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Et maintenant...?
HRONIQUE
C ourtoi sie: Martine Corrivault
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ET MAINTENANT...?
Le bon côté des confinements imposés pendant la pandémie aura été de libérer du temps. Pour les lecteurs curieux, équipés d’une tablette, d’un ordinateur ou d’une bonne réserve de livres anciens et récents, ça devenait un prétexte d’évasion. Si le temps passe plus vite avec un bon livre, admettons que tout plaisir a ses limites; vient un moment où l’envie de partager s’impose, même pour les rats de bibliothèque comme mon amie Valentine et moi qui nous échangeons nos trouvailles. Valentine préfère les romans, mais moi, l’histoire me passionne. À la veille du dernier confinement, j’ai découvert à la librairie un de ces ouvrages qui rallie nos deux champs d’intérêt. Le troisième roman de la journaliste Pauline Gélinas paru chez Québec Amérique sous le titre Trahisons — La brochure, raconte la vie d’une famille arrivée d’Ukraine au début du siècle jusqu’à ses descendants aujourd’hui, en s’inspirant d’éléments historiques. Mais c’est la présentation du livre plus que son titre qui a capté mon attention.
Sur un fond sépia foncé se détache l’image d’un couple avec un enfant: une jeune femme au regard timide, un foulard blanc drapé autour de la tête; à sa gauche, un bel homme à l’air fendant, une main posée sur l’épaule de sa compagne, et dans un coin, devant eux, un gamin à la mine étonnée que le graphiste place sous le titre qui coupe la page, au-dessus des mains croisées aux doigts noueux de la femme… En quatrième couverture, le résumé de leur histoire évoque un conflit familial et une histoire de l’Ouest canadien; ma curiosité rend le sourire à la libraire et, à la maison, retardera le grand ménage! En exergue de la première page, l’auteur emprunte une réflexion à Talleyrand: « À la foire aux mensonges, l’histoire est encore le magasin le mieux approvisionné. » Le cynisme du Diable boiteux est d’actualité, à l’ère des fake news de vous savez-qui, mais quel est le rapport avec mes Ukrainiens qui débarquent au Canada en 1902 et croisent sur les quais des compatriotes qui retournent en Europe? C’est le sujet de ce roman inspiré de pages pas très édifiantes de l’histoire du Canada, au moment des grandes guerres et après. Un drame tissé d’injustices, de mensonges et de méfiance par nos autorités qui décrètent alors « ennemis de l’intérieur » les gens d’origine étrangère et leurs enfants. Mais leur courage et le temps prouveront le contraire.
Valentine m’apprend que sa belle-sœur descend d’une de ces familles venues d’Ukraine pour offrir une vie libre à leurs enfants, loin des excès de l’empire austro-hongrois et des tsars de Russie. Elle se souvient d’une vieille tante qui décorait des œufs pour Pâques, comme on faisait au pays natal. Sa famille n’était pas allée dans l’Ouest et l’arrièregrand-père s’était retrouvé sous terre, mineur dans nos nouvelles mines.
Nos manuels scolaires n’abordaient pas l’épopée des immigrants chez nous. Pourtant, pour peupler les prairies des provinces de l’Ouest, après la Confédération, le Canada en a attiré plus de 140 000 en promettant des terres gratuites à qui tenterait sa chance ici. Mais quand a éclaté la guerre des « quatre cousins » en 1914, on a confisqué les terres et enfermé des milliers de familles dans de vrais camps de concentration. Malgré l’Armistice, le régime a même été prolongé pour servir les intérêts d’éventuels investisseurs. Là-dessus aussi, l’histoire officielle est restée silencieuse, comme sur la situation des travailleurs noirs des Maritimes et celle des autochtones arrachés à leurs territoires.
« Ce qui fait qu’un siècle plus tard, commente Valentine à qui je prête mon livre, on apprivoise ces réalités embarrassantes par le biais d’œuvres de fiction. Avec le temps, certains silences parlent très fort. Je me demande comment, avec le vacarme des médias sociaux actuels, on arrivera, demain, à démêler le vrai du faux de ce qui se passe maintenant, un peu partout dans le monde. » Les gens optimistes diront que l’espoir est permis, avec la variété de moyens d’information dont dispose aujourd’hui l’humanité. Mais le problème reste quand on préfère ne pas savoir ce qui ne correspond pas à ce qu’on croit. Talleyrand disait aussi: « En politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai? L’ex-président, au Sud, n’est pas le seul à le croire.
MARTINE CORRIVAULT
QUE SONT DEVENUS LES CLUBS OPTIMISTES
« Au début des années 1900, en pleine période d’industrialisation, des organismes bénévoles ont vu le jour pour soutenir la collectivité. Ces derniers, désireux de voir le bon côté des choses plutôt que de se concentrer sur les problèmes de la société, ont adopté le nom de clubs optimistes. Optimist International, qui a pris son envol en 1919 après la Première Guerre mondiale, réunit aujourd’hui près de 3 000 clubs partout sur le globe », affirme M. Gaétan Drapeau, bénévole pour l’organisation depuis plus de 33 ans. « Servir la jeunesse et aider à réaliser leurs rêves: c’est ce qui rassemble tous les membres d’Optimist International », déclare M. Drapeau. Pour y parvenir, ce large réseau met sur pied diverses activités, dont des projets de services communautaires et des concours, parfois internationaux, permettant l’obtention de bourses. Il confie fièrement que la plupart des projets que les jeunes déposent auprès de l’organisme commencent « petits, mais deviennent très grands. »
M. Drapeau souligne que, pour certains, les bourses et le soutien qu’ils ont reçu grâce au club optimiste de leur communauté « ont été leur bougie d’allumage […]. Ils avaient déjà du talent, mais ça les a lancés », explique-t-il. Effectivement, ces associations à but non lucratif ont servi de tremplin à nombreux jeunes dans la réalisation de leurs projets, leurs passions et leurs rêves.
Il mentionne notamment Gaétan Boucher, un patineur de vitesse sur longue piste québécois médaillé quatre fois aux Jeux olympiques d’hiver de 1980 et 1984. À l’époque, une campagne de financement avait été organisée pour le soutenir et la somme amassée lui avait permis d’obtenir deux paires de patins professionnels.
ACTION LOCALE
« L’objectif d’Optimist International est aussi partagé par les bénévoles du club de Charlesbourg », témoigne M. Drapeau, membre de cette association depuis 1987. « Ce club encourage les jeunes à se dépasser et à devenir les “leaders de demain’’ en leur offrant l’appui dont ils ont besoin pour atteindre leurs ambitions », explique le secrétaire-trésorier bénévole.
« Le club optimiste Charlesbourg dessert un territoire de plus de 10 000 jeunes, qu’ils soient au primaire ou au collège », indique-t-il. Mais tous ceux que l’association épaule dans le développement de leurs projets « sont déterminés, ont la volonté et veulent réussir. »
Ce club réunit une trentaine de personnes souhaitant s’impliquer autant dans la communauté que dans le succès de la relève. « Ces bénévoles viennent vraiment pour aider […] et plusieurs sont très dévoués », affirme M. Drapeau. Il souligne qu’en prenant part à l’organisme, ces derniers apportent aux jeunes le soutien dont ils ont besoin pour s’épanouir et lancer leurs projets.
Optimist International regroupe à travers le monde près de 3 000 clubs qui partagent tous la même devise: « Inspirer le meilleur chez les jeunes ».
JAMAIS PESSIMISTE
Chaque année, le club charlesbourgeois permet de réaliser les projets de plus d’une vingtaine de jeunes motivés. Toutefois, avec l’arrivée de la Covid-19, ceux-ci ont coupé de moitié, admet M. Drapeau. Comme les autres organismes dont les activités ont diminué depuis la pandémie, « on attend pour repartir », déclare l’homme qui a créé à son tour de nouveaux clubs en France et en Angleterre. Or, l’association poursuit toujours son objectif et demeure inspirante auprès de la communauté. Éternel positif, M. Drapeau mentionne que leurs concours maintiennent leur intérêt dans les écoles, attirant de nombreux étudiants ambitieux.
Selon lui, « l’optimiste invente l’avion, mais le pessimiste invente le parachute. » Alors que ce dernier se prépare à affronter le pire, les optimistes gardent espoir et persistent à croire en ce que le futur a de mieux à offrir. Ainsi, en cette période plus difficile, M. Drapeau continue d’adopter une attitude positive et incite la société à en faire de même.
MÉLINA POULIN
LA RÉPONSE ABSOLUE
Rien ne fait plus aimer la vie que de côtoyer la mort de près. Francine et Enya en sont des preuves vivantes. Si chacune a frôlé sa fin différemment — l’une par expérience de mort imminente, l’autre par tentatives de suicide — toutes deux en sont revenues avec un optimisme à l’ingrédient unique: celui de l’amour.
L’INSTANT PRÉSENT
enthousiasme, ce à quoi s’attelle Fran- qui se passait, ce que j’avais fait », se cine chaque jour. demande-t-elle encore maintenant. « Je respirais et c’était un problème pour certaines personnes. » « Les mots sont réducteurs pour parler de cette expérience », déplore Francine, un rire encore émerveillé dans la voix. Elle-même mettra des années à qualifier parfaitement ce qu’elle a vécu sur cette table d’accouchement, lorsque son cœur s’est arrêté et qu’elle a été déclarée cliniquement morte. « J’ai senti la vie qui s’éteignait et se dissolvait jusqu’à ce qu’il n’y en ait Son mantra quotidien est de demeurer constamment dans l’instant présent grâce à la méditation. Cet outil lui permet de cultiver une paix intérieure imperméable aux tracas de la vie et aux murmures décourageants de l’ego. Elle y trouve aussi un moyen de réguler son hypersensibilité qui de l’enfance jusqu’à sonaccouchement, lui rendait la vie dure. Tout lui semblaittoujours intense, cruel et insurmontable. « Je me disais souvent: “mon Dieu, j’ai pas eu le mode d’emploi en arrivant sur Terre” », se remémore-t-elle, à présent que cette « faiblesse » est devenue sa force. Et cette incompréhension s’est déclinée dans tous les autres aspects de sa vie: incompréhension de la vie, de sa place sur Terre, de la mort, de l’univers et de sa mère qui ne constatera son mal-être que bien trop tard, à la découverte de son corps inanimé. « Ce n’était pas tant de la tristesse, mais un profond désarroi », explique-t-elle. « Tout était intense dans ma tête. » plus », raconte- Rester dans l’immét-elle. La suite de diateté du moment son témoignage fait écho à de nombreux récits de mort imminente: sortie du « C’est dans chaque geste de chaque jour que j’ai un impact sur les autres. » ~Francine Marceau donne également à Francine l’envie d’être bienveillante autant envers les autres qu’envers sa corps, légèreté de propre personne. l’être, sensation Cette bienveillance, d’amour inconditionnel et montée c’est le « bain d’amour inconditionnel vers la lumière. Mais cette lumière, » connu en état de mort imminente elle ne la rejoindra pas, préférant qui lui en a appris la définition. Un regagner son corps pour vivre plei- amour libre, sans jugement ni contrenement l’expérience de la maternité. partie, qui donne sa chance à l’autre. « Finalement, le paradis, c’est sur la Un amour optimiste qu’elle se sent Terre », dit-elle. chaque jour le devoir de distribuer. Francine retournera dans le monde UNE PAUSE des vivants débarrassée de deux grands poids; celui de l’ego, cette petite voix pernicieuse que l’on pense — à tort — faire partie intégrante de nous, et celui de la peur de mourir. Une fois ces freins majeurs disparus, la vie passe alors de champ de bataille à champ des possibles. « Je sais que le pire qui puisse arriver dans la vie c’est mourir et mourir, c’est extraordinairement bon », partage-t-elle. « Toutes les autres peurs sont plus petites une fois qu’on n’a plus peur de la mort. » La difficulté à mettre des mots précis sur un événement capital se retrouve également chez Enya. Elle qui vient de fêter avec joie sa vingt-quatrième année de vie se souvient de ses multiples tentatives d’y couper court, lorsqu’elle n’avait que quatorze ans. « Je ne suis même pas certaine que je voulais mourir », réalise-t-elle rétrospectivement, avec la maturité des années. « Je pense que je voulais juste une pause pour souffler. » Qu’y a-t-il en effet à craindre dès lors Tout comme Francine, Enya a longqu’il n’y a plus rien à perdre? Peu de temps souffert du fait de tout ressenchoses. L’inébranlable optimisme qui tir, un fardeau que le harcèlement suit cette libération mentale permet acharné subi à l’école n’a rendu que d’attaquer la vie avec confiance et plus lourd. « Je ne comprenais pas ce
OPTIMISME ET RÉALISME
Aujourd’hui, Enya a vingt-quatre ans. Le jour de sa fête, et dans le respect des mesures sanitaires, ses amis l’ont surprise avec une célébration dont elle parle encore maintenant avec le sourire aux lèvres. Une grande première comparée aux anniversaires précédents synonymes de crises de larmes et d’angoisses existentielles. « Là, pour une fois, je me suis couchée avec gratitude et l’impression d’être aimée sans réserve », se réjouit-elle, un écho direct à l’amour inconditionnel énoncé par Francine. « C’est la première fois que je me suis vraiment dit: “ Je suis capable de m’en sortir, en fait! ” » Toutefois, Enya reste lucide. L’optimisme sans réalisme n’est que fantasme et elle sait que le chemin vers la rédemption sera long, voire incomplet. Cela ne lui fait pas peur. « Je ne pense pas qu’un jour je serai totalement libérée de mes maux », préciset-elle, faisant référence à son anxiété, sa dépression et ses crises occasionnelles de paranoïa. « Mais comparé à mes quatorze ans, ce n’est plus si grave. Si je n’arrivais pas à me lever de mon lit hier, j’y arriverai donc demain. »