Tibia et Péroné

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Tibia et Péroné

et autres os à ronger

Que faire lorsqu’un gardien de cimetière, découvre un cercueil vide au fond d’une tombe, vieille de près d’un siècle ? C’est ce qui arrive à Edgard Péroné, conservateur du cimetière de l’ouest. Aidé de son chien Tibia, Ils partent tous deux à la recherche de ce défunt, fugueur et usurpateur de sépulture. Mais leur découverte ne s’arrêtera pas à la révélation de son identité, un autre mystère les attend. Et que cache cette énigmatique lettre, qu’Edgard reçoit tel un testament venu d’un lointain passé ?

Tibia et Péroné

Eric Gabriel

Né en 1963, à Châlons en Champagne, Eric Gabriel brosse l’atmosphère du «cimetière de l’ouest», cimetière de sa ville natale, où son propre grand-père était gardien dans les années 1960. Si les tombes, parfois étranges, ainsi que les quartiers sont décrits avec réalité, les faits demeurent de la pure fiction. Eric Gabriel vit en Alsace depuis les années 1990, marié et père de trois enfants, il a publié en 2011 «Maux croisés» recueil de nouvelles.

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Nouvelles — Eric Gabriel

Eric Gabriel

Tibia et Péroné et autres os à ronger Nouvelles


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Tibia et Péroné Prologue Je me nomme Péroné. Edgard Péroné. Edgard comme le prénom, Péroné comme l’os. Mon chien s’appelle Tibia. Lorsqu’on nous désigne du doigt ou d’un coup de menton, on dit : “ Tiens, v’la le tibia et le péroné ! ” Et en général j’entends des rires derrière moi. Allez savoir pourquoi. J’habite un pavillon de banlieue, en province. Je me suis toujours demandé pourquoi les pavillons se situaient tous en banlieue. A Paris les pavillons ne se nomment pas les pavillons de Paris. D’ailleurs il n’y a pas de pavillons à Paris, il n’y a que des champignons qui poussent dans le métro. On les appelle des parisiens. Moi, je ne mange jamais de champignons. De Paris où d’ailleurs, ils sentent la mort et moi la mort je 7


vis avec. Enfin avec, je devrais plutôt dire à côté, dessus, parfois dedans. Car moi les morts je les enterre. Leurs pavillons à eux sont assez étroits, plutôt humides et incommodes. Un F1 sans confort, avec de nombreux voisins, très calmes pour la plupart. Mon cimetière possède ce côté suranné qui sied si bien aux villes anciennes. On devrait toujours visiter en premier, le cimetière d’une ville que l’on ne connaît pas, afin d’y sentir l’odeur de son passé. Ici, les noms sont plus parlants que le bottin des postes. Cette liste de patronymes ensardinés, n’étant que le reflet du moment. Un corps n’est pas souvent enseveli là où il a vécu, et bien rares sont ceux qui peuvent longer leur dernière demeure, le matin en allant au bureau. Pourtant moi, c’est mon cas. Non seulement je longe les murs de ce cimetière, mais en plus je peux saluer l’emplacement que j’ai choisi pour ma tombe future. Pour l’instant, il me faut bien avouer que celle-ci n’a pas fière allure. La lourde croix en pierre s’enfonce d’année en année à sa base, ne formant qu’un signe “plus” ridicule. De temps en temps, lorsqu’un visiteur me demande à qui elle appartenait, je réponds : “ A un mathématicien du siècle dernier “. J’ai beaucoup d’humour, mais rarement compris... La fonction peut-être ? 8


Les croix sont en pierre, parfois en marbre, mais les murs du cimetière sont en craie, parce que nous sommes en Champagne, à Châlons exactement. En face du cimetière, l’école possède également des murs faits du même matériau, avec des graffitis en plus. C’est étrange, il n’y a pas de graffiti sur celui du cimetière, le respect des locataires sans doute. Pourtant Tibia comme les autres chiens, fait pipi dessus et toujours au même endroit. Tibia est un chien bien élevé. Pas par moi, car je l’ai recueilli bien tard. En fait, c’est lui qui m’a suivi. Il y a neuf ans, sa vieille maîtresse s’est fait enterrer par un résidu de famille à l’affligeante indifférence. Un enterrement bâclé, on a jeté le cercueil au fond de ce trou comme un mouchoir à la poubelle. Puis la famille est partie et j’ai commencé à recouvrir la boîte d’une glaise chaude afin qu’elle n’ait pas froid le restant de son éternité. Il est apparu aussitôt après le départ de la famille et du curé. Un bâtard d’une touchante laideur, boitant d’une patte. Il s’est assis devant le trou, a regardé au fond puis a accompagné chacun de mes gestes d’un regard tendre. Son pelage était blanc et noir, il est à présent gris et noir, il claudique toujours autant et salue assidûment sa vieille maîtresse d’un petit pipi au coin du marbre. Je le laisse faire car il ne fait que sur cette tombe, d’un signe qui signifie: “ Elle est à moi, celle-ci“. 9


De ma rencontre avec Tibia, est né un journal que je tiens depuis ce jour. L’idée m’est venue d’écrire ce qui me trottait dans la tête, et il est normal que Tibia en soit le bénéficiaire. Ce journal lui est dédié, et j’ai décidé de vous livrer les passages évoquant l’histoire incroyable qui va suivre. Voilà mon univers, il est serein, fait du silence de mes fréquentations journalières et de la tendresse de mon chien. Il y a bien des années j’ai creusé moi-même l’ultime pavillon de mon épouse. Son cercueil était en bois clair et lisse aux poignées dorées. Je l’ai habillée de sa robe verte qu’elle affectionnait tant, et puis je lui ai glissé une bonne bouteille de VeuveCliquot brut, son Champagne préféré. Elle était gentille, elle m’aimait bien et moi aussi, mais son ventre est resté toujours plat et ce fut là notre peine à tous deux. E Péroné

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