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Pour la Paix des braves et des enfants
Le 7 février 2002, le Grand Conseil des Cris du Québec et le gouvernement de Bernard Landry signent la Paix des braves*, jalon important de la démarche de réconciliation du gouvernement avec les nations autochtones. Vingt ans — et quatre premiers ministres — plus tard, peut-on réellement affirmer que les relations avec les Inuits et les Premières Nations ont progressé?
Quelques jours avant que les Québécois se rendent aux urnes pour le scrutin provincial de 2018, François Legault s’arrête à Chibougamau. Profitant de ce passage dans la circonscription électorale d’Ungava, dont le territoire couvre la vaste région du Nord-du-Québec, le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) prend l’engagement de négocier avec chacune des nations autochtones des ententes calquées sur la Paix des braves. Certes, l’engagement de celui qui est désormais premier ministre du Québec peut sembler un pas dans la bonne direction. Toutefois, selon Christopher Curtis, journaliste indépendant spécialisé dans la couverture des enjeux autochtones et d’itinérance partout dans la province, l’affirmation est aussi «impossible» qu’«hypocrite».
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CONTRADICTIONS
Près de trois ans et demi après l’entrée au pouvoir de la CAQ, le journaliste se questionne sur la réelle volonté de l’actuel gouvernement de resserrer les liens avec les communautés autochtones. À cet effet, la réaction du gouvernement du Québec à la suite de l’adoption, en 2019, du projet de loi fédérale C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis lui vient immédiatement à l’esprit. «À la seconde où ce projet de loi a été sanctionné [à Ottawa], le gouvernement Legault est passé à l’action pour tenter de le bloquer.» Grosso modo, cette loi reconnaît la compétence des peuples autochtones de tout le Canada en matière de services à l’enfance et à la famille… tout en retirant de l’équation les intermédiaires que sont les provinces. Les principaux arguments de Québec devant les tribunaux? La protection de la jeunesse est un champ de compétence exclusif des provinces en matière de services. Bien que le gouvernement Legault affirme souhaiter «une plus grande autonomie en matière de protection de la jeunesse», il veut qu’elle «s’exerce en harmonie avec le régime québécois de protection de la jeunesse». Plus globalement, aux yeux de plusieurs, dont Christopher Curtis, la CAQ estime tout simplement que les Autochtones n’ont ni les compétences ni la juridiction nécessaires pour prendre en charge leur propre protection de la jeunesse. «C’est une chose de parler d’ouverture [en campagne électorale] et de dire que tu veux reproduire la Paix des braves; c’en est une autre quand les actions que tu poses démontrent le contraire», dénonce-t-il. Selon celui qu’on peut entendre de manière ponctuelle sur les ondes de la radio communautaire de Québec CKIA-FM, en tentant de bloquer cette loi, «le gouvernement Legault veut s’assurer de négocier lui-même les transferts d’argent entre Ottawa et les communautés autochtones»… et ainsi obtenir une victoire politique contre Justin Trudeau.
* La Paix des braves, qualifiée à la fois d’«historique» et de «moderne», a garanti aux communautés cries un rôle dans le développement des ressources naturelles de leur territoire ainsi qu’une part considérable des retombées économiques des projets hydroélectriques de la baie James. Ainsi, le Québec s’est engagé à leur verser 3,5 milliards de dollars sur une période d’un demi-siècle.
ET LES ENFANTS?
En 2016, Statistique Canada recensait qu’environ la moitié des enfants âgés de quatre ans et moins se trouvant en famille d’accueil au Canada était issue de communautés autochtones. Et pour ces communautés, qui dit famille d’accueil dit souvent déchirement, et «quand ce déchirement-là arrive, c’est terrible», se désole le journaliste, affirmant que «presque chaque [Autochtone] qui se retrouve dans la rue a eu affaire avec la DPJ». Que la personne se soit fait retirer ses enfants, ou qu’elle ait ellemême été retirée du nid familial, selon lui, «la DPJ [telle qu’imposée actuellement par Québec] est entrée dans sa vie», évacuant sa langue, sa culture, ses traditions, ses repères. En favorisant l’octroi aux nations de pleins pouvoirs en matière de services à l’enfance et à la famille, le plus grand risque que court le gouvernement Legault, selon M. Curtis, est de contribuer à «garder des familles intactes et à donner aux communautés les outils pour leur permettre d’élever et d’assurer la sécurité de leurs enfants». Si le Québec ne veut pas perdre son bras de fer avec Ottawa, les Autochtones, eux, ne veulent surtout jamais perdre «le mode de vie qui les a gardés en vie pendant des milliers d’années»… tout en souhaitant, eux aussi, enfin retrouver la paix.