Le Fil 16 juin 2016

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Retour au fleuve

sur la résistance aux antibiotiques

Roger C. Lévesque

Si rien n’est fait, 10 millions de personnes pourraient mourir chaque année des suites d’infections résistantes aux antibiotiques dès 2050. Un rapport publié le 19 mai pour le gouvernement britannique incite les pays du G20 à prendre ce problème à bras le corps. À l’Université Laval, l’Institut de biologie intégrative et des systèmes, dirigé par Roger C. Lévesque, travaille déjà sur cette question. Voici l’opinion du professeur au Département de microbiologieinfectiologie sur cette menace sanitaire.

Q Quelles sont les bactéries particu­ lièrement résistantes aux antibiotiques et dont les gènes sont transmissibles à d’autres bactéries ? R Le phénomène de la résistance aux antibiotiques s’aggrave avec le vieillissement de la population et les hospitalisations de plus en plus longues. L’hôpital constitue un milieu très favorable à la présence de bactéries capables de transférer leurs gènes de résistance. De façon surprenante, beaucoup de patients âgés meurent de pneumonie, car des bactéries comme les Klebsiella pneumoniae présentent une grande résistance aux traitements. Plusieurs infections pulmonaires sont devenues intraitables. D’autres bactéries, comme le Clostridium difficile, davantage opportunistes que pathogènes, s’attaquent à des personnes déjà malades ou affaiblies, qui ont eu des greffes par exemple. Il ne faut pas oublier que, pendant longtemps, les éleveurs ont utilisé des antibiotiques dans les moulées pour une meilleure croissance des animaux. Cela a contribué à favoriser la résistance des bactéries aux traitements. Cette utilisation est maintenant limitée, mais beaucoup de bactéries arrivent sans cesse d’autres pays. La transmission des microbes opportunistes pouvant transmettre des maladies est donc devenue planétaire, du fait d’un véritable brassage microbien mondial.

si longtemps, les médecins traitaient par antibiotiques aussi bien les virus que les bactéries. Aujourd’hui, ils sont mieux formés, et l’utilisation de ce type de médicament se fait plus restreinte. On doit aussi comprendre qu’au fil du temps, les compagnies pharmaceutiques ont un peu délaissé ce domaine de recherche. Concevoir un antibiotique, que l’on n’utilise qu’une dizaine de jours, cela coûte plusieurs milliards de dollars. Financièrement, il semble beaucoup plus intéressant d’offrir des traitements orientés vers les maladies dégénératives, les maladies cardiovasculaires, les problèmes d’embonpoint ou le cholestérol. Le patient va consommer ces médicaments durant de longues années, ce qui revient à plusieurs centaines de dollars par mois. L’autre problème, c’est que le choix de la chimie combinatoire, effectué par les laboratoires pour mettre au point de nouveaux antibiotiques, a été un échec total. Essentiellement, les compagnies modifiaient un peu la molécule de pénicilline pour la combiner à un antibiotique d’une autre famille afin de rendre le traitement mieux tolérable par le corps. Tout compte fait, aucun nouvel antibiotique n’a été découvert depuis 40 ans. Les laboratoires reviennent donc vers les produits naturels. On essaie de découvrir dans l’eau ou dans le sol des producteurs d’antibiotiques que l’on n’aurait pas encore trouvés. De nouvelles technologies, comme la génomique et des méthodes très fines de criblage, ouvrent la voie à de nouveaux antibiotiques.

Q Quelles sont les nouvelles stratégies établies pour la recherche de nouveaux antibiotiques ? R Les compagnies pharmaceutiques ont fini par comprendre qu’il n’était pas nécessaire que les antibiotiques tuent toutes les bactéries, car même celles qui sont utiles au patient ne résistent pas aux traitements à large spectre. En milieu hospitalier, cela a pour effet de rendre les malades très vulnérables à la moindre infection transférée par les bactéries disponibles autour d’eux. Les laboratoires tentent donc de trouver des antibiotiques beaucoup plus ciblés, très efficaces contre les infections pulmonaires ou qui traitent spécifiquement les infections de la peau. Les recherches s’orientent par ailleurs vers le contrôle du comportement de bactéries. Des molécules visent à arrêter les protéases, des enzymes qui attaquent les cellules humaines ou le corps lorsqu’elles sont en nombre suffisant. Ce type d’approche est encore expérimental, mais il apparaît très prometteur Q Quels sont les moyens à déployer lorsqu’il est combiné à l’utilisation en priorité pour lutter contre cette menace sanitaire ? Limiter les prescrip­ d’antibiotiques. Cette façon de faire, tions d’antibiotiques chez le médecin ? sur laquelle on travaille dans notre laboratoire, laisse plus de place au sysAgir sur l’alimentation du bétail ? R I l f a u t a c c o m p l i r p l u s i e u r s tème immunitaire. démarches en même temps. Il n’y a pas Propos recueillis par Pascale Guéricolas

Les investissements consacrés au contrôle des eaux usées portent aujourd’hui leurs fruits. Après une interdiction d’un demi-siècle, la baignade sera de retour cet été dans la baie de Beauport. photo JS Tremblay

La baignade dans la baie de Beauport reposera sur les prévisions quotidiennes d’un modèle conçu par des chercheurs de l’Université et de l’INRS par Jean Hamann Variabilité et incertitude. Voilà les deux éléments ave c l e s qu e l s l e s ch e rc h e u r s d e l ’ U n i ve r s i t é Laval et de l’INRS-Eau Terre Environnement ont dû composer pour concevoir un modèle prévisionnel de la qualité des eaux de baignade dans la baie de Beauport. Cette équipe, pilotée par le professeur Pe t e r Va n r o l l e g h e m d u Département de génie civil et de génie des eaux, a relevé ce défi en quelques mois, et son modèle sera utilisé à compter du 22 juin par la Ville de Québec pour déterminer quotidiennement si la qualité bactériologique de l’eau est sécuritaire pour la baignade. Il est relativement simple d’assurer la qualité bactériologique de l’eau d’une piscine, mais il en va tout autrement pour l’eau d’un site comme la baie de Beauport. « Le problème est qu’il y a un délai de 24 heures avant d’obtenir les résultats des tests bactériologiques, explique le stagiaire post­ doctoral Cyril Garneau, qui a collaboré à la création du modèle prévisionnel. C’est trop long pour assurer la sécurité des baigneurs parce que l’eau dans laquelle ils se trouvent n’a plus rien à voir avec celle qui a été testée. Contrairement à une piscine, la baie de Beauport est un système dynamique dans lequel l’eau du fleuve est continuellement renouvelée. Il y a aussi des apports d’eau en provenance de la rivière Saint-Charles, de la rivière Beauport et du ruisseau du Moulin, qui constituent des sources importantes

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Notre outil fournit une prévision de l’abondance des bactéries pathogènes et, surtout, une probabilité de dépassement de la norme à différents moments de la journée

de pollution diffuse lors de pluies abondantes. Il faut aussi tenir compte du fait que, dans une journée, il y a deux marées et elles sont de quatre mètres dans ce secteur. » Le défi consistait donc à prédire la qualité de l’eau de la baie pour une journée donnée à partir d’un ensemble de facteurs pouvant influencer la dynamique des pathogènes. « Nous avons utilisé des données compilées au cours des dernières années par le Service de l’environnement de la Ville de Québec, e x p l i qu e l e p r o f e s s e u r Vanrolleghem. Il y a environ

300 variables qui influencent la qualité bactériologique de l’eau et nous avons sélectionné celles dont on avait besoin. Il s’est avéré que cinq suffisaient. Notre outil fournit une prévision de l’abondance des bactéries pathogènes et, surtout, une probabilité de dépassement de la norme à différents moments de la journée dans la baie de Beauport. À la lumière de ces informations, les autorités de la Ville autoriseront ou non la baignade. » L’outil qui sera utilisé cet été est un modèle prévisionnel qui repose sur des statistiques. Peter Vanrolleghem et ses collaborateurs entendent améliorer ce modèle au cours des prochains mois en y intégrant des composantes hydrodynamiques qui permettront de mieux décrire le transport des pathogènes dans les eaux des rivières et du fleuve. « La Ville de Québec s’est dotée de bassins de rétention pour éviter que les eaux usées se retrouvent dans les rivières et le fleuve lors de pluies abondantes, e x p l i qu e l e p r o f e s s e u r Vanrolleghem. Grâce à ces infrastructures, les débordements surviennent quatre ou cinq fois par an plutôt que des dizaines de fois, comme c’était le cas auparavant. Sans ces bassins, il ne serait pas question de baignade dans la baie de Beauport. » Il y a maintenant un demisiècle que la baignade est interdite dans le fleuve à Québec, rappelle le chercheur. « Au cours des 20 dernières années, beaucoup d’efforts ont été consacrés au contrôle des rejets. Il aura fallu du temps et de l’argent, mais on constate aujourd’hui qu’il s’agissait d’un bon investissement. Il sera maintenant possible de se baigner dans le fleuve, en milieu urbain, même si la norme bactériologique est très sévère. Il s’agit d’un élément très positif pour la q ­ ualité de vie de la population de Québec. »


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