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L’arche des accros

Se droguer en minimisant les risques. De Bruxelles à Québec, des salles de consommation permettent aux toxicomanes de s’injecter ou inhaler des substances illicites en présence de personnel formé. Si beaucoup d’idées fausses circulent autour de ces lieux, leur objectif est double: offrir aux utilisateurs de drogues un environnement sécuritaire et pacifier l’espace public.

Tout proche de l’hôpital SaintPierre — un des nombreux que compte Bruxelles — c’est là que la salle de consommation à moindres risques ouvrira en 2022. Dans le quartier déjà confronté au ballet de gyrophares et patients convalescents, la crainte est que viennent s’ajouter à cela des drogués en quête de doses. Tout comme celle de Québec, ouverte il y a bientôt un an, la salle de consommation bruxelloise soulève des questions. Le défi des travailleurs sociaux est donc de faire accepter le dispositif par la population. Bruno Valkeneers travaille avec l’association Transit, partenaire de la future salle de consommation à moindres risques. «Il faut combattre les idées reçues et les fantasmes, bien que légitimes parce qu’il y a de l’émotionnel et des choses qu’on ne connaît pas», explique le chargé en communication de l’association. Bruno Valkeneers le conçoit: les habitants ne veulent pas de «toxicos» en bas de chez eux. «Ce n’est pas le bien-fondé du dispositif qui dérange. On entend souvent: on est d’accord avec la démarche de solidarité, mais pas chez nous.»

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ENTENDRE LES CRAINTES

Dans le quartier Saint-Roch, L’Interzone a mis 10 ans avant de trouver un lieu pour la salle de consommation. «On sait que c’est un sujet très sensible», reconnait Marine Séries, organisatrice communautaire au CIUSSS de la Capitale-Nationale. «Il y a beaucoup d’écoute des personnes réticentes. Il y a une grande partie des préoccupations qui a besoin d’être entendue». Peur des attroupements et craintes de provoquer un afflux de criminels: c’est à ce genre d’argument que Marine Séries doit répondre. Le SPVQ a surveillé la mise en place de la salle en mars 2021. Résultat: pas de heurts liés à la présence de L’Interzone, mais quelques flânages signalés. «On est dans Saint-Roch et du bruit, des gens qui consomment dans les entrées, il y en a partout dans le quartier», observe l’organisatrice communautaire de la basse ville pour qui L’Interzone n’encourage pas ces comportements. De l’autre côté de l’Atlantique, on s’attend aussi à une mise en place pacifique. Les policiers augmenteront leurs contrôles pour éviter que des points de trafics de drogue n’apparaissent aux abords.

UN LIEU À DÉMYSTIFIER

Si les salles de consommation n’attirent pas toute la délinquance de la ville, ce n’est pas dû à un coup de chance, mais plutôt à un encadrement méticuleux. Chaque dispositif a sa particularité, mais le parcours des consommateurs reste similaire. Ils doivent en effet se présenter avec la substance qu’ils vont consommer. Le lieu est discret, un bon point pour les usagers. Dans la salle, un.e infirmier.e est là pour s’assurer que tout aille bien et conseille sur les bonnes manières de s’injecter. Ça évite les infections et les surdoses. À aucun moment le personnel n’aide les consommateurs à s’administrer leurs substances. Avant que le consommateur ne sorte, il a une pièce pour décanter. Il n’est pas question de remettre quelqu’un dans l’espace public en état d’ébriété. «Ce n’est pas une piquerie où tu rentres et tu sors. Il faut démystifier ça», assène Marine Séries. Pour mettre fin aux préjugés, Bruno Valkeneers appelle à traiter la dépendance comme une condition médicale. «On ne peut plus considérer que c’est la seule maladie dont on condamne les symptômes», revendique monsieur Valkeneers.

TESTER POUR AMÉLIORER

Un point épineux reste à résoudre: si la police surveille les abords des salles et que les consommateurs doivent venir avec leur propre substance, les transactions se font ailleurs. Pour éclaircir ce point noir dans la diminution des risques liés à la drogue, la ville belge de Liège est un exemple. Les médecins d’un dispositif Tadam (traitement assisté par diacétylmorphine), ont pendant 2 ans substitué la méthadone — considérée comme le meilleur traitement pour pallier la consommation de drogue — par de l’héroïne médicale. Avec le traitement classique, de 15 à 20 des usagers continuaient de consommer de l’héroïne. Ce projet, en plus de diversifier les solutions de traitements, était pour Bruno Valkeneers un moteur pour une ville plus sereine «Il y a eu une diminution de la criminalité parce que les gens avaient accès aux produits gratuitement. Ils ne faisaient plus de larcin pour s’en procurer.» Tadam a fermé ses portes en janvier 2013, comme convenu dans le protocole. Bien que perfectibles, les dispositifs comme celui de Québec sont une réussite pour Marine Séries: «On a une augmentation progressive du nombre de personnes qui viennent. Ce qui démontre le besoin et ce qui démontre que l’Interzone rejoint les personnes qu’il souhaite rejoindre». Elle ajoute que la confiance des consommateurs n’est pas simple à acquérir. Celle des habitants non plus. Alors, l’interzone organise deux rencontres par année avec le comité de voisinage. Ça permet d’entretenir le dialogue et d’éviter les accrocs.

VICTOR LHOEST

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