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La vie comme avant?

C ourtoisie : Martine Corrivault

Jamais autant de gens n’auront partagé la croyance de pouvoir bientôt retrouver « la vie comme avant ». Avant la pandémie. Tout le monde a le droit de rêver d’une existence « plus normale », reste à voir quelle normalité on retrouvera.

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Quand on a grandi en se faisant répéter: « Si tu y crois assez fort, ça va arriver, » la pensée magique nourrit l’espoir. Les croyances filtrent la réalité en fonction des perspectives, des circonstances et des intérêts en jeu. Elles deviennent des règles de vie qui font le bonheur ou le malheur des gens, ou restent des amusements ou des superstitions. Chaque culture porte les siennes, héritées et transmises aux populations. Sérieusement ou juste pour rire, on interroge l’horoscope, cherche son avenir dans les feuilles de thé, consulte les cartes du tarot, on évite les chats noirs, contourne l’échelle appuyée contre un mur, observe les phases de la lune avant de se décider… à chacun ses croyances si elles rendent heureux ou permettent d’en rire. Mais personne n’a plus envie de rire quand la haine et la malveillance s’en mêlent.

Au fil de l’histoire, la politique et la religion ont su cultiver les croyances pour arriver à leurs fins. Les risques de dérives restent réels : l’attaque contre le Capitole américain par une horde de fanatiques l’illustrait bien. Les excès des manifestants contre les mesures de sécurité sanitaire en représentent un autre aspect. Quand Valentine croit que sa grand-mère décédée vient la visiter: ça ne perturbe qu’elle. Et ne l’empêche pas de dénoncer « l’ignorance, la paresse intellectuelle et la crédulité des gens prêts à suivre les grandes-gueules qui mobilisent les foules avec des objectifs pas toujours nets. L’enfer est pavé de bonnes intentions, mais il faudrait réfléchir et s’informer avant d’avaler toutes les couleuvres qui se tortillent sur les réseaux sociaux! »

La manipulation des croyances appartient à l’histoire du monde. Elle joue sur de multiples tableaux, avec les outils de chaque époque. La série documentaire d’Alexandre Normandin 39-45 en sol canadien (diffusée par Télé-5 l’été dernier) raconte que pendant la dernière guerre, les services de la propagande gouvernementale, appuyés par la GRC et utilisant des dénonciations anonymes, montaient la population contre un « ennemi intérieur » dont le crime était de porter un nom « étranger ». Des milliers de familles de descendants d’immigrants, surtout italiens et japonais, se sont alors retrouvés dans des camps pires que ceux des prisonniers de guerre. Des années plus tard, le Canada s’est excusé!

Valentine observe: « Ils sont bons pour ça, à Ottawa; mais les excuses n’effacent pas les injustices! C’est pareil avec les anciens pensionnats et les cimetières d’enfants autochtones. Pour moi, ça vient de la vieille croyance de la supériorité de nos cultures judéo-chrétiennes sur les autres. On voit ce que ça donne depuis des siècles! » Oups! Croyances culturelles et manipulateurs d’opinion: ça nous éloigne des manifestants contre les mesures sanitaires et des réseaux sociaux. « Au contraire, conteste Valentine. Ceux-là invoquent la liberté individuelle et dénoncent une dictature du vaccin. Abus de langage! Ils oublient la réalité des millions de malades et de morts pas vaccinés! Ta liberté finit où commence la mienne: tu veux pas de vaccin? C’est ton problème, mais laisse vivre les autres! Autrefois, pour entrer à l’école, on exigeait la preuve que les enfants avaient reçu le vaccin contre la variole. Et aujourd’hui, la maladie a disparu, comme la tuberculose et la polio, parce qu’on a fait ce qu’il fallait. En plus, chez nous, la santé c’est presque gratuit. » Les gens détestent qu’on leur impose de changer leurs habitudes; la pandémie a vraiment chamboulé la routine de tout le monde. Vivre, c’est apprendre à s’adapter aux changements. Dans la vie d’avant, il y a eu des épidémies de maladies mortelles et des guerres. Tout ça a généré de nouvelles connaissances et des technologies qui ont chambardé ce qui était « avant », mais dont nous profitons maintenant.

Désormais, il faudra compter avec les changements climatiques et les catastrophes naturelles qui les accompagnent. Et il faudra encore s’adapter aux nouvelles conditions pour survivre. Mais surtout, apprendre à résister aux pandémies de croyances délirantes que les machines à rumeurs ne cesseront pas de propager. L’ignorance n’excuse plus le refus d’agir solidairement.

MARTINE CORRIVAULT

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