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Féminicides au Mexique: «Pas une de plus»

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Des signes

Des signes

Mélanie Gomez tient une pancarte avec la photo de trois amies disparues ou assassinées. : Victor Lhoest Crédit photo

Au Mexique, des femmes se battent parce que d’autres meurent. Plus de 3000 femmes ont été assassinées en 2021. Alors que le président Andres Manuel Lopez Obrador est accusé d’attentisme, des manifestantes demandent justice pour celles disparues.

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Nous sommes à Mexico, au Zócalo, la place principale de la capitale mexicaine. Les militantes s’y sont donné rendez-vous en tenue noire pour manifester ce 18 mai, jour de lutte nationale contre les disparitions et les féminicides. Il est 17 h passé de quelques minutes. Certaines militantes s’impatientent. La manifestation devait commencer à l’heure pile. «C’est la ponctualité mexicaine», ironise Isabel Sanchez, militante féministe au grand chapeau, venue avec deux amies. En quelques minutes, une cinquantaine de femmes remplissent le trottoir. Le cortège — chauffé à blanc par les discours des meneuses du mouvement et les chants du public — démarre pour un tour de la place centrale. Elles endossent un macabre devoir d’alerte auprès des dirigeants du pays. Parmi elles, Mélanie Gomez, étudiante de 22 ans, tient une pancarte où figurent trois visages. Ce sont ceux de ses amies. «Une a été séquestrée et les deux autres assassinées», dit-elle à La Quête. «Une enquête est en cours. On espère que la justice fera son travail». L’histoire est glaçante. Selon l’Institut de statistiques mexicain INEGI, 6 Mexicaines sur 10 ont été victimes de violences de genre au cours de leur vie. Pour les cas de féminicides, leur nombre a flambé depuis 2020.

L’AUTRE PANDÉMIE

Les féminicides sont un fléau national au Mexique. L’ONG Amnesty International a recensé 3723 assassinats de femmes au Mexique en 2020, soit une moyenne de dix chaque jour. Mais les autorités ne reconnaissent que 940 meurtres comme féminicides, un chiffre néanmoins en hausse de 136% en cinq ans. Comme au Québec où vingt-six féminicides ont été comptés en 2021, le phénomène s’est aggravé avec la pandémie. Les féminicides touchent la population de manière inégale: la pauvreté et le faible niveau scolaire sont des facteurs de vulnérabilités. Les violences sont le plus souvent commises par des proches des victimes, et il est difficile de fuir lorsque l’argent manque.

SE BATTRE POUR ENRAYER LA MÉCANIQUE

Afin de médiatiser la cause au-delà des frontières mexicaines, Isabel Sanchez, rencontrée pendant la manifestation, a accepté de s’entretenir avec La Quête.

En tant que psychologue féministe à l’organisme Renacer (renaître), elle intervient auprès de victimes de violences liées au genre. «On propose un soutien psychologique et un accompagnement dans les démarches judiciaires pour les femmes victimes de violence afin de faire valoir leurs droits devant la justice, et ainsi obtenir une entière réparation. C’est une étape très complexe pour les victimes», constate-t-elle après quatorze ans dans ce domaine. Dans 90% des cas de violence faite aux femmes, les agresseurs présumés ne sont jamais jugés, selon l’INEGI. Pour enrayer la mécanique, l’ancienne ambassadrice pour la prévention de la violence au ministère de la Justice de l’État de Mexico estime qu’il est nécessaire de rendre la justice accessible.

PRÉVENIR, COMBATTRE, PUNIR ET ÉRADIQUER

La solution mexicaine aux féminicides tient en quatre mots: prévenir, combattre, punir et éradiquer les violences envers les femmes. Ce sont les mots d’ordre de la politique définie par le gouvernement en 2021. Derrière ces promesses, les moyens mis sur la table pour les programmes qui s’occupent des victimes de violence ont été réduits, ou trop peu augmentés — inférieur au taux d’inflation. «Comment on peut avoir les moyens d’agir sans ressources», regrette Isabel Sanchez.

Les militantes portent un voile noir et tiennent une croix en signe de deuil et de colère.

PRÉSIDENT AMBIVALENT

Le président mexicain de gauche Andrés Manuel López Obrador (AMLO) élu depuis 2018 portait pourtant les espoirs du changement propre à chaque alternance. Jamais un gouvernement mexicain n’avait comporté autant de femmes, sept sur dix-neuf. Son image a quelque peu changé. En 2020, derrière le mot clé «#UnDiaSinNosotras» («un jour sans nous»), une grève nationale a mobilisé plus de 20 000 Mexicaines selon les chiffres officiels, pour dénoncer l’inaction du gouvernement face à une vague record de féminicides. La veille, la secrétaire de la fonction publique, Irma Eréndira Sandoval, affirmait encore qu’AMLO était le «président le plus féministe» du Mexique contemporain. Une phrase qui fait sourire amèrement Isabel Sanchez. «Les hommes ne peuvent pas être féministes», lance-t-elle. Après une respiration, elle tempère. «Ils sont des alliés, ils ne peuvent pas vivre la même chose qu’une femme victime de violence subit parce qu’elle est femme. Mais ils peuvent partager notre lutte». La moitié de la population tend la main pour que l’autre la rejoigne.

VICTOR LHOEST

: Victor Lhoest Crédit photo

Sur le masque d’Isabel Sanchez est inscrit: «Ne laissons pas notre voix être réduite au silence par un masque».

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