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POINT DE VUE ÉC ONOMIQUE La pandémie va-t-elle marquer le déclin des centres-villes

René Vézina Journaliste

René Vézina pratique le journalisme depuis 40 ans. Il a travaillé tant dans les médias écrits, comme au journal Les Affaires dont il a été le rédact eur en chef au début des années 2000, que dans les médias électroniques, notamment à Radio-Canada, où il a passé 15 ans. Au fil du t emps, il est devenu un expert reconnu pour sa couv erture des actualités économiques.

LA PANDÉMIE VA-T-ELLE MARQUER LE DÉCLIN DES CENTRES-VILLES ?

Les quartiers les plus chics de New York perdent des enseignes prestigieuses, et, chose impensable il n’y a pas si longtemps, les loyers n’arrêtent pas de baisser au cœur de Manhattan. Le prix au pied carré vient de glisser sous les 700$, une première depuis 2011, au sortir de la précédente récession.

Certains secteurs souffrent encore plus. Dans le quartier branché de Soho, par exemple, les prix sont en chute libre. En un an, ils sont passés de 699 à 437$, un recul de 37,5%, selon une analyse publiée sur cnbc.com.

De façon générale, les touristes se font plus rares, et les citadins eux-mêmes fréquentent moins les magasins. Des commerces jadis courus ferment les uns après les autres, des rues huppées comme Fifth Avenue se retrouvent avec des pancartes «À louer», et les propriétaires des édifices n’ont d’autre choix que d’offrir des loyers moins chers. La situation est la même d’un bout à l’autre des États-Unis, à Chicago, Los Angeles et ailleurs.

LA DÉSERTION DES TOURS DE BUREAUX

Le commerce de détail n’est pas le seul à pâtir de la COVID-19. Bien des tours de bureaux se sont elles aussi dépeuplées. De grandes entreprises encouragent le télétravail ; certaines, à commencer par Facebook, indiquent qu’elles entendent y recourir même lorsque la pandémie aura cessé ses ravages.

Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, disait en mai dernier qu’il voudrait voir la moitié de ses quelque 45 000 employés travailler à la maison sur une base régulière d’ici 10 ans. On s’en doute, ce n’est pas simplement par grandeur d’âme. Accommoder moins de gens dans les bureaux permet de réduire la superficie à louer et de réduire la facture de location.

Cette tendance s’observe-t-elle aussi au Québec? Si oui, pourrait-elle devenir la règle plutôt que l’exception ici aussi ?

On note déjà des signes de faiblesse. Le 7 août, Cominar publiait ses plus récents résultats, frappés par la pandémie, et annonçait devoir dévaluer une partie de son actif commercial. La fermeture, même momentanée, des magasins a déstabilisé nombre de détaillants. Cominar n’a pu récolter que 46 % des loyers qu’elle devait percevoir entre avril et juin. Par conséquent, l’entreprise a dû retrancher 165 millions de dollars à la valeur de son portefeuille de centres commerciaux. Si l’on ajoute les immeubles de bureaux, eux aussi sous pression, la dévaluation atteint 251,5 millions.

GROUPE ALTUS

MARIE-FRANCE BENOIT

Directrice principale, développement stratégique Groupe Altus, Montréal

STÉFANE MARION

Économiste en chef Banque Nationale du Canada

BN

«C’est certain que le télétravail gagne en popularité et que les besoins en espace risquent de diminuer dans les édifices de bureaux, constate Marie-France Benoit, directrice principale, développement stratégique, pour le Groupe Altus, à Montréal. Mais il ne faut pas oublier que les baux commerciaux sont de 5 ou 10 ans et qu’on ne peut donc pas déménager en donnant un simple préavis.»

Début août, elle animait d’ailleurs, pour l’Institut de développement urbain du Québec (IDU), une table ronde ayant comme thème les conséquences de la COVID-19 sur les immeubles de bureaux. Y participaient des représentants de Canderel, Bentall et Colliers. Une des constatations? Les locataires vont désormais demander plus de flexibilité. En outre, il faut s’attendre à plus de mobilité. «Mais on a beau parler de la progression du télétravail, on ne balaiera pas demain matin l’importance de la présence physique et du port d’attache. Je ne pense pas que les relations vont devenir purement virtuelles, je ne vois pas comment on en arriverait là », estime Mme Benoit.

L’IMMIGRATION: LE NERF DE LA GUERRE

La question de la vitalité des centres-villes résonne fort au Canada, signale Stéfane Marion, économiste en chef à la Banque Nationale du Canada: «Les cinq plus grandes villes du pays tiennent une place déterminante dans l’économie. Environ 40% de notre produit intérieur brut dépend de Vancouver, d’Edmonton, de Calgary, de Toronto et de Montréal, ainsi que de toute l’activité qu’elles génèrent. On parle, aux États-Unis, de 18% pour les villes comparables. C’est dire à quel point nos grandes villes jouent un rôle clé. Leur affaiblissement pourrait faire mal.»

Il note cependant un risque causé par la pandémie, qui pourrait faire particulièrement mal à Montréal et à son industrie immobilière: la baisse, tout au moins temporaire, de l’immigration. «Sans immigration, dit-il, la croissance, ici, est presque nulle. Les immigrants forment 90% des nouveaux ménages. Ils s’installent souvent près des centresvilles. Ils consomment des biens et des services. Mais les restrictions actuelles ralentissent leur arrivée.»

Sans compter que le taux de chômage des nouveaux venus est déjà plus élevé, en temps normal, que la moyenne. Si l’économie tarde à se redresser, leur situation sera fragilisée, et ils ne pourront pas, comme bloc démographique, contribuer autant qu’on le souhaiterait à l’activité économique.

«Pour le reste, il est difficile d’affirmer que des employeurs vont décider de s’installer en banlieue, en réaction à la pandémie et à la baisse de popularité des centres-villes, poursuit l’économiste. À court terme, il se peut qu’on y voie diminuer la demande en pieds carrés en attendant que le portrait s’éclaircisse. Mais je le répète, à plus long terme, il faut miser sur la reprise de l’immigration, d’autant plus que les gens qui arrivent chez nous sont mieux éduqués que ceux qui débarquent aux États-Unis. Leur apport peut être significatif.»

DU CÔTÉ DE L’IMMOBILIER RÉSIDENTIEL

À première vue, les plus récentes statistiques montrent, paradoxalement, une solide reprise du marché immobilier, volet résidentiel. Début août, l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ) signalait une importante hausse des ventes et des prix en juillet pour la région métropolitaine de Montréal. Le nombre de transactions a atteint 5 356, un record pour cette période, bondissant de 46% par rapport à juillet 2019. La même tendance s’observait dans la région

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de Québec, avec une hausse de 43% par rapport à 2019. Il faut évidemment interpréter ces chiffres pour tracer un portrait plus précis de la réalité.

Premièrement, il s’agit essentiellement d’une forme de rattrapage. Le début du printemps, en mars et avril, a été désastreux pour les ventes résidentielles heurtées de plein fouet par le confinement.

Deuxièmement, ce sont les banlieues qui ont le plus profité du rebond. Dans le grand Montréal, les augmentations atteignaient 84% pour l’ensemble de la Rive-Nord, 65% pour le secteur VaudreuilSoulanges et 41 % pour la Rive-Sud, par rapport à 31 % pour l’île de Montréal elle-même.

Troisièmement, on doit s’interroger sur la viabilité de cette vigueur retrouvée. En juillet, le réputé analyste américain Robert Shiller, Prix Nobel d’économie, soulevait la question. Il se demandait si le prix de l’immobilier urbain n’allait pas souffrir de la baisse de popularité de la vie en ville, alors que les avantages qu’on lui attribuait – bons restaurants, musées, activités culturelles – apparaissent moins attrayants en temps de pandémie. Il entrevoyait lui aussi des déménagements durables hors des grands centres.

LES EFFETS SUR LE SECTEUR COMMERCIAL

Ces mouvements résidentiels sont-ils prémonitoires de ce qui attend le secteur commercial?

«Chose certaine, les déplacements s’accentuent, même au-delà des deux rives, constate Joanie Fontaine, économiste chez JLR Solutions foncières. On voit des gens qui travaillent dans la région de Montréal s’installer jusqu’à Granby! Mais le télétravail n’est pas encore la norme ici, et c’est pourquoi on ne peut pas encore prédire ce qu’il adviendra du secteur commercial. Les données sont encore insuffisantes. S’il fallait que la pandémie se prolonge, les pressions pourraient s’amplifier. »

À Montréal, l’intérêt pour la banlieue existait d éjà avant la COVID-19 du fait des innombrables chantiers qui rendaient difficile l’accès au centreville, tout comme la circulation. «Oui, c’est clair que des entreprises regardent vers l’extérieur », souligne Marie-F rance Benoit.

Elle note déjà une tendance à la densification de l’espace occupé, d’autant que de grands locataires s’efforcent de faire baisser le ratio pied carré/ employé. « Ça peut toucher de grandes organisations comme les gouvernements ou les compagnies d’assurance, dit-elle, quoique pour l’instant,

les impératifs de distanciation physique ralentissent le mouvement. Mais il est déjà bien amorcé. Chez Deloitte, il y a de moins en moins de bureaux attitrés. Les gens arrivent avec leur ordinateur et peuvent travailler dans le premier espace disponible.»

Il sera intéressant de surveiller ce qui se produira au centre-ville de Montréal, qui affiche l’une des plus fortes concentrations au pays de l’espace occupé par le milieu des affaires par rapport à sa région métropoli taine. Il s’élève à 50 %. C ’est dire l’importance de l’enjeu.

« Ça va quand même prendre du temps avant qu’on assiste à un exode vers la périphérie», pense Marie-F rance Benoit, en rappelant les liens qu’imposent les baux déjà signés.

C’est probablement le cas pour les immeu bles de bureaux. Mais pour le commerce de détail, la migration est commencée. Le succès du Quartier DIX30, à Brossard, était déjà un signe des temps. D’autres vont suivre. La pandémie pourrait fort bien intensifier la tendance, surtout si de moins en moins de gens doivent se rendre vers les centres-villes pour leur travail. Pour l’instant, on peut davantage parler de vagues, liées directement aux contraintes qu’impose la COVID-19, que de raz-de-marée. Les décideurs et les planificateurs ont toutefois du pain sur la planche pour veiller d’une façon ou d’une autre à un développement urbain ordonné.

DEBBY DOKTORCZYK présidente

PATRICE GROLEAU propriétaire

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Agence immobilière commerciale, division spécialisée de McGill immobilier et en collaboration avec Engel & Völkers Montréal/Québec www.mcgillcommercial.ca

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