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La paix du carré de sable
C ourtoisie : Martine Corrivault
LA PAIX DU CARRÉ DE SABLE
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«La paix! Est-ce que je pourrais avoir la sainte paix deux minutes...?! — C’est pas moi. C’est pas d’ma faute, c’est lui qui a commencé… — Et tu te crois intelligent en continuant? C’est toi le plus grand! — Jamais moyen de rien faire ici!» Voilà une de ces petites scènes familières quand on grandit dans un foyer rempli d’une marmaille turbulente: les rappels à l’ordre n’étonnent personne; ils font partie de la routine familiale et se révèlent souvent nécessaires au maintien d’un minimum de paix. Pourtant, avec la pandémie et l’arrivée dans les domiciles du travail et de l’école à distance, les «télétravail — télé-études», bien des parents ont dû improviser une réorganisation complète des horaires et des lieux de vie commune. Opération délicate, même si assurer l’harmonie reste moins compliqué dans une grande maison que dans un quatre et demi. Au quotidien, réduire le tintamarre familial, ça exige diplomatie, énergie, psychologie et une foule d’autres qualifications avec des noms en «ie», plus des tonnes d’amour et de patience. La fée des logis n’ayant pas distribué également les talents en matière de maintien de la paix et de résolution de conflits alors, savoir garder son calme devrait figurer parmi les grands exploits sportifs, catégorie parents. N’en déplaise aux théoriciens de la question, trouver le point d’équilibre qui rend tout le monde heureux a toujours été plus facile à prêcher qu’à réaliser. Ma grand-mère, quand les enfants étaient trop silencieux, s’inquiétait et devenait méfiante: «Ils sont en train de fricoter quelque chose; je serais plus en paix si je les entendais ou pouvais les voir.» Demandez aux parents d’aujourd’hui s’il ne leur arrive pas de raisonner de la même manière. Bien avant l’implantation des garderies et des maternelles organisées, on savait que les grands apprentissages de la vie en société débutent dès la petite enfance, au milieu du carré de sable qu’il faut bien apprendre à partager avec les autres. C’est souvent là que grandit le danger de voir éclater une première guerre territoriale entre nos petits anges. Aujourd’hui encore, quand arrive LA grosse chicane, c’est la panique tant qu’on ne trouve pas la diversion qui résoudra le problème. Ensuite, avec un minimum d’attention et quelques leçons de respect des autres, l’incident devient un élément positif dans le développement social des chers petits monstres. Le scénario revient à tous les âges de la vie même quand on change de carré de sable. Comme dirait Valentine, l’experte en citations, «Le plaisir des disputes se trouve quand on fait la paix» même si ça vient de quelqu’un (Musset) qui a souvent préféré la fuite à la réconciliation. Dans le monde de ceux qui se disent «adultes», une situation conflictuelle montée en épingle peut provoquer des drames et même des guerres, surtout dans un climat social empoisonné par les cowboys à la gâchette trop nerveuse des médias sociaux. Quand le mal est fait, personne ne sait plus ni pourquoi ni comment tout a commencé et c’est la faute à… personne! Et on dit «just too bad» pour les victimes qui, se croyant en sécurité dans leur carré de sable, se retrouvent dans la trajectoire des dénigreurs «au mauvais moment, au mauvais endroit». Chicanes de ménage, batailles de rue ou guerre mondiale, causes ou conséquences, les «dommages collatéraux» feront croasser ou gazouiller les réseaux! L’évolution et la somme des connaissances réunies n’empêchent toujours pas qu’au XIe siècle, des criminels continuent de saboter les efforts de paix, ruinent les États et massacrent des peuples dont les survivants en fuite se heurtent à des frontières et des murs érigés par les mieux nantis, effrayés d’avoir à partager le coin du carré de sable qu’ils occupent. À l’ère de l’exploration spatiale, l’univers terrestre reste divisé parce qu’il accepte mal les différences qui le composent. À l’échelle des peuples et des sociétés comme dans la famille, on a souvent du mal à respecter l’autre et partager l’espace vital commun. Notre planète serait-elle un grand carré de sable où la paix n’est accessible qu’aux morts, ceux qui ne peuvent en profiter? Alors, R.I.P. à nous tous.