Branded Magazine #2

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Raison de la critique pure

Surdiplômé, surévalué, suranné même, j’ai tout entendu à mon sujet. En réalité j’étais surtout surendetté. Et devant l’urgence de la situation je me suis résolu à accepter le premier poste qui m’a été proposé. Critique à Libération. Ils ont très tôt pratiqué la discrimination positive et c’est grâce à cela que j’ai pu commencer à travailler et écrire mes papiers. Pourtant aucun de mes travaux n’était publié et toutes mes demandes les concernant restaient lettre morte. J’ai vite compris que c’était bien d’avoir un noir dans sa rédaction, c’était hype mais il ne fallait pas le laisser écrire sous peine que son idéologie ne contamine tous les autres membres de l’équipe. Ainsi je fus employé à réécrire les articles des autres parfois même à les écrire tout court. Et derrière mon travail, ils repassaient avant d’avoir ajouté de l’adoucissant. J’étais donc le nègre de la rédac au sens propre comme au

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figuré. Outre le fait d’avoir été véritablement spolié, j’ai compris à cet instant que la critique cinématographique était une vaste escroquerie. Après quelques années de loyaux services et sans jamais avancer le quelconque indice de ma présence derrière la plume de « grandes » signatures, je fus remercié en même temps que Serge July sous prétexte que j’étais son éminence noire comme ils s’amusaient à m’appeler. Trouver un nouveau travail par la suite fut un chemin de croix. J’ai pensé à tout, au suicide d’abord, à ma couleur de peau ensuite et petit à petit il m’est apparu évident qu’il s’agissait pour eux de resserrer les rangs et de ne pas ébruiter ce rôle que j’avais eu durant quatre années. Moi qui suis originaire d’un pays où il n’y a actuellement plus une seule salle de cinéma,


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