Innova 24 L'intimité mise à nu

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DOSSIER L’ŒIL DU NET

RÉSEAUX SOCIAUX, OBJETS CONNECTÉS, CYBERSURVEILLANCE… QUAND LA TOILE NUMÉRIQUE S’ADAPTE À NOTRE QUOTIDIEN ET CAPTE NOTRE INTIMITÉ

ENTRETIEN AVEC MAZARINE PINGEOT

FACE À L’EFFACEMENT DES FRONTIÈRES ENTRE VIE PRIVÉE ET VIE PUBLIQUE, ELLE ENVISAGE L’INTIMITÉ COMME UN LIEU DE RÉSISTANCE

HORS SÉRIE SÉSAME - MAI 2017 - N° 24 - 2 EUROS Magazine de l’année spéciale et de la licence en JOURNALISME – EPJT – IUTDE TOURS

L’INTIMITÉ MISE À NU


HORS SÉRIE SÉSAME - MAI 2017 - N° 24 - 2 EUROS Magazine de l’année spéciale et de la licence en JOURNALISME – EPJT – IUT DE TOURS

ÉDITO B

am, bam, bam », bruits de marteau sur le mur. Réveil en sursaut, les yeux sur la montre. Il est 6 heures du matin. Comme tous les mercredis, votre voisin répare on ne sait quoi chez lui. Et ce n’est pas fini…

Huit heures. Le métro est bondé. De station en station, vous sentez votre espace vital se réduire. Vous ne pouvez pas reculer et devant vous se tient un individu avec une odeur à faire s’étouffer un cadavre. Vous pensiez lire les dernières nouvelles sur votre Smartphone ou dans le journal ? N’y pensez plus. Diable, personne ne dit à ce monsieur à côté qu’il parle trop fort au téléphone ? Encore un rendez-vous raté avec Madame Intimité. Autre moment de gêne : l’ascenseur. Vous le prenez seul perdu dans vos pensées, vous vous regardez dans le miroir et… « Salut ! », interpelle Daniel qui monte au même moment. Daniel, vous savez ? Ce collègue qui se tient toujours trop près de vous quand il parle. Serré dans l’ascenseur, les minutes passent. Vous attendez l’ouverture des portes avec impatience. Finalement, c’est chez vous que vous pensez pouvoir retrouver cette intimité qui vous a échappé toute la journée. Et vous détendre loin du regard des autres. Enfin, pas toujours. Parce qu’il y a les makrels, ces « voisines curieuses » en créole, qui poussent d’un doigt leur rideau de fenêtre pour épier ce que vous faites. Elles savent même quand vous allez aux toilettes. Quand ce n’est pas la voisine, ce sont les enfants qui transgressent allègrement les frontières de l’intime. Ils établissent la hiérarchie des zizis de la famille. Ils parlent de celui de leur grand frère « gros comme celui de papa » et au passage, ils en attribuent même un à leur maman. Plus tard, ces enfants devenus adolescents réclameront eux aussi leur part d’intimité et afficheront sur leur porte « interdit aux parents ». Mais bon, nous l’avons tous fait, non ? THIERNO BAH, THOMAS NEUMANN ET AUDE SIOUL-TIDAS POUR LA RÉDACTION

P.S. Tout au long de ce magazine, vous trouverez des QR codes que vous pourrez flasher avec votre Smartphone ou votre ­tablette. Vous accéderez ainsi à des contenus, textes ou vidéos, qui enrichiront votre réflexion et votre expérience de lecture.


PLONGÉE DANS LES HISTOIRES FAMILIALES - 6 -

Travailleurs sociaux, forces de l’ordre et médecins travaillent quotidiennement au sein des familles en difficulté.

UNE INTIMITÉ À RECONSTRUIRE - 9 -

Romain Guérineau, tétraplégique, témoigne des conséquences de sa perte d’autonomie. Récit croisé d’une famille perquisitionnée et d’un informaticien expert judiciaire.

LA PETITE MAISON DANS L’ENTREPRISE - 12 -

Les nouvelles formes de management venues de la Silicon Valley brouillent les frontières entre vie professionnelle et vie privée.

L’OPEN SPACE À LA LOUPE - 14 -

4. ENTRETIEN

MAZARINE PINGEOT

développe sa vision de l’intime comme un dialogue intérieur à soi-même.

Infographie. Au départ conçus pour optimiser le travail des employés, les open space ont fini par renier leur intimité.

GAGNER GROS PEUT COÛTER CHER - 20 -

Au Québec, les gagnants du loto doivent dévoiler leur identité. De quoi déchaîner les passions...

SOUS LES JUPES DE LA POLITIQUE - 31 -

En couverture des magazines, les plus hauts ­responsables politiques nagent en eau trouble.

Arno Lam

SORTIE BRUTALE DU RÉEL - 10 -

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16. PORTFOLIO FOI EN SOI

Des croyants se montrent dans leur rapport intime à Dieu.

Maëva Gros

CORPS CONTRE ORDRE - 32 -

L’intimité des femmes est l’objet de nombreuses injonctions. Pour les dénoncer, certaines font de leur corps une arme politique.

DE L’ENCRE À LA LUMIÈRE - 34 Nina s’immisce dans l’intimité des personnes tatouées pour démythifier leur image.

TROUBLE JE(U) - 36 -

21. DOSSIER

SOUS LES PROJECTEURS - 37 -

Les nouvelles technologies altèrent les fontières de l’intime.

Christophe Lemaître, Nicole Ferroni et François Rollin dévoilent leurs frontières entre vie privée et vie publique.

LE BONHEUR À DOMICILE - 38 Prendre le temps de profiter de son chez soi, la mode danoise — le hygge — arrive en France.

PRATIQUE - 40 -

L’ŒIL DU NET

Henry Girard

La comédienne Pauline Bertani jongle entre son identité et celle de Macha, le personnage qu’elle incarne sur scène et au-delà.

SOMMAIRE

Innova Tours n°24. Mai 2017. Hors série. Journal des étudiants en Année spéciale de journalisme et en licence, École publique de journalisme de Tours / IUT de Tours, 29, rue du Pont-Volant, 37002 Tours Cedex, Tél. 02 47 36 75 63 ISSN n°02191-4506. Directrice de publication : Laure Colmant. Coordination éditoriale : Justine Canonne (rédaction en chef), Frédéric Pla (direction artistique), Laure Colmant (secrétariat de rédaction). Rédaction : Thierno Bah, Ana Boyrie, Laura Cadeau, Clotilde Costil, Margaux Deuley, Henry Girard, Maëva Gros, Corentin Lacoste, Aubin Laratte, Émilie Mette, Albin Mouton, Thomas Neumann, Ambre Philouze-Rousseau, Clément Piot, Aude Sioul-Tidas, Ophélie Surcouf, Charlène Torres, Émilie Veyssié. Secrétariat de rédaction : Clotilde Costil, Margaux Deuley, Maëva Gros, Émilie Mette, Ambre Philouze-Rousseau, Clément Piot, Aude Sioul-Tidas, Charlène Torres, Émilie Veyssié. Maquette : Thierno Bah, Ana Boyrie, Laura Cadeau, Corentin Lacoste, Albin Mouton, Thomas Neumann. Iconographie : Ana Boyrie. Photo couverture : Ana Boyrie. Publicité : Margaux Deuley, Ambre Philouze-Rousseau. Imprimeur : Picsel, Tours. Remerciements : Dr Bano Barry, David Darrault, JeanPhilippe Fouquet, Cécile Hommeau, Julien Jacob, Alexandre Jaunay, Adèle Labo, Pierre Moirin, Léone Naigre.


ENTRETIEN

À L’HEURE OÙ LA LIMITE ENTRE L’ESPACE PRIVÉ ET L’ESPACE PUBLIC DEVIENT FLOUE, MAZARINE PINGEOT, AUTEURE DE “LA DICTATURE DE LA TRANSPARENCE”, S’INTERROGE SUR LES FRONTIÈRES MOUVANTES DE L’INTIME. Notre magazine s’intéresse à une vaste thématique, l’intimité. Quelle en est votre définition ?

C’est une question difficile car l’intime est une notion qui ne va pas de soi. Le contresens premier c’est de confondre le privé et l’intime, qui sont des concepts différents. L’espace privé, c’est ce qui se passe dans le foyer, dans les interstices de tout ce qui relève de l’espace public. Mais dans l’espace privé, nous pouvons très bien être sans intimité, ou avoir un rapport compliqué à celle-ci. Je définirais l’intime comme un rapport de soi à soi, une capacité à dialoguer avec soi-même. Les hommes et les femmes qui n’arrivent pas à avoir ce dialogue intérieur ont du mal à être dans l’intime. Mais cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de vie privée.

BIBLIO

S’il y a une distinction entre la sphère privée et l’intimité, est-ce-que l’effacement des frontières entre le privé et le public a quand même des conséquences sur l’intimité ?

Plus on recule les limites du privé, plus on s’approche de l’intime. Car même si privé et intime ne sont pas exactement la même chose, le privé est un espace qui protège l’intime. Cet intime est un lieu de résistance : grâce à la capacité de dialoguer avec soi-même, nous pouvons résister à un discours ambiant, à une normativité que nous ne voyons même plus et dont nous ne questionnons plus le bien fondé. Quelle est cette normativité ?

Elle est liée à la société de consommation, ou plus précisément de masse. La masse est le lieu où l’individu disparaît au profit du tout. Nous nous désindividualisons en adhérant à des valeurs communes qui sont en fait des modes. Et là, le risque d’aller vers une forme de totalitarisme est grand. Le totalitarisme, c’est tout savoir de l’intimité des autres, y compris ce qu’ils pensent secrètement. Le totalitarisme, c’est la transparence totale. Si elle est totale, il y a vraiment une mise en péril de l’intimité. Le livre 1984 d’Orwell, nous y revenons toujours. C’est une référence incontournable parce que l’on a rarement aussi bien décrit les différentes étapes de cette transparence qui mène à la destruction de l’intime.

publié en avril 2016, l’essai de Mazarine Pingeot interroge la notion de transparence, notamment dans la sphère politique. Elle y analyse aussi l’importance accordée à l’image sur la Toile et dans les médias.

Que reste-t-il de l’intimité à l’heure des réseaux sociaux ?

Les réseaux sociaux mettent à mal la distinction entre le privé et l’intime. Nous y montrons des choses qui ne sont pas censées relever de l’espace public. Mais ce faisant n’entamons-nous pas ce qui relève de l’intime ? Parfois, c’est assez flou et c’est

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« L’INTIME UN LIEU là où il y a danger. Pour autant, ce n’est pas parce que nous montrons des choses personnelles que nous livrons toute notre intimité. La frontière est donc ténue. Très présente sur les réseaux sociaux, l’image est en passe de devenir notre mode de communication le plus prégnant. Mais il ne faut pas oublier son côté paradoxal. Il y a mise en scène dès qu’il y a une image. Celle‑ci semble transparente car on voit les choses. En réalité, l’image est la chose la plus difficile à décrypter. C’est une interprétation du monde. En ce sens, sur les réseaux sociaux, l’intimité ne peut pas se montrer telle qu’elle est réellement. Le phénomène du selfie incarne cette omniprésence de l’image, qu’est-ce que cela raconte sur notre rapport au réel ?

Avec les selfies, il y a l’idée que l’image serait plus réelle que le réel dont elle est l’image. C’est la volonté d’attester de son existence. Sauf que nous en oublions d’expérimenter le réel. Ce déficit d’expérimentation vient de la peur de le vivre. C’est compliqué de vivre le présent. Avec le selfie, ­ on s’en décharge, on se dégage de l’expérience. L’important c’est que les autres le voient pour attester du fait qu’elle existe. Ainsi, les expériences ne deviennent réelles que si les autres peuvent en être spectateurs. Dès lors, comment vivre la solitude ? D’ailleurs, les moments de solitude sont de plus en plus rares. Même quand on est aux


ENTRETIEN

BIO

RESTE DE RÉSISTANCE » toilettes, on peut téléphoner. Et, quand on est connecté, ce n’est jamais avec soi-même ; c’est avec quelqu’un d’autre, un jeu ou n’importe quelle application. C’est une forme d’effacement de ­soi-même, une sorte de fuite de sa propre intimité. Et la raison est simple : cela demande beaucoup moins d’efforts de se connecter à l’autre que de se prendre en charge, de se parler à soi-même.

Mazarine Pingeot ­distingue les notions de privé et d’intime, qui sont souvent confondues. Cette frontière est cependant devenue poreuse avec l’émergence des réseaux sociaux.

pas des outils neutres comme l’est un marteau. Ils structurent et façonnent notre rapport au monde. Est-ce qu’il existe chez l’être humain quelque chose qui resterait parfaitement intime et qui échapperait à toute injonction extérieure ?

Il y a d’abord une part de nous que nous ne pouvons pas livrer parce que nous l’ignorons nous-même. Ce que nous montrons aux autres n’est jamais ce que nous sommes. Si je montre mon image, je ne donne évidemment pas tout de moi. Une image me montre autant qu’elle me masque. Une image ce n’est pas moi. Il y a enfin le fait que le « pour soi » et le « pour les autres » ne sont pas interchangeables. Parce que de toute façon nous ignorons l’image que nous avons auprès d’autrui, y compris des gens que nous aimons. La manière dont les autres nous voient, nous ne la connaîtrons jamais exactement.

Avec les réseaux sociaux, quelle place l’autre prend-il dans notre intimité ?

Nous nous laissons façonner par le regard des autres. Cela commence dès la cour d’école. Le fait de vouloir satisfaire le regard d’autrui est donc un comportement naturel amplifié par la technique. Dans la mise en scène que l’on retrouve sur les réseaux sociaux, il y a le risque de finir par épouser complètement le regard d’autrui. C’est là que l’usage de la technologie peut transformer nos rapports aux autres. Les réseaux sociaux ne sont

L’intime, c’est un rapport de soi à soi, une capacité à dialoguer avec soi-même. Ceux qui n’arrivent pas à avoir ce dialogue intérieur ont du mal à être dans l’intime.

Arno Lam

Mazarine ­ ingeot est née le P 18 décembre 1974. Fille de françois mitterrand, elle est restée vingt ans dans l’anonymat. aujourd’hui professeure agrégée de philosophie et femme de lettres, elle participe régulièrement à des émissions culturelles. Son dernier roman, Théa, est paru en février 2017.

Transmettre l’intime apparaît alors impossible…

Pour arriver à transmettre l’intime, il faudrait le transformer en quelque chose d’universel pour que l’autre le comprenne. Sinon, dès lors que l’intime devient public, par une image ou par un récit, il est d’emblée transformé. Il n’est plus tout à fait ce qu’il était pour soi. Donc structurellement, il y aura toujours quelque chose qui résistera. La possibilité de l’intime est d’une certaine manière inentamable. RECUEILLI PAR ANA BOYRIE,

AMBRE PHILOUZE-ROUSSEAU ET CLÉMENT PIOT.

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PLONGÉE DANS LES HISTOIRES FAMILIALES

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Albin Mouton/EPJT

CHACUN A DROIT À SON INTIMITÉ. MAIS PARFOIS, POUR PROTÉGER UN ENFANT, TRAVAILLEURS SOCIAUX, FORCES DE L’ORDRE ET MÉDECINS DOIVENT S’IMMISCER DANS LA VIE FAMILIALE. ILS TÉMOIGNENT DE LA COMPLEXITÉ DE LEUR MÉTIER.


La salle d’accueil de l’Association départementale pour la sauvegarde de l’enfance (ADSE 37) est aménagée pour recevoir parents et enfants avant leur rencontre avec un professionnel.

Paris, la Dre Céline Raphaël, elle-même ­ancienne victime, considère ces procédures comme nécessaires : « Je pense que nous nous devons d’être intrusifs pour protéger un enfant. » Michèle Menut, psychologue sociale à l’Action éducative en milieu ­ouvert de Tours (AEMO 37), se rappelle d’un cas de maltraitance psychologique avec un petit garçon qui dormait dans la niche du chien. « Paradoxalement, la souffrance des familles me stimule ; elle m’encourage à faire tout mon possible pour trouver une solution », précise‑t‑elle.

Albin Mouton/EPJT

T

u lâches ces ciseaux ou tu me saignes, mais je ne te laisserai pas t’ouvrir les veines. » Corinne* Leroy s’interpose pour protéger Aline. Violente, la jeune fille n’hésite pas à user de provocation. Alors jeune travailleuse sociale, Corinne s’implique particulièrement auprès d’elle. Deux soirs de suite, Aline s’installe dans son bureau, sans un mot. Au troisième soir, Corinne décide de briser le silence : « Tu veux me dire quelque chose ? » Ses réponses se limitent à de timides mouvements de tête. Puis, progressivement, un lien s’établit. « Je pense qu’elle a fait un transfert total sur moi, analyse Corinne. Elle m’a même appelée “maman” une fois. » En confiance, Aline finit par se livrer. « Elle me balance alors une bombe : son père et son grand frère la violent », se remémore Corinne. « Je ne sais pas quoi faire, je ne suis, à cette époque, ni formée ni préparée à ça », regrette-t-elle. Corinne explique qu’elle est obligée de ­signaler les faits pour assurer sa protection. À ce moment-là, Aline tente de se mutiler, torturée par des sentiments contradictoires. « Personne ne t’empêche d’aimer ton père, la rassure Corinne. Mais ce qu’il t’a fait, c’est interdit par la loi. Il n’avait pas à te faire subir ça. » Quatre ans plus tard, le tribunal réclame sa présence à la barre. Verdict : treize ans de prison ferme pour le père. « Tout est parti de mon signalement, se rappelle‑t‑elle, émue. On nous apprend qu’il ne faut surtout pas faire de transfert. Mais il y a la théorie et la pratique. » Aujourd’hui intervenante sociale en police et en gendarmerie (ISPG), Corinne accueille les familles en difficulté avec tact et délicatesse. Assise derrière un bureau recouvert de Post‑it, elle les écoute puis les oriente. Elle reconnaît, avec l’expérience, que l’attachement ressenti envers Aline l’a poussée à se mettre elle-même en danger physiquement et psychologiquement. La frontière familiale franchie, de nombreux travailleurs sociaux ont vécu des situations similaires. Malgré la préparation et l’expérience, ils ne peuvent jamais prévoir la manière dont chaque mission les affectera. Une chose est cependant certaine : l’intérêt de l’enfant est ce qui ­importe le plus. Du début jusqu’à la fin des interventions, toutes les décisions (suivi de la famille, ­mesures de placement…) sont expliquées en détail aux parents et à leurs enfants. Le signalement de violences entraîne des ­visites au domicile. Les familles sont cependant toujours prévenues de cette intrusion dans le cercle privé. À l’hôpital Necker de

SOCIÉTÉ

ENTAMER LE DIALOGUE

L’irruption dans la vie privée s’impose aux familles comme aux professionnels habilités par un mandat du juge pour enfants. « L’essentiel de nos missions se déroule au domicile, constate Franck Houdin, chef de service au sein de l’Association départementale pour la sauvegarde de l’enfance (ADSE 37). Nous avons bien conscience du caractère envahissant de nos interventions. » Dans un premier temps, les professionnels vont là où la famille les y autorise. Ils pèsent leurs mots pour ne pas discréditer l’autorité des parents. Inutile et trop violent de faire le tour de la maison avant d’entamer le dialogue. Dans un second temps, même si la famille s’y oppose, les ­intervenants s’autorisent à entrer dans la chambre du mineur. Ses conditions de vie

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LE CHIFFRE

dossiers de suivi de mineurs vulnérables étaient en cours en mars 2017 en Indre-etLoire. En moyenne, un travailleur social se charge de 30 mineurs à la fois. Habituellement, il rencontre la même famille 2 à 3 fois par semaine. Pour certaines, le suivi est plus intensif.

matérielles doivent être scrutées. Ils sont ainsi projetés dans la vie quotidienne des gens. Ils lisent leur courrier, entrent dans l’histoire familiale. Leur position est délicate, ils se mêlent au cercle familial à un moment où la figure parentale est entachée. « Pour l’enfant, ses parents sont considérés comme défaillants », analyse Franck Houdin. Il y a des familles qui reçoivent régulièrement la visite des travailleurs sociaux. D’après Michèle Menut, « certaines camouflent la vérité et nous découvrons parfois des placards pleins de boîtes de raviolis périmées. » Malgré tout, Laurent Ponchaux, responsable d’une unité Innova

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Franck Houdin, chef de service au sein de l’ADSE 37, gère une équipe de six personnes. Il conduit les mesures de pro­tection ordonnées par le juge des enfants.

éducative en milieu ouvert (UEMO) à Tours, insiste : « Nous ne pointons pas les responsabilités des uns et des autres, nous sommes avec eux dans l’intérêt de l’enfant. » Celui‑ci devient le lien qui unit ses parents aux travailleurs sociaux. Cependant, la présence des parents peut parfois orienter la parole de l’enfant. « S’ils ne ­parlent pas, leurs enfants vont faire de même », explique Laurent Ponchaux. Dans certains cas, les portes restent fermées. Dans d’autres, elles claquent. « Il ­arrive que des parents crient et nous ­demandent de partir », se désole Michèle Menut. Les professionnels se trouvent alors dans l’obligation d’en référer au juge et les enfants risquent d’être placés. Pour éviter d’en arriver à de telles extrémités, la ­communication est le seul moyen de coopérer au mieux avec les familles. Dans le bureau des auditions de la brigade des mineurs de Tours, les enfants et leurs parents sont intimidés par les matériels d’écoute et de vidéo. Les professionnels, eux, essaient d’avoir une attitude rassurante. Des stickers et des posters de dessins animés ornent les murs d’une pièce à l’origine plutôt austère. Pour livrer son témoignage, l’enfant doit se sentir à l’aise, en ­sécurité. Policiers comme gendarmes ont suivi des formations spécialisées dans la prise en charge et l’audition de mineurs. « Une psychologue nous a expliqué comment interpréter leurs comportements ­selon les âges », indique l’un d’entre eux. Lorsque les traces de sévices sont invisibles sur le corps car de nature psychologique, les professionnels sont encore davantage à l’écoute et doivent faire preuve de discerne-


SOCIÉTÉ

Il faut mettre la bonne distance entre la victime et soimême. Sinon, nous ne sommes plus à l’écoute de l’autre. »

mère ? » raconte, encore bouleversée, ­Corinne. Pour ne pas se laisser envahir par les affaires parfois glauques traitées dans la journée, « il faut mettre la bonne distance entre la victime et soi-même. Sinon nous ne sommes plus à l’écoute de l’autre », précise un policier de la brigade des mineurs, lui‑même père d’une fillette de 6 ans. La plupart des professionnels s’accordent à dire que le trajet en voiture pour rentrer chez eux leur permet de penser et de passer à autre chose. Malgré la rudesse de leur métier, de belles histoires restent en mémoire. « Un enfant qui vous sourit ou qui vous tient la main en signe de confiance, cela fait partie des petits gestes qui marquent, de ceux que l’on garde à l’esprit une fois rentré chez soi », se rappelle, pensif, un policier de la brigade des mineurs. « Un jour j’ai eu le cas d’un papa violent avec sa femme et malveillant avec sa fille, raconte Corinne. Il buvait et les ­insultait souvent. Nous savions qu’il pouvait être dangereux. » Les services sociaux ont alors pris la situation en main pour que la garde de la petite soit retirée au père. Clotilde Costil/EPJT

ment face à des enfants parfois âgés d’à et que vous arrivez à en parler ne serait‑ce peine 3 ans. De par sa propre histoire, la que cinq minutes avec un collègue, vous ne Dre Céline Raphaël peut aujourd’hui, dans portez déjà plus le poids des choses tout certains comportements, dans certaines seul. » Selon un policier d’abord passé par paroles, dans certains regards, déceler la les gardes de nuit puis par les stups, débudétresse et la douleur. Gagner la confiance ter par la brigade des mineurs est déconde ces enfants parfois enfermés dans leur seillé. La violence à l’encontre des enfants mutisme prend du temps. Doucement, elle est particulièrement difficile à gérer pour se place à leur hauteur. D’une voix rassu- un jeune agent. Le recul nécessaire pour rante et bienveillante, elle s’attache à supporter cette violence s’acquiert après ­comprendre leurs centres d’intérêts avant plusieurs années d’expérience. de chercher à saisir l’origine du problème. Forte de ses années de travail auprès des L’empathie est créatrice de lien mais peut jeunes, Corinne Leroy place aujourd’hui également devenir destructrice. « Un jour, des limites bien concrètes à son intervenj’ai dû rendre les vêtements d’un bébé tion : pas de contact physique et une sépa­décédé à sa mère », raconte Corinne. Ces ration claire grâce à son grand bureau en souvenirs tragiques s’additionnent, tou- bois. Le suivi d’un enfant peut s’arrêter jours trop nombreux à persister dans la n’importe quand, la relation doit donc se mémoire. La mort d’un enfant n’est jamais limiter à la durée de la mission. Lorsque anecdotique dans une carrière. « On essaie celle‑ci est terminée, les familles ont le de la désacraliser, mais cela nous ramène droit à l’oubli. Les professionnels aussi. toujours à nos propres ­«  Q u a n d peurs », confie, lucide, je franchis un policier de la brigade le portail, des mineurs. Tous s’acj’ai fini ma cordent à dire qu’être journée, je une éponge émotionnelle n’a jamais fait un bon policier, gendarme ou avocat. S’ils restent des êtres humains, ils doivent être prêts à garder leur sang‑froid et UN POLICIER DE LA BRIGADE DES MINEURS à faire taire leur sensibilité pour entendre « les ­témoignages les plus dégueulasses qui ­touchent aux tabous des tabous ». Ils n’ont pas d’autre choix que d’accepter le contact permanent avec la violence, cela fait partie du métier. Peu de professionnels se rendent dans les structures d’écoute à leur ­disposition. Ni par pudeur, ni par fierté, juste par habitude. EXTÉRIORISER SES INQUIÉTUDES

Dans ces métiers, il faut apprendre à gérer ses émotions. « Nous sommes un peu comme des médecins qui interviennent sur des accidents graves, considère le ­commandant de gendarmerie Le Goff. Nous avons plus un regard professionnel que simplement humain. Nous nous blindons. » Il n’existe pas vraiment de réaction universelle face à ces situations. Certains vont avoir besoin de participer à des brain‑storming ou de parler avec leurs collègues quand d’autres choisissent le sport, la cuisine ou l’isolement. Des échanges professionnels et des réunions de synthèse sont régulièrement organisés pour préparer au mieux une affaire. « C’est un peu comme dans le film Polisse, remarque ­Corinne Leroy, il y a un vrai esprit de corporation. » Au quotidien, Franck Houdin remarque que le dialogue entre collègues aide à extérioriser certaines inquiétudes : « Quand vous revenez d’une visite difficile

Laurent Ponchaux est responsable d’une unité éducative en milieu ouvert (UEMO). Il joue un rôle de médiateur auprès des familles en difficulté.

passe à autre chose », explique Michèle ­Menut. Mais aucune réaction ne se ressemble. Lorsqu’une situation tracasse Laurent Ponchaux, certaines nuits deviennent plus courtes que d’autres. « Comment ne pas être touché quand on a soi-même un enfant et que l’on voit un gamin hurler parce qu’on l’enlève à son père ou à sa Innova

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« Après deux ans, la mère m’a appelée pour me remercier et me dire qu’il avait perdu, poursuit‑elle. Je ne fais pas ce métier pour les remerciements. Mais il y a parfois de belles histoires. » CLOTILDE COSTIL, MAËVA GROS,

ALBIN MOUTON ET AUDE SIOUL‑TIDAS

(*) Le prénom a été modifié.


SOCIETÉ

UNE INTIMITÉ À RECONSTRUIRE

PERDRE SON AUTONOMIE, C’EST DEVOIR ACCEPTER L’INTRUSION DES AUTRES DANS SON INTIMITÉ. ROMAIN EST TÉTRAPLÉGIQUE. IL RACONTE SON QUOTIDIEN.

APRÈS L’ACCIDENT

Romain est séparé de sa compagne. S’il soutient que le handicap n’est pas la cause directe de la rupture, cela a néanmoins perturbé l’équilibre du couple. Au début, son ex-compagne a consacré beaucoup de temps et d’énergie à lui venir en aide : « Elle voulait s’occuper de moi tout le temps jusqu’à ce que des professionnels me prennent en charge pour ne pas tout mélanger. » Son ex-conjointe a toutefois mal vécu le manque d’intimité et l’intervention constante des aides-soignants. Romain pointe aussi du doigt le peu de soutien qu’elle a reçu. Après l’accident, il a été l’objet de tant d’attention de la part de ses proches que ces derniers en ont parfois oublié la souffrance de sa compagne. « Le handicapé, c’est celui qu’on plaint. Celui avec qui il partage sa vie souffre aussi, or on a tendance à le mettre de côté. » L’intimité a pris un sens nouveau dans sa vie. Elle se trouve désormais dans les relations particu-

Romain a tissé des liens avec son ergothé­ rapeute. Pour faciliter le quotidien, celle-ci a réalisé les adapta­ tions de sa maison. Une intrusion rendue possible grâce à leur bonne entente.

L’handicapé, c’est celui qu’on plaint. Celui avec qui il partage sa vie souffre aussi, or on a tendance à le mettre de côté. » ROMAIN GUÉRINEAU

G.Souvant

L

’existence ne tient parfois qu’à un fil. Romain Guérineau ne vous dira pas le contraire. En janvier 2012, sa vie bascule suite à un accident de ski en Haute-Savoie. Le jeune pompier devient tétraplégique. Il n’a que 26 ans. Aujourd’hui, dans sa maison à Chambray-lès-Tours, il se livre sans réserve. En joignant le geste à la parole, il désigne les parties de son corps qui fonctionnent : tête, haut du torse, épaules, coudes et poignets. Le handicap, selon lui, « c’est un retour à zéro ». C’est accepter de ne plus être en capacité de se laver ou d’aller aux toilettes seul. C’est aussi se résoudre à ce que de nombreuses personnes s’immiscent dans son intimité. Face aux professionnels de santé, la nudité n’a pas été un problème : « Ils font leur métier. » En revanche, Romain a eu beaucoup plus de difficultés à accepter l’aide de ses proches. Pourtant, certaines situations l’y obligent. Lorsqu’il se lève très tôt, par exemple, c’est sa mère qui doit se prêter au rôle de l’aide-soignante. La première fois que cela est arrivé, Romain a eu le sentiment d’être à nouveau un enfant. « Mais elle m’a rassuré : “ Tu es mon fils. Je m’occupais de toi quand tu étais petit, je peux encore le faire. ” Aujourd’hui, je préfère que ce soit elle qui le fasse, » dit-il. Entre frères et sœurs, la pudeur complique le dévoilement du corps. Dans le but de préserver sa jeune sœur, il refuse son aide. S’il accepte parfois celle de sa sœur ainée, étudiante en médecine, c’est uniquement parce qu’elle est la seule personne disponible dans ces moments-là. Le plus dur, pour lui, reste de se faire donner les repas et de se faire raser, ce qu’il n’hésite pas à qualifier d’« infantilisation ».

lières qu’il entretient avec les personnes qui l’ont aidé à se reconstruire. Chaque matin, la même aide-soignante vient l’habiller. « Contrairement aux autres, elle connaît toutes mes habitudes », affirmet-il. Sa confiance en elle est entière puisqu’il l’autorise même à veiller sur sa fille de 4 ans : « Je la laisse aller la réveiller, la prendre dans ses bras. » Ce privilège, ses remplaçantes ne l’ont pas. L’autre pilier de sa reconstruction est sa fille, dont il parle avec une grande fierté. Depuis qu’elle a 3 ans, elle comprend la situation. « Elle sait qu’il y a des choses qu’elle doit faire seule. Donc elle est plus débrouillarde qu’avec un papa valide, explique Romain. J’ai un fauteuil verticalisateur qui me permet de me mettre debout. Quand elle me voit, elle se demande comment ça se fait », poursuit-il, amusé. Au centre de rééducation d’Argonay, c’est avec sa kinésithérapeute qu’il a tissé les liens les plus forts. Il l’a vue tous les jours pendant sept mois et lui a dévoilé des choses que même ses proches ignoraient. « Elle connaissait tous mes états d’âme », se souvient-il. À son tour, elle n’hésitait pas à se confier à lui. « On crée un besoin, quand on se revoit, de savoir ce qui s’est passé dans la vie de l’autre entretemps. » Leurs relations ont dépassé le cadre médical puisque leurs familles respectives se sont rencontrées à l’extérieur. Cinq ans plus tard, ils sont toujours en contact. Il se réjouit : « Quand je suis sorti du centre de rééducation, j’ai bien vu que je ne m’étais pas trompé sur elle. » Romain a fait de ces intrusions subies dans sa vie privée une réelle opportunité de rencontre. Les liens tissés perdurent même au-delà des soins pratiqués. Joli retournement de situation. ÉMILIE METTE ET CHARLÈNE TORRES

Innova

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PERQUISITION

SORTIE BRUTALE UNE VIE FOUILLÉE, SCRUTÉE À LA LOUPE. LA PERQUISITION N’EST ANODINE POUR PERSONNE. NI POUR LES PERQUISITIONNÉS NI POUR LES PERQUISITIONNEURS. RÉCIT CROISÉ D’ISABELLE ET DE SON FILS THOMAS, PERQUISITIONNÉS EN MARS 2016 ET DE ZYTHOM, INFORMATICIEN EXPERT JUDICIAIRE.

C

’est un mercredi matin comme les autres. Les parents se préparent à aller donner leurs cours, leur fils est en route pour sa classe préparatoire. Et puis des coups. Des coups frappés à la porte de la maison familiale. Il est 7 h 45, le mari va ouvrir. Sa femme, Isabelle*, observe par la fenêtre et voit trois personnes devant l’entrée. Lorsqu’elle ­remarque les brassards rouges marqués « Police », ils sont déjà à l’intérieur. « Nous venons pour une ­perquisition, annonce froidement la policière. Je suis inspectrice de la brigade des mineurs. » Pour Isabelle, qui se tient au milieu de l’escalier, l’incompréhension est totale. Tout s’écroule : « Ça t’arrête dans tes gestes, dans tes paroles, tu t’arrêtes de respirer, tu t’arrêtes de penser. » Près d’un an après, elle a enfin trouvé les mots : « Cette perquisition a été une ­rupture brutale, indélébile et irrémédiable. » Les suspects ne sont pas les seuls à être atteints par une perquisition, c’est également le cas de leur ­entourage. « C’était violent dans leur parler et leur façon d’être, se souvient Thomas*, le fils d’Isabelle. J’avais ­l’impression qu’ils s’en fichaient complètement, comme s’ils n’étaient pas impliqués. » Les perquisitionneurs doivent en effet se garder de toute empathie. La police n’agit pas toujours seule. Elle a parfois besoin de s’entourer de ­personnes comme Zythom, informaticien expert ­judiciaire.

À SAVOIR Pour les infractions punies de plus de cinq ans de prison, ­le juge des libertés et de la détention autorise la perquisition d’un domicile sans l’accord de l’occupant.

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Les autorités font appel à ses services pour analyser le contenu de matériel informatique. Il assiste ­depuis 1999 des huissiers de justice, des juges d’instruction ou des policiers dans des ­perquisitions et raconte son vécu dans son blog. Malgré sa longue expérience, il ne s’habitue pas à la ­violence de cette intrusion. « Une maison est un lieu privé. Quand vous entrez avec les forces de l’ordre chez quelqu’un, c’est d’une brutalité incroyable, explique-t-il. En plongeant dans les données ­numériques stockées sur le disque dur, j’entre dans la vie intime des gens, pour le meilleur et pour le pire. » Ce sentiment de « viol de ­l’intimité » ne le quitte jamais. ASSISTER À LA FOUILLE DANS LA RÉSIGNATION

Pour autant, Zythom a vécu des perquisitions plus ­éprouvantes que d’autres. Comme celle lors de ­laquelle il rencontre Léo, 7 ans. « C’est un petit garçon volontaire, écrit l’informaticien sur son blog. Il me dévisage sans peur, mais avec une lueur ­d’incompréhension dans le regard. » Zythom tente de sauver les apparences : « Je lui fais un grand sourire. Je force mon visage à se détendre, ­raconte-t-il. “ Ta maman a un petit problème avec son ordinateur. Nous sommes venus pour voir si on peut le réparer ’’, c’est la seule chose qui lui vient à l’esprit. Le petit Léo, rassuré, reste malgré tout ­soucieux, mais pour d’autres raisons. « J’espère que ce n’est pas mon


DU RÉEL nouveau jeu qui a abîmé ­l’ordinateur de maman », ­s’inquiète-t-il. Une innocence ­touchante et déchirante pour Zythom. « Mon cœur se brise mais aucun muscle de mon visage ne bouge, poursuit-il. La dernière image que j’aurai de Léo est son départ pour l’école tenant son petit frère par la main et ­accompagné par une voisine. Je lui ai fait un petit signe avec le pouce levé. » L’informaticien ne peut s’empêcher de terminer son récit en avouant : « Que c’est dur, une perquisition. » Cette rudesse, Isabelle et Thomas l’ont ressentie. Non sans quelques sanglots dans la voix, le jeune homme décrit une sortie brutale du réel. « À partir de ce moment, tu te dis que rien n’est vrai, ­raconte-t-il. Tu es dans le déni. » Il souligne également la difficulté à prendre du recul et « à accepter que des gens viennent chez toi pour prendre tes ­affaires, pour fouiller dans ta vie. » Les trois étages de la maison, les chambres, la salle de bains, les placards, le garage ou encore la voiture, rien n’est laissé au hasard. C’est dans le silence et la résignation ­qu’Isabelle et Thomas ont dû assister à ces fouilles, pires qu’un cambriolage. « Un cambrioleur, tu ne le vois pas faire, précise Isabelle. Là, tu les vois passer partout et ils sont maîtres chez toi. Tu n’as plus le droit de ­parler, de bouger, tu n’es plus rien. » Malgré plusieurs tentatives d’échange, ­Isabelle reste dans ­l’ignorance. « Vous cherchez quoi ? » demande-t-elle aux policiers. « Des indices » est la seule réponse qu’elle ­obtient. Au delà de l’impuissance, elle se

Ana Boyrie (photos et montage)

SOCIÉTÉ

Au printemps 2015, le domicile d’Isabelle est perquisitionné sans qu’elle en connaisse le motif.

dit marquée par ­l’attitude des forces de l’ordre qui, sur l’instant, lui retire sa dignité. « Je savais qu’ils ne venaient pas pour moi. Mais dans leur façon d’être, ils me ­culpabilisaient de la même façon, ­explique-t-elle. Je n’avais plus l’impression d’être une victime, mais une coupable. » Un sentiment qui ne la quittera pas, même une fois la perquisition achevée, puisqu’une convocation pour un ­interrogatoire lui sera remise dans la foulée. Le moment du départ reste, pour Zythom, tout ­aussi marquant que celui de l’arrivée. Il se souvient ainsi d’une perquisition d’un domicile familial en 2010. Seule la mère de famille était présente. Au moment de quitter le logement, il lui présente ses excuses. « Je revois encore aujourd’hui la rage dans son regard », raconte-t-il. Isabelle s’est quant à elle sentie abandonnée. « Ils sont partis de chez moi, mon mari menotté. Ils ne m’ont rien demandé. Même pas si j’avais besoin d’un soutien psychologique », ­déplore-t-elle. Comme si l’après importait peu. « Tu le prends bien. Tant mieux. Tu le prends mal. Tant pis », avance la quinquagénaire d’une voix entrecoupée de silences. Pendant les quarante-huit heures qui ont suivi la perquisition, Isabelle n’a pas eu de nouvelles. Son mari en garde à vue, elle s’est accrochée aux quelques mots glissés par ­l’inspectrice au terme de six appels téléphoniques : « Vous aurez des nouvelles en temps voulu. » Face à ce mutisme, son fils évoque une « nonchalance qui ne respecte pas les sentiments ». LE PREMIER JOUR DU RESTE DE SA VIE

Malgré la violence des émotions qui l’ont animé ce jour-là, le fils d’Isabelle a réussi à prendre de la distance. « Ceux qui perquisitionnent le font à longueur de journée. S’ils ne prenaient pas les choses ­froidement, ils ne pourraient pas le faire », résume le jeune homme. Cette prise de conscience, sa mère l’a eue lors d’une discussion téléphonique avec ­l’inspectrice. « Ça a été un moment fort, parce qu’elle m’a parlé de femme à femme, plutôt que d’inspectrice à femme de suspect », se souvient-elle. La policière évoque alors la nécessité qu’elle a de s’interdire toute ­empathie. Elle concède cependant que cela peut être extrêmement violent. Pour ­Isabelle, ces mots sont libérateurs. « Cela m’a fait un bien fou, j’ai compris que sa crédibilité était aussi en jeu », avance-t-elle. ­ Pour Zythom, beaucoup de ­métiers impliquent de devoir faire face à des ­situations désagréables tout en mettant ses ­sentiments de côté : « Un pompier choisit-il son métier pour les tragédies auxquelles il va assister ? s’interroge-t-il. Lorsqu’on décide de mettre ses ­compétences au service de la justice, il n’est pas question de choisir les interventions en fonction de ses goûts. » Un an plus tard, Isabelle considère cette perquisition comme « l’acte premier, ­celui que l’on n’oublie pas ». Même si le traumatisme va au-delà de la perquisition en tant que telle, c’est bel et bien ce jour qui aura déclenché le bouleversement profond de sa vie intime. D’un rire jaune, elle lance : « C’est désormais un anniversaire supplémentaire. » ANA BOYRIE, AMBRE PHILOUZE-ROUSSEAU

ET CLÉMENT PIOT

(*) Les prénoms ont été modifiés. Illustration : Julien Jacob


TRAVAIL

Espaces détente, salle de jeux, babyfoot, ­toboggans, les géants de Silicon Valley ne lésinent pas sur les moyens pour que leurs ­cerveaux se sentent comme à la maison.

LA PETITE MAISON DANS L’ENTREPRISE

LES ENTREPRISES S’IMMISCENT DE PLUS EN PLUS DANS L’INTIMITÉ DE LEURS EMPLOYÉS AU PRÉTEXTE DE SE SOUCIER DE LEUR BIEN-ÊTRE. UNE EMPATHIE INTÉRESSÉE.

F

ermez les yeux, imaginez un instant pouvoir moduler une journée de travail au gré de vos besoins. Celle où vous seriez libre de mettre une tâche de côté pour aller au gymnase, vous faire mas‑ ser ou vous accorder une sieste. Sans la contrainte de quitter physiquement votre entreprise. Une journée lors de laquelle la réunion susceptible de s’éterniser en soirée ne serait plus source d’angoisse. Car votre entreprise aura pris le soin de réserver une baby‑sitter pour garder vos enfants. Un scénario irréaliste pour une majorité d’em‑ ployés, mais tout à fait concevable pour un salarié de Google. Le géant de la Silicon Valley, régulièrement cité pour sa politique d’entreprise souple, multiplie les dispositifs permettant à ses salariés d’avoir leur part d’intimité au

travail. Google est pourtant loin d’être la première entreprise à s’être emparé du concept. « Dès les années quatre-vingt, les grands cabinets d’avocats d’affaires ont initié des systèmes de confort pour faire reculer la frontière entre vie professionnelle et vie privée », rappelle la sociologue Isabelle Berrebi-Hoffmann, auteure de Politiques de l’intime. Les premiers services

Accenture, une entreprise leader dans le conseil, propose de couvrir les frais d’opération de changement de sexe des employés qui le demandent. Innova

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de restauration et de taxis vingt-quatre heures sur vingt-quatre se développent, offrant ainsi la possibilité aux salariés de n’avoir aucune limite horaire. Et donc, de travailler plus. Car cette politique n’a pas été pensée seulement pour leur bien-être. « Pour un dirigeant, ces dispositifs sont un moyen de ­relier les salariés à sa société, de les mobiliser de façon à ce qu’ils deviennent très productifs », souligne Pascal Thobois, sociologue du travail. Vingt ans plus tard, le numérique transforme le travail et brouille un peu plus la frontière entre vie privée et vie professionnelle. C’est ce qu’on appelle le blurring. Les employés sont amenés à effectuer toujours plus de tâches à la fois. Par conséquent, il leur est plus difficile de concilier leurs différents temps de vie. « Aujourd’hui, la marque de l’engagement


TRAVAIL des cadres, c’est le fait qu’ils envoient et répondent aux mails pendant les vacances », constate le sociologue. Un argument de force dont de grandes entreprises se sont saisies pour leur plus grand bénéfice. Smartphones et ordinateurs portables professionnels rendent leurs salariés corvéables à toute heure du jour et de la nuit. Et cela ne s’arrête pas là. Sous couvert du principe d’égalité hommefemme, Apple et Facebook se sont récem‑ ment lancés dans la congélation d’ovules pour permettre à leurs employées de pour‑ suivre leur carrière sans avoir à se soucier du risque d’infertilité. Plus surprenant en‑ core, Accenture, une entreprise irlandaise leader dans le conseil, propose de couvrir les frais d’opération de changement de sexe des ­employés qui le demandent. « Dans ce genre de cas, on assiste à une véritable ­marchandisation de l’intime », estime ­Isabelle Berrebi-Hoffmann. Et l’intérêt de l’entreprise est clair : en débarrassant l’em‑ ployé des affres de sa vie privée, celui-ci est en condition pour se dévouer entièrement à son travail. Certes, ce nouveau rapport entre vie privée et professionnelle a de quoi effrayer. Toute‑ fois, Isabelle Berrebi-Hoffmann rappelle qu’au départ, c’est autant le souhait des em‑ ployés que des entreprises. « Parmi les re‑ vendications actuelles des jeunes cadres, on entend le besoin d’avoir ces dispositifs liés au corps ­et au confort au travail », indique la sociologue. Désormais, les entreprises se confronteraient à une nouvelle génération qui ­refuse la bureaucratie, le pouvoir verti‑ cal et qui désire un nouvel équilibre entre les temps de travail et de loisirs. Selon ­Pascal Thobois, c’est précisément ce qui justifie la réussite de la Silicon Valley : « Leur ­politique d’entreprise s’est construite à partir de ces revendications. De fait, elle ne cesse ­d’attirer de nombreux jeunes cadres c­ ompétents. »

75 %

LE CHIFFRE

des salariés sont amenés à consulter leurs e-mails ou à répondre à des appels professionnels en dehors de leurs heures de travail, selon une enquête de PageGroup. Et 22 % d’entre eux craignent d’être jugés trop peu disponibles.

sans passer par une demande explicite des supérieurs, est susceptible d’imprégner for‑ tement l’esprit des jeunes cadres. Reste que cet investissement passionné, et parfois sans limite, comporte son lot de risques : stress, hyperdisponibilité et parfois même burn-out. « Le droit s’empare progressive‑ ment de cette question. Mais pour l’heure, on n’a pas vu émerger de contre-pouvoir », regrette la sociologue. Et en effet, cette forme de management n’est encadrée par aucune organisation collective. LE COMPROMIS DU TÉLÉTRAVAIL

Répondant aux mêmes besoins de liberté, d’intimité et d’aménagement du temps per‑ sonnel, le télétravail est plébiscité. Fin 2016, cette forme de travail était accessible à plus de 36 % des salariés dont 70 % de cadres1. Il y a six ans, Florence2, consultante interne en banque, a fait le choix d’une formule de télétravail à deux jours par semaine. « Tout de suite, on casse le rythme du “métro, boulot, dodo”, affirme-t-elle. Je l’ai perçu comme l’opportunité de souffler. » À pre‑ mière vue, les avantages se révèlent nom‑ breux : possibilité de faire des choses chez soi entre deux tâches professionnelles, plus

aucune contrainte de trajets et moins de perturbations extérieures telles que les dis‑ cussions de bureau. « Mon organisation m’appartient totalement. Si je le souhaite, je peux commencer très tôt, m’accorder une longue pause déjeuner et finir très tard », précise Florence. Mais la tentation de s’écarter des horaires établis se substitue peu à peu à son sentiment de liberté. « Il m’est arrivé de faire des journées de travail non-stop, de me laisser embarquer dans une tâche et d’oublier de déjeuner », se sou‑ vient-elle. Quelques flyers de la médecine du travail lui ont rappelé la nécessité de faire des pauses régulières au cours de la journée. Mais elle a surtout dû compter sur son autodiscipline. Pascal Thobois rappelle que cette forme de travail n’est pas exempte de dérives mana‑ gériales. Pour augmenter la charge de tra‑ vail, « le chef d’entreprise peut jouer de cette souplesse horaire », note-t-il. Quand elle a commencé le télétravail, Florence a eu ­accès à un site collaboratif mis en place par les ressources humaines pour échanger avec d’autres télétravailleurs. « Cela permet de partager des conseils, comme savoir à quel ­moment on en fait trop, gérer le contrôle à distance, ­explique-t-elle. En théorie, la discipline va dans les deux sens. Il doit y avoir une relation de confiance avec l’employeur pour que cela fonc‑ tionne. » Mais la théorie ne résiste pas tou‑ jours à l’épreuve de la pratique. Seulement un télétravailleur sur deux estime que ce mode de travail a un impact positif sur son équilibre de vie1. MARGAUX DEULEY ET ÉMILIE METTE

(1) Enquête Blurring, menée par PageGroup.  (2) Le prénom a été changé.

Pour rayonner, les entreprises innovantes ont compris qu’il y avait une partition à jouer : celle du rêve. « Dans les start-up, on fait la promesse de réaliser les rêves d’en‑ fant. Les salariés sont incités à exprimer leur créativité, à projeter leur désir d’avoir un impact sur le monde », analyse Isabelle Berrebi-Hoffmann. L’employé qui veut ­s’accomplir à travers son travail est ainsi ­invité à se donner avec passion et, par ­extension, à ne pas compter ses heures. « C’est exactement la tactique des hackathons, par exemple », remarque la sociolo‑ gue. Cette contraction des mots « hack » et « marathon » désigne un travail d’équipe i­ntensif sur un projet à boucler en une nuit, ou un week-end. « Les start-up jouent sur le sentiment d’émulation ou de camaraderie pour stimuler la productivité de leurs ­salariés. » Une incitation à l’excellence qui,

Google compte 70 bureaux dans 50 pays. À l’intérieur, des espaces de travail destinés à créer une ambiance conviviale et intimiste.

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Photos : Peter Würmli

STIMULER LA PRODUCTIVITÉ


L’OPEN

TRAVAIL

OPEN STRESS Un bruit permanent. Celui du téléphone d’abord, puis les discussions entre voisins de bureaux et, enrobant tout cela, les invectives des différents responsables. L’open space (espace ouvert) est un lieu de distraction comme de stress. Les nuisances sonores perturbent près de six salariés sur dix. Selon Gloria Mark, chercheuse à l’université d’Irvine en Californie, il faut vingt-trois minutes à un individu distrait pour se reconcentrer. Tout ce temps perdu coûte en moyenne 4 510 euros par an et par salarié.

INTIMITÉ EN CRISE Au cours de la journée, chacun a besoin de s’extraire de son environnement de travail pour se retrouver avec soi-même. Mais cela semble bien difficile lorsque le premier collègue se trouve à seulement quelques mètres de soi. Le casque audio devient vite un allié précieux lorsqu’il faut se concentrer et que l’intimité vient à manquer.

BUREAUX PANOPTIQUES

Illustration : Léone Naigre

Dans les open space, conversations téléphoniques, attitudes, heures d’arrivée et de départ se font sous les regards des supérieurs hiérarchiques. Ces derniers épient, prêts à sanctionner le premier écart, la ­première tête se levant de son poste. « Mieux, les salariés se surveillent les uns les autres. Insensiblement, chacun en vient à s’autosurveiller », explique Alexandre des Isnards dans son livre L’open-space m’a tuer.

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SPACE À LA LOUPE

TRAVAIL

DISCOURS MANAGÉRIAL L’efficacité au bureau passe par la commu­ nication, la transparence, la fluidité et le travail d’équipe. Les chefs d’entreprise abattent les murs et installent les salariés dans un espace ouvert, justifiant cela par une réduction des distances entre les employés. Mais sans intimité, la cohabitation n’est pas toujours évidente.

RENDEMENT À LA MOQUETTE L’une des principales raisons des open space est l’économie de l’espace qui permet de rentabiliser des immeubles coûteux. L’espace par poste de travail était de 25 m2 en moyenne dans les années soixante-dix. ­Aujourd’hui, il n’est plus que de 15 m2. Ces bureaux modulables et uniformisés ­peuvent facilement changer de locataire. Les bureaux individuels sont désormais minoritaires : 57 % des salariés travaillent dans des bureaux collectifs dont 18 % en open space.

PIEDS SUR LE FREIN Après des décennies passées à poursuivre des objectifs de rentabilité, certaines entreprises commencent à se rendre compte qu’elles sont allées trop loin avec ces grands espaces ouverts. Dans les bureaux, le mal-être est là. À défaut de faire marche arrière, repenser l’espace de travail est aujourd’hui indispensable. De grandes societés comme Google et Facebook ont d’ailleurs pris des initiatives en ajoutant aux open space des espaces plus personels et des aires de divertissement pour les employés.

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THIERNO BAH


PORTFOLIO

RÉVÉLER LA FOI EN SOI DES CROYANTS ONT ACCEPTÉ DE TÉMOIGNER DE LEUR RAPPORT À DIEU. BIBLE, CHÂLE, YEUX CLOS, BRAS CROISÉS… AUTANT D’OBJETS UTILISÉS ET DE POSTURES ADOPTÉES EN SIGNE D’HUMILITÉ, AU COURS DE PRIÈRES ÉMISES À HAUTE VOIX OU DANS LEUR CŒUR.

PAGES RÉALISÉES PAR ANA BOYRIE, CLOTILDE COSTIL, HENRY GIRARD, MAËVA GROS ET AUDE SIOUL-TIDAS. (TEXTES ET PHOTOS)


Rojda Tayfun, étudiante tur-

que, musulmane (à gauche). Rojda a commencé à se couvrir la tête avant de se convertir à l’islam. C’était une évidence pour elle, un besoin venu de l’intérieur. Cela fait trois ans qu’elle porte le foulard. Il représente son lien le plus intime à la religion, qu’elle décrit comme « un style de vie basé sur des valeurs fondamentales comme la paix, la justice et la fraternité ». Sarah Léger, chrétienne pratiquante (à droite). Les objets de prière de Sarah sont sa bible et son tallith, châle traditionnel utilisé à Jérusalem. Chaque soir, ce moment de ­communion avec Dieu allie joie et dévotion. La chrétienne chante et rythme les refrains avec un tambourin ou en tapant des mains. « La musique est une prière multipliée par deux », glisse-t-elle, en référence à un verset biblique. Sœur VanAuker, missionnaire de l’église mormone américaine (en bas à gauche). Les objets rituels sont pratiquement absents des lieux de culte dans la religion mormone. Sœur VanAuker prie simplement les bras croisés et la tête baissée mais garde toujours sa médaille, sur laquelle est représenté un temple mormon. Les prières sont récitées dans le calme à tout moment de la journée.


Sœurs bénédictines

de la basilique Saint-Martin de Tours. « Prier, c’est un cœur à cœur avec le Seigneur. » Tous les jours de 16 heures à 18 heures, les sœurs bénédictines se rassemblent. Chacune s’agenouille devant l’autel pour « être présente à celui qui est présent », selon les paroles de sœur Marie-Agathe.

Père Vu Van Tho,

prêtre de l’église de la Rabière à Joué-lès-Tours. « La prière, c’est une paire d’ailes que le Seigneur nous offre pour nous rapprocher de Lui. » Ainsi s’exprime le père Vu Van Tho. Il prie le matin, le midi et le soir. Une union avec Dieu dans laquelle il reproduit des gestes de bénédiction utilisés pendant la messe.


Pasteur Akué de la

Mission d’œuvre évangélique du Rocher à Joué-lès-Tours. Le dimanche aprèsmidi, le pasteur Akué s’accorde un moment seul avec Dieu pour se repentir, louer et demander grâce avant de prêcher devant son assemblée de croyants.


INTERNATIONAL

GAGNER GROS PEUT COÛTER CHER

Zenovij Pacholuk venait de terminer de dîner lorsqu’il a validé ses trois billets de loterie achetés un peu plus tôt. Les trois se révèlent gagnants : les deux premiers lui font gagner deux fois 12 dollars canadiens (un peu plus de 8 euros). Le dernier lui permet d’empocher le gros lot. Il vient de gagner 27 millions de dollars canadiens (environ 18,6 millions d’euros). C’est le deuxième plus gros lot ­jamais distribué au Québec. Nous sommes fin mai 2007. Tout s’enchaîne très vite pour l’heureux gagnant, son épouse et leur fille de 3 ans. Le chèque leur est remis sous l’œil des photographes et une conférence de presse est organisée par Loto-Québec, la société d’État qui gère tous les jeux d’argent dans la province. L’histoire de ce couple fait le tour des médias et remonte jusqu’aux oreilles de Scarlott Edwin Mata Lima, un sans-papiers de 18 ans originaire du Mexique. Compilant toutes les informations disponibles sur la famille, il planifie l’enlèvement de la mère et de la fille afin de demander une rançon au père. Finalement, dénoncé par son colocataire, la police l’arrêtera à temps. OBJECTIF TRANSPARENCE

Si la divulgation des identités a cessé quelques mois après cette affaire, elle a repris pour tous ceux qui gagnent plus de 10 000 dollars canadiens (environ 7 000 euros). Sur la liste des gagnants, disponible sur le site de Loto-Québec, figurent leurs nom et prénom, leur lieu de résidence et leur photo chèque en main. Impensable en Europe où les gagnants restent généralement anonymes. « Notre objectif, c’est d’être transparent par rapport aux gagnants, explique Danny Racine, conseiller en relations de presse à Loto-Québec. Si jamais l’un d’eux refuse de dévoiler son identité auprès du public, nous suspendons évidemment le lot. » Entre le moment où le prix est réclamé et celui où l’identité est dévoilée, Loto-Québec attend plusieurs jours. « On leur laisse le temps de faire retomber la pression et de contacter leurs proches, poursuit Danny Racine. On leur conseille de partir en voyage quelques jours et de rencontrer des professionnels qui vont pouvoir gérer leur argent. » Jessica Lefrançois est l’une des plus jeunes ­gagnantes du ticket de grattage Gagnant à vie. Le gros lot ? 1 000 dollars canadiens (700 euros) par ­semaine jusqu’à la fin de sa vie. « Je n’en achetais vraiment jamais avant, raconte-t-elle. J’étais à l’épicerie lorsque quelqu’un devant moi en a acheté un. Ça m’a donné envie. » Bien lui en prend : le soir, elle gratte son ticket et découvre les trois sabots d’or.

CNW

AU QUÉBEC, LES GAGNANTS DU LOTO ONT L’OBLIGATION DE RÉVÉLER LEUR IDENTITÉ PUBLIQUEMENT POUR RECEVOIR LEUR LOT.

L’épouse et la fille de Zenovij Pacholuk ont failli être enlevées après sa victoire au loto.

Elle ­réclame son prix et la machine s’emballe. « Je n’ai pas eu d’autre choix que de révéler mon identité », explique la jeune femme. Loto-Québec, en plus de divulguer son identité, lui organise de nombreux passages dans les médias québécois. « Cela m’a permis de faire passer des messages à la jeunesse : dire que la roue tourne et que, dans la vie, il faut toujours garder espoir », confie-t-elle aujourd’hui. Une émission de télévision diffusera son nom de famille alors qu’elle souhaitait ne dévoiler que son prénom. Danny ­Racine ­défend cette politique : « Nous restons maîtres de l’information, nous encadrons la nouvelle. Nous sortons un communiqué de presse avec une petite histoire, nous organisons une conférence de presse et quelques fois des passages médiatiques. » Il ­explique qu’ainsi, les ­gagnants ne sont pas harcelés et que quelques jours plus tard, plus personne n’en parle. Bien que les requêtes judisoient rares, quelques Sur le site de Loto- ciaires gagnants ont entamé des Québec figurent les nom et procédures. Me Pierre-André prénom des gagnants, leur Viens, avocat à Terrebonne, lieu de résidence et a défendu quelques dossiers leur photo, chèque en main. que le secret professionnel lui interdit de commenter. ­Jessica Lefrançois se souvient avoir dû désactiver son compte Facebook pendant deux jours : « J’ai reçu des centaines de messages et des dizaines de demandes d’ajout en ami. » Moins d’un an après avoir gagné, le nom de Jessica ­Lefrançois figure toujours sur Internet. « Je me ­méfie des gens qui me parlent trop de ça. Généralement, je m’en éloigne. » AUBIN LARATTE À MONTRÉAL (CANADA)

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Illustration : Pierre Moirin

DOSSIER

L’ŒIL DU NET

Le Web brouille les frontières de l’intime. On publie sur Facebook, Twitter, Instagram, on contrôle sa maison à distance grâce à son Smartphone… Dans un monde où les objets numériques se fondent dans notre quotidien, les risques de cybersurveillance sont réels. Mais ces nouvelles technologies peuvent aussi s’avérer la solution pour protéger nos données personnelles.

LA COURSE AUX LIKES AIMER, COMMENTER, PARTAGER. AUTANT D’INJONCTIONS QUI PONCTUENT NOS FILS D’ACTUALITÉ SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX. CERTAINS DÉNONCENT UN ESPIONNAGE CONSENTI. D’AUTRES EN FONT UNE FORCE.

BIG BROTHER IS WATCHING YOU

LA MAISON CONNECTÉE EST DEVENUE LE NOUVEAU LABORATOIRE DE L’EXPLOITATION DE NOS DONNÉES.


DOSSIER

Charlène Torres/EPJT

Tous les moments de la vie quotidienne sont bons à être saisis pour être projetés sous le regard des autres.

L’AVIS DES AUTRES

AVEC L’OMNIPRÉSENCE DES RÉSEAUX SOCIAUX, LES FRONTIÈRES ENTRE LA VIE EN LIGNE ET HORS-LIGNE SE SONT BROUILLÉES. AUJOURD’HUI, L’INTIMITÉ EST DE PLUS EN PLUS EXPOSÉE ET MISE EN SCÈNE.

F

acebook, Twitter, Instagram. Sur l’écran, des dizaines de photos et de vidéos défilent. Du gros plan sur un baiser au cliché dérobé en fin de soirée, en passant par la femme enceinte qui exhibe son ventre nu, chacun dévoile son intimité. Avec plus ou moins de ­retenue. Depuis l’émergence des blogs, les internautes sont encouragés à exposer une image de ce qu’ils sont. Bienvenue au royaume de la transparence. En mars 2017,

le magazine « 50 min Inside, l’actu » (TF1) consacrait un reportage à Roxanne, Alex et leur fille Mila. Le couple fait partie des ­premiers à s’être lancé dans le vlog ­(contraction de vidéo et de blog) ­familial. Dans chacune de leurs vidéos, la jeune mère filme leur vie quotidienne : ­premiers pas de la petite, challenge pâte à modeler (sans leur fille !), caca sur le pot… Tout y passe. Le tout est ensuite diffusé sur leur chaîne YouTube, découpé en vidéos d’une Innova

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­ uinzaine de minutes. Absurde ? Pourtant, q la famille est déjà suivie par quelque 280 000 ­abonnés. Le dévoilement de l’intimité est devenu un art de vivre poussé à ­l’extrême. Partager sa virée au ­supermarché, comme eux, ou poster une simple ­photographie de paysage, c’est rechercher une certaine forme de reconnaissance à travers des posts (publications). « Les ­usagers sont dans une sorte de quête ­d’Audimat : avec les commentaires et les


UNE VITRINE DE PERFECTION

Charlène Torres/EPJT

L’arrivée des réseaux sociaux n’a donc fait qu’alimenter le ­phénomène. Même les ­Internautes les moins actifs avouent les ­utiliser pour suivre les actualités de leurs contacts. La ­psychologie a d’ailleurs mis un nom sur ce ­phénomène : la « pulsion ­scopique » ou désir de voir ce qui devrait être caché. ­Exacerbé par les réseaux sociaux, il donne une impression de ­proximité. Utilisatrice régulière, ­Dominique Gros en convient : « J’ai parfois ­l’impression d’être plus proche d’amis qui publient ­souvent que d’amis que je vois plus ­régulièrement mais dont, ­finalement, je ne connais pas tous les centres d’intérêt, les voyages ou parfois même les ­opinions. » En ligne, il existe un effet pervers à ­parcourir ­machinalement les profils de ses ­fréquentations : « On commence à regarder ce que les autres veulent nous montrer, leur vie qui a toujours l’air ­parfaite et on se met à faire pareil. C’est un cercle vicieux », ­témoigne Tiphaine Pestourie, 21 ans et adepte de nombreux réseaux ­sociaux. Les utilisateurs ne peuvent passe­r à côté de cette vitrine de perfection mise en place par leurs contacts. Elle peut créer un sentiment d’infériorité et provoquer la jalousie.

Les réseaux sociaux fourmillent d’artistes qui trouvent là leur public.

­ ichael Stora évoque d’ailleurs l’« effet M ­dépressiogène » des réseaux sociaux : si les likes et les commentaires positifs peuvent être une source de reconnaissance et de ­satisfaction pour les usagers, le ­psychologue prévient qu’à l’inverse, ne pas en ­recevoir

Anaïs Barbeau, dite « la bloggeuse à roulettes », a fait de son blog une échappatoire, une thérapie, pour elle et pour ses lecteurs.

peut être mal vécu, voire ­engendrer un sentiment de déprime. Avec le recul, ­Tiphaine s’en amuse et le ­reconnaît : « Les photos des jolies filles ­donnent envie de leur ressembler. Du coup, je me suis mise à faire des squats (exercices de flexions) dans ma salle de bains. » Elle se désole d’être « presque tombée dans le ­panneau » de l’uniformisation à laquelle peuvent pousser Facebook, Instagram et consorts. JimT Photography

likes, les contacts vont remplir une jauge narcissique », explique Michael Stora, ­psychologue spécialiste du numérique. Grâce aux réseaux sociaux, chacun semble pouvoir accéder à son « quart d’heure de gloire » auprès d’Internautes curieux. Mais n’accablons pas Internet. La presse people et les émissions de téléréalité ont ­largement ouvert la voie. Preuve que l’être humain aime s’immiscer dans la vie d’autrui.

AFFICHER SA SINGULARITÉ

Malgré tout, Tiphaine admet que les ­réseaux sociaux ont eu un effet positif dans sa vie. Il y a quelques années, ils lui ont donné assez d’assurance pour révéler son goût pour la musique et le chant. Par ­timidité, cette passion, elle ne la partageait jusqu’alors qu’avec sa famille et ses amis proches. « Un jour, j’ai ­enregistré une vidéo où je chantais et je jouais de la guitare. Je l’ai mise en ligne. Tous mes amis ont été super surpris, et p ­ lutôt dans le bon sens. » Après les premières vidéos postées, elle s’est sentie à l’aise avec cette partie d’ellemême qu’elle avait jusqu’alors gardée secrète. S’ils n’avaient pas été dévoilés sur les réseaux ­sociaux, les talents ­musicaux de la jeune femme ­seraient sans doute demeurés méconnus, bien dissimulés derrière le ­rideau de la douche et par le bruit de l’eau dans la salle de bains. Étudiante en art, Tiphaine utilise aussi le réseau Instagram afin de partager ses multiples réalisations artistiques tels que dessins et vidéos… Les possibilités d’utilisation des réseaux ­sociaux sont multiples. Libre aux Internautes d’en disposer à leur guise. Anaïs Barbeau l’a bien compris. En ligne, elle est plus connue comme la « bloggeuse à roulettes ». La jeune femme utilise Innova

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LE PLUS avant même d’être ­inscrits sur les réseaux sociaux, une m ­ ajorité d’enfants a déjà une présence ­numérique. Ce sont leurs parents qui les y exposent. Un enfant peut porter plainte contre ses parents pour atteinte au droit à l’image à sa majorité. La prescription est de dix ans.

son fauteuil roulant comme élément d’identification sur le Net. « J’accepte totalement mon handicap donc ça ne me dérange pas de l’exposer aux yeux des gens. Je souhaite montrer qu’une femme en fauteuil peut se sentir aussi belle que n’importe quelle autre. » Passionnée de mode et de beauté, elle partage sur son blog tests de produits et histoires personnelles. Toujours à la recherche de la bonne photo, du bon article, cette Toulousaine de 24 ans considère son blog comme un espace où elle peut laisser parler sa créativité. Elle y trouve une échappatoire. « J’ai toujours ressenti ce ­besoin d’écrire comme exutoire d’un ­quotidien parfois un peu lourd. C’est une thérapie pour moi. » Une ­thérapie qui aide également ceux qui la lisent. Parfois, il lui arrive même de poser face à l’objectif, comme une professionnelle de la mode. « Quelques-uns de mes abonnés me disent que je leur donne la force de s’assumer ­autant que moi. Et en retour, cela me donne encore plus l’énergie et l’envie de ­continuer. » Anaïs Barbeau, « bloggueuse à roulettes » : deux identités, une seule ­personne. Longtemps ­considérés comme distincts, les mondes en ligne et hors-ligne interagissent en ­permanence. La frontière entre les deux est devenue poreuse. Si les journaux et les ouvrages scientifiques ont tendance à mettre l’accent sur les ­conséquences ­néfastes, Tiphaine et Anaïs sont la preuve vivante que dévoiler son ­intimité sur les ­réseaux sociaux peut aussi être un choix bénéfique. MAËVA GROS, CORENTIN LACOSTE ET CHARLÈNE TORRES


REPORTAGE

SÉOUL SOUS­SURVEILLANCE

Ophélie Surcouf/EPJT

Le moniteur de Cisco agit comme Google Maps. On peut naviguer sur la carte, zoomer, dézoomer, double cliquer sur un bâtiment pour accéder à ses caméras.

EN FRANCE, PARLER DE VIDÉOSURVEILLANCE FAIT ENCORE DÉBAT. EN CORÉE DU SUD, DES CAMÉRAS HYPER SOPHISTIQUÉES SONT PRÉSENTES DANS TOUS LES MAGASINS ET DANS TOUTES LES ÉCOLES. POUR LES CORÉENS, TANT PIS POUR LEUR INTIMITÉ, DU MOMENT QU’ELLES ASSURENT LEUR SÉCURITÉ.

E

n janvier 2015, une vidéo d’un enfant de 4 ans, frappé par son professeur et jeté au sol, ­devient virale en Corée du Sud. Elle a été prise par une caméra de surveillance dans une garderie à ­Incheon, à l’ouest de Séoul. Pendant des mois, elle nourrit de nombreux débats à la télévision et sur les réseaux sociaux. Le 30 avril 2015, le Parlement ­coréen vote ­finalement la loi réclamée par la population et surtout par les parents en colère : il ­devient obligatoire d’installer des caméras de surveillance dans les garderies. En ­décembre de la même année, 99 % d’entre elles sont équipées. « Je crois que c’est à ce moment‑là que les Coréens ont réalisé ce que pouvaient ­accomplir les caméras de surveillance », ­explique Brian Song, responsable du déve‑ loppement international d’Idis. Cette ­compagnie coréenne manufacture des ­caméras, des enregistreurs et des moni‑ teurs. Elle phagocyte 40 % des parts du marché ­national de la surveillance. « Cette période a été un gros boom économique pour notre compagnie, poursuit‑il. Les gens ont réalisé que les ­caméras de sur‑ veillance enregistraient en haute définition et que les prix et les installations étaient

a­ ccessibles aux ­particuliers. » Séoul compte plus de 4 millions de ­caméras. Seulement 10 % sont la propriété du gouvernement, les 90 % restantes a­ ppartiennent au privé. La sécurité est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle de plus en plus de parents ­affluent à Songdo, située au sud d’Incheon. Cette ville est étiquetée smart city, avec ses caméras installées à tous les coins de rue. La compagnie high‑tech qui règne en maître dans la ville est Cisco. Au sommet d’un des plus grands buildings de l’agglo‑ mération se trouve son showroom où sont exposés ses derniers produits : caméras de surveillance, enregistreurs pour stocker et analyser les données et, dernière innovation en date, un système de moniteurs informatiques où sont diffusées les données filmées. La compagnie américaine a mis au point un nouveau système basé sur une carte interactive, type Google Maps. Sur l’écran, des images ­vidéo capturées par les caméras sont disposées en miniature sur la carte. On peut zoomer, dé‑­zoomer. On peut double‑cliquer sur un ­bâtiment et accéder à toutes les images des caméras intérieures. Si un risque est détecté, un énorme Innova

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écran rouge apparaît sur la droite et affiche l’identité (photo, nom et adresse) de la per‑ sonne qui possède l’appartement concerné. Victor Park, développeur de solutions à Cisco, en est particulièrement fier : « Le gouvernement voulait que l’on puisse voir plus de détails et qu’il n’y ait pas d’angle mort. Ce système de visualisation permet d’avoir une vue d’ensemble et d’agir vite. L’aéroport d’Incheon l’utilise déjà et il est aussi populaire à Singapour. » Sans surprise, la Corée est un pays très ­novateur dans le domaine. Peu importe si une caméra connaît votre nom, votre âge et votre origine rien qu’en quadrillant votre

D’après le chercheur Mun Cho Kim, si la Corée du sud réagit aussi peu à l’intrusion des caméras de vidéo surveillance dans la vie privée, c’est en partie dû à la situation tendue avec la Corée du Nord.


DOSSIER

Idis

À Songdo, des caméras de surveillance sont disséminées partout en ville.

visage tant que cela permet de rendre le pays plus sûr. D’ailleurs, il n’y a pas que les Coréens qui apprécient les caméras de ­surveillance de Songdo. Ginger Puffer est une enseignante américaine de la Chadwick School, une école internationale de la ville. Chez elle, elle utilise le système ­HomeNet, qui relie les lumières de la maison, la son‑ nette de la porte d’entrée, le chauffage, la télévision. Le dispositif lui donne aussi ­accès aux caméras de surveillance du bâti‑ ment. Elle peut ainsi garder ses enfants à l’œil lorsqu’ils jouent dans le parc de l’im‑ meuble sans ­bouger de son salon. Quant aux caméras, elles aussi travaillent à repérer les menaces. Depuis plusieurs ­années, les systèmes de surveillance sont presque tous équipés d’une technologie ­appelée video analytics. Chez Cisco, ce sont les caméras qui analysent ce qu’elles voient. Chez Idis, c’est l’enregistreur qui interprète les données grâce à des algorithmes. ­Parmi les fonctions classiques des caméras, le comptage des personnes ou la ­détection de leurs mouvements. « Les ­caméras ­peuvent enregistrer la plaque d’immatricu‑ lation d’un véhicule, explique Victor Park. Si quelqu’un n’a pas payé son ticket de ­parking, il est facile pour l’entreprise de le savoir grâce à ces nouvelles options. »

f­ aciale », ajoute Brian Song. Détecter un anodin, ce qui peut être très dangereux. ­visage est simple. Et pratique pour les ven‑ D’un autre, il n’y ­a pour l’instant pas de deurs qui veulent savoir quelles personnes meilleure solution pour notre sécurité. sont entrées dans leur magasin. Mais Comment repérer un pickpocket, si ce n’est ­reconnaître un visage implique des cen‑ avant et après son crime ? L’acte en luitaines de paramètres. Grâce à la haute défi‑ même est tellement ­rapide que c’est quasi‑ nition, les résultats s’améliorent, la recon‑ ment impossible pour un œil humain. » naissance biométrique progresse. Mais les D’après le chercheur Mun Cho Kim, dans recherches sont encore en cours : il est pour son article « Surveillance, Technology, Pri‑ le moment ­très difficile d’identifier quel­ vacy and Social Control », si la Corée réagit qu’un à distance. Ce qui n’empêche pas les aussi peu à l’intrusion de la technologie Coréens d’essayer. Une équipe de cher‑ dans la vie privée, c’est en partie dû à la cheurs de l’université ­situation tendue avec la de Chosun, à Gwangju, Corée du Nord. Le a mis au point une LE CHIFFRE peuple est très ­technique de recon‑ conscient de l’impor‑ millions de tance de la sécurité naissance grâce à la caméras, ­collective. Elle compte couleur des vêtements au moins, sont installées dans plus que la vie privée et à la taille des gens. les rues de Séoul. Seulement d’un individu dans la Mais ­aujourd’hui, cette 10 % sont la propriété du société confucianiste technologie n’est pas gouvernement, les 90 % de la Corée du Sud. Le encore au point. La photographe néer‑ restantes appartiennent au privé. chercheur avertit tou‑ Une loi, votée le 30 avril 2015, tefois son lecteur : « Il landaise Esther Hovers oblige à l’installation de faut développer une a voulu questionner l’imperfection de la sur‑ caméras de surveillance dans les nouvelle manière d’ex‑ garderies coréennes. veillance urbaine. Elle a pliquer les risques de ­la posé ses appareils pho‑ surveillance numérique. to dans le quartier d’affaires de Bruxelles. Car derrière les avantages, il y a des fonc‑ Ses clichés saisissent ces moments où les tions cachées qu’il nous faut pouvoir caméras se trompent – des Faux positifs, le ­comprendre et identifier dans ce nouveau nom de ­l’exposition – en raison de leur monde, transparent et digital. » ­incapacité à comprendre le contexte. Si les En attendant, un an après l’installation des caméras l’inquiètent, Esther Hovers a tout caméras dans les garderies, le ministère de de même du mal à mettre de côté l’argu‑ la Santé coréen a annoncé que la violence ment sécuritaire, tout comme les Coréens : physique aurait diminué envers les enfants, « D’un côté, les ­caméras intelligentes se mais les maltraitances psychologiques, trompent au moins une fois sur dix en elles, auraient augmenté. ­accusant un ­comportement parfaitement OPHÉLIE SURCOUF, À SÉOUL (CORÉE)

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Au siège social d’Idis, Brian Song renchérit : « Aujourd’hui, on peut détecter si quelqu’un erre devant une maison. S’il ­fait des ­allers‑retours, la caméra le repère et ­envoie directement une alerte sur le Smartphone, ­l’ordinateur ou la tablette ­­du propriétaire. Les modèles standards ­proposent même le rayon laser tels qu’on les voit dans les films : si quelqu’un passe devant, il ­déclenche l’alarme. » À l’université de Yonsei, des ­milliers de caméras ont été ­installées il y a quelques années et sont équipées d’un ­détecteur de son : si quel­qu’un passe en criant, il est signalé. « Le plus complexe ­aujourd’hui, mais aussi le plus intéressant, c’est la reconnaissance

La performance des outils de surveillance est telle qu’elle ­permet de détecter les moindres détails. Rien n’échappe aux agents de sécurité du privé comme du public.

Innova

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Idis

UNE TECHNOLOGIE PERFECTIBLE


DOSSIER

OBJETS CONNECTÉS

SOURIEZ, VOUS ÊTES TRAQUÉS

BIBERONS, MONTRES, FRIGOS CONNECTÉS… LES OBJETS DU QUOTIDIEN SE TRANSFORMENT EN ORDINATEURS CAPABLES D’AMÉLIORER NOS VIES. EXPLOITÉES PAR CES MACHINES EN RÉSEAU, NOS DONNÉES PERSONNELLES SE PERDENT DANS LE BIG DATA. CE NOUVEAU SYSTÈME EST FONDÉ SUR LA MONÉTISATION DE NOTRE INTIMITÉ NUMÉRIQUE. QUE DEVIENT‑ELLE ET À QUI PROFITE‑ELLE ?

C

Thomas Neumann/EPJT

e matin, Léna, jeune femme active de 35 ans, s’est levée tôt. Elle n’a pas eu besoin de ­programmer son réveil. Il a sonné à 6 h 30 car son agenda indique qu’elle a une réunion à 8 heures. Son réveil sait qu’il lui faut en général ­quarante‑cinq minutes pour se préparer ainsi que quarante minutes de transport pour arriver au travail. Son café sera déjà prêt avant même qu’elle n’arrive dans la cuisine. En détectant son départ, le ­chauffage baissera de lui‑même la tempéra‑ ture et les lumières s’éteindront.

La maison de Léna ne vient pas tout droit du futur. Elle existe déjà. Et c’est grâce aux objets connectés, ces capteurs reliés en ­réseau qui collectent des données. Tous communiquent entre eux et rendent la maison intelligente. « Selon les estimations, 30 milliards d’objets connectés seront en circulation dans le monde en 2020. Soit 6 ou 7 objets par personne », soulève Blaise Mao, rédacteur en chef d’Usbek et Rica, un magazine spécialiste du futur. L’objet connecté que Léna utilise le plus est aussi celui qui la connaît le mieux. Elle confie un grand nombre de données à son

De nouveaux objets connectés arrivent chaque année dans les magasins. Plus de performances pour masquer l’intrusion.

Innova

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Smartphone : où elle va, avec qui elle dis‑ cute, ce qu’elle aime, ce qu’elle achète, etc. En surfant sur la Toile, elle laisse des traces. Des traces numériques. « On clique mais on ne lit jamais les fameuses conditions d’utilisation, elles évoluent constamment. […] Tout cela n’a qu’un objectif en réalité : nous faire accepter l’inacceptable, que toutes nos données soient stockées puis réutilisées pour un usage ultérieur ou diffé‑ rent », explique la journaliste ­Coline Tison dans son livre Internet : ce qui nous échappe. LA GRATUITÉ SE PAIE

Pourtant, Léna aime utiliser les services gratuits qu’elle a installés parce qu’ils sont très pratiques. Elle ne se perd jamais grâce à Google Maps, commande ses livres sur Amazon et communique avec tous ses amis sur Facebook. Mais la gratuité se paie. Et ses données en sont la monnaie d’échange, grâce au tracking. Le but de ­celui-ci est de définir un « profil » pour mieux cibler les internautes et leur propo‑ ser de la publicité personnalisée. Plus concrètement, le tracker est un programme (appelé script) qui récolte des informations sur les actions effectuées. Il les envoie à ce qu’on appelle les outils statistiques du site Web visité. Les cookies, des fichiers instal‑ lés insidieusement sur notre ordinateur, font partie des méthodes de tracking. Ils permettent de stocker les données person‑ nelles. C’est la raison pour laquelle le site que Léna a consulté va se rappeler d’elle et lui proposer des produits. Parfois, on auto‑ rise l’accès à nos données, d’autres fois, elles sont récoltées « sans l’accord de l’utili‑ sateur », s’inquiète Blaise Mao.


Emilie Veyssié/EPJT

DOSSIER

Avec les maisons connectées, les technologies numériques ont franchi un pas de plus dans leur évolution. Cette intrusion tacite dans le quotidien des consommateurs est déguisée en une promesse de tranquillité et de sécurité.

C’est à la naissance d’une nouvelle écono‑ mie, celle de la donnée, que nous assistons aujourd’hui. Les bénéfices de l’industrie de récupération des données se chiffraient déjà à plusieurs milliards de dollars en 2013 selon le Financial Times. Alors qu’en dire aujourd’hui ? Pour les curieux, le site du média met même à disposition un outil permettant de calculer combien valent nos données1. C’est là que Léna commence à douter sérieusement : « Mais qui prend toutes mes données ? Et pour quoi faire ? » L’industrie publicitaire est la partie visible de l’iceberg. L’eldorado de la publicité ­ciblée n’est possible qu’en connaissant les profils des internautes et mobinautes. Les fournis‑ seurs d’accès Internet, les opérateurs ­mobiles et les acteurs de services ­numériques (moteurs de recherche, ré‑ seaux sociaux, etc.) détiennent et analysent toutes ces données et les revendent aux marketeurs. Les données d’une per‑ sonne se monnayent entre 0,10 et 1,50 dollar aux États-Unis (entre 0,9 et 1,4 euro) le plus souvent vendues sous la forme de pack de données de 1 000 personnes. C’est ce sur quoi les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) ont basé leur modèle éco‑ nomique. Sachant qu’il y a 3,7 mil‑ liards d’Internautes2 en 2017, on ­atteint vite des sommes considé‑ rables. « Google a très vite compris

que grâce [aux données] il pouvait gagner gros. Nous payons les services que nous uti‑ lisons avec quelque chose de plus précieux que l’argent : nos ­informations ­personnelles et celles de nos amis. Nous n’avons aucun contrôle sur ces données et aucune idée de la manière dont elles sont gérées », écrit le groupe de recherche indépendant Ippolita dans Internet, ­l’illusion démocratique. « Peu m’importe si les Gafa collectent mes données. De toute façon, je n’ai rien à ­cacher », lance Léna. Mais cette sur‑ veillance de masse porte atteinte à son inti‑ mité. « Certaines informations person‑ nelles comme celles sur la santé sont vitales. Les collecter, c’est réaliser un suivi très intrusif », affirme Julien Lausson, jour‑ naliste à Numérama, média en ligne qui s’intéresse aux nouvelles technologies. Le journaliste craint même un avenir dénué de vie privée : « Elle disparaîtrait dans une

La surveillance est actuellement ubiquitaire, y échapper devient presque impossible. »

OKHIN, SALARIÉ DE LA QUADRATURE DU NET

Innova

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maison connectée. » Okhin, salarié de la Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Inter‑ net, questionne quant à lui la pertinence de certains objets connectés : « Avoir un sex‑ toy connecté qui envoie des données sur son activité sexuelle à des personnes dont on ignore l’existence est problématique. » Le ­développement des objets connectés et des nouvelles technologies ­donnerait lieu à une sorte de vie publique permanente. LES BANQUES ET LES ASSURANCES AUSSI

Les parties immergées de l’iceberg sont les compagnies d’assurance, les laboratoires et les banques. Ces ­organismes achètent les données personnelles de leurs clients. Ils mettent aussi à leur disposition des appli‑ cations et des objets connectés en échange de réductions sur leurs assurances. Ils col‑ lectent alors directement ces données avec, par exemple, les applications Allianz Conduite connectée ou YouDrive de ­Direct Assurance. Et si, en analysant les données du bracelet connecté de Léna, son assureur constatait qu’elle ne se ­dépensait pas assez, ne dormait pas bien et avait en plus de la tension ? Au lieu de diminuer, le prix de son contrat risquerait d’augmenter. Les assu‑ rances pourraient même rendre obliga‑ toire, pour la signature d’un contrat, le port d’un bracelet ­connecté. Même chose pour les banques. « On institutionnalise­ une


Infographie : Thomas Neumann/EPJT

DOSSIER

Parcours de vos données personnelles sur les réseaux connectés.

forme de discrimination par les data », ana‑ lyse Blaise Mao. Cette surveillance massive « crée une obligation de performance et une société dans laquelle ce sont les ­assureurs qui dictent ce qu’il faut faire, ­détaille‑t‑il. Aujourd’hui ce n’est pas une obligation. Mais si demain c’était le cas, le risque serait de créer une société à deux ­vitesses ». Et vouloir protéger ses données, c’est courir le risque d’être étiqueté de « mauvais citoyens ». « Demander une vie privée, c’est devenu suspect », complète Okhin. Parce qu’elle a caché sa grossesse sur le Web, en évitant de la mentionner sur les réseaux sociaux et en contournant les sites de vente en ligne, ­Janet Vertesi, pro‑ fesseure à l’université de Princeton, s’est vue suspectée d’activités criminelles par les autorités et les entreprises. LA LIBERTÉ D’EXPRESSION EN JEU

L’État français peut également réclamer aux opérateurs les données de n’importe qui. L’article 20 de la loi sur la programma‑ tion militaire, entrée en vigueur en jan‑ vier 2015, autorise les ministères à sur‑ veiller en temps réel les citoyens, sans passer par un juge. En France, nous vivons en démocratie. Mais si un jour ce n’était plus le cas et que la consultation de certains sites devenait prohibée, alors notre liberté d’expression et notre droit à l’information seraient en jeu. « Le modèle des géants des technologies est parfaitement compatible avec les systèmes de contrôle autoritaire : on l’a vu avec le programme de surveillance Prism de la NSA qui n’a pu voir le jour qu’avec la collaboration des géants des technologies de l’information », écrit ­encore Ippolita dans son livre.

Avec sa maison entièrement connectée, Léna n’a plus rien à craindre, ni même les cambrioleurs, puisqu’elle dispose de camé‑ ras de surveillance directement reliées à son Smartphone. Par contre, elle n’avait pas prévu qu’un hacker puisse en prendre le contrôle et surveiller sa maison, mettre le chauffage à fond, court‑circuiter le réseau électrique et pirater tous ses mots de passe. Les objets connectés sont pour l’instant très peu protégés : 70 % d’entre eux présen‑ tent des failles de sécurité. Il existe des outils qui permettent de limi‑ ter, voire d’empêcher, cette surveillance constante. Le réseau Tor, par exemple, ano‑ nymise la navigation Internet. Il est aussi

30

LE CHIFFRE

milliards. C’est l’estimation du nombre d’objets connectés qui seront sur le marché mondial en 2020, selon le cabinet d’études IDC. La répartition de ces objets est encore inégale. La Chine, l’Amérique du nord et l’Europe de l’ouest en sont les premiers consommateurs.

possible d’avoir recours à des messageries chiffrées sur Smartphone. Mais il existe peu de solutions pour les autres objets connec‑ tés de la vie quotidienne. « La surveillance est actuellement ubiquitaire, y échapper devient presque impossible », ­affirme Okhin. « Et les lois alors ? », interpelle Léna. Innova

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L’Union européenne est la plus ­sévère du monde en ­matière de protection des don‑ nées. Le règlement ePrivacy est en cours de négociation au Parlement européen à Strasbourg. Il est censé protéger ­davantage les utilisateurs dans leurs ­communications électroniques. Mais pour l’instant le texte semble en deçà des ­attentes. Les industries du numérique ont mené un lobbying « très intense », comme le confirme Léa Caillère Falgueyrac, salariée de la Quadrature du Net. L’article 10 a notamment changé dans la deuxième version publiée en jan‑ vier 2017. Il établissait que les navigateurs devaient désactiver ­automatiquement les cookies tiers, placés par un autre site que celui sur lequel ils se trouvent. À présent, ils doivent juste en proposer la désactivation dans les paramètres, ce qui est déjà le cas pour la plupart. « Nous avons réalisé que le diable se cache dans les détails et ce qui nous semblait être un texte raisonnable dans sa version initiale est en fait plein de failles », analyse Léa Caillère ­Falgueyrac. La Quadrature du Net a adressé des recom‑ mandations3 aux eurodéputés et compte organiser des campagnes publiques. Le 25 mai 2018, le règlement entrera en ­vigueur dans tous les États membres. Difficile d’imaginer à quoi ressemblera l’in‑ timité numérique dans le futur. Pour l’ins‑ tant, Léna ne se demande qu’une chose : a‑t‑elle encore réellement une vie privée ? ÉMILIE VEYSSIÉ

(1) How much is your personal data worth ? [en ligne], Financial Times, 2013, 2016, disponible sur http://urlz. fr/51W4. (2) Selon l’agence We are social. (3) ePrivacy arrive au Parlement européen : La Quadrature publie son analyse [en ligne], La Quadrature du net, 2017, disponible sur http://urlz.fr/51Wj


DOSSIER

Photos : Henry Girard/EPJT

MON VOISIN LE HACKER

DEPUIS UNE VINGTAINE D’ANNÉES, LA FIGURE DU HACKER NOURRIT L’IMAGINAIRE COLLECTIF. POURTANT, EN QUELQUES CLICS, CHACUN PEUT APPRENDRE À PIRATER. ESPIONNER SON VOISIN ET TOUT VOIR DE SA VIE NUMÉRIQUE, JUSQU’À SES DONNÉES LES PLUS INTIMES, DEVIENT ACCESSIBLE À TOUS. Capuche noire et cernes prononcés, Elliot Anderson annonce à son interlocuteur qu’il vient de prendre le contrôle de son ordinateur. Il s’apprête à rendre public le gigantesque trafic d’images pédopornographiques dont sa victime est à l’origine. La scène ouvre la série Mr Robot qui relate les faits d’arme des justiciers modernes : les hackers. La fiction à succès n’est pas le fantasme d’un monde que l’on connaît mal. Elle est son miroir, celui de l’ère numérique. Le mardi 18 août 2015 est à inscrire dans les annales. Ce jour-là, 9,7 gigabytes de données sont révélés à partir du piratage du site de rencontres adultères AshleyMadison. com. Dans le lot, 260 000 adresses françaises. Il s’agit, selon les spécialistes, du premier hack de grande ampleur contre M. Tout‑le‑monde. Jusque-là, seuls les grandes entreprises et les sites gouvernementaux en avaient fait les frais. Les ­auteurs ? Inconnus au bataillon. Aucune société organisée, aucun groupe de militants. Seuls des particuliers se sont ponctuellement réunis, non pour dénoncer l’adultère

Les nombreux tutoriels disponibles sur la Toile facilitent l’espionnage des Internautes.

mais la défaillance du site qui avait promis sécurité et confidentialité aux Internautes. Le hacking n’est plus réservé à une poignée de geeks initiés, affublés d’avatars aux consonances Star Trek. « Apprendre le ­hacking » ou le « top 10 des méthodes de hacking » sont autant de tutoriels faciles d’accès grâce à Google. Tout utilisateur possède avec lui le matériel nécessaire aux bases du piratage. La cible ? Nos données, abandonnées ici et là par notre négligence, en proie à des failles, des portes ouvertes vers notre intimité. COORDONNÉES BANCAIRES VOLÉES

Deusx, hacker indépendant qui collabore avec de nombreuses entreprises, se définit comme « un intermédiaire, un capteur, un modificateur d’information ». Quand il s’assoit dans un fast-food, il est capable de récupérer coordonnées bancaires et adresses mail des internautes qui surfent sur le même réseau. Il peut aussi modifier la une du journal local avant son envoi chez l’imprimeur. Et ce avec des outils simples comme la Black Box, un capteur de données. Tout semble possible du fait des particuliers et des entreprises qui rechignent à protéger leurs machines. La cybercriminalité a ainsi connu une hausse de 55 % en France pour l’année 2015. Près de deux tiers des attaques sont dues à la technique du hameçonnage, une introduction de ­virus par simple envoi de mail, aisément accessible pour tout pirate novice. Sur le Deep Web, la partie de la Toile non répertoInnova

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riée par les navigateurs classiques, on trouve tout un tas d’annonces. FabiBe, hacker à ses heures, avoue en avoir posté quelques-unes : « Vends entre 25 000 et 30 000 adresses mail ; 1 700 euros. » Les transactions sont effectuées en bitcoin, la monnaie virtuelle la plus utilisée du Deep Web, pratiquement intraçable. Les visages de ces nouveaux pirates sont multiples. Cyberescrocs, autoentrepreneurs à l’affût des données, cultivateurs de virus. Ils viennent bousculer la communauté de hackers avertis qui, eux, s’interrogent sur une éthique du piratage. L’un d’eux, Lovecrafter, déplore : « Le hacking n’est pas le sport fait pour pirater la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur, NDLR) ou le compte en banque du particulier. Le vrai hacker, le white hat, tente de comprendre le système dans ses moindres détails. Il crée des programmes gratuits et modifiables afin de rendre plus sûre notre vie numérique. » Pour ce défenseur de l’Internet libre, l’accessibilité croissante des outils de piratage peut ainsi avoir des vertus. Il veut croire que les internautes seront enclins à traquer les abus de pouvoir et les défaillances de la sécurité en ligne. Que l’on se sente l’âme d’un anonymous ou d’un adepte du côté obscur, l’ordinateur est une arme. Mais c’est aussi le meilleur ­bouclier face au monde du tout‑connecté, pour peu que l’on apprenne à s’en servir. Et Deusx de rappeler : « Si c’est connecté, c’est hackable. » HENRY GIRARD


DOSSIER

PROTÉGEZ VOS DONNÉES

AUJOURD’HUI, IL EXISTE DE NOMBREUX OUTILS POUR PROTÉGER VOS INFORMATIONS PERSONNELLES SUR VOTRE SMARTPHONE, LA STAR DES OBJETS CONNECTÉS. SUIVEZ LE GUIDE.

E

n 1962, Oskar Morgenstern, ­mathématicien et économiste, ­affirmait déjà que les ordina‑ teurs connectés pourraient envahir notre vie privée. Et nos données personnelles, être « utili‑ sées de façon dangereuse du point de vue politique, bancaire et commercial ». Il avait raison. En 2014, une équipe de journalistes, réalisateurs, déve‑ loppeurs et graphistes internationaux reprend ses propos dans Do not track, une série documen‑ taire ludique consacrée à la vie privée et à l’économie du Web. Les sept épisodes délivrent des informations et des outils pour se protéger, entre autres, du ­tracking sur Internet. Trois ans plus tard, le sujet n’a jamais été autant ­d’actualité. L’émergence des objets connectés qui communiquent avec votre Smartphone en témoigne. Voici quelques conseils et outils (tous gratuits) pour préserver vos données personnelles sur votre téléphone portable. Publicités et pop‑up (fenêtres qui s’ouvrent sou‑ dainement) envahissent vos pages Internet et vous ne savez pas comment vous en débarrasser ? Pour ce faire, vous pouvez bloquer les cookies (petits ­fichiers qui récupèrent des informations sur votre navigation) dans votre navigateur – Chrome, Safari ou Firefox – en réglant les paramètres.

Certains moteurs de recherche, navigateurs et applications permettent aux utilisateurs d’échapper à la surveillance en ligne.

ORFOX, UN NAVIGATEUR ULTRASÉCURISÉ

Le navigateur Javelin Incognito (en anglais), qui uti‑ lise un bloqueur de publicité, permet pour sa part une suppression automatique des cookies. Mieux encore, les moteurs de recherche Qwant, Duckduckgo ou Startpage respectent votre vie pri‑ vée. Avec eux, pas de risque de surveillance ni de stockage de vos ­informations personnelles. Si vous n’êtes pas encore prêt à vous sépa‑ rer de Google, il est possible de désactiver le suivi publicitaire dans les paramètres. Le Guardian project, collec‑ tif qui développe outils et logiciels libres sur mobile, a conçu un navigateur ultrasécurisé bap‑ tisé Orfox, dis‑ ponible sous Android. Il utilise Tor, un réseau anonymi‑ sé, pour se connecter. Illustrations : DR

POUR PROTÉGER VOTRE ORDINATEUR, C’EST PAR ICI

Parmi les autres outils du collectif : ChatSecure (Android et iOs) chiffre vos communications ; Linphone (Android et iOs) permet de passer des appels audio et vidéo sécuri‑ sés ; Pixelknot a l’avantage de ­cacher les messages dans des images (sous Android unique‑ ment) ; ObscuraCam (Android) masque le flux vidéo pour filmer en toute tranquil‑ lité et Ostel (An‑ droid) crypte les appels télé‑ phoniques. Le Guardian pro‑ ject a aussi dé‑ veloppé l’appli‑ cation Osmand (Android), une sorte de Google Maps accessible hors connexion, qui garantit l’anonymat des utilisateurs. Pour limiter la surveillance de vos déplacements, les paramètres de géolocalisation de votre Smartphone peuvent être désactivés lorsque vous n’en avez pas besoin. Prudence toutefois si vous vous connectez en Wi‑fi libre accès, en particulier lorsque vous visitez des pages personnelles (banques, messageries, réseaux sociaux, etc.) car vous risquez de vous faire « reni‑ fler » vos identifiants. Il existe une autre option : installer une application VPN (réseau privé virtuel) qui sécurisera votre connexion (Android et iOs). Halte aux applications qui vous réclament des ­informations superflues (messagerie, contacts, agenda, mémos, photos, etc.). Par exemple, une ­application de calcul des calories peut vous deman‑ der l’accès au micro de votre téléphone. Or, elle n’en a a priori aucune utilité. Car si les applications ont besoin d’accéder à certaines données pour fonc‑ tionner, elles peuvent également les collecter. Pour l’éviter, privilégiez celles qui ne requièrent pas l’ac‑ cès à vos informations personnelles. Avec Clueful de Bitdefender (disponible seulement sous ­Android), vous pouvez savoir ce que les applica‑ tions font de vos données. Ce qui peut se révéler utile pour choisir lesquelles télécharger. Malgré toutes ces initiatives et possibilités, l’indus‑ trie de la publicité peut se montrer plus maligne. Difficile donc d’échapper totalement au tracking. En attendant, ne confiez pas aveuglément vos ­informations personnelles à vos appareils. ÉMILIE VEYSSIÉ

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HISTOIRE

SOUS LES JUPES DE LA POLITIQUE

« Austrichienne » et « Austrian bitch » : des insultes rendues populaires par la publication de libelles et de pamphlets à la fin du XVIIIe siècle. Marie-Antoinette, reine mal-aimée de France, est moquée pour son comportement frivole et dépensier. À tel point que les caricatures à son sujet se multiplient : un phallus doté d’un corps d’autruche, une harpie aux griffes acérées, une scène d’orgie à Versailles. Nombre de rumeurs nourrissent le peuple déchaîné et la vie privée des membres de la royauté fait le bonheur des pamphlets. Les siècles suivants déposeront un voile pudique sur la vie privée des politiques. Ce n’est que dans les années soixante-dix qu’ils en lèveront un pan. À la fin du XXe siècle et au début des années deux mille, ils n’hésiteront plus à se mettre en scène dans les pages des journaux people. Et, plus surprenant, ils se dévoileront aussi dans les news magazines et à la télévision. Une stratégie bien pensée. S’EXPOSER POUR CHARMER

« Je veux regarder la France au fond des yeux mais aussi atteindre son cœur. » En 1973, Valéry Giscard d’Estaing a la carrure de la fonction suprême mais les enquêtes d’opinion le jugent froid et distant. Pour casser son image de technocrate, il n’hésite pas à faire appel au conseiller en communication de Kennedy. Ce dernier l’aide à scénariser un personnage d’homme du peuple. Cette stratégie le conduit, en juin, à tomber le maillot à la fin d’un match de foot à Chamalières, sa terre d’élection. Dans les vestiaires, c’est torse nu et en sueur qu’il se présente devant un parterre de journalistes. Le mal est fait, un candidat à la présidentielle doit désormais donner de son image privée. C’est au nom de la cause des femmes que Ségolène Royal va franchir un pas supplémentaire dans le jeu avec les médias. En 1992, juste après son accouchement, elle ouvre la porte aux journalistes de Paris Match. Les flashs immortalisent l’instant. Quelque

Photos : DR

PARCE QU’ILS ONT RÉVÉLÉ DES PANS DE LEUR VIE PRIVÉE, LA PRESSE ÉCRITE LES A ÉRIGÉ AU RANG DE « PEOPLE » ET N’HÉSITE PLUS À DÉVOILER LEUR INTIMITÉ. ENTRE COUPS PROMOTIONNELS ET RETOURS DE BÂTON, HISTOIRE DE LA PEOPOLISATION DE CEUX QUI NOUS GOUVERNENT.

SCANDALES « L’amour secret du président », « Valérie Trierweiler, le choc ! », « Cécilia Sarkozy, l’heure du choix »… Pour assurer sa survie, la presse écrite se nourrit de scandales et de révélations exclusives autour des personnages politiques.

part entre Jackie Kennedy et lady Diana, elle veut transmettre l’idée qu’aucun discours officiel ne peut exprimer : la mère de famille peut aussi être ­ministre. Ironie de l’histoire, c’est Valérie Trierweiler qui obtient l’autorisation des clichés d’une Ségolène Royal, dans sa chambre d’hôpital, entourée de ses enfants. En racontant les coulisses de son histoire personnelle, l’homme ou la femme politique élargit son électorat. C’est une main tendue à cette partie des Français qui ne lit pas la presse d’opinion, les ­citoyens-spectateurs. Dès lors, la course à la séduction par l’image se débride. Les paparazzi, qui traquaient autrefois les célébrités en maillots de bain, tournent leurs objectifs vers les élus qui exhibent, toujours dans une stratégie de communication, chaque moment de leur vie. Sans filtre, jusqu’à la magistrature suprême. Sarkozy à la plage, Sarkozy fait du footing, Sarkozy et Cécilia. Le président se mue en personnalité publique dont l’hyperactivité inonde les pages des news magazines. La « peopolisation » est lancée. Tandis que les journaux d’information gagnent en audience, l’homme politique fidélise son électorat. Il pare son image, jugée brutale, d’une romance plus doucereuse. Jusqu’à la perte de contrôle. Quand, en 2005, Cécilia Sarkozy et Richard Attias vivent leur idylle new-yorkaise loin du mari trompé, la couverture de Paris Match est retentissante. La vie politique française prend alors des airs de mauvais vaudeville. Les dommages collatéraux sont énormes. Même lorsqu’un président dit « normal » se présente devant les Français, il n’est à l’abri de rien. Distinguer vie privée et vie publique, c’était la promesse tacite du changement radical vis‑à‑vis de son prédécesseur. Une promesse qui n’a pas tenu face à la ­voracité de Closer. Son numéro 448 titré « L’amour secret du président », ou comment manier l’art du scooter d’une main et des croissants dans l’autre, ­explose les ventes. La relation dissimulée de François Hollande et Julie Gayet, puis le tumulte de la rupture avec Valérie Trierweiler, fait couler l’encre. Lui qui s’est toujours tenu à l’écart des dangers de la peopolisation se retrouve en une des journaux, au même titre que Nabilla la starlette. De quoi faire trembler son quinquennat et désacraliser la stature du président de la République. « Pour vivre heureux, vivons cachés. » Le dicton n’aura jamais été aussi vrai tant l’intrusion médiatique a détruit l’homme politique. LAURA CADEAU, HENRY GIRARD

ET AUDE SIOUL-TIDAS


CONTRE ORDRE ENTRE CONSEILS SEXO DES MAGAZINES, TABOU DES RÈGLES ET INJONCTION À L’ÉPILATION INTÉGRALE SUGGÉRÉE PAR LA PORNOGRAPHIE, L’INTIMITÉ FÉMININE EST SOUMISE À DE NOMBREUX DIKTATS. DES FEMMES MILITENT POUR LES DÉCONSTRUIRE, EN SE RÉAPPROPRIANT LEUR CORPS.

L

e Kamasutra de la semaine : sept positions sportives pour brûler des calories » dans Elle, « Minceur, des techniques de pointe pour un corps parfait » dans Femme Actuelle, « Sept positions sexuelles qui les rendent fous » dans Marie Claire. Du culte de la minceur à la banalisation de la chirurgie esthétique en passant par des notices pour être un « bon coup », la presse féminine regorge d’injonctions qui norment l’intimité féminine. Des exemples qui le révèlent, Charlotte* n’en manque pas. Pigiste depuis ­plusieurs années pour un célèbre magazine féminin, elle écrit pour les rubriques sexo et bienêtre. Elle se souvient notamment de l’article qu’elle a dû rédiger sur le thème : « Quelle position choisir pour cacher ses

complexes ? » L’objectif était de trouver des positions du Kamasutra qui permettaient aux femmes de cacher cuisses et ventre ­jugés disgracieux. Elle s’est alors intéressée à la levrette. « Votre lectrice peut aussi se mettre dans un sac poubelle et on ne la verra pas », lui a rétorqué une spécialiste interrogée dans le cadre de cet article. « Il faut que notre lectrice se sente culpabilisée sinon elle n’achètera pas notre magazine », se souvient avoir entendu Charlotte en conférence de rédaction. Pour aider les femmes à s’accepter, il faudra repasser. Les magazines féminins

ne sont pas les seuls responsables de cette intimité normée. Ces injonctions peuvent également découler de méconnaissances ­relayées dès le plus jeune âge. C’est ce que constate Odile Fillod, chercheuse indépendante en sociologie des sciences et de la vulgarisation scientifique. Elle rappelle que, d’après l’une des rares ressources mises à disposition des enseignants en SVT pour le cours d’éducation sexuelle, les filles sont « censées être plutôt sentimentales et travaillées par le désir d’enfanter ». Selon la réalisatrice de films X

Ana Boyrie/EPJT

CORPS


FÉMINISME réapproprier leur intimité pour se dégager des normes. Le slogan des années soixantedix, « notre corps nous appartient », est une ­formule familière aux oreilles de l’ex-Femen Éloïse Bouton, journaliste depuis douze ans. Le 20 décembre 2013, c’est seins nus, ÉLOÏSE BOUTON une couronne de fleurs dans les cheveux et ­vêtue d’un voile Les Femen et documentariste bleu que cette trentenaire se tient dans subvertissent Ovidie, la pornogra- l’église de la Madeleine à Paris, pour simuler les normes de l’intimité féminine. phie renforce des l’avortement de Marie, dans le cadre d’une normes qui sont action pro-avortement des Femen. Elle ­ensuite assimilées jusque dans les relations marque les esprits en brandissant des morintimes. « En s’inscrivant dans l’ensemble ceaux de foie de veau, une ­représentation d’un discours et d’une société, elle influence appétissante du fœtus du Christ. Cette acnotre rapport au corps et notre façon de tion fait d’elle la première femme condamnous percevoir. » Pour illustrer ce phéno- née pour exhibition sexuelle depuis la créamène, Ovidie prend l’exemple de l’épilation tion de ce délit en 1994. Le 15 février intégrale. « Le porno a contribué à la dernier, suite à la confirmation de sa ­répandre mais tout le reste de la société l’a condamnation en cour d’appel, son avocat, accueillie. » L’exemple vaut pour nombre de Me Tewfik Bouzenoune, a annoncé son pratiques sexuelles comme pour les cri- pourvoi en cassation. « Les deux cours qui tères plastiques de la beauté féminine. m’ont jugée m’ont dit : “Les seins des femmes sont plus sexuels que ceux des hommes.” UNE IMAGE CRÉÉE DE TOUTES PIÈCES Mais qui a décrété cela ? » Une question qui L’esthétique a une place importante dans reste pour l’heure sans réponse. notre société. Pour Mona ­Chollet, auteure Selon Éloïse Bouton, la sexualisation du de Beauté fatale, le problème n’est pas que corps féminin ne doit pas être constante et les femmes désirent être belles mais qu’elles peut être nuancée. « Ce n’est pas parce que doivent l’être selon des critères précis. « La je montre mon corps que c’est forcément plupart sont amenées à se détester », sexuel, s’indigne-t-elle. Quand je le choisis, ­s’attriste-t-elle. Car cette image est inven- bien sûr que ma poitrine peut être sexualitée, créée de toutes pièces à partir d’un sée. Mais il en va de même pour un dos imaginaire collectif ­inhérent à l’époque et à nu. » L’ex-Femen ­déplore cette société qui sa culture. La femme est traditionnelle- décide ce que les femmes peuvent et doiment réduite à un statut de simple corps. vent faire de leur propre corps. L’esprit étant, au mieux, un accessoire ­secondaire, au pire, l’apanage des hommes. “OH MON DIEU ! TU ES UNE FEMME” Et ce corps, il faut le modeler, le rendre Un diktat qu’a également constaté Camille ­attirant, le parfaire à la fois pour le rôle Emmanuelle, journaliste et auteure de d’épouse, d’amante et de mère. Sang Tabou – Essai intime, social et cultuSi les femmes ont déjà remporté bien des rel sur les règles, publié le 15 mars dernier. combats, « il y a aujourd’hui encore une « Quand je bossais en open space, je plantension dans leur vie entre la liberté qu’elles quais mon tampon dans ma poche, comme ont conquise et les contraintes, les injonc- si j’avais un sachet de coke », plaisante‑t‑elle. tions sociales et les normes qui pèsent Dans les années quatre‑vingt‑dix, les sur elles », souligne Camille Froidevaux- marques de protections hygiéniques Metterie, auteure de Always ou Tampax averLa Révolution du tissaient les femmes : « At­féminin et profestention à la fuite et à seure de science polil’odeur ! » Un marketing tique à l’université de de la honte qui est encore Reims Champagne­bel et bien présent dans la Ardenne. Pour elle, il société d’aujourd’hui. Le faut « essayer de fonctionnement est très ­réfléchir à ce corps simple : « On vous ­répète dans une perspective que grâce à cette serviette plus positive, consigénialissime, technolodérer que c’est aussi gique et microaérée – si le lieu d’une ­liberté et bien que vous avez l’impas seulement celui pression d’avoir un iPhone d’une aliénation ». dans votre culotte – vous Certaines femmes allez pouvoir sortir en décident ainsi de se boîte de nuit, faire du Innova

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shopping… », explique la journaliste. ­Autrement dit, sans ces produits, les femmes ne peuvent pas le faire. Un ­phénomène ancré dans l’esprit des jeunes filles à qui l’on répète que la pire honte de leur vie, ce serait d’avoir une tache de sang sur leur jean. Pourtant, l’auteure avoue ellemême participer à l’intériorisation de ce tabou universel. « Quand j’étais célibataire et qu’un mec venait chez moi, je planquais mes serviettes hygiéniques dans ma salle de bains, confie-t-elle. Comme s’il ­allait entrer et crier avant de partir en ­courant : “Oh mon Dieu ! Tu es une femme.” » Pour elle, il est grand temps que les règles sortent des toilettes des filles.

Illustrations : Adèle Labo

Les deux cours de justice qui m’ont jugée m’ont dit : “Les seins des femmes sont plus sexuels que ceux des hommes.” Mais qui a décrété cela ? »

Alors qu’aux États-Unis, les règles sont qualifiées de malédiction (the curse), certaines Américaines utilisent le rire pour combattre les non-dits. C’est le cas de ­l’humoriste Amy Schumer, lors de la dernière cérémonie des Emmy Awards : tandis qu’elle investit le tapis rouge, une journaliste lui demande de décrire ce qu’elle porte. Amy Schumer lui répond : « Vivienne Westwood, des chaussures Tom Ford et un tampon OB. » Une anecdote qui annonce un changement de mentalité et pas seulement chez les femmes. Doucement mais sûrement, certains ­médias sont également en train de changer. Derniers exemples en date : des dossiers sur les règles vus dans Courrier international et L’Équipe. Des catégories Bodypositive, traitant de la réappropriation du corps, fleurissent aussi dans les magazines féminins. Pourtant, selon Charlotte, ces évolutions ne tiennent qu’à un fil : « Les mentalités à l’intérieur des journaux n’ont pas forcément évolué. On suit la tendance. Si elle revient à l’anorexie d’ici quelques ­années, on la suivra également. » Comptons sur la prise de conscience collective pour ne pas leur laisser le choix.

ANA BOYRIE,

AMBRE PHILOUZE-ROUSSEAU

ET CLÉMENT PIOT

(*) Le prénom a été modifié.


CULTURE

DE L’ENCRE

À LA LUMIÈRE

MARQUER SA PEAU À L’ENCRE INDÉLÉBILE EST UN ACTE FORT QUI CONTE UNE HISTOIRE. L’APANAGE DES BRUTES ? CERTAINEMENT PAS. NINA, PHOTOGRAPHE AUTODIDACTE, EST BIEN DÉCIDÉE À LE DÉMONTRER. AVEC SA SÉRIE “AUTHENTINK”, ELLE DÉVOILE L’INTIMITÉ DES PERSONNES TATOUÉES.

S

ouris » sur l’index droit, « connard » sur le gauche. Une inscription pour le moins rock’n roll que Nina Clotour s’est faite tatouer en guise de maxime. À bon entendeur… De quoi en faire rire certains mais en faire fuir d’autres. C’est le cas de nombreux recruteurs : « Lors de mes entretiens, tout va bien jusqu’à ce que je leur serre la main », regrette la jeune femme. Et pourtant, malgré ses multiples tatouages, Nina Clotour estime avoir les mêmes compétences professionnelles qu’une ­personne lambda. Loin du biker fan de Johnny ­Halliday ou de la teigneuse détenue de la série Orange is the new black, elle s’est mise en tête de briser tous ces stéréotypes véhiculés à la télévision. Munie de son appareil photo, elle s’immisce dans le quotidien de personnes tatouées pour démythifier leur image. « Qu’est-ce que tu fais le plus souvent chez toi ? », questionne-t-elle d’entrée de jeu. « Tu veux ­vraiment le savoir ? Je passe ma vie aux toilettes avec mon portable » , lui a déjà répondu l’un

Nina Clotour en séance photo avec Cissy, jeune femme tatouée, dans son appartement du quartier Rabelais à Tours.

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de ses modèles. Une réaction ­spontanée qui inspire Nina pour son projet Authentink. Après tout, « ce sont des gens comme tout le monde, ­authentiques et sans artifices. Et ­pénétrer leur sphère intime, c’est le prouver », résume-t-elle. Dans un appartement sombre et mansardé du vieux Tours, Nina pose son appareil derrière une porte vitrée. De l’autre côté, Alex joue avec son chien. ­Soutien-gorge, jean ­délavé et ­bottines de motarde : une tenue légère et ­décontractée qui ­dévoile une rose épineuse ­tatouée sur les côtes de la jeune femme. Sur sa ­terrasse, entre draps étendus et vieux matelas ­entassés, Alex est à l’abri des regards. « J’aime bien ce côté caché. Elle oublie ma présence et se laisse aller », commente la photographe. Insatisfaite de ses premiers clichés, elle tente un cadrage au sol. Une position qui attire rapidement l’attention de ­l’animal, lequel s’empresse de pousser la porte et de se ruer sur son ­appareil. « Ah ! Les risques du ­­métier », rigole-t-elle. Une heure plus tard, Nina discute de sa prochaine séance avec Alex. Cette fois-ci ce sera en couple, dans la chambre à ­coucher. Lui, assis sur son ­bureau ; elle, allongée sur le lit. Loin d’être une mise en scène, c’est une ­habitude qu’ont prise les amants. Il est 10 heures le jeudi de la semaine suivante lorsque, en arrivant chez Ouahé, on découvre un ­intérieur cosy et décoré avec goût. Sur le mur, trois fils, des pinces et des dizaines de photos ­suspendues. Autant de moments intimes que la jeune femme a


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accroché dans son salon. Avant les prises de vue, la ­photographe prend le temps de faire connaissance avec son modèle du jour, « le temps qu’elle se sente à l’aise ». Débordée par les révisions, Ouahé se ­raconte : dans quelques jours, elle participera au concours de la Police nationale. Une carrière qui rappelle à Nina l’un de ses clichés humanistes, en noir et blanc. Celui d’un jeune policier armé d’un rasoir face au miroir de sa salle de bains avec, comme ­reflet, son torse recouvert de tatouages. De quoi surprendre le public.

Photographiée dans son environnement quotidien, Ouahé, comme tous les modèles de Nina, se prête f­ acilement au jeu.

CAPTURER LE NATUREL

En dessous de chaque ­photographie : le nom, l’année de naissance, la ville et le métier du tatoué. Chiropracteur, chargé de clientèle, fonctionnaire… Les professions des ­modèles sont éclectiques. « Sinon, il n’y a pas ­d’intérêt », souligne Nina. Et quand on demande à Ouahé si ses tatouages, dont la tête de tigre qui orne son bras, sont un frein à son futur métier, elle répond : « Ils font partie de mon intimité. Une fois l’uniforme porté, ils sont cachés au monde ­extérieur. » Ouahé s’installe dans son canapé près d’une fenêtre qui laisse passer quelques rayons de soleil. Un coin idéal pour Nina : « Je tra-

Le but, c’est que les gens se reconnaissent dans les clichés [...]. Souvent, ils me disent qu’ils n’ont pas eu le temps de ranger, que c’est le bordel. mais moi, c’est ce que je préfere. » NINA CLOTOUR

vaille ­uniquement avec la lumière du jour afin d’avoir une photo très naturelle. » Le but est que les gens se ­reconnaissent dans les clichés. Les cadrages sont larges pour que l’on voie tout ­l’environnement de la personne. « C’est intime chez soi, cela raconte une histoire, explique Nina. ­Souvent, ils me disent qu’ils n’ont pas rangé, que c’est le bordel. Mais moi c’est ce que je préfère car ça fait plus vivant. » Le visage angélique d’Ouahé trouble Nina qui ne parvient pas tout de suite à faire tomber les ­barrières de l’intime. Elles lâchent enfin : « Ça y est, j’ai ce qu’il me faut. » La gêne de Ouahé a disparu. « Je sais que j’ai la bonne photo lorsque le modèle a un déclic et qu’il se lâche, on sent alors que c’est lui, qu’il est sincère », analyse-t-elle. La photographe met en confiance. ­Écarteur en guise de boucle d’oreille, coupe à la ­garçonne et rouge à lèvre foncé, Nina assume sa ­personnalité et ne juge personne. C’est peut-être pour cela que l’on se sent ­rapidement à l’aise à ses côtés. Il est 14 heures dans le quartier Rabelais, à Tours. Parquet ciré, cheminée en marbre et collection de vinyles décorent l’appartement de Cissy, sosie de Lady Gaga et d’Amy Winehouse réunies. Adepte de ­roller derby, elle a pour habitude de réparer ses ­patins. Elle sort son attirail : roues, écroues, pinces, clés. Bientôt, ses mains se noircissent. Cissy enfile un dos-nu qui laisse apparaître ses tatouages. Chacun d’eux dissimule une histoire que Nina ­sublime : « Je prends tout ce que ces personnes sont ­capables de me donner. » Bien qu’elle photographie aussi ses amis, sa ­démarche ne varie pas en fonction du degré de proximité qu’elle a avec le modèle. Car, après tout, elle « ne connaît pas forcément toute l’intimité de ses proches ». LAURA CADEAU (TEXTES ET PHOTOS)

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Photo : Albin Mouton/EPJT - Montage: Apolline Barral

PAULINE BERTANI,

TROUBLE JE(U)

Peu à peu, Macha grignote l’espace et le temps de la comédienne. Dans son appartement, le personnage y a sa propre garde-robe. Que du noir. Elle est adepte de junk food et écoute en boucle La Solitude de Barbara. Une seconde suffit à Pauline pour troquer son sourire et ses yeux pétillants contre un air las et un visage fermé. Elle peut, à tout moment, se mettre en retrait au profit de son personnage. Macha se réveille parfois très tôt. Pauline enregistre alors sa voix, la caméra fixée sur le réveil. Il est 4 h 18. Elle laisse son personnage s’épancher tout haut sur son manque d’amour. « À la demande du metteur en scène, j’ai aussi créé, à partir de mon vrai nom, un compte Facebook pour mon personnage », raconte Pauline. À plusieurs reL’artiste passe prises, Macha a été sollicitée par des d’une personnalité à l’autre. Pauline Internautes aux pensées suicidaires. Bertani à gauche et L’amalgame est parfois dangereux, diffiMacha à droite. cile à gérer pour la comédienne. Elle persévère malgré tout et inscrit son personnage sur le forum Doctissimo, pour soigner sa dépression : « J’y explique que je suis en couple avec un mec que je déteste, que l’homme dont je suis amoureuse ne m’aime pas et que je vis un enfer. » «ELLE FAIT PARTIE DE MOI»

Certaines des séquences tournées par Pauline sont diffusées sur scène. Macha l’habite tellement que sa presDEPUIS TROIS ANS, LA COMÉDIENNE PAULINE BERTANI tation est convaincante. « À la sortie du spectacle, des spectateurs m’ont réconfortée, se souvient Pauline. VIT À TRAVERS DEUX IDENTITÉS. LA SIENNE ET CELLE DE Beaucoup se sont perdus dans cette double identité. » MACHA, LE RÔLE DANS LEQUEL ELLE SE GLISSE À LA FOIS Pourtant conscientes que les vidéos font partie de SUR LES PLANCHES ET DANS LA VIE. l’exercice, la mère et la meilleure amie de Pauline, déstabilisées, détestent Macha. Le soir du 31 décembre ne minute. C’est ce qu’il aura fallu pour 2015, elle se filme dans son salon, ivre et seule. Une comprendre que Pauline Bertani jongle bouteille de vin à la main, une cigarette dans l’autre, elle entre deux identités. Sur la table du café Le s’égosille sur En rouge et noir de Jeanne Mas, aban­Tourangeau, la comédienne dépose un ordidonne sa solitude à la musique. Comment ne pas transnateur. « En fait, j’en ai deux. Le mien et celui de poser le caractère de Macha sur celui de Pauline ? La ­Macha. » Macha, c’est le personnage qu’elle interprète comédienne s’en amuse : « Ça renvoie ma mère à ses dans la pièce Quand je pense au théâtre je n’ai plus peur propres craintes : je ne suis pas mariée, je n’ai pas de la vie, inspirée de La Mouette de ­d’enfant, elle n’a pas envie que je devienne Tchékhov. Pour ce projet, le metteur comme Macha. » en scène Nicolas Zlatoff impose aux Lorsque la comédienne a quitté son apcomédiens d’enrichir leur personnage partement lyonnais, elle a pris conscience en réalisant des journaux intimes Macha l’habite que son lieu de vie, occupé par les ­filmés. « L’idée, c’était d’effectuer des tellement que meubles et les habits de son personnage, allers-retours entre nous et une persa prestation était autant le sien que celui de Macha. sonne fictive, en dehors des planches », rôle a influé sur ma vie autant que est convaincante « À la sortie du « Ce détaille Pauline. Elle fait ainsi évoluer ma vie a influé sur ce rôle », résume-t-elle. spectacle, des spectateurs m’ont Quand on lui parle de sa potentielle sépaMacha, amoureuse éperdue, enferréconfortée, se souvient Pauline. ration d’avec Macha, Pauline reste silenmée dans sa dépression. Son personnage n’a pas d’ami, n’aime pas ses Beaucoup se sont perdus dans cieuse, plonge son regard au fond de son ­parents. Elle est amoureuse d’un cette double identité. » verre et, sans le quitter des yeux, admet : homme qui ne l’aime pas. « Moi, je n’ai « C’est dur de me détacher. Elle fait partie pas de problème avec les garçons. de moi. » La comédienne réfléchit à la faAvec ma famille ça va plutôt bien », çon dont elle pourrait continuer d’incarplaisante la comédienne de 29 ans. Si sa joie de vivre ner ce rôle. L’heure de la séparation n’a pas encore l’oppose à Macha, elle se reconnaît toutefois dans son sonné. « Il m’arrive encore de me réveiller la nuit en me côté solitaire et admet une fascination artistique pour disant : j’ai envie de jouer Macha. Sans être schizo­ les auteurs suicidés. « J’ai intégré des éléments de ma phrène hein ! Mais oui, je m’y suis attachée. » personnalité, en forçant le trait », explique-t-elle. MARGAUX DEULEY, MAËVA GROS ET ALBIN MOUTON

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Innova

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VERBATIM

SOUS LES PROJECTEURS

AVEC LA NOTORIÉTÉ, LES FRONTIÈRES ENTRE VIE PUBLIQUE ET VIE PRIVÉE SE TROUBLENT. LES CÉLÉBRITÉS DOIVENT ALORS PRÉSERVER CE QU’ELLES SOUHAITENT GARDER DANS L’OMBRE. TOUTES NE METTENT PAS LES MÊMES LIMITES. LA PREUVE AVEC LA VOLUBILE NICOLE FERRONI, LE TAISEUX CHRISTOPHE LEMAITRE ET LE CHARISMATIQUE FRANÇOIS ROLLIN. RECUEILLI PAR MAËVA GROS ET CLÉMENT PIOT

Frédérique Makoa

Avec la notoriété, j’ai dû apprendre à renforcer la frontière entre l’intime et l’espace public. À mes ­débuts dans l’arène médiatique, j’avais un peu cette envie de ne pas passer pour une chieuse ou bien une orgueilleuse. J’étais un sujet ­assez docile. Maintenant que je me sens en manque de temps pour moi et ceux que j’aime, j’ai appris à être plus ferme et à dire plus souvent non. Je n’hésite plus à le dire haut et fort ou plusieurs fois quand la personne se montre sourde. Par contre, en interview, j’ai encore parfois la naïveté de croire que ne figureront dans l’article que les choses “intéressantes” et pas les détails.

NICOLE FERRONI

Je me rappelle d’une journaliste qui m’interviewait pour un magazine. Elle posait des questions pertinentes, me faisait raconter ma vie professionnelle. Et, juste à la fin, elle m’a demandé : “Est-ce-que passer à la télé vous apporte plus de succès auprès de la gent masculine ?” J’ai répondu : “Non, pas tellement. À la rigueur, plus auprès de la gent féminine. Une nana, pour rigoler, m’a même demandée en mariage”. Résultat, deux jours après, l’article est paru avec en gros titre : “Grâce à l’émission, une nana m’a demandée en mariage !” Je me suis donc adressé une note à moi-même : ne pas me laisser amadouer par la portée intelligente de questions qui pourraient cacher des hameçons à potins. »

HUMORISTE ET CHRONIQUEUSE SUR FRANCE INTER

CHRISTOPHE LEMAITRE

FRANÇOIS ROLLIN

Je donne sans hésitation au public tout ce qui sert mon art, tout ce qui est nécessaire à la compréhension du message que je souhaite faire passer. En deçà, c’est mon ­intimité, même lorsqu’il ne s’agit pas de choses particulièrement personnelles. Tout ce qui n’a pas de fonction dans mon projet professionnel reste très naturellement dans ma sphère privée. Contrairement à ce que racontent les habitués des pages people, il n’y a pas d’effort à faire pour protéger son intimité : il suffit de ne pas l’avoir ­délibérément vendue ».

COMÉDIEN, SCÉNARISTE ET CHRONIQUEUR SUR RADIO NOVA

Boris Horvat/ AFP

AFP/Boris Horvat

Jacques Demarthon/AFP

De manière g­ énérale, je suis quelqu’un qui parle peu de moi. La célébrité n’y a pas changé grand chose. Les médias l’ont compris, ils ne me sollicitent pas beaucoup. Je fais très peu d’entretiens chez moi. Je ne parle pas de ma famille ni de mes amis, mais je ne peu x pas leur

i­nterdire de parler aux ATHLÈTE, MÉDAILLÉ DE BRONZE DU 200 MÈTRES DES JEUX OLYMPIQUES DE RIO EN 2016 médias s’ils le veulent. Sur les réseaux sociaux, j’ai des comptes personnels et officiels. Sur ces derniers, je mets surtout des informations en lien avec le sport : là où je suis allé pour des rendezvous, des soirées officielles, les compétitions auxquelles j’ai participé. Mais, globalement, rien d’intime. Et d’ailleurs, sur mes profils personnels, je publie très peu. »


LIFESTYLE

HYGGE, LE BONHEUR À DOMICILE

L’ART DE PRENDRE SON TEMPS ET DE SE RESSOURCER CHEZ SOI, VOILÀ LA NOUVELLE TENDANCE VENUE DU DANEMARK. EN FRANCE, BLOGGEURS ET ADEPTES DES RÉSEAUX SOCIAUX DÉVOILENT L’INTIMITÉ DE LEUR LOGIS.

comme si le nôtre l’était mais au sens figuré », explique Mona Chollet, journaliste et auteure de Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique. Le hygge, nouveau rempart contre un monde extérieur hostile ? « Le de-

Boire un chocolat chaud, regarder une série, colorier ou peindre : autant d’activités pronées par le hygge pour se recentrer sur soi.

pitalier et accueillant. La tentation de se replier sur soi est donc compréL’odeur poudrée hensible. » Alors que cernous enveloppe tains choisissent de s’isopour « retrouver un dès l’entrée. Quelques ler équilibre mental », bougies allumées, des tapis d’autres décident de garcotonneux et des coussins aux der quand même une couleurs pastel suffisent à ­fenêtre ouverte sur le créer une ambiance intimiste. monde extérieur, notamment grâce à Internet. « On vit enfermé, il y a hors fait un peu peur aujourd’hui : l’air est peu de soleil. Le hygge me permet d’avoir pollué, il y a des attentats, le monde du tra- un univers où je me sens bien », précise vail est très dur, poursuit la journaliste. On ­Mathilde Noël. Comme elle, de plus en plus n’est pas spécialement dans un monde hos- de blogueuses, à Paris ou en province, intègrent ces pratiques scandinaves et s’en font le relais auprès de leurs abonnés. Sur son blog, Mathilde, Certains, comme Mona Chollet, dénonétudiante en marketing, cent le caractère mercantile de ce nouveau partage ses conseils sur phénomène. « Beaucoup en ont fait leur les produits qu’elle teste. fonds de commerce. Mais, de là à ce que cela devienne le mode de vie de chacun, je ne crois pas. Ce serait accorder beaucoup de crédit au marketing ». A-t-on vraiment besoin d’un concept hype pour se retrouver au calme chez soi ? On peut en effet se ­poser la question au vu des rayonnages ­débordant de plaids à 150 euros ou de mandalas à colorier à 20 euros. Mais on l’a tous fait… Que celui qui n’est jamais sorti d’Ikea sans son lot de bougies parfumées nous jette la première pierre. Photos : Clotilde Costil/EPJT

Pour certains, le plaid est devenu une ­seconde peau. La tasse remplie de thé ou de café, un prolongement de leur main. Ceuxlà préfèrent les moments près du feu, loin du tumulte de la ville. On les appelle les adeptes du hygge (prononcez hugueu), un art de vivre danois dans lequel rester à la maison est devenu un plaisir assumé. Mathilde Noël l’a adopté depuis longtemps. Dans son appartement parisien, cette jeune blogueuse a pensé son intérieur dans les moindres détails, à commencer par l’odeur poudrée qui nous enveloppe dès l’entrée. Quelques bougies allumées – « cinq et pas une de plus ! » –, des tapis cotonneux et des coussins aux couleurs pastel suffisent à créer une ambiance intimiste. Tout est fait pour avoir envie de cocooner. Depuis son canapé, elle prodigue ses conseils sur son blog, Gypsetlife, à ses presque six mille abonnés. Ces derniers temps, sur Instagram et Pinterest, le hashtag (qui livre des contenus en fonction de mots clés) hygge fleurit sous la plupart des photos de décorations cosy. Ailleurs, les magazines de décoration, les enseignes de la maison et même certaines lignes de prêt-à-porter s’y mettent également. « On s’approprie les traditions de pays qui ont un climat très rigoureux ; c’est

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concept tout droit venu du Grand Nord ? Nul besoin d’acheter des billets d’avion pour le Danemark. Le hygge se vit avant tout chez soi. Mais avant de vous enfermer, un petit détour par le magasin peut être nécessaire pour dénicher quelques éléments de décor indispensables. Ou pas. Et à ceux qui trépignent déjà à l’idée de retrouver leur cocon, pas d’inquiétude : vous pouvez même vous faire livrer sans quitter votre canapé. Si vous êtes à court d’idées, la rédaction d’Innova vous a concocté une sélection d’objets hyggelig à souhait.

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PRATIQUE

LIVRES

Encore un instant, Claude Sarraute, ­éditions Flammarion, 2017, 19 euros.

+

Madeleine Project, Clara Beaudoux, Éditions du sous-sol, 18 euros.

Madeleine Project est le livre d’une série intime. Au départ, la journaliste Clara Beaudoux et la cave de son nouvel appartement pleine des affaires de Madeleine. Lorsque Clara déballe le premier carton, elle plonge dans la vie de Madeleine. Celle qui aurait eu 100 ans en 2015 lui ouvre les portes de sa vie. Photos, cartes postales, lettres, Clara épluche au fur et à mesure ce trésor intime. Elle raconte ses découvertes sur Twitter. Son récit prend la forme d’une série en deux saisons. De ces bribes de vie naît un livre. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Clara entame, en juin 2016, une troisième saison, toujours sur Twitter. La toile tissée par Madeleine est immense et Clara n’a pas fini de l’explorer.

s Les sites/blogs « hygge » les plus à suivre du moment Sur Instagram : @paulasalvaire, @instacocooning Blogs : www.leblogbleu.com, www.hellohygge.com Board sur Pinterest : http://urlz.fr/539k Lieux « hygge » une cantine scandinave pour vous ravir s Manger hygge : Höja, e

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DR

LES BONNES ADRESSES

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À presque 90 ans, Claude Sarraute est encore pleine de vie. Son humour, sa tendresse et son insolence ne l’ont jamais quittée. Pourtant, la mort, elle l’envisage sérieusement. Elle parsème son plaidoyer pour un droit au suicide d’anecdotes. Comme si elle avait encore des comptes à rendre, des affaires à régler, tant d’histoires à raconter. Malgré un sourire en coin qui ne quitte jamais son livre, Sarraute raconte sa vie d’aujourd’hui, celle d’une femme à l’esprit encore vif mais au corps toujours plus douloureux. Membre de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, elle hésite, souvent ; se décide, parfois ; mais ne se lance jamais vraiment pour boire son dernier verre, fumer sa dernière cigarette. C. Costil/EPJT

DR

Après Solange te parle, la comédienne et réalisatrice québécoise Ina Mihalache, dite Solange, poursuit sa quête de l’intime en publiant son deuxième ouvrage au titre très évocateur, Très intime. La jeune trentenaire part à la rencontre de vingt femmes de 18 à 46 ans. Qu’elles soient hétéro, lesbiennes, bi, c’est avec poésie ou sans gêne qu’elles racontent leurs ­expériences sexuelles et affectives. Sodomie, fellation, cunnilingus, porno, triolisme, échangisme, sadomasochisme, Très Intime, Solange, éditions Payot, 2017, aucune pratique n’est 15 euros. laissée de côté. Au-delà des constats teintés de désespoir face à l’obscurantisme de la liberté sexuelle, Solange égaye son livre d’anecdotes légères. Attention, vous pourriez vous y reconnaître.

les papille dans le 3 arrondissement de Paris. (97, rue Vieilledu-Temple) Dormir hygge : Pour ceux qui souhaitent découvrir le hygge directement dans son pays d’origine, un hôtel de charme en plein cœur de Copenhague propose une ambiance « home sweet home » pour une nuit à partir de 100 euros. (Vendersgade 23, Copenhague, Danemark) Sortir hygge : Institut suédois à Paris (11, rue Payenne, 75003 Paris), Institut finlandais à Paris (60, rue des Écoles, 75005 Paris). Ces deux centres permettent de faciliter l’accès à l’art et à la culture suédoise et finlandaise au cœur de la capitale, en créant des opportunités de collaboration entre les milieux créatifs de nos pays respectifs.

s Surtout, n’oubliez pas de vous munir du Guide de la

Scandinavie à Paris, de Katia Barillot et Axel Gyldén, Éditions du chêne, 2015, 144 p., à partir de 16,50 euros. Innova

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PRATIQUE

FILMS

Do Not Track. Brett Gaylor. A voir en intégralité sur donottrack-doc.com

DR

Nothing to Hide. Mihaela Gladovic et Marc ­Meillassoux. ­­ Septembre 2017.

DR

« Ce n’est pas grave, je n’ai rien à cacher. » Qui n’a jamais entendu cette réponse aux mises en garde contre la surveillance en ligne ? Sûrement pas Mihaela Gladovic et Marc Meillassoux qui ont donc décidé d’en faire un film. Dans Nothing to Hide, les deux journalistes suivent un certain Mister X, jeune artiste berlinois n’ayant « rien à cacher » et qui a accepté de voir son ordinateur et son Smartphone surveillés pendant trente jours. Avec l’appui d’activistes et de spécialistes du digital, ce documentaire appelle à réfléchir sur la place du numérique dans la société de demain.

« Ensemble, traquons les traqueurs ». Le slogan du premier épisode de la série documentaire Do Not Track, coproduite par Arte, résonne comme une incitation à prendre en main sa vie numérique. En la visionnant, vous devenez le héros en fournissant vos données personnelles. Le but ? Comprendre comment le Web collecte les données des Internautes à des fins lucratives. Au fil des sept épisodes vous découvrirez qu’il est possible de protéger votre vie privée et reprendre le contrôle de vos données. Une expérience pleine de surprises.

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« Sage » de Sage, Labelgum, 2016. À partir de 11,09 euros.

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TIME

Désormais solitaire, Ambroise Willaume, devenu Sage, a quitté le groupe Revolver pour de nouvelles aventures un peu plus personnelles et électroniques. Le jeune musicien aux multiples facettes musicales produit une mélodie pop basée sur les voix et le piano, accompagné d’un quatuor à cordes. Un mélange épuré entre voix hypnotisante et ballades instrumentales intimistes. En attendant son deuxième projet musical en préparation, replongeons-nous un instant dans son premier album, « Sage », qui offre de belles harmonies vocales, entre ombres et lumières.

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Après quatre ans de pause, Mark Daumail fait r­ enaître en solo le ­projet folk-pop du groupe Cocoon, qui n’a jamais aussi bien porté son nom. Car avant toute chose, l’album « Welcome Home » s’impose comme une ode au cocon intrafamilial, évoquant les petites joies et les grandes épreuves qui traversent un foyer. sur l’ensemble d’une vie. Entre ballades teintées de spleen et pop-songs entraînantes, les cordes sont sublimées par des chœurs gospels et des cuivres Welcome Home, Cocoon. Barclay, 2016. À partir de 11,52 euros. souls que l’artiste est allé chercher à Richmond en Virginie auprès du producteur Matthew E. White.

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PRATIQUE

HIGH-TECH

Rumuki, pour combattre le revenge porn.

Maeva Gros/EPJT

Le revenge porn, aussi connu sous le nom de « porno-vengeance » définit le partage de photos ou vidéos intimes sur le Net, dans le but de nuire à l’un des deux membres d’un couple. Ce phénomène postrupture s’est répandu avec l’émergence des réseaux sociaux. Après les États-Unis, ces nouvelles pratiques vengeresses sont apparues en France il y a quelques années. Un amendement de la loi numérique a d’ailleurs été voté en janvier 2016. Il punit les auteurs de ces publications de 60 000 euros d’amende et de dix-huit mois d’emprisonnement. Avant de passer devant le juge, il existe des solutions pour éviter de se retrouver nu sur la toile. « Keep your private bits off the Internet », traduisez par : gardez vos parties intimes hors ligne. C’est le pari de Rumuki, une application gratuitequi permet d’enregistrer et de sauvegarder une sex-tape en toute sécurité sur votre téléphone. Le principe est simple. Chaque utilisateur reçoit une clé de lecture différente de l’autre. Balbucam, la webcam des animaux.

J. Coatmeur

DR

La téléréalité des oiseaux chasseurs, les ornithologues en rêvaient, balbucam.fr l’a fait ! Avec la saison 2 qui vient de commencer, ce projet scientifique de l’association Mardièval dans le Loiret est une première en France. Les balbuzards Sylva et Titom, rapaces de la famille des aigles, sont les vedettes du show en continu. Durant leur séjour migrateur à Madagascar, les membres du projet ont profité de leur absence pour installer une webcam sur le nid du couple. L’an dernier, ce sont 47 000 visiteurs du monde entier qui ont pu observer le premier envol des poussins, les combats tenus avec les corneilles et les habitudes de chasse. Une Nabilla à plume qui n’a rien à envier à l’originale. http://www.balbucam.fr/fr/en-direct/

Gynopedia, ou le Wikipedia féminin.

CROWDFUNDING

Cette année, nous avons poursuivi l’expérience du financement participatif, le crowdfunding débutée il y a deux ans. Le but ? Apprendre à valoriser notre travail, à communiquer et à entretenir une relation avec nos futurs lecteurs. Et récolter des fonds pour financer le magazine. Les débuts ont été difficiles. Journalistes en herbe, nous sommes encore peu habitués au personal branding. Mais grâce à vous, nous avons atteint notre objectif. La somme rassemblée nous a permis de financer nos reportages et une grande partie de l’impression. Le détail sera donné sur le site. Un grand merci d’avoir cru en nous et de nous avoir fait confiance pour cette campagne.

NOS GÉNÉREUX DONATEURS

Créé en 2016 par une enseignante américaine, ce wiki recense toutes les informations relatives à l’intimité féminine et ce, à travers le monde entier. Droits des femmes, accès à la contraception, congés maternité, législation en matière d’avortement, dépistage du VIH, bonnes adresses de gynécologues… Autant de pratiques qui varient selon les pays. Ainsi, chaque femme peut partager sur cette plateforme participative son expérience personnelle, ses conseils et informer ses congénères qui se trouvent à l’autre bout de la planète. Pratique pour celles qui souhaitent voyager ou s’expatrier. Disponible uniquement en anglais. http://gynopedia.org

GENEVIÈVE AUBERT, FRANÇOISE BONHOMME, FLORENCE BOYRIE, LUCIEN BOYRIE, OPUS MUSIC - PATRICK BOYRIE, FRANÇOIS BRETON, LAURENT CADEAU, THIERRY CAVILLON, FABIENNE CHAPRON-BERNIER, DENISE CHATARD, MARIE-NOËLLE CLÉMENT, LAURE COLMANT, MICHEL COSTIL, FABIENNE DEULEY, RÉGINA DOAGOUI, BAPTISTE DUCOUT, THOMAS DUPLEIX, CÉCILE EVERARD, GILBERT FERDANE, AURORE G., GUILLAINE GODEUX, NICOLAS GRÉNO, DOMINIQUE GROS, JEANNETTE GROS, MAËL GROS, MARIE-ANNICK GROS, GG IF, SOCIÉTÉ ISPAC, ISABELLE LACOSTE, PEYO LACOSTE, FRANÇOISE MALICHECQ, ANAÏS MARTIN, VIRGINIE MESNIL, ÉLODIE METTE, ROSELINE METTE, SOPHIE METTE, ELLA MICHELETTI, SOLÈNE MONNIER, LAURA NEUMANN, MATHIEU NEUMANN, NICOLAS NEUMANN, SOPHIE NEUMANN, YOAN PARROT, ANTOINE PIOT, EURL JAMES PIOT, JEANNINE RIVIÈRE, STÉPHANE SANTI, SANDRINE TAILLANDIER, HUGO FLOTAT TALON, CATHERINE WANNER.

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PUBLI-INFORMATION

DES FORMATIONS RECONNUES OUVERTES À TOUS L’École publique de journalisme de Tours (EPJT) est l’une des quatorze écoles en France dont les cursus en journalisme sont reconnus par la profession. Depuis 1969, l’école forme avec succès des journalistes rigoureux, enthousiastes et conscients de leurs responsabilités de citoyens, aussi bien en presse écrite, en radio, en télévision qu’en multimédia. Dispensées au cœur de l’université François-Rabelais et de l’IUT de Tours, les formations de l’EPJT bénéficient d’un double label : – celui du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ; – celui de la Commission paritaire nationale de l’emploi des journalistes (CPNEJ). Par ailleurs, l’EPJT siège au sein de la Conférence des écoles de journalisme (CEJ). Pour le DUT, l’agrément par la profession est reconduit depuis 1981. Quant à la licence professionnelle, elle est agréée depuis 2005. L’EPJT est la seule école en France à proposer une licence de journalisme agréée par la profession. Le recrutement possible dès le bac, l’ouverture aux reconversions en Année spéciale, le coût modéré des études et la possibilité d’effectuer l’année de licence par alternance expliquent la grande mixité sociale des promotions : 60 % des étudiants de Tours ont des parents agriculteurs, ouvriers, employés, ou dont l’activité est classée parmi les professions intermédiaires.

L’OFFRE DE FORMATION

UN RECRUTEMENT NATIONAL

• Pour le DUT, une présélection est faite sur dossier. Les candidats retenus sont convoqués pour les épreuves écrites et l’entretien de motivation. Sur environ 1 200 candidats, 25 sont retenus en 1re année de DUT, 18 en Année spéciale. • L’admission en licence professionnelle se fait sur dossier pour les étudiants issus du DUT de l’EPJT et sur dossier et épreuves professionnelles pour les candidats extérieurs.

QUATRE MÉDIAS

• Si le multimédia bouleverse l’accès à l’information, il met surtout en avant l’impérieuse nécessité, pour nos étudiants, de maîtriser les fondamentaux du journalisme. Chacun reçoit une formation globale puis se spécialise en presse écrite, en radio ou en télévision. L’enseignement du multimédia se poursuit, lui, de façon transversale durant les spécialisations, plus particulièrement en presse écrite.

Photos : EPJT

• Un parcours en deux ans pour le DUT, accessible aux titulaires du bac jusqu’à bac+2. • Un parcours en un an (Année spéciale), accessible aux étudiants à partir de bac+2 et aux personnes en reconversion professionnelle. • L’année de licence professionnelle de journalisme peut aussi être effectuée en alternance ou dans le cadre d’échanges internationaux. http://epjt.fr/les-formations/

Le corps enseignant de l’EPJT compte, autour des principaux responsables de l’école, une équipe de pro-

fesseurs et d’enseignants-chercheurs pointus sur chacun des domaines que doivent maîtriser les étudiants-journalistes : histoire, géopolitique, économie, droit, sociologie, sciences politiques, langues étrangères, sciences de l’information et de la communication, etc.. epjt.fr/tout-sur-epjt/les-enseignants/

Contact : EPJT, IUT de Tours, 29, rue du Pont-Volant, 37082 Tours. Tél : 02.47.36.75.63. epjt.fr/


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