. Tout y est. Paul Van Der Schaeghe, sa femme et leurs trois petites filles sont venus en train depuis la Belgique : « On est descendu à Thionville par hasard. On ne sait pas pourquoi. C’est une bonne occasion pour visiter. Et puis, l’éclipse vaut vraiment la peine : l’alternance de lumière et d’obscurité est magnifique ».

…d’autres en amoureux Un peu à l’écart, comme de vrais amoureux, Roy et Brigitte Sjouwerman, deux Hollandais, font "péter la bouteille de champ’". Leur regard est encore tout pétillant : ils viennent de vérifier la poésie de ce rendez-vous entre Soleil et Lune que chantait Charles Trenet. « C’est vraiment wonderful, même si les nuages sont de la partie. Enfin, le plus important, c’est d’être là, tous les deux avec le champagne ! Et puis Thionville, c’est vraiment une petite ville des plus mignonnes ».

En avant-première pour ma fille

« Brillant ». C’est le qualificatif qui est revenu le plus souvent pour décrire le spectacle de Tintin sauvé par une éclipse qui a été présenté dès 11 h, place André-Malraux. Brillants les costumes bigarrés, la musique mâtinée d’une ambiance latino-américaine avec le groupe Los Pampas. Et brillante la performance des colons du Lierre, de Jacques-Prévert, du centre Saint-Michel de Volkrange, des Grands chênes de Veymerange et du centre aéré d’Hettange-Grande assistés de leurs aînés les ados, comédiens de l’Araignée théâtre II.

l

Synchronisation Catherine de Yutz a été impressionnée par le « sang-froid et la capacité de synchronisation » dont les acteurs ont fait preuve. Ils en avaient besoin. Surtout pour gérer une prestation en simultanée avec un phénomène naturel. Etienne, quant à lui, a été agréablement surpris par la facilité à identifier les différents personnages. « Aucune confusion n’était possible. Tintin était plus vrai que nature. Il avait les joues bien roses, la houpette poil de carotte. Et le même enthousiasme. C’était d’ailleurs vrai pour tous les autres personnages. » Les personnes retranchées au bout de la place, ainsi que les aînés auront également apprécié les efforts de diction des comédiens. Des comédiens qui ont eu un peu plus de deux minutes de répit pour pouvoir à leur tour rester bouche-bée face à la parade céleste de la Lune et du Soleil… Près de trois mille spectateurs s’étaient massés sur la place André-Malraux pour assister à une double événement : l’éclipse et ses effets salvateurs pour Tintin et ses compagnons (Photos : Pierre HECKLER).

Le plus souvent, les plus petits étaient aussi les plus impatients. Impatient pour sa fille devant la mauvaise volonté manifeste des nuages, un jeune papa a mis en œuvre des trésors d’ingéniosité pour la distraire. Finalement, passant sa main devant les yeux de la petite, il n’a pas hésité à affirmer : « Et maintenant, tu la vois l’éclipse ? » La demoiselle, sur les épaules de sa maman, s’est laissé abuser en souriant… En attendant que les astres lui fournissent le spectacle qu’elle attendait.


LA DERNIÈRE ÉCLIPSE DU SIÈCLE

2002

Vingt-deux troupes ont défilé devant un public enthousiaste.

La guerre des lorgnons n’a pas eu lieu On craignait l’émeute, à tout le moins la grosse bousculade. Rien de tout cela, hier matin, à l’ouverture des guichets de distribution des lunettes ès éclipse si ce n’est de longues files d’attente une bonne heure avant le gong. A tel point que, place d’Armes, la délivrance des précieuses protections a débuté à 7 h au lieu des 7 h 30 annoncées. « Dans le calme », tout comme place de la Comédie, sur le plan d’eau ou l’Esplanade. « J’ai sept gars sur mon chantier ! » Le chef n’a

pas tergiversé longtemps et s’est présenté aux quatre guichets de l’Esplanade. Fraudeur pour la bonne cause. A l’heure fatidique, sur les 80 000 mille paires de lunettes mises à disposition par la ville, il restait de quoi contenter les retardataires. Une percée dans les nuages, le soleil darde ses rayons. « Il arrive ! » Le retraité, venu tout droit de Barcelone armé d’appareils photo, chausse prestement ses bésicles astrales. Il est à peine 9 heures et quart.

Les accessoires aussi hauts que les échasses ont fait sensation. Quel équilibre !

Jeudi 12 août 1999

Autre sujet d’étonnement : la Mécanique vivante… fumante et pétaradante !

50 000 à la Parade C’était Babel et tais-toi ! Les 50 000 spectateurs de la Grande Parade de l’éclipse auraient parlé toutes les langues de la terre si on les avait entendu un peu plus sur le parcours. L’émotion de l’éclipse avait rendu presque muets Messins et touristes !

Télévision : RTL 9 aux premières loges

vité de l’émission, diffusée hier à 19 h 25 sur le plan national, Mathieu Puhl, directeur général du Républicain Lorrain, a exposé l’intérêt d’un tel évènement dont le journal se fait l’écho aujourd’hui dans un supplément de six pages. Interviews entrecoupées de séquences découvrant l’ensemble des animations qu’a concocté la ville de Metz pour l’éclipse solaire, jumelée aux fêtes de la Mirabelle.

Venus tout droit de la Renaissance florentine, les lanceurs de drapeaux italiens ont surpris les spectateurs, massés par milliers des deux côtés des rues du centre-ville.

I

l est vrai que mis à part les corsos de la Mirabelle, la fête s’est un peu perdue à Metz… La ville interactive l’est peu sur le passage des cortèges. Les applaudissements, les encouragements, la participation conviviale sont rares. Malgré des appels répétés au bon peuple, peu de spectateurs étaient habillés de jaune et de bleu. Et quand au pavoisement… Il est vrai qu’on est en période de vacances et que les sollicitations sont venues un peu tard. Dommage, car la parade concoctée par nos deux Lorrains, Gad Weil et Nathalie Morlot, ne manquait ni d’allure ni d’idées, d"orgina-

Pour ne pas perdre une miette du spectacle, mieux valait prévoir. « Dès 9 h, c’était la ruée sur les sandwiches », commente une commerçante du centre Saint-Jacques. L’heure H approchant, muni de son encas, le piéton a tourné le dos aux étals encore garnis de quelques pizzas et autres chaussons tout chauds. « Je vais fermer, dix minutes… » Histoire de vivre l’évènement. « Mais où est donc le soleil ? » Il est vrai qu’à l’ordinaire, les travailleurs de l’ombre au centre SaintJacques n’ont pas l’occasion de voir le soleil à son zénith.

lité, éveillant, flattant l’imaginaire de chacun.

Des exploits Il fallut les exploits des lanceurs de drapeaux italiens, venus tout droit de la renaissance florentine – l’un d’eux jongla aussi bien avec ses pieds qu’un Del Piero avec un ballon –, l’incroyable adresse, équilibre des échassiers évoluant à six mètres de hauteurs, la danse perchée des signes du zodiaque et surtout le bestiaire étincelant du théâtre de rue des « Malabar », avec ses échassiers acrobates, trompe-la-mort, pour faire

naître des sourires, des cris d’étonnement, des applaudissements un peu plus nourris. Parfois même, quand le cortège était obligé de faire du surplace, la conversation s’engageait avec les fringants Bersaglieri, les Arquebusiers italiens chargeant leur arme d’opérette pour la faire exploser – surprise ! – aux oreilles du public, avec, surtout, les sculpturales « majorettes » polonaises « Boumin » aux jambes interminables ou les hispanomexicaines de « Torreveca ». Elles auraient pu partager le prix du plus beau costume avec les Belges « De

Popolekkes » sortis tout droit des planches dessinées de Tintin dans « Le Temple du Soleil », les Gilles cramoisis ou les poétiques Quidams Inl’onito, qui animèrent la place St-Jacques avant de s’illuminer, le soir au Plan d’eau. On gardera pour la fin, les premiers qui ouvrirent la Parade : le boys’band de la Mécanique vivante, des rapeurs dans une toupie tournante de bétonnière envahie de fumée blanche… Merveilleusement déjanté !

Richard Bance. Photos : Dominique Besancenet.

« Au fond, c’est peut-être un canular, cette histoire d’éclipse. Ils nous ont bien eu ! » s’exclame une spectatrice en jetant un œil amusé vers le ciel. Autant prendre l’averse avec philosophie. C’est vrai, ce n’est pas la fin du monde !

Le chien à lunettes C’était le moment attendu déjà depuis des semaines. La nuit à midi, l’Esplanade plongée dans l’obscurité. Le moment où toute vache s’endort, toute poule se tait, le moment où même les humains préférent rester silencieux. Seul un petit chien profitait du silence pour aboyer. Lui, affecté de lunettes, semblait se considérer comme choisi par les autres animaux.

Des tonnerres d’appaudissements Ils étaient nombreux à guetter le soleil noir sur l’Esplanade. La pluie a joué les trouble-fête et gâché la partie. La déception n’a pas empêché les tonnerres d’applaudissements d’accueillir les deux minutes d’obscurité.

Philharmonie de Lorraine : un spectacle sidérant, sidéral

La ville a le tournis On a chaussé les lunettes « spéciales Eclipse » mais plutôt pour la forme… L’éclipse s’était éclipsée derrière une mer de nuages. « On reste là, on s’installe ! » Sur tous les ponts de la ville, sur les parterres en fleurs, aux terrasses découvertes, partout où la cité laisse entrevoir un carré de ciel, curieux, badauds, touristes venus-tout-exprès-pourl’éclipse posent leurs pénates, installent l’attirail de chasseur d’images, et patientent, scrutant un ciel bas, trop couvert. Milliers de voyeurs à qui les nuages, traîtres, donnent le tournis. Pour tromper l’attente, on immortalise les mines réjouies chaussées de lunettes d’extra-terrestre. Parés ! A 11 h 15, au-dessus de l’Esplanade, le soleil troue les cumulus, la lune est bien au rendez-vous. « Mettez vos lunettes » conseille le montreur d’éclipse. Une rumeur d’extase s’élève de la foule. Bref instant qu’une odieuse pluie vient troubler. Un léger mouvement de repli s’amorce. L’ondée s’ins-

Razzia sur les sandwiches

Une sacrée blague

Jean-Marie Rausch et Mathieu Puhl ont relaté l’événement en direct de Metz, au micro de Jean-Luc Bertrand. Depuis la terrasse de l’opéra-théâtre de Metz, JeanMarie Rausch, sénateur-maire de Metz a livré, en direct devant les caméras de RTL 9, ses premières impressions sur le phénomène du siècle. Sur le plateau de Bienvenue chez vous, Jean-Luc Bertrand, revenu quelques heures en arrière, a commenté les images fabuleuses perçues depuis Metz et sa région, et les réactions diverses qu’ont saisi les journalistes de la chaîne. In-

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talle sur une mer de parapluies. Stoïque, la foule compacte guette l’instant magique, consulte la montre. La clameur monte en même temps que les abris sont désertés. « Il fait nuit ! » s’étonne un anonyme. On se surprend à parler à voix basse. Une sensation étrange court dans les rangs serrés. Bien vite, la lumière du jour libère l’émotion contenue dans un bref moment de flottement. Le spectacle continue tout là-haut au-dessus d’un paravent de nuages épais. Frustrée, la foule s’étire vers les artères piétonnes. Au travers de minuscules éclaircies que dévoile un ciel mesquin, les plus acharnés volent encore quelques morceaux du ballet que donnent la lune et le soleil, jusqu’à l’ultime. 14 h, le quotidien reprend ses droits.

B.P.

Le soleil a rendez-vous avec la lune, mais le soleil n’est pas là et le public attend… Les déçus de l’éclipse se sont rattrapés le soir avec le concert vidéo-galactique de la Philharmonie au Plan d’eau. Spectaculaire !

L

e grand voilier de la musique et des images voguait immobile dans une mer de spectateurs conquis par la performance des musiciens de la Philharmonie de Lorraine, dirigés par leur chef Jacques Lacombe, et les 52 minutes d’images somptueuses de Didier Fontan sur la musique de la Suite symphonique « Les Planètes » du compositeur anglais Gustav Holst. Une voix « extra-terrestre » s’adresse aux Terriens que nous sommes pour présenter de façon lyrique les sept tableaux des sept planètes. A commencer par Mars, dieu de la guerre, dont les bruits sourds, les explosions, les appels des cuivres sont une prémonition des combats de la Grande Guerre, puisque Gustav Holst, grand amateur d’astronomie, avait achevé ce tableau dès 1914. Prémonition de l’artiste dont le sixième sens, la sensibilité prophétique met l’homme en

contact avec son devenir. Amplifiée à 20 000 watts par la sonorisation du Québecois Jules Paquin et de Lagoona, la Philharmonie, dirigée par l’autre Canadien de la soirée, Jacques Lacombe, privilégie une dynamique, une puissance qui saura ne pas occulter les détails de planètes musicales plus intimistes, philosophiques comme Vénus ou Neptune. Le metteur en scène de la vidéo projetée sur un écran géant, au-dessus de l’orchestre, a su jouer du contrepoint des images. Les films sidéraux, sidérants de la Nasa ont été retraités par ordinateur en trois et quatre dimensions. Des séquences filmées dans lesquelles s’incrustent des créations d’artistes, des images de synthèses qui dialoguent avec les jeux de lumières kaléïdosocpiques projetés sur les voiles de chaque côté de l’écran. « Cossssssmique !… » aurait dit Salvador Dali.

R.B.

Sensationnel ! Le lien entre les projections sur écran géant et l’interprétation dynamique des « Planètes » par la Philharmonie de Lorraine était enchanteur.


LA DERNIÈRE ÉCLIPSE DU SIÈCLE

2003

Au Plan d’eau, les pelouses n’avaient jamais accueilli autant de visiteurs alanguis.

Prévoyant ou pas, la pluie venue, chacun s’est abrité comme il pouvait.

Aire de La Maxe : campons sous la pluie ! Ce n’était plus une aire d’autoroute mais un camping international ! Attente fébrile et déception dans toutes les langues, sur le parking de la station-service de La Maxe

I

l est 10 h du matin, sur l’aire de La Maxe, et comme sur tous les parkings qui bordent l’autoroute A 31, il est bien difficile de trouver un mètre carré pour poser son trépied et son sac à pique-nique. La communauté hollandaise est, sans conteste, la mieux représentée. Ils sont arrivés la veille au soir pour être aux premières loges à l’heure fatidique. Quitte à dormir à la belle étoile ou dans la voiture… Peter, lui, est venu en caravane avec femme, enfants, glacière et chaises pliantes. « Nous étions partis en juillet et nous revoilà en France un mois plus tard. Pour toute la famille, c’est un peu comme des secondes vacances ! ». Mike, Elisa, Jasmyn et Guido, des compatriotes, ont avalé des centaines de kilomètres pour arriver à temps. Il y a deux jours, ils rôtissaient encore sur la Costa Brava. Aujourd’hui, ces bronzés hollandais grelottent à Metz mais ils n’auraient manqué le spec-

tacle pour rien au monde. Louis et Maryann non plus, qui s’étaient arrangés pour faire coïncider la fin de leur virée en Corse avec l’éclipse. Ces motards au long cours, natifs de Woëvre, en Belgique, ont campé à Metz avant d’élire domicile sur l’aire d’autoroute. Ils n’avaient pas de lunettes mais pas de panique, les CRS ont eu la gentillesse de leur en fournir deux paires.

Belges, Hollandais… Dédé est routier et comme tous ses collègues, il a dû s’arrêter à 11 h. « J’ai un client à faire à Thionville, un magasin de meubles. On serait mieux chez soi mais comme tout le monde s’arrête de travailler, on n’a pas le choix… », se console-t-il du haut de sa cabine. Nicolas et Sébastien tuent le temps autour de la machine à café de la station-service, prise d’assaut, elle aussi. « Il pleut », raconte le premier à

sa mère, portable scotché à l’oreille. « C’est dommage, d’autant qu’il fait un super temps chez nous, dans le Jura », indique le second. Il est midi vingt-cinq et comme partout ailleurs en Lorraine, l’aire de La Maxe s’enfonce soudainement dans un crépuscule accéléré. Des cris et des applaudissements accompagnent le phénomène. Mais au grand dam de leurs possesseurs, les lunettes resteront dans les sacs. « Il a fallu pleurer pour en avoir, c’était bien la peine », soupire Michel, un agriculteur retraité de la Haute-Marne. « Maudite pluie ! », tempête Marie, partie d’Aubagne (Bouches-du-Rhône) à 3 h du matin pour être en Lorraine à midi. Un peu déçu, « comme tout le monde », Francis ne regrette pas pour autant son voyage : « La nuit en plein jour, il faut avoir vécu ça au moins une fois dans sa vie. »

L’une des plus belles parades. Le faste des costumes a enchanté le public.

Saint-Hubert : petit village mais plaisir… astronomique « Je la vois, elle est là !… » Il est 11 h 15 dans un pré à Saint-Hubert et le manège est étonnant : les astronomes messins, spinaliens et belges montrent du doigt le début de l’éclipse dans des directions différentes. L’émotion !

D

Sur l’autoroute A 31, à La Maxe, hier à midi : devant la caravane, dernier essai des lunettes… avant la pluie.

3

Jeudi 12 août 1999

e Saint-Julien-lèsMetz à Saint-Hubert, le spectacle était total, hier matin, sur et aux abords des routes D3 et D57 : des cohortes de véhicules hollandais, suisses, anglais, belges et des provinces françaises roulaient au ralenti, à la recherche du lieu stratégique le plus dégagé, le plus élevé pour observer l’éclipse. Certains s’étaient déjà engagé et garé dans des chemins de champs, sortant la table et les chaises de camping, le casse-croûte, installant l’appareil photo avec zoom gigantesque ou le télescope familial. Attention où vous roulez, car au milieu de la chaussée, des adorateurs du soleil, nouveau hippies, se promènent brasdessus, bras-dessous. A la sortie du village de Saint-Hubert, dans les près à gauche, en contrebas, le club d’astronomie de la MJC des Quatre-Bornes a dressé sa tente, rejoint par les associations amies d’Epinal, d’Arlon et même de La Ciotat. « Nous sommes venus à 80 amis du club La Belle Etoile d’Epinal, le nom même de notre lieu

d’observation. L’événement est suffisamment unique pour que nous répondions à l’invitation de nos amis de Metz. Il y a le plaisir esthétique, l’expérience de la découverte et surtout la joie partagée d’une grande émotion. Nous sommes venus avec nos appareils photos, nos télescopes, ajoute le permanent salarié de l’association, Didier Mathieu, mais il faudra surtout observer avec les lunettes spéciales, car j’ai le souvenir d’amis qui étaient allés photographier une éclipse et qui passèrent leur temps à régler leurs appareils. A l’arrivée, ils n’avaient rien vu, rien vécu du phénomène et… leurs photos étaient ratées ! » Juste à côté, une vingtaine de Belges du club Alcyon ont bondi de leur tente, sous la pluie battante, pour emballer appareils photos et télescopes dans des plastiques, des sacs poubelles. « Il était naturel que nous venions à Metz retrouver nos amis des QuatreBornes, dans la zône d’éclipse totale. Mais que de bouchons sur la route. Des

Dans quelques minutes, une ondée obligera les astronomes amateurs du club des Quatre-Bornes de Metz à mettre sous plastique télescope et appareil photo. dizaines de milliers de voitures, de caravanes belges et hollandaises ont pris la route au même moment ! » Trois tentes plus loin, à l’abri de la pluie diluvienne, 80 membres, sympathisants, parents et amis du club messin des Quatre-Bornes s’activent à protéger une trentaine

A Maizières, des enfants partagés entre curiosité et inquiétude

de télescopes et appareils photos. « Pourvu que le plafond se lève pour ne pas gâcher un plaisir que nous attendons, que nous préparons depuis des mois. Car pour observer la couronne solaire, pour voir ces flash fabuleux que sont les grains de Baily, il faut un

ciel dégagé », ajoute Roland Schmitt, qui avec Eric Dodier, président du club d’astronomie, et Alain Essat a passé beaucoup de temps à faire des animations dans les écoles pour sensibiliser les scolaires à l’événement.

R. B.

Une éclipse A la Lune

N. B.

De la croix Saint-Clément à Rezonville : la convivialité Ils ont osé demander la lune et ils l’ont eue… mais c’est en toute discrétion qu’elle a masqué le soleil.

Les jeunes du centre aéré de Maizières avaient très sérieusement préparé l’arrivée de l’éclipse… et tous espèrent bien assister à la prochaine, en 2081.

Six kilomètres à pied… ça creuse ! Et c’est donc par un repas à la ferme pédagogique Naut que les marcheurs se sont retrouvés pour fêter l’éclipse. Traverser à pied le système solaire, c’est le singulier parcours qu’ont réalisé hier matin à l’échelle de un milliardième quelque 160 marcheurs dont certains venus jusque de Touraine et du Limousin à l’occasion d’une conviviale et didactique randonnée interstellaire qui les a conduits à travers bois et champs de la croix Saint-Clément à Rezonville. Soit exactement 5,9 km de Pluton jusqu’au Soleil en passant par Saturne, Neptune, la Terre et Mars.

Bien que l’astre solaire ait joué autant à cache-cache avec les lourds nuages qu’avec la Lune, l’observation furtive de l’éclipse et l’apparition magique de Vénus dans cette nuit en plein jour auront constitué le point d’orgue de cette originale balade. Une amicale et familiale rencontre conconctée par des professeurs de l’ensemble scolaire Jean-XXIII et qui s’est achevée par un repas festif, en noir et blanc comme il se doit, à la ferme pédagogique Naut. Une sacrée journée.

Depuis le matin, les soixante petits colons s’affairent autour de l’événement de 12 h 27. Dans leur salle de travaux manuels du centre aéré de Maizières-lès-Metz, ils terminent le plafond de la salle qui sera décoré de planètes. Les 4 à 6 ans, dans l’attente, dessinent le mystère de l’éclipse. A 11 h 30, tout ce petit monde quitte le parc Dany-Mathieu pour se rendre au Cosec, transformé pour quelques heures en centre d’observation international de l’éclipse. Tôt le matin, Maizières, au centre de la zone de totalité, avait été envahie. Des Belges,

des Hollandais ont suspendu leur migration vers le sud ou leur retour vers la mer du Nord en faisant une halte. Les Maiziérois ont été tout surpris de voir déboucher de l’autoroute des flots de vacanciers qui avaient programmé leur pause. Au centre aéré, malgré l’information scientifique diffusée par les animateurs formés par Astro M 57, l’inquiétude transparaissait sourdement chez les plus grands. Raphaël, 11 ans, évoquait les prophéties de Nostradamus lues dans le journal la veille. Sophie, 12 ans, se rassurait en se persuadant que la lune cachait simplement le soleil.

D’autres timidement évoquaient la fin du monde… dans mille ans ou dans quelques heures. A l’heure dite, entre pluie et nuages, les jeunes astronomes ont été impressionnés par la nuit brutale qui s’est abattue sur les lieux et le grand silence surpris des spectateurs. Un peu après 12 h 30, les petits colons, dûment armés de lunettes ont vu enfin la lune et le soleil jouer une dernière fois à cache-cache, ils ont observé l’ultime final. Les plus jeunes auront à peine 85 ans quand l’événement se reproduira en Europe dans la région France.

Une halte au camping de la gare de Metz Dernière ressource pour se trouver aux premières loges à la bonne heure, une trentaine de jeunes touristes allemands et hollandais ont pris leurs quartiers nocturnes à la gare de Metz. Sacs de couchage à même le sol, quelques-uns ont même

planté le tee-pee dans le hall des arrivées, surprenant les voyageurs dès potron-minet. Le sommeil lourd des visiteurs d’un soir a nécessité le concours des agents de surveillance de la SNCF. « Pacifiquement, nous les avons invités à se réveiller. »

Un brin de toilette, un solide petit déjeuner, ils ont plié bagage et libéré leur dortoir improvisé. Un peu sale, certes, mais sans plus. Après un bon coup de balai sur les coups de 9 h 30, la gare retrouvait son train-train quotidien.

Ils étaient dans la lune en gardant les pieds bien sur terre. Mais ne l’ont malheureusement pas décrochée. Une centaine de personnes a assisté, hier, à la dernière éclipse du siècle au bar A la Lune le bien nommé, au pied de la cathédrale. « Si notre nom a attiré du monde ? Certainement. Il y avait de nombreuses nationalités dans la salle », confie Nadine Kapell qui assure la gérance des lieux avec son mari. « Certains sont restés dans la salle pour visionner l’événement à la télé, d’autres sont sortis malgré la pluie. » Des dépressions climatiques qui n’ont en rien entamé la bonne humeur de ces consommateurs lunaires. ∆ Plus sur le web : www.republicain-lorrain.fr

Réception et cocktail pour les scientifiques Une centaine de scientifiques américains avaient fait le déplacement de Metz pour observer l’éclipse totale du soleil. Depuis 1996, ils avaient réservé une bonne partie de l’hôtel Holiday-Inn du technopôle. Pour les remercier de leur présence, la société d’économie mixte (SEM) du technopôle avait organisé une petite réception, en soirée, à laquelle participaient le sénateur-maire Jean-Marie Rausch et Nathalie Griesbeck, présidente de la SEM. Pour fêter dignement l’événement, le barman de l’Holiday-Inn avait confectionné un cocktail original composé d’un volume de soleil et de sept volumes de lune… ou plus concrètement de champagne, de crème de coco, de jus de fruits et de quelques gouttes de curaçao, histoire de rappeler le bleu du ciel qui nous a tant manqué hier.


LA DERNIÈRE ÉCLIPSE DU SIÈCLE

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Jeudi 12 août 1999

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Le soleil avait rendez-vous avec la lune… et les nuages Luxembourg est l’une des deux capitales se trouvant dans le cône d’ombre de la lune. Hélas, à 12 h 28, les nuages ont éclipsé… l’éclipse. La fête populaire était cependant au rendez-vous, la forteresse avait été prise d’assaut par la foule. Le Grand-Duché a vécu l’éclipse des extrêmes. Les habitants aux extrémités du pays, c’est-à-dire ceux Kleinbettingen et de Remich, ont bénéficié d’une trouée dans les nuages pour assister au spectacle offert par la nature. A Luxembourg et Dudelange, principaux centres d’animation de cet évènement rarissime, la couche de nuages était extrêmement dense. Les lunettes de protection n’auront guère été utilisées pour suivre, au Luxembourg, la dernière éclipse du XXe siècle. A vous de choisir : mettez les de côté pour 151 ans, ou déposez les dans un centre de collecte au bénéfice des Malgaches ayant la chance de suivre la première éclipse du XXIe

siècle… L’absence du spectacle offert par la lumière-elle fit toutefois défaut pendant une grosse minute dès 12 h 28-n’a pas eu d’effets négatifs sur l’humeur bon enfant des Luxembourgeois et touristes extrêmement nombreux qui, dès 10 heures du matin, avaient pris place aux endroits stratégiques, en particulier sur les anciens bastions de la forteresse et les ponts surplombant la vallée de la Pétrusse. Plusieurs milliers de spectateurs se serraient sur la place du Saint-Esprit devant les stands d’animation. A défaut de pouvoir vivre comme témoin oculaire le rendez-vous de la lune avec le soleil, ils ont pu suivre l’éclipse sur écran géant de télé-

vision : les caméras de RTL ont ainsi capté l’ombre de la lune… a partir de Virton, localité belge pas tellement éloignée de nos frontières. Face aux magasins spécialisés vides de lunettes de protection et des hôtels ayant fait le plein de clients, il faut sans doute déplorer que les responsables du tourisme n’aient pas mieux su exploiter l’évènement exceptionnel. Alors que l’ombre laissée par la lune avait traversé le Luxembourg en moins de deux minutes, les dizaines de milliers de visiteurs et automobilistes ont jusqu’en début de soirée assuré embouteillages et bouchons. Aux casemates. Chaque mur des fortifications a été pris d’un assaut heureusement tout pacifique.

Tout simplement beau

Plateau du St Esprit : le moindre millimètre vaut de l’or !

Pourtant on s’y était préparé, à regarder le nez en l’air avec nos lunettes « spécial éclipse ». On a couru les pharmacies, les grandes surfaces, les offices de tourisme pour les avoir. On les avait essayées à maintes reprises. On n’avait pas oublié de les emporter. Mais voilà. La météo est venu gâcher ce spectacle, prévisible depuis la nuit des temps. Il faut le dire, on était frustré de ne pas porter ces monstrueuses lunettes. On s’y était tellement préparé. Tout çà parce qu’un plafond de nuages n’a pas voulu quitter notre ciel bougon. Mais bon, on a toutefois la chance d’assister à l’apparition de cette nuit éclair prévue depuis des siècles. La lune portera auréole. Elle sera onction d’obscurité, éclipsera le Dieu Soleil pour unir les hommes dans une même contemplation. Et le soleil, qui n’est qu’éclat en sera privé. Il n’existera plus. Dans un silence lourd et pesant, chacun

attend le moment fatidique où le soleil épousera la lune. Un léger vent se lève. Le ciel s’obscurcit petit à petit, puis en l’espace de quelques secondes s’assombrit totalement. Ça y est. C’est l’heure. Le soleil est gagné par les ténèbres. La lune l’enveloppe. Il n’a plus de visage. On imagine qu’il n’est qu’éclat. Même caché, il n’a jamais été aussi présent. Notre cœur frissonne. Une réaction primaire nous empare, une émotion bizarre de contact avec l’univers. On est tout simplement fasciné par la dimension fantastique du spectacle. On sent que les forces de la nature prennent le pas sur l’homme, que quelque chose nous dépasse. Ce phénomène est bien l’un des seuls qui échappe aux manœuvres mesquines et autres manipulations de l’être humain. C’est un instant indescriptible. Tout simplement beau.

Au four et au moulin Etre au four et au moulin, en même temps à deux places à sonner les cloches, il est bien connu que c’est impossible. Et qu’il est bien difficile d’assurer le suivi d’une politique locale tout en participant à des négociations devant conduire à un fauteuil national. Est-ce pour cette raison qu’on a raté l’éclipse ? Une chose est sûre, clamant sans arrêt qu’il faut une relance du tourisme la Ville n’a pas su exploiter cet évènement qui lui était pourtant servi sur un plateau. Pas de décision politique, rien ou pas grand chose du côté des personnes ou des structures à vocation culturelles et touristiques. En fait d’animation-surprise sur le plateau du St Esprit, passé le grand moment, l’entreprise de la Poste qui faisait sa pub a vite remballé les gaules. Avec un grand camion et un petit stand, le natur-Musée a tant bien que mal fait de la résistance à côté du satellite Astra embarquant des passagers pour "quatre minutes gratuites de distraction". Seul grand maître jusqu’en fin d’après midi, la firme Coca-Cola a redoré son blason. Et largement démontré qu’un phénomène de cette envergure ne devait pas être pris à la légère.

Ilôt Clairefontaine. L’étape est accueillante et les marches offrent un siège de choix.

Tout sur le Soleil et la Lune par le texte et l’image avec le natur Musée.

Voyage dans les WC On l’avait annoncé. Mais on n’y croyait pas. L’afflux de voyageurs en direction du sud de la Belgique et du GrandDuché était bien réel hier sur les rails belges. La SNCB a transporté hier matin quelque 25 000 personnes au départ de Bruxelles en direction des lieux d’observation les plus privilégiés. Dans une ambiance bon enfant où la bière coulait parfois à flot, les voyageurs entassés les uns sur les autres ont accepté les désagréments du voyage. Certains n’ont pas hésité à envahir les WC des wagons pour un peu plus de tranquillité. Tandis que d’autres n’avaient pas hésité à apporter leur pliant.

Ultimes règlages pour la photo de cette fin de siècle.

Deux petites minutes d’émotion avant plusieurs passées dans les embouteillages.

Au travail Après une éclipse qui remonte à la mi-juin, le gouvernement mis en place depuis tout juste samedi est bien décidé à montrer qu’il a pris les rênes. Et semble décidé à les tenir fermement. Après une première réunion mardi après-midi, tous les ministres ont siégé hier une seconde fois en conseil. Une fois de plus rien n’a filtré de ce deuxième tour d’un horizon devant s’éclaircir avec la déclaration gouvernementale devant le parlement. En attendant, le nouveau ministre Fränz Biltgen n’hésite pas à donner de la voix. Dans une circulaire, conjointe avec l’inspection du Travail et des mines, il a cru bon de repréciser la législation sur les salaires des jours fériés… tel ce prochain dimanche 15 août.

Près de la Gëlle Fra. Le plan de ville est largement sollicité.

Un nuage entre le solei et la lune sur le tee-shirt de cette fillette : une représentation prémonitoire n’empêchant pas la bonne humeur.

Saturées Textes : Alain KLEEBLATT Sandrine KERGER Photos : Alain KLEEBLATT Jacques PATURET.

Contraste. Alors qu’on se bouscule à quelques pas, certaines rues sont complètement désertes.

Trois heures de bouchons dans plusieurs artères de la ville. Le chaos le plus complet. Un accident se serait-il produit dans la périphérie de la Ville ? Rien à signaler assure la gendarmerie qui reconnaît que les chaussées sont largement encombrées. Mais avoue son impuissance face au volume exceptionnel de véhicules. Ceux des Hollandais et des Allemands venus en nombre très important, ceux également des vacanciers qui sont venus gonfler le flot en faisant une étape à Luxembourg.

Et finalement quelques heures plus tard, ceux de tous les salariés quittant leur lieu de travail pour rentrer au bercail. Parmi les Hollandais, un nombre important de visiteurs n’a pas hésité à parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour venu observer le phénomène soit au GrandDuché, soit en France Une fois l’éclipse terminé, ils ont immédiatement repris le chemin de leur pays, provoquant d’impressionnants bouchons sur les autoroutes où, pour le coup, on circulait véritablement au pas.

Deux paires de lunettes pour l’éclipse plus une vrai paire, l’homme est équipé.


LA DERNIÈRE ÉCLIPSE DU SIÈCLE

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Jeudi 12 août 1999

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Et soudain… la nuit A Dudelange ainsi qu’à Esch-sur-Alzette, le soleil avait lui aussi rendez-vous avec la lune, mais au dessus des épais nuages. Cette éclipse aura attiré des dizaines de milliers de spectateurs, qu’ils soient de simples curieux ou passionnés d’astronomie. On notera également un véritable raz-de-marée néerlandophone au camping municipal d’Esch mais également au bord des routes, sur les parkings, en bref partout où il restait encore une petite place. A neuf heures hier matin, les cafetiers n’en croyaient pas leurs yeux : les stocks d’œufs durs et de bacon étaient déjà écoulés. Il ne restait plus rien. Du jamais vu. Aux alentours de dix heures, des milliers de marcheurs et d’automobilistes ont convergé vers les hauteurs de la ville. Il s’agissait de prendre la meilleure place dans l’enceinte du stade Emile Mayrisch, spécialement réquisitionné pour l’occasion par le Fola. Les nuages bas n’ont en rien altéré l’envie de voir le soleil, l’envie de prendre part à cet événement exceptionnel pour les puristes, presque classique pour les astronomes. A onze heures et neuf minutes, la lune a entamé le masquage du soleil. Puis, vers 12 h 25, la nuit a commencé à tomber, au point de devenir totale deux minutes plus tard. Les milliers de personnes ont alors sifflé cette absence de soleil, qui ne devait revenir qu’à 12 h 29. Moins de cinq minutes après que la lumière du jour soit revenue, comme par miracle, un gros nuage a daigné laisser un peu de place au soleil masqué, cette fois accueilli sous les applaudissements. Cela n’aura duré que trois secondes. Moins de dix minutes après la fin de l’éclipse totale, la foule redescendait rapidement vers la ville, pour se ruer vers les bars et autres restaurants. Cette fois, comme s’il s’agissait d’une renaissance, d’un jour de l’an, le champagne a coulé à flots.

Foule à Dudelange Difficile d’accéder au site du Belvédère à Dudelange en cette folle journée, ensoleillée par moments, couverte la plupart du temps. Des milliers de visiteurs de Belgique, des Pays-Bas, de France et du Luxembourg n’auraient pour rien au monde manqué cet événement. Certains avaient même fait le déplacement depuis l’Angleterre, d’autres du Danemark, pour se retrouver durant deux minutes au cœur de la zone totalement noire. Les

membres de l’association Astronomes Amateurs du Luxembourg (AAL) peuvent être fiers d’une organisation sans failles. On notera toutefois que les conseils de prudence, malgré les nuages, n’ont pas toujours été suivis d’effets. Certains tentaient de regarder le soleil à travers des fonds de bouteilles noircis, d’autres se cachant derrière un masque de soudeur. Une minute et cinquante secondes avant le grand moment, le speaker prenait son micro pour égrainer, en luxembourgeois ainsi qu’en anglais, les quelques secondes qui restaient avant l’heure fatidique. Et, durant deux minutes, le silence fut réellement poignant. Jusqu’à ce que la lumière revienne. Le ciel n’était pas tombé sur la tête des visiteurs. Désormais, pour savourer un tel événement, il faudra attendre 2001, et se rendre… à Madagascar.

Sur le stade Emile Mayrisch à Esch, les télescopes apportés par la firme New Optics ont donné des idées aux enfants désireux de découvrir le ciel. Dommage, le soleil était masqué par d’épais nuages.

Pas de panique ! Du côté des forces de l’ordre eschoises, tous les agents du service "police de la route" étaient à pied d’œuvre. Au terme de cette journée, les dix agents affectés n’ont rencontré aucune difficulté. Les visiteurs ont respecté les consignes visant à ne pas circuler entre 12 h 15 et 12 h 45, à quelques exceptions près. Ceci étant, aucun accident n’a été enregistré. Par ailleurs, aucun conducteur ne portait de lunettes spéciales "éclipse" au volant.

Un ministre à Esch A Dudelange, rares étaient les édiles présents au belvédère, seul l’échevin Meneghetti étant remarqué. A Esch par contre, le parti chrétien social était présent en masse. Le nouveau ministre du Travail François Biltgen, avec son épouse et ses enfants, n’a cessé de serrer les mains des eschois venus le féliciter. Un petit moment de détente avant les gros dossiers qui l’attendent. Toujours pour le PCS, le conseiller Frunnes Maroldt était également présent au stade Mayrisch. Finalement, à noter l’exploit sportif de Josy Mischo qui était venu à pied depuis le centre ville avec son épouse pour assister au spectacle. Dans tous les cas, tous avaient bien apporté leurs lunettes spéciales pour l’éclipse.

Nicolas MOUGIN.

Une minute avant le noir complet, la foule reste silencieuse, se demandant à quoi va bien ressembler cette éclipse. Le temps de résoudre cette question, le soleil revenait déjà. Venus des Pays-Bas avec leur sac à dos, ils n’ont pas trouvé de place au camping. Le sourire était toutefois de mise.

Pourquoi payer des lunettes spéciales alors que l’on possède un masque de soudeur ? Malheureusement, il n’a pas servi à grand chose pour cause de nuages.

Il était au rendez-vous eschois dès huit heures du matin, les lunettes sur le nez, appareil photo chargé et caméscope prêt à filmer.

Un bien beau bébé avec un chapeau en forme… de soleil.

Photos : Nicolas MOUGIN à Esch. Thierry SOSSONG à Dudelange. Tout le monde regarde vers le ciel dudelangeois, tantôt couvert mais laissant parfois quelques espoirs aux amateurs d’astronomie.

Regarder l’éclipse assis sur des chaises pliantes au milieu d’un stade de football n’est pas une chose courante. Ces jeunes gens savourent l’instant.

A Esch, impossible d’entrer en ville sans voir le panneau, interdisant toute circulation durant l’éclipse.

L’observation au télescope nécessite quand même le port des lunettes spéciales.

Entre deux nuages, ce jeune homme tente une photo pour immortaliser un instant que nous ne sommes pas prêts de revivre au Luxembourg avant bien longtemps.

Ces visiteurs venus de Bruxelles n’écoutent pas la radio pour savoir si la station Mir est tombée sur le département du Gers. En ondes courtes, le volume de cette radio augmentait au fur et à mesure que le soleil revenait. Etonnant non ?


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Jeudi 12 août 1999

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Les Européens au rendez-vous Des centaines de millions de personnes ont retenu leur souffle hier dans 13 pays, dont neuf européens, pour la dernière éclipse totale de soleil du siècle. Le mariage de deux jeunes astrophysiciens .

Des sœurs péruviennes en pèlerinage à Lourdes.

Circulez, il n’y a rien à voir.

La météo a gâché la fête de l’éclipse

PARIS. — Plusieurs centaines de millions d’Européens, d’Asiatiques, et quelques Américains, ont observé hier, avec enthousiasme et souvent dans une atmosphère festive, le somptueux spectacle de la dernière éclipse totale de soleil du siècle, en dépit d’une météo parfois détestable. Le record de durée a été atteint à Bucarest, où l’éclipse a été totale pendant 2 minutes et 26 secondes. Sur le toit de l’hôtel où résidait le ténor italien Luciano Pavarotti venu donner un concert, un homme affirmant vouloir obtenir de l’aide pour les orphelins, a menaçé de se suicider en se jettant dans le vide. Le phénomène, commencé dans l’Atlantique a tout d’abord

été observé par les habitants de l’archipel français de SaintPierre-et-Miquelon, au large du Canada, à 6 H 47 (10 H 47 heure de Paris), dans un ciel sans nuage. Il a ensuite franchi l’océan, survolé neuf pays d’Europe, des Cornouailles à la mer Noire, puis l’Asie du sud pour aller mourir dans le Golfe du Bengale. En Cornouailles, les nuages et la pluie ont gâché la journée de près d’un million de visiteurs sur terre et un demi-million sur mer. Une brève trouée dans les nuages a laissé apercevoir un mince croissant de soleil quelques minutes avant l’heure tant attendue de la totalité de l’éclipse. A Londres, la City s’est momentanément arrêtée de fonctionner.

Le soleil s’est levé deux fois hier sur le nord de la France, où des millions de personnes ont joué à cache-cache avec les nuages, au cœur de la période estivale, pour profiter de la dernière éclipse du siècle. PARIS. — Malgré des prévisions météo très pessimistes pour l’ensemble de la bande de totalité de l’éclipse, sur un axe CherbourgStrasbourg, il y a eu quand même quelques bonnes surprises : à la faveur de la baisse de température, l’épaisse couche de strato-cumulus s’est déchirée à la mi-journée sur plusieurs sites et beaucoup de curieux ont pu profiter du « soleil noir » entre deux nuages. A 12 h 16, le cône d’ombre produit par la Lune et qui s’était formé dans l’Atlantique Nord, a plongé dans l’obscurité le Cap de la Hague, premier point touché sur le continent européen, sous un ciel nuageux parsemé d’éclaircies. A Fécamp, les dizaines de milliers de personnes qui s’étaient donné ren-

dez-vous ont pu apprécier la magie de la nuit en plein jour à la faveur d’une éclaircie de dernière minute, après un suspense météo qui a duré toute la matinée. A Noyon (Oise), choisie comme site d’observation par la Société astronomique de France (SAF), les milliers d’amateurs réunis près de la cathédrale n’ont pas eu cette chance. Seules quelques brèves trouées ont permis l’observation du début et de la fin du phénomène.

Bouchons en nombre A Reims, les 450 000 personnes qui s’étaient rassemblées n’ont pu observer la phase de totalité que durant cinq secondes. La foule avait salué les apparitions des croissants de soleil, chaque fois plus minces, par des

clameurs, encourageant les deux astres à rester en vue, sifflant les nuages qui venaient leur cacher le spectacle. En dehors de la bande de totalité, le spectacle a également attiré les foules. Dans la capitale, des centaines de milliers de personnes ont pris d’assaut les places et les sites symboliques, où ils ont pu observer l’étrange lumière blafarde produite par l’éclipse partielle (99 %). Les millions de spectateurs dans le nord-ouest et le nord-est de la France ont provoqué des bouchons en nombre sur les routes et autoroutes. Dès le début de matinée, d’importants problèmes de circulation touchaient tout le quart nord-est de l’Ilede-France, saturé en direction de la

Les « pros » déçus

Paco Rabanne ridiculisé Des centaines de personnes, à Paris et dans le Gers, ont fêté « la fin du monde », pour ridiculiser Paco Rabanne.

A Paris, sous le centaure sculpté par César, « l’apéritif des survivants » a été ouvert une minute après l’heure de l’apocalypse.

PARIS.— Sangria, accolades et éclats de rire ont ponctué « l’apéro des survivants » qui a réuni hier plus de 200 personnes dans une ambiance très potache rue du Cherche-Midi, dans le 6e arrondissement de Paris, sous les fenêtres du magasin parisien de Paco Rabanne. Organisé à l’initiative du « Cercle zététique », un mouvement rationaliste basé à Metz, et l’association bretonne « M… à l’apocalypse », cette manifestation avait ouvertement pour objet de tourner en ridicule « les prédictions catastrophiques » du célèbre couturier, qui avait très sérieusement annoncé la chute de la station Mir sur la capitale. Dans le Gers, c’est une simulation de la chute de la station Mir qui a été organisée dans dérision au moment de l’éclipse à Condom, l’une des trois villes du Gers avec Auch et Mirande, qui auraient dû être détruites selon le couturier Paco Rabanne. Devant 600 personnes, une bâche a été découverte, dans un nuage de fumigènes et au son des pétards et des cloches, faisant apparaitre un car de touristes sur le toit duquel se trouvait une fosse septique avec l’inscription « Mir ». Dans la soirée, un repas de « fin du monde » était prévu sur le port.

Paris perdus Un incident technique survenu dans l’exploitation informatique des paris hippiques n’a pas permis au PMU d’éditer et de payer dans les délais les rapports des jeux enregistrés pour les courses de Deauville et Saint-Malo.

sus de la réserve africaine de Thoiry (Yvelines), tous les oiseaux se sont tus brusquement et les autruches se sont couchées. « Les autruches mâles sont allées se coucher en premier », a expliqué le propriétaire Paul de La Panouse.

Faire l’autruche…

En prison aussi

Lorsque le Soleil a quasiment disparu derrière la Lune, au-des-

Les mineurs de la maison d’arrêt de Rennes, huit jeunes détenus

A Soissons aussi, où s’étaient réunis astronomes et astrophysiciens aux côtés de plusieurs milliers de personnes, le soleil a joué à cache cache. Une leçon d’humilité pour tous ces experts, qui ont bénéficié de timides déchirures d’une durée d’une quinzaine de minutes en tout, sur plus de deux heures. « Bien sûr, c’est une déception », admet Sylvestre Maurice, de l’Observatoire Midi-Pyrénées (OMP) à Toulouse, venu à Soissons avec près de 200 collègues. « Mais l’éclipse était bien là, et à l’heure prévue, ce qui montre l’exactitude des calculs des scientifiques ». Les astronomes n’ont pu voir la couronne solaire que trois secondes. Cette couronne avait justement été découverte grâce aux éclipses. Mais, ce n’est qu’au XVIIIe siècle que la couronne a été rendue au soleil, et non plus à la lune. Les scientifiques n’ont malgré tout pas trop dé regrets à avoir : en effet, depuis l’invention par Bernard Lyot en 1930 du coronographe (disque qui, placé sur l’objectif d’un téléscope ou d’une lunette, masque notre étoile), les astronomes créent des éclipses à volonté… En revanche, du côté de l’espace lui-même, il n’y a pas de simulation qui tienne : le spationaute français Jean-Pierre Haigneré, qui bénéficiait d’une vue exceptionnnelle du haut de la station Mir, n’a pas hésité à comparer négativement l’éclipse à « un doigt noir posé sur la Terre comme un doigt de sorcière ».

âgés de 14 à 17 ans, ont pu observer « comme tout le monde » l’éclipse solaire depuis la cour de la prison Jacques-Cartier.

Politiquement André Santini, député (UDF) des Hauts-de-Seine, a déclaré que si l’éclipse solaire « était de gauche, Jack Lang aurait déjà claironné qu’il était à l’origine de ce spectacle populaire et gratuit »

Repos et prières au Moyen-Orient

bande de totalité. Le trafic était aussi très dense sur l’autoroute reliant Colmar à Strasbourg, tandis qu’à l’ouest, de nombreux bouchons se sont formés en milieu de matinée dans le Cotentin. Au départ de Paris, les trains ont été pris d’assaut et des capacités supplémentaires ont dû être mises en place à la dernière minute. La SNCF estime à 100 000, quatre fois plus que pour une journée normale, le nombre de voyages (aller ou retour) effectués dans la journée entre les gares parisiennes et les zones d’observation. Les retours s’effectuaient dans la soirée sans encombre. De nombreux hôpitaux, notamment à Paris et Marseille, ont renforcé leur dispositif d’accueil aux urgences pour d’éventuels problèmes de vue.

Dans les pays du MoyenOrient, l’éclipse a été observée avec un mélange de crainte, d’excitation, de foi religieuse et de superstition. LE CAIRE. — En Egypte, où l’éclipse n’était que partielle, les autorités avaient placé en état d’alerte tous les Au Koweït, on regarde l’éclipse hôpitaux et toutes les brigades de pomavec les moyens du bord. piers du pays, en raison des risques de brûlures aux yeux dans la population. Pour la même raison, les gouvernements de Jordanie et de Syrie ainsi que l’Autorité palestinienne avaient décrété un jour de vacances et conseillé à la population de rester chez elle. Mais l’éclipse a surtout eu une dimension religieuse. De l’Algérie à l’Iran, des millions de musulmans ont prié en souvenir de l’éclipse vécue par le prophète Mahomet. Dans ces « prières d’éclipse », les fidèles ont imploré la miséricorde de Dieu. En Egypte et au Liban, des imams sont même allés jusqu’à interdire à la population d’observer l’éclipse, car il serait contraire à l’Islam de mettre son corps en Le Pape a écourté son audience. danger. Au Liban, de très violents orages, aussitôt attribués à l’éclipse par la population, ont secoué mardi soir la plaine de la Bekaa. Certains ont tout de même profité du parfait ensoleillement de la région pour observer l’éclipse, en particulier en Irak et en Iran, deux pays traversés par la « bande de totalité ». A la différence de leurs voisins arabes, les Israéliens n’ont pas hésité à regarder l’éclipse. On a même assisté en Israël à une pénurie de lunettes spéciales.

A 7 400 m d’altitude Passionnés d’astronomie, ils ont décidé de louer un avion pour être certains de ne pas manquer l’événement. Quand la passion vous envoie à 7 400 m d’altitude pour un spectacle vertigineux ! STRASBOURG.— « C’est un coup de poker. » Douglas Yanyatovich, en guide spirituel, conduit onze de ses amis à 7 400 m d’altitude pour contempler le phénomène céleste. L’astronome amateur de Petite-Rosselle ne veut pas manquer son éclipse. Pharmacien, chauffeur routier, taxi, chef d’entreprise, facteur, retraité, ils ont tous une passion commune pour la galaxie et ses systèmes. A l’aéroport de Strasbourg, les chasseurs d’éclipse s’apprêtent à embarquer sur un Beechcraft King Air, un biturbopropulseur de 1 680 CV de la compagnie Alsair. A 11 h 15, le groupe s’envole pour une heure trente d’émotion. Jean-Marie Joubert et Denis Gross, pilotes qualifiés IFR (vol aux instruments), donnent des explications sur le parcours. Attachez vos ceintures et ouvrez grand vos yeux (protégés) ! Il faut atteindre les 6 500 m pour naviguer audessus d’une mer de nuages. Tout semble si calme. A la radio pourtant, les messages des autorités aériennes intiment l’ordre à des avions de tourisme belges de ne pas pénétrer en France. Un Airbus qui fait le voyage Nice-Metz doit remettre son retour à plus tard. Interdit de voler. Le couloir ne doit pas être surchargé. Le Catalina, l’avion de Nicolas Hulot, émet sur les ondes. « On nous a fait une fleur du côté de la Direction de l’aviation civile », reconnaît Douglas Yanyatovich, dont le projet a séduit les autorités.

A savourer sans modération L’avion a pris sa vitesse de croisière : 480 km/h. Le soleil est en ligne de mire et déjà on se presse aux hublots, les lunettes collées sur le nez pour voir l’éclipse partielle. Avec des élastiques, des feuilles de milar sont fixées sur une paire de jumelles et sur les objectifs des appareils photos. 12 h 29 : le ciel est d’un bleu nuit intense et l’horizon se drape de couleurs chaudes. Nous rencontrons l’éclipse totale au-dessus de Boulay. Le soleil disparaît pendant 2’40" ; des jets de matière solaire s’élèvent à 150 000 km, les grains de Baily foisonnent et l’anneau rose de la couronne solaire apparaît autour du disque lunaire. Cerise sur le gâteau : Vénus et Mercure s’offrent aux passionnés qui savourent leur bonheur comme une friandise. Les pilotes confient : « C’est aussi notre baptême. Le spectacle du cône noir entouré de lumière est très émouvant. Il fallait toutefois rester concentré sur le vol ! » De retour à Strasbourg, le trop-plein d’images se déverse en commentaires enthousiastes, et déjà on parle du 21 juin 2001. Mais cette fois, cap sur la Namibie !

Claude DI GIACOMO.

Une immense clameur a parcouru la place royale de Stuttgart, en Allemagne, lorsque la ville, noyée sous la pluie, a été plongée dans la pénombre. Les Suisses se sont rendus en nombre en France et en Allemagne pour mieux voir l’éclipse solaire, provoquant d’énormes bouchons à certains postes-frontière. A Prague, l’arrivée de nuages a empêché l’observation de l’éclipse. Les Bulgares n’ont pas eu plus de chance. Les Grecs se sont félicités de l’éclipse qui a rafraîchi de quelques degrés le pays frappé par la canicule. En Turquie, l’arrivée de l’éclipse a été triomphale, par un ciel sans nuage, fêtée par des millions de spectateurs émerveillés.

Nuages et superstitions en Asie NEW DELHI. — La dernière éclipse solaire du millénaire a plongé hier certaines régions d’Asie dans l’obscurité, mais a souvent été gâchée par un ciel couvert, tandis En Israël, les religieux n’ont pas voulu que le phénomène a réveillé les superstirater l’évènement. tions populaires. Les nuages épais de la mousson ont caché l’éclipse à la plupart des spectateurs du sud de l’Asie, comme en Inde où seuls les habitants de l’Etat de l’Haryana (nord) ont pu l’apercevoir. A Bombay, de nombreux bureaux et magasins avaient fermé plus tôt en raison de la croyance populaire selon laquelle travailler pendant l’éclipse apporte le mauvais œil. Selon la mythologie hindoue, l’éclipse représente le combat céleste des démons Rahu et Keta, qui dévorent le soleil dans leur colère. La superstition a également régné au Népal, où les restaurants ont fermé tôt, en raison des prédictions astrologiques selon lesquelles manger pendant le passage de l’éclipse attire le mauvais sort. D’épais nuages ont également privé d’éclipse la pluBeaucoup de Palestiniens ont préféré prier. part des Pakistanais et des Bangladeshis.

Bébé-éclipse Un bébé né au moment de l’éclipse à Landsberg am Lech, dans le sud de l’Allemagne, va recevoir un prénom à la gloire de l’événement. La petite fille sera prénommé « Sophie », homonyme de « Sofi » qui est l’abréviation familièrement donnée en Allemagne à l’événement (éclipse se dit « Sonnenfinsternis », soit « Sofi » en plus court).

Le Pape aussi Comme des centaines de milliers de personnes en Italie, le pape Jean Paul II n’a pas hésité mercredi à chausser des lu-

nettes de soudeur pour observer l’éclipse parfaitement visible dans toute la péninsule. Le souverain pontife, passionné d’astronomie, a abrégé son audience hebdomadaire au Vatican pour permettre aux pèlerins de bénéficier du spectacle céleste.

Des détenus libérés Le commissaire de police de Picui, petite localité de l’Etat de Paraiba, dans le nord-est du Brésil, a libéré mardi les trois délinquants qu’il avait emprisonnés pour vol afin qu’ils puissent profiter une dernière fois de la vie avant la fin du monde annoncée pour le jour de l’éclipse.


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