Mini nouvelles

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Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel • La chair du plaisir

• L'ancien pays

• Bébés à vendre

• J'avalerai la boîte entière

• La sexualité du trombone

• L'enfant au ballon rouge

• Une belle jambe

• Mischa ou la douceur éternelle

• Bouts de vies

• Elle regarde par la fenêtre • Le rhum de la vie

• En vert et pour tous. (2e prix du 14e concours de nouvelles de l'Eveil-plumes)

ERIC GABRIEL gabriel68@sfr.fr


Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

La chair du plaisir Je m’approchai d’elle, et elle ne recula pas. Ses rondeurs m’attirèrent d’abord, puis son parfum fort, envoûtant, charnel, mais aussi son teint mat. Perdus tous deux, nous étions forcément faits pour nous rencontrer. Alors j’approchai ma main de sa peau. Elle ne fit aucun mouvement de recul. Lentement mes doigts glissèrent sur son grain légèrement rugueux. Aurait-elle la chair de poule ? Suis-je moi-même suffisamment sensuel pour lui prodiguer cet effet ? En tout cas elle ne rejeta pas mes caresses. Bien au contraire elle se roula dans mes mains comme soumise à toutes mes attentions, à tous mes gestes. Audacieux, j’entamai sur elle un doux et voluptueux déshabillage. Coquine, elle se laissa effeuiller et bientôt dépouillée de ses atours, elle s’offrit nue à mon impatient regard. Ses rondeurs à présent dépourvues d’apprêts inutiles, elle me fit cadeau de sa généreuse croupe, qu’en différents points je ne sus aborder. Mais alors que mes paumes se promenaient sur sa chaude et pulpeuse surface, accentuant la colère de mes sens, j’entrevis, caché sous un duvet intime, un accès secret.

Mon index curieux s’en approcha et caressa ce bouton situé à une extrémité de son corps. Celui-ci embaumait un parfum d’orient qui m’enivrait furtivement. Je voulus y coller ma langue, mais je me l’interdis, souhaitant en augmenter le plaisir ultérieurement. Alors mon pouce et mon index fouillèrent encore cet endroit et d’un coup sec, ils écartelèrent les quartiers juteux de cette orange sanguine.

ERIC GABRIEL gabriel68@sfr.fr


Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

L'ancien pays - Dis-moi grand-père, comment c’était déjà la neige ? - Oh, tu sais moi-même je n’en ai jamais vu alors… Mais mon propre grand-père disait que c’était comme de l’eau, mais aussi doux et léger que du coton, mais froid comme le blizzard qui souffle à présent. - Aussi léger que du coton ? Et on pouvait habiter dedans il parait ? - On appelait cela des igloos, mais ce sont de vieilles tribus disparues aujourd’hui qui habitaient dedans, je ne me souviens plus de leurs noms. - Et le ciel, parles-moi du ciel, il était bleu, c’est vrai ? - Ça, je l’ai vu, avec de beau nuages cotonneux ! - Comme de la neige ? - Oui c’est ça, et avec des formes bizarres, des têtes de lapins, des moutons… - Mais pourquoi le ciel est tout gris et épais ? - Parce que les gens ne regardaient plus le ciel, mais des écrans, des télés. Alors on a dit que ça servait à rien un ciel bleu, et on l’a rendu gris… - Qui ça ? - Des gens qui étaient gris dans leurs têtes et ils ont tué les gens qui avaient du bleu dans leurs yeux… - Alors ils avaient la figure bleue aussi, parce que les gens gris dans leurs têtes, ils sont aussi gris sur leurs figures ? - Peut-être bien… - Et la mer, de quelle couleur elle était ? - Bleue aussi. - Comme le ciel ? - Oui, la mer et le ciel étaient très amis autrefois… Mais moi je ne l’ai jamais vue, la mer. - On dit quelle est grise aussi, comme le ciel… - C’est bien possible… - Dis, c’est vrai qu’il y avait un pays bas qui a été engloutit sous la mer grise… - C’est bien possible…

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Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

Bébés à vendre « - S’il vous plaît, Le rayon des jumeaux ? » La jeune vendeuse indiqua l’escalator : « Deuxième étage ! » Le jeune couple ravi s’y dirigea. La jeune femme tenait son pass en main, reçu la veille du ” Ministère des naissances autorisées ” : Bon pour deux êtres humains de basse naissance – Sexe indifférent – Gémellité permise – « Allons voir quand même, des jumeaux, ça peut être sympa », fitelle à son compagnon. L’autre maugréa: « On avait dit une asiatique pour commencer ! Elles réussissent mieux à l’école ! Et puis, un d’Europe du centre… - Ecoute, faisons le tour du magasin, d’abord. Y’a certainement des offres. - Absolument madame, intervint un jeune vendeur. Actuellement pour un petit Cambodgien et une Bolivienne, vous avez la poussette gratuite ! Une affaire. - Euh, la Bolivienne, on pourrait la remplacer par une indo-européenne ? - Désolé, je n’en ai pas en stock ; Mais j’ai une Africaine du Sud, reçue hier. - Tu vois, on trouvera bien chaussure à notre pied. - Euh, on fait encore un tour, merci. - Mesdames et messieurs et chers clients, lança un haut parleur, un arrivage exceptionnel de jumeaux est à votre disposition. Profitez-en au deuxième étage… - Tu vois bien, je te dis qu’ils sont faits pour nous ces jumeaux. Et puis il y a la garantie de trois mois. S’ils sont trop bruyants on les rapporte. Et hop ! - Et hop ? »

Ils repartirent, lui avec le caddy et ses deux jumelles australiennes et elle avec un chariot plein de couches culotte, trois sacs pour le prix de deux. Une sacrée affaire…

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Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

J’avalerai la boite entière Depuis son départ, rien ne tournait rond. J’avais perdu l’appétit, le goût, l’envie… Ses pas dans l’escalier émettaient des bruits particuliers ; ils ne résonnent à présent que dans ma mémoire. Heureusement, je me raccroche à ses photos. Souvenirs sans reliefs de nos souvenirs passés. La solitude m’a rendu dépressif. Non pas cette dépression sans issue, ingérable pour soi comme pour les autres, mais une indicible mélancolie qui phagocyterait mes envies. Alors j’ai commencé par en prendre, à petite dose. Le soir tout d’abord avant de me coucher, puis en pleine après-midi. Parfois, au travail, lorsqu’un souvenir était régurgité par ma mémoire, il m’en fallait pour masquer ma douleur.

L’état dans lequel je me trouvais après me laissait cotonneux. J’ai donc augmenté les doses au point aujourd’hui d’en avoir le subtil équilibre. Un matin, je me suis même surpris à me demander pourquoi j’en avais ingurgité la veille. Mais très vite mes angoisses ont pris le dessus et ce soir, je sais pourquoi je finirai la boite. Car je l’ai décidé, j’avalerai la boite entière, accompagnée de mon bourbon préféré. Une alliance de circonstance qui me plongera dans une fine rêverie. Alors je me suis façonné une lumière feutrée, une douce musique, une agréable chaleur. Et j’ai plongé la main dedans ! D’abord les pralinés, mes préférés, qui façonnent le palais et le préparent à l’âpreté des chocolats noirs. Ensuite, les noisettes et amandes, et enfin les liqueurs, kirsch, grand Marnier, poire williams…

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Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

La sexualité du trombone Insecte de nos bureaux, le trombone est un rescapé des bouleversements climatiques. Autrefois à poils drus pour se protéger des intempéries de toutes sortes, le trombone a subit une dépigmentation pileuse. A présent plus connu sous l’appellation du « trombone à cou lisse » sa fragilité n’a d’égale que sa facilité d’acclimatation à nos bureaux ou à nos orchestres symphoniques.

Mais grâce au défunt professeur Mantilius, nous en savons un peu plus sur l’origine sexuelle du trombone. L’hermaphrodisme de cet insecte est prouvé, alors que celui des chanteurs de la Star Academy reste à déterminer malgré une pâle tentative. Grâce aux ossements conservés au musée d’histoire naturelle, le professeur a démontré dans son ouvrage « De la nécessité du démonte-pneu dans l’élevage des coquecigrues », que le squelette du trombone ne peut être qu’unique et indivisible, prouvant que le corps du trombone et son sexe ne font qu’un et deux à la fois. En effet, la forme phallique indéniable du squelette de l’animal prouve qu’il est un mâle, alors que la fente évidente au centre de son corps est évidemment l’expression vaginale de sa féminité ! Mais alors, tout s’explique ! L’entremêlement évident de ces trombones sur nos bureaux prouve que la copulation ancestrale, qui a mené ces êtres à survivre aux dinosaures, demeure vivace.

Le Pr. Mantilius conclut que si l’insecte survit, même à l’état de squelette et avec moins d’un neurone par bestiole, on peut toujours passer ses nerfs dessus

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Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

L'enfant au ballon rouge Son regard était profond et noir. J’avais envie de m’y perdre à jamais. Pour le moment, il était dirigé vers cet enfant qui jouait avec un ballon rouge. Il le lançait en l’air et attendait qu’il retombe sur sa tête, et il riait. Mais d’un coup de pied, il le lança dans ma direction. Les feuilles jaunies le freinèrent lentement et sa course mourut aux pieds de mon banc. Alors il s’approcha furtivement, saisit son ballon et tourna son visage en l’inclinant de côté. Je fis de même et il me sourit. D’un coup d’œil, je m’aperçus que le regard de ma belle inconnue avait suivi la scène. C’est à ce moment précis que ses yeux se reflétèrent dans les miens. Lorsque l’enfant repartit jouer, elle ne détourna pas la tête, elle semblait me découvrir, moi qui la dévisageais depuis si longtemps. Alors elle baissa ses yeux d’ébène au sol, comme gênée de cette soudaine promiscuité du regard. Elle était fine, comme découpée dans du papier de soie. Son cou arborait un délicieux collier au bout duquel flottait une fine médaille d’or. Que pouvait révéler cette médaille ? L’enfant faisait voleter à présent les feuilles mortes du parc. Ce dernier allait fermer et le jour laissait des rubans orangés dans ce ciel d’automne. Un homme s’approcha de lui et le prit par la main. Elle les guettait, anxieuse. L’homme s’approcha d’elle avec l’enfant. - Allez viens Lucas, on rentre avec Princesse. Alors il sortit une laisse et l’attacha au collier de celle que j’aimais. De rage, je levai la patte sur le premier réverbère !

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Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

Une belle jambe D’abord j’ai ressenti comme des fourmillements dans la jambe. C’est, paraît-il, ce qui arrive après l’opération, la jambe disparaît mais pas les fourmillements. Heureusement, le Dr Sabathier est le meilleur du canton pour couper des membres. L’ennui pour moi, c’est qu’il s’est trompé. Il m’a coupé la jambe droite au lieu de la gauche, et a créé un espace vide nouveau au bout de ma cuisse ! Naturellement, j’ai été contrarié de ne pas pouvoir marcher à nouveau, mais le Docteur m’a dit que de toute façon, avec une seule jambe, des fois, on en fait moins qu’avec les deux coupées… Et puis faut dire c’qui est, c’était du beau boulot ! L’opération s’était bien déroulée, bien recousue, impeccable. Là, chapeau. Même ma Germaine m’a dit que c’était mieux fait que les ovaires de la tante Luce. Le docteur a été chic, il ne me fera pas payer la deuxième opération et m’offrira même la deuxième béquille ou une remise sur la deuxième jambe artificielle. Le rêve non ? Faut dire que là, y’en a pas beaucoup qui l’auraient fait. De toute façon le toubib a dit que la gangrène de la jambe gauche, elle aurait pu aller dans la droite. Et même que peut-être ça s’était déjà fait, que la jambe allait être autopsiée… C’est vous dire comme c’est sérieux chez le Docteur Sabathier. En plus il vient tous les jours me voir, me demande si ça se passe bien, si j’ai bien dormi, qui est venu me voir, à qui j’ai parlé… Alors il part rassuré, en paix. Germaine elle pense que je devrais en parler à notre médecin traitant, que je vais ramer tout le restant de ma vie ! Mais il est bientôt plus vieux que moi, alors qu’est-ce qu’il y connaît, à la chirurgie moderne ? D’abord il faut toujours le chercher, jamais présent quant il le faut, notre médecin ! Depuis qu’il a tâté les ovaires de la tante Luce, elle broie du noir à longueur de journée. Pas psychologue pour deux sous… Pourtant ses notes, elles sont salées. Moi j’ai confiance dans le Dr Sabathier, quand je le vois avec ses lunettes d’écaille, sa cravate bleue et ses cheveux blancs, je me dis que c’est important d’avoir confiance en son chirurgien. Et pour mon appendicite, je saurais à qui m’adresser… ERIC GABRIEL gabriel68@sfr.fr


Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

Mischa ou la douceur éternelle

Son corps rejoignit le mien en une étreinte farouche. Mischa était une rousse au teint blanc que j’avais aimée dès notre premier regard. Mais il fallut bien des mois pour que cet instant n’arrive. Des jours où le soleil faisait pâle figure face à sa chevelure de feu. Des jours où la neige jalousait son teint opalin. Sa force était aussi dans le mouvement de son corps effilé, comme un roseau vainqueur de la bourrasque. Et c’est ce corps qui, allongé sur moi, me couvre de sa soyeuse douceur. Une peau que je n’espérais plus caresser, ni espérais goûter. A l’instant, ses yeux verts fixaient mon visage. Et ses lèvres au pourpre éclatant attendaient tendrement un baiser. Je n’espérais plus Mischa. Non je ne l’espérais plus. Elle qui se souciait si peu de ma personne. Elle qui, hier encore, me croisait sans me saluer. Non je ne l’espérais vraiment plus. Et quelle cruauté suprême pour moi, que de sentir ses seins sur ma poitrine, son sexe secret coller au mien et de ne pouvoir aller plus avant. Depuis combien de temps espérais-je ce moment d’intimité avec elle ? Je puis à peine bouger mes doigts pour lui effleurer la peau.

Un autre corps nous tomba dessus. Celui de Samuel, tué par la même arme qui meurtrit à jamais le corps de Mischa. Moi, la balle m’a perforé le foie, et je meurs lentement, les yeux ouverts, voyant tomber les autres villageois. La fosse va bientôt être pleine. A défaut d’avoir pu vivre avec Mischa, je mourrais heureux dans ses bras pour l’éternité.

ERIC GABRIEL gabriel68@sfr.fr


Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

Bouts de vies Je suis assise toujours à la même place. J’y suis bien car cela me permet de voler des bouts de phrases, de conversations, des bouts de vies... Et puis je sais que vers 16h, la bibliothécaire se prépare un café. L’arôme de celui-ci est puissant, presque charnel. Surtout l’été, lorsque la moiteur de la salle nous reste collée à la peau. Et puis à cette place, j’entends l’ordinateur et son souffle lent. Modernité et poussière se côtoie en une même salle. Et ce silence, quelle audace, quelle puissance ! De nos jours quel luxe, une pièce dans laquelle le silence n’a pas à être imposé. D’habitude le silence est mon ennemi, mais ici je le sens qui m’enveloppe, qui me serre, qui me veut… Alors je perçois de temps à autres des toussotements, des reniflements, des frottements. Ces bruits sont les paroles de ce lieu.

Et ces livres. Sagement classés par auteur ou par thème, attendant la main audacieuse qui les fera se découvrir. Se mettre à nu devant tous les autres, ouvrir les pages au regard violeur du lecteur. Tous ces livres qui contiennent tant de secrets, tant de morts, tant d’amour… Est-ce que les personnages changent de livres lorsque la bibliothèque ferme ses portes ? Combien de morts dans « Guerre et paix », combien de soldats dans « La garde blanche » combien de parties dans « Le joueur d’échec » ? - La bibliothèque va fermer, mademoiselle. Puis-je vous aider ? - Non ça ira, merci. « Je me demande bien ce que peut chercher cette aveugle ici, songea la bibliothécaire. Toutes les semaines, assise sans rien dire, sans rien lire, sans autre regard que celui dont elle est prisonnière. Hum, la vie n’est pas toujours juste pour tous. »

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Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

Elle regarde par la fenêtre

Dehors les feuilles d’or se chevauchent une à une sur la pelouse fripée. Quelques semaines avant, elles se frottaient l’une contre l’autre dans la moiteur d’un été torride. Sur le banc, sous l’arbre, un couple entoure un nonagénaire qui ne les reconnaît même plus. Ses yeux fixent l’enfant, qui joue avec les pigeons. Il court vers eux mais les volatiles s’envolent. Lui éclate de rire. Ses parents ne le regardent même plus, ni le petit, ni le vieux, ceux deux là réunis dans un même dédain. Mais lui, le vieux, dans son mutisme et sous ses rides, n’en perd pas une image. « Son arrière petit fils sans doute » ! Pense Mme Maillard. Elle regarde par la fenêtre. Et elle aimerait être à la place de ce vieux là. Lui qui à la chance d’avoir des petits enfants et même des arrières petits enfants qui viennent lui rendre visite. Alors qu’elle… Le petit joue avec un une tourterelle, qui grappille une maigre pitance sous les feuilles. Il veut l’attraper, mais elle s’enfuit par à-coups. Les parents s’ingénient à hurler à l’oreille de leur aïeul, comme pour mieux se prouver « qu’ils auront tout fait pour lui, mais voyez, il ne nous reconnaissait même plus » Elle regarde par la fenêtre. Et la tourterelle s’envole une fois pour toute et passe devant sa fenêtre. En la suivant du regard, l’enfant a aperçu la vieille femme. Il lui fait signe de la main. Mais trop faible pour lui répondre, elle bouge la tête… Et déjà l’enfant court vers d’autres envies. Elle regarde par la fenêtre. Elle se souvient de ses jeux lorsqu’elle avait son âge. C’était un autre temps, pendant une autre guerre, pendant une autre vie… une autre vie… un autre souffle.

L’aide soignante regarde par l’entrebâillement de la porte : Alors Mme Maillard toujours derrière cette fenêtre ! A force vous allez connaître le les gens du quartier par cœur. Allez c’est l’heure de votre toilette. Faut vous faire belle… Mme Maillard ? Mme Maillard ? Oh non. Martine ! Crie-t-elle, la 212 est morte… ERIC GABRIEL gabriel68@sfr.fr


Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

Le rhum de la vie Lorsque j’ai aperçu l’inscription « Rhum de Martinique » sur le dos du carton, des bouffées de senteurs, des éclats de couleurs se sont réveillés en moi. Je me souviens de Fort de France et de son aéroport bondé de touristes, les uns, blancs comme neige croisant les autres, aux visages cuits par un soleil trop généreux. Car il est généreux et solide, ce soleil de Martinique, aiguillant ses rayons sur les crânes et les bananiers. Mais aussi dardant ses pics chauffés à blanc sur des champs de canne à sucre. Et cette vaste autoroute qui traverse de part en part cette longiligne île aux reliefs accidentés. Ah Martinique ! Que d’odeurs, de visions d’antan, de vertes collines que domine un volcan capricieux. Où es-tu Martinique de ma jeunesse. Si loin, là-bas de l’autre côté de la grande flaque… Eau ruisselante sur mon visage quand le ciel pissait en abondance, emportant des parfums de terre et de mer. Et tes jardins foisonnants de fleurs aux couleurs aveuglantes, tel Balata, paradis perdu au détour d’un sentier mystérieux. Et ce sable noir, cuit par le démon de la terre ou si blanc mourant dans la mer… Martinique… Martinique… Tu es là au dos de ce carton que je renifle… Mais non, aucune odeur ne s’en échappe, seuls mes rêves s’y sont échoués. Mes rêves et mon corps.

A paris, il fait – 12 degrés, et les rues sont mortes comme sont mortes mes idées de retour. Cette couverture de carton, est mon seul bien à présent, mon permis de voyager. Sous ce porche, je me maintiens au chaud en regardant les passants furtifs, fuyant vers leurs paradis.

ERIC GABRIEL gabriel68@sfr.fr


Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

En vert et pour tous. (2e prix du 14e concours de nouvelles de l'Eveil-plumes)

A l’école des beaux-arts, on vous apprend rapidement à ne plus penser par vousmême. On crayonne des fruits morts, des corps vivants, des objets froids avec des portes mines sans âme. Moi, ma peinture je la désirais, comme on désire une femme, avec un corps, une surprise, alors après avoir épuisé mes enseignants, je me tournai vers l’inconnu. Je repris ma liberté de penser ma peinture, comme d’autres pensent tout haut. Mes qualités premières étaient les couleurs. Le Fauvisme et Pointillisme, (mes deux premières amours), m’apprirent à en maitriser les dosages, les voisinages et les interdits. Les couleurs reflètent l’âme d’un tableau. En excès, il la perd, et en minimalisme, il la cache. C’est pour cela que la bande dessinée fit appel à moi. Ce travail faisait chauffer la soupe, et me permettait d’affirmer ma technique. Je travaillai pour plusieurs maisons réputées et les dessinateurs, ne manquaient pas de souligner mon talent. L’un d’entre eux, Max, m’envoya un SMS étrange. Un certain Monsieur Kling désirait me parler et me donnait rendez-vous dans sa villa située à vingt kilomètres de mon domicile. Son chauffeur, passerait me prendre dans deux heures chez moi. Intrigué, je tentai de le joindre mais son téléphone était à présent sur messagerie. Effectivement, quelques heures plus tard, une Jaguar authentiquement vintage, s’arrêta devant mon modeste immeuble. Outre

que son âge avait dépassé le mien (et je venais de passer le cap de la trentaine), la vieille anglaise était repeinte en vert Smaragdin. Un goût douteux qui ne la laissait pas indifférente à défaut de la valoriser. Mais, qu’importe la couleur tant qu’on a le confort et l’argent qui l’accompagne. Je fermai mon appartement, saisit mon pressbook et dévalai les deux étages avec rapidité. Le chauffeur n’avait pas pris la peine de descendre de la voiture, mais la porte arrière droite était ouverte. Je m’introduis dans le véhicule et me trouvai face à une nuque sombre. La conduite étant à droite, je me décalai afin d’apercevoir celui qui m’emmènerait vers cet inconnu. Mais ce qui m’interpella une fois à bord, ce n’était pas le mutisme de mon chauffeur, ni le fait qu’il soit de type africain, ni même que la sellerie soit verte, ainsi que le tableau de bord ou le volant, non ce qui m’intrigua était que mon chauffeur avait les cheveux crépus couleur VERT GAZON.

Il parcourut les quelques kilomètres de campagne avec lenteur et attention. Puis nous arrivâmes dans un petit village endormi sous la chaleur de l’été. A la sortie, un chemin nous conduisit devant une grille haute et opaque. Un chemin gravillonné bordé de tilleuls, mais aussi de statues modernes, nous mena à l’entrée du bâtiment. Une façade moderne, épurée, aux larges baies vitrées.

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En vert et pour tous. (suite) En franchissant la porte, je remarquai, outre la livrée vert céladon du « Nestor » qui m’accueillit, le vaste hall d’entrée qui m’étonna par ses dimensions. Un escalier suspendu dans le vide, des colonnes doriques incongrues ne soutenant que l’air, un plafond sans fin, le tout décliné dans différentes variantes de vert. Vert tilleul pour les murs, épinard pour les colonnes, vert citron pour le plafond, et des damiers de carrelage en patchwork déclinés en différentes nuances de vert. Pas un centimètre ne révélait une autre couleur. Les rares meubles eux aussi étaient habillés d’une parure verte. Ainsi, je devinai un meuble de l’école Boule en vert anis. Sacrilège ? « Nestor » me conduisit à l’arrière de cette vaste maison où mon hôte m’attendait. Vêtu d’un costume de lin vert anglais qui recouvrait un tee-shirt vert d’eau, (tenue somme toute classique), il se leva de sa chaise longue le sourire accueillant et me tendit la main. Chauve, la petite quarantaine, il me dominait de deux bonnes têtes.

journée se faisait sentir et la piscine devant moi était attirante. Son eau était verte, couleur algue et j’imaginai les trois belles filles qui s’amusaient dedans avec des corps de sirènes. Leurs seins flottaient, libérés du carcan textile qui d’habitude les oppresse.

- Elles sont belles, n’est-ce pas ? Je hochai la tête. Si leurs longues chevelures étaient aussi vertes que l’eau dans laquelle elles évoluaient, leurs corps étaient d’une pâleur extrême. Et lorsqu’une de ces naïades sorti de la piscine, je découvris avec stupeur que sa nudité était totale, agrémentée d’une toison pubienne aussi verte que ses cheveux. - J’aime bien les rousses, et je les redéfinis à mon goût…

- Et aussi à votre passion pour le vert. Autant vous dire, monsieur Kling que je suis coloriste que sur papier et non sur la peau de rousses ni de blondes d’ailleurs ; et ne suis pas ici pour coloriser vos fantasmes !

- Monsieur Lhotellier, merci d’être venu si - Ne vous offusquez pas, il s’assit sur le bord de sa chaise longue et prit un air plus vite. Puis-je vous offrir un verre ? grave, si je vous ai fait venir, c’est que j’es- Merci, mais je crois que je suis déjà servi ! père de vous la création d’une nouvelle couEt de montrer les différents verts qui nous leur verte. Une couleur qui porterait mon entouraient. nom !

- Et de l’humour aussi. Vous me plaisez Je l’interrompis : déjà. Prenez place. - Comme Klein et son…

J’obtempérai à son injonction et il me versa - Chut ! Ici on ne prononce pas d‘autres coutout de même une menthe à l’eau. leurs que le vert. - Par cette chaleur, la menthe rafraichit. En effet, la température élevée de cette ERIC GABRIEL gabriel68@sfr.fr


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En vert et pour tous. (suite) Il héla une jeune femme que je n’avais pas encore aperçue. Aussi nue que les baigneuses, avec en prime une pierre verte étincelante collée au nombril, elle s’avança portant un coffret en bois. Je découvris émerveillé des centaines d’émeraudes aussi magnifiques les unes que les autres.

décevant. Je tentai des mélanges sur ma palette d’ordinateur, mais le meilleur logiciel du monde ne peut donner que ce qu’il reçoit. Et en l’occurrence, je cherchais ce qui n’existait pas. Quinze jours après, aucun de ces verts ne me donnait satisfaction. Pire encore aucun n’avait d’originalité. Souvent trop foncé, ils s’affadissaient au contact de - Si vous réussissez, vous pourrez en pren- teintes plus claires. dre deux belles poignées. Voilà le prix de votre effort. Êtes-vous d’accord ? Un soir, las de ces essais, je descendis au bistrot du coin. Les habitués me saluèrent Je plongeai mon regard dans ses yeux ainsi que le patron. Adossé au comptoir, un verts. J’hésitai un instant, ce type était-il fou type que je ne connaissais pas, passa sa ou un véritable inconditionnel du vert et ces commande. En mélangeant son breuvage, pierres étaient-elles vraies. Mais quelques la teinte de son verre devint verte. Je dechose me dit que refuser serait aussi stu- mandai la même chose au patron. Je le repide que d’accepter, donc j’acquiesçai. gardai faire, il dosait approximativement la Kling m’apprit qu’il était un des plus grands menthe, mais ajustait parfaitement le pastis. producteurs d’émeraudes au monde et que Un perroquet. J’ajoutai de l’eau. Pas assez sa passion pour le vert l’avait envahi le jour ! Encore. De trop ! Je lui en commandai un de la découverte de sa première pierre pré- deuxième, la encore trop d’eau. Puis un troicieuse. Depuis, il cherchait à créer ce vert sième. La nuance était imperceptible à l’œil éternel qu’à l’opposé de Yves Klein, il ne non expert. Alors, je lui demandai un quaprotègera pas, souhaitant que son vert co- trième verre avec plus de menthe. Au lore des voitures, des halls d’entrée ou des sixième, je devins l’attraction du bar. Le nez pots de peinture serrés en rang d’oignon au raz du comptoir, mes yeux étaient collés dans les rayons de magasin de bricolage. aux six verres au garde-à-vous. Je payai Seule la reconnaissance l’intéressait. Voir le mes consommations et demandai à empormonde en vert et pour tous. ter le dernier verre chez moi, ou plutôt le Je me mis aussitôt au travail, mélangeant dernier vert. Le patron haussa les épaules, différents pigments du vert chrome au vert geste qui résuma son désintérêt face à mon chartreuse. Dosant au plus précis, éliminant expérience. les teintes trop dominantes, Kaki, Anglais, Hoocker, rajoutant du vert citron de l’anis ou de la pistache. Mais le résultat était toujours ERIC GABRIEL gabriel68@sfr.fr


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En vert et pour tous. (suite) Cette fois je pris le temps de noter chaque dose de pastis versée dans mon verre, ainsi que celle de la menthe. J’investis dans des dizaines de marques de sirop, idem pour le pastis et souvent le résultat finissait dans mon gosier. Mais la créativité nécessitant de la rigueur et de la sobriété, j’arrêtai rapidement mes dégustations. Je cherchai un vert puissant, sans toutefois devenir dominant. Il sera mystérieux, original et repérable de suite. Sans vouloir imiter le Klein dont j’enviais l’originalité. Les gens sont incultes en matière de nuances de couleur, mais le Klein est repérable de suite parmi ses cousins. C’est ce que Kling souhaitait. De l’audace avant tout, mais le respect de la couleur. Très vite la nuance idéale m’apparut, mais elle demeurait sous forme liquide. Alors, pas à pas je recommençai mes mélanges avec mes pigments. J’en créai certains. Puis, n’ayant plus assez de toile, je peignis mes murs en damiers de différents verts, ainsi que le plafond et un matin, je le découvris en me réveillant.

retrouve aux côtés de mon nouvel ami. Très excité par ce que j’allais lui présenter, il m’accueillit à la porte de sa villa. « Nestor » en retrait leva les yeux au ciel en voyant son maître se saisir lui-même de la toile que j’avais apportée. L’instant d’après nous nous retrouvâmes seuls dans un salon donnant sur sa piscine. Les filles devaient encore dormir car, si le soleil donnait déjà, aucun transat n’était occupé.

- Monsieur Lhotellier vous allez m’annoncer une bonne nouvelle, j’en suis certain. Il alluma un cigare en prenant son temps, sans m’en offrir un, puis s’assit dans un fauteuil de cuir blanc. Montrez-moi ! Alors que je voulus lui expliquer le processus de recherche, l’impatient préféra découvrir le résultat aussitôt. Alors je lui dévoilai ce nouveau vert. Il tint son cigare du bout des doigts, alors que la fumée s’échappait de sa bouche entrouverte. Je ne parlai pas mais le regardai fixement. Un visage si différent de celui qu’il m’avait réservé à l’acLa veille au soir j’avais peint ce carré de cueil. Une expression d’étonnement face à quarante sur quarante centimètres, sans en l’inconnu, entre douleur et jouissance. être vraiment convaincu. Mais à mon réveil, - Admirable ! ADMIRABLE ! la nuit ayant séché la couleur et la lumière du matin l’ayant sublimé, ce dernier carré - Merci, mais… révéla sa splendeur. Un nouveau vert venait de naître ! - C’est tout ce que je voulais, un vert puisLa Jaguar vint me prendre à 10h ce matin sant, gai, mystérieux celui-ci est comme… de fin d’été. Mon chauffeur, toujours aussi peu loquace, me regarda à peine. Une - Trouble ? bonne demi-heure lui suffit pour que je me ERIC GABRIEL gabriel68@sfr.fr


Les Mini-Nouvelles d'Éric Gabriel

En vert et pour tous. (suite) Il hésita.

dans un bar que l’idée m’était venue. Nous nous quittâmes, lui avec son vert « Kling » et - Oui c’est cela… trouble. Puis un long si- moi avec mes émeraudes. Son chauffeur me lence. Je laissai son regard vagabonder d’un déposa devant chez moi. Je le saluai sachant angle à l’autre de la toile, comme-ci il décou- que je ne le reverrai sans doute jamais. Lui se vrait un nouveau paysage de Gainsborough, contenta d’un signe de tête et redémarra en alors que la toile n’offrait qu’une uniformité de douceur, semblant glisser sur l’asphalte. vert. Il frappa des mains et Nestor apparut Je demeurai un instant ainsi, puis tournai les avec un seau à Champagne, suivit du chauf- yeux vers la boutique de Luigi. Je devais marfeur tenant la cassette d’émeraudes. Fêtons quer le coup. Cette aventure de moins d’un cela, je crois que vous le méritez. mois, m’avait touché, aussi je décidai d’en Il s’apprêta à me servir en Champagne, prolonger le changement. lorsqu’il m’apparut raisonnable de demander En poussant la porte, la petite clochette tinta. un… Luigi était un vieux Calabrais qui avait fait toute sa carrière dans ce modeste salon, - Un perroquet, qu’est-ce que ceci ? S’étonna après l’avoir racheté à son patron. mon hôte. Nestor lui confirma le breuvage et en rapporta - Eh, garçon, c’est pour une coupe ? deux l’instant d’après. - Non Luigi. Aujourd’hui je voudrais que tu me - Il reprit : Comme convenu, vous abandonnez fasses une nouvelle couleur pour mes chevos droits sur cette couleur contre deux belles veux. poignées de ces pierres. Servez-vous ! Il haussa les épaules, n’en devinant pas l’inJe maudis mes parents de ne pas m’avoir fait térêt. des mains plus grandes. J’en plongeai une et en extrait une belle poignée que je fourrai - Ok, si tu veux. Et de quelle couleur. dans un sac en bandoulière, je recommençai Je lui sortis un flacon de ma besace. une seconde fois, et je pense que j’aurai pu vider le contenu du coffre dans mon sac, tant - En vert Kling ! mon hôte s’en désintéressait. - Hum, ce « Perroquet » n’est pas mauvais du tout, fit-il en reposant le verre. Mais dites moi, vous avez dû chercher longtemps pour avoir cette idée, n’est-ce pas ? Je hochai la tête n’osant lui avouer que c’est

ERIC GABRIEL gabriel68@sfr.fr


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