Innova n°21 : Même pas vieux

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HORS SÉRIE SÉSAME - MAI 2014 - N°21 - 2 EUROS

MAGAZINE ANNEE SPECIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - IUT DE TOURS

TOURS

20 ANS 20 ANS

RETRAITÉS

ISSN 0291-4506

MÊME PAS VIEUX ! LOGEMENT

DOSSIER

PORTFOLIO

LES RETRAITES PARTAGENT DE NOUVELLES FORMES D’HABITATS /p.9

ÉCONOMIE, SANTÉ, SOCIAL, LES ENJEUX DE LA PERTE D’AUTONOMIE /p.25

SIX CORPS FAÇONNÉS PAR LA VIE /p.21

VIVRE ENSEMBLE

DÉPENDANCE

EMPREINTES DU TEMPS


ÉDITO

BONJOUR VIEILLESSE

« Dire que j’ai passé des années à côté de lui sans le regarder. » Mon vieux. C’est la chanson qui m’est venue lorsque le thème d’Innova a été annoncé. Une chanson qui me semblait ringarde, comme le sujet : les seniors. Autrement dit les vieux. Ridés, croulants, bornés. À 22 ans, qu’aurais-je bien pu penser d’autre… Et puis les sujets sont venus, les enquêtes ont commencé. Une autre image de nos aînés est apparue. Celle de Paulette, qui divorce pour pouvoir s’épanouir. Celle de Marie, épouse courageuse qui s’occupe de son conjoint malade. Celle de Claude, le cordonnier, toujours passionné. Celle de ces travailleurs qui ne veulent pas forcément arrêter. Celle de Michelle et Jean, les éternels amoureux. Celle de Jacques, le judoka de 67 ans, plus sportif qu’on ne le sera jamais. Celle de Jean, l’agriculteur qui, malgré ses mains difformes, garde le sourire. Et ces personnes âgées qui, en plein milieu d’un marché, n’ont pas hésité à faire une grimace. Une image bien différente de celle, très classique, de la mamie affairée à son tricot, du papi concentré sur ses mots croisés. Un Innova pour casser les stéréotypes, effacer les clichés. Un numéro pour eux, par nous. « J’aurais pu, c’était pas malin, faire avec lui un bout de chemin », regrettait le chanteur. Un vingt et unième Innova pour qu’on ne regrette jamais d’avoir eu, comme lui, une vision faussée sur nos aînés. à nos vieux. L’ÉQUIPE DE LA RÉDACTION Cette année, les étudiants de l’EPJT ont travaillé avec ceux de deux autres formations – la licence professionnelle concepteur-réalisateur audiovisuel et le DU Photographie documentaire et écritures transmédia – pour vous proposer une information augmentée. Tout au long de ce magazine, vous trouverez des QR codes que vous devez flasher avec votre Smartphone ou votre tablette. Vous accéderez ainsi à des contenus vidéos et photographiques qui livreront des témoignages proches ou lointains, voire parfois opposés, à ceux recueillis pour Innova mais qui enrichiront votre réflexion et votre expérience de lecture. Des lecteurs de QR codes sont téléchargeables gratui­ tement sur les plates-formes d’application téléphonique.

Photos : Clémence Curty et Mathilde Leclerc

P. S.


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HORS SÉRIE SÉSAME - MAI 2014 - N°21 Même pas vieux !

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INDEX

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Clémence Curty

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Olivier Metzger

DOSSIER PRENDRE EN CHARGE LES PERSONNES ÂGÉES, TOUJOURS PLUS NOMBREUSES, COÛTE CHER. GÉRER L’ÉCONOMIE DE LA DÉPENDANCE, TEL EST LE DÉFI À RELEVER POUR LES ANNÉES À VENIR.

“À 60 ANS ON EST ÂGÉ SANS ÊTRE VIEUX” // 4 Le philosophe Pierre-Henri Tavoillot décrypte la place accordée aux seniors dans notre société.

ÉCONOMIE CHERCHE SENIORS H/F // 6

ALLEZ LES VIEUX !

TOUJOURS AU TOP

SENIORS 2.0

// 8 Les publicitaires ont déniché de nouvelles stars.

ENSEMBLE C’EST TOUT

// 9 L’habitat collectif, une façon de préserver l’autonomie et le lien social.

DIVORCÉES, LA GRANDE ENVOLÉE

// 18 À Tours, rien de plus facile pour les retraités que d’apprendre à se servir des outils numériques.

CRÉATION D’UNE ŒUVRE COLLECTIVE // 35 Comment est née la retraite ?

// 12 Tous les couples ne survivent pas à la retraite.

GÉNÉRATIONS

69, ÂGE ÉROTIQUE

// 14 Vieillesse ne rime pas forcément avec libido en baisse.

L’ÂGE VU PAR…

PARTIR POUR LES AUTRES

PRATIQUE

// 15 Séjours au pair, projets solidaires, les seniors ont la bougeotte utile.

// 36 La révolution n’est pas l’affaire des seuls soixante-huitards. // 38 Charlotte Herfray, Geneviève de Fontenay, Yann Arthus-Bertrand et d’autres personnalités. // 40

TERRES DE JOUVENCE POUR CENTENAIRES // 43

Les zones bleues sont assurément des endroits où il fait bon vieillir.

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// 16 Pongiste, rugbyman ou judoka, malgré leur âge, ils n’imaginent pas arrêter leur sport.

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Peu d’entreprises misent sur les plus de 45 ans.

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Mathilde Leclerc et Louise Sébillet

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PORTFOLIO DOS, PIEDS, MAINS... AVEC LE TEMPS ET LE TRAVAIL, LE CORPS EST MARQUÉ. COMME CELUI DE LOÏC, 59 ANS, HOMME FORT.

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Passé 50 ans, la retraite devient une préoccupation majeure : et maintenant, que fait-on ? C’est le thème du webdoc. Rendezvous sur etmaintenant.net.

Tours n°21 Hors série Sésame, mai 2014, Année spéciale de journalisme, École publique de journalisme de Tours/IUT, 29, rue Pont-volant, 37002 Tours Cedex, Tél. 02 47 36 75 63 ISSN n°02191-4506 Directrice de publication : Claudine Ducol. Rédactrice en chef : Laure Colmant. Coordination : Frédéric Pla, Éliane Paty. Rédaction : Lucile Brasset, Flora Chauveau, Clémence Curty, Julie Dubois, Julia Guillen, Axelle Guinon, Marc-Antoine Lainé, Mathilde Leclerc, Juliette Lécureuil, Maureen Lehoux, Julia Mariton, Amandine Prigent, Guilherme Ringuenet, Cécilia Sanchez, Louise Sébillet, Élisabeth Segard. Secrétariat de rédaction : Lucile Brasset, Julia Guillen, Axelle Guinon, Marc-Antoine Lainé, Julia Mariton, Amandine Prigent, Guilherme Ringuenet, Louise Sébillet, Élisabeth Segard. Maquette : Flora Chauveau, Julie Dubois, Mathilde Leclerc, Juliette Lécureuil, Maureen Lehoux, Cécilia Sanchez. Iconographie : Clémence Curty. Photo couverture : Frédéric Pla. Publicité : Julia Mariton. Imprimeur : Alinea 36, Châteauroux. Remerciements : foyer logement de Château-Renault, mairie de Tours, maison de la solidarité de Tours Nord, Ghislaine Pellier, Annie Liagre, Anne Vince, Éliane et Magali Van Puyvelde, A la Bonne planchette, Jet-fête.


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ENTRETIEN

“À 60 ANS, ON EST ÂGÉ SANS ÊTRE VIEUX”

LE PHILOSOPHE PIERRE-HENRI TAVOILLOT DÉCRYPTE LE REGARD QUE NOUS PORTONS SUR NOS AÎNÉS ET RAPPELLE QUE LA VIEILLESSE COMPORTE PLUSIEURS ÉTAPES. INNOVA. Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la vieillesse ?

Pierre-Henri Tavoillot. Je trouve que la vieillesse est un beau sujet de réflexion. Il est riche car la philosophie pose une question fondamentale : comment conduire sa vie ? La vieillesse est une étape de la vie, au même titre que la jeunesse ou la mort. C’est un problème ancien. Quels sont les marqueurs de l’entrée dans cette étape de la vie ?

P.-H. T. Ils ont beaucoup évolué. Il y a quelques années, on pouvait associer la vieillesse à la grandparentalité et au départ à la retraite. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

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On devient grand-parent autour de 52 ans, en moyenne. Mais on commence à se poser la question de la vieillesse aux environs de 60 ans. On est alors âgé sans être vieux. C’est l’âge d’or de la vieillesse. Beaucoup de personnes disent n’avoir jamais été aussi occupées. Peut-on parler d’une philosophie de la vieillesse ?

P.-H. T. Il n’y a pas de philosophie de la vieillesse à proprement parler, plutôt un débat très ancien. Il a commencé avec Aristote, qui pensait la vie comme un arc, avec un sommet. Une fois ce sommet atteint, le corps et l’esprit devaient connaître

le déclin. Dans La Rhétorique, il décrit les traits caractéristiques du vieillard : frileux, mesquin, étroit d’esprit. Il réunit tous les traits négatifs de l’homme. Mimnerme de Colophon, dans une lettre à son ami Solon, décrit la vieillesse comme un état abominable, pire que la mort. Solon le contredit : « En vieillissant, je continue d’apprendre ». Et aujourd’hui, quelle vision de la vieillesse domine ?

P.-H. T. La querelle existe toujours. Difficile de trancher entre les deux écoles. Celle qui voit la vieillesse comme un nouveau moment de la vie, et celle pour qui c’est un déclin.


ENTRETIEN Si l’on considère la vieillesse comme une renaissance, être actif, avoir des projets et garder contact avec les plus jeunes sont essentiels. Si la vieillesse est plutôt perçue comme un déclin, la tendance est à se débarrasser de nos aînés, parce qu’ils coûtent cher à la Sécurité sociale. Le problème, c’est que notre société prône la jeunesse et abhorre la vieillesse. Il faut être tourné vers l’avenir. Dans les sociétés traditionnelles, c’est l’inverse. La vieillesse est synonyme de sagesse. Mais il ne faut pas idéaliser cette situation. Dans les sociétés traditionnelles, le culte de l’individu n’existe pas. Si l’un des anciens d’une tribu nomade ne peut plus marcher, on le tue. C’est une chose impensable dans nos sociétés occidentales où l’on attache énormément d’importance aux individus. D’ailleurs, notre société dite « jeuniste » engage énormément de réflexions pour comprendre comment prendre en charge les personnes âgées. L’investissement de la nation sur ce sujet est considérable.

« Nous devrions protéger les liens sociaux des personnes âgées, au moins autant que leur santé » Pensez-vous que le conflit entre les générations est réel ?

Quelles sont les solutions pour pallier cet isolement ?

P.-H. T. L’habitat communautaire est une solution possible. Aujourd’hui, certains promoteurs immobiliers pensent des projets d’une inventivité extraordinaire : des logements intergénérationnels, par exemple, astucieux et adaptés à la perte d’autonomie. Il faudrait anticiper le vieillissement, tout en créant du lien entre les différentes générations. Mais il ne suffit pas de les juxtaposer, il faut qu’elles soient toutes deux actives et qu’elles se rendent service mutuellement. Sans ça, elles ne peuvent pas cohabiter.

Photos : Flora

Chauveau

Quel est le rôle des pouvoirs publics dans le bien-vieillir ?

P.-H. T. Il faut avant tout qu’ils protègent les liens sociaux des personnes âgées, au lieu de vouloir préserver seulement leur santé. Mener une politique sanitaire est beaucoup plus simple que de créer du lien social. C’est un dysfonctionnement de la société, on pense qu’il faut guérir parce qu’on ne sait pas aimer. Or la vieillesse n’est pas une maladie, on ne peut pas la guérir. La solitude des personnes âgées est souvent la cause principale de leur déclin. Leur monde se restreint, les conjoints et amis meurent, les enfants partent. Tout va très vite. On perd le contact avec les autres et avec soi-même, avec son histoire, avec son identité.

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BIOGRAPHIE

Pierre-Henri Tavoillot philosophe, maître de conférences à la ­sorbonne, président du collège de philosophie, coauteur de Philosophie des âges de la vie. ­(Grasset, 2007)

P.-H. T. Les idées que l’on peut avoir à 15 ans sont absurdes aux yeux des personnes âgées. C’est cela qui crée le conflit, mais c’est un conflit nécessaire. Malheureusement, l’expérience ne se transmet pas. Le drame des grandsparents est qu’ils voudraient protéger leur progéniture de toute forme d’échec. C’est pourtant en échouant que l’on apprend. D’ailleurs, la génération de nos grands-parents aussi bouleverse les codes. Désormais, arrivé à 60 ans, la vie n’est pas terminée. Beaucoup de mes étudiants sont à la retraite. Ils regrettent de ne pas avoir fait suffisamment d’études et sont donc très attentifs et intéressés. À l’âge de la retraite, le nombre de divorces augmente également. Les femmes dépassent leur statut de mère ou d’épouse, elles s’éclatent. Souvent, ce sont les enfants qui font tenir le couple. Lorsqu’ils sont partis, certaines personnes vivent une nouvelle adolescence. Mais cette fois-ci, avec toute l’expérience acquise au cours de leur vie. Être jeune ou vieux, serait-ce une question d’état d’esprit ?

P.-H. T. Se sentir vieux, c’est sentir le regard de la société sur soi. Bien plus que l’apparition des cheveux blancs ou des premières rides, une personne qui se lève dans le bus pour vous laisser sa place vous fera vous sentir très vieux. Mais il faut accepter de perdre physiquement et de gagner autre chose. Avoir du temps pour soi par exemple. La vieillesse est-elle une libération ?

P.-H. T. Pour Cicéron c’était le cas. Comme d’autres philosophes néo-platoniciens, il avait une vision idyllique de la vieillesse. Une sorte de seconde vie. Ils utilisaient l’image du vieux sculpteur. Le sage doit sculpter sa propre statue. Il taille dans un bloc de marbre, pour enlever le superflu et obtenir la forme qu’il souhaite. La sculpture est un art qui enlève. Vieillir c’est ça. C’est retrouver la quintessence de sa personnalité.

RECUEILLI PAR JULIETTE LÉCUREUIL

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EMPLOI

ÉCONOMIE CHERCHE SENIORS H/F ILS ONT ACQUIS DE SOLIDES COMPÉTENCES, DES SAVOIRFAIRE SOUVENT CONVOITÉS. POURTANT, LES FINS DE CARRIÈRES RESTENT PEU ATTRACTIVES EN FRANCE.

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Amandine Prigent

alon des seniors à Paris, au ­début du mois d’avril. Les visiteurs se promènent parmi dix villages thématiques. L’un d’eux indique « travailler après 50 ans ». Le stand est un peu vide, incomplet, à l’image de l’emploi des plus âgés en France. La population vieillit et ­l’espérance de vie n’a jamais été aussi longue. Une question se pose : les ­travailleurs doivent-ils rester plus longtemps sur le marché de l’emploi ? À l’horizon 2060, un habitant sur Claude Vioux, 77 ans, est cordonnier. Depuis l’ouverture de sa boutique tourangelle, trois sera âgé d’au moins 60 ans1. en 1962, l’artisan est resté fidèle au poste et aux souliers qu’il bichonne. ­Selon les projections de l’Insee, le nombre d’actifs va augmenter dans en berne. Les plus de 55 ans sont sou- d’emploi et continuaient cependant à les prochaines décennies mais moins vent « poussés vers la sortie » car le toucher les allocations chômage. La vite que celui des inactifs. Le nombre coût social de leur licenciement est fin de ces mesures expliquent en parde cotisants risque considéré comme moins tie la brusque augmentation du taux important que pour les de chômage des plus de 50 ans de donc d’être insuffi­travailleurs plus jeunes. 12,1 % sur un an. Mais ceux-ci ne resant. Pour pallier ce Le chômage des Passé cet âge, ils peuvent présentent que 6,4 % des chômeurs problème, une des solutions envisagées plus de 50 ans toucher trois ans de (février 2014). En effet, sans préreest d’inciter les a augmenté de ­chômage au lieu des traite, les travailleurs âgés licenciés ­seniors à rester plus 12,1 % en un an. deux habituels. Jusqu’en doivent s’inscrire à Pôle emploi. De le système des pré- plus, le recul du départ à la retraite longtemps sur le Mais en 2014 ils 2011, retraites permettait aux pousse les chômeurs à rester sur le marché du travail. ne représentent salariés âgés d’au moins marché du travail. S’ajoute à ces effets Mais en France, ce que 6,4 % des 57 ans, licenciés pour mécaniques la difficulté pour ces trane sera pas simple. Depuis plus de chômeurs motif économique et vailleurs à retrouver une activité. non reclassables, de se En France, parmi les 55-64 ans, un setrente ans, les employeurs ont ­tendance à se séparer retirer du marché du travail sans pas- nior sur deux s’est retiré du marché de systématiquement des travailleurs ser par la case chômage. Certains l’emploi. Normal puisque l’âge de déâgés lorsque le marché de l’emploi est étaient aussi dispensés de recherche part à la retraite est (encore) fixé à

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EMPLOI 60 ans. Le taux d’emploi2 de cette même tranche d’âge était de 44,5 % ­en 2012, soit 4 points de moins que la moyenne de l’Union européenne (48,8 %)3. Le traité de Lisbonne avait pourtant fixé comme objectif les 50 %. À titre de comparaison, la Suède atteint un taux d’emploi de 73 %. LA SCANDINAVIE DONNE L’EXEMPLE

Kim Boscolo

Même si elle reste inégale d’un métier à l’autre, l’espérance de vie augmente dans la plupart des pays européens. Ce phénomène a été ­anticipé dans les pays nordiques. La priorité de ces gouvernements a été d’assurer le bien-être au travail et non pas simplement de calculer froidement combien coûtent les retraites. L’âge de départ à la retraite a certes été ­retardé mais, en contrepartie, un changement dans la gestion des ­ressources humaines s’est opéré. Par exemple, le temps partiel est favorisé afin que les seniors ne soient pas trop fatigués et puissent passer du temps en famille. En Finlande, la solution est venue du dialogue social : les employeurs, les syndicats et les pouvoirs ­publics ont trouvé comment rendre le travail des seniors attractif, pour les entreprises comme pour les salariés. Les travailleurs norvégiens de plus de 60 ans ont, eux, une semaine de ­vacances en plus par an. Un privilège qui peut aller jusqu’à trois en fonction de leur ancienneté dans l’entreprise. Dans ces pays, les pouvoirs publics ont également cherché à comprendre pourquoi les plus anciens perdaient leur motivation. L’apparition de nouvelles technologies était parfois mal vécue et une partie des salariés se sentait dépassée. L’agence pour l’emploi a donc ­financé des formations. Et alors

qu’ils étaient souvent écartés des nouveaux projets, maintenant les ­seniors y ­participent et accèdent à des postes ­d’encadrement. En France, on est loin de ce modèle. « Les employeurs sont ­réticents à ­investir dans la formation de leurs salariés de plus de 45 ans. Dans les faits, seuls 20 % des plus de 55 ans ont accès à une formation », note Jean-Pierre Wiedmer4, président de l’International Longevity Center-France. Pourtant, à 45 ans, un employé a encore entre quinze et vingt ans d’activités. Avec un départ à la ­retraite de plus en plus tardif, cette durée n’ira qu’en s’accroissant. Et comme les plus de 50 ans craignent d’avoir des difficultés à ­retrouver un poste, ils sont moins enclins à quitter leurs entreprises que les jeunes. Leurs employeurs, s’ils décident de les former, ont donc toutes les chances d’en voir les retombées dans la durée. LA DURÉE DE TRAVAIL SE PROLONGE

Les seniors sont perçus comme moins productifs et plus coûteux. En fait, comme pour les autres classes d’âge, les plus qualifiés, donc les plus coûteux, n’ont pas de problème à ­garder ou à trouver un emploi. Une fois à la retraite, ils sont nombreux à être recrutés dans le mouvement ­associatif. Autant de preuves de leur Christiane, 78 ans, n’est pas près d’abandonner les fourneaux de son restaurant.

20 LE CHIFFRE

« Seulement 20 % des travailleurs âgés de plus de 55 ans ont accès à une formation » valeur et ce dans des domaines aussi différents que l’aide aux entreprises, à l’alphabétisation, aux devoirs, aux sans-abris, aux personnes en ­difficulté, à l’international… Même s’il est difficile de quantifier la valeur marchande de leur travail bénévole, il est certain que c’est une plus-value pour l’économie tout entière. Inciter les seniors à ­réintégrer le marché du travail ne risque-t-il pas de se faire au ­détriment du monde associatif ? Chercheurs et pouvoirs publics ont tendance à oublier une question ­essentielle : les ­seniors veulent-ils rester sur le ­marché du travail ? Il y a quelques décennies, la retraite pouvait être perçue comme une « mort sociale », c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui. En 2002, une étude des chercheurs Laurent Caillot, Romina Boarini et Christine Le Clainche montre que, sur un échantillon de 4 000 ­personnes, un quart des personnes âgées voudrait prendre sa retraite avant 55 ans contre seulement 5 % à 65 ans. Les salariés estiment que la retraite est « un repos bien mérité », « une ­occasion de s’engager dans de ­nouvelles activités » et 15 % craignent de s’ennuyer. Même si tous les ­travailleurs âgés ne se tournent pas vers le marché de l’emploi, il serait souhaitable que la France leur ­garantisse la liberté de choix. JULIA MARITON

(1) Insee, projections de population pour la France métropolitaine à l’horizon 2060. (2) Le taux d’emploi est calculé en divisant le nombre d’individus âgés de 55 à 64 ans ayant un emploi par le nombre total d’individus ayant cet âge en France. (3) Chiffres pour les 28 pays de l’UE en 2012. http://www.insee.fr/fr/themes/tableau. (4) Auteur de Tant qu’il y aura des seniors.

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D. R.

MARKETING

TOUJOURS AU TOP LES PUBLICITAIRES L’ONT BIEN COMPRIS, LE TROISIÈME ÂGE FAIT VENDRE ET S’AFFICHE CLASSE, DRÔLE ET GLAMOUR.

Poses lascives,

chemisiers transparents, jambes écartées, Jacky est l’égérie de la ligne Basics de la marque American Apparel. Un corps de nymphette, mais une longue chevelure argentée, le mannequin a 62 ans. La ­représentation des seniors dans la publicité a bien changé. Les bouclettes blanches et les ­répliques impertinentes de Lucienne Moreau, la mamie d’Adopteunmec.com, ont remplacé la blouse bleue et l’accent normand de la mère Denis. Mais c’est que le regard posé sur les ­anciens a évolué et les seniors eux-mêmes se voient différemment. Papi comme mamie restent dans le coup et vieillir ne leur a pas fait ranger leur coquetterie au fond de leur ­dressing. Alors, les marques surfent sur la tendance et tentent de démontrer qu’être vieux, c’est mieux. Avec 38 % de pouvoir d’achat de plus que les moins de 50 ans, les aînés sont choyés. Pour Hervé Sauzay, président de l’Institut français des seniors, il semble « logique de les inclure dans la politique marketing car ils sont représentatifs de l’ensemble de la société ». On a tout intérêt à les considérer comme des consommateurs lambda et non plus comme une cible segmentée. « Une marque ne se vieillit pas forcément quand elle choisit de montrer un senior. Au contraire, elle apparaît plus ouverte et donc plus innovante », juge Frédérique Aribaud de la Senior Agency, une entreprise de communication spécialiste des plus de 50 ans. Sur le marché publicitaire, jouer le décalage est une valeur ajoutée, surtout pour la notoriété. À contre-courant des codes, les ­campagnes qui exhibent des seniors glamour ­apparaissent d’autant plus transgressives. Frédérique Aribaud l’affirme : « Aujourd’hui, les marques qui choisissent des égéries seniors veulent se donner une image impertinente et montrer leur ouverture d’esprit. Le “vieillisme” est le nouveau jeunisme. » Même la très élitiste marque The Kooples se lance.

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Après les androgynes et les adolescentes, c’est sur les seniors que les marques surfent aujourd’hui.

« On ne vieillit pas forcément sa marque en choisissant de montrer un senior. On la rend plus ouverte et innovante »

Dans sa célèbre série publicitaire qui met en scène des couples, on peut voir Tanya Drouginska, mannequin et comédienne de plus de 60 ans, poser fièrement au côté de son ­compagnon. « J’ai toujours 35 ans dans ma tête, clame-t-elle à Francetvinfo. Tous les matins, je me lève avec des projets. » Dynamiques, les vieux ­rassurent. « Nous sommes dans la recherche du vrai. Les seniors apportent une dimension d’assurance, de sérénité et de confiance », confirme Hervé Sauzay. Et les plus jeunes ­seraient séduits par l’authenticité des visages ridés, les mannequins retouchés ayant fini par lasser. Mais mettre en scène les seniors n’est pas une mince affaire car ceux-ci sont exigeants pour tout ce qui concerne leur image. Ils détestent qu’on leur rappelle qu’ils sont vieux. Ils ­attendent des marques qu’elles véhiculent une image qui ne soit ni dégradante ni caricaturale et loin des stéréotypes. Le cliché du retraité assis face à la mer que ressort chaque année Le Point en couverture de son spécial retraite est donc à proscrire. Comme l’affirme le philosophe Pierre-Henri Tavoillot dans une interview pour Sciences humaines : « S’il nous arrive d’admirer de beaux et sages vieillards, ce que nous admirons n’est pas la vieillesse mais la beauté ou la sagesse qu’ils conservent en dépit de leur âge ». JULIE DUBOIS ET CÉCILIA SANCHEZ


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Cogedim Club

REPORTAGE FOCUS

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l’aube de leur retraite, nombreux sont ceux qui se demandent ce qu’ils souhaitent faire du reste de leur vie. Ils ont 60 ans, leur espérance de vie n’a jamais été aussi longue. Pour eux, pas question de rester chez soi à ne rien faire. D’ailleurs, en parlant de chez soi, que faire de cette maison devenue trop grande et dont l’entretien pèse lourdement sur le budget ? Certains vendent la maison et choisissent un habitat alternatif. Françoise Janin, 66 ans, habite dans le sud de l’Ardèche au Hameau des Buis, un lotissement intergénérationnel construit près d’une école en 2004 et qui propose des logements écologiques du studio au T4. « J’ai toujours été sensible à ce mode de vie, simple et volontaire. J’ai vu mon père en maison de retraite et je ne voulais pas vivre ça », confie-t-elle. Et pour elle, pas question de s’ennuyer. Chaque jour, elle anime des ateliers pour les enfants, s’occupe des animaux, s’investit pour une association. « À mon âge, beaucoup passent leur temps devant « Questions pour un champion ». Au Hameau des Buis, je n’ai

LOGEMENT ENSEMBLE C’EST TOUT

AVOIR UN CHEZ SOI MAIS GARDER CONTACT AVEC LES AUTRES, SES AMIS, SES VOISINS, C’EST TOUT L’ENJEU DES NOUVELLES FORMES D’HABITAT. pas l’impression d’être à la retraite. Chacun a un vrai rôle. » En région Centre, à Souvigny-deTouraine, l’ouverture d’une maison d’accueil rurale pour personnes âgées (Marpa) est prévue pour septembre 2015. Mises en place par la Mutuelle santé agricole, les structures de ce type n’accueillent pas plus de 25 locataires. Toutes proposent à leurs résidents un logement privatif et des espaces de vie collectifs. Chaque année, dix nouvelles Marpa sont créées. On en compte aujourd’hui 170. Mais celle de Souvi-

gny-de-Touraine se démarque des autres : c’est la seule construite à proximité d’une école.« Ateliers cuisine, débats autour des parcours de vie de résidents, aide aux devoirs… Toutes sortes d’activités seront proposées aux retraités et aux enfants », explique Richard Roig, responsable du projet. Cela permettra de lutter contre l’isolement, l’insécurité et la perte d’autonomie. À Tours, la résidence service Belmont est installée près d’un hôtel pour favoriser l’échange intergénérationnel entre personnes âgées et pen-

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FOCUS sionnaires de l’hôtel. Les premières bénéficient de leur propre logement tout en étant encadrées par le personnel. Des services à la carte leur sont proposés : restauration, animations, aide aux déplacements, livraison de pain ou de viennoiseries, etc.

d’autres en moins bonne forme permet de retarder l’entrée en institution spécialisée. Il aura fallu plus de quinze ans à Thérèse Clerc, présidente de la maison des Babayagas, pour voir aboutir son projet. D’autres groupes en France tentent de monter des pro-

ÉVITER L’INSTITUTION SPÉCIALISÉE

Pour la génération arrivée à la retraite il y a dix ans, choisir son mode de vie est un phénomène nouveau. SelonDominique Argoud, sociologue et auteur de l’ouvrage De l’hébergement à l’habitat, une évolution ambiguë, cette génération « est moins fataliste que la précédente ». Les nouveaux ­seniors refusent d’entrer en maison de retraite traditionnelle, qu’ils perçoivent comme un mouroir. « Cette génération a connu les Trente Glorieuses et ses valeurs d’autonomie et de liberté. Elle cherche donc à bâtir un mode de vie qui y ressemble. » La communauté des Babayagas, à Montreuil, en est un bel exemple. Une maison « autogérée, citoyenne, écologique, féministe, laïque et solidaire », comme le stipule la charte de vie. Chacune doit contribuer dix heures par semaine à la vie commu­ nautaire. Favoriser l’entraide entre des femmes en bonne santé et

« La nouvelle  génération de seniors est moins fataliste que la précédente » jets similaires comme à Massy (Essonne), à Bagneux (Hauts-de-Seine) ou à Saint-Priest (Rhône). Les seniors qui ne souhaitent pas s’investir autant optent pour des solutions alternatives. Jean-Michel Thomas a créé en 2012 le site Internet coloc-senior.fr. « Lors d’un déplacement professionnel, j’ai vécu en colocation pendant plusieurs mois. En discutant avec les habitants, je me suis rendu compte que ce type de ­logement était développé pour les ­seniors en Allemagne et dans les pays nordiques, mais pas en France. » ­Aujourd’hui son site compte près de

Écoravie

A Dieulefit, dans la Drôme, les membres de ­l’association Écoravie recrutent pour construire un village intergénérationnel.

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1 200 inscrits. Principalement des femmes, de 55 à 65 ans, qui souhaitent partager le loyer et les charges et surtout éviter de se retrouver seules. « Rompre l’isolement, recréer un lien, c’est ce à quoi nous travaillons », ­explique Françoise Menant, directrice de l’association Un toit en partage, à Tours. Le but de cette organisation est de former des binômes composés d’une personne âgée et d’un jeune de moins de 30 ans pour cohabiter le temps d’une année universitaire. Un moyen pour les seniors d’être entourés et d’être ­aidés pour les tâches quotidiennes. Une complicité naît entre les deux colocataires et atténue la solitude des deux. « On ­essaie de former des tandems susceptibles de bien s’entendre », explique la directrice. La première association de ce type a été créée en 2004 à Paris. Depuis, elles se sont multipliées dans les grandes villes étudiantes. MAINTENIR LE LIEN SOCIAL

À la résidence du Maine de ChâteauRenault (Indre-et-Loire), Simone a emménagé dans un appartement tout équipé qu’elle a décoré et aménagé à sa convenance. Malgré la multitude de services proposés par la résidence, elle reste très active. « Il ne faut pas croire que parce qu’on est en résidence avec services, on est des bons à rien. » Continuer à cuisiner pour soi, faire ses courses ou simplement aller et venir librement, autant d’activités du quotidien, essentielles au maintien d’une certaine autonomie. « Ici, on est plus libres. Le soir, on peut sortir. On fait ce qu’on veut », s’exclame Yvette, une autre résidente. Tous les après-midi, elle se balade avec Madeleine, une amie qu’elle a rencontrée au foyer. Rares sont ceux qui restent enfermés toute la journée. Depuis quelques mois, un petit groupe s’est formé et se donne rendez-vous en fin d’après-midi pour discuter jusqu’à l’heure du dîner. « Nous parlons de nos vies, de nos parcours, de nos anecdotes. Cela fait du bien », confie Simone. Et chacun est libre de partir quelques jours en famille. Il suffit de prévenir le personnel. La sociologue Isabelle Mallon défend ce type d’habitat qui « doit permettre aux personnes âgées de conserver


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FOCUS La famille d’accueil pour personnes âgées, une solution alternative pour les plus âgés. Ghislaine (à droite) en héberge depuis 1999.

Flora Chauveau

VIEILLIR EN COMMUNAUTÉ

une vie sociale, tout en restant chez elle et en bénéficiant des services dont elles ont besoin ». D’autant qu’il est moins onéreux que les maisons de retraite. Aussi bien pour les pouvoirs publics que pour les résidents. Pourtant ces dix dernières années, près de 40 000 places ont été supprimées. Trop méconnus, ces foyers s’effacent derrière le maintien à domicile, prôné par les gouvernements depuis plusieurs années. Le 12 février dernier, Jean-Marc Ayrault semblait vouloir « donner un nouveau souffle » aux foyers logements, rebaptisés « résidences autonomie. » GARDER SES REPÈRES

Tous ces dispositifs présentent bien sûr des limites. Si un début de perte d’autonomie, auditive ou ­visuelle, ne pose pas problème, « on s’aperçoit que ce n’est pas simple à vivre à partir du moment où il y a des handicaps physiques », explique Isabelle Mallon. Les personnes plus âgés et plus ­dépendants peuvent alors ­choisir de vivre en les familles d’accueil. Agréée par le conseil général depuis 1999, Ghislaine Pellier héberge et s’occupe

a­ ctuellement de trois dames, âgées de 86 à 95 ans. « Elles me racontent des anecdotes sur leurs enfants, sur leur jeunesse, sur la guerre… L’une a ­travaillé à la ferme, l’autre en magasin », explique Ghislaine. Chaque jour, une infirmière passe dans sa maison d’Azay-sur-Cher (Indre-etLoire) pour vérifier que tout va bien. Ces retraitées gardent ainsi leurs ­repères en restant dans leur région et trouvent une seconde famille. L’habitat axés sur le vivre ensemble ne convient cependant pas à tout le monde. Les sociologues ont montré que la capacité à créer des liens est liée aux trajectoires personnelles. Le rapport à l’habitat peut être très différent d’une personne à l’autre. « Certains ont été sédentaires, très ­attachés à la terre, d’autres plus ­nomades, suite à des séparations », souligne Frédéric Morestin, ergothérapeute et auteur de l’ouvrage Les Personnes âgées et l’adaptation au ­logement. Ceux-là sont plus aptes à aller vers les autres, quel que soit l’endroit où ils résident. Si aujourd’hui l’offre de ­logement pour seniors se ­diversifie afin de correspondre aux ­attentes de

En novembre dernier, l­ es ­ ssociations LGBT (Lesbiennes, a gays, bi et trans) ont remis un rapport à Michèle Delaunay, alors ministre déléguée aux Personnes âgées, sur les conditions de vieillissement des seniors homosexuels. Parmi les propositions ­figure l’expérimentation de maisons de retraite communautaires. Des habitats de ce type commencent à voir le jour en France. Dans certaines communautés, on cherche en effet à privilégier l’entre-soi. Ainsi, Me Chems Eddine Hafiz, avocat parisien, tente de donner naissance à une maison de retraite médicalisée pour les musulmans atteints d’alzheimer. Une telle structure permettrait au personnel soignant de rappeler aux patients les jours et les heures de prière. Mais le projet, présenté au gouvernement sous sarkozy, n’a pas encore abouti. Ces nouvelles formes d’habitat ont du mal à convaincre, le communautarisme n’étant pas encore bien accepté. Pourtant, à l’étranger, ces maisons de retraite communautaires fleurissent, notamment celles réservées aux homosexuels. aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Espagne ou en ­Allemagne, il en existe déjà plusieurs. À Berlin, la maison de retraite Türk Huzur Evi accueille exclusivement des Turcs. Et à Belfast, en Irlande du nord, des retraités chinois peuvent vieillir ensemble dans la résidence Hong Ling Gardens. L. B.

chacun, le lieu de vie ne fait pas tout. Une personne peut très bien décider de s’installer dans une communauté autogérée sans pour autant nouer des liens avec les autres. Pour Dominique Argoud, « le lien ­social est quelque chose qui se travaille tout au long de la vie et pas seulement le jour de ses 70 ans. » LUCILE BRASSET, FLORA CHAUVEAU,

JULIA GUILLEN ET JULIETTE LÉCUREUIL

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Mathilde Leclerc et Louise Sebillet

SOCIÉTÉ

Verres entre amies lèche-­vitrine, cinéma, les femmes divorcées profitent à plein de leur liberté.

DIVORCÉES LA GRANDE ENVOLÉE

SIGNE DE LEUR GÉNÉRATION, LES RETRAITÉES SONT AUJOURD’HUI DES FEMMES LIBRES QUI N’HÉSITENT PAS À DIVORCER ET À DONNER UN NOUVEAU SOUFFLE À LEUR VIE.

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ujourd’hui, je suis indépendante. » C’est par ces mots que Marie*, retraitée de 61 ans, ­résume sa vie d’après ­divorce. Il y a neuf ans, cette femme de commerçant a mis un terme à trente-quatre années d’union. « Il n’a jamais tenu compte de moi. Maintenant, je fais ce que je veux. » Marie n’a pas attendu la retraite pour divorcer. Mais pour beaucoup de femmes, c’est la première année d’inactivité professionnelle qui sert de déclic. Si le phénomène est récent, les chiffres du ministère de la Justice sont éloquents : le nombre de divorces chez les seniors a considérablement augmenté au début des années deux mille. En 2005, plus de 19 000 personnes de plus de 60 ans ont divorcé. On n’en

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comptait que 10 000 dix ans plus tôt. Dans 66 % des cas, ce sont les femmes qui en font la demande. « Se lancer dans le divorce pour un homme, c’est le risque de ne plus voir ses chaussettes lavées et son repas prêt », ­observe Jean-Paul Escudier, avocat spécialiste du droit de la famille. Jusqu’à la réforme du divorce, en juillet 1975, « une divorcée était très mal considérée. Obtenir un divorce était rare et très difficile », se souvient la sociologue Évelyne Sullerot. Dans les années soixante-dix, l’image de la femme indépendante a émergé grâce aux mouvements féministes. « C’est à cette même époque que commence la ­désaffection pour le mariage. La femme s’est libérée des vieilles ­entraves », note la sociologue.

Le cliché du couple de retraités est devenu obsolète. Fini le temps de mamie au tricot et de papi au jardin. ­Autrefois perçue comme une période de repli, la retraite est aujourd’hui l’occasion de rattraper le temps perdu. Dans son livre L’Année du phénix : la première année de la retraite, la journaliste Danièle Laufer explique que les femmes sexagénaires « n’ont ­renoncé ni à vivre ni à se faire ­plaisir ». Certaines tentent de « passer le cap en duo » et y parviennent. Pour d’autres, l’épanouissement passe par la rupture. Le tête-à-tête avec le conjoint est vécu comme un véritable choc frontal. « L’activité professionnelle permettait de masquer les failles du couple. Ce que l’on ne voulait pas voir chez l’autre, là on se le prend en pleine


SOCIÉTÉ face », analyse Serge Guérin, sociologue spécialiste du vieillissement. Le divorce permet alors une reconquête de soi. Les enfants partis, la vie ­professionnelle achevée, les femmes s’écoutent davantage. « Le divorce s’est banalisé, atteste Serge Guérin. Les gens ont changé mentalement, socialement et physiquement. » LA MARCHE VERS L’INDÉPENDANCE

Pour les femmes, l’ouverture au monde du travail a été vitale. Longtemps elles ont été tributaires des ressources de leur mari. Les envies de divorces avortaient souvent avant d’avoir été exprimées à haute voix. La féminisation du salariat à partir de 1960 a été un premier cap vers l’autonomie. Les femmes ont commencé à gagner leur vie, à prendre des responsabilités. Depuis 1966, elles peuvent exercer une profession sans le consentement de leur mari. La liberté vient en travaillant. Évelyne Sullerot en est convaincue. Fondatrice de l’association Retravailler, elle a rencontré près de 300 000 femmes dans la détresse depuis les années soixante-dix. « Au début, beaucoup

voulaient travailler pour pouvoir un jour divorcer sans être ruinée. Dans leur esprit, le divorce était une libération. » Cette génération de femmes retraitées est la première à avoir cumulé carrière professionnelle, même segmentée, et vie privée. Elles ont combattu pour leur légitimité à l’emploi. Serge Guérin traduit ce droit au travail comme « la toute ­première conquête de ces femmes ». ­Dorénavant, une fois à la retraite, elles sont en capacité de s’assumer. Cependant, la retraite n’est pas rose pour toutes. La retraite moyenne des femmes est de 900 euros net par mois, celle des hommes de 1 550 euros. « Ce n’est pas une fois passé 50 ans que l’on ­devient autonome », observe Lucette Escudier, fondatrice et directrice de la Fédération des femmes pour ­l’Europe. Cette marche vers l’indépendance ­financière est de longue haleine. « Les femmes qui arrivent chez nous sont dans des situations dramatiques, poursuit ­Lucette Escudier. Toute leur vie, elles ont eu un travail fragmenté et n’ont donc pas de revenus suffisants. Elles se retrouvent seules parce qu’il n’y a plus de

solidarité familiale. » Josiane, ancienne directrice d’école de 57 ans, est en pleine procédure de ­divorce. Elle raconte que son ­ex-compagnon l’a « torturée psychologiquement ». Elle vit dans un logement social avec

900

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LE CHIFFRE

C’est le revenu moyen en euros perçu par les retraitées. celui des hommes est de 1 550 euros

une retraite de 940 euros. « J’ai quitté mon travail pour lui. J’avais une grande maison. Je me ­retrouve seule. Le matin, il me faut une heure et demie pour contenir mes pleurs », raconte-t-elle. Si pour certaines, la séparation est la panacée, pour d’autres, elle est douloureusement vécue. Comme leurs cadettes, les femmes seniors ont ­acquis le droit au divorce. Les joies et les peines qui vont avec.

MATHILDE LECLERC,

AMANDINE PRIGENT, LOUISE SEBILLET

(*) Le prénom a été modifié.

TÉMOIGNAGES

Amandine Prigent

FRANÇOISE, 61 ANS Je fais partie d’une génération dans VIT SEULE laquelle seuls les garçons faisaient des études supérieures. J’ai donc commencé à travailler à 14 ans. D’abord aux côtés de mes parents puis à 21 ans avec mon mari. Je me suis brutalement retrouvée seule à sa mort, en 2004. Quelques temps après, j’ai rencontré un homme mais ça vient d’exploser. Quand j’étais jeune, ma vie était dirigée par mes parents et mon mari. Maintenant je pense plus à moi. j’essaie d’apprivoiser ma retraite car la vieillesse n’est pas une maladie. C’est une étape. Tant que l’on est bien entouré on se sent quand même plus solide. Je vois plus souvent mes amis et ma famille. La retraite, c’est un temps un peu brutal. C’est la dernière étape avant la fin. Aujourd’hui, je m’occupe pour éviter les temps morts. Cette année, j’ai décidé de voyager, de prendre des cours d’anglais et de piano. Je marche, je fais de la gym et du yoga.

La rupture n’a pas été ­irréfléchie. Elle est le fruit de plusieurs années de réflexion, de ras le bol aussi. Tout s’est déclenché quand mon mari m’a imposé de travailler avec lui. J’ai subi. J’ai alors découvert mon conjoint sous un jour différent. Une façon de se ­comporter que je n’aimais pas. Nous ne parlions plus. À la retraite, nous avons rompu. J’ai tout laissé derrière moi. Je ne voulais rien emmener de ce passé. Je suis partie vivre dans le village de mon enfance. J’avais besoin de ce retour aux sources pour me ­reconstruire et me redécouvrir. Ce périple, je l’ai fait seule. La solitude peut effrayer mais pour moi, elle n’a jamais été un obstacle. Mieux, je l’apprécie. Toute ma vie, j’ai vécu en collectivité. Élevée avec mes huit frères et sœurs, j’ai eu quatre enfants. Là, je souffle un peu. Je n’ai plus que moi à assumer, je m’engage ici ou là à ma guise. Même si aujourd’hui je ne regrette rien, je sais que cette séparation n’a pas été simple. En l’annonçant à mes parents, j’ai vu leur incompréhension. Leur ­génération garde l’image de cette épouse dévouée à son mari. Mais de quel droit un homme peut-il dire «c’est ma possession»? On n’appartient pas à l’autre.

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SEXUALITÉ

69, ÂGE ÉROTIQUE

LA SEXUALITÉ N’EST PLUS UNE QUESTION D’ÂGE, MÊME SI ELLE S’EXPRIME DIFFÉREMMENT. LE DÉSIR EST TOUJOURS PRÉSENT.

M

ichelle, 68 ans, et Jean, 71, sont en couple depuis cinquante ans. Elle était institutrice, lui, chef d’entreprise. Depuis qu’ils sont à la retraite, ils ont changé de mode de vie, pour fuir la routine. Y compris au niveau de leur intimité. « Avoir une vie sexuelle est important pour tout couple, explique Michelle. Certes, nous n’avons plus la forme de nos 20 ans, mais le désir est toujours là. » Même si beaucoup de personnes âgées gardent la fougue de leur jeunesse, les rapports se font plus rares au fil des ans. En août dernier, une enquête américaine révélait que seulement 26 % des 75-85 ans étaient sexuellement actifs, contre 73 % des 5764 ans. Les auteurs de l’enquête, des gyné­cologues et des sociologues des universités de Chicago et de Toronto, ont par ailleurs démontré une corrélation entre l’état de santé et la vie sexuelle : 81 % des hommes qui se considérent en très bonne santé sont actifs. Ils ne sont que 46 % quand ils s’estiment mal en point. La situation en France est assez similaire : « Ces chiffres illustrent bien la baisse de forme physique induite par le vieillissement, explique le Pr Pierre Costa, président de l’association inter-hospitalo-universitaire de sexologie. Certaines personnes ont d’ailleurs recours à des médicaments ou trouvent d’autres moyens que l’acte sexuel pour exprimer leurs désirs. » Un propos confirmé par s:

oto

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DR

PRÉVENTION À 60 ANS

« il y a  plusieurs moyens de  le faire, mais un seul de se protéger » Campagne de prévention américaine contre le SIDA, datant de 2012. Le nombre de seniors atteints de MST avait augmenté de 71 %, en Floride.

Lorraine Boilly, sexologue spécialiste des seniors, qui insiste sur un point : « Quand on parle de sexualité chez les personnes âgées, il n’est pas seulement question de l’acte physique. Elle évolue au fil des ans. Les gestes de tendresse remplacent les rapports sexuels classiques. » Même si la manière de les exprimer évolue, les exigences et les fantasmes sont toujours présents. Certaines personnes profitent même d’un regain de désir, chacun disposant « de plus de liberté pour séduire l’autre, pour prendre le temps de l’échange et du dialogue, pour redécouvrir son corps », comme le souligne le sociologue Serge Guérin dans son livre Vive les Vieux. Et même si la sexualité des seniors est souvent considérée comme taboue, « on doit pouvoir [en] parler comme on parle de celle des autres tranches d’âge ». La sexualité est une denrée non périssable qui s’exprime différemment au fil du temps. Des paramètres tels que l’état de santé et l’évolution du comportement hormonal conduisent les personnes âgées à s’adapter à leur corps, tout en gardant une intimité érotique. Les sexagénaires d’aujourd’hui appartiennent à la génération qui s’est battue pour la liberté sexuelle. Pas question pour eux d’y renoncer. En 1970, 53 % des femmes de plus de 50 ans vivant en couple déclaraient avoir une activité sexuelle. D’après la dernière étude publiée sur le sujet en 2006, elles étaient près de 90 %.

MARC-ANTOINE LAINÉ

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ÇA BOUGE

PARTIR POUR LES AUTRES MISSIONS HUMANITAIRES, PROJETS SOLIDAIRES, SÉJOURS AU PAIR… LES RETRAITÉS ONT LA BOUGEOTTE.

Laisser le temps filer, assise sur

une chaise à faire du tricot, très peu pour Marie-Reine. À 74 ans, cette ancienne directrice d’école voyage aux quatre coins du monde : Cuba, la Jamaïque, le Turkménistan, la Macédoine. Dans ses bagages, pas de place pour un paréo. Quand elle part, c’est en mission, avec ses manuels scolaires. Sa « troisième vie », elle la consacre aux écoliers français expatriés à l’étranger. Cette retraitée active est membre d’AGIRabcd, une association de seniors bénévoles qui mettent leurs compétences et leurs expériences à la disposition d’organismes et d’institutions. Comme Marie-Reine, ils sont nombreux à s’impliquer dans des associations ayant un lien avec leur ancienne profession. Après 65 ans, un retraité sur deux s’engage dans le monde associatif (Ifop). Cette nouvelle génération se sent plus libre et souhaite rester utile. Les séjours à l’étranger sont nécessaires pour se projeter, structurer et rythmer les temps de l’année. « Soit on continue de vivre avec ses habitudes, soit on décide d’aller plus loin, de partir

ailleurs », assure Jean-Claude, 72 ans, lui aussi bénévole pour AGIRabcd. Quand il a cessé de travaillé, il a commencé par enfiler la panoplie du retraité joueur de golf. Ça n’a duré que quelques mois. Il est très vite parti pour l’Afrique où il s’est engagé dans le développement de projets soli-

« Soit on vit avec ses habitudes, soit on décide d’aller plus loin » daires. « Je voulais découvrir ce continent autrement qu’avec les yeux du consultant français que j’ai été là-bas durant dix ans. » Les voyages des seniors sont désormais motivés par une quête de sens, une recherche d’émotions et une envie de rencontres. Dans leur ouvrage, Le Tourisme à l’âge de la retraite, les sociologues Pascal Pochet et Bernard Schéou affirment que « les pratiques touristiques des personnes âgées se sont rapprochées de celles des

plus jeunes ». Les séjours clé en main, ponctués de visites minutées au ­musée, ne font plus l’unanimité. « Les ventes de voyages assistés en autocar dégringolent », confirme Frédéric Serrière, consultant sur le marché des séjours pour seniors. Rien ne freine la génération née après-guerre, qui continue de bouger comme elle l’a fait durant ses jeunes années. Eliane, 65 ans, s’est « amusée à vadrouiller comme si elle avait 20 ans ». En s’inscrivant sur différents sites, cette jeune retraitée a décidé, il y a deux ans, d’être mamie au pair. Avec cette « formule idéale pour voyager à moindre coût », elle a eu l’occasion de partir plusieurs mois en Australie, en Chine ou encore en Italie. À chaque mission, elle était nourrie, logée et parfois rémunérée. Les retraités n’ont pas tous le même train de vie. Pascal Pochet constate que « la baisse prévisible des revenus des futurs retraités pourrait avoir des conséquences sur leur manière de voyager ». Un changement qui devrait profiter au tourisme alternatif, engagé et moins coûteux. CLÉMENCE CURTY ET JULIE DUBOIS

Bernard Jeffroy

Marie-Reine, ici à l’école de Slavutich en Ukraine, enseigne aux écoliers français expatriés.

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I ALLEZ SPORTS

Nicole, 76 ans, vice-championne du monde de ping-pong : « C’est un moyen de rester en forme et de m’amuser encore. »

LES VIEUX !

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oujours avec la même énergie, la même envie, Jacques monte sur le tatami. Trois fois par semaine, il s’entraîne pendant une heure et demie « avec des ­gamins qui pourraient être ses enfants voire ses petits-enfants », raconte-t-il fièrement. Des prises, de la sueur, des chutes, qu’il résume à « une vraie addiction ». Ce ­judoka de haut ­niveau a 67 ans. Il pratique le judo depuis quarante-neuf ans. Une passion intacte comme son esprit de compétition. Jacques fait régulièrement le tour de l’Europe pour participer aux championnats vétérans. « Le niveau est élevé. Certains, comme les Russes, s’entraînent tous les jours. » Cinquante podiums en cinq ans et chaque combat reste toujours un moment de plaisir. Ils sont nombreux, ces seniors, à être toujours attirés par le goût de l’effort, pour le plaisir de « se faire mal et de se maintenir en forme ». Jacques fait partie de ceux-là, comme Nicole, 76 ans, qui pratique le tennis de table six heures par semaine. Cette vicechampionne du monde, pongiste depuis cinquante-sept ans, ne ressent pas de baisse d’énergie : « Je ne suis pas âgée. » Elle aussi joue pour gagner. Et même si les jeux sont plus rapides durant les matchs et demandent une meilleure condition physique, elle s’adapte. Pour ces seniors, le corps suit et aucun d’entre eux n’imagine sa vie sans sport. « Il ne faut surtout pas s’arrêter car en vieillissant, plus on s’entraîne, plus c’est facile », explique Jacques. La régularité, voilà peut-être le secret de leurs performances. Ces sportifs sont parfois considérés comme « fous » par leur entourage, mais rien ne les

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« Je n’ai pas peur, c’est plutôt moi qui vais au contact. j’ai même eu quatre points de suture à l’arcade » Michel, rugbyman, 72 ans

arrête. Michel est aussi un ces drogués à l’effort physique. « Si on m’appelle pour faire un match à 100 kilomètres, je prends mon sac et j’arrive », explique-t-il. Pourtant, Michel a 72 ans et pratique le rugby. Toujours prêt à se jeter dans la mêlée, il ne se lasse pas d’enfiler ses crampons pour fouler, par tous les temps, les terrains du département de l’Indre-etLoire. Il a commencé ce sport à 17 ans et pratique maintenant avec l’équipe loisir de Jouélès-Tours. Une fois par semaine, il retrouve ses co-équipers pour un match ou un entraînement. « Je joue pilier droit, c’est moi qui vais au contact », raconte-t-il tout sourire, sans oublier d’ajouter : « À la fin de certains matchs, les copains plus jeunes sont plus es-

Marc-Antoine Lainé

Robert Pillière

SPORT ET VIEILLESSE FONT BON MÉNAGE. EN ÉQUIPE OU EN SOLO, CHACUN PEUT PRATIQUER UNE ACTIVITÉ PHYSIQUE EN ACCORD AVEC SA SANTÉ ET SES ENVIES. RENCONTRES À LA TROISIÈME MI-TEMPS.


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SPORTS soufflés et fatigués que moi. » Ces sportifs restent des exceptions. Ils pratiquent leur activité depuis le plus jeune âge et s’arrêter aujourd’hui leur paraît inconcevable. Le rapport sur le sport et les personnes âgées, rendu en 2014 par le Pr Rivière, rappelle qu’en France 42 % des plus de 60 ans pratiquent une activité physique. Mais pour la plupart ni au même rythme ni avec la même intensité que Michel, Nicole ou Jacques.

tion, ce qui réduit les problèmes cardiaques ou de surpoids. Selon le rapport Rivière, la pratique sportive serait même un « acte de prévention » du vieillissement et des maladies chroniques. Cependant, pas évident pour tout le monde d’enfourcher un vélo ou de marcher des heures durant. Souvent, l’état de santé ne le permet pas. Les

mais jouent le jeu dans une bonne ambiance. Ils sont épuisés, mais ravis. Car intensif ou à petite dose, le sport est une source de plaisir. Promouvoir le sport dépasse donc l’enjeu de santé publique. Au Clos de la cheminée ronde, les séances de gymnastique maintiennent aussi un lien social fort, sans limite d’âge. Se retrouver chaque mercredi

Avec l’âge, les capacités physiques diminuent. Les seniors choisissent donc des activités qui mettent moins le corps à l’épreuve. D’après Patrick Mignon, du laboratoire de sociologie de l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance), « les personnes âgées pratiquent principalement la marche, la natation et la gymnastique d’entretien ». Une tendance confirmée par leurs achats dans les magasins de sport. Au Decathlon de Tours, « le textile, les vélos elliptiques, les GPS de randonnée et les tapis de course sont les produits les plus prisés par les seniors », relève Stéphanie, responsable des ventes. Le but est de garder la forme tout en ménageant les articulations. Les pratiques d’endurance sont donc privilégiées. Selon le Dr Margoux, spécialiste du sport, « faire de l’exercice est bon pour la santé puisqu’en général on y associe une certaine ­hygiène de vie ». Les sportifs surveillent notamment leur alimentaSur le terrain de Joué-lès-Tours, Michel (ici, au centre), surnommé « Papi rugby », retrouve ses co-équipiers pour un match ou un entraînement.

Maureen Lehoux

MARCHE, NATATION, GYMNASTIQUE SONT PLÉBISCITÉS

structures d’accueil et de prise en charge des seniors proposent donc des activités plus douces, comme la gymnastique, la danse ou l’aquagym afin de rendre le sport accessible à tous. Chaque mercredi à Fondettes, Maëva vient faire bouger les résidents d’un foyer logement, le Clos de la cheminée ronde. Les séances sont adaptées à ces personnes âgées de 65 à 95 ans déterminées à poursuivre un effort physique. Au bout d’un moment, les visages commencent à grimacer. Ça tire, ça brûle, mais « quand ça fait mal c’est que ça travaille », répond le professeur de sport aux plaintes de ses élèves. Certains souffrent, mais peu abandonnent. Assis en cercle sur des chaises, ils s’entraînent à des jeux d’adresse avec des balles et des cerceaux. « Maintenant, dites le nom de la personne à qui vous lancez la balle, demande Maëva, je veux faire travailler vos méninges. » Tous s’exé­ cutent, se trompent, se reprennent,

Chaque année, fin avril, Tours accueille les Masters européens de judo : une compétition pour les vétérans créée, il y a onze ans, par le club tourangeau.

permet aux sportifs de la résidence de rythmer la semaine, de mieux se connaître. Dans ce foyer logement où chacun vit chez soi, ces activités créent de la convivialité. Cet esprit de partage est essentiel pour nos sportifs de compétition : « Les copains, la troisième mi-temps, c’est ça qui me tient. Dans un sport individuel, j’aurais peut-être arrêté », reconnaît Michel, le rugbyman. « Le sport me permet de rester dans une ambiance jeune », renchérit Jacques. Pour ce ceinture noire quatrième dan, « l’état d’esprit et la transmission sont aussi importants que la performance ». Nos champions le reconnaissent : « On ne joue pas notre vie mais une certaine qualité de vie. » MARC-ANTOINE LAINÉ,

JULIETTE LÉCUREUIL ET MAUREEN LEHOUX

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SENIORS 2.0

Médiamétrie estime que les plus de 50 ans ­représentent désormais près du tiers de la ­population internaute (environ 12 millions).

Camille Drouet

NUMÉRIQUE

LES RETRAITÉS ONT ENVAHI LA TOILE. POUR LES NÉOPHYTES, DES ATELIERS SONT ORGANISÉS PAR LES MUNICIPALITÉS.

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onique De Abreu avait un ordinateur à son travail, mais elle n’était jamais allée sur Internet. Maintenant qu’elle est à la retraite, elle utilise l’ordinateur que sa fille lui a offert il y a quelques années. Son âge, 66 ans, est un obstacle pour apprendre, pense-t-elle. Pourtant, elle a appris à surfer toute seule. Elle possède une adresse courriel. Elle aime aller sur Youtube et a un compte Facebook. « Cela me permet de voir mon filleul de temps en temps.» Monique fait partie des internautes âgés1, de plus en plus nombreux. Presque un tiers des plus de 65 ans utilisent Internet, cette nouvelle lucarne pour communiquer et découvrir le monde. Un chiffre en constante augmentation2. « Dialoguer, se sentir actif, ce sont ces sensations positives qui poussent les seniors vers des pratiques numériques sociales et collectives », explique Séraphin Alava, co-auteur de l’article Les Seniors et le cyberespace (2012). À l’atelier proposé une fois par mois (quatre séance sur une semaine) par la mairie de Tours, Monique De Abreu s’habitue à utiliser un ordinateur portable.Cela la change de son « ordinateur de salon ». La commune met à disposition seize espaces publics numériques (EPN), répartis dans toute la ville, pour

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LA PHRASE

« Internet est devenu pour les personnes âgées un espace social, virtuel qui les reunit à un monde amical, culturel »

proposer des ateliers d’initiation et offrir un accès gratuit à Internet. Dans une petite salle équipée de six ordinateurs et d’un tableau interactif pour les démonstrations, Farid Hassed, l’un des animateurs chargés des grands débutants, accueille les inscrits. Les quatre femmes assises devant les ordinateurs pour suivre cette session intensive sont toutes retraitées. « À la suite d’une opération, j’ai été sourde pendant quelque temps. Alors j’ai voulu un ordinateur pour communiquer. C’est mon fils qui me l’a offert », raconte Marie-Cécile Louvet, 78 ans. Elle avoue avoir peur d’être envahie, oppressée par Internet. Un monde qu’elle ne maîtrise pas encore, où le nombre infini de possibilités peut lui donner le tournis. Où les arnaques frappent facilement les moins expérimentés. Malgré cette défiance, fréquente chez les personnes âgées, « Internet est devenu pour elles un espace social qui les réunit à un monde amical, culturel. Un monde qui les aide à sortir de l’isolement », certifie Séraphin Alava. Pour le moment, Marie-Cécile ne maîtrise que le traitement de texte. Mais elle y prend déjà goût : « J’écris mes mémoires. J’aime bien changer les couleurs, les caractères… » L’atmosphère est détendue. Il n’y a pas de


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NUMÉRIQUE concurrence. Chacune sait que les Farid », commente Martine à la fin du autres ne s’y connaissent guère plus cours. Internet donne aux seniors le qu’elle. Elles n’hésitent pas à poser sentiment de faire partie du monde et des questions et à participer. la capacité de réaliser leurs envies. Ils Grâce à ces ateliers, la fracture s’ouvrent à d’autres vies, à d’autres numérique, cette notion qui définit réalités, font d’autres rencontres. Une les difficultés de maîtrise et de occasion d’apprendre en continu. compréhension des usages numé- C’est aussi un moyen de lutter contre riques, se réduit comme peau de l’isolement et, selon une étude brichagrin. L’appréhension laisse peu à tannique de 2014, d’influer sur leur peu place au plaisir des exercices espérance de vie. ludiques : chacune fait ses recherches Même avec un peu de pratique, la d’images selon ses goûts. théorie a ses limites. « On Certains résistent. Ainsi, m’a expliqué comment le mari de Monique mettre de la musique et Huret, 77 ans, refuse de faire autre chose en même se mettre au clavier. Il temps. Mais une fois chez LE CHIFFRE aurait peur de paraître moi, je n’ai pas réussi à ridicule s’il se trompait refaire la manipulation », devant quelqu’un qui, lui, finit par avouer Monique maîtrise l’outil. Monique De Abreu. « C’est facile à aurait pu apprendre à se regarder, mais à refaire… des plus de servir d’un ordinateur plaisante Monique Huret 70 ans sont équipés après une séance d’iniquand elle travaillait d’un encore, mais, à l’époque, tiation au bon usage d’une ordinateur elle n’avait pas jugé cela boîte mail. Une nouvelle utile. Elle a changé d’avis. session va être, très, très « Quand je me suis dit utile. » La mairie propose que j’avais besoin d’une formation, je un appui pédagogique pendant deux ne savais pas à qui m’adresser. Je me mois. Il suffit de prendre rendez-vous suis rendue à la mairie et ils m’ont avec Farid. « Il leur faudra encore parlé de ces ateliers. » deux heures d’apprentissage chaAvec sa voisine de table, Martine cune », estime le formateur. Marchand, 63 ans, elles s’entraident pendant les séances. « Je suis curieuse LE PLAISIR DE SURFER de nature. J’aime naviguer. Il y a Les seniors investissent l’atelier toujours des choses à découvrir. Il tablettes. Ils ont envie de découvrir faut être prudent, ne pas se précipiter, les nouveautés technologiques. « Il y quitte à tout fermer comme a dit a un an, je n’étais même pas intéressé

La tablette, plus simple que ­l’ordinateur et à l’écran plus large que le Smart­phone, séduit les personnes âgées.

par un Smartphone », admet Roger Dufay, 67 ans. Poussé par la curiosité, il a maintenant un téléphone tactile et tapote timidement sur une tablette de l’atelier. Gary Blaise, l’animateur, a trois heures pour lui enseigner les rudiments de l’outil. Roger pense acquérir un de ces objets high tech. Mais peut-être de la même marque que son Smartphone, parce qu’ainsi le fonctionnement sera presque identique que la tablette de la mairie. Mais avec un écran plus large et plus maniable… En participant à l’émergence d’une offre spécifique de contenu dont ils sont la cible, les personnes âgées ont conquis leur place sur les réseaux sociaux numériques et dans les communautés d’apprentissage. « J’ai appris qu’Internet, c’était bien plus intéressant que je ne croyais. J’y ai trouvé du plaisir, conclut MarieCécile Louvet à la fin de l’atelier la tablette. J’irai sûrement m’exercer dans l’espace public numérique de mon quartier. » JULIA GUILLEN

Julia Guillen

Dans les espaces publics numériques les formateurs s’occupent des groupes par niveau.

Julia Guillen

62 %

ET AXELLE GUINON

(1) Médiamétrie, 2011. (2) Pew Internet, 2009.

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DES FORMATIONS RECONNUES OUVERTES À TOUS

Publi-information

L’École publique de journalisme de Tours (EPJT) est l’une des 14 écoles en France dont les cursus en journalisme sont reconnus par la profession. Depuis 1969 que l’école forme avec succès des journalistes rigoureux, enthousiastes et conscients de leurs responsabilités de citoyens, aussi bien en presse écrite, radio, télévision qu’en multimédia. Dispensées au cœur de l’université François-Rabelais et de l’IUT de Tours, les formations de l’EPJT bénéficient d’un double label : – celui du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche; – celui de la Commission paritaire nationale de l’emploi des journalistes (CPNEJ). Par ailleurs, l’EPJT siège au sein de la Conférence des écoles de journalisme (CEJ) Pour le DUT, l’agrément par la profession est reconduit depuis 1981. Quant à la licence professionnelle, elle est agréée depuis 2005. L’EPJT est la seule école en France à proposer une licence de journalisme agréée par la profession. Le ­recrutement possible dès le bac, l’ouverture aux reconversions en Année spéciale, le coût modéré des études et la possibilité d’effectuer l’année de licence par alternance expliquent la grande mixité sociale des promotions : 60 % des étudiants de Tours ont des ­parents agriculteurs, ouvriers, employés, ou dont l’activité est classée parmi les professions intermédiaires.

L’offre de formation

Un recrutement national

le DUT, accessible aux titulaires du bac jusqu’à bac+2. • Un parcours en un an (Année spéciale), accessible aux ­étudiants à partir de Bac+2 et aux personnes en reconversion professionnelle. • L’année de licence professionnelle de journalisme peut être effectuée en alternance ou dans le cadre d’échanges internationaux. http://epjt.fr/les-formations/

est faite sur dossier. les candidats retenus sont convoqués pour les épreuves écrites et ­l’entretien de motivation. Sur 1 200 candidats, 25 sont retenus en 1re année de DUT, 16 en Année spéciale. • L’admission en licence professionnelle se fait sur dossier pour les étudiants issus du DUT de l’EPJT et sur dossier et épreuves professionnelles pour les candidats extérieurs.

• Pour le DUT, une présélection

Quatre médias

• Si le multimédia bouleverse l’accès à l’information, il met surtout en avant l’impérieuse nécessité, pour nos étudiants, de maîtriser les fondamentaux du journalisme. Chacun reçoit une formation globale puis se spécialise en presse écrite, en radio ou en télévision. L’enseignement du multimédia se poursuit, lui, de façon transversale durant les spécialisations, plus particulièrement en presse écrite.

Photos : EPJT

• Un parcours en deux ans pour

L’équipe enseignante est composée d’universitaires et de

professionnels : enseignants et enseignants-chercheurs, journalistes professionnels, tous reconnus dans leur domaine de compétences. epjt.fr/tout-sur-epjt/les-enseignants/

Contact.

EPJT, IUT de Tours, 29 rue du Pont-Volant, 37082 Tours. Tél : 02.47.36.75.63. epjt.fr/


PORTFOLIO

TEXTES ET PHOTOS  CLÉMENCE CURTY, MAUREEN LEHOUX, AMANDINE PRIGENT ET LOUISE SEBILLET

MARQUES DU TEMPS

VIEILLIR, C’EST VOIR SON PHYSIQUE SE TRANSFORMER AU FIL DES ANS. LE CORPS, CET OUTIL DE TRAVAIL QUE L’ON A SI SOUVENT UTILISÉ, PAS FORCÉMENT ÉPARGNÉ, SE MÉTAMORPHOSE PEU À PEU. LA PEAU TÉMOIGNE DES ANNÉES ÉCOULÉES.


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PORTFOLIO

Photos : Anne Vince

Fanny, 74 ans potière

Elle dit joliment qu’en quarante ans la terre lui a apporté le bonheur et l’a aidée à supporter bien des peines. Mais ses mains et son dos souffrent trop. Tourner, c’est physique. Alors Fanny a formé Anne, une nouvelle potière. « C’est plus facile d’arrêter dans ces conditions. »

Loïc, 59 ans homme fort

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Cela fait plus de trente ans qu’il soulève des poids. Eux, de plus en plus lourds, lui, de plus en plus fort. Sans tout ça, il n’aurait sûrement pas vieilli aussi bien. Quatre entraînements par semaine et « c’est presque plus facile maintenant ». Quand son médecin lui demande s’il compte s’arrêter, il s’emporte : « Est-ce qu’on demande ça aux seniors qui pratiquent le vélo ? »


I

PORTFOLIO

Claude, 77 ans cordonnier

Ses mains sont gonflées, sa vue a baissé. Mais le temps n’a pas altéré sa dextérité. Cela fait plus d’un demisiècle que Claude rafistole les souliers et traque la moindre imperfection. À tout juste 77 ans, ce passionné refuse l’inactivité. « Qu’est ce qu’ils peuvent m’emmerder avec la retraite à 60 ans. »

Veronika, 57 ans artiste

Veronika a été danseuse, ­mannequin ou encore modèle. Elle a développé une conscience ­absolue de son corps qu’elle entretient régulièrement. Son corps vieillissant ne l’effraie pas. Elle aime ses rides. Quant à ses pieds tordus par la danse, elle les trouve moches et beaux à la fois. « Ils m’ont permis de danser pendant trente ans. »

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I

PORTFOLIO

Jean-Luc, 65 ans pompier

« Quel que soit le poids d’une victime, il faut pouvoir la mettre sur ses épaules ou sur son dos pour la dégager de n’importe quelle situation », explique ce professionnel aux 43 années de service. En vieillissant, il pratique encore beaucoup de sport. « Je n’ai pas l’impression d’avoir perdu de mes capacités physiques. »

Jean, 73 ans agriculteur

Le majeur déformé, la main crispée, ridée. Au creux de ses « énormes paluches », le travail a laissé sa trace. Quarante-trois ans à travailler la terre, une décennie à traire les vaches à la main, « ça marque ». L’agriculteur breton ne souffre pas : « Ce n’est pas une maladie, c’est le travail. »

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VOYAGEEN DÉPENDANCE

��

QUAND VIENT LE TEMPS DE LA MALADIE, COMMENT PRENDRE SOIN DE NOS ANCIENS ? VERSEMENT DES ALLOCATIONS, SOINS MÉDICAUX, AIDES AU QUOTIDIEN…, L’AVENIR DE LA VIEILLESSE EST À REPENSER. LES FAMILLES SONT DÉMUNIES, LES POLITIQUES PATINENT ET LES INDUSTRIELS S’EMPARENT DU DOSSIER.


I

DOSSIER

LE PRIX À PAYER DE LA SOLIDARITÉ

Axelle Guinon

LE VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION REMET EN CAUSE LE FINANCEMENT DE LA DÉPENDANCE. UNE RÉFLEXION QUI OBLIGE À REPENSER NOTRE MODÈLE SOCIAL. SOLIDARITÉ NATIONALE, AIDE FAMILIALE ET ASSURANCES PRIVÉES, QUELS CHOIX POUR L’AVENIR ?

S

e laver, s’habiller, gérer ses comptes : autant d’activités du quotidien qui deviennent difficiles, voire impossibles avec le grand âge. Il faut de l’aide. Mais alors, dans quelle mesure cette ­dépendance aux autres doit-elle être assumée par la solidarité nationale ? En 2012, 1,2 million de personnes ­dépendantes ont bénéficié d’une allocation personnalisée à l’autonomie (APA). Cette aide, distribuée par les départements aux personnes de plus de 60 ans, est calculée en fonction de la dépendance et du revenu. Plus le ­bénéficiaire a des revenus élevés, plus la partie qui reste à sa charge sera ­importante. L’Apa est accordée que la

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personne réside chez elle ou dans une maison de retraite. Mais cette prise en charge des seniors pèse lourd dans

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LE CHIFFRE

de personnes dépendantes percevront l’APA en 2040, selon l’Insee

les budgets publics. En 2010, ­l’ensemble des dépenses liées à la perte d’autonomie ont représenté 24 milliards d’euros, soit 1,3 % du PIB, indique le rapport Fragonard, remis au gouvernement en avril 2013.

Les frais se répartissent entre quatre caisses. L’assurance maladie finance tous les soins médicaux : les services infirmiers à domicile, les hospita‑ lisations, les visites médicales… Soit 62 % des coûts de la dépendance. Le reste est supporté à hauteur de 22 % par les collectivités locales, 11 % pour la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et enfin l’État pour 5 %. Ce sont les cotisations sociales et la contribution sociale généralisée (CSG) qui en couvrent les deux tiers. Le système de solidarité de la Sécurité sociale peut-il être étendu à l’ensemble des frais de la dépendance ? Pour Agnès Gramain et Jérôme Wittwer, professeurs en sciences


DOSSIER

RÉPARTITION DES FINANCEMENTS

I

Familles Collectivités locales

Marc-Antoine Lainé

État CNSA Sécurité sociale Aides quotidiennes

Hébergement

économiques et auteurs de Prise en charge des personnes âgées dépendantes : quels enjeux économiques ?, le défi pour les pouvoirs publics est aussi d’établir des critères. « Il n’est pas envisageable de financer collectivement des heures d’aide au ménage sans fixer de conditions précises pour en bénéficier .» Quelles prestations seront remboursées et à quelle hauteur ? Se focaliset-on sur les services essentiels ou également sur le soutien en début de perte d’autonomie ? Enfin, il faut choisir la forme de l’aide apportée : gratuité des frais ou allocation directe ? Avec cette dernière, c’est aussi l’unité de l’aide qui doit être déterminée : faut-il donner des euros ou des heures ? Si un bénéficiaire reçoit 500 euros, le risque est que l’augmentation du prix de la main d’œuvre, après quelques années, ne lui permette plus de payer quelqu’un. Au contraire, si l’État donne quelques heures de soins par semaine, le bénéficiaire aura toujours l’aide dont il a besoin : l’augmentation éventuelle du salaire des employés sera payée par les caisses de l’État. Une solution actuellement plombée par le déficit public. UN FINANCEMENT AUTONOME

Le recours possible pourrait être celui des assurances privées, calquées sur les mutuelles de santé. Mais ce système n’est pas encore très développé dans l’Hexagone, à la différence des pays anglo-saxons. Un Français sur quatre dit s’y être intéressé, comme l’observent Sophie Lautie, Anne Loones et Nicolas Rose, chercheurs au Credoc. Agnès Gramain et Jérôme Wittwer proposent « une couverture universelle de la

Soins Chaque financeur prend en charge un secteur particulier : la Sécurité sociale, les soins ; les familles, l’hébergement et les collectivités locales les aides. (Credoc, 2011)

Hébergement, ménage, préparation des repas, l’aide apportée par les proches est plus humaine que financière

dépendance la plus lourde, doublée d’un financement public (…) pour les dépendances plus légères. Cela laisserait aux assureurs privés la couverture facultative de la dépendance modérée des plus aisés. » L’IMPORTANCE DE L’AIDE DE LA FAMILLE

À ces dispositifs d’aides, publics comme privés, s’ajoute la famille. Les proches restent encore le soutien essentiel de bon nombre de seniors. Cette solidarité familiale pèse environ 10,4 milliards d’euros par an, selon le rapport Fragonard. Une somme, représentant la moitié des financements publics. L’aide apportée par les proches est souvent plus humaine, sous forme d’hébergement, de préparation de repas, d’aide à la maison que financière. Mais difficile de faire reposer tout le système économique sur la famille, d’autant qu’une personne âgée sur dix est isolée. Ce serait courir le risque d’une double peine. Dans une interview au Monde, du 25 février 2013, Michèle Delaunay, alors ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’Autonomie, affirmait : « La solidarité nationale doit jouer, mais aussi la responsabilité individuelle. Il est temps pour ma génération de mesurer que la vieillesse va durer trente ans, voire davantage. Il n’est pas illégitime que nous devions anticiper pour nous-même cette période de la vie. » Quelles que soient les solutions retenues, rapporteurs publics comme chercheurs estiment qu’une réforme est indispensable pour harmoniser les dispositifs d’aide. Hésitants depuis 1986, les gouvernements successifs n’ont toujours pas tranché. JULIA MARITON

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Innova

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I

DOSSIER

L’IMPOSSIBLE RÉFORME DE LA DÉPENDANCE TROP COÛTEUX, TROP COMPLEXE… LES RAPPORTS SE SUCCÈDENT ET BRÛLENT LES DOIGTS DES ­MINISTRES DEPUIS DES ANNÉES.

L

a dépendance est un thème fertile. Pas moins de 64 rapports officiels lui ont été consacrés. Les auteurs se multiplient : l’Assemblée nationale, le Sénat, quand ce n’est pas la Cour des comptes ou le ministère de la Santé. Sans oublier les agences, qu’elles soient administratives ou consultatives, telles que l’Inspection générale des affaires sociales ou le Haut Conseil à la famille, véritables ­machines à produire du rapport. C’est en 1962 que l’État prend conscience de la nécessité d’une politique d’accompagnement de la vieillesse. Alors que les baby-­ boomers entrent tout juste dans l’âge adulte, le gouvernement de Michel Debré commence à s’inquiéter du vieillissement de la population. L’allongement de l’espérance de vie est déjà patent. Le rapport Laroque, du nom du fondateur de la Sécurité sociale en 1945, est la première pierre de cette ­pyramide qui, depuis, ne cesse de se construire sans jamais être achevée. À l’époque, on ne parle pas encore de dépendance. Le terme sera employé pour la première fois douze ans plus tard, sous la plume d’Yves Delomier, médecin spécialisé dans l’hébergement de long séjour. Le rapport Laroque pose deux idées fondamentales, qui ne seront jamais remises en cause par la suite, ni par la gauche ni par la droite. La première est la création d’une catégorie spécifique « les personnes âgées » qui relève d’une politique particulière, dite de la vieillesse. La seconde est la nécessité de prendre en compte les problèmes sanitaires et sociaux liés à ces personnes âgées. Cinquante ans ont passé. Les rapports datent pour les deux tiers des années deux mille : les politiques commencent à prendre conscience que la réforme de la dépendance est inéluc-

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les solutions sont toutes dans les rapports mais elles se ­heurtent ­toujours au même ­problème : qui va payer ?

table, compte tenu de l’évolution démographique de la France et des finances du pays. Le poids des seniors dans l’électorat les incite à inscrire cette réforme dans leur programme. François Hollande ne fait pas ­exception. La réforme de la dépendance ­figure à la dix-huitième place de ses engagements de campagne. Toutes les solutions sont dans les rapports mais elles se heurtent au même problème. Qui va payer ? Sous le second mandat de Jacques Chirac, le gouvernement de JeanPierre Raffarin s’y est bien essayé. Été 2003 : la canicule fait plus de 10 000 morts. Le lundi


I

DOSSIER cessus qui n’a jamais abouti. La cause ? La crise de 2007 et l’augmentation du déficit public de 600 milliards d’euros durant son quinquennat. Le président s’est refusé à mettre en place une réforme qui lui aurait coûté sa réélection. La création d’une cinquième branche de la Sécu dédiée à la dépendance, son projet phare, est restée dans les cartons.

Axelle Guinon

LE PROJET À VOLETS D’AYRAULT

de Pentecôte devient alors la Journée de solidarité. Les profits vont à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) pour financer les allocations. L’idée d’une seconde journée de solidarité est vite abandonnée en 2011. ACCORDS ET DÉSACCORDS

Thomas Frinault, politologue à l’université de Rennes, utilise le terme de « bricolage ». Les réformes varient ­selon un programme improvisé, avec son lot d’hésitations et de moyens

« incertains ». Le sujet étant ­complexe, les idées s’embrouillent, se contredisent. Le politologue précise que chaque décision successive est influencée par les choix des gouvernements précédents. « Il est ici possible de reprendre l’idée selon laquelle la question n’est pas tant de savoir où l’on va que d’où l’on vient. » D’où les difficultés à réformer véritablement et durablement afin de s’adapter au changement. La tentative la plus ­ambitieuse était sans doute celle de Nicolas Sarkozy. Il avait initié un pro-

Le gouvernement de Jean-Marc ­Ayrault n’a guère fait mieux. En janvier dernier, Michèle ­Delaunay, alors ministre déléguée aux Personnes âgées, s’exprime devant le Conseil économique, social et environnemen­ tal (Cese). Elle expli­que le projet du gouvernement et évoque différents « volets » pour la réforme. À lire le point presse de la porte-parole Najat Vallaud-Belkacem sur ce sujet, il paraît clair que le mot « volet »est le tic verbal choisi pour ce projet. Le volet anticipation, qui parie sur la prévention, avec la promotion de l’activité physique et d’une alimentation équilibrée ; le volet logement, déjà dans les promesses de campa­gne, et ses 80 000 logements adaptés aux personnes dépendantes et des allocations pour réhabiliter les habitations existantes ; le volet accompagnement qui prévoit davantage d’aides à domicile et un « chèque ­répit » (sic) pour les aidants. Pour ce qui est de rendre les maisons de ­retraite plus accessibles aux moins fortunés, il faudra attendre 2015, d’après les prévisions budgétaires. En 2014, nous n’irons pas au-delà du tryptique énoncé. Pour le Cese, le projet pêche par son financement. Le gouvernement affirmait que les 645 millions d’euros ­apportés par la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (Casa) seraient suffisants et répondraient à leur « vocation ». Or les rapports parlent de plusieurs milliards d’euros nécessaires pour s’adapter au vieillissement. Lors de la présentation du projet de loi en février dernier à Angers, JeanMarc Ayrault déclarait : « Il y a en effet urgence. » Une urgence vieille de 50 ans. AXELLE GUINON ET

GUILHERME RINGUENET

2014

Innova

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DOSSIER

LA QUÊTE DE L’OR GRIS EST LANCÉE

LA SILVER ECONOMY, SOUTENUE PAR LE GOUVERNEMENT, PROMET LA CRÉATION DE QUELQUE 300 000 EMPLOIS. MAIS CETTE CROISSANCE RESTE DÉPENDANTE DU PORTE-MONNAIE DES PERSONNES ÂGÉES ET DES INVESTISSEMENTS PUBLICS ET PRIVÉS.

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Axelle Guinon

L

es seniors représenteraient une véritable mine d’or. Le centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie l’affirme : « Le poids des seniors dans les dépenses de consommation dépassera les 50 % à l’horizon 2015. » Équipement du domicile, téléphones portables à grosses touches, service à la personne « high-tech », déambulateur design, l’innovation peut satisfaire un bon nombre de leurs besoins. Les personnes âgées dépendantes ne sont pas les seules visées. Au contraire. C’est le pouvoir d’achat des baby-boomers, actifs et branchés, qui est dans la ligne de mire des entreprises innovantes. Le vieillissement deviendrait une opportunité de croissance, voire un gisement d’emplois. L’économiste Alain Villemeur, chercheur en démographie à l’université Paris-Dauphine, estime qu’il y aura « environ 300 000 emplois à la clé d’ici à 2020, principalement dans les services à la personne ». Dans son rapport La Santé connectée en France, le cabinet d’étude Accenture prévoit 0,25 point de croissance par an grâce à cette économie du vieillissement. Saisir l’opportunité de ne plus considérer la vieillesse comme une charge était à portée de main. Le gouvernement s’est engouffré dans la brèche. En septembre dernier, il a signé, avec les acteurs industriels, un contrat de filière pour une Silver Economy. Cette expression anglo-saxonne méconnue du grand public est revenue constamment sur les lèvres d’Arnaud Montebourg et de Michèle Delaunay, alors respectivement ministre du redressement productif et ministre déléguée en charge des Personnes âgées et de l’Autonomie.

Les structures d’accueil peinent à répondre aux demandes accrues des seniors et 84 % des Français affirment vouloir vivre leur retraite à domicile. Mais s’agit-il de rester chez soi à tout prix, quitte à s’isoler, ou d’éviter des maisons de retraites considérées comme des mouroirs ? Quoi qu’il en soit, cette statistique est une aubaine pour le gouvernement qui incite les petites startups et les grands groupes à investir pour le « mieux vivre chez soi ». Et souhaite faire avancer, main dans la main, technologie et service à la personne. FÉDÉRER LES INITIATIVES

Pour les entreprises, la première impulsion pourrait venir des seniors les plus riches

Cette nouvelle industrie du vieillissement montre déjà ses limites. Elle manque de visibilité et d’investissements pour booster les startups innovantes et elle cible en priorité les seniors les plus riches. La Silver Economy est un « concept ombrelle » commente Gérard Cornet. Ce gérontologue fait référence aux acteurs qui misent sur le troisième âge. Tous n’ont pas le même cœur de métier ni les mêmes intentions. Benjamin Zimmer est l’un d’eux. Le directeur de la Silver Valley se réjouit de cette « fédération entre les entreprises privées, le secteur associatif et les acteurs publics ». Il chapeaute la symbolique pépinière d’entreprises d’Ivry-sur-Seine. Une petite ville high-tech qui regroupera, dès l’été prochain, un pôle de 130 entreprises avant-gardistes dans leur secteur.


DOSSIER startups prometteuses. Il a permis de récolter 42 millions d’euros dont un quart alloué par la Banque publique. Le reste vient du privé. Est-ce suffisant pour faire décoller les petits champions de l’innovation française ? « Cela va déjà aider quelques PME à conquérir le marché international », assure Benjamin Zimmer, directeur de la Silver Valley. La convoitise des entreprises ne se limite pas au porte-monnaie des vieux Français.

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L’EFFET PERVERS

Créer une filière de toutes pièces demande un coup de pouce du gouvernement. « L’État ne peut pas dépenser tous azimuts, on le sait, confie Giovanni Ungaro, porte-parole de Gilles Schnepp, coprésident du comité de filière sur la Silver Economy et président du groupe Legrand. Il nous aide plutôt à nous coordonner. » Jusqu’ici, on constatait un émiettement des initiatives. « Nous sommes là pour rassembler avant tout, insiste Fabien Verdier, conseiller auprès de Michèle Delaunay. Nous n’avons pas besoin de mettre de l’argent dans un secteur où les industriels sont sûrs d’investir. » Le gouvernement veut donner de la visibilité. « C’est le principe du donnant-donnant, explique Giovanni Ungaro. Les industriels s’engagent financièrement. L’État, lui, s’assure de les rendre visibles et en cohérence par rapport à la demande. » Se dédouanerait-il de la question liée à la santé des personnes âgées ? « Impossible ! s’exclame Giovanni Ungaro. Aucun pays n’a une prise en charge 100 % privée. On attend de la collectivité qu’elle soit là. Nous sommes sur un marché mixte, même s’il est majoritairement privé. » Tout en créant une boîte à outils dédiée au secteur privé, le gouvernement délègue la gestion aux collectivités territoriales, initiant des Silver Régions : un projet pilote a ainsi été lancé en janvier, en Basse-Normandie. Début mars, un premier tour de table a été nécessaire pour investir dans quelques

20 LE CHIFFRE

MILLIONS

C’est le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans que comptera la France, dès 2030

En attendant, la première impulsion pourrait venir des seniors les plus riches. Le rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective suggère de tout miser, pour les débuts, sur cette clientèle solvable qui dépense presque 40 milliards d’euros par an. Sans le moindre besoin de subventions. Mais, « plus on ira vers la tablette tactile et les gadgets non indispensables, plus l’individu paiera de sa poche, souligne Fabien Verdier. La sphère publique n’a pas à se charger de tout. » Ainsi, l’État pourra se focaliser sur les plus vulnérables : « Pour l’équipement de base du domicile, notamment pour les plus pauvres, l’État aidera grâce aux 150 euros prévus dans la loi sur l’autonomie », ajoute Fabien Verdier. Mais les gérontologues craignent certains effets pervers. « La Silver Economy doit être clarifiée. Les acteurs n’ont pas tous des intérêts convergents. La logique de profit à court terme ne s’embarrasse guère de considérations éthiques et n’a pas forcément les mêmes objectifs que nous », relève le gérontologue Gérard Cornet. Est-ce judicieux de laisser carte blanche au privé ? Pas sûr que les géants comme Orange, dont le troisième âge n’est pas le cœur de cible, se soucient des plus défavorisés. L’entreprise Legrand, deuxième groupe en Europe dans le domaine de l’assistance, se dit prêt à prendre sous son aile de petites entreprises émergentes pour conquérir le marché international. Il affirme pouvoir susciter une économie d’échelle et donc une baisse des prix. On attend de voir. Benjamin Zimmer alerte sur le volet « services » de la Silver Economy qui table sur la création de 300 000 postes. Mais les investisseurs n’accourent pas. L’économiste Jean-Hervé Lorenzi expliquait au journal Le Monde : « Ces emplois de demain, il faut les former dès maintenant avec l’aide des pouvoirs publics. » Reste à savoir comment l’État se positionnera sur la question. Sans réponse appropriée, le maintien de l’autonomie sera limité. Et les personnes dépendantes resteront un fardeau. MATHILDE LECLERC

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Innova

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DOSSIER

LES NOUVELLES POSSIBILITÉS DE DÉPISTAGE ET DE TRAITEMENT PERMETTENT AUX MÉDECINS DE PROPOSER DES SOLUTIONS POUR RETARDER LA MALADIE.

L

e jour où il m’a appelée Berthe, du pré­ nom de sa sœur, et qu’il ne m’a plus ­reconnue, je l’ai mal vécu », confie Jeanne Lenouvel dont le père est décé­ dé il y a plus d’un an. La maladie d’Alzheimer est difficile à accepter, pour les malades comme pour leur entourage. Géné­ ralistes et spécialistes prennent donc énor­ mément de précautions à l’annonce du dia­ gnostic : « Nous ne sommes jamais sûrs à 100 %, il faut être très prudent », rappelle ­Caroline Hommet, gériatre et chef de service au CHU Bretonneau, à Tours. Aujourd’hui, le diagnostic s’appuie sur le passé médical du patient et les bilans neuropsychologiques. Viennent ensuite les examens complémen­ taires. « L’imagerie par résonnance magné­ tique est très précise. Elle permet de voir les lésions cérébrales et de quantifier la diminu­ tion de certaines zones du cerveau qui peu­ vent être impliquées dans la maladie », ­explique le Pr Hommet. La scintigraphie, examen de médecine nucléaire, permet d’étudier la façon dont le cerveau est irrigué. « Ces outils sont tous indispensables pour établir un diagnostic précis. Ils sont un appui sophistiqué. Mais ce sont surtout les difficul­ tés quotidiennes vécues par les patients et leur évolution qui priment. » L’espoir d’un dépistage à grande échelle est né en mars dernier. Des chercheurs améri­ cains ont déclaré possible la création d’un test sanguin. Fiable à 90 %, il devrait permet­ tre d’identifier les personnes susceptibles de développer la maladie. L’étude publiée dans la revue scientifique ­anglaise Nature Medicine a mis en évidence un taux anormale­ ment bas de dix lipides (graisses) chez les personnes à risque. Le Dr Federoff, principal auteur de cette étude, ­estime que ce dépis­ tage permet de « changer la manière dont les patients, leur famille et les médecins trai­ tants envisagent de gérer la maladie ». Un traitement préventif serait alors possible chez les personnes dépistées. En France, la

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ALZHEIMER LES ESPOIRS DE LA RECHERCHE

« Mon père  aimait parler de sa ferme, des gens qu’il côtoyait quand il était jeune. Je marchais dans la combine.  Il adorait ça »

Haute Autorité de santé (HAS) s’est claire­ ment exprimée contre un dépistage systéma­ tique pour éviter des vagues de panique. « Il faut être prudent et s’assurer de la validité de ce type d’étude, souligne le Pr Hommet. Dire à quelqu’un qu’il va développer une maladie incurable est compliqué, mais chaque décou­ verte aide à mieux connaître la maladie. » Depuis 1995, des médicaments tentent de freiner les symptômes mais les résultats res­ tent très controversés. Ils luttent contre la dégradation des neurotransmetteurs, ces si­ gnaux chimiques qui agissent sur les neu­ rones et activent la mémoire, les sens et les émotions. Quatre molécules sont actuelle­ ment sur le marché : le donépézil, la galanta­ mine, la rivastigmine et la mémantine. Leur prescription a diminué, de façon continue depuis 2011. Dès 2004, la revue ­indépendante Prescrire soulignait le peu d’efficacité du ­donépézil. Cette molécule ne permettrait pas de retar­der la perte d’autonomie chez les malades atteints d’une forme légère à modé­ rée. Elle pourrait même avoir des consé­ quences néfastes. Chez les personnes âgées, les traitements ­parallèles (cœur, diabète, ten­ sion…) sont fréquents. À cause de la perte de mémoire et de la difficulté à l’exprimer, les malades ne peuvent signaler une douleur ou un effet g­ ênant à l’équipe s­ oignante. UN ESPOIR THÉRAPEUTIQUE

La publication le 19 mars 2014 d’une étude menée par le professeur de ­génétique Bruce Yankner offre le premier espoir thérapeu­ tique. Un niveau élevé de protéines REST permettrait à une personne de résister à la maladie d’Alzheimer. Active pendant le dé­


I

DOSSIER

Alzheimer

Le PetScan (Positron Emission Tomography) permet d’évaluer les dépôts de plaques amyloïdes, un des principaux éléments du processus qui aboutit à la maladie d’Alzheimer. Avec la scinthigraphie et l’IRM, c’est un outil indispensable au diagnostique.

veloppement du cerveau, la protéine REST (RE1-Silencing Transcription factor) se réenclenche au cours de la vie pour protéger les neurones des agressions extérieures. Or, cette pro­ téine est ­absente chez les personnes atteintes d’Alzheimer ou de légers troubles ­cognitifs. Cette découverte est la première explication plausible au déclenchement de la maladie et une nouvelle piste de traitement. Les méthodes non-médicamenteuses comme l’orthophonie, l’ergothérapie, la sophrologie ou l’arthérapie per­ mettent, dans une certaine mesure, d’aider à garder le plus longtemps possible ses facultés cognitives. L’or­ thophoniste René Dégiovani forme à une prise en charge spécifique. « Notre but est de travailler la ­communication. Cela passe, entre autres, par la mémoire. Pour les troubles du langage, nous utilisons les champs sémantiques. À partir d’un mot, nous en cherchons d’autres, susceptibles d’aider le patient à ­comprendre le sens du terme initial : si on travaille sur le mot « pétrole », on dira au patient, « essence », « voi­ ture », « Moyen-Orient », pour l’ame­ ner vers la bonne réponse ». L’aide psychologique est proposée en entre­ tien individuel ou collectif. Ces séan­ ces sont des moments de partage ­durant lesquels les patients parlent de leurs difficultés quotidiennes. Elles soulagent également le quotidien des proches. « Mon père aimait parler de

sa ferme, de ses chevaux, de ses vaches, des gens qu’il côtoyait étant jeune. Ma mère esayait de le ramener à la raison. Moi pas. Cela perturbe les malades. Alors je marchais dans la combine. Il adorait ça », se remémore Jeanne Lenouvel. L’entourage peut aussi être accompagné pour appren­ dre à mieux communiquer avec le malade et confier ses difficultés au psychologue ou à l’orthophoniste. D’autres solutions sont mises en place. Les hôpitaux de jour peuvent accueillir le malade le temps d’une journée. L’équipe médicale peut pro­ poser des ­activités ludiques comme la

Institut Douglas

Témoin

poterie, des ateliers de pâtisserie, les arts plastiques. Alléger le poids du quotidien des­ malades et de leurs proches est une autre des priorités du corps médical. « Pour ne pas faire perdre de temps à nos ­patients, on leur propose tout l’arsenal de prise en charge : plate­ forme de répit, déploiement d’une équipe ­mobile à domicile, rappelle le Pr Hommet. Les propositions doi­ vent être adaptées à chacun. Et il ne faut pas se priver d’utiliser l’ensemble des dispositifs existants. » LUCILE BRASSET, AMANDINE PRIGENT

ET ÉLISABETH SÉGARD

MIEUX CONNAÎTRE LA MALADIE Découverte en 1907 par Aloïs Alzheimer, la maladie qui porte son nom est une affection du cerveau dite « neurodégénérative ». Elle entraîne une ­disparition progressive des neurones et donc une altération des ­facultés cognitives : mémoire, langage, raisonnement, etc. Cette maladie est due à la présence de plaques séniles et de dégénérescences au niveau du cortex cérébral. Les personnes atteintes perdent peu à peu leur ­autonomie. D’après le site Internet de l’espace éthique Alzheimer, plus de 800 000 personnes seraient touchées par cette maladie en France. Parmi elles, seulement 450 000 sont suivies médicalement. Le nombre de malades devrait atteindre les 2 millions en France en 2020, selon ­l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Si l’origine de la maladie est toujours méconnue, on sait que les personnes âgées de plus de 65 ans sont les plus touchées. Le diabète, l’hypertension, les risques vasculaires, l’environnement et le mode de vie sont parfois évoqués, mais tous ces facteurs sont encore à l’étude. Et l’hérédité ? « Ces formes sont rarissimes. Elles concernent moins de 1 ou 2 % des personnes malades », assure le Pr Hommet.

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I

DOSSIER

AIDER, UNE AFFAIRE DE FAMILLE S’OCCUPER D’UN MALADE, C’EST UN TRAVAIL À TEMPS PLEIN POUR LES PROCHES QUI LES SOUTIENNENT.

prend la vie avec humour. Et elle en a besoin. Son mari, 71 ans souffre de la maladie d’Alzheimer depuis huit ans. Médecin pendant quarante-deux ans, Jean est désormais devenu le malade. Marie s’en occupe à temps plein. Hors de question d’employer une aide à domicile. Chaque matin, elle fait sa toilette, l’habille. « Certains sont dégoûtés par la vieillesse. Alors c’est important qu’il soit présentable et soigné. » Puis, elle lui explique le déroulé de la journée pour qu’il puisse se repérer dans le temps. Une fois le déjeuner avalé, Jean s’occupe à colorier, à lire tandis que Marie range. Au début, c’était les vêtements qu’il sortait des armoires et qu’il étalait. Maintenant ce sont les livres. Il lit à voix haute ou invente une histoire. « Jean parle tout le temps. C’est épuisant. Les moments où je me retrouve seule, je réalise combien le silence est agréable. » Pour Paul, impossible de vivre sans Colette. « S’il m’arrive de sortir et de le laisser seul, il m’appelle cinq fois dans l’heure, témoigne-t-elle. Les aidants sont privés de vie personnelle. On est réclamé en permanence. Ça devient du harcèlement. Le malade pompe chez l’autre ce qui lui manque. » Jean aussi cherche Marie dès qu’elle n’est plus dans son champ de vision. « Il est toujours collé à moi alors qu’il était très indépendant. » En plus d’être anxieux, Jean s’énerve sans raison. Pour le calmer, Marie le prend dans ses bras. « Je comprends ce que tu vis », lui dit-elle, et le visage de son époux s’adoucit. Colette regrette, elle, les conver­ sations avec son mari. « On perd toute communication. On finit par étouffer. » Les amis s’éloignent ou « on les sélectionne », comme l’explique Marie. Cer­tains ne comprennent pas ou ont peur de la maladie. À table,

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Clémence Curty

Rire, sa force, sa thérapie. Marie*

Époux, enfants, ils sont 71 % à se sentir peu soutenus par les pouvoirs publics (BVA).

Jean mange parfois avec les doigts. Ça en choque quelques-uns. Mais Marie se fiche du regard des autres. Elle sort avec son mari dès qu’elle le peut. En novembre dernier, ils sont allés voir un concert au palais des congrès de Tours. « Je m’étais dit que si jamais ça se passait mal, on partirait. Ça n’a pas loupé. Jean s’est levé et s’est mis à chanter », raconte-t-elle en riant. Alzheimer fait oublier toute convention sociale aux malades. Ils retombent en enfance. « Parfois, il se met à chanter, à parler à des inconnus. Alors je rigole, ça dédramatise. Je pense qu’être dans une ambiance positive l’aide à mieux affronter la maladie. C’est aussi une façon de me protéger, sinon je pleurerais souvent. » Colette partage l’avis de Marie. Les sorties « maintiennent (son) époux la tête hors de l’eau ». Cependant, elle déplore le manque de soutien. Ils sont aujourd’hui plus de 4 millions

« On ne devrait pas nous appeler les aidants mais les supportants » d’aidants dans la même situation qu’elle. Selon certaines associations, 40 % d’entre eux décèderaient avant leur proche, souffrant de la maladie d’Alzheimer. Colette confie amère­ ment : « On ne devrait pas nous appeler les aidants mais les sup­

portants. On n’a pas un moment à soi. Même quand l’aide à domicile est présente, ce n’est pas du repos car on sait que le proche va nous chercher. » MAINTENIR LA SOCIALISATION

Les deux femmes s’accordent un jour ou deux de répit par semaine grâce au relais Cajou, un accueil de jour pour les personnes souffrant d’Alzheimer ou de maladies appa­rentées. On occupe ces derniers à des activités cognitives et ludiques. « Cela leur permet de maintenir une forme de socialisation, témoigne Christelle Taureau, travailleuse sociale. Certains s’ennuient avec leur conjoint. Des amitiés naissent. » Mais pour Marie et Colette, la pause est de courte durée : de 10 heures à 18 heures. À peine le temps de faire quelques courses ou de voir des amis. Pourquoi ne placent-elles pas leurs maris en institution pour souffler ? Pour l’instant, pas question d’y penser. « Si un jour il n’a plus conscience de vivre avec moi, alors, peut-être », confie Colette. Marie ne conçoit pas de prendre une semaine de congé et de confier Jean à une maison de retraite. « Je n’ose pas le laisser de peur que la maladie s’aggrave. Je crains qu’il soit malheureux et qu’il ait l’impression que je l’abandonne. Il comprend encore beaucoup de choses. Parfois, il me regarde droit dans les yeux et me dit : “Toi aussi, fais attention à tes neurones.” ». CLÉMENCE CURTY

(*) Tous les prénoms ont été modifiés.


I

HISTOIRE

RETRAITE, UNE CRÉATION COLLECTIVE

AU XIXE SIÈCLE, UN SYTÈME DE SOLIDARITÉ PREND FORME POUR LES TRAVAILLEURS. MUTUELLES, PATRONS ET ÉTAT POSENT LES BASES DE L’ASSURANCE VIEILLESSE.

Elle n’est pas toute jeune, la retraite. Sa

toute première forme a vu le jour il y a trois cents ans. Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, créait alors la protection vieillesse pour les mariniers. Depuis, les retraites se sont étendues progressivement à toute la population active. Ancrées dans notre mode de vie, elles ne semblent jamais acquises, puisqu’il faut les réformer souvent pour répondre aux défis futurs. Les bases du système actuel se sont construites tout au long du XIXe siècle. Entre 1850 et 1900, la population française vieillit, c’est le premier papy boom. La France connaît un véritable décollage industriel accompagné d’une forte urbanisation. C’est dans ce contexte que naît la figure du salarié. Ne disposant d’aucun capital, il ne possède que sa force de travail. Quand l’âge l’empêche de travailler, sans soutien familial ni argent de côté, il se retrouve démuni et termine souvent sa vie à l’asile, avec les aliénés, ou dans la rue à mendier. Dans ce contexte, les travailleurs d’une même branche d’activités choisissent de se soutenir, en se regroupant au sein des sociétés de secours

La loi de 1910 obligeait l’ouvrier à posséder une carte d’identité sur laquelle l’employeur apposait un tampon. Le travailleur devait la garder tout au long de sa vie professionnelle pour toucher sa pension de retraite.

1852 LA DATE

l’année au cours de laquelle Napoléon III reconnaît les sociétés de secours mutuel

mutuel. Les adhérents sont alors aidés en cas de maladie, d’infirmité, d’accident ou de chômage. Les canuts, ouvriers de la soie à Lyon, se sont ainsi regroupés dès 1828. L’émergence d’un capitalisme paternaliste va accélérer le développement des régimes de retraite. Les patrons veulent des salariés productifs. Alors, pour recruter et garder les ouvriers qualifiés, ils leur promettent une pension s’ils restent suffisamment longtemps. La Banque de France sera le premier grand groupe à instaurer ce régime dès 1806. Les mines et les réseaux ferrés suivront respectivement en 1894 et 1909. Pour les ouvriers, ce progrès est limité car la pension proposée est trop faible. Il est alors fréquent de les voir partir à la campagne pour devenir paysans. Ces régimes spéciaux perdurent même après 1945, date de la création de l’assurance vieillesse généralisée. C’est également au cours du XIXe siècle que la vieillesse s’institutionnalise. L’État éla­ bore des lois qui offrent davantage d’assistance aux vieux travailleurs et un embryon de système d’assurance. Les fonctionnaires et les militaires se voient accorder une pension en guise de récompense pour services rendus à l’État français. En 1850 est créée la Caisse nationale des retraites. C’est un échec car y cotiser n’est pas obligatoire et seuls 6 % des ouvriers y adhèrent. La Caisse bénéficie plutôt aux petits bourgeois plus en capacité d’épargner. Autre échec : la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes. Bien que longuement pensée et débattue, elle mécontente la plupart des travailleurs. Cette « retraite pour les morts », comme l’appellent les syndicats, propose une pension à taux plein à partir de 65 ans. Un âge tardif puisqu’à l’époque l’espérance de vie des ouvriers oscille entre 30 ans et 40 ans. C’est finalement dans l’horreur des guerres, où se mélangeront des hommes de toutes les classes sociales, que la protection sociale pour tous apparaît comme une évidence. En 1945, face aux milliers de mutilés de guerre, de veuves, d’orphelins, une solidarité nationale s’impose. Elle donnera naissance aux assurances sociales et, après de nombreuses réformes, à la retraite par répartition telle que nous la connaissons aujourd’hui en France.

FLORA CHAUVEAU ET MAUREEN LEHOUX

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I

ÉPOQUE

GÉNÉRATIONS LE CHOC N’AURA PAS

IL N’Y A PLUS DE CONFLIT DE VALEURS

Dans les années soixante, l’antagonisme de la jeunesse avec les générations précédentes est patent. Elle s’insurge contre une société ­répressive. La découverte de la torture en ­Algérie ajoute la honte au sentiment d’étouffement. Les jeunes s’évadent dans le yéyé et le rock. Le cinéma de la Nouvelle Vague bouscule les codes. L’apogée de ce mouvement se jouera sur le pavé de Mai 68. Il est « interdit d’interdire », clament les étudiants. De nos jours, si certains jeunes militants ­rêvent encore à ces quelques nuits d’embrasement parisien, il n’y a plus guère de conflit de valeurs. « Il existe une grande convergence entre les jeunes et leurs aînés. Bien plus grande que celle qui opposait la génération 68 à ses parents », atteste Pierre-Henri ­Tavoillot, maître de conférences à la Sorbonne. Pour le philosophe, la guerre des ­générations n’existe pas. C’est un débat qui « fait partie de ces discussions passionnelles. Celles-ci, dans notre espace public, fonctionnent selon une mécanique bien huilée ». Des jeunes « massacrés par l’économie » et des vieux, « repus et satisfaits, qui tirent les ficelles et les marrons du feu ». Le cliché per-

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Laure Colmant

N

ous allons devoir payer pour les erreurs de nos aînés. » Patrick, 28 ans, membre du collectif Génération Précaire est persuadé d’appartenir à une « génération sacrifiée ». Cette expression, on la retrouve dans l’enquête « Génération quoi ? » initiée par France Télévisions en automne 2013. Les 18-34 ans ont répondu en masse : plus de 5 000 questionnaires ont été complétés. Les jeunes se disent « prêts à en découdre ». La principale cible de leur courroux : les baby-­ boomers, nés après la Seconde Guerre mondiale, qui arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite. Aux yeux de leurs petits-enfants, ils ont bénéficié de conditions idéales avant le choc pétrolier de 1973. Mais c’est oublier qu’ils ont été aussi les premiers touchés par le chômage, les cri­ses économiques et les ­réformes de la retraite.

En 2010, les jeunes ont été nombreux à descendre dans les rues pour défendre les retraites menacées de leurs aînés.

« La nouvelle génération nous questionne et la génération qui est aux comman­des ne veut pas répon­dre »

siste. Pourquoi ? Certes l’angoisse du chômage plane et les difficultés économiques ont dégradé leur situation mais cela affecte toutes les catégories d’âge. Un tiers des jeunes interrogés est persuadé qu’ils ne connaîtront que la crise. Comme Sylvain ­Dignac, membre de l’Unef, ils pensent que « l’ascenseur social est en panne. On est élevé dans l’idée qu’on aura une moins bonne vie que celle de nos parents. On devra changer souvent de job ». La démographe Michèle Dion confirme que le plein emploi des ­années cinquante et soixante limitait les inégalités. « Ceux qui ne voulaient pas faire d’études avaient quand même du travail à l’usine ou dans les commerces. » En 2013, les jeunes non-diplômés sont les plus touchés quand le chômage augmente. Et paradoxalement, un bon niveau d’étude n’offre plus ­aucune ­garantie. ENTRE DÉSILLUSION ET MILITANTISME

Margot aimerait que les baby-boomers laissent les jeunes faire leurs preuves. « On devrait imaginer une forme d’apprentissage avec les chefs d’entreprises ou les parlementaires, qu’ils nous embauchent en cogestion, sur le terrain. » À tout juste 19 ans, cette


I

ÉPOQUE

LE MYTHE DU CONFLIT ENTRE JEUNES ET VIEUX PERDURE ET ­CERTAINS RÊVENT D’UN NOUVEAU MAI 68. POURTANT, LA ­SOCIÉTÉ N’A JAMAIS ÉTÉ AUTANT À L’ÉCOUTE DE SA JEUNESSE.

D. R.

LIEU

militante UMP vient d’être élue conseillère municipale mais elle est consciente que le fossé entre la classe politique et la population se creuse. « En 1968, il y avait une force de la politique, elle était maîtresse, souligne le journaliste Jean-Marcel Bouguereau, figure de Mai 68. Actuellement, les jeunes ont le sentiment que c’est l’économie dirige. » Interrogée sur France Culture le 8 avril dernier, la sociologue Irène Théry le reconnaissait : « Ma génération, celle des baby-boomers, s’est toujours vue comme l’incarnation du changement. Nous avons connu la pilule, le droit à l’avortement, la proclamation de l’égalité des sexes… Mais voilà, maintenant nous sommes grands-parents et nous sommes interrogés par la ­génération de nos enfants. C’est la première fois que cela nous arrive. Et nous faisons la sourde oreille. La nouvelle génération nous questionne et la génération qui est aux comman­des ne veut pas répon­ dre. » Un silence qui pèse au moment des élections. Alors apathique la jeune génération ? En fait, on assisterait plutôt à des formes différentes de militantisme, plus pro­ ches du terrain, qui pourrait ressembler à l’« éta­­blissement » des étudiants maoïs­ tes de 1968 dans les usines ou à la résistance du Larzac. Les mouvements de désobéissance se développent et la voix de la jeunesse résonne Même si le thème de cette affiche de 1968 rejoint les préoccupations de la jeunesse actuelle, la réalité économique était très différente.

lors des manifestations organisées par des collectifs comme Jeudi noir ou Génération Précaire. « Se regrouper permet de trouver une solution à l’inaction des politiques », ­estime ­Patrick. L’enquête de France Télévisions révèle donc l’exaspération croissante des jeunes. Ils sont 61 % à se déclarer en faveur d’un mouvement de révolte du même ordre que Mai 68. Un événement « improbable » pour Pierre-Henri Tavoillot. La disparité des aspirations politiques ou sociétales serait un frein à l’émergence d’un mouvement contestataire capable de paralyser le pays. LA SOLIDARITÉ COMME REMPART

Mais le rapport entretenu entre les jeunes et leurs parents a changé. Mai 68, c’est une population qui vient d’avoir 20 ans et qui s’élève contre l’autorité parentale, à l’époque incarnée par la figure conservatrice du général De Gaulle. « Ma génération est arrivée au bon moment », assure Jean-Marcel Bouguereau. Quarante ans après, les rapports ont bien évolué. Les jeunes ne contestent pas la libéralisation des mœurs, qui a ­découlé du mouvement soixantehuitard. Et s’ils tonnent contre les ­générations précédentes, ils sont solidaires de leurs parents et grands­parents. L’aide financière apportée par ces derniers joue un rôle crucial dans cette évolution. En France, 53 % des jeunes sont épaulés par leurs aînés. Difficile alors de se révolter. Alors, « Génération sacrifiée », la ­jeunesse française ? Pierre-Henri ­Tavoillot nuance cette impression : « Il y a toujours eu des générations sacrifiées. L’entrée dans l’âge adulte est plus difficile que dans les années soixante en raison de difficultés économiques considérables mais jamais époque n’a été aussi attentive à écouter, à comprendre et aider sa jeunesse. » Et cela sans doute grâce aux générations précédentes. JULIE DUBOIS, GUILHERME RINGUENET,

CÉCILIA SANCHEZ, ELISABETH SEGARD

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I

PAS DE DANS Charlotte Herfray, psychanalyste. 88 ans.

Clémence Curty

CONFIDENCES

« LE VIEILLISSEMENT EST UNE LUTTE QU’ON NE PEUT PAS GAGNER »

L

a vieillesse est un problème dans la mesure où on veut faire des choses mais, paradoxalement, on ne peut plus. Certains parlent d’un sentiment d’usure, mais ce n’est pas une sensation, c’est une réalité. Le corps et les organes sont fatigués. J’ai peur de ne plus savoir où aller, de me perdre. Ce qui est difficile dans la vieillesse, c’est d’accepter les pertes qui nous frappent régulièrement. La seule solution est de le prendre avec le sourire. Et savoir rire de soi. J’observe, sans faire de généralités et j’essaye de voir quelle est la plainte qui habite les vieux. Le vieillissement est une lutte qu’on ne peut pas gagner. Je ne sais pas à quel âge j’ai commencé à vieillir, ça a été progressif. Je n’ai plus

envie de faire certaines choses parce que je me sens fatiguée. La fatigue est un poids qui nous empêche de faire ce que l’on voudrait. Je ne fais rien de nouveau, je n’ai plus envie. On essaye de faire des choses qui sont jugées difficiles pour montrer qu’on peut encore y arriver. Mais c’est plus pour impressionner la galerie. Les vieux ne sont pas forcément mis à l’écart, cela dépend des amitiés qu’ils ont entretenues. Quand on est seul, c’est aussi parce qu’on en a envie. C’est important de sentir qu’on compte encore pour une autre personne. J’ai choisi de vivre dans une résidence avec services parce que je n’avais plus envie de cuisiner pour moi. Ici, je descends, il y a une salle à manger. C’est facile. Quand j’ai regardé par la

PSYCHANALYSTE, MANNEQUIN, PHOTOGRAPHE OU JOURNALISTE, ILS LIVRENT LEUR VISION DU VIEILLISSEMENT. PROPOS RECUEILLIS PAR MATHILDE LECLERC, JULIA MARITON ET CÉCILIA SANCHEZ

fenêtre avec cette vue sur la cathédrale de Strasbourg, j’ai su que je resterais. Sur le portail du milieu, à côté de l’enfant Jésus, les artisans ont mis un bonhomme qui montre son cul. Ils disaient « où qu’on aille, il y a toujours un trou du cul ». Ça me paraissait important de garder ça à l’esprit. On retombe en enfance. On perd ce qu’on avait acquis, on a besoin de protection, on est face à l’impossibilité de marcher seul. On devient dépendant, le mot est approprié. Je dépends de ma canne et j’en prends même deux, parce que mes pieds ne sont plus assez sûrs pour que je puisse compter sur eux. Quant à savoir s’il y a une connotation négative, ça n’a aucune importance. Vous croyez que la vie, ce n’est pas négatif ?

« LA POPULARITÉ REMPLACE LES MÉDICAMENTS ET NE RUINE PAS LA SÉCU »

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J’ai la chance d’avoir une popularité exceptionnelle. Ça remplace les médicaments et ça ne ruine pas la Sécu. Pourvu que cela dure le plus longtemps possible, comme pour Line Renaud, Jean Piat, Annie Cordy et bien d’autres artistes de ma génération. Peut-être qu’en vieillissant, je suis davantage préoccupée par le mystère de la naissance de l’être humain et par sa disparition inéluctable et incontournable.

Geneviève de Fontenay, présidente d’honneur du Comité Miss Prestige National. 81 ans. Érick Gey

La vieillesse peut commencer à 20 ans, tout se passe dans la tête. Je vois tellement de femmes mal coiffées et mal fagotées qui ne savent pas se regarder ni se mettre en valeur… J’ai la chance d’être née dans la « Lorraine du fer » et d’être en bonne santé. J’ai simplement deux prothèses de hanches qui ont été posées comme une lettre à la poste. Le chirurgien et l’anesthésiste m’ont dit que j’étais une « cliente » hors norme.


I

E RIDES LA TÊTE

CONFIDENCES

Yann Arthus Bertrand, reporter photographe. 68 ans.

D. R.

« JE SUIS DE NATURE OPTIMISTE »

je vis les années qui passent avec philosophie, en ne gardant que ce qu’il y a de bien. Je suis de nature optimiste. Je suis toujours éditorialiste et le jour où j’en aurai marre, j’arrêterai. Pour l’instant, mon métier me passionne toujours autant. Je me vois mal arrêter. Je suis un survivant. Il y a quinze ans, j’ai eu un accident vasculaire cérébral. Je considère que j’ai affronté d’autres épreuves plus marquantes que celle du vieillissement. Je me garde bien de donner des leçons aux jeunes. Ils sont dans une situation plus difficile que nous, les anciens soixante-huitards. Il n’y avait pas de Sida, pas de chômage à notre époque. Et je ne veux vraiment pas jouer les anciens combattants. J’ai décidé trois jours avant mon soixante-cinquième anniversaire de prendre ma retraite de la rédaction en chef du Nouvel Observateur. Je l’ai expliqué dans ma lettre de départ : il y a un moment où il faut laisser la place aux jeunes. Non sans raison et parfois avec envie, ils nous ont souvent reproché, à nous, cette génération bénite, de leur boucher l’horizon.

si je cesse de travailler, de créer et de parcourir le monde, j’ai peur de mourir. J’ai besoin d’être en constante création pour tenir. Mon envie de vivre est aussi intense qu’à mes 20 ans. Le secret ? Tout est dans la tête. Je n’ai pas peur de réaliser mes rêves même si le corps a moins de volonté que l’esprit. Quand je pense que je passerai le cap des 70 ans dans deux ans, je n’en reviens pas.

Avec l’âge, j’ai l’impression d’apprivoiser la mort. J’apprends à composer avec elle. Comme je sais que je n’ai plus trente ans devant moi, j’ai envie de multiplier les expériences avant qu’il ne soit trop tard pour le faire. Et tant que la maladie n’est pas là pour m’arrêter, je fonce. Ma femme, elle, est atteinte de la maladie de Parkinson. Cela me fait bien plus peur que de simplement vieillir.

avec un mental particulier. J’ai l’impression d’avoir 35 Tanya ou 40 ans. Rien ne me rapDrouginska, pelle que je suis plus vieille, mannequin et actrice. Âge N. C. si ce n’est les journalistes et les agents. J’en suis à ma deuxième vie. J’étais mannequin dans les années soixante-dix puis j’ai mené une carrière commerciale que j’estime avoir réussie. Je travaille de nouveau comme modèle depuis neuf ans. J’envisage une carrière américaine. Je suis aussi comédienne et chanteuse. Pour la presse française, je suis un top model « senior » mais je n’aime pas ce terme. Quand je décroche une pub, c’est toujours lors de castings pour plus jeunes que moi. Un être humain n’est pas qu’une date de naissance, « UN ÊTRE HUMAIN N’EST PAS mais une énergie. Certains sont vieux QU’UNE DATE DE NAISSANCE » à 20 ans. Je me vois plutôt comme quelqu’un d’intemporel. J’espère poules médecins s’accordent pour dire voir montrer que la vieillesse n’est que l’âge biologique ne correspond pas une fatalité. Mais c’est difficile de pas nécessairement à l’âge que l’on a faire changer les mentalités, surtout dans la tête. Je suis en parfaite santé, dans le monde de la mode.

Olivier Metzger

Jean-Marcel Bouguereau, ancien rédacteur en chef de Libération et du Nouvel Observateur, éditorialiste à La République des Pyrénées. 67 ans.

D. R.

« AVEC L’ÂGE, J’AI L’IMPRESSION D’APPRIVOISER LA MORT »

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PRATIQUE

2.

LES ÉTAPES-CLÉS POUR LE DÉPART

À partir de 55 ans, vous recevrez tous les cinq ans, jusqu’à votre cessation d’activité, une évaluation du montant de votre pension ; c’est votre estimation indicative globale. Vous pouvez consulter le site web www.marel.fr, qui met à disposition des internautes un simulateur pour calculer le montant des pensions de retraite.

Annie, Jean, Claude, Albert et Jeanne sont amis depuis plus de quarante ans. Ils se retrouvent régulièrement pour déboucher une bouteille en souvenir du bon vieux temps. Mais, peu à peu, ils sont atteints par les premiers signes de la vieillesse. Le plus fonceur propose à ses compères de venir habiter dans sa grande maison. Vivre en communauté à presque 80 ans, pourquoi pas ?

Lorsque son grand-père, décède le narrateur prend conscience de tout ce qu’il n’a pas su lui dire. Il décide alors de s’occuper de sa grandmère pour se rattraper. Mais son père et ses frères la place en maison de retraite. Elle s’enfuit et le jeune homme part à sa recherche. Ce livre parle du chemin à parcourir pour donner un sens à sa vie et des désirs qui nous assaillent qu’on soit jeune ou vieux.€

Et si on vivait tous ensemble ?, de Stéphane Robelin, avec Jane Fonda et Pierre Richard.

Les Souvenirs, David Foenkinos, Gallimard, 2011, 18,80 euros.

Clémence Curty

1.

Envoyé à toutes les personnes de 35, 40, 45 et 50 ans, le relevé de situation individuelle vous permet de faire un point sur votre parcours professionnel. C’est en quelque sorte le récapitulatif de votre carrière. Attention à bien le relire, les documents envoyés peuvent contenir des erreurs. Vérifiez à l’aide de vos bulletins de salaire l’ensemble des informations, ­notamment les dates de vos périodes d’activité et d’inactivité.

Une fois que vous connaissez la date de votre cessation d’activité, vous devez faire une demande de liquidation de retraite et l’adresser aux caisses de retraite où vous avez cotisé. Attention à dissocier le régime général des salariés du régime complémentaire. N’hésitez pas à consulter des sites comme www.info-retraite.fr. Les établissements bancaires peuvent aussi vous aider dans vos démarches.

3.

« QUARANTE ANS, C’EST LA VIEILLESSE DE LA JEUNESSE, MAIS CINQUANTE ANS, C’EST LA JEUNESSE DE LA VIEILLESSE » Victor Hugo


I

PRATIQUE « SCHNOCK », POUR LES VIEUX DE 27 À 87 ANS

Une revue peut-elle séduire à la fois un papy et son petit-fils ? C’est en tout cas le pari osé que se sont lancé Laurence Rémila et Christophe Ernault il y a trois ans. Schnock, un magazine destiné aux vieux de 27 à 87 ans, séduit par son éclectisme et sa vision du vieillissement. On y aborde la culture rétro avec de l’humour et une certaine empathie pour les glorieux aînés. Petit schnock deviendra vieux, une certitude autour de laquelle les sujets prennent forme, rendant le tout cohérent, mais surtout passionnant. Trimestriel disponible dans toutes les librairies au prix de 14,50 euros.

« IL FAIT BON VIEILLIR. ÊTRE JEUNE, C’ÉTAIT TUANT » jalmar Soderberg

DEPUIS 1985, LES SENIORS ONT AUSSI LEURS JEUX OLYMPIQUES, LES WORLD MASTER GAMES. PAS BE­SOIN D’ÊTRE UN GRAND ­ATHLÈTE POUR ­S’INSCRIRE. ICI, LES ÉQUIPES SPOR­TIVES PROFESSIONNELLES SONT PROSCRITES. LES PARTICIPANTS S’INSCRIVENT EN INDIVIDUEL ET L’ASPECT CONVIVIAL PRIME SUR L’ESPRIT DE COMPÉTITION. PROPOSANT PRÈS DE TRENTE DISCIPLINES SPORTIVES, LES WORLD MASTER GAMES RASSEMBLENT TOUS LES QUATRE ANS LES VÉTÉRANS DU MONDE ENTIER, POUR LA PLUPART ÂGÉS DE 40 À 60 ANS. ET ON PEUT DIRE QUE L’ÉDITION ESTIVALE SÉDUIT : EN 2009 À SIDNEY, ON COMPTAIT PRÈS DE 29 000 COMPÉTITEURS. EN 2015, LA VILLE DE NICE ACCUEILLERA LA DÉCLINAISON EUROPÉENNE DE CES JEUX, LES EUROPEAN MASTER GAMES.

Nebraska est un road-movie intergénérationnel en noir et blanc. Woody Grant est persuadé d’avoir gagné 1 million de dollars à un tirage au sort par correspondance. Il cherche à tout prix à rejoindre le Nebraska pour le récupérer. Son fils David cède et le suit. Le vieux alcoolique qui joue à l’ado les entraînent dans des situations loufoques et improbables.

D. R.

LE SAVIEZ-VOUS ?

Journalistes Télé à 85 ans Caméra en main, des retraités sillonnent les rues de Rennes depuis treize ans. Accompagnés par un journaliste de TV Rennes, ils réalisent une chronique, diffusée chaque semaine sur la chaîne bretonne. Un magazine produit par les vieux, pour tous. Et le succès est probant : l’émission est l’une des plus suivies depuis 2001.

Nebraska, d’Alexander Payne, avec Will Forte et Bruce Dern.

HEY PAPI ! FAIS-MOI UN BIG MAC

Pour lutter contre le chômage des seniors et pour anticiper le vieillissement de la population allemande, la chaîne de restauration rapide McDonald’s a lancé une vaste campagne de recrutement auprès des plus de 60 ans. D’après le quotidien britannique le Financial Times, la chaîne a recruté des grands-parents d’employés. Et si McDonald’s joue la carte de l’emploi des seniors, c’est surtout parce qu’en Allemagne, la satisfaction des clients est supérieure de 20 % dans les restaurants où travaillent des sexagénaires.

« ON NE VOIT VIEILLIR QUE LES AUTRES » André Malraux 2014

Innova

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I

PRATIQUE

« IL NE FAUT PAS ATTRIBUER À LA VIEILLESSE TOUS LES DÉFAUTS DES VIEILLARDS » AFP

LES PAPIS ROCKERS REMPLISSENT LES STADES

Alphonse Karr

Complet en cinquante-et-une minutes ! Le 28 mars dernier, les 75 000 places pour l’unique date française de la tournée 2014 des Rolling Stones se sont vendues comme des petits pains. Mick, Keith, Charlie et Ron, 70 ans de moyenne d’âge, se produiront le 13 juin prochain à Paris, dans un Stade de France plein à craquer. Tout comme Bruce Springsteen, Patti Smith, David Bowie et autres vieux briscards du rock, les Rolling Stones ne prévoient pas, pour le moment, de raccrocher leur guitare.

CARNET D’ADRESSES Cité Club propose des activités sportives adaptées aux seniors. Au programme : randonnée, tir à l’arc, golf et aquaforme. www.citeclub.tours.fr Le centre communal d’action sociale de Tours met en place des activités afin de rompre l’isolement des personnes âgées, vivant à domicile ou en résidence : www.ccastours.fr/senior/animation.php

LIVRES

•desArrêtez de nous prendre pour vieux !, Muriel Boulmier, Balland, 10 euros

•Bien vieillir c’est possible : je l’ai fait, Gilbert Lagrue, Odile Jacob, 22 euros

Axelle Guinon

•Sandrine Gagnez dix ans en trois mois, Sebban, Lattes, 19 euros

SITES

•L’auteur, Papa, Raphaël Helle, Blurb photographe, a capturé des

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Innova

2014

Pour échanger points de vue, expériences, et même des histoires drôles, aller sur planeteseniors.fr. ●

Pour être au courant dP l’actu, rendez-vous sur journaldesseniors.com/. ●

Pour savoir ce qui se passe dans sa région, voir sur touraine-reperage.fr/. ●

Julia Guillen

D. R.

moments d’intimité de son père, atteint de la maladie de Parkinson. Des photos du quotidien, avec ses coups de fatigue et ses moments de tendresse. Un hommage en finesse au père mais aussi à la mère. Livre numérique à voir et à commander sur Blurb : http:// www.blurb.fr/ books/3331030papa.

La Maison de la solidarité de Tours Nord accueille du lundi au vendredi tous les seniors qui souhaitent apprendre à se servir d’un ordinateur ou d’Internet. Les ateliers ont lieu tous les après-midi. 02 47 41 57 58 maisonsolidarite@orange.fr


I

REPORTAGE AILLEURS

ILS ONT 100 ANS ET UNE SANTÉ DE FER. ILS VIVENT DANS LES CINQ RÉGIONS DU MONDE OÙ L’ON BAT DES RECORDS DE LONGÉVITÉ.

Nelson Lee

LES ZONES BLEUES TERRES DE JOUVENCE POUR CENTENAIRES place du village est déjà bien éveillée. Les anciens se retrouvent. Ils prennent le café au comptoir et lisent paisiblement leurs journaux. Certains manquent à l’appel. Ils sont partis bien plus tôt, à pied, pour aller nourrir les brebis dans les pâturages voisins. Bienvenue dans le petit bourg de Triei, province d’Ogliastra, en Sardaigne. Une zone montagneuse de l’île italienne, ­encore épargnée par l’économie du tourisme. Depuis quelques ­années, cette province a été désignée « zone bleue », l’une des cinq régions du monde où l’espérance de vie est la plus élevée. Et où ­vivent des hommes et des femmes pour qui la vieillesse ne se fait pas vraiment sentir. « C’est facile de vieillir à Triei, estime Bruno Bego, qui habite la région depuis onze ans. Les gens ici ne connaissent pas le stress. Ils vivent à leur rythme, selon leurs envies. Ils mangent des produits qu’ils cultivent et boivent le vin des environs. » En Italie, les Sardes sont un peuple à part. « Ils sont fermés aux autres mais très solidaires. » La cohésion intrafamiliale on la retrouve dans les villages. Les maisons ont deux ou trois étages, ce qui leur permet d’accueillir plusieurs générations sous le même toit. Quand ce n’est pas le cas, seuls quelques kilomètres séparent ces familles. La solidarité et le respect des anciens sont des valeurs essentielles. UN MODE DE VIE SPÉCIFIQUE

Les zones bleues ont été mises en évidence par le chercheur américain Dan Buettner, spécialiste de la longévité. Il en a déterminé cinq. À la Sardaigne s’ajoutent l’île d’Ikaria, en Grèce, la péninsule de Nicoya, au Costa Rica, la ville de Loma Linda, en Californie et l’île d’Okinawa, au Japon. Des régions dispersées dans le monde entier mais qui ont un même

Brigitte Pourquier

Les cloches sonnent, il est 7 heures, la

Dans la province d’Ogliastra, en Sardaigne, on recense 30,9 centenaires pour 100 000 habitants. Un chiffre qui dépasse la moyenne nationale : 26,6 pour le même nombre d’habitants.

mode de vie : prendre son temps ; manger ­local grâce aux circuits courts ; privilégier les légumes du jardin et les noix ; boire un petit verre de vin ou de saké chaque jour ; faire de l’exercice sans forcer, en marchant ou en ­cuisinant ; vivre en communauté avec des ­personnes de tout âge ; donner la priorité à sa ­famille et à ses amis. Les Japonais d’Okinawa se rassemblent ainsi en moai, des groupes d’amis soudés qui se tiennent compagnie tout au long de la vie. Ils prennent le temps, chaque jour, de réfléchir et de trouver une raison de se lever le matin. Une philosophie de vie appelée ikigai. DES INITIATIVES POUR MIEUX VIVRE

Dans ces endroits du monde, on vit isolé, sans téléphone portable. Faute de voiture, on marche. Pas besoin de supermarchés puisque l’on récolte les légumes dans le jardin. Une ­façon de vivre toute simple en somme. Depuis toujours, l’individu cherche des recettes ­miracles pour vivre mieux et plus longtemps. Et si la solution était là, sous notre nez ? Certains ont anticipé cette découverte. Parce qu’ils permettent d’évacuer le stress, le yoga et la méditation sont devenus à la mode. Les Amap et les coopératives bios qui proposent des produits issus de circuits courts aussi. Pour plus de solidarité, des systèmes d’échange locaux se mettent en place. Ces initiatives permettent de favoriser le vivre ensemble et évitent l’isolement des personnes âgées. Dans les zones bleues, on a peut-être trouvé le mode de vie idéal. Mais va-t-il duré pour autant ? « Les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent pas cette façon de vivre, regrette Bruno Bego. Il y a de fortes probabilités que lorsque cette génération de centenaires disparaîtra, cette histoire incroyable s’arrêtera aussi.»

JULIETTE LÉCUREUIL ET MAUREEN LEHOUX

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