Innova n°23, le sport à la croisée des chemins

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L’ÎLE DE RÉ AUX COULEURS DE L’ESPAGNE L’ÉQUIPE DE FOOTBALL ESPAGNOLE A DÉCIDÉ D’INSTALLER SON

CAMP DE BASE EN TERRITOIRE RÉTAIS. LES LOCAUX S’ATTENDENT À UN DÉBUT D’ÉTÉ MOUVEMENTÉ.

PORTFOLIO FEMMES EN OR

TROIS CHAMPIONNES À L’ÉPREUVE DU QUOTIDIEN. TRAVAIL, PRÉPARATION, ENTRAÎNEMENT RYTHMENT LEURS EMPLOIS DU TEMPS.

HORS SÉRIE SÉSAME - MAI 2016 - N°23 - 2 EUROS MAGAZINE DE L’ANNÉE SPÉCIALE ET DE LA LICENCE EN JOURNALISME – EPJT – IUT DE TOURS

LE SPORT À LA CROISÉE DES

CHEMINS FACE À LA CRISE ÉCONOMIQUE, LE SPORT CHERCHE À SE RÉINVENTER. CERTAINS ACTEURS ONT RECOURS AU SYSTÈME D. D’AUTRES MISENT SUR DES FINANCEMENTS PRIVÉS.


L’ AVENIR COMMENCE AUJOURD’HUI

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’homme a toujours couru. Le sportif en particulier. Seul, en équipe, contre le temps, derrière un ballon. Le plaisir et la performance en ligne de mire. Mais avec cette crise économique persistante, l’horizon s’est embrumé. Le sport court aujourd’hui après l’argent. Avec la crise, les sponsors comme les collectivités territoriales et l’État réduisent la voilure. La ville de Tours, avec une baisse globale des subventions aux clubs sportifs de 5 % cette année, en est un exemple parmi d’autres. La question devient alors vitale : c’est quoi une politique sportive ? Le sport est d’autant plus important qu’il est pluriel. Avec I­ nnova nous avons voulu vous présenter toutes ces dimensions et les valeurs qui les accompagnent au travers d’aventures humaines : sur le terrain, comme avec les athlètes féminines de notre portfolio , ou en dehors, avec ces collégiens qui luttent contre les discriminations. Et parfois même sur la touche, avec des mascottes au cœur d’or. Nous avons découvert des disciplines nouvelles : des créations insolites ou évolutions étonnantes comme les jeux vidéo qui ouvrent de virtuelles arènes. Le sport est également facteur d’éducation et de formation de futurs athlètes et citoyens. Un parcours qui débute à l’école, pendant les temps d’activité périscolaires et va parfois jusqu’au centre de formation comme à l’Union Bordeaux-Bègles. Mais le sport est aussi fait d’événements, à l’image des Éco-Games ou de La Nuit des titans. Dépassement de soi, éducation, innovation, spectacle… Le sport a un impact sur la ­société tout entière. ­Sabrer les budgets qui le font vivre ­apparaît d’autant plus dangereux. Les répercussions ­négatives dépasseraient le simple cadre du stade.

La France est fière d’accueillir l’Euro 2016 et veut organiser les jeux Olympiques de 2024. La volonté est louable. Avoir le plus beau des stades olympiques dans huit ans, c’est bien. Mais si nos futurs athlètes n’ont pas les infrastructures pour se former aujourd’hui, la Marseillaise y résonnera peu ­souvent. Les médaillés olympiques de demain sont les ­enfants d’aujourd’hui. Il ne faut pas être avare d’argent quand on vise l’or.

P.S. Tout au long de ce magazine, vous trouverez des QR codes que vous pourrez flasher avec votre Smartphone ou votre ­tablette. Vous accéderez ainsi à des contenus textes, vidéos et photographiques qui enrichiront votre réflexion et votre expérience de lecture. Innova

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Photos : EPJT

LES ÉTUDIANTS DE LA RÉDACTION


21 DOSSIER

SUCCÈS ET REVERS LES POLITIQUES SPORTIVES ­­­ PASSÉES AU CRIBLE.

HORS SÉRIE SÉSAME - MAI 2016 - N°23 - 2 EUROS

Laure Colmant

Magazine des étudiants d’année spéciale et de licence en JOURNALISME – EPJT – IUT DE TOURS

16 PORTFOLIO

FEMMES EN OR PORTRAITS DE TROIS ATHLÈTES QUI CONJUGUENT LE SPORT AU FÉMININ.

Pierre Derrien/EPJT

Anna Lefour/EPJT

SOMMAIRE

« LE SPORT EST D’UTILITÉ PUBLIQUE » //4

TOURS SUR LE RING // 14

L’ÎLE DE RÉ AUX COULEURS DE L’ESPAGNE // 6

LE GRAND SILENCE // 29

La plume de L’Équipe,Vincent Duluc, partage sa vision du sport sans langue de bois.

Les acteurs locaux se préparent à accueillir les footballeurs espagnols pour l’Euro 2016.

CROCODILE DUNKY // 10

La mascotte superstar de l’équipe de basket de Nanterre tombe le masque.

Chaque année, lors de La Nuit des titans, les stars de la boxe en viennent aux mains.

À l’image de la judoka Marie Robert, les ­sportifs sourds veulent se faire entendre.

ILS SONT FOUS CES SPORTIFS // 30

Chess-boxing, rugby-golf, tchoukball… Partez à la découverte de sports improbables.

TVB, LES CLÉS D’UN SUCCÈS // 33

Un temps dans l’ombre, le volley tourangeau est devenu une référence au fil des victoires.

À VOS CLICS, PRÊTS, PARTEZ ! // 36 Près de Nantes, une école d’un nouveau genre forme des jeunes au sport électronique.

L’IMPORTANT C’EST D’EN RIRE // 38

Des sportifs de haut niveau se confient sur leur meilleur pire souvenir.

PRATIQUE // 42

Innova Tours n°23. Mai 2016. Hors série. Journal des étudiants en Année spéciale de journalisme et en licence, École publique de journalisme de Tours / IUT de Tours, 29, rue du Pont-Volant, 37002 Tours Cedex, Tél. 02 47 36 75 63 ISSN n°02191-4506. Directrice de publication : Laure Colmant. . Coordination éditoriale : Emmanuel Bojan (rédacteur en chef), Frédéric Pla (direction artistique), Laure Colmant (secrétariat de rédaction). Rédaction : Nicolas Baranowski, Alexia Chartral, Thibault Chauvet, Anne-Laure de Chalup, Pierre Derrien, Clémence Drouet, Tony Fabri, Vincent Faure, Alice Gendreau, Margaux Lacroux, Pauline Laforgue, Anna Lefour, Pierre-Maxime Leprovost, Pierre Léziart, Ella Micheletti, Alexis Paumard, Marie Privé, Alexia Prunier, Rodolphe Schmitt, Hanen Slimani, Ophélie Surcouf. Secrétariat de rédaction : Nicolas Baranowski, Anne-Laure de Chalup, Tony Fabri, Vincent Faure, Alice Gendreau, Margaux Lacroux, Pauline Laforgue, Pierre-Maxime Leprovost, Pierre Léziart, Ella Micheletti, Marie Privé, Hanen Slimani, Rodolphe Schmitt. Maquette : Alexia Chartral, Thibault Chauvet, Pierre Derrien, Clémence Drouet, Alexis Paumard, Alexia Prunier, Ophélie Surcouf. Iconographie : Anna Lefour. Photo couverture : Anna Lefour Publicité : Clémence Drouet, Alice Gendreau. Imprimeur : Alinéa 36, Châteauroux. Remerciements : Archives municipales de Tours, Sandrine Aurières-Martinet, Esthelle Berthy, Julien Casdi, Jean-Claude Daheran, David Darault, Vincent Duvivier, Jean-Marc Ettori, Nathalie Gastineau, Mathieu Giua, Paul Jouillat, Christian Leprovost, Annaïck Mainguy, Stéphane Morand, The Pale, le Phare de Ré, Mickaël Pietrus, Sylvie Rebecchi, Gaëtan Robin, Thibault Roy, Jean-Yves Saint-Céran, Laurent Tillie, Tours Volley Ball, Laeticia Valenté.

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ENTRETIEN

« JE CONSIDÈRE QUE LE SPORT EST D’UTILITÉ PUBLIQUE »

IL ÉCUME LES STADES TOUS LES WEEK-ENDS DEPUIS QU’IL EST ADO. À 53 ANS, VINCENT DULUC EST UNE RÉFÉRENCE DANS LE JOURNALISME SPORTIF. PLUME DU SERVICE FOOTBALL DE L’ÉQUIPE DEPUIS 1995, IL A PRIS LE TEMPS, ENTRE DEUX REPORTAGES, D’ANALYSER L’ÉTAT DU SPORT EN FRANCE. TOUT EN ÉVOQUANT SON EXPÉRIENCE PERSONNELLE. BALLE AU CENTRE. Le dossier de notre magazine est consacré aux politiques sportives. Selon vous, la France se donne-t-elle les moyens d’être une grande nation de sports ?

Vincent Duluc. Non, pas réellement. Nos réussites, notamment dans les sports individuels, sont d’abord dues à des rencontres entre entraîneurs et sportifs. Le système fédéral fonctionne dans certaines disciplines olympiques comme le judo, l’escrime, le cyclisme sur piste… D’une manière générale, il suffit de regarder la part du sport dans le budget de l’État pour se rendre compte que la politique sportive ne débouche pas sur grand-chose. Elle ­repose avant tout sur quelques fédérations, les clubs et les bénévoles. À Tours comme ailleurs, les subventions allouées au sport ne cessent de baisser dans le budget des municipalités. Comment sortir de cette impasse ?

V. D. Il faut séparer les clubs pros des clubs amateurs. La loi Pasqua (de 1994,

NDLR) interdit les subventions directes aux clubs professionnels. Restent les subventions indirectes. Par exemple, les collectivités locales ont financé l’accès au nouveau stade de Lyon. Cela ne me choque pas car cela relève de l’intérêt général. Il y a plusieurs centaines de milliers de personnes qui vont aller au match. C’est plus compliqué pour les clubs amateurs. Le bénévolat a un coût. Des gens donnent de leur temps, donc l’État doit donner un peu d’argent en contrepartie pour les infrastructures et les déplacements. Sinon, les clubs amateurs n’ont aucune chance de s’autofinancer. Le crowdfunding, c’est ponctuel. Les clubs essayent de faire le maximum pour décrocher des partenariats. Mais il est évident que le sport de masse ne peut pas vivre sans l’argent public. Le sport est donc un domaine d’utilité publique ?

V. D. Oui, je considère que le sport est d’utilité publique. À quoi ressemblerait la Innova

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société française sans sport le week-end, sans ces millions de personnes qui pratiquent une activité physique en compétition ? C’est indispensable pour l’équilibre social du pays.

Vous-même, vous pratiquez une activité sportive ?

V. D. Il est d’utilité privée que je cesse de faire du sport (rires). J’ai longtemps joué au football au club de Bourg-Péronnas, devenu Bourg-en-Bresse, aujourd’hui en Ligue 2. J’étais gardien de but. J’ai arrêté vers 17-18 ans parce que le week-end, je devais aller chercher des résultats en tant que correspond local de presse. Depuis, je passe mes week-ends sur les stades. Quand on a la chance de trouver un métier où l’on n’a pas l’impression de travailler, il faut foncer. Je ne regrette rien. Même pas un peu de football entre collègues, à L’Équipe ?

V. D. On en a fait à une époque. L’équipe du journal jouait le lundi soir. De temps en temps, je participais. J’ai aussi joué avec


ENTRETIEN raconter quelques anecdotes glanées lors de ces grandes compétitions ?

des équipes des médias avant certains grands rendez-vous. Il y a quatre ans, à l’Euro en Ukraine et en Pologne, on m’a proposé de reprendre. À la première action, je me suis claqué la cuisse droite. Et j’ai boité pendant quinze jours.

V. D. Pendant l’Euro 1992, tous les matins, on jouait contre le staff de l’équipe de France. Aujourd’hui, c’est inimaginable. On a perdu cette proximité. Pendant toute la durée de la Coupe du monde au Brésil en 2014, je n’ai jamais pu approcher un joueur à moins de 15 mètres. Depuis 2006, les entretiens individuels sont impossibles. Lors de la Coupe du monde 2010, j’étais sur le plateau de « Téléfoot » le jour de la grève des joueurs français. Sur le conducteur de l’émission était indiqué : « Responsabilité de la presse dans la crise. » Je me suis dit : « Pendant dix minutes, ça va être pour moi. » Puis, au moment où on allait aborder le sujet, Franck Ribéry a débarqué en tongs. Il est

V. D. C’est un vieux soupçon de croire que tous les journalistes sportifs seraient des footballeurs ratés. Avec l’âge, j’ai vu tous les footballeurs s’arrêter et être malheureux à 30 ans. Moi, je n’étais pas malheureux à 30 ans ni à 45. Et ce n’est toujours pas le cas. On peut désirer des tas de choses tel que l’argent ou la gloire. Mais je n’envie pas ce genre de carrière qui dure cinq, six ans et qui ne les prépare pas à la vie. Je me suis toujours dit que les stars du jeu avaient beaucoup de chance, mais c’est une chance très ramassée dans le temps. Finalement, je ne les jalouse pas plus que les gagnants du loto. L’Euro en France approche à grands pas. Comment l’envisagez-vous, entre les tensions sécuritaires et les affaires extrasportives impliquant des joueurs français ?

V. D. Concernant la sécurité, je ne suis pas très rassuré car l’Euro peut être une cible. S’il y a un attentat, faudra-t-il arrêter la compétition ? C’est très compliqué. Quant aux affaires, elles ont un impact sportif. Elles perturbent la cohésion du groupe. Le sport de haut niveau ne tolère pas ce type de parasite. Pour moi, ni Benzema ni Valbuena ne doivent figurer dans l’effectif, quels que soient la victime et le coupable. C’est cruel, mais l’équipe de France doit rester unie. S’ils sont là, il n’y aura pas la même ambiance. Et c’est un paramètre important pendant une phase finale. Il faut s’attendre à une vraie porosité entre l’équipe et l’extérieur étant donné qu’on joue à domicile. De son côté l’Espagne, double tenante du titre, va séjourner sur l’île de Ré durant la compétition. Bon ou mauvais choix ?

V. D. Par rapport à des Coupes du monde sur de grands territoires ou des championnats d’Europe sur deux pays, les distances sont assez courtes en France. Les déplacements entre lieux d’hébergement et de match ne poseront pas problème. En revanche, d’un point de vue historique, l’isolement n’a pas toujours été une bonne chose pour les sélections. Les joueurs s’ennuient s’il n’y a rien en dehors de l’hôtel. Des contre-exemples existent néanmoins. En 2006, l’équipe de France a réussi en Allemagne (finale, NDLR) alors qu’elle était complètement isolée. En 2002, elle a échoué alors qu’elle était dans un hôtel en pleine ville, avec les journalistes. Vous avez déjà couvert huit Coupes du monde et six Euros. Pouvez-vous nous

Dans le magazine, nous nous sommes intéressés aux sports insolites à l’image du rugby-golf. Y a-t-il un besoin ludique de créer de nouvelles disciplines ?

V. D. On a déjà pensé à tout, alors il ne reste que des choses très loufoques à inventer. Il y a des disciplines qui fonctionnent bien. Je pense à la descente en ski de bosses où le premier arrivé en bas a gagné. Basique mais limpide, plus que les chronos classiques. Pour ma part, j’aime bien la tradition. Quand j’étais gamin, je jouais à la boule lyonnaise.

Photos : Rodolphe Schmitt/EPJT

À force de côtoyer les stars du ballon rond, avez-vous été tenté par la vie de footballeur professionnel ?

Bresse, il y a moins de monde aux matchs de Ligue 2 en football qu’à ceux de Fédérale 1 en rugby. Il existe des sports de villes moyennes. Le basket en est un parce que ça coûte moins cher d’être un club de haut niveau en basket.

BIBLIOGRAPHIE Vincent Duluc est également ­auteur. Il a publié plusieurs ouvrages consacrés au football. Comme Le Cinquième Beatles (Stock, 2014) sur l’icône anglaise George Best et L’Affaire Jacquet, (Éditions Prolongations, 2008), sur le sélectionneur français de la Coupe du monde victorieuse de 1998. Il vient de sortir Un printemps 76 (Voir page 43). venu raconter n’importe quoi et cela m’a sauvé (rires).

Au-delà du football, certaines villes de province sont plutôt basket, comme Limoges, ou volley, comme Tours. Comment expliquez-vous cet ancrage ?

V. D. Le football est numéro un partout en termes d’audience. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas de culture football dans certaines villes moyennes. Par exemple à Bourg-enInnova

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En parlant de nouveautés, que pensezvous du e-sport ? Une école vient d’ouvrir à Nantes pour former de jeunes ­­gamers. Effet de mode ou vraie discipline ?

V. D. Je ne sais pas ce que c’est, mais ce doit être important (rires). Les gens qui ­aiment le sport sont profondément marqués par cette culture-là. Grâce à Fifa et Football Manager, mes enfants connaissent des jeunes joueurs avant moi. Aujourd’hui, on est bien obligé de faire avec. En tout cas, c’est intellectuellement intéressant même si je ne suis pas sûr que l’on puisse parler de discipline sportive. Quels sont alors les ingrédients qui caractérisent un sport ?

V. D. Il faut des difficultés techniques et mentales. S’il y a une difficulté physique, c’est encore mieux. Il faut également de la stratégie et de la compétition. Je pense que c’est le bon cocktail.

RECUEILLI PAR TONY FABRI

ET HANEN SLIMANI


EURO 2016

Le port de Saint-Martin-en-Ré est encore calme avant l’ébullition de la saison estivale et l’arrivée de l’équipe espagnole.

L’ÎLE DE RÉ AUX COULEURS DE L’ESPAGNE À L’OCCASION DE L’EURO 2016 (10 JUIN – 10 JUILLET), LA ROJA, L’ÉQUIPE D’ESPAGNE DE FOOTBALL, SERA HÉBERGÉE SUR L’ÎLE DE RÉ. À QUELQUES SEMAINES DU DÉBUT DE LA COMPÉTITION, TOUT LE MONDE S’ACTIVE SUR CE TERRITOIRE SURNOMMÉ “RÉ LA BLANCHE”. AFIN DE RENDRE CE MOMENT UNIQUE POUR LES LOCAUX ET LES VISITEURS. Innova

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NOUVEAUX EMPLOIS EN VUE

Avec un événement de cette ampleur, de nombreuses retombées sont attendues. Car si le département de Charente-Maritime est classé troisième destination touristique de France selon un sondage Sofres de mai 2015, les Espagnols ne représenteraient que 3 % des vacanciers étrangers. La région souhaite donc profiter de cette belle opportunité pour élargir sa clientèle hispanique. Mais pas seulement : « Étant l’une des plus supportées au monde, l’équipe d’Espagne de football est suivie par beaucoup de fans au cours de ses déplacements », note Lionel Quillet, président de la communauté de communes de l’île de Ré (CDC). Ce flux touristique de masse devrait générer de nouveaux emplois, bien que temporaires, sur le territoire rétais, notamment dans la restauration et l’hôtellerie. Pourtant, à moins de cent jours du début de la compétition, aucune activité particulière n’est à signaler du côté des professionnels du tourisme. « Je ne vois pas de différence avec les autres saisons, comme si les gens ne réalisaient pas encore. Je suis un peu perplexe », témoigne une salariée de l’Hôtel du Port, à Saint-Martin-de-Ré. Seuls quelques journalistes étrangers ont réservé leur chambre. Près de trois cents reporters sont attendus sur l’île durant le mois de juin, de quoi mettre un beau coup de projecteur sur la région. « Cela fait deux ans que l’on travaille sur leur éventuelle venue avec les mairies de

Sainte-Marie et de Saint-Martin, la CDC et le département », explique Didier Gireau, directeur de l’hôtel et relais thalasso Atalante, le quatre-étoiles où sera hébergée la Roja. L’établissement, situé à Sainte-Mariede-Ré, a été choisi par la délégation espagnole parmi une soixantaine de sites en France. Isolé entre les vignes et le littoral, le bâtiment se distingue par sa quiétude. À l’intérieur, la décoration est chic, jouant sur

« C’était comme m’annoncer qu’on allait installer la tour Eiffel à la Rochelle » Stéphane Villain président de CharenteMaritime Tourisme des teintes de noir, de blanc et de violet. Mais c’est sûrement la vue panoramique sur l’océan qui aura su séduire la délégation espagnole. Hôtesses d’accueil, cuisiniers, serveurs et agents d’entretien de l’hôtel suivent des cours d’espagnol. « Nous allons vivre à l’heure ibérique toute la durée du tournoi », souligne le directeur de l’établissement. En plus des 23 joueurs de la sélection, la délégation débarquera avec un staff élargi, soit 70 personnes environ. Un cahier des charges précis devra être respecté. Côté restauration, par exemple, deux chefs espagnols devraient faire partie de l’aventure et imposer leurs directives liées aux régimes alimentaires des joueurs. Côté soins, le personnel du relais thalasso Atalante (kinésithérapeutes, ostéopathes, mé-

decins spécialisés dans le sport…) n’interviendra pas auprès des joueurs. De nombreuses contraintes pour Didier Gireau, qui a aussi pris un risque en privatisant son établissement pendant toute la durée de l’Euro. « Si les Espagnols perdent rapidement, je n’aurai pas de chiffre d’affaires. S’ils partent tôt, je n’arriverai pas à remplir l’hôtel comme je le fais d’habitude. » Un pari audacieux quand on se rappelle de leur élimination précoce lors de la dernière Coupe du monde. Mais les joueurs restent doubles tenants du titre continental (2008, 2012) et le nouveau format à 24 équipes augmente grandement leurs chances d’accéder aux huitièmes de finale. GARE AUX EMBOUTEILLAGES

Les fans de l’équipe sont attendus en masse. Cet afflux de population, encore non chiffré, n’effraie pas outre mesure puisque juin reste une période de l’année plutôt calme sur l’île. « À partir de juillet et jusqu’à fin août, on passe d’une population de 18 300 à 140 000 personnes (soit 7,5 fois plus, NDLR) », rappelle Patrice Déchelette. Il s’attend à une fréquentation comparable à celle d’un 15 août. La gestion de la circulation sur le pont qui relie l’île au continent reste une interrogation majeure. Avec seulement deux voies, il est réputé pour être très vite saturé en haute saison. L’aspect sécuritaire semble aussi primordial pour l’équipe d’Espagne. « Il y a une volonté forte de préserver la sécurité et l’intimité des joueurs », assure Didier Gireau, sans entrer plus dans les détails. Pour cela, sociétés de gardiennage, gendarmerie (dont le GIGN), police locale et espagnole seront mobilisées. Gare à ceux qui voudraient épier les faits et gestes des joueurs par le

Michel Fernandez et Lucien Roumieu, respectivement président et vice-président de l’AS rhétaise, sont inquiets pour les finances de leur club de foot.

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Photos : Anna Lefour/EPJT

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uand les premiers rayons d’un soleil printanier frappent les pavés et les pierres claires des bâtiments de l’île de Ré, on comprend qu’elle mérite son surnom de La Blanche. C’est l’occasion de sortir les lunettes de soleil. Il n’y a presque personne dans les rues. Les traditionnels volets verts des maisons sont clos et le bord de mer désert. L’île semble figée, bien loin de l’effervescence qui la caractérise durant l’été. Mais cette tranquillité n’est qu’apparente. Après des semaines d’attente et de ­rumeurs, mercredi 3 février 2016, c’est devenu officiel : la sélection nationale espagnole, la Roja, a choisi de poser ici ses valises pour l’Euro, organisé en France du 10 juin au 10 juillet prochain. Une nouvelle inespérée pour Stéphane Villain, président de l’organisme Charente-Maritime Tourisme. « Très franchement, c’était comme m’annoncer qu’on allait installer la tour Eiffel à La Rochelle », s’emballe-t-il, de l’enthousiasme plein les yeux. Réaction semblable chez Patrice Déchelette. Le maire de SaintMartin-de-Ré, qui nous reçoit dans son élégant bureau, se félicite : « Nous étions un peu les petits poucets de l’affaire. Nous sommes donc d’autant plus satisfaits d’avoir été sélectionnés face à de très grandes villes comme Bordeaux ».

EURO 2016


EURO 2016 front de mer, les autorités disent avoir tout prévu. Patrice Déchelette n’est pas plus disert : « Des brise-vues de 5 mètres vont être construits autour du stade pour que les joueurs aient une certaine forme d’intimité et que leurs entraînements se déroulent en toute tranquillité. » À Saint-Martin-de-Ré, le stade MarcelGaillard, habituellement utilisé par le club de football local, servira de camp d’entraînement aux joueurs ibériques. Là aussi, la Roja impose ses exigences. Depuis les tribunes qui surplombent le stade, Michel Fernandez, président de l’Association sportive réthaise, et Lucien Roumieu, vice-­ président, nous montrent d’un geste de la main l’emplacement des futures palissades. Pour l’instant, la pelouse du terrain a été arrachée en prévision de la pose d’une de meilleure qualité. Le cahier des charges de l’Euro 2016 prévoit d’autres aménagements dans le complexe, tels que l’installation de douches neuves et le remplacement des buts. Pour les deux dirigeants, ces nouveautés ne sont pas utiles. « C’est bien mais ce que nous voyons, c’est que l’inaccessibilité au stade nous prive d’une grande partie de nos fonds annuels », déplore Michel Fernandez.

Car avec seulement 1 500 euros de subvention par an, le club couvre la majorité de ses dépenses grâce à son tournoi national Bruno-Tesson, organisé habituellement à la

« On ne sait rien donc on ne prévoit rien» Un restaurateur de l’île mi-mai et annulé cette année. Le président du club est inquiet : « Nous ne pouvons pas être contre la présence de cette délégation qui va apporter beaucoup de bonnes choses au territoire, mais nous avons peur pour les finances de notre club. » Afin que les entraînements se poursuivent, les communes alentour ont mis à disposition leurs terrains pour les plus jeunes. Les adultes s’entraînent à La Rochelle, sur un terrain loué par la mairie de Saint-Martinde-Ré. Mais cela engendre des dépenses et des problèmes d’organisation. Le club doit par exemple payer l’essence des minibus pour le déplacement jusqu’au continent.

« La seule note positive, c’est que les licenciés de notre club auront la priorité pour assister aux entraînements », se console Michel Fernandez. Le cahier des charges de l’Euro 2016 prévoit un seul entraînement obligatoirement ouvert au public, mais, selon Stéphane ­Villain, l’équipe espagnole a l’habitude d’en proposer plus lors des grandes compétitions. Au stade Marcel-Gaillard, les places seront comptées : 500 spectateurs maximum, dont le flux sera régulé par une billetterie gratuite. La lutte promet donc d’être rude entre les fans de la Roja et les locaux souhaitant apercevoir les stars. Les dates des entraînements ouverts au ­public n’ont pas encore été communiquées. Cela expliquerait en partie l’absence de réservations en lien avec la compétition dans les hôtels et les campings. « Pour l’instant, on ne sait rien, donc on ne prévoit rien. Il n’y a aucune communication de la part de la mairie », témoigne un restaurateur de l’île. Un manque de communication assumé et provisoire, selon Stéphane Villain. L’île de Ré « est prête », assure-t-il. Le compte à rebours est lancé. ALICE GENDREAU, ANNA LEFOUR ET ALEXIA PRUNIER

Anna Lefour/EPJT

Le prix pour emprunter le pont de l’Île de Ré (8 euros) double en période estivale.

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SVplanète Illustration : Anna Lefour/EPJT SVplanète

SPORT ET ÉCOLOGIE NE SONT PAS INCOMPATIBLES. LES ÉCO-GAMES EN SONT LA PREUVE. L’ÉVÉNEMENT SE VEUT EXEMPLAIRE ET VISE À SENSIBILISER LE PUBLIC. AVEC DES PRINCIPES PARFOIS FOLKLORIQUES.

ÉCOLOGIE

DES JEUX QUI SE METTENT AU VERT

« Les Éco-Games sont des “antijeux Olympiques”. » Sur son site internet, l’association SVplanète, à l’origine du concept, annonce la couleur. Son fondateur, Didier Lehénaff, modère cependant : « Nous sommes à l’opposé de la démesure et du gaspillage extrême des JO, mais pas contre le concept de l’olympisme. » Depuis maintenant dix ans, l’association entend réhumaniser le sport et le réintégrer dans son environnement. Il y en a eu, à intervalles irréguliers, onze éditions des Éco-Games. Neuf ont été organisées en France métropolitaine. Elles ont eu lieu dans des grandes villes telles que Toulouse et Rouen mais aussi dans des petites communes comme Savigny-sur-Clairis, en Bourgogne. La prochaine édition aura lieu à Paris, du 3 au 5 juin 2016. Mais peut-on vraiment concilier sport et écologie ? Pour Didier Lehénaff, ancien triathlète, l’écologie se comprend dans un sens large. Elle inclut le respect de la nature mais aussi celui des personnes. L’événement sportif doit s’adapter à son environnement et non l’inverse. Une démarche louable, parfois poussée à l’extrême. Pour SVplanète, pas de canons à neige donc, mais plutôt des courses en pleine ­nature, pieds nus de préférence, pour « que la ­nature s’imprègne encore davantage ».

Lors des 10 kilomètres de Joinville-lePont, organisés par l’association SVplanète, les participants sont invités à jeter leurs déchets dans des poubelles rebaptisées « drop zones ».

« LA QUANTITÉ NUIT À LA QUALITÉ »

L’association propose des activités sportives mais aussi des conférences sur l’écologie ou des découvertes du patrimoine. Un des principes novateurs concerne l’aspect matériel des événements. Toute structure que l’on trouve habituellement dans une manifestation sportive est supprimée. Pas de tribune ni d’arche de départ ou d’arrivée pendant les Éco-Games. Les organisateurs tentent au maximum d’utiliser les infrastructures disponibles sur le lieu des jeux. Enfin, les inscriptions sont « gratuites ou peu onéreuses au regard du programme proposé », indique le site internet. En échange, les participants peuvent être invités à contribuer à certaines tâches d’organisation, comme le ravitaillement. Concernant l’affluence, Didier Lehénaff refuse d’y voir l’essentiel. « Nous ne cherchons pas à attirer beaucoup de monde, la quantité nuit à la qualité. » Aucune liste officielle de participants n’existe non plus. ­Difficile, par conséquent, de ­recueillir les ­témoignages de ceux qui ne sont pas membres de ­l’association. Loin des standards d’organisation, l’association propose un paiement en nature via par exemple des produits de première nécessité redistribués à des œuvres caritatives. Étonnamment et malgré ce concept fort, la manifestation a apporté son soutien à la candidature de Paris pour les JO 2024. « Selon mon étude, elle serait beaucoup moins polluante que celle de Los Angeles », indique Didier Lehénaff. Après les Éco-Games, des JO plus écolo ?

COURIR, MAIS PAS APRÈS LE CHRONOMÈTRE

Selon les instigateurs du projet, le sport tel qu’on le connaît a perdu beaucoup de ses valeurs. Pierre de Coubertin, qui a relancé les jeux Olympiques modernes, disait : « L’important, c’est de participer. » Fidèles à ce message, les Éco-Games refusent la course à la performance. Ainsi, de nombreuses ­activités sportives ne sont pas chronométrées. Pour l’association, l’impératif de victoire est à l’origine de nombreuses dérives du sport actuel comme le ­dopage ou les matchs truqués. L’association ­annonce avoir réussi à fédérer de grands champions autour de son idéal de sport durable. Les « parrains et marraines » dont le nom figure sur le site ­n’apportent pas d’aide financière mais se révèlent être des soutiens moraux. Cette initiative a d’ailleurs reçu le Coup de cœur de la Fondation Nicolas-Hulot en 2015 et en 2016.

­ ependant, SVplanète refuse le sponsoring « pour C tuer dans l’œuf toute possibilité de récupération malsaine des Éco-Games par la sphère économique et limiter le greenwashing* ». Mais quel que soit le lieu, l’association respecte les mêmes grands principes, un brin idéalistes qu’elle résume de la sorte : « Un sport vert pour ma planète bleue. »

ANNE-LAURE DE CHALUP ET ANNA LEFOUR

(*) Greenwashing : l’écoblanchiment, ou « verdissage », est un procédé de marketing ou de relations publiques utilisé par une organisation dans le but de se donner une image écologique responsable.

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PORTRAITS

CROCODILE DUNKY

À NANTERRE, DUNKY EST LE SIXIÈME HOMME DE L’ÉQUIPE DE BASKET-BALL. LA MASCOTTE EST INDISSOCIABLE DE L’IMAGE DU CLUB ET LES SPECTATEURS L’ADORENT. AU POINT D’EN OUBLIER QUE SOUS LA PELUCHE GÉANTE SE CACHE AVANT TOUT UN PASSIONNÉ DE SPORT ET UN GRAND SENSIBLE.

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unky est une superstar. La mascotte crocodile de l’équipe de basket-ball de Nanterre, championne de France en 2013, est poursuivie par des hordes d’enfants pendant les matchs. Elle tape dans la main des joueurs sur le terrain. Mieux, elle a le privilège de danser à côté des pompom girls pendant les temps morts. Dunky assure le show. Mais sous le même nom, il a en réalité eu trois visages. Trois vies. Trois « âmes », comme dirait David1, alias Dunky, deuxième du nom. « Être mascotte, c’était un rêve de gamin. J’aimais bien les déguisements et, quand j’étais petit, on parlait beaucoup des personnages déguisés dans les parcs d’attraction aux Etats-Unis. Ils permettaient un moment d’évasion. Devenir Dunky m’a donné la possibilité de retrouver ça dans le sport. » David est le plus célèbre des Dunky. Il a porté le costume pendant quatre ans. Il a aussi revêtu celui de Frenkie, la mascotte de l’Euro de basket disputé en France en 2015. Une ultime consécration avant de raccrocher. Mascotte câline, hyper sociable et acrobatique, David a réussi à nouer une relation forte avec le public de Nanterre. Il est suivi

LES VALEURS DU CLUB

Mais au bout de quatre saisons, difficile de se renouveler. Même s’il préférerait rester anonyme, ce que voulait également le club, son identité commençait à être connue. À 36 ans, il avait peur de se faire vieux et souhaitait davantage profiter de sa famille. « J’ai préféré partir et être regretté plutôt qu’être poussé vers la sortie parce que je ne pouvais plus assurer, explique-t-il. Céder le costume n’a pas été facile. Je l’ai vécu comme une séparation, comme lorsque l’on se dit : “Je t’aime encore, mais il faut que l’on se sépare.” J’ai participé au recrutement de Maxime2, le nouveau Dunky. Le voir sur le terrain, c’était comme voir mon ex-copine avec son nouveau mec. » Un ­recrutement difficile, car pour Nanterre 92, avoir quelqu’un de motivé sous le costume est important : « Dunky représente les Innova

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v­ aleurs du club, sur le terrain et sur les ­réseaux sociaux, explique Stéphanie ­Diconne, responsable événementiel. Nous sommes très contents de nos choix, les ­retours ont toujours été très bons de la part des plus petits comme des plus grands. » David non plus ne regrette pas : « Lors du premier match de Maxime, certains ont cru que c’était moi… » CÂLINS, GLISSADES ET KART À PÉDALES

Depuis novembre 2015, Maxime a donc pris le relais. Avant le match, il traverse les tribunes, fait des câlins et pose sur des photos avec les supporters avant de retourner s’agiter au centre. Le crocodile de Nanterre multiplie les pas de danse. Il applaudit, ­salue la foule et adresse des pouces levés. Subitement, il se jette par terre et tente une glissade. Il parcourt quelques mètres à plat ventre avant de se relever d’un mouvement

David, Dunky II, a rendu son costume après quatre saisons, en novembre dernier. L’occasion d’un bel hommage.

Photos : Rodolphe Schmitt/EPJT – Liliane Boussac

Quand les joueurs se reposent, Dunky et les pom-pom girls prennent le relais pour assurer le spectacle.

par une large communauté de fans sur les ­réseaux sociaux. Il est également très proche d’autres mascottes de clubs de Pro A, l’élite du basket français. « Scott la Mascotte, l’élan de Chalon, m’a déjà convié à un match. J’ai dormi chez lui. J’ai aussi été invité par Stouby, l’ours du Havre, et Cocky, le coq d’Orléans. » David est un fervent défenseur des mascottes françaises et il aimerait qu’elles obtiennent plus de reconnaissance. Surtout lors des shows comme le All Star Game, où seules les mascottes américaines sont invitées. Un combat que beaucoup de ses confrères ont rejoint.


PORTRAITS Dunky jouit d’une grande proximité avec les joueurs de Nanterre 92 dont il est le premier supporter.

impulsif. La mascotte grimpe ensuite dans un kart à pédales et fait le tour du terrain. Lors de l’entrée des joueurs, il se positionne sur le parquet. Il tape dans la main de chacun d’entre eux. « C’est un privilège de pouvoir approcher de si près des stars du basket », s’enthousiasme le jeune homme de 19 ans, des étoiles plein les yeux. Sous le costume vert délavé et troué par endroits, Maxime se donne toujours à fond même s’il n’est pas rémunéré. Dans les vestiaires, avant un match, il discute avec Alexandre, Dunky Ier, qui l’aide à scratcher son costume. Il s’inquiète de ne pas pouvoir être présent à un ou deux matchs, à cause d’un stage dans le cadre de ses études d’infirmier. Alexandre le rassure, il le remplacera. « Combien de matchs manquait David ? », demande Maxime. « Deux ou trois par saison », lui répond Alexandre. « Tu vois, il faut que je sois présent », conclut Maxime qui souhaite faire de son mieux. « David est impressionnant, explique-t-il avec beaucoup d’admiration. Il était très athlétique, beaucoup plus que moi. Je préfère privilégier le fun : saluer tout le monde dans le palais des sports Maurice-Thorez, m’asseoir avec les gens et faire des blagues. » AU PLUS PROCHE DES SUPPORTERS

Si Maxime a beaucoup joué au basket en loisir, faire une galipette, mettre des paniers ou danser avec le costume de Dunky reste difficile pour lui. « Je transpire plus que les joueurs sur le terrain, plaisante-t-il. Mon T-shirt et mon short sont trempés. Je perds

2 kilos par match et pourtant, je bois 3 litres d’eau. Il fait très chaud sous le costume, on ne respire pas très bien. La tête de Dunky est lourde, ça me fait parfois mal au dos. » Pendant le match, Alexandre le surveille du coin de l’œil : « Il suffit qu’un ­enfant coure autour de Dunky près des ­escaliers pour rendre une situation dangereuse, explique-t-il. On ne voit rien sous le costume. » Il sait de quoi il parle. Il a a porté le costume pendant quasiment cinq saisons, entre 2007 et 2011. À l’époque, il a

« céder le costume n’a pas été facile. je l’ai vécu comme une séparation » 17 ans et personne n’est là pour lui tendre des bouteilles d’eau ou l’aider à attacher la tête correctement. Ce qui ne l’empêche pas de faire le show. Il prépare des chorégraphies avec les pom-pom girls et s’amuse avec des trottinettes, des ballons ou encore des cordes à sauter. Dans les travées nanterriennes depuis dix ans, Alexandre collectionne les anecdotes. « À une époque, j’avais un faux ventre mais il a été volé, regrette-t-il. L’équipe venait de monter en Pro B et la surveillance était miInnova

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nime. « On m’a raconté que le club avait déjà eu une mascotte de crocodile mais que le costume avait disparu après trois matchs. » Malgré les années qui défilent, sa passion reste intacte. « Je suis fan du club, de l’ambiance et surtout du coach, Pascal Donnadieu, s’enthousiasme-t-il. Je crois que cela aurait pu être n’importe quel sport, tant que la bonne ambiance est au rendezvous. » Rien d’étonnant donc qu’il ait aussi fondé l’association des supporters : les Dunkers. Il a même aidé à en monter une autre, la Dunky Family. Les créatrices Alexandra Morain et Esmahane Biri prennent soin du costume du reptile. « Elles s’occupent de le recoudre, de le laver deux ou trois fois par an. Ce n’est pas beaucoup, concède Alexandre. Lorsque je remplace Maxime, j’essaye de ne pas penser à la sueur (rires). En ce moment, elles montent un devis pour le remplacer. » Dans l’esprit d’Alexandre, Dunky est comme son bébé. S’il en est encore si proche aujourd’hui, c’est peut-être pour continuer de s’en occuper et de transmettre son expérience. « Quand on est sous le ­costume, on se prend au jeu, raconte-t-il. On devient Dunky. Parfois, quand Maxime vient me voir, j’oublie qu’il est Maxime. J’oublie qu’il y a quelqu’un sous le costume. Il y a simplement Dunky. » OPHÉLIE SURCOUF

AVEC RODOLPHE SCHMITT

(1) David n’a pas souhaité révéler son nom de famille car il reçoit trop de demandes d’amis sur son compte Facebook personnel. (2) Le nom de Dunky III été changé. Le club souhaite garder l’identité de son actuelle mascotte secrète.


SOCIÉTÉ

(DÉ)GOMMER LES DISCRIMINATIONS

L

a salle bruisse. Sur le côté, une enfilade de tables. Autour, des collégiennes s’activent pour les derniers préparatifs. Certaines ­accrochent des affiches, d’autres font signer les nouveaux arrivants. Les parents s’installent sur les chaises disposées à cet effet. On demande le silence. Ce soir-là, dans la salle du centre de documentation et d’information (CDI) du groupe scolaire Maurice-Ravel, à Paris, est présenté le projet Éthique et sport scolaire. Lancé par Michèle Gonzalez, professeur d’Éducation physique et sportive (EPS), son but est de faire prendre conscience aux élèves des discriminations dans le sport : homophobie, sexisme, racisme… Et de les faire dialoguer sur leur ressenti. Les premières notes de Take Me to Church de Hozier ­résonnent, une musique choisie pour sa référence à la condition des homosexuels en Russie. Lucas avance, chaussons de danse noirs aux pieds. Il s’élance et virevolte. Le lycéen a commencé la danse classique il y a deux mois. « Au début, j’ai eu quelques coups de “flip” à cause du regard des autres », admet-il. Sa mère lui a conseillé de ne pas parler de sa nouvelle activité. Mais il a finalement décidé de ne pas la cacher : « Mes amis me voyaient tout le temps danser, ils s’en ­seraient doutés sinon. » Aucune réaction particulière de la part de son entourage. Lucas assume son activité et prend plaisir à démonter les préjugés. Il est danseur et hétérosexuel. Michèle Gonzalez, professeur d’EPS, prend le ­micro. Avec enthousiasme, elle parle de son souhait de mener une réflexion sur toutes les formes de discriminations dans le sport. Une première pour un établissement parisien. À côté d’elle, le boxeur français John M’Bumba, qui a été choisi comme parrain du programme, revient sur sa rencontre avec les élèves de 3e B, fin janvier. Les collégiens ont rencontré des associations comme la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). Autant d’interventions qui leur ont permis de mieux ­comprendre ce qu’impliquent les discriminations. Depuis 2013, date de son lancement, le projet a bien évolué. Un collectif d’élèves volontaires est

Margaux Lacroux/EPJT

DANS UN ÉTABLISSEMENT PARISIEN, DES ÉLÈVES SE MOBILISENT CONTRE LES DISCRIMINATIONS. LE SPORT EST LEUR TERRAIN D’ACTION.

Michèle Gonzalez (au centre en bleu) présente le projet avec les élèves devant les parents.

ASSUMÉ

Lucas ne cache pas son activité et prend plaisir à démonter les préjugés. Il est danseur et hétérosexuel.

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passé à l’action. Il a créé un livret Éthique et sport scolaire, présenté au Sénat et désormais disponible dans d’autres établissements. L’initiative a pris de l’ampleur. « Il y a eu un phénomène de contagion. Le mot discrimination parle beaucoup aux élèves », constate Michèle Gonzalez. Dans l’établissement, le brassage est important. La mixité est à la fois sociale et géographique. C’est ce qui pousse les élèves à s’interroger au quotidien sur les actes discriminatoires. Dans le collège, la classe de 3e B est la seule à inclure le projet Éthique et sport scolaire dans son programme cette année. « Ça m’aide à dire ce que je pense », explique Eva. La jeune fille de 14 ans se dit sensible à toute forme de discrimination. SEXISME AU QUOTIDIEN

Ce qui la touche particulièrement, ce sont les conséquences de l’intolérance et du harcèlement moral. Quand elle parle d’exclusion, elle prend un air grave. Elle évoque le risque du suicide. Passée de la danse au foot il y a trois ans, elle joue dans une équipe majoritairement masculine. Elle avoue avoir dû se surpasser et prouver qu’elle pouvait être aussi bonne footballeuse qu’un garçon : « On me faisait des réflexions comme “T’es une fille, va t’acheter un pied chez Décathlon…’’ Donc j’ai cherché à leur prouver qu’être une fille n’avait aucun rapport avec la manière de jouer au foot. » Lucas aussi s’entraîne sans relâche pour se sentir légitime auprès des filles présentes dans son cours de danse. « Je sens qu’il y a de la compétition parce que je suis un garçon », ­regrette-t-il. Malgré l’évolution des mentalités, les insultes sexistes ou homophobes sont encore répandues, si on en croit les jeunes. « Quand un garçon ne


SOCIÉTÉ

fréquente que des filles, il se fait traiter de pédé. Mais ce genre d’insulte (qui ne devrait pas en être une, rappelons-le, NDLR), ça ne se dit pas. Même à un ami », déplore Marwan, élève du lycée ­Ravel. Pour Eva, tout dépend de la proximité avec la personne. « Si c’est un proche, c’est pour s’amuser. Mais si c’est un inconnu, c’est différent. » Dans l’assistance, Sarah, membre de l’association Les dégommeuses, un collectif de femmes qui lutte contre les discriminations dans le football. Elle est ici pour découvrir le projet en vue d’un partenariat. Pour elle, « sur un terrain ou entre amis, beaucoup d’insultes comme ‘‘tapette’’ n’ont l’air de rien. Mais c’est de l’homophobie passive ». Elle se souvient d’un match où une supportrice avait crié à un joueur : « Relève toi, t’es pas une femme ! »

CLICHÉ

« T’es une Fille, va t’acheter un pied chez décathlon »

LE BUT : FAIRE ÉVOLUER LES CONSCIENCES

C’est ce genre d’anecdotes qu’elle souhaite partager avec les plus jeunes. Si ce partenariat aboutit, Les dégommeuses prévoient d’organiser des rencontres de foot en salle avec les élèves. Le partage du terrain sera une façon d’inviter au débat entre générations. « La vision transversale des discriminations correspond à ce que nous voulons faire », se réjouit Clémence, une autre Dégommeuse. Pour autant, elle a conscience que ce projet présente des élèves modèles. Ils ont écrit des articles, réalisé des vidéos et des diaporamas ou encore échangé avec les professeurs. Leurs comportements ont déjà évolué. Une heure par semaine en dehors des cours, les 3e B se sont mobilisés : « Cela a plu à certains élèves, moins à d’autres », remarque Eva. Michèle Gonza-

lez est régulièrement confrontée à des réticences : « Une élève avait accepté de travailler sur la conception de deux affiches. Une sur le sexisme et l’autre sur l’homophobie. Mais la jeune fille n’a finalement voulu travailler que sur le sexisme. C’est la preuve que l’homosexualité et le lesbianisme sont encore tabous chez les jeunes. » Juliette, élève de cinquième, se souvient des ricanements gênés de ses camarades quand on leur a diffusé un diaporama portant sur la différence. Michèle Gonzalez mise sur le temps et l’effet de groupe pour faire évoluer les consciences. Lucas a lui aussi été frappé par les remarques de certains de ses camarades. « Certains pensent que c’est une initiative juste pour les gays. Un ami m’a dit : “Je ne vais pas aller à cette soirée, c’est pas pour moi”. » Il regrette aussi que parmi son groupe de sport, ils ne soient que trois élèves à être venus à la présentation du projet. Dans la classe d’Eva, sur les 28 élèves, ils sont seulement six à être très impliqués. Investissement ­mitigé également du côté des enseignants. Six professeurs – deux de sport, deux documentalistes et deux d’autres disciplines – participent réellement. Chacun a sa manière de s’approprier le sujet. La professeure de lettres modernes a, par exemple, décidé de faire écrire des poèmes et des scénarios mettant en scène les discriminations. Pour les autres, le projet ne suscite pas le même engouement. Michèle Gonzalez poursuit ses efforts. Elle souhaite avant tout que ses élèves aient confiance en leur projet. Ils ont entre leurs mains tout ce qu’il faut pour devenir des ­citoyens avisés. MARGAUX LACROUX ET PAULINE LAFORGUE

Pauline Laforgue/EPJT

Les collégiennes Eva (à gauche) et Juliette (à droite) présentent leurs affiches préparées pour le projet Éthique et sport scolaire.

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FOCUS Faouzi Djellal (en orange) est une étoile montante de la boxe à Tours. Il affrontait ce soir-là Yunes Ben Abdelouahed.

TOURS SUR LE RING

LA NUIT DES TITANS RÉUNIT CHAQUE ANNÉE QUELQUE 3 000 PERSONNES QUI VIBRENT AU RYTHME DES COMBATS. LES GRANDS NOMS DE LA BOXE S’Y AFFRONTENT. DEPUIS SA CRÉATION IL Y A ONZE ANS, L’ÉVÉNEMENT NE CESSE DE SE DÉVELOPPER ET SON ORGANISATION SE COMPLEXIFIE.

V

este de costume, chemise et jeans droits noirs, il fait son apparition sur le ring pour féliciter les deux combattants. Lui, c’est El Hadj Mekedem, l’organisateur de La Nuit des titans, un spectacle de boxe qui a lieu chaque année à Tours. Eux, ce sont les deux adversaires qui viennent d’achever leur combat de muay-thaï. À droite, Aziz Hlali, double champion d’Europe. À gauche, ­Fabio Pinca, le numéro 1 français. Deux poids légers tout en muscles. El Hadj Mekedem s’empare du ­micro : « Merci au public de venir chaque année plus nombreux et de partager avec moi cette passion pour la boxe. » La passion de la boxe le tenaille en effet depuis tout jeune. À 13 ans, il quitte l’Algérie pour la France. Afin de canaliser son énergie, son père parle de l’inscrire dans un club de boxe. C’est un ami qui l’y initie et il ne quitte plus les gants. Son palmarès est éloquent : entre 1998 et 2003, 92 combats, 82 victoires, 2 matchs nuls, 8 défaites et des titres en ­pagaille de champion de France à champion ­d’Europe, et ce dans différentes catégories (boxe française, anglaise, kick-boxing...) En 2003, à 29 ans, il quitte la compétition. Un an plus tard, il fonde le Lumpini Club de Tours, dans le quartier de son adolescence, le Sanitas. « Former les jeunes est un défi que j’avais envie

de relever », déclare-t-il alors. Faire connaître son sport, sa ville et sa région lui tient à cœur. Il décide d’organiser la première édition de La Nuit des titans en 2005 et fait appel à de grands noms de la boxe. Au départ, il s’agissait surtout de financer le club et de permettre aux élèves de rencontrer leurs idoles. La formule fonctionne, l’événement devient le gala de boxe de référence de la région. « La nuit des ­Titans, ce n’est pas seulement un gala, commente El Hadj Mekedem. C’est surtout un show. » DES POIDS LOURDS DE LA BOXE

« la nuit des titans, ce n’est pas seulement un gala. c’est surtout un show» el hadj mekedem, ­organisateur de l’événement Innova

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Lors de cette onzième édition, les valeurs sûres sont là, pour combattre comme pour commenter. C’est Daniel Allouche, le réputé speaker des sports de combats, qui anime cette soirée. Les combattants ont des profils variés, mais ce sont tous des grosses pointures : Fabio Pinca, Aziz Hlali, Bobo Sacko et Anissa Meksen, septuple championne du monde, ­figurent sur l’affiche principale. Des membres du club sont également sur le ring, comme Kamron et Noé, 7 ans, et déjà de la force dans les bras. Au programme : 11 combats de kick-boxing, boxe thaïlandaise et lutte pancrace. C’est un choix d’El Hadj Mekedem pourtant habitué à la boxe ­anglaise et française. Ces sports de combat, utilisant les


FOCUS

Après le match, Fabio Pinca donne l’accolade à Aziz Hlali (à gauche). Photos : Thibault Chauvet/EPJT

La championne française Anissa Meksen affronte l’Italienne Donatella Panu (ci-dessus). Bobo Sacko arrive sur le ring. La concentration se lit sur son visage (ci-contre).

poings et les pieds, sont plus violents et donc plus spectaculaires. C’est ce que réclament les spectateurs. « Défonce-le ! ­Défonce-le ! », hurlent d’ailleurs ceux du premier rang pendant les combats. Le spectacle fait salle comble. Une heure et demie avant l’ouverture des portes, il n’y avait plus aucune place à vendre. Amateurs et habitués viennent souvent entre amis ou en famille, parfois accompagnés de leurs enfants. Comme ce père qui amène pour la troisième fois son fils de 10 ans à la demande de celui-ci. Le gamin pratique la lutte. Beaucoup sont là pour encourager leur amis. Six boxeurs appartiennent au Lumpini Club. UNE ORGANISATION DE TITANS

Dans la salle du Palais des sports de Tours, tout a été réaménagé : ring en velours noir, dispositif son et ­lumières, écran géant et carré VIP. Au service des sports de la mairie, deux anciens boxeurs et partenaires de ring de Mekedem, Fréderic Brondy et Christophe Davau, gèrent l’événementiel. Ce sont des interlocuteurs naturels pour l’organisateur. La ­municipalité participe aussi à la logistique, ­notamment par le prêt de matériel. Le Palais des sports est gratuitement mis à disposition d’El Hadj Mekedem dès le vendredi matin pour les aménagements (chaises, podium, besoins électriques, parking). La mairie fournit également les trophées, les cocktails des VIP et une partie de la décoration. Pour la communication, elle prête aussi des panneaux ­d’affichage Decaux. Ce n’est pas assez pour l’ambitieux El Hadj Mekedem qui veut faire briller cette Nuit des titans. Il a donc fait appel à Rektangle productions afin de surperviser la communication. D’autres entreprises privées s’occupent de la mise en place de l’écran géant, du ring et des dispositifs de lumières. L’organisateur emploie les services d’une société de gardiennage pour assurer la sécurité. Même s’il n’y a

LE CHOC Aziz Hlali a réalisé un de ses rêves. celui d’affronter le numéro 1 français de muay Thaï, le champion, Fabio Pinca. Malgré sa défaite, hlali est fier de sa performance.

jamais eu de débordements, un gala de boxe reste une manifestation à risque. Le budget semble donc important, mais nous n’en saurons pas plus. El Hadj Mekedem reste muet sur le sujet. Tout juste sait-on que les collectivités locales participent en respectant la règle des trois tiers. Pour le gala, un tiers est financé par elles, deux autres doivent l’être par l’organisateur luimême et ses sponsors officiels (Euro peinture 37, Century 21 ou encore BT concept éco). El Hadj Mekedem ­assure, lui, que seulement 20 % du budget total ­proviendrait des collectivités. « Mais s’il avait à payer tout le matériel prêté par la municipalité, cela lui reviendrait beaucoup plus cher », rétorque Christophe Davau. L’événement marche, c’est indéniable. Avec 3 000 spectateurs en 2016, soit 200 de plus que l’année passée, la salle était comble. L’événement peut-il grandir ? Le ­manager en doute. Il constate un manque de dispositifs sportifs dans la ville et dans la région et un manque de volonté politique. Un problème que ne rencontre évidemment pas l’organisation du Glory, l’événement international de kick-boxing créé en 2012 à Singapour. Pour sa 28e édition, il s’est installé à Bercy où 16 000 fans ont répondu présents pour un show de 15 combats. Le rêve d’El Hadj Mekedem serait, pour sa part, de continuer à faire grandir son gala pour accroître le rayonnement de son club et de la cité tourangelle. Si la mairie reconnaît que la ville profite des retombées de l’événement, elle n’est pas prête à le suivre. Même pour la gloire de Tours. HANEN SLIMANI

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TRAVAIL, ÉTUDES, VIE DE FAMILLE ET COMPÉTIONS INTERNATIONALES, LA PLUPART DES SPORTIVES DE HAUT NIVEAU DOIVENT JONGLER AVEC PLUSIEURS CASQUETTES. MAIS ELLES REFUSENT DE SE PLAINDRE. EN TOURAINE, NOUS AVONS SUIVI TROIS DE CES JEUNES CHAMPIONNES.

PAGES RÉALISÉES PAR PIERRE DERRIEN, CLÉMENCE DROUET, ANNA LEFOUR, ALEXIA PRUNIER (TEXTES ET PHOTOS)

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PORTFOLIO

FEMMES EN OR

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SARAH GUYOT

ÉQUIPE DE FRANCE DE KAYAK CHAMPIONNE D’EUROPE 2015 EN K1 200M

Une bouffée d’air frais pour Sarah. L’entraînement matinal sur les eaux du Cher est un véritable retour au sources pour cette étudiante de l’Insep. Bien avant ses sacres nationaux puis européens conclus par une participation aux jeux Olympiques de 2012, c’est là que tout à commencé pour elle. Les journées de la kayakiste sont longues. À 24 ans, son ­emploi du temps aménagé est chargé. Pour allier la compétition et une future carrière de kinésithérapeute, sept années d’études lui sont nécessaires au lieu de trois pour un parcours classique. Avec l’objectif d’une qualification pour les jeux de Rio, Sarah se prépare avec rigueur, un podium olympique dans le viseur.


BRENDA MACÉ

ÉQUIPE DE FRANCE DE BOXE AMATEUR

MÉDAILLE DE BRONZE AUX CHAMPIONNATS DU MONDE 2014, MOINS DE 57 KG

Initiée aux sports de combat par un père boxeur, Brenda laisse au vestiaire la douceur de son tempérament au moment de monter sur le ring. Battue en février dernier pour le titre européen dans sa catégorie, elle prépare sa revanche en multipliant les séances d’entraînement. Chez elle, la boxe est une obsession. Une passion qui la suit jusque dans sa vie professionnelle. Animatrice auprès d’enfants, elle partage son amour pour ce sport au quotidien. À 24 ans, Brenda a déjà la maturité et la sérénité de ceux qui ont le goût de la transmission.


LAURIE LECOINTRE ÉQUIPE DE FRANCE DE TIR À L’ARC

CHAMPIONNE D’EUROPE PAR ÉQUIPE 2010

Laurie n’a que 23 ans

mais son expérience des rendez-vous internationaux fait d’elle un maillon fort de l’équipe de France. Pour mieux travailler son mental, elle quitte l’Insep l’année dernière et retrouve Saint-Avertin, son club formateur. Au côté d’un coach particulier, elle tire sans relâche des centaines de flèches, près de six heures par jour. Un travail de répétition qu’elle conjugue sans se plaindre avec des études en sociologie. Pour ne pas s’éloigner des terrains d’entraînement, elle opte pour les cours à domicile avec l’espoir qu’un jour son sport passe professionnel. Au pied du bureau, le carquois n’est jamais loin.

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DOSSIER

SUCCÈS ET REVERS LA POLITIQUE SPORTIVE Dans un contexte de restrictions budgétaires, difficile pour les municipalités de contenter tout le monde en termes de subventions. Surtout quand la survie de certains clubs en dépend. À Tours, face au géant du volley qu’est le TVB, les petits peinent à se faire entendre, comme en témoigne notre enquête. Mais la politique sportive ne se joue pas qu’à la mairie. Les nouveaux temps d’activité périscolaire (TAP) tourangeaux favorisent la découverte. L’occasion pour les enfants de se passionner pour de nouvelles disciplines. Leurs parents, quant à eux, se dépensent de plus en plus entre collègues. Une tendance accueillie à bras ouverts par les patrons qui ont à y gagner. Mais en France comme ailleurs, détrôner le sport roi reste mission impossible. À Trois-Rivières, au Canada, face au hockey, les autres sports patinent malgré les efforts de certains élus et bénévoles. Bienvenue dans le monde des politiques sportives.


C

DOSSIER inquante critères, une liste ­secrète, un passage « à la moulinette ». C’est la recette de l’attribution des subventions aux clubs sportifs par la mairie de Tours. Si certains ingrédients ne sortent pas de la cuisine de la direction des sports, d’autres sont dévoilés aux clubs : nombre d’adhérents, de licenciés en compétition, rayonnement, formation des jeunes, affiliation à une fédération, obligation de résultats. La municipalité élue en 2014 a remis en service un ustensile peu à peu délaissé par la précédente : la moulinette. Un logiciel de calcul qui permet d’évaluer les besoins des associations sportives à partir du coût des tenues, des déplacements, du matériel, du montant des licences… Ce savant calcul donne un chiffre. Puis ­Xavier Dateu, adjoint aux sports, arbitre. « Je suis quelqu’un de factuel », assure-t-il. Il réajuste notamment les quantités en fonction de l’état des installations. Le montant des subventions par club est ­ensuite voté par la commission des sports. Dernière étape avant la délibération du conseil municipal. Chaque année, environ 1,8 million d’euros sont attribués à près de 100 des 240 clubs de la ville. Avec son équipe, Serge Babary, le maire Les Républicains (LR), se veut rationnel. Pour rééquilibrer les finances publiques, l’enveloppe des subventions attribuées au sport baisse de 5 % en 2016. Le budget global de la mairie diminue quant à lui seulement de 3,5 %. Xavier Dateu reconnaît que les gros clubs sont mieux armés pour résister : « Vous leur enlevez 20 000 euros, ils vont se ­démerder, aller chercher un sponsor de plus. » Les petits en revanche sont « sous perfusion ». Sans la manne municipale « ils ne vivent plus ». LE TOURS VOLLEY BALL PRIVILÉGIÉ

L’adjoint aux sports n’a épargné aucun club. Le cas des Salles d’armes tourangelles (SAT) est un bon exemple. Christophe ­Laroche, le maître d’armes des SAT, est ­résigné : « Difficile de mordre la main de celui qui vous donne de l’argent. » Il reconnaît que les 12 000 euros de subventions maintiennent tout juste son club en vie et ne permettent de payer qu’une partie des 30 000 euros des salaires auxquels s’ajoutent les dépenses pour le matériel, les armes, les tenues et la location des salles. Pour assurer ce financement, le club compte sur le sponsoring, son intervention dans les écoles (voir article page 28) et les cotisations des 120 adhérents. « Nous avons été avertis. Nous savions qu’en 2016 la contribution financière de la mairie allait diminuer. Nous sommes conscients qu’à terme, nous ne pourrons plus nous appuyer sur les financements

SUBVENTIONS IL VA FALLOIR

À TOURS COMME AILLEURS, LES MUNICIPALITÉS DOI LA BAISSE DES SUBVENTIONS OBLIGE LES CLUBS À publics », commente, de son côté, Romain Régnard, le manager de l’Union Tours basket métropole (UTBM). C’est le discours actuel de l’État. En raison de l’augmentation de la dette publique, les clubs et les associations vont devoir trouver de nouvelles sources de financements. Une autre solution s’offrait pourtant à ­Xavier Dateu : ne pas toucher aux subventions des petits clubs et diminuer les aides aux plus gros. Le trésorier du Tours volley ball (TVB), Christophe Chebassier, reconnaît avoir « une place privilégiée ». Le TVB reçoit la plus grosse subvention (quelque 412 000 euros en 2014-2015), renforcée par une prime de résultats de 20 000 euros pour le doublé coupe-championnat. La raison avancée : c’est un « sport qui fait Innova

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v­ ibrer la ville ». Grâce à ses bons résultats en Ligue A masculine (sextuple champion de France) et en Ligue des champions, ­gagnée en 2005. Contrairement à l’Union sportive de Tours rugby (UST rugby), club tourangeau emblématique créé en 1898, qui est, lui, en difficulté. En cause, des problèmes de gestion et le retrait d’un gros sponsor. « Quand vous arrivez à un certain niveau, (Fédérale 2, NDLR), il faut des gestionnaires », commente Xavier Dateu. ­Depuis 2010 et pour cinq ans, la mairie verse une subvention exceptionnelle de 60 000 euros par an pour éponger les dettes. En 2015, la perfusion est maintenue. Xavier Dateu est convaincu que ses efforts ne sont pas vains. En tapotant du doigt sur son bureau, il assure : « Mainte-


Laure Colmant

DOSSIER nant, j’ai le nez dans les comptes. Ils font des efforts notables. Je ne me dis pas que c’est du pognon foutu en l’air. » Une bonne raison pour leur attribuer une subvention de 30 000 euros en 2016. Le vice-président chargé des finances, Maurice Debosz, n’a pas souhaité communiquer sur le sujet. A contrario, Bernard Machefer, président de Touraine événement sport et organisateur de la Roue tourangelle, s’exprime ­volontiers sur la baisse de 40 % de ses subventions. Sa course cycliste professionnelle départementale, la seule d’Indre-et-Loire labellisée Coupe de France, a reçu 10 000 euros pour 2016 contre 17 000 euros l’an dernier. Il accuse le coup et ne ­comprend pas cette coupe nette. L’adjoint aux sports estime, lui, que les subventions aux événements cyclistes sont trop élevées compte tenu du nombre d’adhérents. Il ­dénombre 57 licenciés tourangeaux pour sept courses de vélo. Xavier Dateu considère que c’est aux autres collectivités ­locales de soutenir la Roue tourangelle. DES SUBVENTIONS LIÉES AUX RÉSULTATS La municipalité de Tours organise chaque année, en septembre, les Sport’ouvertes pour faire découvrir les différents clubs de la ville. Des podiums permettent des démonstrations, comme ici celle des escrimeurs du SAT.

PUBLIQUES, JOUER SERRÉ

VENT SE PLIER AUX RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES. REDOUBLER D’EFFORTS POUR SE MAINTENIR À FLOT. RÉPARTITION DES SUBVENTIONS POUR LE TOURS VOLLEY BALL

912 000 € POUR L’ANNÉE 2015

Les subventions des collectivités représentent 46 % du budget du TVB.

Innova

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Pour la saison 2015-2016, le calendrier du versement des subventions a été chamboulé. Auparavant les aides arrivaient dans les caisses des clubs en décembre, à la suite du vote du budget. Cette année, les associations sportives ont dû attendre trois mois supplémentaires. D’après Xavier Dateu, un vote en mars permet de prendre en compte tous les résultats de l’année civile précédente. En guise d’avance, 30 % du montant prévisionnel des subventions ont été versés. Difficile donc de se projeter pour les clubs. François Freslon, président du Tours aviron club (TAC), déplore ce changement : « Le problème du versement annuel des subventions et au coup par coup, c’est qu’il est impossible de garantir une situation pérenne et de monter des projets. » Cette vision à court terme décourage aussi les bénévoles. Pour le moment, 7 000 euros ont été octroyés au club depuis le vote en octobre dernier. Le TAC devrait au total toucher 20 000 euros mais la mairie n’a donné qu’un « chiffre à la louche ». Quant au trésorier du TVB, Christophe Chebassier, il estime que l’attribution annuelle ne correspond pas au fonctionnement par saison (d’octobre à mai) de son club. Le Tours Volley Ball mise sur 146 partenaires et le mécénat. Ces investissements représentent 43 % du budget et sont utilisés pour l’achat de joueurs étrangers. Le club sait diversifier ses fonds. Il s’engage à mener des missions d’intérêt général auprès des jeunes dans les quartiers populaires et dans les écoles en échange d’un financement supplémentaire. Une enveloppe de 380 000 euros est versée aux 12 clubs sportifs ayant respecté ces engagements. « Je ne remets pas en doute leur bonne volonté d’aider les jeunes, mais moi je dois être


DOSSIER

Photos : Laure Colmant

GAUCHE, DROITE, CHACUN SES PRIORITÉS

L’été, le TAC organise des stages de découverte d’une semaine.

c­ apable de justifier un euro dépensé au nom de la collectivité », assure Xavier ­Dateu. Les clubs sont suivis de près. Le message est clair : « On leur dit : “Vous le faites, c’est payé. Vous ne le faites pas, ce n’est pas payé. Vous le faites à moitié, c’est payé à moitié.,, » Pour d’autres clubs, remplacer les subventions relève davantage du système D. Le TAC en vient à solliciter la participation des parents des jeunes licenciés pour payer les déplacements. Il envisage d’organiser des brocantes. Les aides de la mairie sont constantes mais ne compensent pas la hausse du loyer (les locaux municipaux), l’inflation, les assurances ni le salaire annuel de l’encadrant.

Freslon, « il n’y a pas que la compétition et le spectacle. Le sport contribue à la santé publique et à la cohésion sociale ». L’essence même d’une politique publique. Les baisses de dotations globales de l’État font boule de neige, des régions aux associations de quartier. Tous les acteurs doivent s’adapter et diversifier leurs financements. Le défi est maintenant de traverser la tempête. ALEXIA CHARTRAL, MARGAUX LACROUX,

PIERRE-MAXIME LEPROVOST ET RODOLPHE SCHMITT

LA FUSION, UNE FAUSSE BONNE IDÉE

Afin d’optimiser les financements des clubs, Xavier Dateu prétend avoir la recette ­magique : la fusion. Il assure avoir impulsé cette pratique à son arrivée en 2014. Elle était déjà préconisée par la précédente municipalité. Pour l’élu, les clubs de même discipline et à niveau égal ont intérêt à se rapprocher. « Quand vous allez négocier des subventions avec les collectivités territoriales, vous n’avez pas le même poids si vous avez deux petits clubs ou un seul gros. » Il préconise notamment une fusion entre le TAC, le plus ancien club sportif de la ville, et le COTS Aviron, situés chacun sur une rive du Cher. Selon la mairie, cela permettrait l’augmentation du nombre d’adhérents et un meilleur rayonnement de l’aviron à Tours. Pour François Freslon ce projet est prématuré, les clubs n’ayant pas les mêmes objectifs. Pour Xavier Dateu, les discussions ont trop duré et la fusion est inévitable. Le maître d’armes des SAT, issues d’une fusion de deux clubs, n’a pas vu le nombre de licenciés augmenter ni les subventions. Faire autant avec moins, c’est ce qui guette les clubs tourangeaux. Mais pour François

Quelque 150 clubs participent au Sport’ouvertes, dont ceux d’ arts martiaux.

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Dans ce contexte de crise, les choix restent marqués par « la dualité classique entre sport d’élite et sport pour tous », estime Michel Koebel, sociologue spécialiste des politiques sportives des collectivités locales. Autant dire droite contre gauche sur l’échiquier politique. À Grenoble, le budget de la direction des sports a été réduit de 10 % entre janvier 2015 et janvier 2016. Sadok Bouzaiene, l’adjoint aux sports (EELV) a supprimé la subvention de 1,6 million d’euros allouée aux Six-Jours, la course cycliste professionnelle. Il souhaite faire bénéficier un club amateur de l’accès au vélodrome municipal. À Caen, l’arrêt des subventions au club de foot professionnel qui évolue en Ligue 1, a été décrété par la nouvelle municipalité (LR). L’essentiel de l’économie dégagée a servi à l’organisation d’événements sportifs d’envergure nationale. Son ambition est donc de privilégier la rentabilité à la diversité. Cependant, la plupart des communes françaises évoluent aujourd’hui dans une zone grise entre sport d’élite et sport pour tous. Et ce, quelle que soit leur étiquette p ­ olitique. À Saint-Denis (PCF), le contrat d’engagement municipal 2014-2020 mentionne aussi bien « d’aider les familles au paiement de la première licence sportive » que « de soutenir les événements sportifs comme vecteurs de valorisation de la ville ». VINCENT FAURE


DOSSIER

DU SPORT, OK, MAIS PAS QUE DU HOCKEY DR

AU QUÉBEC, ON DÉNOMBRE 800 LIGUES DE HOCKEY, HOCKEY. DES MILLIONS DE SPECTATEURS ET UNE FÉDÉRATION TOUTE PUISSANTE. POURTANT, EN PLEIN CŒUR DE LA PROVINCE, LA VILLE DE TROIS-RIVIÈRES TENTE DE DIVERSIFIER LES ÉLANS SPORTIFS DE SES CITOYENS.

S

i le hockey est si populaire, ça n’a rien d’étonnant, s’exclame Virgil Blais, golfeur au club des Patriotes. Regarde autour de toi. » D’un large geste de la main, il désigne les énormes tas de neige grimpant jusqu’au premier étage des ­immeubles. Cet hiver, deux tempêtes successives auront totalement plongé dans le noir les personnes vivant au rez-de-chaussée. Partout, de la glace. ­Logiquement, la majorité du temps dédié au sport est consacrée au hockey. « On y joue tous dès que l’hiver arrive, il n’y a plus que ça qui compte. J’aurais aimé naître en Floride », explique, dépité, le golfeur, les mains sur les hanches. Trois-Rivières, à mi-chemin entre Québec et Mont­réal, ouvre une quarantaine de patinoires l’hiver. Un joli chiffre comparé aux « trois terrains en faux-dur qu’on se partage pour le tennis », ­commente ­Nicolas Lacoursière, le président de l’Association de tennis de Trois-Rivières (ATTR). La capitale de la Mauricie a de quoi impressionner : l’agglomération est dotée d’une patinoire pour 2 500 habitants. Par comparaison, le chiffre monte à 50 000 à Montréal. LE RUGBY RELÉGUÉ AU GYMNASE

Pour trouver des îlots de sports qui ne se jouent pas avec une crosse, il faut se diriger vers le complexe sportif Alphonse-Desjardins. Ici, l’ATTR et le club de rugby tirent un grand rideau dans l’un des halls pour se partager les surfaces de jeux. « Toujours pas de plaquage pour aujourd’hui, soupire Benoît Curé, membre du conseil d’administration du club de rugby. Plus de la moitié de l’année, on s’entraîne dans des gymnases. Ce n’est vraiment pas l’idéal, on ne peut pas jouer dans ces conditions-là. » Conséquences : peu de visibilité, peu de personnes intéressées, peu de licenciés et donc encore moins de revenus. « Nous sommes tous bénévoles », répètent Benoît Curé et Nicolas Lacoursière. Alors, vers qui se tourner pour faire vivre les quelques infrastructures existantes ?

AVANTAGE Les joueurs de hockey ont la quasiassurance d’être rémunérés et donc de devenir des sportifs semiprofessionels. Ils sont près de 600 en Mauricie.

Guy Godin pourrait réparer cette injustice. Chargé des sports à la ville de Trois-Rivières, il a eu pour mission la mise en place de critères d’admissibilité aux subventions municipales pour les associations sportives. « Environ 120 000 dollars (soit 80 000 euros) sont distribués à 39 associations qui représentent une vingtaine de disciplines », pavoise-t-il. Cette somme devrait aider « à la pratique de sports de gazon ou aquatiques et non plus seulement de glace. Finalement, cet argent sert à diversifier les habitudes sportives des Trifluviens. Faire du sport, oui ! Mais pas que du hockey. » Or un rapide calcul montre qu’une fois distribuées les subventions aux clubs de hockey ou de football, il ne reste plus que 55 % du montant, soit exactement 44 000 euros à se partager pour les 32 clubs restants. Et sur les quatre salles omnisports de la ville, une seule est équipée pour autre chose que des sports de glace. AUX PETITES ÉQUIPES LES PETITS MOYENS

Autre limite, de l’aveu même de Guy Godin : « Le principal critère pour obtenir une subvention, c’est le nombre de licenciés au club. » Et à ce petit jeu, on comprend vite que le hockey, avec ses quatre ligues présentes en Mauricie, n’a que peu de soucis à se faire. Derek Morissette, centre pour l’équipe de hockey des Barons-du-Cap-de-la-­ Madeleine, confie même : « Nous, on est l’avantdernier échelon régional. Pourtant, on a un public et, surtout, même si ce n’est pas officiel, notre président paye chaque joueur après un match. » Un bel indicateur de la situation du sport en Mauricie. Pendant ce temps, au complexe Alphonse-Desjardins, lors de l’entraînement des joueurs de rugby, une balle jaune duveteuse provenant du court de tennis attenant rebondit entre les jambes de Benoît Curé alors qu’il s’apprête à faire une démonstration de mêlée : « Bah ! dédramatise-t-il. C’est toujours mieux que de jouer dans la neige… » THOMAS RIDEAU, À TROIS-RIVIÈRES (CANADA)

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DOSSIER

Dans cette entreprise de BTP, le rituel de l’échauffement dure entre trois et cinq minutes pour chaque salarié. Une consigne à laquelle aucun ne déroge.

QUAND LES ENTREPRISES MOUILLENT LE MAILLOT

LA PRATIQUE SPORTIVE SE DÉVELOPPE DANS LE MONDE DU TRAVAIL. SUER ENTRE COLLÈGUES SERAIT SOURCE DE BIEN-ÊTRE ET DE COHÉSION, MAIS AUSSI UN MOYEN DE DOPER LA PRODUCTIVITÉ. Les premiers coups de crampons claquent sur le carrelage usé du vestiaire du stade du Breuil, à Chambray-lès-Tours. Il est à peine 20 h 30. C’est soir de match pour ­Hatim et ses coéquipiers. Tous sont venus dès la ­sortie du boulot. Les derniers arrivés ont ­encore le badge épinglé au gilet et les chaussures de sécurité aux pieds. Et pour cause, « toute l’équipe travaille chez Leroy Merlin », signale Hatim. Lui-même enfile son maillot de foot floqué aux couleurs de l’enseigne. Dans la vie, ce jeune homme de 24 ans, aux cheveux gominés, est conseiller de vente à l’espace cuisine du magasin de Tours-Sud. Sur le terrain, il ­organise le jeu au milieu, plutôt au four et au moulin. « J’ai commencé à jouer dans l’équipe il y a trois ans, quand je suis arrivé dans l’entreprise. C’est ce qui m’a permis de m’intégrer », se souvient-il. Boris, 43 ans, est chef de rayon. Tout en ­revêtant sa tenue de gardien de but, il ­acquiesce : « Ça crée de la convivialité et de la cohésion. Il n’y a plus de hié-

rarchie entre nous. Quand nous jouons tous ensemble, c’est un exutoire. » Les verts de Leroy Merlin se retrouvent ainsi depuis une dizaine d’années pour disputer un match par semaine dans un championnat interentreprises géré par la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) d’Indre-et-Loire. À l’initiative des salariés : « Les cadres ne sont pas vraiment intéressés, confie Boris. Mais la direction accepte de financer notre tenue. L’année où

2,5

EN CHIFFRE

millions de Français pratiqueraient un sport au sein de 8 000 clubs d’entreprise selon des chiffres publiés en 2001 par la direction des sports du ministère de la Jeunesse et des Sports. Innova

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on a gagné la coupe, le directeur était même venu nous voir jouer. Mine de rien, on représente un peu les valeurs de l’entreprise avec notre maillot. » « MES OUVRIERS SONT EN QUELQUE SORTE DES MARATHONIENS DU BTP »

Dans certaines sociétés, en revanche, l’activité physique correspond à une volonté ­affirmée des dirigeants. C’est le cas de ­l’entreprise tourangelle Jérôme BTP. JeanClaude Brossier, son président, en a fait un véritable leitmotiv. Cet ancien marathonien de 61 ans se bat pour inculquer certains réflexes sportifs à ses salariés. « Avant chacune de mes courses je m’échauffais et, après, je m’étirais, raconte-t-il. Mes ouvriers sont en quelque sorte des marathoniens du BTP : ils doivent faire pareil au quotidien. » Depuis 2014, les échauffements font partie intégrante des consignes à respecter. « On apprend le métier mais pas les bonnes positions de travail, regrette Jean-Claude Brossier. Tenez, notre meilleur


DOSSIER

Ella Micheletti/EPJT

plâtrier a fini avec une canne parce que personne ne lui avait expliqué comment soulever un sac de ­ciment correctement. » Tous les matins, les ouvriers se réunissent cinq minutes pour monter en température avant de commencer leurs tâches. « Après ça, on se sent prêt, ­observe ­Nicolas, 35 ans, chef de chantier. Ça tire moins dans le dos, on a moins peur de se faire mal. » Des bénéfices qui se ressentent aussi d’un point de vue financier pour la ­direction. Grâce à la mise en place de ces quelques règles simples, Jean-Claude Brossier certifie avoir divisé par deux (de 200 000 à 100 000 euros) ses ­cotisations sociales liées aux ­arrêts maladies, le plus souvent provoqués par les troubles ­musculo-squelettiques (TMS). Le patron organise aussi une fois par an des sessions avec des ­kinés pour sensibiliser ses équi­ pes. « Sur l’entretien du corps, la gestion de la douleur, le stress mais aussi l’alimentation car c’est ­essentiel, détaille-t-il. Tout ce qui touche à l’hygiène de vie. » Une ­expérience qui a tant plu aux ­employés que Jean-Claude Brossier réfléchit aujourd’hui à mettre en place un partenariat avec un club de balnéo. Cette découverte a aussi donné quelques idées à certains. Comme à Didier, 52 ans, conducteur d’engins : « Pour ne pas rouiller, j’ai ­décidé de me mettre à la nage », sourit-il.

6à 9

LE CHIFFRE

c’est, en pourcentage, le gain de productivité que peut réaliser un salarié qui se met à pratiquer régulièrement une activité physique et sportive dans le cadre de son travail, selon le cabinet Goodwill Management (2010).

garder ses meilleurs éléments, voire d’en attirer de nouveaux. Comme ce qui se fait avec les tickets restaurant ou encore les ­réductions sur les sorties… » Cette stratégie autour du sport fonctionne déjà dans de nombreux grands groupes comme La Poste ou encore Véolia. Pour autant, comme le rappelle Jérôme Boissel, le lien entre le sport et l’entreprise n’est pas récent. « Dès la fin du XVIIIe siècle, on avait ­compris qu’il fallait fédérer les ­ouvriers avec le sport. Prenez l’équipe de football du Havre (la première équipe professionnelle française, fondée en 1872, NDLR). À l’origine, c’était l’équipe des dockers du port. Pareil pour le club de rugby de Clermont-Ferrand, c’était celui de l’usine M ­ ichelin. » À Saint-Cyr-sur-Loire, à côté de Tours, les 1 500 salariés de l’usine SKF, spécialisée dans la production de roulements à billes, ont aussi leur association sportive historique : le Club athlétique SKF. Créé au

­ ilieu du siècle dernier, il regroupe diffém rentes sections, du football au VTT en passant par la musculation et la gym. « Sur nos 600 adhérents, environ 40 % sont ­encore employés par la société, précise Pascal ­Richard, responsable maintenance depuis trente-huit ans à SKF et président du club. La part des personnes extérieures, qui payent un abonnement plus cher, nous aide à financer les charges du gymnase. » Installé sur le site de l’entreprise, celui-ci permet aux salariés de venir avant, pendant ou après le travail. Chacun a ses petites ­habitudes. Les opérateurs de l’usine arrivent en fin d’après-midi pour se détendre sur les machines de sport, tandis que des cadres s’offrent une parenthèse stretching pendant leur pause déjeuner. « On passe toute notre journée devant l’écran, alors ces séances de gym, ça nous permet de faire un break, souffle ­Audrey, 39 ans, du service ­développement. Dans l’industrie, il faut toujours être en alerte. Ça nous permet d’évacuer le stress et de revenir plus serein au travail. » « Et puis c’est pratique. Le soir, ce n’est pas toujours facile de faire du sport avec les enfants à aller chercher à l’école », complète Sarah, 44 ans, chef de projet. Ces deux collègues bougent leur corps deux heures par ­semaine et ça leur va bien. Mais, au bout du compte, suer avec des collègues qu’on ­côtoie en permanence, ça peut ­paraître un peu étouffant, non ? Pas forcément, à en croire Joao, un autre salarié de SKF qui vient souvent faire du cardio-training. Ce responsable qualité de 55 ans a trouvé un bon compromis : « Ici, on parle de tout, sauf du boulot ! » TONY FABRI ET ELLA MICHELETTI

LES CADRES DE SKF OPTENT POUR LE STRETCHING ENTRE MIDI ET DEUX

À l’image de Jean-Claude Brossier, de plus en plus de dirigeants songent à intégrer les activités physiques. « Il y a une véritable ­demande pour implanter le sport au sein des entreprises », affirme Grégory Del­ pouys. Ce conseiller est responsable d’une branche dédiée au sport récemment ­ouverte par l’agence de communication tourangelle L&B Synergie afin de répondre à cette ­demande. Aux yeux de ce sportif convaincu, qui a déjà l’habitude de courir avec ses collègues, les vertus de l’activité physique au travail sont multiples. « Les études montrent que cela augmente la productivité des salariés (voir encadré). ­Notamment en améliorant leurs santés mentale et physique. Il y a aussi une cohésion sociale qui se crée entre salariés par exemple », argumente-t-il. Patrons comme employés, tous auraient donc à y gagner. « Du point de vue du marketing, une ­société a tout intérêt à promouvoir le sport auprès de ses salariés et surtout à le faire savoir, abonde Jérôme Boissel, chercheur en marketing sportif. C’est une façon de

Tony Fabri/EPJT

Un soir par semaine, Hatim (au premier plan, à droite) et ses collègues de Leroy Merlin se retrouvent pour disputer un match de football. Un véritable exutoire.

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DOSSIER

À L’ÉCOLE, LES TAP TROUVENT LEUR PLACE

Clémence Drouet/EPJT

Le soleil brille et des cris d’enfants s’élèvent de la cour de récréation de l’école Pitard, située dans le centre ville de Tours. Deux par deux, main dans la main, les enfants se dirigent vers le gymnase. Il est 15 heures ce jeudi, les temps d’activités périscolaires (TAP) commencent. Pendant une heure et demie, les enfants vont découvrir la boxe et le badminton. « Le but n’est pas de fonctionner comme un club sportif mais d’initier les élèves à de nouvelles pratiques », explique Romain Dugast de l’association socio-culturelle Courteline, qui gère les TAP en partenariat avec les écoles. Édouard, un petit blondinet de 6 ans et demi, en est le parfait exemple. « C’est à l’école que j’ai fait pour la première fois de la boxe. J’adore ça ! » Il n’est pas le seul. « Depuis que nous participons à ces activités, nous avons eu plusieurs nouvelles recrues au club d’escrime », souligne Christophe Laroche, maître d’armes des Salles d’armes tourangelles. Des initiations qui génèrent donc des vocations. À Tours, Courteline et trois autres associations ­organisent les TAP depuis septembre 2015. Elles ont pris le relais de la mairie après une première ­année de rodage. Le dispositif est le même dans toutes les écoles publiques de la ville, avec un objectif commun : faire découvrir aux enfants des sports qu’ils connaissent mal, voire pas du tout. Ces activités permettent aussi de développer la motricité et la coordination. Enfin, c’est l’occasion d’apprendre des

Les ateliers consacrés au sport permettent aux enfants de se défouler.

ZOOM Depuis la rentrée 2014, toutes les communes de France sont concernées par la réforme des rythmes scolaires avec l’introduction des temps d’activités périscolaires (TAP). Ces moments ont pour but d’alléger l’emploi du temps des enfants. Pendant trois heures chaque semaine, ils quittent leur classe pour pratiquer une activité sportive, manuelle ou d’expression corporelle.

Anna Lefour/EPJT

BOXE, BADMINTON, RUGBY, FOOTBALL AMÉRICAIN, LES TEMPS D’ACTIVITÉS PÉRISCOLAIRES SONT L’OCCASION POUR LES ENFANTS DE S’INITIER À DE NOUVELLES PRATIQUES SPORTIVES. À TOURS, DEUX FOIS PAR SEMAINE, LES ÉLÈVES ÉCHANGENT LEUR ­PUPITRE CONTRE UNE PAIRE DE BASKETS.

notions de la vie de tous les jours comme le respect et l’écoute des autres. « Il y a aussi un côté défouloir pour les enfants. Ils sont plus épanouis et le lendemain ils sont plus attentifs et concentrés en classe », affirme Cédric Rioublanc, responsable des ateliers dans le quartier Lamartine. Certains parents considèrent que ces heures supplémentaires ajoutent à la fatigue des enfants. Hélène Dujardin, présidente de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) d’Indre-et-Loire, relativise. « Ce qui les fatigue, ce sont avant tout les impératifs horaires des parents, qui les déposent tôt le matin et viennent les récupérer tard le soir. » Du côté des enfants, la seule critique serait la frustration. « J’en connais qui sont déçus car ils ne sont pas toujours sélectionnés dans les animations qu’ils avaient demandées », ajoute Hélène Dujardin. Les places dans les ateliers des sports-rois, comme le football, sont chères. DES INÉGALITÉS D’UNE ÉCOLE À L’AUTRE

La contrainte majeure réside plutôt dans les ­infrastructures. Les créneaux d’une heure et demie ne permettent pas de grands déplacements dans ­l’agglomération et les associations doivent s’adapter aux locaux mis à disposition dans leurs secteurs. À Tours, par exemple, le quartier Sanitas, grâce au ­Palais des sports, est le mieux doté en équipements sportifs. Malgré la bonne volonté des animateurs et des clubs, les activités proposées ne sont donc pas les mêmes d’une école à l’autre. Les améliorations possibles sont nombreuses et les premiers concernés, les enfants, sont d’ailleurs sollicités. Au sein des écoles où l’association Léo-Lagrange intervient, les écoliers remplissent un carnet où ils peuvent donner leur avis sur les activités pratiquées. « Entre 85 et 90 % des enfants se déclarent satisfaits des sports qu’ils pratiquent », se félicite Stéphane Tessier, directeur du secteur enfants de l’association. À Tours, le dispositif des TAP semble sur la bonne voie. Dans le reste de l’Hexagone, le bilan n’est pas aussi réjouissant.

Grâce aux TAP, ces enfants s’initient avec plaisir au football américain.

CLÉMENCE DROUET, ALICE GENDREAU,

PIERRE-MAXIME LEPROVOST ET ALEXIA PRUNIER

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HANDISPORT

LE GRAND SILENCE

Les sourds sont dans le sport comme le dernier village gaulois. Conscients de leur singularité, ils résistent et tentent de se faire entendre. Leurs capacités physiques sont similaires à celles des entendants. Ils doivent cependant composer avec des contraintes. « La principale difficulté réside dans les troubles de l’équilibre », explique Marie Robert, championne du monde de judo sourd en 2008 à Toulouse. Autre problème : la communication. Pendant un combat, cette judoka blonde et menue doit sans cesse avoir un contact visuel avec son entraîneur pour lire sur ses lèvres et comprendreses instructions. Difficulté supplémentaire, les sourds doivent prouver à la Fédération française handisport qu’ils le sont bien. Pour cela, ils doivent passer des tests auditifs. S’ils ne perçoivent aucun bruit en dessous de 55 décibels, l’équivalent d’une conversation à voix haute, ils sont bien reconnus comme sourds. Lors des compétition de haut niveau, ces sportifs se retrouvent dans une position délicate, à mi-chemin entre les athlètes valides et ceux qui évoluent en handisport. Marie Robert a le statut de « sourde profonde ». Elle n’a que 10 % de capacité auditive. Pourtant, elle s’est toujours entraînée avec des entendants. PRIVÉS DE JEUX PARALYMPIQUES

Ce que la championne de 32 ans déplore le plus, c’est l’écart de moyens financiers et matériels entre valides et handicapés : « Nous n’avons pas de primes de médailles ni aucune autre aide. » Elle n’a jamais ­bénéficié d’aménagements d’horaire pour s’entraîner. Il lui a donc été difficile de vivre de sa discipline. Avec un emploi qui l’occupe quarante heures par semaine, elle ne peut s’entraîner que pendant ses temps libres et ses congés. « J’ai dû abandonner la compétition. C’était trop compliqué de conjuguer mes vies professionnelle, sportive et familiale », regrette-t-elle. Même discours du côté de Thomas Luxcey, capitaine de l’équipe de France de ski handisport. En hiver, il alterne compétitions et monitorat. « C’est parfois avec un peu d’amertume que nous hissons le drapeau français sur les podiums », regrette-t-il. Afin de réduire ces inégalités, un comité sourd a été créé au sein de la Fédération française handisport en 2011. Ces contraintes dissuadent les sourds de participer aux jeux Olympiques. Mais ils n’ont pas pour autant accès aux jeux Paralympiques. Leur handicap n’est pas jugé suffisant parce que l’ouïe n’est pas considé-

Photos : Pierre Derrien/EPJT

PETIT À PETIT, LES ATHLÈTES HANDISPORT SE FONT UNE PLACE DANS LE PAYSAGE MÉDIATIQUE. LES JEUX PARALYMPIQUES DE LONDRES EN 2012 Y ONT BEAUCOUP CONTRIBUÉ. POURTANT, UNE CATÉGORIE EST TOUJOURS DANS L’OMBRE : CELLE DES SOURDS. NI TOTALEMENT VALIDES NI SUFFISAMMENT PÉNALISÉS PAR LEUR HANDICAP, ILS CHERCHENT ENCORE LEUR PLACE.

Ancienne judoka de haut niveau, Marie Robert, 32 ans a collectionné les médailles.

« c’est parfois avec un peu d’amertume que nous hissons le drapeau français sur les podiums », Thomas luxcey, capitaine de l’équipe de france de ski handisport

rée comme un élément moteur dans une activité sportive. Depuis 1924, un événement leur est dédié : les Deaflympics (deaf signifie « sourd » en anglais). Comme pour les jeux Olympiques, il existe des éditions d’hiver et d’été. Or, en février 2011, le rassemblement a été annulé. La cause : un manque de préparation du pays hôte, la Slovaquie. En 2015, les Deaflympics ont failli ne pas avoir lieu pour les mêmes raisons. Ils ont été organisés de justesse par la Russie à la place du Canada. Si les jeux Paralympiques sont peu médiatisés, les Deaflympics le sont encore moins. Christian Femy, directeur sportif du ski alpin handisport, ne mâche pas ses mots : « L’organisation est chaotique. Ces jeux ne sont qu’une blague. » Aucun critère de performance n’est d’ailleurs requis. « Les sourds sont des électrons libres et ne s’ouvrent pas », ajoute-t-il. Il nuance son propos et admet que la surdité est un handicap qui ne se voit pas. À tel point qu’une forme de communautarisme se développe. Marie Robert connaît ce sentiment d’isolement : « Les sourds doivent sortir de leur bulle et réaliser qu’ils peuvent ­rivaliser avec les valides. » Les sportifs ­malentendants sont donc attachés à ces Deaflympics qu’ils voient comme leur unique chance d’exister aux yeux du grand public. THIBAULT CHAUVET, PIERRE DERRIEN, ALEXIS PAUMARD

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La jeune femme est atteinte de surdité depuis sa naissance. Un handicap qui a compliqué la pratique de son sport.


INSOLITE

ILS SONT FOUS CES SPORTIFS

V

ous avez toujours rêvé d’aller repasser à 1 000 mètres d’altitude ou de dévaler une colline pour attraper un fromage ? Probablement pas. Pourtant, ces sports insolites existent et sont pratiqués. Ils s’appellent le repassage de l’extrême et le cheese-rolling – littéralement, le fromage qui roule. Certains sont plus connus que d’autres, comme le quidditch dont le nom évoque tout de suite la saga Harry Potter. D’autres grandissent ­encore dans l’ombre, comme le rollerjoëring qui consiste à se faire tirer par un cheval en étant sur des rollers. Pour Michaël Attali, historien du sport, « insolite » est toutefois un terme à manier avec précaution : « Un sport insolite est un sport qui concerne peu de monde et va à

l’encontre des règles traditionnelles. Mais tout est une question de point de vue et d’époque. Le triathlon était jugé comme un sport de fou furieux à sa création. On pensait que le snowboard était un sport de jeunes riches sans limites qui n’avaient rien à perdre. »

RUGBY-GOLF

simples. Le nom a été déposé à l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) mais rien ne protège l­’invention. Le secrétaire de l’association s’en inquiète d‘ailleurs. « Si quelqu’un décide de nous copier et de ­l’appeler ovale golf, rien ne l’en empêche. »

POUR LES DANDYS DE L’OVALIE

ÉMERGENCE DE NOUVELLES PRATIQUES

Désormais, certaines mairies comme celle de Nantes encouragent la pratique de sports insolites. Selon l’historien, le sport est une invention du XXe siècle au même titre que le cinéma. C’est pourquoi la définition sociologique du terme ne cesse de changer. Il y a trente ans, un sport devait favoriser l’esprit de compétition, être institutionnalisé et

Pierre Lasvenes

Les idées naissent souvent au hasard. C’est au cours d’un atelier avec des enfants dans le Lot que celle du rugby-golf a germé. Il y a à peine six mois, un simple parapluie renversé utilisé comme cible a inspiré trois cadres du rugby lotois. « Pourquoi ne pas pousser la logique au maximum et jouer au rugby sur un parcours de golf rempli de cibles à atteindre selon les règles du rugby », se demande Mathieu Rollin, secrétaire de l’association française de rugby-golf. Leur souhait de base est de ­décloisonner les sports. « Ce serait magnifique de voir un grand-père golfeur jouer avec son petit-fils rugbyman », imagine-til. Mais ils veulent aussi créer un sport à part entière. Si le rugby-golf dépend actuellement de la ­Fédération française Concentration et précision sont de rugby, ses créateurs entendent requises pour la pratique du bien prendre leur indépendance. rugby-golf. Mais les ­démarches ne sont pas Innova

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r­ églementé. Mais le pratiquer pour son loisir brouille les frontières. « Si une ­activité sportive ne réunit pas les critères de bienêtre, de santé, de plaisir et de jeu, elle n’aura aucun succès », ajoute Michaël Attali. Ce qui n’empêche pas de nouvelles pratiques d’émerger en masse. L’historien précise même qu’il n’y a jamais eu autant d’inventions de sports qu’aujourd’hui. La plupart, comme le racketlon qui associe tennis de table, badminton, squash et tennis, sont toutefois des sports hybrides. Et si le plaisir et l’aspect ludique sont souvent là, les conditions de sécurité laissent parfois à désirer. Comme pendant les jeux Olympiques ruraux en Inde où l’une des activités consiste à se faire rouler dessus par un tracteur, allongé à plat ventre sur le sol.

La première compétition aura lieu courant mai. Elle sera la première étape vers la création d’une fédération française de rugby-golf. Association française de rugby-golf sur Facebook, rugbygolf@gmail.com


INSOLITE

TCHOUKBALL

ment en proposant des formations pour les professeurs d’EPS et en demandant des agréments ministériels. Mais Steve Renaux en est bien conscient, il va falloir être

Plus connu chez nos voisins anglais, suisses et italiens, ce sport au nom étrange a été inventé dans les années soixante par le docteur genevois Hermann Brandt. Inquiet de voir à quel point la pratique sportive pouvait être dangereuse, il en a conçu une sans contact, savant mélange de handball, de volley-ball et de pelote basque. « À haut niveau, il y a tout de même des risques ­d’entorses et de doigts retournés », explique Steve Renaux, président de la Fédération française de tchoukball, créée en 1971. Les équipes sont composées de sept joueurs. Le terrain est le même qu’au basket-ball. À la place des paniers se trouve un petit trampoline entouré d’une zone de but de 3 mètres dans laquelle les joueurs doivent faire rebondir le ballon. C’est d’ailleurs du bruit que fait la balle en tapant sur le trampoline, « tchouk », que vient le nom de ce sport. Aujourd’hui, on compte eniron deux cent cinquante adeptes en France et neuf clubs. Après avoir été inactive jusqu’en 2011, la fédération souhaite aujourd’hui se développer sur tout le territoire, notam-

Sébastien Lethuillier

AVIS AUX DOUILLETS

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patient : « Nous espérons faire partie du paysage sportif français dans une quarantaine d’années. » www.tchoukball-france.org.

Le tchoukball est un mélange de handball, de volley-ball et de pelote basque.

LE CHIFFRE

CHESS-BOXING

LA TÊTE ET LES POINGS

Mélangez boxe anglaise et échecs : vous obtiendrez le chess-boxing. Développée et adoptée par des notables anglais et ­allemands soucieux d’allier forces physique et mentale, la discipline a pourtant été imaginée par un Français. Dans sa bande dessinée, Froid Équateur, publiée en 1992, Enki Bilal a créé ce sport pour l’un de ses personnages. Un match est réparti en 11 rounds maximum, 6 d’échecs et 5 de boxe. Ceux de boxe durent trois minutes, ceux d’échecs quatre. Le combat se termine si le temps imparti est dépassé, sur échec et mat, abandon ou K-O. En France, la discipline commence à faire des adeptes grâce à certaines personnalités du monde des échecs comme Jean-Luc Chabanon, grand maître international (GMI) ou encore Olivier Delabarre, vice-

créer une association nationale consacrée au chess-boxing. Et il prépare une émission pour Canal+ Web au côté de Manuel Herrero. Ouverture d’une formation au chess-boxing à l’association l’Échiquier dieppois, 9, GrandeRue-du-Pollet, 76200 Dieppe. PAGES RÉALISÉES PAR ANNE-LAURE DE CHALUP, ANNA LEFOUR, HANEN SLIMANI ET OPHÉLIE SURCOUF

Olivier Delabarre initie un de ses élèves au chess-boxing.

Olivier Delabarre

C’est le nombre de rounds lors d’une compétition de chess-boxing : 6 d’échecs et 5 de boxe

président de la Fédération française des échecs. Ce dernier tente de faire connaître ce sport, surtout auprès des plus jeunes. Pour cela, il a remplacé la boxe anglaise par de la boxe française, beaucoup moins violente. Les matchs sont organisés dans des salles de boxe, plus appropriées pour accueillir le matériel nécessaire. Le monde de la boxe est d’ailleurs plus ouvert à cette nouvelle discipline que celui des échecs. Olivier Delabarre prévoit maintenant de

Innova

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Yves Mainguy

TOURISME

Tous les ans, au ­marathon du ­Médo­c, ils sont 8 500 à s’élancer dans les vignobles.

BOIRE DU VIN AU MILIEU D’UNE COURSE D’ENDURANCE, DRÔLE D’IDÉE A PRIORI. C’EST POURTANT CE QUE PROPOSENT LES MARATHONS FESTIFS DU MÉDOC, DU VIGNOBLE D’ALSACE OU DE SAUMUR-CHAMPIGNY. À CÔTÉ DES HÉDONISTES QUI AIMENT LEVER LE COUDE, IL Y A LES VRAIS COMPÉTITEURS.

L

’effort prolongé d’une course de fond égayé par une consommation modérée d’alcool. On pourrait croire que l’idée est née au cours d’une soirée arrosée. Ce n’est pas tout à fait le cas. « Une nuit, j’ai rêvé que des marathoniens dégustaient des grands crus pendant l’épreuve. C’est ainsi que sont nées les ­dégustations au ­milieu de la course de notre marathon », explique Hubert ­Rocher, chirurgien ­orthopédiste à Pessac, en Gironde. Il compte parmi les fondateurs du marathon du Médoc, le deuxième de France après Paris et autoproclamé « marathon le plus long du monde ». On comprend pourquoi. La majeure partie des quelques milliers d’athlètes (déguisés) qui le disputent chaque année font halte tous les 2 kilomètres dans un château ­viticole pour y ­apprécier, avec modération, les nectars du Bordelais. Des dégustations d’huîtres, charcuteries et fromages locaux figurent aussi au programme. Les épicuriens ont six heures trente pour boucler Le Médoc. C’est une fois et demie plus long qu’un chrono moyen de marathonien amateur. « Bien sûr, les premières années, la Fédération française d’athlétisme (FFA) n’a pas

BOIRE OU COURIR, PAS BESOIN DE CHOISIR

voulu nous octroyer 1 centime de subvention », reprend Hubert Rocher, qui ­aujourd’hui encore siège au comité directeur du Médoc. « À leurs yeux, nous ­n’organisions pas une vraie épreuve sportive. Certains évoquaient en ricanant un ­“marathon de la picole” aux accents carnavalesques. » Aujourd’hui, Le Médoc ne manque pas de partenaires institutionnels, à l’instar du conseil régional d’Aquitaine et du conseil départemental de ­Gironde. Mais il n’est toujours pas labellisé FFA en raison d’un métrage fantaisiste : son tracé ne compte pas exactement les 42,195 ­kilomètres requis par le règlement international du marathon. Il a toutefois fait des émules comme Les foulées du ­saumur-champigny (35 kilomètres) ou le ­semi-marathon du vignoble d’Alsace. UNE SÉCURITÉ IRRÉPROCHABLE

Désireux de couper court aux critiques, les organisateurs ont mis les bouchées doubles sur la prévention et la sécurité des coureurs. Les ravitaillements en eau sont plus nombreux que sur un marathon classique : 22, avec désaltération et essuyage de sueur de rigueur. À partir du trentième ­kilomètre, 60 kinésithérapeutes se tiennent à la disposition des concurrents dans des « tentes de massage ». Des médecins à moto ­accompagnent également le peloton durant toute la course. « Le Médoc est l’un des marathons les plus médicalisés au monde », résume Vincent Fabre, vigneron et président du comité directeur. Innova

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Chaque année, 800 participants du Médoc (sur 8 500) sont exclus de la manifestation dès le dixième kilomètre pour cause d’ébriété. « L’alcool déshydrate et freine la bonne absorption par l’organisme des ­nutriments nécessaires à l’effort », rappelle Grégory Tieyre, diététicien du sport ­auprès du club d’athlétisme de Balma (Haute-Garonne). Sur le Médoc, comme sur les épreuves du même type apparues depuis trente ans, les coureurs se répartissent en deux catégories. Ceux qui viennent pour le chrono : « J’essaie de ne pas boire de vin sur le parcours car sinon cela me coupe les jambes. J’ambitionne ­en effet de­puis quelques éditions de terminer sous les deux heures », explique Bernard Fetter. Et les autres : « Je profite de l’ambiance et du paysage. Je fais une pause dégustation tous les 5 kilomètres. Au bout de la troisième, j’ai du mal à repartir. Toutefois, je m’impose de finir la course », affirme Corinne De Souza. Thierry Guibault, éducateur sportif dans l’armée de l’air, est un ­ascète du marathon festif. Il vient de décrocher le titre de champion de France 2016 de cross vétéran. Également quintuple vainqueur du Médoc, il ne ­déguste qu’une fois la ligne d’arrivée franchie et se déclare « heureux de remporter tous les ans son poids en bouteilles de grands crus ». À l’en croire, seuls 3 % des concurrents du Médoc se préparent sérieusement en vue de réaliser une performance. VINCENT FAURE


Photos : Jean-Eric Zabrodsky

HISTOIRE

Joueur, entraîneur puis manager, Pascal Foussard (ici en 1991) est une figure majeure du TVB.

En 1993, la salle Grenon du palais des sports de Tours pouvait encore accueillir 5 000 spectateurs, comme lors de ce match contre Martigues.

TVB, LES CLÉS D’UN SUCCÈS

UN TEMPS DANS L’OMBRE DU BASKET ET DU FOOTBALL, LE TOURS VOLLEY-BALL (TVB) S’EST CONSTRUIT L’UN DES PLUS BEAUX PALMARÈS FRANÇAIS. UNE RÉUSSITE CULTIVÉE PATIEMMENT DEPUIS LA FIN DES ANNÉES SOIXANTE SOUS L’IMPULSION DE QUELQUES VISIONNAIRES. verse d’abord une période de transition où « l’équipe faisait le yoyo dans les divisions inférieures », se souvient ­Gérard Mathieu, qui a suivi le volley pendant quatre décennies pour La Nouvelle République. Puis il amorce sa professionnalisation sous un nouveau blason, celui du Tours VolleyBall. Le « Tévébé » naît à l’été 1986, sur les bases du TEC. « La discipline est devenue une nouvelle vitrine de ­l’activité sportive de la ville », souligne Louis ­Monière. D’autant qu’au même moment, les étendards qu’étaient jusqu’ici le basket et le hockey, tous deux sacrés champions de France en 1980, connaissent un passage à vide. Le club profite de cette visibilité nouvelle pour se construire un important réseau de partenaires privés. Dès 1988, JeanClaude Lacroix, responsable d’une agence de ­communication de la place de Tours, s’allie avec Louis Monière afin d’attirer des patrons locaux prêts à mettre la main à la poche. « Il y avait beaucoup de déçus après la chute des clubs phares de la ville. Le public tourangeau est assez bourgeois. Le À 91 ans, Louis Monière est la mémoire vivante du club tourangeau. Il y est présent depuis 1940.

Pierre Derrien/EPJT

L

es tempes ont blanchi mais les souvenirs sont tous là. Intacts. À 91 ans, Louis Monière est la mémoire vivante du volley-ball tourangeau. Il a connu les débuts, l’époque du TEC, le Tours étudiants club, créé en 1940. « À l’origine, c’était une association omnisports qui ­recrutait beaucoup parmi les élèves du lycée Descartes. Mon fils y était scolarisé. C’est comme ça que je m’y suis intéressé. J’accompagnais l’équipe le dimanche. » Nous sommes alors au milieu des années soixante, les jeunes enchaînent les victoires et gravissent les échelons. Louis Monière aussi. En 1966, il devient président du TEC. Dix ans plus tard, l’équipe ­rejoint la Nationale 1, l’élite du volley-ball français. Un premier fait d’armes qui permet à la section volley et à sa centaine de licenciés, à l’étroit dans la structure ­omnisports, de s’émanciper. Avec l’accord du maire de l’époque, Jean Royer, le président obtient le droit de déménager dans le gymnase du Palais des sports. Le coup de pouce est salvateur. Dans son nouvel écrin, le club tra-

Innova

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volley est un sport d’intérieur plus policé, donc susceptible de lui plaire », estime l’entrepreneur. Pour fortifier ce collectif d’une dizaine de partenaires, Jean-Claude Lacroix fonde en 1993 le TVB Entreprises (TVBE), une structure inédite qui propose plus que du simple sponsoring à ses clients. « Ils se rencontrent aussi en dehors des matchs, au cours de soirées privées organisées chaque mois. En réalité, on y parle beaucoup plus business que volley », détaille Nathalie ­Hénault, gestionnaire du TVBE depuis sept ans. Aujourd’hui, le ­réseau rassemble 146 entreprises et représente 43 % du budget du club, le plus gros du championnat français (2,6 millions d’euros). AU PALMARES, 19 TITRES EN TREIZE ANS

Avec la création du TVBE, les résultats sont immédiats sur le terrain. À l’issue de la saison 1994, alors que Louis Monière vient de passer la main, le club retrouve l’élite. Pour ne plus la quitter. Glanant pas moins de 19 titres, dont une Ligue des champions en 2005, et fédérant de nombreux supporters. Aujourd’hui encore, 3 000 spectateurs remplissent la quasi totalité du Palais des sports à chaque match. « Rien n’était donné. Le TVB a progressé à la force du poignet, avec une certaine ­sagesse, de la patience et une gestion ­intelligente », remarque Gérard Mathieu. « À l’origine, la Touraine n’était pas une terre de volley, on avait peu de subventions. Nous avons construit un véritable club-­entreprise, avec un grand public », résume Pascal Foussard, un autre pilier du club. Pour celui qui est arrivé comme joueur en 1982 avant de passer entraîneur et désormais manager, pas besoin de chercher très loin les raisons du succès : « Le TVB, c’est une histoire d’hommes. » PIERRE DERRIEN, TONY FABRI ET RONAN PLANCHON


FORMATION

Après l’entraînement place à l’analyse vidéo du match du week-end.

Tous les jeudis matin, à Bègles, les avants répètent leurs gammes

L’UBB PROFESSIONNALISE SES JEUNES RUGBYMEN

Confrontation en mêlée.

L’UNION BORDEAUX-BÈGLES SAIT PRENDRE SOIN DES ESPOIRS DE SON CENTRE DE FORMATION. CETTE DERNIÈRE ÉTAPE EST DÉTERMINANTE EN VUE D’ACCÉDER AU MONDE DU RUGBY PROFESSIONNEL.

T

oute la bande des avants court sous une pluie battante. Soudain, l’un d’eux, casque noir et blanc sur la tête, est soulevé par ses coéquipiers et réceptionne le ballon ovale qui traverse le ciel. Dans le frénésie de la mélée qui s’ensuit, les crampons labourent l’herbe. Bienvenue au stade André-Moga où s’entraînent les ­espoirs de l’Union Bordeaux-Bègles (UBB). Âgés de 18 à 23 ans, ils ont intégré le centre de formation pour devenir des rugbymen professionnels. En France, les trente clubs du Top 14 et de la Pro D2 disposent de ce genre de structures. Les futurs pros y suivent au minimum deux entraînements par semaine en parallèle de leurs études. Une formation qui est censée façonner la future élite française. Mais après la punition infligée aux Bleus par la NouvelleZélande (62-13) lors de la Coupe du monde de 2015 en Angleterre, des lacunes ont été pointées du doigt. Nombreux sont ceux qui ont critiqué le manque de préparation technique et physique des Français. « C’est un problème qui doit être résolu dès le plus jeune âge et à tous les niveaux. Rejeter la faute sur les clubs n’est pas une solution », estime David Ortiz, entraîneur du centre de formation du club girondin. Didier ­Retière, directeur technique national de la

Fédération française de rugby, est plus incisif : « Le niveau du Championnat espoirs est trop faible pour des jeunes prétendant au niveau pro. » Quand ils accèdent au ­niveau supérieur, les jeunes joueurs ne disposent pas de suffisamment de temps de jeu. Une des solutions pour le DTN serait de créer « un palier entre les pros et les jeunes ». Les joueurs seraient confrontés à une compétition adaptée à leur niveau. L’OBLIGATION D’UN DOUBLE PROJET

Le championnat espoirs souffre également d’une faible médiatisation. Les joueurs ont rarement l’occasion de montrer leur potentiel. Jouer contre les pros et être intégré aux ateliers (touche, mêlée) ou au travail d’avant-saison est pourtant déterminant pour prétendre s’entraîner en continu avec l’équipe première. Cyril Cazeaux, 21 ans, deuxième ligne chez les espoirs, considère que pratiquer le rugby avec les professionnels est bénéfique à sa progression : « Avec les pros, nous avons une obligation de constance, d’application, de sérieux. En espoirs, nous pouvons nous relâcher un peu. » Depuis le début de saison, il s’entraîne avec les pros sans certitude de pouvoir jouer avec eux le week-end. S’il n’est pas sur la feuille de match, il bascule avec Innova

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les espoirs. Frustrant pour un jeune rugbyman qui souhaite jouer le plus possible. D’autant que fouler la pelouse des terrains de Top 14 est un moyen de tester ses capacités physiques. Au-delà de ces considérations, les centres de formation doivent suivre l’évolution du sport lui-même. Les gabarits sont de plus en plus imposants. Toutes les actions vont deux fois plus vite, les chocs sont durs et violents. Les joueurs se protègent. Les cuisses et les genoux sont bandés pour prévenir les blessures. Certains portent leur casque même à l’entraînement. La prévention des risques devient fondamentale lors de la formation. Didier Fontes, chirurgien du sport et consultant auprès des équipes du Top 14 et des équipes de France, le confirme : « La prévention est surtout axée sur la préparation musculaire et les IRM systématiques pour les premières lignes. Un protocole commotion a aussi été créé pour prévenir des séquelles. »* Toutefois, le physique ne suit pas toujours. Sur un effectif d’une trentaine d’apprentisjoueurs, seuls trois ou quatre par an accèdent au niveau professionnel à l’UBB. Les autres ont deux possibilités. Basculer en première division amateur (Fédérale 1) ou se reconvertir. Tous ont été préparés à cette


FORMATION

Porté par ses coéquipiers dans l’alignement en touche, le jeune rugbyman Cyril Cazeaux espère toucher le Graal d’une première titularisation chez les pros.

CYRIL CAZEAUX VISE HAUT Il effectue ses premiers pas à l’US Dax. Dès ses 19 ans, il intègre l’équipe première. Son profil athlétique de deuxième ligne impressionne (1,98 mètre pour 117 kilos). Grâce à cette expérience en Pro D2, le centre de formation de l’UBB le recrute. Depuis le début de la saison, Cyril Cazeaux s’entraîne à temps plein avec les professionnels. S’il se dit attiré par le jeu produit, il n’a cependant pas encore disputé de matchs entiers avec eux. « Je préférerais signer pro le plus vite possible », confie ce timide jeune homme de 21 ans. Plus que deux années pour faire ses preuves et se tester physiquement. Il a à cœur de « tenir le plus longtemps possible en Top 14 ». La tête sur les épaules, il a conscience des difficultés du haut niveau. Il affirme même : « Je suis disposé à retourner en Pro D2 voire à me faire prêter à d’autres clubs. »

dernière éventualité dès leur arrivée au centre de formation. Marine Fierfol, responsable administrative et pédagogique, gère leur orientation et leur emploi du temps. Elle intervient entre les cours, les entraînements et le suivi médical. « Partout sauf sur le terrain », résume-t-elle. Les profils sont variés. Les étrangers « sont là uniquement pour jouer au rugby ». Ils peuvent suivre des cours de français pour s’intégrer mais rien ne les y oblige dans leur contrat. Pour les jeunes incorporés à l’effectif pro, la poursuite des études est aménagée. Cyril Cazeaux, par exemple, prépare un diplôme de compétence en langue (anglais) trois heures par semaine. Il est obligatoire de suivre des études pour décrocher un contrat espoirs. De nouvelles voies sont ­ouvertes en fonction du projet du joueur, « de la maçonnerie à l’école d’ingénieur ». Cependant les jeunes restent souvent focalisés sur leur sport. Dans une salle d’étude attenante au centre, Marine Fierfol suit, d’un œil bienveillant, l’un de ceux qui préfèrent le rugby au baccalauréat. Ils n’ont pas toujours conscience de l’importance des études. Elle, pour sa part, y est très attachée : « Mon boulot, c’est essayer de leur faire comprendre cela. C’est un combat quotidien. Sinon je crie », plaisante-t-elle. C’est aussi le travail de l’agence XV et de son directeur Christophe Gaubert. « En

France, seuls 35 % des jeunes signent un contrat pro à la sortie de centre de formation », précise-t-il. Le module « gestion de carrière » les aide à trouver un club capable de leur donner vraiment l’opportunité de jouer. Pour tous les encadrants, c’est une évidence : les espoirs doivent prévoir des plans B s’ils ne parviennent pas à devenir des professionnels. Cette prévoyance se révèle d’autant plus nécessaire que leur fenêtre de jeu en Top 14 s’est réduite face aux stars internationales. Innova

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Les clubs trouvent un intérêt certain à recruter des rugbymen étrangers aguerris. Mais pour les joueurs français, c’est un obstacle de plus.

ALEXIA CHARTRAL ET PAULINE LAFORGUE (TEXTE ET PHOTOS)

(*) Le protocole s’applique pour les pros, après un K-O ou en cas de suspicion de perte de connaissance. Dans un délai imparti de dix minutes, le médecin teste l’équilibre du joueur et la mémoire par une batterie de questions pour confirmer ou infirmer la commotion. Si elle est établie, le joueur sort du terrain et doit en rester éloigné trois semaines.


FORMATION

À VOS CLICS, PRÊTS, PARTEZ !

C’EST UNE PREMIÈRE EN FRANCE. À BOUGUENAIS, DANS LA BANLIEUE NANTAISE, L’ESPORT ACADEMY A OUVERT SES PORTES EN JANVIER DERNIER. CETTE ÉCOLE D’UN NOUVEAU GENRE FORME UNE VINGTAINE D’ÉLÈVES AUX COMPÉTITIONS DE JEUX.

nir comme les autres ». Entre esprit d’équipe, entraînements intensifs et compétitions, la pratique de l’e-sport n’est effectivement plus un simple loisir. Certains en font même leur métier. SIX VEULENT DEVENIR JOUEURS PRO

C’est le rêve d’Axel. Il veut devenir e-sportif professionnel. Il a donc rejoint l’école en janvier. Au programme pour les vingt ­recrues, trente heures de jeu par semaine. Les élèves ont entre 18 et 26 ans. Seuls six d’entre eux aspirent à devenir joueurs professionnels. L’eSport Academy forme à l’ensemble des métiers liés à l’e-sport, d’organisateur d’événements à streamer-caster, c’est-à-dire commentateur de parties sur Internet. Vincent (ou Popiiiiii), 26 ans, souhaite par exemple se spécialiser dans le management et le coaching d’équipes : « L’école pour moi est un gage de crédibilité. Elle a déjà fortement gagné en notoriété. » Cofondateur de l’école, Cédric Rivière, 37 ans, est un ancien organisateur de ­compétitions d’e-sport. Régulièrement, des jeunes passionnés venaient à sa rencontre, curieux de savoir comment en faire leur métier. Il a alors décidé, avec son ami ­Fabien Goupilleau, 27 ans, de créer une école spécialisée pour former les joueurs de demain. « Beaucoup de gens avaient l’idée en tête mais personne n’avait osé aller plus loin », explique Fabien Goupilleau. Les deux fondateurs assurent eux-mêmes la majorité des cours théoriques. Pour l’instant, ils ne perçoivent aucun salaire. La ­partie pratique est confiée à des professionnels de l’e-sport. Le calendrier scolaire est calqué sur les compétitions e-sportives auxquelles les élèves participent au moins une fois par mois. Une année d’étude coûte 5 000 euros. En contrepartie, les étudiants sont nourris, logés et blanchis. Les e-sportifs vivent en communauté. Ils partagent des dortoirs, Innova

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Photos : Thibault Chauvet/EPJT

U

n hangar presque vide. Des pots de peinture éparpillés. De la poussière ­répandue au sol. Des fils électriques à nu. À première vue, difficile de croire que nous sommes dans les locaux d’une école. Dans la pièce principale, des ordinateurs haut de gamme – ils appartiennent aux étudiants –sont alignés. « Clic, clic, clic », les bruits de souris résonnent. Une dizaine de jeunes joueurs se disputent une partie de « LoL ». Entendez League Of Legends, un jeu vidéo d’heroic fantasy dans lequel deux équipes de cinq s’affrontent. Difficile de croire qu’ils sont en cours et qu’ils sont même en cours de sport. Parce que oui, le jeu vidéo est un sport. « Même si l’effort est plus mental que physique, comme aux échecs, les jeux ­vidéo représentent une discipline sportive à part ­entière », confirme Axel , 22 ans, élève au sein de l’eSport Academy. ÉluDeMon­Cœur, son pseudo, arbore un magnifique pull aux couleurs de Mario, le célèbre plombier de Nintendo. Les yeux rivés à l’écran, il poursuit : « Le cerveau est un muscle à entrete-

Pour ces étudiants d’un nouveau genre, le e-sport est une discipline sportive à part entière.

font leurs courses et cuisinent ensemble. Restreindre les promotions à 20 élèves ­favorise l’accompagnement de leur projet professionnel. Car Fabien Goupilleau ­l’affirme, il est difficile d’intégrer le marché du travail. « Les bénévoles sont nombreux du côté de l’organisation. Côté joueurs, seuls 20 % sont des pros. C’est avant tout un milieu de passionnés. » DES DÉBOUCHÉS INCERTAINS

Pour cette première promotion, l’école a reçu une centaine de candidatures. Les postulants ont été soumis à un test psychologique pour déceler les conduites addictives. En janvier 2017, l’eSport Academy sera officiellement considérée comme un centre de formation. À terme, l’objectif de la ­direction est de délivrer un diplôme ­validant deux années d’études du supérieur. Il faudra attendre trois cycles, c’est-à-dire janvier 2019, pour que l’État reconnaisse la formation et l’attribution d’un certificat équivalent à un diplôme universitaire de technologie ou à un brevet de technicien supérieur. Si l’école obtient ce statut, les critères de sélection devront être modifiés. Dans cette première promotion, certains


Illustration : Anna Lefour

FORMATION

!

élèves n’ont pas obtenu le baccalauréat, ce qui rend impossible la poursuite d’études dans le supérieur. Paul, l’un des meilleurs joueurs de la promotion, ne possède qu’un CAP en pâtisserie. À la rentrée prochaine, les frais de scolarité vont augmenter. Fabien Goupilleau souhaite les faire passer à 6 000 euros afin de pouvoir notamment se verser un salaire. Il envisage aussi d’agrandir les locaux pour recevoir plus d’élèves et de répondre à la demande croissante due à la médiatisation de l’établissement. Mais la priorité reste avant tout d’assurer l’insertion professionnelle de ses élèves. Il est encore trop tôt pour savoir s’il y aura des débouchés. Martin Berthelot (ou Krok), est commentateur de « LoL » sur le site internet O’gaming TV. Pour lui, l’apparition de cette école est la suite logique du mouvement e-sport. « La communauté des ­gamers utilise encore beaucoup la cooptation. L’école peut donc jouer le rôle d’entremetteur grâce aux stages et aux partenariats avec les structures eSportives », analyse-t-il. De quoi éviter le game over ? NICOLAS BARANOWSKI, THIBAULT CHAUVET

ET ALEXIS PAUMARD

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PARLEZ-VOUS LE GAMER ? MOBA : acronyme pour multiplayer online battle arena (arène

de bataille en ligne multijoueurs). Deux équipes se font face. Le but est de détruire la base adverse. En 2015, la finale de la coupe du monde de league of legends a été regardée en moyenne par 14 millions de personnes.

TILT: terme emprunté au monde du poker. Quelqu’un qui tilte perd ses moyens, laisse ses émotions affecter son jeu.

DPS : abréviation de Damage per second, ou dégâts par seconde. Les performances des personnages en combat sont mesurées en fonction du nombre de points de vie qu’ils font perdre à leur ­adversaire en moyenne sur une seconde.

GG : abréviation de « good game », bonne partie. Pour féliciter ses

coéquipiers et/ou ses adversaires à la fin d’un match. Parfois associé à WP pour « well played », bien joué enfrançais.

ELO : système de classement des joueurs dans de nombreux jeux. Créé par le physicien hongrois Arpad Elo, il est utilisé par la Fédération internationale des échecs. Innova

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VERBATIM

LES COMPÉTITIONS SPORTIVES SONT FAITES DE VICTOIRES, D’EXPLOITS, DE DÉPASSEMENT DE SOI, DE MOMENTS GRISANTS. MAIS AUSSI DE DÉFAITES, DE DÉSAGRÉMENTS, DE MÉSAVENTURES. POUR LES DIGÉRER, IL FAUT SOUVENT DU TEMPS. ET AVEC LE RECUL, LES ATHLÈTES ARRIVENT MÊME À EN RIRE. VOICI UNE PETITE SÉLÉCTION DE LEURS « MEILLEURS PIRES MOMENTS » EN COMPÉTITION.

L’IMPORTANT, C’EST D’EN RIRE

Jacques Demarthon / AFP

vient me voir et me dit : « Puisqu’on perd 2-1, tu es ma dernière chance pour que je puisse rester capitaine. » Sur le coup, je l’ai trouvé assez gonflé de me dire ça car je n’étais pas très rassurée. En effet, je ne m’attendais vraiment pas à devoir assumer une telle responsabilité… J’étais tellement stressée que j’ai demandé au médecin de me donner quelque chose. Il m’a préparé une bouteille d’eau avec de la vitamine C et du guronsan. J’ai gagné le match mais derrière, j’ai mis des heures à me calmer à cause de cette potion. Je me souviens qu’aux changements de côté, j’avais du mal à m’asseoir tellement j’étais surecxcitée. J’en rigole aujourd’hui mais à l’époque…

»

RECUEILLI PAR PIERRE LÉZIART

SARAH PITKOWSKI

40 ANS, ANCIENNE JOUEUSE DE TENNIS, CONSULTANTE POUR RMC

DR

Jacques demarthon/AFP

L’histoire remonte à 1998. Nous étions en quarts de finale de Fed Cup (équivalent de la Coupe Davis pour les femmes, NDLR) contre la Belgique. Je devais jouer le ­dernier simple, avant un éventuel double décisif. J’étais dans le vestiaire et je ne regardais pas le match de l’autre joueuse française, Sandrine Testud, pour ne pas me concentrer. À la fin du match, j’apprends qu’elle a perdu et qu’on se ­retrouve menées 2-1. Je vois alors notre capitaine, Yannick Noah, se mettre à faire du yoga alors que j’étais en train de m’échauffer. J’ai trouvé ça très décalé parce qu’il régnait une certaine tension dans les vestiaires. Et lui, pour se détendre, il faisait du yoga… Moi, je faisais de la corde à sauter. À un moment, d’une manière très calme, il

J’AVAIS DU MAL À M’ASSEOIR TELLEMENT J’ÉTAIS SUREXCITÉE » Innova

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VERBATIM

KÉVIN LE ROUX

26 ANS, VOLLEYEUR INTERNATIONAL

Johan Macdougall/AFP

« J’avais 19 ans et j’étais en équipe de France Juniors de volley-ball. Nous étions en route vers l’Italie pour des matchs amicaux. Sur la route, le bus s’arrête sur une aire d’autoroute pour faire une pause. On traîne un peu, normal. Mais au moment de repartir, je vois au loin que les portes du bus se referment. Il était parti sans moi. Pas la peine de courir après, c’était trop tard. Je suis resté seul pendant une heure sur cette aire d’autoroute sans pouvoir expliquer ce qui se passait, sans argent et sans portable pour joindre mes coéquipiers. Les autres se sont aperçus de mon absence une fois arrivés à l’hôtel. Depuis cette histoire, j’évite d’aller trop loin ou d’être le dernier à monter dans le bus lorsque l’on fait une pause. » RECUEILLI PAR ALICE GENDREAU

JE ME SUIS PRIS UNE PETITE SOUFFLANTE »

Maria Giulia Tolotti

SANS ARGENT NI PORTABLE POUR JOINDRE MES COÉQUIPIERS »

NICOLAS LE GOFF

24 ANS, VOLLEYEUR INTERNATIONAL « À l’été 2009, quand j’étais en équipe de France Jeunes, on jouait un tournoi en ­Finlande, le Festival olympique de la jeunesse européenne. Nous devions apporter nos maillots pour jouer. Au moment de faire mon sac, je demande à un coéquipier quel maillot il faut prendre et il me dit le bleu. Donc je prends celui-là. On arrive au match, on se prépare et, là, je vois tous mes coéquipiers qui enfilent un maillot blanc. On devait jouer de cette couleur. En plus, la salle était à une heure de l’hôtel, donc impossible d’aller chercher le bon maillot et de revenir à temps pour le match. Sur le coup, ça ne m’a pas du tout fait rire parce que je me suis pris une petite soufflante par le coach. C’était un match important. Je n’ai pas pu jouer et je suis resté en tribune avec mon survêtement. Maintenant, avec du recul, je trouve ça plutôt marrant. C’était une mauvaise blague de mon coéquipier. »

Emmanuel Dunand/AFP

RECUEILLI PAR ALICE GENDREAU

« Durant la saison 2008-2009, je jouais à ­Dijon. Nous disputions le derby de Bourgogne contre l’équipe de Chalon-sur-Saône. Un de mes coéquipiers vient de provoquer une faute et l’arbitre siffle pour arrêter le jeu. Tout le monde a entendu le sifflet, sauf moi. Je m’élance donc fièrement jusqu’au panier. Je vais au dunk, convaincu de ­marquer. Mais je le rate et je retombe violemment sur mes poignets. Tout le monde

CHARLES KAHUDI

me regarde sans comprendre. Et pour ­compléter cet énorme ­moment de solitude, je me suis blessé en retombant. Pour couronner le tout, on a perdu le match. La honte a continué à me poursuivre pendant tout le temps où j’ai porté mes bandages. Mes coéquipiers n’ont pas arrêté de me chambrer en m’appelant “Moignon” ». RECUEILLI PAR ANNE-LAURE DE CHALUP

Innova

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29 ANS, BASKETTEUR INTERNATIONAL

MES COÉQUIPIERS M’APPELAIENT MOIGNON »


VERBATIM

JE N’ARRIVE PAS À ME CONCENTRER A CAUSE DE MA PEUR DE CETTE BOMBE, FINALEMENT IMAGINAIRE »

ARAVANE REZAI

29 ANS, JOUEUSE DE TENNIS

« Pendant un tournoi à Deauville en 2007, je dormais à l’hôtel du complexe du club. Le matin de la finale, le juge arbitre vient frapper à la porte de ma chambre. Il m’annonce que le match qui devait se jouer à 14 h 30 est reporté à cause d’une alerte à la bombe. Vers 18 heures, le juge arbitre veut annuler la rencontre, partager les points et la prime de victoire. Mon adversaire, la Belge Kirsten Flipkens, et moi, refusons. Les personnes dans le stade sont alors évacuées et nous jouons le match à huis-clos. Je n’arrive pas à me concentrer à cause de ma peur de cette bombe, finalement imaginaire. Mais je gagne quand même 6-4 6-3. Après le match, je vois sur la vitrine du club le portrait d’un vieil homme qui a disparu. Je suis la dernière à l’avoir vu, car il avait assisté à ma demi-finale. Sous le choc, je pars avec mon entraîneur au restaurant. Peu après m’être installée, une personne à ma droite fait une crise cardiaque et décède malgré l’intervention des pompiers. Et pour couronner le tout, il y a eu un meurtre sur la plage de Deauville le même soir. Tout ça en quelques heures ! Ça reste un souvenir très spécial. C’est difficile d’en rire mais d’habitude, il ne se passe jamais rien à Deauville… Je n’y suis pas retournée depuis. »

AURÉLIEN ROUGERIE 35 ANS, RUGBYMAN

ANCIEN INTERNATIONAL

C’ÉTAIT D’UN RIDICULE »

ASM Clermont-Auvergne

DR

RECUEILLI PAR PIERRE LÉZIART

« Lors de la Coupe du monde 2003, nous affrontons les Fidji. Sur le moment, je pense que c’est une bonne idée de jouer au pied, même si ce n’est pas mon fort, et j’adresse une superbe transversale de l’autre côté du terrain, qui arrive malheureusement directement dans les bras de Caucaunibuca, l’ailier fidjien. Il récupère, traverse le terrain et marque un essai. Sur le coup, ça ne m’a pas vraiment fait rire, ni personne dans l’équipe d’ailleurs. Heureusement nous avons gagné ce jour-là 61-18. Quelques jours après, en regardant la vidéo, nous avons bien rigolé. » RECUEILLI PAR ANNA LEFOUR

HERVÉ PONCHARAL,

59 ANS, TEAM MANAGER DE L’ÉQUIPE TECH 3, MOTO

« Je me souviens, en 1986, on participait au Championnat du monde d’endurance. ­Dominique Sarron, un des trois pilotes de l’équipe, devait prendre le départ des 24 Heures du Mans. Il neigeotait. Dominique tombe dans le tour de chauffe et se luxe l’épaule. Quand votre équipe est la grande favorite de la course et que vous voyez votre coéquipier se casser la figure devant toutes les caméras, les télés…, vous voyez votre monde s’effondrer. C’était d’un ridicule ! Sans oublier les grands patrons de Honda qui étaient venus spécialement du Japon pour nous voir… On a finalement terminé deuxième. Aujourd’hui, on en ­reparle et on en rigole énormément. »

DR

RECUEILLI PAR PIERRE LÉZIART

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SHOPPING

LA MONTRE HAUT DE GAMME

La montre connectée est ultratendance. Fitbit propose une gamme de modèles entre 60 et 250 euros. La mieux équipée est la Fitbit Surge, destinée aux sportifs réguliers. Avec son capteur cardio, elle suit les rythmes du sommeil et présente un design épuré. Thibaut Vantbustele, étudiant, pratique la course à pied : « Le rythme cardiaque me permet de me dire si je suis à bout physiquement ou juste mentalement. Ça me motive pour faire du sport et m’améliorer. » Fitbit Surge, 249,95 euros.

Balios permet d’analyser les entraînements, les capacités et la santé du cheval. La balise résiste aux chocs, à l’eau et s’accroche sous la selle. Les informations sont transmises directement sur le Smartphone. Equisense sera en vente dès l’été prochain mais Caile Gordon, cavalier amateur, utilise le prototype depuis plusieurs mois : « Balios permet de tout savoir sur l’écran de son téléphone. C’est un produit révolutionnaire pour les propriétaires de chevaux. » Equisense sensor Balios 299 euros.

Photos : DR

I

L’ALLIÉ DES CAVALIERS

ls comptent nos pas, calculent notre fréquence cardiaque et vont même jusqu’à analyser notre pose du pied au sol. Les objets connectés se sont emparés du domaine sportif aussi vite qu’Usain Bolt court le 100 mètres. L’Institut d’études GfK estime qu’en 2014, il s’est vendu en France 250 000 montres dédiées au sport et 200 000 traqueurs d’activité. Si la course à pied et le fitness restent les deux secteurs les plus adaptés à l’utilisation d’un équipement sportif connecté, d’autres disciplines, comme la natation ou l’équitation, se laissent peu à peu séduire. Ces objets reliés au Smartphone peuvent-ils se substituer à un coach sportif ? Benoît Dumas, athlète et préparateur physique, nuance : « Ils ne peuvent pas remplacer l’œil du coach qui regarde, qui corrige, qui conseille. Mais ce sont de très bons outils complémentaires qui permettent aux sportifs amateurs de s’entraîner et de se donner des objectifs. » Des études ont révélé que seules 10 % des fonctionnalités des montres connectées étaient connues des utilisateurs. Pour les mordus de high-tech ou pour ceux qui veulent s’y mettre, voici une sélection 100 % sportive d’objets connectés.

OBJETS CONNECTÉS, VOS NOUVEAUX COACHS

LE SOUTIEN-GORGE DU FUTUR Après les tee-shirts connectés, la marque OMsignal lance sa gamme de soutiens-gorge high-tech. La fibre du vêtement est dotée de capteurs qui mesurent la fréquence cardiaque mais aussi le rythme respiratoire avec une grande précision. Caroline Calvé, championne de snowboard, est séduite : « En tant qu’athlète de haut niveau, j’ai toujours voulu connaître mes données pulmonaires. Et puis le OMsignal Bra est élégant et confortable. » Le grand public pourra le découvrir dès l’été 2016. OMsignal Bra, 136 euros.

PAGE RÉALISÉE PAR ANNE-

LAURE DE CHALUP, MARIE PRIVÉ ET OPHÉLIE SURCOUF

LES CHAUSSETTES INTELLIGENTES

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Plus insolites, les chaussettes connectées offrent de nouvelles possibilités aux coureurs. Connaître les zones d’appui de ses pieds peut en effet s’avérer utile pour prévenir des douleurs. Les données sont transmises en temps réel au sportif. Coach portable (et lavable en machine), ces chaussettes connectées « jouent un rythme de métronome qui aide à maintenir la cadence », d’après Jill Duffy qui les a testées pour PCmag.com. Également disponible, la version “non connectée” qui coûte tout de même 49 euros. Chaussettes connectées Sensoria Fitness, 181 euros.


PRATIQUE

CES SPORTIFS QUI S’INVITENT DANS VOTRE CANAPÉ

Méthode de communication en vogue, le personal branding séduit de plus en plus de sportifs. Plus question d’utiliser uniquement leur image pour un sponsor. Maintenant, ils font eux-mêmes leur promotion. Quoi de mieux que de se vendre auprès des fans pour gagner en notoriété ? Sur les réseaux sociaux, chacun son truc. De la blague du jour au selfie torse-nu dans la salle de bain en passant par le repas hyper équilibré (#unespritsaindansuncorpsain), les sportifs invitent La suite leurs fans à les suivre toute la journée. Sur ­Twitter, certains se rendent même accessibles pour communiquer directesur blog. epjt.fr ment avec leurs supporters. Voici une liste non exhaustive de tweets de nos nouveaux amis.

Pierre Bouby, 32 ans, footballeur français, 14 707 abonnés, 21 519 tweets - Depuis 2011.

Alizé Cornet, 26 ans, tenniswoman française, 76 558 abonnés - 3 027 tweets - Depuis 2009.

Laure Boulleau, 29 ans, footballeuse française, 196 324 abonnés (sportive française la plus suivie) - 1 574 tweets - Depuis 2012. Kilian Jornet, 28 ans, aventurier espagnol, 213 006 abonnés – ­­­8 957 tweets - Depuis 2009.

+

LES BONNES ADRESSES

s Prochaine édition du marathon du Médoc : samedi 10 septembre 2016. thème : Contes et légendes.

s Sur l’île de Ré, tous les ans au mois d’août, un sel-athlon a lieu dans les marais salants. Une course originale pendant laquelle les participants portent des ­pochons de gros sel.

s Gérald Lerandy alias Barber Gé est le coiffeur-sculpteur préféré des

footballeurs, basketteurs et handballeurs. Il vous attend avec sa paire de ciseaux à quelques mètres du Stade de France. 380, avenue Président-Wilson 93200 Saint-Denis.

s À Tours, depuis plusieurs années maintenant, Radio Béton déplace son studio

dans différents bars de la ville pour animer des soirées. Le sport est souvent à l’honneur avec des parties de fléchettes ou de baby-foot.

Retrouvez les dates de ces apéros sur radiobeton.com ou écoutez la radio sur la fréquence 93.6. FM

s La Recyclerie sportive de Massy (92) vise à réutiliser des équipements sportifs

pour lutter contre le gaspillage. Depuis juin 2015, elle vend du matériel sportif de seconde main, anime des ateliers de réparation et vend aussi des objets transformés à partir de déchets sportifs. 32, rue Henri-Gilbert et 42, place de France, 91300 Massy ou recyclerie-sportive.org (site en construction)

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LE DRONE-BOARDING ÇA VOUS TENTE ?

Quand un drone rencontre un snowboard, ça donne le drone-boarding. La première expérience filmée date de janvier 2016. Un enfant en Russie glisse doucement sur la neige sur son snowboard, tracté par un petit engin volant. L’entreprise ­Aerones, qui développe des véhicules aériens sans pilote, a testé un prototype. Elle a aussi publié une vidéo dans laquelle un snowboarder fend la poudreuse à grande vitesse à l’aide d’un drone plus puissant et plus imposant celui-là.


PRATIQUE

FILMS

Le film raconte l’histoire vraie du neurologue Bennet Omalu. Ce dernier enquête sur des cas d’encéphalopathie traumatique chronique chez des joueurs de la Ligue Nationale de football américain. Cette affection cérébrale est liée à la pratique du sport par des joueurs professionnels. Son combat pour divulguer ce qu’il a découvert se révèle périlleux dans un milieu où le sport est une religion et surtout un business juteux.

LIVRES

Le Cœur du Pélican, Cécile Coulon, éditions Viviane Hamy, 2015, 18 euros.

Photos : DR

Dans sa jeunesse, Anthime s’est illustré à la course à pied jusqu’à devenir une référence dans sa région. Durant cette période, il a aussi rencontré Béatrice, une jeune femme qu’il n’a jamais oubliée. Des a ­ nnées plus tard, Anthime vit dans les regrets. Désormais ­bedonnant et marié à Johana, une femme qu’il n’aime pas, il décide de s’engager sur Le chemin de la rédemption en reprenant la course à pied.

En 1976, Vincent Duluc est un adolescent fasciné par les footballeurs de l’AS Saint-Étienne. Aujourd’hui écrivain et journaliste, il revient sur ses souvenirs de jeune supporter : le très attendu match du samedi soir qui faisait oublier les ennuis de la semaine, le célèbre « Qui c’est les plus forts évidemment c’est les Verts » repris en chœur par un stade bouillonnant…Une épopée qui, en plus de dépoussiérer une ville noircie par le charbon, marqua tout une génération.

Depuis tout petit, Eddie Edwards a un rêve : participer aux jeux Olympiques. Sauf que le jeune homme n’a rien d’un athlète. Malgré les moqueries et son lamentable niveau sportif, Eddie s’accroche. En 1988, il parvient, au bout du compte, à participer aux JO d’hiver de Calgary au Canada. Coaché par un entraîneur aussi fêlé que lui, ce sauteur à ski va marquer l’histoire du sport par une performance aussi invraisemblable que mémorable.

D.R.

Seul contre tous de Peter Landesman avec Will Smith et Alec Baldwin. En salles depuis mars. Sortie en DVD en juillet.

Eddie the Eagle de Dexter Fletcher avec Taron Egerton et Hugh Jackman, sortie en salles le 4 mai.

CROWDFUNDING Cette année, nous avons poursuivi l’expérience du financement participatif, le crowdfunding débutée l’an passé. Le but ? Apprendre à valoriser notre travail, à communiquer et à entretenir une relation avec nos futurs lecteurs. Et récolter des fonds pour financer le magazine. Les débuts ont été difficiles. Journalistes en herbe, nous sommes encore peu habitués au personal branding. Mais grâce à vous, nous avons atteint notre objectif. La somme rassemblée nous a permis de financer nos reportages et une partie de l’impression. Le détail sera donné sur le site. Un grand merci d’avoir cru en nous et de nous avoir fait confiance pour cette campagne.

NOS GÉNÉREUX DONATEURS

AURÉLIA BARANOWSKI, CÉLINE BARANOWSKI, CHRISTINE BARANOWSKI, JESSICA BARANOWSKI, R ­ ICHARD BARANOWSKI, SOLENNE BERGER, CÉCILE BONIFACE, DANIEL BOUCHUT, QUENTIN BRIOT, JUSTINE CANTREL, ANNE-LAURE DE CHALUP, AYMERIC DE CHALUP, HUGUES DE CHALUP, CHRISTINE CHAUVET, BERNADETTE CHEVALIER, CHANTAL CHEVALIER, CAMILLE COLIN, FAMILLE COLMANT, ARIANE DEBERNARDI, PIERRE-ÉDOUARD DELDIQUE, FABIENNE DELFAU, MYRIAM DETRUY, DIDIER DROUET, CLAUDINE DUCOL, ÉTIENNE ESCUER, PIERRE FALLOU, JEAN-PIERRE FAURE, BRIGITTE FOURNIERFLANDRE, JEAN-MICHEL GÉNÉREUX, MATHIEU HODEL, HADRIEN JOURDAN, GABRIELA JURAVLE, AGENCEMENTS LACROUX, CLÉMENCE LEVASSEUR, ANAÏS LEREVEREND, CAROLE MAINARD-LAFORGUE, RÉMI MOUGIN, LAURA PAUCHET, PIERRE-HENRI PAULET, FÉDÉRIC PLA, GUY PRUNIER, QUENTIN ROL, MARYLISE SAILLARD, JEAN-LUC SCHURRER, DENISE ET LYSIANE SCHMITT, ÉRIC TARAGON, JACQUES TRINQUES.

Un printemps 76, Vincent Duluc, Stock, 2016, 18 euros.

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p o T #Au ’HUI D R U O J AU APB*

S I R C S N I ’ M JE E

Édité par la région Centre-Val de Loire février 2016 / www.goodby.fr / © R. Beaumont.

EN RÉGION C

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