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MEDIAS

Les journalistes, grands perdants des tribunaux imaginaires

On compte désormais 389 journalistes emprisonnés dans le monde. Ce chiffre s’est malheureusement vu augmenter de 12% en un an. Si certains sont emprisonnés aux mains de groupuscules violents qui exercent une pression pour les relâcher, d’autres se trouvent alors dans de vraies prisons, ayant commis le simple crime d’être politiquement opposé au régime en place. © Reuters

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Kyaw Soe Oo (à droite) et Wa Lone (à gauche) ont été arrêtés en décembre 2017, après avoir été piégés par des policiers qui ont fabriqué des fausses preuves pour les incriminer.

Après avoir été condamnés à sept ans de prison en Birmanie pour avoir enquêté sur un massacre de musulmans rohingyas, deux journalistes de Reuters ont été libérés grâce à la pression de Aung San Sur Kyi, prix Nobel de la Paix. Après leur condamnation en septembre 2018, décision confirmée deux fois en appel, ils se sont finalement vus accorder la grâce du président de la République, Win Myint. Les deux reporters, Wa Lone et Kyaw Soe Oo, ont alors passé plus de 500 jours emprisonnés, bien que leur enquête ait reçu le prix Pulitzer, plus haute récompense du journalisme aux États-Unis. Même s’ils sont désormais libres, la condamnation des deux reporters n’en est pas moins effacée. Le message est alors très clair du régime Birman aux journalistes, enquêter sur les sujets sensibles vous mènera à un an et demi de prison.

En publiant son bilan annuel, Reporter sans frontières, cette année, pointait du doigt l’emprisonnement de journalistes dans de nombreux pays, mais essentiellement en Turquie. Avec 72 professionnels des médias, dont 42 journalistes, le pays de l’Anatolie est aujourd’hui reconnu comme la plus grande prison du monde pour les journalistes. Le paradoxe est d’une tristesse frappante pour un pays qui se veut comme la plus grande démocratie régionale. Cette malheureuse constatation n’a en réalité rien d’étonnant au vu des problèmes structurels de la justice turque. Les journalistes et représentants de médias pro-kurdes sont les plus nombreux dans ces prisons, signe du manque de liberté à l’information et à l’expression.

L’information au prix de la liberté

On constate que le métier de journaliste est de plus en plus dangereux, à l’extérieur mais souvent essentiellement à l’intérieur même de son pays. Entre prise d’otage, emprisonnement politique, la censure de la presse n’a jamais été aussi grande. À ce jour, encore 232 journalistes sont emprisonnés. Le nombre ne faiblit pas puisque la censure ne date pas d’hier et n’est pas prête de s’arrêter. La dictature a très souvent accéléré la censure, ainsi que les mesures fortes en cas d’infraction aux règles du régime en place. Sous l’ère Franquiste en Espagne, il était obligatoire pour les journaux de signer chaque article pour les voir paraître, à condition qu’il n’y ait pas de critique, ou de dénonciation du pouvoir. Dans le cas contraire, les journalistes s’exposaient à une amende, pouvant monter à un prix très élevé, mais également à la destitution du directeur de publication. Pour avoir écrit des articles qui n’ont pas été au goût du gouvernement espagnol, certains journalistes ont alors été emprisonnés, voir même humiliés, comme ce fut le cas de José Garcia Diaz. En ayant critiqué le gouvernement espagnol, ce dernier à reçu l’humiliation de se faire raser les cheveux et obligé de boire de l’huile. Souvent en première ligne, les professionnels de l’information sont alors souvent ceux qui doivent rendre des comptes, à la fois aux citoyens par nécessité de traduire l’information et la vérité, mais à la fois à l’État, de manière non-officielle, s’ ils ne souhaitent pas avoir la potentielle malchance de poursuivre leur combat derrière les barreaux. Quoi qu’il en soit, le métier de journaliste exige, à une époque moins démocratique, mais encore aujourd’hui, une volonté de prendre ce risque, parfois au prix de sa vie. On retrouve alors beaucoup de diversité dans cette résistance du savoir, allant de la simple dénonciation par preuves, jusqu’au journal satirique. Nathan Vacher