Bénédicte Dubart - Journal à Part 10

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PORTRAITS D’ARTISTES

© Margaux Lefevre

“J’ai besoin de la vie pour créer la vie”

Bénédicte Dubart

l’éclipse de lune qui a inquiété tout le village, « Solstice » la sortie du coma d’un de mes frères. Et puis, il y a les sculptures qui traduisent des mots ou des expressions que j’aime particulièrement pour ce qu’ils évoquent : « Yalla », « Lé haïm », « Au bord du Monde »… Aujourd’hui j’ai cette chance de pouvoir me laisser le temps, laisser venir ce que je veux dire. Quand j’ai quelque chose d’important à exprimer, la sculpture vient d’elle-même.

D'où vient votre inspiration ? Chaque fois ce sont des bouts de vie qui transparaissent. J’essaie de les symboliser dans l’expression des corps, c’est ce qui me passionne. J’adore le corps humain, la douceur d’une hanche, la délicatesse d’un cou… ses tensions et ses abandons. Le corps parle. « Le poids du monde » par exemple traduit un long moment de vie où il a fallu tenir bon, serré contre soi, enroulé pour supporter le poids… « Éclipse », c’est un trek dans le pays Dogon et

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LE JOURNAL À PART - #10

© Bénédicte Dubart

Comment vous est venue la vocation artistique ? J'avais toujours eu dans le cœur d’être sculpteur, cette idée était ancrée en moi. Mais à l’époque je me disais : « Il faut avoir un vrai métier », j’aimais aussi beaucoup les mots, écrire, imaginer. J’ai été conceptrice-rédactrice pendant 10 ans. Et puis, un jour, je me suis retrouvée dans un atelier de sculpture aux Beaux-Arts et je me suis sentie chez moi ! Alors j’ai complètement laissé tomber la pub et me suis lancée. Sacré défi ! J'ai bossé comme une dingue, je m’inscrivais dans des expositions collectives partout où je pouvais et on m’y remarquait. Puis, j’ai commencé à donner des cours car très vite, des amies m’en ont demandé. C’est parti de là et le succès est arrivé assez vite ! J’avais une volonté de fer !

© Margaux Lefevre

Des corps en mouvement, taillés, sculptés, sublimés. Nous ne sommes pourtant pas au musée Rodin mais chez Bénédicte Dubart, talentueuse femme sculpteur. Née en 1959, elle donne vie à l'argile qu'elle travaille de ses mains depuis plus de vingt ans. Après des études et dix ans de carrière en communication, elle entre aux Beaux-Arts de Roubaix. Aujourd'hui, elle expose en France comme à l'étranger. Depuis 1997, elle transmet son savoir et sa passion à quelques passionnés. Le superflu l'indiffère, elle aime se concentrer sur l'essentiel : de là lui vient la force se dégageant de ses sculptures. Trouver l'essence même du mouvement, de son modèle, voilà ce qui l'anime. Elle travaille directement à partir de modèles vivants, dont elle tâche de capter l'âme, la vérité, l'essence. Les grands maîtres l’ont précédée dans la force du mouvement et l’harmonie du tout. Son inspiration ? Ce qui la touche profondément et qu’elle souhaite traduire à travers ses œuvres avec force et douceur entremêlées. Et dans la forme, pas question de se contenter d'une représentation fidèle et détaillée du modèle : son travail demeure très personnel, évocateur, bercé entre maîtrise technique et sincérité. Yalla

Le poids du monde

Parlez-nous de vos projets. Mon projet de l'année, c'est construire mon propre atelier. C’est sur une île de la Lys à Warneton, dans une friche industrielle. J’y ai acheté un ancien séchoir à lin doté d’une immense verrière et je l’agence tout en mezzanine. Il y aura l’atelier pour les cours, mon propre atelier modelage, une salle technique et puis un appartement où je pourrai recevoir des artistes en résidence, y vivre parfois, y loger mes modèles. Une sorte de pôle atelier au bord de l’eau… J’y serai bien entourée puisque plusieurs artistes sont déjà installés : peintres, photographes, dessinateurs, architectes d’intérieur, antiquaires-brocanteurs, il y a même une Guinguette de la Marine le long de la Lys ! (rires). Autre projet : une exposition au Colysée à Lambersart à partir du mois de septembre 2017. J’y expose avec la peintre Isabelle Venet, c'est une de ses rétrospectives. J’ai également cette année des projets de sculptures monumentales pour des promoteurs, des architectes.


PORTRAITS D’ARTISTES

© Margaux Lefevre

Comment se déroulent vos séances de sculpture ? Je ne travaille que d’après des modèles vivants. J’ai besoin de la vie pour créer la vie, ressentir l’énergie et la transmettre à l’argile. J’ai plusieurs modèles mais Aurélie est vraiment ma muse. Elle a beaucoup posé dans la région pour des peintres et des sculpteurs. Ma Dina Vierny à moi. Depuis qu’elle est partie dans sa Nouvelle-Aquitaine natale je la rejoins régulièrement pour travailler avec elle et je reviens avec ma sculpture. Vivement mon nouvel atelier pour l’accueillir et revivre ensemble des semaines intenses de travail ! J’échange beaucoup avec mes modèles, on cherche ensemble comment exprimer, à travers le corps, ce que j’ai envie de dire. Quand on a choisi la pose, on l'installe de manière confortable. Certaines ne sont pas évidentes. Mais quelle que soit la complexité, je ne recule jamais. Ce qui est fort doit rester fort, la demi-mesure affadit. Je cherche à être scotchée, je continue jusqu’à ce que je sois émue de ce que je suis en train de faire. Une sculpture pour moi c’est une énergie qui doit venir de l’intérieur. Quand on a l’impression qu’il y a une vie qui pousse sous la peau, des muscles qui tressaillent. J’évoque plutôt que de détailler, je suggère, je transpose en plans. Des tonnes de petits plans, qui sous la lumière vont vibrer. C’est ma façon de transposer la vie !

Au bord du monde

acides pour obtenir une patine unique. Il y a de trois à six mois de délai technique après avoir terminé une sculpture en terre pour qu’elle « renaisse » en bronze. Quelles personnes ont influencé votre carrière ? Ce qui me vient tout de suite à l’esprit, c’est la rencontre avec Aurélie, ma muse, c’est très important pour moi ça ! Le fait de l’avoir rencontrée m’a permis d’aller vers ce que je voulais. Elle arrive vraiment à capter ce que je cherche. Elle s’est présentée, un jour, en tant que modèle, elle faisait de la sculpture aux Beaux-Arts de Tourcoing, c’est peut-être ça aussi qui nous donne cette résonance. Et puis il y a tous les artistes rencontrés dans mes livres de sculpture bien sûr ! Dites-nous vos plus beaux souvenirs liés au travail.

Quels sentiments ressentez-vous après la réalisation d’une œuvre ? En fait, ce qui est difficile c’est de s’arrêter, on a toujours envie de retoucher. Il faut laisser vivre les intentions de modelage, garder la fraîcheur, éviter à tout prix le travail besogneux. C’est souvent la sculpture qui me le rappelle car elle commence à tirailler, à fendre… c’est le moment. Quand le modelage est fini, le travail commence, le stress est là. La sculpture encore toute humide va devoir passer les épreuves de trois moulages successifs, sans perdre son modelé original. Il faut mouler au plâtre, ce n'est pas simple. Puis réaliser un autre moule destiné à la cire perdue que j’irai retoucher, signer et numéroter chez le fondeur. C’est un dernier moule de fonderie en plâtre réfractaire qui recevra le bronze en fusion à 1 100 °C. Vient ensuite tout le travail de ciselure et de patine. On projette des acides sur le bronze bouillant pour donner une couleur spécifique, puis on recommence avec d’autres Andromède

« Andromède », une sculpture taille humaine avec Aurélie, et toute la difficulté de travailler en grand et dans un atelier sans chauffage. Des mois galères et très beaux à la fois, dans une petite maison au milieu des champs. Ensuite, évidemment la sculpture « Au bord du monde ». Après celle-ci je me suis dit que je n’arriverais plus à travailler : comment aller plus loin ? Elle est née d’une toute petite esquisse, d'un moment important de ma vie. Je voulais des personnages en bronze qui volent, je ne savais pas comment. Mais les défis j’adore ça ! Cette sculpture a eu un écho fabuleux. Et la rencontre avec les acheteurs était chaque fois très émouvante car chacun y projetait son histoire familiale. J’ai reçu de très beaux témoignages de clients qui me racontaient ce que cette sculpture avait provoqué sur leur entourage ! Il est là mon bonheur. Quant à « Aguavidad », cette œuvre est née d’une discussion entre amis : comment arrêter de lutter, comment se laisser porter par le fleuve de la vie ? Je voulais savoir quelle serait la gestuelle de mes modèles en apesanteur alors j’ai loué une piscine et je les ai fait évoluer sous l’eau pour les observer. Et puis nous avons repris ces poses dans mon atelier.

Aguavidad

Au début de ma carrière, je modelais des personnages qui sortaient presque de terre. Maintenant, je travaille de plus en plus l’idée du rapport avec les éléments eau, air, ou en équilibre. Je crois que cela correspond à un nouveau sentiment de liberté et de légèreté qui m’anime.

© Bénédicte Dubart

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Quelle devise vous suit, vous anime ? « Je sculpte donc je suis. »

http://www.benedictedubart.com Propos recueillis par Olivia Lecocq #10 - LE JOURNAL À PART

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