C'est granuleux...

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C’est granuleux, c’est au bord de l’eau (grotte, station balnéaire ?). Il y a plusieurs sphères dessus. C’est un disque/sphère/oiseau qui avance lentement mais régulièrement. Il y a du monde, il fait chaud. Il y a du plaisir paresseux. Un plaisir de consommateur. Il y a des cris de la joie, ça grouille de vie. C’est un rituel annuel. C’est instable, ça penche d’un côté ou de l’autre. Il y a des choses en forme de parasol, il y en a beaucoup. C’est mou. C’est doucement (comme le sol s’enfonce doucement dans la mer). C’est doux comme des poils sur les côtés. Présence d’un t-shirt et d’une girafe. C’est à taille humaine. C’est fragmenté. Ça plonge dans l’eau et ça se remplit. Présence d’un rayon de lumière verte. Ça tangue, ça donne la nausée. (à un moment très forte impression de nausée)


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[LISTE DES ABRÉVIATIONS] [AV] advanced visuals [PI] personal interferences [HD] heure de début [AOL BK] analytic overlay break [AI BK] aesthetic impact break

Simon Ripoll-Hurier, Myriam Lefkowitz, avril 2018.


Remote Viewing

À la fin des années 1960, la CIA reçoit une information prétendant que les Russes sont en train de développer des « armes psychiques » (psychic weapons) et décide de créer elle aussi un programme de recherche en la matière. Elle monte une équipe de scientifiques et de médiums en association avec le Stanford Research Institute (SRI) à San Francisco, qui héberge le programme pendant un moment. Ainsi naît le projet Stargate (1970-1995), qui vise explicitement à exploiter le champ de la parapsychologie pour développer de nouvelles techniques d’espionnage contre l’ennemi soviétique. Le cœur de Stargate est la mise au point d’un protocole expérimental de « visualisation à distance » (remote viewing). C’est une technique de canalisation des « perceptions extrasensorielles » qui consiste à décrire à l’aveugle des lieux, événements, objets ou personnes distants dans l’espace et/ou dans le temps. Le protocole du remote viewing a été élaboré progressivement, en appliquant la méthode expérimentale autant que possible et en suivant empiriquement les effets produits par la série d’expériences menées. Dans sa version fixée en 1986 (The Coordinate Remote Viewing Manual, rapport publié le 1er mai 1986 et rendu public en 1998), le remote viewing se pratique de la manière suivante. Une cible est définie (le plus souvent un lieu, comme le nouveau bâtiment de Lafayette Anticipations, par exemple) et une série de chiffres aléatoires lui est associée. Ces chiffres n’ont d’autre fonction que d’identifier la cible à la manière d’un code barre et ne signifient rien en eux-mêmes. Ce sont seulement ces chiffres et une indication sur la nature de la cible (lieu, objet, etc.) qui sont transmis au viewer. C’est sur cette simple base (en d’autres termes, sur rien) qu’il va produire sa description. Il ne se sert que d’un stylo et d’une pile de feuilles A4. Il dit tout ce qu’il pense, et écrit tout ce qu’il dit. C’est par cette triangulation que les documents produits deviennent des enregistrements de l’activité perceptive-imaginative du viewer. Cette activité consiste toujours à privilégier la qualification à l’identification, et à soigneusement distinguer ce qui relève du signal et du parasite. Ces parasites peuvent être soit extérieurs à l’activité (on notera toute interruption due à l’environnement ou à sa propre perte de concentration), soit intérieurs : on tentera toujours d’identifier les constructions mentales, de les isoler et de s’en débarrasser. En parcourant tous ses systèmes sensoriels, perceptifs, affectifs ou encore esthétiques, le viewer liste (texte ou dessin, mais aussi parfois modelage) les qualités de la cible. Il la décrit non pas par ce qu’elle est, mais à travers ce dont elle est faite. Un récit émerge progressivement, composé de textures, de couleurs, de luminosités, de températures, de dynamiques, d’activités, de rythmes, de densités, etc., et produit par un viewer qui ne sait rien de ce qu’il décrit. Il se trouve pourtant que ces récits ont été suffisamment convaincants pour que la CIA puis la DIA financent le programme pendant vingt-cinq ans. Une fois Stargate déclassifié, ses anciens protagonistes se sont mis à publier des livres, à donner des conférences, etc. De cette manière, la pratique du remote viewing a commencé

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à se répandre. Des associations ont été créées, et des sociétés de conseil s’en sont emparées ici et là (comme Iris Intuition Consulting à Paris). Le remote viewing ne repose pas sur des dons médiumniques. C’est une technique destinée à être transmise, et dont la pratique régulière est censée permettre d’en améliorer les résultats, selon l’idée que l’attention peut être entraînée, tel un muscle, à accéder à différents types d’informations. C’est ainsi que nous avons commencé à le pratiquer et à le transmettre dans différents contextes. Une sorte de club, ou d’amicale d’amateurs de remote viewing, commence à se dessiner. Ensemble, nous pratiquons régulièrement. Nous essayons de nous former collectivement et d’expérimenter des variantes de la pratique. L’invitation de la Fondation Lafayette Anticipations intervient dans ce contexte. Autour de la question comment anticiperiez-vous ?, elle nous permet de solliciter l’expertise de quelques-un·e·s des apprenti·e·s viewers et « vieweuses » qui forment ce collectif, et d’explorer un axe particulier des recherches dans lesquelles nous sommes engagés, autour de l’histoire du remote viewing et de ses connexions actuelles. Le SRI International, qui a accueilli la plus grande part du programme, est aussi l’institut qui abrita la naissance, en 1969, de l’ancêtre d’Internet (Arpanet, avec UCLA). Et en 1978, c’est au même endroit que fut élaborée la méthode VALS (Values, Attitudes and Lifestyles), une méthode psychographique de profilage clientèle qui peut être considérée comme l’ancêtre des algorithmes contemporains utilisés par les GAFA et consorts. De proche en proche, des connexions commencent à apparaître, des liens plus ou moins souterrains, théoriques, ou très concrets, institutions, acteurs, etc., et nous voilà très vite en plein cœur de la Silicon Valley contemporaine. Si l’on commence à suivre ces fils, le remote viewing n’apparaît vite plus comme une singularité isolée, un des épisodes de délire paranoïaque de l’État américain dans le contexte de la guerre froide, mais bien comme l’un des éléments d’un tissu historique qui a fabriqué ces nouveaux lieux de pouvoirs basés sur l’innovation technologique et la rupture (disruption, exponential innovation...), lesquels donnent à la notion d’anticipation une coloration très spécifique. Trois cibles, qui ont été soumises à cinq viewers, sont présentées dans ce livret. La première est un événement qui aura lieu prochainement à San Francisco. Les deuxième et troisième cibles proposent une variante de la pratique : en imaginant, le temps de l’expérience, qu’un concept puisse avoir une existence autonome, que se passe-t-il si à la place d’une chose concrète (lieu, objet, événement, personne...), la cible à décrire est abstraite (concept, notion...) ? Ce livret propose une description d’un événement à venir, ainsi qu’une définition possible de deux concepts.



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Décrire le Hilton San Francisco Union Square, situé au 333 O’Farrell Street à San Francisco, Californie (États-Unis) et le prochain Singularity University Global Summit qui s’y déroulera les 20, 21 et 22 août prochains.

[4 SESSIONS]

Mahitha Dasi Catalina Insignares Mira Ramaherilanja Théo Robine-Langlois

(Vrindavan, Inde, 6 avril 2018, 9h52-10h20) (Paris, 7 avril 2018, 12h55-13h38) (Le Port, La Réunion, 12 avril 2018, 11h10-12h00) (Clamart, 12 avril 2018, 23h34-00h10)

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Ce qui se passe là est incompréhensible pour l’humain [DEUX FOIS SUR QUATRE]. [UNE FOIS SUR QUATRE],

ça se déroule dans le futur,

[UNE AUTRE FOIS],

c’est actuel, mais avec des caractéristiques futuristes. Ça évoque la science-fiction. [UNE FOIS SUR QUATRE],

la cible relève du pèlerinage. [MESSAGE]

rassurer apaiser une inquiétude C’est peuplé. Des gens qui viennent de partout. [DEUX FOIS SUR QUATRE], c’est un événement qui a lieu une fois l’an (comme Pâques) et ça demande des mois de préparation. [LES DEUX AUTRES FOIS],

c’est un événement historique.

Il y a un avant et un après, tout change, l’air lui-même change de texture. Une matière (liquide ?) transforme tout ce qu’elle touche, à la manière du blob.


C’est comme une autre planète, loin, très loin, loin de l’humain ou de ce qu’on peut appréhender. La forme du cercle, du rond, ou parfois de l’ovale, revient systématiquement pour caractériser la cible : une forme ronde qui vient vers nous. [UNE FOIS],

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la comète de Melancholia est apparue, [UNE AUTRE FOIS],

l’image d’une Lune, puis de l’Étoile Noire. Ça s’approche, comme un véhicule.

[TROIS FOIS SUR QUATRE],

c’est une révolution en cours, comme un engloutissement inéluctable. Il n’est plus possible de revenir en arrière. Il y a une action, la même partout, une certaine tristesse du même partout [DEUX FOIS SUR QUATRE],

l’image de la bombe atomique est apparue, évacuée dans la colonne des constructions mentales.


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La cible comporte [À CHAQUE FOIS] des petits ronds, comme des œufs ou comme les taches d’une girafe. [UNE FOIS SUR QUATRE], ces petits ronds lui donnent un aspect boursouflé.

C’est un événement attendu, les gens trouvent ça incroyable. C’est festif, il y a de la joie, du plaisir, un plaisir de consommateur,

[UNE FOIS SUR QUATRE].

Présence d’eau, toute proche. Peut-être l’océan ou un lac. Les petits ronds encore comme des parasols sur une plage. [DEUX FOIS SUR QUATRE], il y a une sorte de grotte, de caverne, aux abords du plan d’eau.

[UNE FOIS],

l’image d’un pont, vu du ciel, est apparue.

[UNE AUTRE FOIS], tout

se passe dans un grand bâtiment au toit rond.


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De dedans, on voit dehors. Il y a l’idée d’une membrane, comme une peau, plusieurs fois, et [UNE FOIS SUR QUATRE] ce pourrait être une baie vitrée. [CETTE MÊME FOIS], il y a différents étages, mais l’événement

semble avoir lieu au rez-de-chaussée. Un espace d’accueil est perçu, ainsi qu’une grande salle avec une estrade de forme triangulaire. Sur l’estrade, il y a une sculpture à la Henry Moore, ou comme le blob encore. Cette sculpture devient une personne qui prend la parole devant une assemblée. Il y a un aspect sonore, voire musical, important, [DEUX FOIS SUR QUATRE].

[UNE FOIS SUR QUATRE],

je n’ai pas l’option de quitter, mais ce n’est pas désagréable.

[UNE AUTRE FOIS],

une sensation significative de nausée s’impose progressivement. spectaculaire lumineux radiant intense

[AOL BK]

[AI BK]

[AOL BK]

bombe atomique

incompréhensible

historique

inimaginable

des gens regardent sans comprendre


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Singularity University Global Summit gives world leaders an annual education on the latest exponential technologies, the societal impacts of those technologies, and how to use them for personal success and positive global impact. Join us in 2018.

Where the world’s most innovative leaders gather to learn how emerging technologies are redefining business, society and humanity.


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The most powerful thing we do is give people hope for the future and a credible path for getting there. Rob Nail



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Décrire la notion d’induction.

[2 SESSIONS]

Catalina Insignares (Paris, 7 avril 2018, 11h09-11h39) Théo Robine-Langlois (La Courneuve, 9 avril 2018, 16h25-16h50)

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La cible implique de l’attente, de l’observation, de la distance. Elle sous-tend un désir de saisir, de voir, d’enregistrer, de quantifier. [AOL BK] deux billes qui flottent dans le vide

Deux entités se font face, l’une est humaine, l’autre non. Un observateur lent fait face à une activité rapide. L’attention de l’observateur est piégée par cette activité. À la manière du scientifique dans son étude, il est seul face à ces formes, dans une longue attente. [AOL BK] quelque chose sur une table

autour il y a de l’activité elle est ignorée Coupé du monde social, il marche avec une lanterne dans un univers sombre. dans le noir attente de l’apparition de quelque chose Ce quelque chose promet de disparaître aussitôt, [UNE FOIS SUR DEUX]

La chose observée est plate, comme un écran ou un miroir, comme l’écriture sur le papier. Elle semble composée de vide, et se présente comme une surface, mais derrière c’est profond.

mise à plat


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C’est lié à la question de la représentation. Les sources de lumière sont rares mais multiples. C’est translucide, brillant, luminescent. [UNE FOIS SUR DEUX], apparaît l’image d’une forêt de cristaux. On se déplace entre ces cristaux, on serpente entre des valeurs.

C’est électrique, avec une notion d’accumulation d’énergie ou de ressources. Un flux est stoppé, amassé.

L’image de la banque ou de la bourse est apparue [À CHAQUE FOIS]. flux, mais il s’arrête comme l’argent

Le flux repart, il s’agit donc d’une transformation. [UNE FOIS SUR DEUX], l’idée de l’alchimie s’est imiscée, la transformation de la boue en or, et la phrase de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. »

on perçoit une volonté de maîtriser des éléments, de faire rentrer une forme dans une autre. [UNE FOIS SUR DEUX],


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Décrire la notion d’anticipation.

[3 SESSIONS]

Mahitha Dasi Alfredo Hubard Mira Ramaherilanja

(Vrindavan, Inde, 9 avril 2018, 16h46-17h10) (Paris, 15 avril 2018, 21h15-21h43) (Le Port, La Réunion, 12 avril 2018, 16h10-17h00)

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La cible est une construction dynamique et tournante dont la structure reste invariable. Elle induit une sorte de mécanique éternelle, indéfectible, universelle. Elle a quelque chose d’artificiel, de fabriqué par l’homme, malgré son caractère éternel.

Cette construction porte les caractéristiques d’une grille, [TROIS FOIS SUR TROIS].

[UNE FOIS SUR TROIS], au sein de cet échafaudage qui semble occuper tout l’espace conceptuel de la cible, une entité est perçue. Elle est qualifiée de changuito (petit singe) parce qu’elle se déplace avec agilité et rapidité dans cette structure complexe. Toute l’attention est portée sur les mouvements de cette entité, apparaissant tantôt comme un petit animal (acrobate), tantôt comme de la lumière (les éléments de la structure s’allumant les uns après les autres pour former un trajet). [DEUX FOIS SUR TROIS], la structure est prise dans un mouvement circulaire. C’est agité, dense et bruyant. C’est turbulent. Un cliquetis d’objets qui s’entrechoquent. Ça tourne, mais moins comme une tempête que comme une mécanique d’horloge. Malgré tout, c’est puissant, aspirant, rapide, et la matière y apparaît ou disparaît comme des étincelles.

Ça évoque la dynamique d’un cyclone ou d’un trou noir. conçu pour amplifier blizzard chaotique périodique


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Au cœur de la cible, derrière cet échafaudage articulé et complexe, il y a de la place pour des sensations plus crémeuses. C’est calme, rose, orangé, goûteux, juteux, doux comme un bonbon. C’est épuré et simple. Il y a quelque chose d’amusant, de distractif, c’est presque drôle, voire déjanté. Il y a quelque chose d’insaisissable. [AOL BK] attraper des bulles de savon

Comme des éponges qui se dissolvent dès qu’on essaye de les attraper. [AOL BK] nuages qu’on peut toucher

C’est atmosphérique.

Quelque chose est lié à l’enfance, [UNE FOIS SUR TROIS], et à l’idée de la transmission. Ça peut aussi avoir quelque chose de magique, au sens d’irréel.


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[COLOPHON]

C'est granuleux... par Simon Ripoll-Hurier et Myriam Lefkowitz sur une invitation de Lafayette Anticipations pour Comment anticiperiez-vous ? #1. Contributions par Mahitha Dasi, Alfredo Hubard, Catalina Insignares, Mira Ramaherilanja et Théo Robine-Langlois. Mise en page de Charles Villa Relecture par Claire Le Breton Éditeur : Lafayette Anticipations, Fondation d’entreprise Galeries Lafayette, 9 rue du Plâtre, F-75004 Paris ISBN 978-2-9563032-4-4, dépôt légal avril 2018, ouvrage hors commerce, imprimé et façonné en avril 2018 au 9 rue du Plâtre à Paris, sur RISO ComColor GD7330. Papiers : Munken Lynx (80 g.) et Colorplan Marrs Green (135 g.)


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ISBN 978-2-9563032-4-4


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