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Obsolescence psychologique

MODE ÉPHÉMÈRE : OBSOLESCENCE PSYCHOLOGIQUE

L’industrie de la mode est au deuxième rang des plus grands pollueurs mondiaux, notamment à cause du fast-fashion soit la mode éphémère. Daniella Besse, doctorante de l’Université Laval, se penche sur une option économiquement viable pour les entreprises de prêt-àporter, afin qu’elles emboîtent le pas vers le développement durable. La Quête s’est entretenue avec elle afin de connaître les solutions potentielles à notre surconsommation.

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Traditionnellement, on pouvait compter sur trois à quatre collections de vêtements par année, en fonction des saisons. Aujourd’hui, il n’est pas rare d’en compter plus de 50 annuellement. La mode éphémère est donc caractérisée par un rythme de production massive de l’industrie du prêt-à-porter. Né dans les années 1990, ce type de confection est porté par des bannières telles que Zara et MANGO qui proposent des pièces inspirées des défilés de mode de luxe, mais à moindre coût.

Une surconsommation notable résulte de ce phénomène, puisqu’il encourage une consommation effrénée de vêtements à prix modiques. « Les gens se lassent des produits avant même que ceuxci soient désuets. Le rythme du changement de collection entraîne une obsolescence psychologique auprès des consommateurs », indique Daniella Besse. Bien que l’usure prématurée des vêtements soit due à la baisse de la qualité qu’a imposé le rythme de production, elle souligne que les entreprises n’ont nul besoin d’intégrer une désuétude physique aux produits, car le phénomène de mode s’en charge.

UNE RESPONSABILITÉ COLLECTIVE

Selon Mme Besse, la responsabilité est collective et repose autant sur les consommateurs que sur les entreprises. « Oui, la marque produit, mais, si elle cesse, les consommateurs seront mécontents, car ils se sont habitués à ce cycle de consommation. L’obsolescence psychologique entraînée par la mode est peut-être une conséquence de ce que l’industrie a fait, mais c’est avant tout par le comportement des consommateurs que les choses s’amélioreront », argumente la doctorante. Cette dernière constate effectivement une grande dissonance entre, d’une part, la conscience générale des enjeux environnementaux et sociétaux liés à la surconsommation et, d’autre part, le rythme de consommation qui demeure ahurissant.

Le slow-fashion, soit la production locale ou encore le recyclage, est souvent présenté à contrario au fast-fashion, mais reste un concept utopique selon Mme Besse.

UN DÉSASTRE POUR L’ÉCOLOGIE

Dans ce cycle frénétique de l’éphémère, la planète ne ressort pas gagnante. Selon l’agence gouvernementale Recyc-Québec, 20% de la pollution industrielle de l’eau est causée par l’industrie du textile. Un rapport des Nations unies estime qu’il faut 7500 litres d’eau pour fabriquer un jean, soit l’équivalent de l’eau bue par un être humain pendant sept ans.

Andrew Morgan, dans son documentaire The True Cost (2015) démontrant les conséquences de la mode rapide, affirmera même que «l’industrie de la mode est la deuxième industrie la plus polluante sur Terre, après celle du pétrole». Pollution de l’air par dioxyde de carbone, pollution des sols par pesticides, émissions excessives de gaz à effet de serre à l’origine du réchauffement climatique… tout ceci pour des vêtements qui, en définitive, ne seront jamais portés plus de douze mois. Lis Suarez, fondatrice d’Ethik et Fem International, en dressait déjà un alarmant constat en 2016: sur 26kg de textile achetés par les Québécois, 23kg sont jetés dans la même année.

Malia Kounkou et Elisa Zanetta

Crédit photo : iStock Selon Greenpeace, en moyenne 60 % de vêtements de plus sont achetés qu’il y a 15ans, et la moitié d’entre eux est jetée après un an.

« Ce sont des concepts que chaque marque s’approprie. Elles utilisent ce terme sur certains produits pour se donner bonne conscience et pour faire de la publicité », avance-t-elle. H&M a par ailleurs lancé sa collection Conscious, identifiable par une étiquette verte, et s’engage à utiliser du polyester recyclé ou bien du coton bio pour cette collection.

PEU DE SOLUTIONS À COURT TERME

Selon la doctorante, il n’y a pas de solution viable à court terme à la mode éphémère. Cependant, elle remarque positivement que des compagnies, comme l’entreprise française Sézane, produisent un bilan de leurs actions passées, présentes et futures afin d’être plus responsables. Celle-ci dresse notamment une liste de conseils afin de réparer, recycler ou revendre ses vêtements usagés. La compagnie s’implique également auprès du programme solidaire DEMAIN, afin de soutenir l’accès à l’éducation, à la culture et le combat pour l’égalité des chances chez les enfants. La solution réside, selon Mme Besse, dans la production d’un inventaire limité de la part des industries, qui n’entraînera pas de grandes réserves d’invendus, engendrant des coûts environnementaux et financiers.

Toujours selon cette dernière, les produits pour le recyclage textile étant très polluants, la transformation des matières n’est pas la meilleure option. Elle affirme que le don reste un commencement et rappelle que les bannières Zara et H&M collectent les vêtements usagés pour les redistribuer à diverses associations.

Léonie Daignault-Leclerc est spécialisée en mode durable et auteure du livre Pour une garde-robe responsable. Elle précise, pour sa part, que cesdites associations reçoivent des quantités astronomiques de vêtements et revendent près de 90 % des produits récupérés à des entreprises de recyclage textile. De manière générale, celles-ci les revendent également à des pays en voie de développement à des sommes beaucoup trop importantes pour la valeur des vêtements en question. Dans un article paru en mars 2019, le journaliste Jean-Philippe Cipriani

Crédit photo : iStock Le projet de loi sur l’utilisation de textiles recyclés pour le rembourrage dans une perspective de développement durable a été présenté à l’Assemblée nationale en avril 2018 par Martine Ouellet, alors cheffe du Bloc Québécois.

SOMMES-NOUS COMPLICES D’EXPLOITATION ?

L’industrie de la mode éphémère est connue pour offrir des conditions de travail précaires. Pour faire fructifier leur chiffre d’affaires, les grandes enseignes textiles délocalisent souvent leurs usines de production dans des pays où la main d’œuvre est peu chère. Ce sont souvent des femmes et des enfants qui fabriquent des vêtements à la chaîne au milieu de produits toxiques pour un salaire leur permettant tout juste de nourrir leur famille. En tant que consommateurs avertis, sommes-nous complices?

Malia Kounkou

soulignait que 70 % des vêtements donnés à des organismes sont envoyés en ballots, principalement en Afrique, où l’afflux de vêtements de l’Occident nuit à l’industrie locale.

Stupéfaite de l’ampleur des problèmes environnementaux liés au secteur de la mode, Mme Daignault-Leclerc a ouvert sa boutique écoresponsable de vêtements féminins en ligne, Gaia & Dubos, en 2017. La compagnie produira quelques micro lignes de vêtements pour hommes et pour enfants à partir de cette année. La designer anime également un podcast depuis février 2020, afin d’outiller les citoyens à mieux consommer.

ERIKA BISAILLON