In Vivo #6 FRA

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less is more

es médecins d’aujourd’hui sont-ils tous des Dr Knock? Ce personnage fictif, né de l’imagination de l’écrivain français Jules Romains dans les années 1920, parvient à convaincre l’ensemble des habitants d’un village qu’ils sont des malades qui s’ignorent et qu’ils doivent commencer à se soigner. A l’image de Molière et de son Malade imaginaire, Romains dénonce les dérives d’une société surmédicalisée qui transforment les individus en consommateurs de soins, soucieux d’en recevoir toujours plus. Dans l’espoir d’aller toujours mieux.

Les malades aussi espèrent qu’une nouvelle technologie ou un traitement de pointe les aide à guérir. Et les «bien-portants» sont encouragés à rester vigilants. «Les patients baignent en permanence dans un climat qui prône le recours au dépistage et aux soins, par le biais des campagnes de santé publique, des médias et de la publicité, remarque Rosemary Gibson, l’auteure d’un ouvrage intitulé The Treatment Trap. La croyance que mieux vaut prévenir que guérir est profondément ancrée chez eux.» «Une détection précoce et un traitement agressif sont souvent considérés comme le signe d’une bonne prise en charge», constate David Goodman, professeur de médecine communautaire qui enseigne à l’Université de Berne.

La problématique de la surmédicalisation traverse les décennies (lire encadré p. 26). Mais au XXIe siècle, les soins ne se résument plus à des saignées, des purges et autres remèdes de grand-mère. Toujours plus sophis- Patients et professionnels de la santé croient donc fertiqués et nombreux, des instruments et médicaments mement aux promesses de la médecine moderne. Mais high-tech viennent régulièrement étoffer l’arsenal si le Dr Knock finit par triompher dans l’œuvre de Jules Romains, les soignants d’aujourd’hui thérapeutique à la disposition des sont toujours plus nombreux à admédecins. «Lorsqu’un nouveau prohérer à des mouvements qui encouduit arrive sur le marché, et que ses rePÈres ragent, au contraire, une médecine fabricants en louent les vertus, en plus humble, plus modeste, qui retant que médecins, nous voulons y connaît ses limites, et qui ose, dans croire. Tout en restant critiques, En milliards de dollars, le coût certains cas, en faire moins. «On nous espérons qu’il va vraiment annuel des soins superflus dans le assiste à l’émergence de mouvenous permettre d’améliorer la monde, selon une estimation de l’Institut universitaire Darmouth. ments qui prônent le less is more prise en charge de nos patients, en médecine, confirme Arnaud note Thomas Bischoff, directeur Chiolero, spécialiste de la santé de l’Institut universitaire de médepublique à l’Institut de médecine cine de famille de l’Université de sociale et préventive de Lausanne. Lausanne. Faire le tri parmi toutes En pourcent, le nombre de L’objectif est notamment de prodices nouveautés n’est pas évident médicaments inutiles, dont 5% guer moins de soins inutiles.» pour le corps médical.» potentiellement dangereux, selon

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Le Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux, publié par un chirurgien et un pneumologue français.

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un monde surmédicalisé

Des campagnes (Smarter medicine en Suisse, Choosing wisely ou Slow medicine aux EtatsUnis) militent pour une médecine qui agit avec modération et gradualité. En faire moins ne signifie aucunement qu’il faut remettre en question les traitements nécessaires et bénéfiques aux patients. Le concept de «Less is more» est une invitation à reconnaître qu’un excès de soins peut parfois entraîner plus de risques que de bénéfices. Ses partisans estiment que les populations occidentales sont aujourd’ hui surmédicalisées. «Nous 20

sommes dans un système de santé qui nous pousse constamment vers le «trop» de soins, estime Thomas Bischoff. Cela s’explique par la même logique qui encourage les autres secteurs de nos sociétés occidentales à faire toujours plus: l’accumulation et la croissance sont vues comme des signes de progrès et de performance.» Patient À temPs comPlet

Selon le généraliste, «la médecine prend trop de place dans la vie des gens aujourd’hui. On ne se rend pas chez le médecin uniquement lorsque l’on est malade, mais aussi pour des examens de routine et autres dépistages, constate-t-il. Cela peut transformer les bien-portants en malades potentiels.»


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