IN VIVO #20 FRA

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Penser la santé N° 20 – JUIN 2020

COVID-19

COMBATTRE LE VIRUS

DOSSIER SPÉCIAL / REPORTAGE PHOTO / TÉMOIGNAGES

MATERNITÉ Quand l’accouchement crée des angoisses THÉRAPIE Les bienfaits des selles ADDICTION Les Suisses accros aux cachets Édité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO 24 HEURES DANS LA PEAU D’UN ATHLÈTE


« Un coup de foudre immédiat. » Pascal M., Genève

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Swissnex, Brésil

Penser la santé

Penser la santé N° 20 – JUIN 2020

N° 19 – DÉCEMBRE 2019

Laure A., Lausanne

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COVID-19

MAIN BIONIQUE

TOUCHER, BOUGER, SENTIR ?

COMBATTRE LE VIRUS

/ REPORTAGE PHOTO / TÉMOIGNAGES

EBOLA Comment les vaccins ont été conçus à Lausanne et à Genève SOCIÉTÉ Ces couples qui ne veulent pas devenir parents INTERVIEW Pierre-François Leyvraz sur ses onze ans à la tête du CHUV Édité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO LA SANTÉ DES SUISSES

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COVID-19

DOSSIER SPÉCIAL

IN VIVO N° 20 – JUIN 2020

IN VIVO N° 19 – DÉCEMBRE 2019

Isabelle G., Lausanne

MAIN BIONIQUE

Ce nouveau type de prothèse est relié au cerveau.

« Vos infographies sont géniales, faciles à comprendre et adaptées au public auquel j’enseigne. »

MATERNITÉ Quand l’accouchement crée des angoisses THÉRAPIE Les bienfaits des selles ADDICTION Les Suisses face au fléau des cachets Édité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO 24 HEURES DANS LA PEAU D’UN ATHLÈTE

Seule une participation aux frais d’envoi est demandée (20 francs).


IN VIVO / N° 20 / JUIN 2020

SOMMAIRE

FOCUS

3 / DOSSIER Combattre le virus PAR BERTRAND TAPPY, ROBERT GLOY, BLANDINE GUIGNIER ET AUDREY MAGAT

MENS SANA

62 / TENDANCE

Autisme : agir tôt et fort

Cryothérapie : la récup à froid

PAR CAROLE EXTERMANN

PAR JEAN-CHRISTOPHE PIOT

44 / TENDANCE  Les Suisses accros aux cachets PAR ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

IN SITU

29 / HEALTH VALLEY

48 / COULISSES

Technologie médicale : cacophonie européenne

Biologie et numérique, un duo gagnant

37 / AUTOUR DU GLOBE

PAR PATRICIA MICHAUD

CORPORE SANO

53 / PROSPECTION Quand l’accouchement terrorise PAR NINA SEDDIK

57 / INNOVATION Guérir grâce aux selles PAR ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

60 / TABOU Développement génital : le droit au choix PAR CAROLE EXTERMANN

L’Obamacare fait de la résistance

CURSUS

69 / INTERVIEW Le Prof. Philippe Eckert sur ses débuts mouvementés à la tête du CHUV

74 / INFOGRAPHIE

Comment savoir si une personne est ou a été atteinte du Covid-19 ? Deux méthodes ont été utilisées au CHUV : la première (photo) consiste à regarder si le virus est présent dans les sécrétions nasales à l’aide d’un long coton-tige. La seconde est sérologique et détermine si une personne possède des anticorps au virus dans le sang, ce qui signifie qu’elle a déjà été atteinte par le Covid-19. Début mai, la Suisse avait effectué plus de 300 000 tests, selon l’Office fédéral de la santé publique.

Un hôpital transformé

76 / PARCOURS Le portrait de Karine Tissot, la culture à l’hôpital

Le magazine In Vivo édité par le CHUV est vendu au prix de CHF 5 en librairie et distribué gratuitement sur les différents sites du CHUV.

ERIC DÉROZE

41 / PROSPECTION


Éditorial

ACTEURS DE LA TRANSFORMATION

ISABELLE LEHN Directrice des soins

CHRISTOPHE SENEHI

À l’occasion de ce numéro spécial, In Vivo a confié son éditorial à la directrice des soins du CHUV.

Une infirmière de Néonatologie part renforcer l’équipe d’un EMS en crise le lundi de Pâques. Des dizaines d’instrumentistes et d’anesthésistes quittent leur bloc opératoire à l’arrêt pour aller soigner dans toutes les spécialités. Une cheffe de projet aide à la gestion du matériel aux soins intensifs. En quelques jours seulement, des informaticiens changent d’équipement pour accroître la bande passante d’un hôpital qui se met massivement au télétravail du jour au lendemain. Les logisticiens affrètent des avions et traitent directement avec les producteurs de masques dans le monde. Presque chaque jour, pendant un mois, des unités de soins aigus sont créées de toutes pièces, déménagées ou transformées. Plusieurs centaines de professionnels, pourtant très spécialisés dans leur domaine, assument momentanément un rôle différent, hors de leur zone de confort. Ces histoires-là – et Dieu sait qu’il y en aurait encore des milliers d’autres –, il faut les écrire. Ne serait-ce que pour s’en souvenir. Qui a dit qu’un hôpital de 12 500 collaboratrices et collaborateurs souffrait d’inertie ? Combien de fois n’a-t-on pas enfoui des idées innovantes en redoutant des processus décisionnels trop longs ? Enfin… où avionsnous mis nos propres limites entre le possible et l’impossible ? La crise est appelée à durer, sous des formes variables. L’épisode « Printemps 2020 » de la pandémie de Covid-19 a néanmoins déjà livré son lot d’enseignements. Décider vite tout en intégrant les équipes soignantes comme force de proposition, nous le pouvons. Agir tout de suite et se réjouir d’un résultat tangible le lendemain déjà, nous en sommes capables. Instaurer une collaboration quotidienne tout au long de la chaîne hiérarchique entre soignants, logistique, infrastructures et communication : idem. Le CHUV a montré son agilité et les professionnels qui le composent n’ont pas subi les événements, ils ont été les acteurs d’une transformation et l’addition des forces de chacune et de chacun a permis un fonctionnement extraordinaire. A-t-on pour autant laissé nos valeurs de côté ? Pas une seule seconde ! Tout ce qui a été fait l’a été avec « science et humanité », conformément à notre devise et comme l’illustrent les pages du dossier spécial de ce numéro. /

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FOCUS

4 / La bataille vécue de l’intérieur

COVID-19

17 / Interdiction de toucher

21 / Livraison XXXL

PAR AUDREY MAGAT

PAR BERTRAND TAPPY

PAR BERTRAND TAPPY

14 / La course aux traitements

18 / L’OMS : l’éternel

PAR BLANDINE GUIGNIER

PAR ROBERT GLOY

bouc émissaire

DOSSIER SPÉCIAL

COMBATTRE LE VIRUS /

ERIC DÉROZE

Depuis début mars, la pandémie de Covid-19 a obligé les acteurs de la santé à revoir leur organisation et à inventer en urgence de nouveaux processus. Les politiques et les chercheurs ont dû également naviguer en zones inconnues, adaptant en permanence leurs stratégies. Avec ce dossier exceptionnel de 25 pages, In Vivo revient sur une crise qui laissera des traces profondes. L’intégralité des photos prises au CHUV pendant la crise sanitaire liée au Covid-19 est disponible sur www.invivomagazine.com.


FOCUS

COVID-19

LA BATAILLE VÉCUE DE L’INTÉRIEUR Urgences, soins intensifs, logistique, hygiène hospitalière, médecine interne… In Vivo livre les récits de ceux qui ont été au front durant plusieurs semaines. TEXTE :

BERTRAND TAPPY

Les 12 000 salariés du CHUV ont tous été mobilisés pour faire face à la pandémie.

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sanitaires mondiales. En quelques semaines, plus de 30 000 cas positifs ont été testés en Suisse, dont plus de 5000 dans le canton de Vaud. Du lit du patient au sous-sol de la Logistique, c’est l’intégralité des 12 000 membres du personnel qui a vu son quotidien chamboulé par cette arrivée massive de patients atteints d’une maladie dont on ignorait tout et qu’il

a fallu contenir avec les outils et les connaissances du moment. À l’heure où nous écrivons ces lignes (ndlr : 7 mai 2020), les premières mesures de déconfinement débutent. Une perspective de retour à la normale qui – même si nous sommes encore loin de pouvoir dresser un bilan précis – permet

LAURIANNE AEBY

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epuis le 28 février et l’entrée du premier patient positif au Covid-19 au CHUV, l’hôpital universitaire s’est retrouvé embarqué dans une opération sans précédent et un défi gigantesque, disputé quasi simultanément par toutes les institutions


FOCUS

d’esquisser la manière dont les hôpitaux affronteront ce genre de menace dans le futur. Ce dont on peut être sûr, c’est que l’image de la médecine toute-puissante est à jeter aux oubliettes : les médias ont relayé les témoignages de professionnels qui ont dû composer avec l’incertitude, les hypothèses et les débats de la communauté scientifique, excluant toute possibilité d’une sortie rapide de la crise par l’apparition d’un vaccin miraculeusement apporté par la technologie.

GILLES WEBER

Ce qui a guidé l’hôpital dans la tourmente, outre l’abnégation et le courage de celles et ceux qui ont œuvré chaque jour au lit du patient, ce sont des valeurs et des compétences qui étaient déjà présentes avant la crise. Et qui ont permis aux membres du corps médical et soignant de livrer cette bataille de l’humilité.

COVID-19

Aux Soins intensifs, le défi de la formation Au moment où nous visitons le service (2 mars), 38 patients atteints de Covid-19 sont pris en charge, sur une capacité totale de 80 lits au pic de la pandémie, soit plus du double par rapport à d’habitude (35 lits). Autour des patients répartis entre des annexes des Urgences, le bloc opératoire et les lits usuels du service. « Nous avions décidé d’accueillir les patients progressivement dans toutes les unités en même temps, afin de ne jamais être débordés », explique Mauro Oddo. Une stratégie gagnante, mais qui a nécessité une importante mobilisation des équipes, qui ont plus que doublé, un brassage qui a représenté un énorme défi de formation et de partage des connaissances.

Les Soins intensifs ont plus que doublé leur capacité, passant de 35 à 80 lits en quelques semaines. 5

Car pour Mauro Oddo, le médecin intensiviste qui a repris temporairement la direction du Service de médecine intensive adulte au moment de la crise, c’est effectivement la maîtrise des pratiques standardisées développées au lit du patient qui ont sauvé les malades les plus gravement atteints par le Covid-19 : « Si l’on considère uniquement l’un des symptômes les plus fréquemment observés, à savoir la détresse respiratoire aiguë, la prise en charge des patients atteints par le virus n’a pas été différente de ce que nous savons faire depuis près de vingt ans, continue Mauro Oddo. Support ventilatoire mécanique (les fameux ’respirateurs’ dont les médias se sont tant préoccupés en début de crise) protecteur, dont le décubitus ventral (pratique consistant à retourner le patient sur le ventre afin d’améliorer ses échanges gazeux). Ce sont des


Certains blocs opératoires de l’hôpital ont été transformés en unités de soins intensifs. 6

COVID-19

GILLES WEBER

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FOCUS

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En médecine interne, des réunions journalières, appelées « huddle », ont permis à l’équipe d’échanger des informations.

pratiques que nous connaissons bien, qui ont fonctionné et garanti les standards de qualité habituels. » Reste que l’ampleur de la vague a été sans précédent. Pour l’absorber, six unités supplémentaires ont dû être créées, nécessitant une restructuration en profondeur de nombreux services afin de faire de la place : dans les plans de la Direction générale, une des premières mesures ainsi identifiées était la fermeture des actes opératoires non urgents, tout un étage du bloc opératoire s’est retrouvé vidé, et nous avons pu l’utiliser pour créer des unités de soins intensifs idéales, car stériles et dotées de flux d’aération optimaux. « Nous avons réalisé, en collaborant étroitement avec les autres services, notamment l’anesthésiologie et la Direction générale, que nous avions les structures, le

matériel et les ressources humaines. Le Covid-19 a révélé une solidarité remarquable au sein de l’hôpital : même s’il reste encore beaucoup de questions, c’est de bon augure pour la suite », dit Mauro Oddo.

sein du Service de médecine interne. Des chiffres impressionnants, mais qui restent heureusement éloignés des prédictions les plus pessimistes. C’est notamment sur les épaules du médecin cadre Antoine Garnier que reposait la gestion de la crise au sein du service, dirigé par le Prof. Peter Vollenweider. Une tâche dont cet officier d’artillerie de milice s’est acquitté avec un seul enjeu : pouvoir garantir une prise en charge optimale, en maintenant la pression le plus bas possible : « Pour y arriver, nous avons tout d’abord recruté des médecins supplémentaires. Et sur la centaine de candidatures, nous avons pu en embaucher la moitié, explique Antoine Garnier. Cela représentait déjà un bon rempart contre un éventuel débordement. Mais pour être tout à fait honnête, le plus grand avantage que nous avons eu, c’est de pouvoir

GILLES WEBER

/ « Peu importe le contexte : la crise ne devra jamais nous empêcher de faire notre travail correctement. »

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Antoine Garnier, Service de médecine interne

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En médecine interne, la vague endiguée Pour un patient atteint du Covid-19 aux Soins intensifs, ce sont plus de dix personnes qui ont été admises au


observer ce qui se passait en Italie pour en tirer de nouvelles mesures à prendre. » Suivirent alors une augmentation du nombre de lits et de professionnels et la création d’une cellule de conduite. Mais l’innovation principale est venue de la manière de communiquer en interne : « Tout le monde s’est retrouvé noyé sous une masse énorme d’informations, parfois anxiogènes, souvent contradictoires, entre les réseaux sociaux, les médias, le bouche-àoreille… Il était essentiel d’établir une manière de communiquer sereine et la plus directe possible », ajoute-t-il. Pour y parvenir, l’équipe a notamment mis en place le « huddle » : chaque jour à midi pile depuis le début de la crise a donc lieu une séance debout devant les ascenseurs de l’étage. Le but ? Poser les questions qui taraudent et communiquer les dernières décisions. Aujourd’hui, le « huddle » fait partie

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du quotidien. Il demeurera peut-être après la crise. Reste à savoir jusqu’à quand cette dernière durera : « Avec la sortie du confinement commence un autre défi, dit Antoine Garnier. Nous allons voir revenir les patients non-Covid-19 et par conséquent, même si le nombre de patients atteints par le virus va progressivement baisser, nous allons nous retrouver avec une hausse des lits occupés par des personnes qui ne devront pas se mélanger. Mais peu importe le contexte : la crise ne devra jamais nous empêcher de faire notre travail correctement. »

Aux Urgences, l’atout de l’anticipation « Voilà, c’est notre tente ! » En entrant dans ce qui est – en période normale – le garage des ambulances, Pierre-

Nicolas Carron ne peut réprimer un petit sourire. Il faut dire que la transformation est impressionnante : en lieu et place d’un banal parking couvert, l’espace a été agrandi à l’aide d’une infrastructure couverte qui abrite 18 lits, un local de tri et toute l’installation nécessaire pour s’occuper des patients, y compris l’oxygène et les dispositifs de surveillance cardiaque et respiratoire. Même si elle n’a pas servi, cette installation est l’incarnation de la ligne de conduite que s’était donnée le chef du Service des urgences du CHUV : toujours avoir deux coups d’avance sur la propagation du virus et le risque de surcharge de l’institution. « J’ai toujours eu la certitude qu’en cas de catastrophe, il serait possible d’utiliser cet espace pour accueillir les patients. Et grâce au travail de la logistique de l’hôpital et des collaborateurs du CIT-S

Le Service des urgences avait également transformé – avec l’aide des équipes de la Logistique – le garage des ambulances pour accueillir des patients. Fort heureusement, le lieu n’a jamais été mis à contribution. 8

ERIC DÉROZE

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L’Armée a également été appelée en renfort. Une équipe de jeunes soldats d’hôpital (à gauche) découvre les manipulations de patients.

GILLES WEBER

(construction, ingénierie, technique et sécurité), nous avons pu monter la chose en cinq jours ! » dit-il. Et n’allez pas imaginer un hôpital de tranchées : entre le parquet et un contrôle des flux d’air, le lieu est tout à fait capable d’accueillir les patients dans les meilleures conditions. Même topo dans les autres locaux des Urgences : le service a doublé sa capacité (atteignant 90 lits au total), en réquisitionnant également un corridor prévu dans les cas d’afflux brutal de patients lors d’accidents et des bureaux adjacents. « Évidemment, nous avons dû créer de nouvelles choses, imaginer de nouveaux flux de patients. Mais ce qui nous a aidés, c’est l’habitude de traiter des patients dont la situation n’est pas clairement établie et qui nous obligent à prendre toutes les précautions nécessaires. Et l’autre leçon importante, c’est que l’excel9

lente collaboration avec le Service de médecine interne nous a permis de diminuer le séjour des patients aux Urgences, et ainsi d’absorber les pics d’activité et les arrivées simultanées de nombreux patients. Il est encore trop tôt pour tirer un bilan définitif, mais il est évident que nous en tiendrons compte pour la suite », explique Pierre-Nicolas Carron.

En Logistique, l’approvisionnement réinventé Déménagements, aménagements, risque de pénurie de matériel – les défis qu’ont eu à relever les 1200 professionnels du Département logistique du CHUV sont gigantesques. Une série de challenges que leur chef Pierre-Yves Müller a relevés avec une volonté inébranlable : « Il

y a bien sûr eu des missions dont nous avions l’habitude, mais dans des proportions jamais vues : installer un service dans de nouveaux espaces ou encore modifier l’offre et l’agencement des lieux de restauration pour respecter les règles de l’Office fédéral de la santé publique. En revanche, l’approvisionnement en matériel fut une sacrée nouveauté ! » Tout débute lorsque l’hôpital se rend compte que les premiers stocks de masques et de blouses seront rapidement épuisés. « Contractuellement, nous aurions dû avoir droit à trois mois de réserve chez nos fournisseurs. Mais très rapidement, nous avons réalisé qu’il leur serait impossible de nous livrer », explique Pierre-Yves Müller. Commence alors une vaste enquête pour trouver de nouvelles sources d’approvisionnement. « C’est un émissaire du canton qui est revenu avec le contact d’une


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Les médecins du Service des urgences ont l’habitude de traiter des patients dont la situation n’est pas clairement établie et qui nécessitent beaucoup de précautions. 10

LAURIANNE AEBY

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LAURIANNE AEBY

Les stocks de masques et de blouses ont été épuisés rapidement. Par la suite, le CHUV a su réinventer ses sources d’approvisionnement (voir p. 21).

usine située – ironiquement – dans la région de Wuhan. L’usine était prête à repartir au mois de mars, mais c’est l’avance que nous avons versée qui leur a permis de payer de nouveau les employés et de relancer la machine. Autant dire que ce genre de situation est rare dans le service public, à plus forte raison dans le domaine de la santé ! »

étions des ovnis dans leur monde ! Mais pour moi, être bizarre, c’est positif : cela veut simplement dire que nous sommes les premiers. »

Puis c’est le rapatriement du matériel. « Certains États se sont comportés comme s’ils étaient en guerre. Quand les Américains v̒ olent’ des stocks promis à l’Europe sur le tarmac de l’aéroport, il faut être capable d’agir vite et de décider sans perdre de temps, se souvient-il. Nous avons eu une grande chance que l’État nous fasse confiance. Mais je me souviendrai longtemps de mes premiers téléphones avec les transitaires : un hôpital universitaire qui tente de réserver directement des avions… Nous

Qui dit explosion du nombre de patients dit explosion du besoin de professionnels. Et la modification profonde du fonctionnement des services (arrêt des interventions chirurgicales non vitales, fin des consultations non urgentes, etc.), ajoutée à la suppression des vacances du personnel, a provoqué un bouleversement sans précédent parmi les milliers de soignantes et soignants. « Nous avons recensé toutes les personnes disponibles, pour les dispatcher en fonction des besoins

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Dans les Soins, la solidarité entre départements

et de leurs compétences : soins intensifs, dépistage, annonce du diagnostic… La solidarité entre les départements a été exemplaire », raconte Nicolas Jayet, adjoint à la Direction des soins. En plus de ces renforts, plus de 130 étudiants HES de la filière Soins infirmiers finissant leurs études ont été mis à contribution. L’une de leurs missions : participer au fonctionnement du centre de dépistage du Bugnon 21, créé pour l’occasion au rez-de-chaussée de l’ancien hôpital historique, devenu depuis bâtiment administratif. « Le nombre de patients a été multiplié par dix dès les premiers jours, avec des pointes à plus de 250 consultations journalières », se souvient Patrick Genoud, directeur adjoint des Soins. Aujourd’hui, ces équipes bénéficient d’une expertise importante dans un geste – le frottis – qui est complexe à


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réaliser pour éviter des résultats faussement négatifs. « Avec la reprise de l’activité élective, nous avons aussi mis en œuvre des équipes mobiles intervenant directement dans les unités cliniques pour réaliser des tests de patients hospitalisés, ajoute-t-il. C’est pour moi la marque de la confiance que l’institution peut témoigner à ces étudiant-e-s et la décision de la HES-SO d’aménager la réalisation de leur dernier semestre pour l’acquisition de leur diplôme est une reconnaissance forte des savoirs acquis durant cette crise. »

En Hygiène hospitalière, la priorité donnée aux précautions Dans le bureau de Laurence Senn, responsable de l’Unité d’hygiène, de prévention et contrôle de l’infection, 12

un gros carton de visières plastiques. « Nous les testons actuellement en médecine dentaire en raison du risque élevé d’exposition à des projections », explique l’infectiologue. Dans sa voix, on sent poindre une note d’optimisme : « C’est la première fois depuis le début de la crise que nous n’avons pas la séance du matin du bureau de la cellule de conduite, c’est bon signe. » Ce fameux « début », Laurence Senn l’identifie parfaitement : « Tout s’est accéléré la nuit du 6 au 7 mars, lorsque nous avons réalisé avec Pierre-Nicolas Carron que les lits réservés jusque-là aux soins intensifs pour des patients atteints de Covid-19 allaient être rapidement saturés. Pendant que le chef des Urgences gère les flux pour s’assurer que les patients infectés ne se mélangent pas aux autres, Laurence Senn s’assure de la protection du

personnel soignant : « Au début, face aux images des professionnels d’autres pays en combinaison intégrale – équipement utilisé notamment dans la lutte contre le virus Ebola –, nos professionnels ont ressenti une inquiétude légitime. Le choix des équipements de protection s’est appuyé sur les modes de transmission du virus, qui sont identiques à ceux du virus de la grippe : principalement par les gouttelettes émises lors de toux ou d’éternuements et par contact avec des surfaces ou des objets contaminés, et plus rarement par aérosol lors de soins spécifiques sur les voies respiratoires. Ce choix a été discuté au sein de Swissnoso, le centre national de prévention des infections. » Rapidement, à côté de ce travail de coordination au niveau national via le réseau Swissnoso et le suivi de la situation sur le terrain, la charge

ERIC DÉROZE

Cent trente étudiants HES de la filière Soins infirmiers ont été appelés en renfort pour le centre de dépistage Bugnon 21.


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de travail explose pour cette petite équipe. « Nous avons été obligés de mettre en place une hotline pour répondre à toutes les questions des équipes, avons multiplié les vidéos d’information sur le comportement à adopter et régulièrement mis à jour la directive de prise en charge des patients infectés. Il était essentiel de pouvoir être au plus proche des équipes, car leurs demandes étaient très concrètes et survenaient au fur et à mesure : comment gérer les corps de personnes décédées, que faire avec de nouveaux modèles de masques qui ne conviennent pas à tout le monde, etc. » C’est au prix d’un énorme effort collectif que l’institution a toujours pu maintenir un pas d’avance sur la progression de l’épidémie. « Évidemment, les choses auraient été encore plus

difficiles si nous avions dû affronter une vague encore plus importante de cas, dit Laurence Senn. Le confinement a été selon moi bien orchestré : ni trop tôt ni trop tard en regard de la situation locale. Au vu de ce qui se

le sait que trop bien : les précautions ne servent pas à grand-chose si elles ne sont pas maintenues dans la durée : « Chaque semaine amène son lot de nouvelles questions. Mais ces dernières semaines nous ont appris quelque chose d’essentiel : il est possible de changer le visage de notre hôpital et de notre quotidien en quelques jours. Je ne doute pas que nous saurons nous adapter à ce que le futur nous réserve, mais le plus important aujourd’hui est de continuer à appliquer les mesures de protection : ne lâchons rien ! » /

LAURIANNE AEBY

/ Ce dont on peut être sûr, c’est que l’image de la médecine toute-puissante est à jeter aux oubliettes.  / passait en Italie du Nord, la population avait compris qu’il fallait prendre des mesures immédiatement. » La notion de timing est en effet primordiale pour la spécialiste. Elle ne

La collaboration entre tous les services cliniques a permis d’absorber les pics d’activité et les arrivées simultanées de patients. 13


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LA COURSE AUX TRAITEMENTS Comment faire vite sans pour autant sacrifier la rigueur scientifique ? Un exercice d’équilibriste pour des centaines de chercheurs en Suisse. TEXTE :

BLANDINE GUIGNIER

E

n mai 2020, une centaine d’investigations en lien avec le Covid-19 étaient en cours en Suisse. Ces recherches, qui impliquent des patients, ont été lancées en l’espace de quelques semaines. Une avalanche de projets qui traduit une réaction exceptionnelle à la pandémie de la part des chercheurs. « Au CHUV, nous avons reçu plus de 50 propositions en un mois », annonce Marc Froissart, directeur du Centre de recherche clinique.

INTERVENTIONNEL OU OBSERVATIONNEL ?

Les études interventionnelles sont thérapeutiques : elles représentent un gain direct pour le patient. Les recherches observationnelles, quant à elles, visent à mieux connaître le virus et ses effets. Dans le cadre du Covid-19, les deux types de recherche sont menés au CHUV, avec une priorité pour les premières. « La priorité doit toujours rester la prise en charge des malades. » Le groupe de travail présidé par Benoit Guery, médecin-chef au Service des maladies infectieuses du CHUV, a établi des priorités. « Nous avons priorisé les études interventionnelles ou thérapeutiques, qui représentent un gain direct pour le patient » , souligne-t-il. Le vaste projet Solidarity a ainsi été sélectionné, tout comme la recherche Coron-Act (lire encadré). Pour déboucher sur des résultats convaincants, ces recherches doivent être menées sur des milliers de patients, dans des conditions différentes, pendant toute la durée de la pandémie, précise le chercheur Oriol Manuel, qui coordonne Solidarity au niveau suisse. « Plusieurs mois seront nécessaires avant de publier les résultats finaux. L’OMS ambitionne toutefois d’analyser les données en continu, pour aider à la prise en charge le plus rapidement possible de la population mondiale en cas de résultats préliminaires positifs. »

/ Les données recueillies devraient être utiles en cas de deuxième vague. /

Afin de gérer cet afflux, le CHUV a créé un groupe de travail spécifique. « C e groupe analyse et valide l’ensemble des projets de recherche, qui sont ensuite soumis à la Commission cantonale d’éthique de la recherche sur l’être humain, détaille Manuel Pascual, vice-doyen de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. L’objectif est d’éviter les doublons ainsi que tout problème logistique ou éthique. » Il s’agit par exemple d’empêcher que trop de prélèvements de sang ne soient réalisés sur le patient ou que le personnel soignant soit surchargé. 14


FOCUS

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DEUX EXEMPLES DE RECHERCHE

Orage de molécules Autre projet sélectionné par le CHUV : la recherche Coron-Act. « Cette étude, réalisée avec l’Hôpital de l’Île à Berne, analyse l’efficacité de la molécule Tocilizumab, relève Marc Froissart. Cette dernière prévient une aggravation secondaire du Covid-19 survenant généralement vers le 7e jour de la maladie. » Le volet suisse de Solidarity est coordonné par Le système immunitaire réagit alors très forteOriol Manuel, médecin chercheur au Service des ment, provoquant un « orage de cytokines » (soit maladies infectieuses et au Centre de transplanune sécrétion excessive de ces molécules natureltation d’organes du CHUV. « Le but de l’OMS est lement produites par les cellules du système immude pouvoir mener cette recherche dans des nitaire), entraînant souvent un syndrome de détresse contextes différents, qu’il s’agisse de pays en respiratoire aiguë. pleine crise sanitaire ou ayant déjà passé le pic de l’épidémie, d’États riches ou en développement ; mais aussi dans tout type d’institutions, d’hôpitaux de campagne comme de centres universitaires. » Depuis fin avril, chaque nouveau malade hospitalisé dans un des 17 centres participants en Suisse est inclus dans l’étude, sous réserve qu’il ait donné son consentement.

HEIDI DIAZ

Épidémie globale, réponse globale : l’Organisation mondiale de la santé a lancé le projet de recherche Solidarity pour tester quatre traitements possibles au Covid-19 : le remdesivir, la l’hydroxychloroquine, ainsi que deux combinaisons aux noms tout aussi compliqués (lopinavir/ritonavir et lopinavir/ritonavir avec interferon beta-1a).

De nombreux projets de recherche en lien avec le Covid-19 ont été lancés au CHUV, mais la priorité a toujours été la prise en charge des patients. 15


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Des études dites observationnelles (autrement dit, sans intervention sur le patient) ont aussi été validées, mentionne Benoit Guery. « L’accent a été mis sur cinq aspects fondamentaux : l’analyse de la coagulation, celle de la réponse immunitaire, celle du microbiote intestinal, la susceptibilité génétique ainsi que la réponse anticorps. » Si les recherches thérapeutiques ne donnent rien, il sera en effet crucial de pouvoir revenir à celles servant à mieux comprendre le virus et ses effets. Conçus en dehors du centre hospitalier, des projets sur les effets sociétaux du coronavirus figurent également dans la liste des projets de recherche. Ils s’intéressent par exemple au rôle de la technologie dans la lutte contre l’isolation sociale des aînés.

Une épreuve de vitesse La recherche clinique en temps de Covid-19 se différencie par la multiplicité des sujets aussi bien que par la rapidité d’action qu’elle requiert. « Mettre sur pied des études en un mois, sans baisser les exigences de qualité, relève de l’exploit, se félicite Marc

CES SCIENTIFIQUES QUI MURMURENT À L’OREILLE DES POLITICIENS

Des experts en épidémie influencent les décisions du pouvoir exécutif, même si les convictions politiques demeurent. Estimant que les autorités ignoraient leurs alertes, plusieurs scientifiques suisses ont critiqué la gestion du début de l’épidémie début mars, à l’image du directeur du laboratoire d’épidémiologie digitale de l’EPFL, Marcel Salathé. Il a notamment plaidé sur Twitter et dans la presse pour l’instauration de tests à large échelle. Pour mieux intégrer les avis du monde de la recherche, le Conseil fédéral a finalement créé un comité consultatif scientifique fin mars, composé de spécialistes des hautes écoles suisses, dont Marcel Salathé. Au niveau cantonal également, des experts médi-

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Froissart. Pour programmer des essais cliniques, neuf mois à un an sont normalement nécessaires, qu’il s’agisse notamment de la rédaction d’un protocole, de l’identification des sites participants, de la recherche de financement ou de la consultation des autorités compétentes (Swissmedic, commission d’éthique). » Si l’épidémie venait à ralentir, les données recueillies devraient être utiles en cas de résurgence de petits foyers de contagion, d’apparition de virus similaires ou de deuxième vague. Le lancement de recherches cliniques devrait également profiter de l’expérience accumulée et gagner en efficacité. « Nous proposerions par exemple une étude observationnelle avec plusieurs volets : sous un même chapeau, nous aurions différentes approches d’investigation, affirme Marc Froissart. Cela permettrait de rendre la recherche plus solide sur un plan méthodologique, de gagner du temps sur les aspects réglementaires et de ne présenter qu’un seul formulaire de consentement au patient. » /

caux tiennent au courant les pouvoirs exécutif et législatif. Les membres du bureau élargi du Grand Conseil vaudois ont par exemple suivi une visioconférence avec Thierry Calandra, chef du Service des maladies infectieuses du CHUV. « Cette information de première main nous a permis de mieux comprendre les bases scientifiques des décisions prises par le Conseil fédéral et leur mise en application par le Conseil d’État, souligne Sonya Butera, présidente ad interim du parlement vaudois. Cela fut également l’occasion pour certains députés d’écarter des informations erronées qu’ils avaient pu lire, sur les réseaux sociaux notamment. » Cette collaboration renforcée entre politique et médecins se révèle indispensable en présence d’un phénomène inconnu et complexe tel que le Covid-19, selon le politologue de l’Université de Genève Pascal

Très actif sur Twitter pendant la pandémie: le chercheur de l’EPFL Marcel Salathé.

Sciarini. « Dans l’élaboration des lois fédérales, les experts siégeant dans les commissions extraparlementaires jouent déjà en temps normal un rôle déterminant. » Les spécialistes n’ont toutefois pas vocation à remplacer l’arbitrage politique. « Après que les médecins eurent été omniprésents les six premières semaines dans les médias et les esprits, d’autres expertises – économique, psychologique, sociologique – se sont fait entendre. Et le jeu politique, en s’appuyant notamment sur ces autres analyses, a repris le dessus. » La preuve : la décision de rouvrir les boutiques et restaurants dès le 11 mai se base sur des considérations économiques.

ROEL FLEUREN

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INTERDICTION DE TOUCHER Les gestes les plus anodins peuvent favoriser la propagation du coronavirus. Designers et start-up cherchent à réinventer les objets du quotidien.

COMMENT ÉVITER DE TOUCHER LES POIGNÉES DE PORTE MATERIALISE Prise pour l’avant-bras en plastique

NCONCEPTS Petit crochet qui se substitue à la main

TEXTE :

AUDREY MAGAT

SKOON Bague coulissante qui distribue du désinfectant

L

es campagnes de lutte contre le Covid-19 visent à réduire les contacts pour limiter la transmission du virus, bouleversant ainsi les modes de salutation. Ainsi, des alternatives à la bise ou à la poignée de main apparaissent, telles que le salut par un mouvement de tête entendu, un geste de la main ou encore le « thai wai », inclinaison du corps inspirée des cultures asiatiques. D’autres solutions gardent encore une légère forme de contact, à l’instar du coup de pied ou de coude, technique notamment adoptée aux États-Unis par les candidats Joe Biden et Bernie Sanders en campagne pour l’investiture démocrate. Pour les paiements, une solution existe : l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a ainsi invité la population à limiter l’usage de l’argent liquide et à privilégier les paiements sans contact. Mais d’autres gestes et objets quotidiens doivent être réinventés.

Repenser les objets du quotidien « L a crise modifie aussi notre rapport aux objets environnants, constate Stéphane Halmaï-Voisard, 17

responsable du Bachelor en design industriel à l’ECAL. Un marché de petits outils d’aide, de prothèses se développe, parfois même personnalisables comme les masques. » Depuis le début de la crise sanitaire, les entreprises redoublent de créativité pour offrir des solutions non tactiles. Par exemple, la société belge Materialise spécialisée dans l’impression 3D distribue gratuitement les plans de son dispositif en plastique qui, fixé à la poignée de porte, offre une prise pour l’avant-bras. En France, la start-up NConcepts a créé un petit crochet se substituant à la main, et la société Skoon a conçu une bague coulissante sur la poignée de porte qui dépose du désinfectant à chaque ouverture et fermeture. La start-up fribourgeoise Rovenso a, quant à elle, adapté un robot de surveillance nocturne pour lui intégrer une option de désinfection des espaces par rayons UV. « Les prototypes actuels un peu archaïques seront optimisés par les designers, qui intégreront probablement ces dispositifs à des objets utiles du quotidien comme le porte-clés, ajoute le professeur de design. Mais l’enjeu principal sera d’assurer l’hygiène tout en évitant la surconsommation de dispositifs jetables », dit Stéphane Halmaï-Voisard. /


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L’OMS : L’ÉTERNEL BOUC ÉMISSAIRE L’Organisation mondiale de la santé est critiquée pour avoir relayé les positions chinoises minimisant la transmissibilité du virus. La crise actuelle va-t-elle l’affaiblir, ou entraîner une réforme de ses structures ? Explications. TEXTE :

ROBERT GLOY

Comme un symbole : le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, semble s’incliner devant le président chinois, Xi Jingping, lors d’une visite fin janvier.

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de l’organisation, soit environ 20% de son budget, pour qu’une étude indépendante examine le rôle de l’OMS dans la « mauvaise gestion » de la pandémie (ndlr : le 29 mai, le pays a annoncé qu’il arrêtera toute participation au budget de l’OMS). S’agit-il seulement d’une manœuvre du président américain pour cacher ses propres manquements ? Depuis les déclarations de Donald Trump, des pays comme l’Australie ont également publiquement

NAOHIKO HATTA / AFP

C

omme à son habitude, le président américain, Donald Trump, a lâché ses vérités sur le réseau social Twitter. Le 7 avril, il déclare que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est « vraiment plantée » dans sa gestion de la crise du Covid-19, lui reprochant également d’avoir été du côté de la Chine. Après la critique viennent les sanctions. Quelques jours plus tard, il suspend la contribution des États-Unis au financement


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remis en cause la gestion de l’OMS, sans toutefois suspendre leur contribution financière. Plusieurs articles de presse ont par ailleurs démontré comment le gouvernement chinois avait su imposer son rythme aux décisions prises par l’OMS au début de la pandémie. Une enquête du journal Le Monde du 27 avril révèle plusieurs pistes accablantes. Entre le moment où les autorités chinoises ont informé l’OMS de la présence d’une nouvelle forme de coronavirus sur son sol le 31 décembre dernier et le moment où l’institution déclarait l’état de pandémie mondiale le 11 mars, le gouvernement central a tenté de dédramatiser la situation et aurait réussi à influencer les prises de décision de l’OMS. Un exemple : à la mi-janvier, alors que des preuves de transmission du virus de personne à personne existent déjà, l’OMS publie une étude chinoise affirmant le contraire. Le pays aurait ainsi réussi à repousser la déclaration du Covid-19 comme « urgence sanitaire prioritaire de portée internationale » jusqu’au 31 janvier.

Affront diplomatique Plusieurs articles ont également dénoncé une certaine complaisance de la part du directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, vis-à-vis du gouvernement chinois. Lors d’une réception au Palais du Peuple le 28 janvier, il louait l’efficacité et la vitesse avec lesquelles les autorités locales avaient réussi à endiguer la propagation du virus. Il mettait aussi en avant la transparence de la Chine dans le partage des informations. Néanmoins, deux mois plus tard, le pays devait admettre que ses chiffres sur le nombre de cas avaient été largement sous-estimés. Par ailleurs, plusieurs médecins, journalistes et activistes chinois ont été arrêtés depuis le début de la crise sanitaire, soit pour avoir « lancé des rumeurs » sur le danger du coronavirus, soit pour avoir critiqué le régime pour sa gestion de la crise.

L’OMS EN CHIFFRES

1948

Année de fondation

/

194

Nombre de pays membres

/

7 000

Nombre de salariés dans le monde répartis sur 150 bureaux. Le siège de l’organisation se trouve à Genève.

/

531 MILLIONS En dollars, la contribution de la Fondation Bill & Melinda Gates, le plus grand donateur privé.

LA CHINE PEU GÉNÉREUSE En millions de dollars, contribution (fixée* + volontaire) au budget de l’OMS 2018–2019

86 MILLIONS 893 MILLIONS

ÉTATS-UNIS L’OMS est-elle sous l’emprise de la Chine ? Le pays a bien renforcé son poids au sein de l’organisation depuis l’épidémie liée au virus SRAS en 2003*, estime Laurence Boisson de Chazournes, professeure de droit à l’Université de Genève. « À l’époque, la Chine n’avait pas encore la place sur la scène internationale qu’elle occupe aujourd’hui, explique-t-elle. L’OMS avait alors vivement critiqué le pays dans sa dissimulation de l’ampleur de l’épidémie à la communauté internationale et dénoncé sa mauvaise gestion de la crise sanitaire. Le gouvernement chinois l’a pris comme un affront diplomatique. » C’est à partir de 19

CHINE

*La contribution fixée est calculée sur la base du PIB.

SOURCE : OMS

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ce moment que le pays s’est mis à peser davantage sur les décisions de l’organisation, afin d’éviter une nouvelle humiliation publique. Dans ce contexte, la Chine a aussi augmenté sa contribution financière au budget de l’OMS, avec par exemple une hausse de 52% de ses contributions depuis 2014 pour atteindre 86 millions de dollars aujourd’hui.


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Selon Laurence Boisson de Chazournes, les organisations internationales telles que l’OMS reflètent l’équilibre géopolitique : ces vingt dernières années, la Chine a étendu son influence dans de nombreux domaines économiques et politiques. Cette part grandissante se fait au détriment des États-Unis qui, depuis l’élection de Donald Trump, ne sont plus dans une optique de soutien aux organisations internationales. « Il ne faut pourtant pas en conclure que l’OMS fait tout ce que la Chine dit », estime-t-elle.

Un budget dérisoire La spécialiste rappelle également que les critiques vis-à-vis de l’organisation ne sont pas nouvelles. À chaque occasion, les États remettent en question sa gestion des crises sanitaires. Ainsi, en 2009, lors de l’épidémie de la grippe A H1N1 – qui a fait environ 200 000 morts dans le monde –, les États ont reproché à l’institution d’avoir qualifié trop rapidement la situation de « pandémique » et d’avoir été alarmiste. Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à la Faculté de médecine de l’Université de Genève, rappelle le pouvoir restreint de l’organisation. « Ce sont les États membres qui ont décidé que l’OMS devait être structurée comme une organisation internationale – et non supranationale. De ce fait, elle la prive d’un pouvoir de sanction et de la possibilité d’édicter des directives contraignantes (comme le font l’Organisation internationale du travail ou l’Organisation mondiale du commerce, par exemple). Elle ne peut émettre que des ’recommandations transitoires’, ce qui explique aussi que les modalités de réponse des gouvernements nationaux face au Covid-19 varient autant d’un pays à l’autre. » En outre, le budget annuel de l’OMS de 4,4 milliards de dollars limite son action – à titre de comparaison, le budget annuel du CHUV se monte à près de 1,8 milliard de francs. Néanmoins, la question d’une amélioration de l’organisation se pose régulièrement. Une étape importante a été par exemple la réforme, en 2005, du Règlement sanitaire international en réponse à la crise du SRAS. Ce règlement engage les États membres à détecter, à rapporter à l’OMS et à répondre à toute menace sanitaire de portée internationale. Parmi les pistes d’optimisation actuellement discutées, Antoine Flahault évoque une plus grande harmonisation des méthodes de recueil des données épidémiologiques pour aider à un meilleur pilotage de la crise et inspirer une plus grande confiance du public vis-à-vis des autorités pendant les périodes de crise sanitaire. 20

Mais il faudra surtout éviter une nouvelle fragmentation du paysage de la santé globale, estime Antoine Flahault : « Les crises ont récemment servi ceux qui souhaitaient l’affaiblissement de l’OMS et son démantèlement progressif au profit d’organisations internationales alternatives spécifiques, comme l’Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation (GAVI), le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme ou Onusida. » Comme après chaque crise, les États consacreront sans doute davantage de moyens à la lutte contre les virus émergents dans l’après-coronavirus : « Mais il est encore tôt pour dire si cela mènera à un renforcement de l’OMS – ou à la poursuite de sa fragmentation laissant alors une organisation plus fragile. » / *Le coronavirus SRAS a infecté plus de 8 000 personnes dans le monde entre 2002 et 2004, presque 800 en sont mortes.

OMS : UN BÉNÉFICE ÉVIDENT DANS LES PAYS PAUVRES

« L’action de l’OMS est souvent plus visible dans les pays sans système de santé public performant », explique Laurence Boisson de Chazournes, professeure ordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Genève. Parmi les exemples récents, elle cite l’épidémie liée au virus Ébola qui a frappé plusieurs pays africains depuis 2014. Ainsi, l’OMS a contribué au développement de deux vaccins (voir aussi In Vivo 19, p. 45). En République démocratique du Congo, un des pays les plus touchés par l’Ébola, l’organisation a coordonné l’ensemble des tests cliniques et a étroitement travaillé avec les autorités sanitaires locales pour lutter contre la maladie causée par le virus. Parmi les grands succès de l’OMS figure également l’éradication de la variole. Issue du virus Orthopoxvirus variola, cette maladie avait hanté l’humanité durant plus de 3000 ans, tuant presque un tiers des infectés. Au XXe siècle, la variole a provoqué environ 300 millions de victimes dans le monde, notamment dans les pays en voie de développement. C’est en pleine guerre froide, à la fin des années 1950, que la communauté internationale a décidé – grâce à la coordination de l’OMS – de vacciner les populations selon une méthode systématique et d’isoler les personnes malades dans les pays les plus touchés. En 1980, l’organisation a déclaré la disparition de la variole.


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LIVRAISON XXXL

TRANSPORT Retour sur l’impressionnante logistique d’approvisionnement mise en place durant la crise sanitaire. TEXTE : BERTRAND TAPPY COLLABORATION : ROBERT GLOY PHOTOS : ERIC DÉROZE

Très peu de temps après l’arrivée de la pandémie de Covid-19 en Suisse romande, les responsables du CHUV ont dû faire face à un manque de matériel de protection destiné au personnel. Pour cause : les fournisseurs européens habituels n’étaient plus en mesure de garantir les réserves prévues contractuellement (voir p. 7). « Nous avons donc remonté la filière jusqu’aux usines de production chinoises, raconte le chef du Département de la logistique hospitalière, Pierre-Yves Muller. Avec parfois des épisodes mémorables, comme la recherche d’un ‘tampon officiel de l’État de Vaud’, qui n’était plus utilisé depuis des années mais demeurait nécessaire pour les autorités chinoises. » Commence ensuite une série de livraisons aéroportées, dont le point culminant est sans aucun doute l’arrivée d’un Antonov An-124 sur un tarmac de Zurich presque désert avec à son bord près de 7 millions de masques de protection ainsi que 670 000 blouses à destination de la plateforme d’approvisionnement CHUV-HUG et la Direction générale de la santé du canton de Vaud.

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1/ATTERRISSAGE Il est 20h15 lorsque les quatre réacteurs d’un gigantesque Antonov An-124 se font entendre dans le ciel zurichois. À son bord, l’équivalent de 14 semi-remorques de matériel de protection. Sur l’aéroport alémanique, pas un avion ne roule, ne décolle, ou n’atterrit.

2/Le budget de l’opération ÉCONOMIE

s’élève à environ 900 000 francs « Cela peut paraître démesuré, mais il faut bien comprendre qu’un seul Antonov permet de transporter six fois plus qu’un avion classique. Même si le montant est impressionnant, il représente en fait une grosse économie », explique Pierre-Yves Muller.

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3/Cinq heures seront DÉCHARGE

nécessaires pour décharger le matériel. La cargaison représente environ deux mois d’exploitation.

4/Avant d’être acheminé vers STOCKAGE TEMPORAIRE

le CHUV, le matériel est entreposé à la plateforme logistique Plexus-Santé à Bussigny que l’établissement vaudois partage avec les Hôpitaux universitaires genevois.

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5/Le matériel arrive par ARRIVÉE

camion sur le quai de livraison du CHUV, depuis lequel il est distribué aux différents départements de l’hôpital.

6/« La suite du matériel est en PÉNURIE ÉVITÉE

train d’être acheminée par bateau, ajoute Pierre-Yves Muller. Nous n’avons jamais été en pénurie. Et pour celles et ceux qui ont travaillé d’arrache-pied depuis des semaines, c’est une grande fierté. »

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EN LECTURES

AFFRONTER SON DESTIN La littérature est fertile en situations avec lesquelles il faut composer, et qui obligent à « vivre avec ». Sélection de livres récents.

Einstein, le sexe et moi OLIVIER LIRON, POINTS, 2019

EN BREF Avance, bordel ! SAMUEL MARIE, DUNOD, 2019 304 PAGES, CHF 31.50

Sam n’avait que 20 ans lorsqu’un accident professionnel l’a rendu tétraplégique. Mais grâce à une famille (sa mère, inoubliable) et à des amis qui font bloc, et surtout à un caractère bien trempé, le voici cinq ans plus tard entamant en mobile-home un périple qui l’emmène jusqu’en Amérique et au Tibet. L’intrépide avoue préférer la difficulté : banco, avec 75 000 km et 22 pays traversés, les problèmes n’ont pas manqué. Et l’aventure, narrée avec décontraction, semble tentante en effet !

190 PAGES CHF 11.30

La faute DANIEL MONNAT, SLATKINE, 2020 317 PAGES, CHF 29.00

Olivier Liron, surdoué qui enseigne à seulement 30 ans la littérature comparée à Paris 3, souffre du syndrome d’Asperger et d’une mémoire phénoménale. Il est habité par son passé d’écolier harcelé par quantité de savoirs « inutiles » – mais qui ont fait de lui le héros du jeu télévisé Questions pour un champion et de ce roman. Gérant à la fois ses stratégies, celles de ses concurrents et celles du tournoi, il est subjugué par l’ambiance du plateau et la personnalité de son meneur : se pourrait-il que Julien Lepers, l’animateur, ne connaisse pas intuitivement toutes les réponses ? Ou ses hôtes – ne sont-ils pas là pour ça ?

Condamné à vivre, peut être aussi dur qu’être condamné à mort… C’est la leçon de philosophie qui semble se dégager de l’histoire de Michel, un étudiant en médecine genevois qui, durant la Seconde Guerre mondiale, commettra cette faute que sa vie ensuite semble ne jamais pouvoir réparer. Mais la vie, l’historien et journaliste de la RTS Daniel Monnat en est convaincu, a pour elle d’ouvrir tous les possibles que la mort semble avoir verrouillés. D’une faute, Michel fera un chemin d’existence qui l’entraînera en Biélorussie sur les traces des juifs victimes de la Shoah. La seconde mort de Lazare FRANÇOIS DEBLUË, L’ÂGE D’HOMME, 2019 223 PAGES, CHF 26.00

La compétition progresse, Olivier aussi, toujours plus à l’aise dans ses réponses, mais aussi dans ses jugements (décapants !) et ses émotions. Touchante et d’une ironie d’autant plus efficace qu’elle n’est peut-être pas toujours voulue, cette aventure est surtout d’une folle drôlerie : à travers cet érudit hors norme, la télé en prend pour son prestige.

Ces suggestions de lectures sont préparées en collaboration avec Payot Libraire et sont signées Joëlle Brack, libraire et responsable éditoriale de www.payot.ch. 25

Héros involontaire de l’un des plus sidérants épisodes de la Bible, Lazare intrigue François Debluë : ressuscité, témoin potentiel de l’Au-delà, l’ami de ce Joshua qui faisait des miracles aurait dû connaître une célébrité, une réputation unique – mais non : sitôt sauvé, sitôt oublié… Prenant le relais des évangélistes défaillants, le poète part donc à la rencontre de Lazare, déroule le fil de sa « seconde vie » volée à la tombe et péniblement vécue dans l’incompréhension intime du prodige, brossant de la vie antique en Palestine un tableau délicat, original, très humain et – malgré tout – d’une belle sérénité.


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HEALTH VALLEY

Grâce à ses hôpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spécialisent dans le domaine de la santé, la Suisse romande excelle en matière d’innovation médicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de «  Health Valley  ». Ci-dessous une représentation de la région avec son réseau de trains (en rouge) et de cars postaux (en jaune).

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HEALTH VALLEY Actualité de l’innovation médicale en Suisse romande.

ÉCUBLENS P. 28

SOURCE : SWISSTOPO SBB/CFF/FFS 11/2019 WWW.TRAFIMAGE.CH

Lunaphore reçoit 23 millions de francs.

LAUSANNE P. 30

Vérifier son état de santé en direct grâce à son smartphone.

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HEALTH VALLEY

NEUCHÂTEL P. 28

Novostia développe une prothèse valvulaire cardiaque.

YVERDON-LESBAINS P. 30

L’hôpital sera rénové et agrandi.

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START-UP CANCÉROLOGIE

Cellestia Biotech, une start-up issue de l’EPFL, a levé 20 millions de francs fin décembre pour la recherche contre le cancer. Créée en 2014 et désormais établie à Bâle, elle a développé une molécule permettant de cibler des cellules cancéreuses possédant un défaut dans leur voie de signalisation cellulaire. Cette voie de signalisation est une protéine qui permet de déterminer le lignage d’une cellule. Lorsque ces dernières sont cancéreuses, elles peuvent être responsables de certaines leucémies, de tumeurs ou encore de lymphomes.

CARDIOLOGIE

La start-up neuchâteloise Novostia souhaite accélérer le développement de sa technologie de prothèse valvulaire cardiaque. Elle a développé une valve silencieuse et anticoagulante qui résiste particulièrement bien au temps. Visant à améliorer le confort des personnes souffrant de dysfonctionnements des valves cardiaques, Novostia a remporté une subvention de l’Union européenne à hauteur de 2,5 millions d’euros en janvier.

ANALYSE DES TISSUS

La start-up Lunaphore a clôturé un tour de financement d’un montant de 23 millions de francs en février. La société, fondée en 2014 et basée à Écublens, conçoit des équipements de nouvelle génération pour la recherche sur le cancer et le diagnostic tissulaire. Elle développe des colorants destinés aux tissus humains permettant de mettre en évidence les protéines dans les cellules. La méthode a déjà fait ses preuves lors de tests avec des échantillons de tissus provenant de patients cancéreux. 28

HEALTH VALLEY

«  Nous avons pour objectif de devenir l’Apple de la nutrition.  » CHRIS RINSCH CEO D’AMAZENTIS, UNE START-UP COFONDÉE, ENTRE AUTRES, AVEC L’ANCIEN PRÉSIDENT DE L’EPFL PATRICK AEBISCHER. ELLE EST SPÉCIALISÉE DANS LE DÉVELOPPEMENT DE NOUVELLES FORMES DE NUTRITION. AINSI, LA START-UP VA LANCER, DÈS CE PRINTEMPS AUX ÉTATS-UNIS, TIMELINE, UNE POUDRE QUI RALENTIT LE VIEILLISSEMENT MUSCULAIRE.

Registres des cancers

L’OBJET

UN DÉTECTEUR DE DOPAGE AMÉLIORÉ Une équipe du Laboratoire suisse d’analyse du dopage (LAD) a développé une méthode simple, rapide et moins onéreuse pour les contrôles sanguins destinés aux athlètes. Cette dernière ne nécessite qu’une goutte de sang, prélevée sur le doigt ou le bras, au lieu des 4 ml habituellement prélevés. Cet échantillon peut être recueilli sur un papier buvard et n’a pas besoin d’être réfrigéré. Il est ensuite envoyé par la poste au laboratoire, où l’analyse ne prend que quelques heures. La méthode, qui doit encore être homologuée par l’Agence mondiale antidopage, pourrait être utilisée dans les compétitions d’ici à une année et demie.

PARTAGE Depuis le 1er janvier dernier, la Loi fédérale sur l’enregistrement des maladies oncologiques (LEMO), du 18 mars 2016, est entrée en vigueur. Elle oblige les médecins, laboratoires, hôpitaux et institutions de santé suisses de tous les cantons à déclarer les données relatives aux cancers diagnostiqués dans les registres cantonaux des tumeurs ou dans le Registre du cancer de l’enfant. Ces données, traitées de façon confidentielle, permettent la création de nouveaux registres censés aider les chercheurs à mieux comprendre l’origine des cancers. Elles devraient également faciliter l’élaboration de mesures de prévention et de dépistage précoce.

6,1

En francs, le montant dépensé par la population suisse en médicaments en 2019. Ce volume est en hausse de 2,8% en comparaison avec 2018.

milliards

DOM SMAZ

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Technologie médicale : cacophonie européenne La nouvelle réglementation sur les dispositifs médicaux fait craindre aux entreprises suisses du secteur un ralentissement des exportations vers l’Europe.

MICHAEL SCHNEEBERGER, ISTOCK

MEDTECH Entre 2010 et 2012, l’Europe a fait face à deux scandales de taille : des implants mammaires constitués de silicone de mauvaise qualité et des prothèses de hanche en métaux toxiques ont dupé les organes de contrôle et mis gravement en danger la vie de milliers de patients. Pour mieux protéger les consommateurs, l’Union européenne (UE) a réagi en révisant sa réglementation sur les dispositifs médicaux. Son entrée en vigueur était prévue pour le 26 mai, mais en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19, l’UE l’a reportée à une date ultérieure. La nouvelle réglementation couvrira désormais aussi les produits à but esthétique et sans finalité médicale comme les lentilles de contact fantaisistes. Cependant, cette nouvelle réglementation inquiète les quelque 1500 entreprises suisses de la technologie médicale (medtech) qui exportent leurs produits vers les pays de l’UE. La région lémanique, berceau des medtechs suisses, est particulièrement concernée. Inquiétudes pour les start-up Dans le but de garantir l’efficacité médicale et l’absence de danger, la nouvelle réglementation requiert plus de tests pour obtenir la certification européenne nécessaire à l’exportation vers l’UE. Cette mesure apporte des garanties aux consommateurs, mais va engendrer des coûts considérables et demander du temps aux entreprises – suisses comme européennes –, qui doivent désormais démontrer la fiabilité de leurs produits avant et après leur commercialisation. Selon Danuta Cichocka, directeur de la société membre du Biopôle de l’EPFL d’identifiants d’antibiotiques Resistell, les coûts associés à la mise en conformité dépasseront probablement les capacités financières des petites entreprises. « Les start-up devront s’associer aux grands groupes à un stade beaucoup plus précoce qu’auparavant. » 29

TEXTE : YANN BERNARDINELLI

EN HAUT : CLAUDE JORIS, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ASSOCIATION BIOALPS ; AU CENTRE : UNE HANCHE ARTIFICIELLE ; EN BAS : UN IMPLANT MAMMAIRE.

Pour Claude Joris, secrétaire général de l’association de promotion des sciences de la vie BioAlps, une des grandes conséquences de cette réforme concerne la répercussion de ces coûts sur les prix de vente. « Devant l’incertitude de la certification européenne, un investisseur pourrait aussi être plus rassuré par la prédictibilité de la certification américaine, ce qui risque de détourner les investissements et entreprises de l’Europe », ajoute Jehan Cellier de la société vaudoise Jehan Consulting, active dans le développement de dispositifs médicaux pour les medtechs. Pas d’exode prévu Le déploiement de la nouvelle réglementation pose un risque important pour les medtechs suisses. Le nombre d’organismes notifiés – les bureaux chargés de délivrer les certifications – a drastiquement été réduit par l’UE afin de mieux les contrôler. « On assiste à une période d’attente de plusieurs mois et les entreprises européennes sont priorisées », souligne Claude Joris. Les medtechs suisses risquent de devoir attendre pour écouler leurs produits vers l’UE – une situation qui pourrait être facilitée par l’établissement d’accords bilatéraux. Or, ceux-ci sont bloqués par l’UE jusqu’à mi-2020 pour des raisons politiques. À tel point que certains craignent que la situation ne provoque un départ des medtechs du sol helvétique, à l’image de la société Wernli-Wero Swiss. Cette entreprise argovienne active dans la production de gaze a récemment annoncé le transfert de sa production vers la Hongrie à cause de « l’accordcadre manquant avec l’UE ». Toutefois, cet exemple semble être un cas isolé. En effet, les spécialistes contactés n’ont pas connaissance de cas concrets dans la région lémanique et ne croient pas à un départ des entreprises. Les raisons : beaucoup d’entre elles ont déjà une succursale européenne et l’écosystème favorable offert par la région représente un véritable atout. /


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Traiter les voies aériennes bouchées

3 QUESTIONS À

ROMAIN BOICHAT

SUBVENTION Le Dr Kishore Sandu, chef de l’unité des voies aériennes du Service d’oto-rhinolaryngologie du CHUV, a obtenu, en décembre dernier, 1,2 million de francs sur quatre ans pour ses recherches. Il s’agit de la subvention Sinergia, un programme du Fonds national suisse (FNS), qui vise à encourager les domaines scientifiques prometteurs. Cette dernière a été octroyée dans le but de soutenir la recherche du traitement de la trachéomalacie sévère, une maladie bouchant les voies aériennes lors de l’expiration. Cette recherche est menée en collaboration avec une équipe de chercheurs de l’EPFL.

IL EST LE FONDATEUR DE SOIGNEZ-MOI.CH, LA PREMIÈRE PLATEFORME DE TÉLÉMÉDECINE DE SUISSE ROMANDE. MISE EN LIGNE EN OCTOBRE 2019, CE SOUTIEN MÉDICAL PROPOSE DES CONSULTATIONS AVEC DES MÉDECINS SANS RENDEZ-VOUS, DIRECTEMENT VIA INTERNET. QUELS SONT LES AVANTAGES DE LA TÉLÉMÉDECINE EN LIGNE ?

Soignez-moi.ch évite au patient de se déplacer et d’attendre des heures aux urgences. La plateforme permet également d’obtenir un avis médical rapide lorsque son médecin est surchargé et manque de créneaux disponibles.

2

CELA POURRAIT-IL REMPLACER LES MÉDECINS TRADITIONNELS ?

Non, notre plateforme est complémentaire au médecin traitant mais ne le remplace pas, dans la mesure où on ne peut traiter que certains cas simples, comme une sinusite. Pour une fracture, il faut bien sûr consulter son médecin de famille, voire se rendre aux urgences. De plus, l’utilisation de la plateforme est limitée à quatre fois par année par patient. Un rapport électronique de la consultation peut par ailleurs être envoyé au médecin traitant si le patient le souhaite.

3

COMMENT SE DÉROULE LA CONSULTATION EN LIGNE ?

Le patient répond à un questionnaire précis qui est transmis à un médecin. Tous les praticiens exerçant sur soignez-moi.ch ont un cabinet en Suisse et exercent chez nous comme activité annexe (il y en a 11 actuellement). L’anamnèse est donc étudiée par le médecin, puis ce dernier appelle le patient pendant cinq minutes afin de vérifier qu’aucun élément important n’a été omis et il décide du traitement avec lui. Il peut prescrire une ordonnance électronique ou orienter le patient vers un spécialiste si besoin. Le service coûte 39 francs pour le traitement complet du cas alors que la simple orientation médicale est entièrement gratuite. / 30

L’APPLICATION

S’AUTORISER UN DIAGNOSTIC EN TOUT TEMPS Connaître sa pression artérielle, sa température corporelle et d’autres signes vitaux en quelques secondes et avec une précision médicale certifiée, c’est ce que propose la solution pour smartphone e-Checkup de Leman Micro Devices, basée à l’Innovation Park de l’EPFL. En fixant un minuscule capteur de 15 millimètres à l’arrière de son smartphone et grâce à une application, elle permet de vérifier différentes données médicales à tout moment et de façon instantanée. L’objet que l’on transporte toujours sur soi se transforme ainsi en accompagnateur médical.

Hôpital agrandi

RÉNOVATION Le concours d’architecture pour la transformation de l’Hôpital d’Yverdon-les-Bains a été lancé en janvier. D’un budget de 230 millions de francs, le projet prévoit la rénovation et l’agrandissement du site allant jusqu’à doubler la surface actuelle. Le lauréat du concours sera déterminé au cours du premier trimestre 2021. Les travaux d’agrandissement devraient s’échelonner jusqu’en 2025. Le but de la démarche est de rassembler l’offre hospitalière sur un site principal et de garantir à la population un service de qualité.

CHRISTOPHE SENEHI

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2. L’arrivée de nouveaux moustiques

1. La réapparition d’anciennes maladies Le permafrost peut libérer de grandes quantités de gaz à effet de serre enfouies en fondant. Ces sols gelés contiennent aussi des virus piégés dans le froid depuis parfois des millénaires. En effet, comme ils peuvent survivre au moins 30 000 ans, les virus peuvent ressurgir de façon inattendue. Ainsi, la Russie a récemment enregistré 24 cas de la maladie du charbon, appelée aussi anthrax. Cette maladie avait pourtant disparu depuis des décennies dans la péninsule de Yamal, lieu où sa réapparition a été remarquée.

En Occident, certaines maladies tropicales transmises par les moustiques comme la fièvre jaune, le virus Zika ou la dengue pourraient devenir une réalité. Avec le réchauffement climatique, les températures croissantes permettent la survie d’espèces de moustique jusqu’alors impossible à cause du froid. Au XXIe siècle, près d’un milliard de personnes supplémentaires pourraient ainsi être exposées à ces maladies. Le plus inquiétant de ces insectes, le moustique tigre, originaire d’Asie, est particulièrement résistant et capable de s’adapter aux régions plus fraîches. Il est vecteur d’une vingtaine de maladies infectieuses.

3. L’augmentation des allergies La hausse des températures, notamment au printemps, devrait favoriser la production de pollen avec une croissance et une floraison plus abondantes. Par exemple, la saison pollinique des bouleaux débute en moyenne deux à trois semaines plus tôt qu’il y a vingt ans en Suisse. L’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère jouerait également en faveur des plantes allergènes, en permettant une photosynthèse plus efficace. Ainsi, l’ambroisie, un végétal causant de nombreuses allergies, est une plante invasive qui risque de voir son territoire s’étendre fortement en Europe d’ici à 2050.

Comment le réchauffement climatique affecte la santé Que risquons-nous au-delà de la dégradation de nos habitats ? Présentation de trois dangers potentiels.

Incubateur primé STEVE GSCHMEISSNER/SCIENCE NICOLAS SPUHLER/STARTLAB PHOTO LIBRARY

DISTINCTION L’incubateur Startlab, basé au sein du parc scientifique Biopôle à Lausanne, a été désigné parmi les 20 meilleurs incubateurs de biotechnologies en Europe en octobre dernier. C’est le seul représentant suisse du classement, en majorité belge, allemand et britannique. La communauté héberge 50 entreprises, 25 groupes de recherche et 1200 start-up innovantes et actives dans le domaine des sciences de la vie, leur faisant ainsi bénéficier des ressources nécessaires pour réussir – qu’il s’agisse d’un espace de laboratoire, d’un mentorat ou d’un accès à un réseau d’experts.

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ÉTAPE N° 20

GENÈVE

SUR LA ROUTE

TERAPET

À la rencontre des acteurs de la Health Valley. Nouvelle étape : Genève.

Traquer les tumeurs Terapet propose une technologie qui permet de suivre en direct les rayons utilisés pour détruire des cellules cancéreuses. TEXTE : ROBERT GLOY

En cas de cancer, les médecins ont souvent recours aux rayons X et à la radiothérapie pour détruire les tumeurs. Pour traiter les cas dans des zones difficiles d’accès particulièrement sensibles, comme le cerveau ou les yeux, les spécialistes utilisent de plus en plus des faisceaux de protons. Ceux-ci permettent un ciblage plus précis que les rayons X. Pour éviter que les protons n’endommagent du tissu sain, la start-up genevoise Terapet, fondée en juillet 2019, a développé un scanner qui permet aux médecins de suivre en temps réel et en 3D les rayons dans le corps du patient. Car aujourd’hui, les médecins se basent sur des modèles du corps du patient réalisés à base de radiographies, comme l’explique Christina Vallgren, CEO et cofondatrice. « Ainsi, ils ne savent pas exactement où vont les rayons. Avec notre scanner, il est possible de toujours administrer la bonne dose de protons à l’endroit voulu », dit-elle. Pour lancer Terapet, cette ex-chercheuse 32

du CERN s’est associée à Marcus Palm, un spécialiste en technologie de laser et également ancien membre du CERN, ainsi qu’à Raymond Miralbell, chef du Service de radio-oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève. La jeune entreprise vise un marché qui vaudra environ 3 milliards de francs en 2030, selon ses estimations : « D’ici là, plus de 300 000 patients seront traités avec de la protonthérapie tous les ans, ajoute-t-elle. À cette même date, plus de 600 établissements médicaux vont proposer ce type de service dans le monde, contre un peu plus de 100 aujourd’hui. » Depuis sa création, Terapet a reçu de nombreux prix et a été placée dans le Top 10 de la Swiss Innovation Challenge de 2019. Soutenue par le CERN et Innosuisse, la start-up veut lever 1 million de francs d’ici à l’été pour le développement d’un prototype qui sera ensuite testé dans différents laboratoires. La commercialisation du produit est prévue pour 2024. /


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OUTBREAK – L’HISTOIRE VRAIE

BENOÎT DUBUIS Ingénieur, entrepreneur, président de la Fondation Inartis et directeur du Campus Biotech inartis.ch republic-of-innovation.ch healthvalley.ch

TEXTE : BENOÎT DUBUIS

ETER SOREL/WARNER BROS/PUNCH PRODS/MOVIEDTILLSDB

Cette fois, nous y sommes ! Il y a vingt-cinq ans presque jour pour jour, le colonel Gut me demandait ce que je pensais du film Outbreak – Alerte en français –, qui venait de sortir et qui avait pour cadre un village du Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo) ravagé par un terrible virus. Tandis que les scientifiques travaillaient jour et nuit à isoler l’agent infectieux, l’armée se proposait de prendre des mesures de sécurité draconiennes. L’apocalypse présentée se termina bien grâce à la mise au point, en un temps plus que record, d’un vaccin. Le colonel Gut était le chef de l’Institut de sécurité militaire (IMS) rattaché à l’ETH de Zurich, dont la mission était notamment d’analyser et d’évaluer En 1995, le réalisateur allemand Wolfgang Petersen les risques dans les différents domaines d’armes et d’effectuer le suivi des nouvelles tendances dans les montre dans son film Outbreak comment un virus transmis par l’air peut frapper les États-Unis. technologies militaires. Pour ma part, j’étais responsable de l’évaluation des armes chimiques et biologiques dans un contexte de ratification par la Suisse entrés dans cette pandémie de Covid-19, je ne peux de la Convention sur l’interdiction de la mise au me distancier de l’impression que m’a laissée ce film point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi de ces armes et sur leur destruction conclue à Paris et quand je me lève le matin, j’apprécie la douceur du printemps et m’interroge sur la réalité de la situation. en 1993, mais également de l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo. Oui, cette fois, nous y sommes. Espérons qu’à la date J’allais donc visionner ce film. Au-delà du scénario, de publication de cet article, nous serons sortis de ce qui est d’ailleurs très proche de celui de nombreux contexte. Restera le fait que la réalité a dépassé la fiction en nous montrant l’importance de l’anticipation, de la autres thrillers et films catastrophe, il mettait en préparation, de l’accessibilité à des ressources de crise, jeu un casting intéressant, rendait grâce à des que ce soit en termes humains ou matériels et nous spécialistes valeureux, compétents, mais surtout faisant réfléchir sur notre fragilité et l’importance de il jetait un regard cru sur notre fragilité par la solidarité. Trop souvent, nous rions des politiques de rapport à une épidémie (qui ne devint jamais pandémique) incontrôlable qui menaçait poten- préservation de capacités de production nationales, nous nous offusquons contre le coût de la gestion de stock, tiellement l’humanité. nous négligeons l’anticipation de problématiques jugées improbables. Nous avons su mesurer leur importance, C’était de la fiction, concluions-nous pour évacuer le réalisme du risque que ce cauchemar sachons nous en souvenir et privilégions l’anticipation à la réaction, la voyant non pas comme un coût, mais comme un ne devienne réalité. Depuis que nous sommes investissement. C’est dans cette optique que nous avons créé le site Business Continuity Resource afin de nous assurer de pouvoir toujours accéder aux ressources nécessaires à la continuité des opérations économiques et institutionnelles de notre pays… quelle que soit la situation. / 33


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CONFINEMENT ARMÉ Une scène digne du Far West américain : en pleine période de confinement lié à la pandémie de Covid-19 : la propriétaire d’un bar dans l’État du Texas a décidé de rouvrir son enseigne en dépit de l’interdiction. Lorsque la police est arrivée pour imposer la fermeture de l’établissement, plusieurs hommes armés sont venus à la rescousse de la propriétaire. La confrontation s’est soldée par sept arrestations. Aux État-Unis, le pays le plus touché par la pandémie de Covid-19 plus de 100 000 morts fin mai, les mesures de confinement décrétées par les autorités révèlent une fois de plus les fractures au sein de sa société. Depuis le début de la crise sanitaire, plusieurs dizaines de manifestations, dont la plupart impliquant des partisans du président Donald Trump, se sont déroulées à travers le pays pour exiger la fin des mesures de confinement et la réouverture de tous les commerces – allant parfois jusqu’à l’excès. Un autre exemple : fin avril, un groupe armé a pénétré dans le parlement de l’État du Michigan pour faire entendre ses revendications. PHOTO : ELI HARTMAN/KEYSTONE

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GLOBE

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BOSTON Parce que la recherche ne s’arrête pas aux frontières, In Vivo présente les dernières innovations médicales à travers le monde. Nouvelle étape à Boston dans le Massachusetts.

8,8 milliards UN IMPLANT AUDITIF SOUPLE

LES PAGES «  GLOBE  » SONT RÉALISÉES EN PARTENARIAT AVEC SWISSNEX.

Plus de 450 millions de personnes dans le monde présentent une déficience auditive handicapante. Les prothèses auditives actuellement sur le marché ne répondent qu’à moins de 10% des besoins. Une équipe américaine, en collaboration avec des chercheurs de l’EPFL, veut donc les améliorer en y intégrant des matériaux souples. La plaque d’électrode est encapsulée dans une membrane de silicone, puis munie d’une petite tige rigide afin de l’implanter au plus profond de l’oreille interne.

Le coûteux impact de la junk food

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En dollars, le total des investissements de capital-risque injectés dans les start-up de Boston et de sa région métropolitaine en 2019, dont une large majorité de start-up actives dans les technologies médicales. Selon le cabinet d’audit PwC, il s’agit du second plus haut montant atteint dans l’État du Massachusetts (10 milliards en 2018). Boston figure ainsi à la troisième place des régions attirant le plus les investissements derrière la Silicon Valley (47 milliards) et New York (17 milliards). Les trois régions combinées enregistrent près des trois quarts du montant total des investissements au niveau national.

SANTÉ PUBLIQUE Les conséquences liées à une mauvaise alimentation coûteraient annuellement 50 milliards de dollars, soit près de 20% des frais de santé au niveau national. La charge économique annuelle liée aux maladies cardiovasculaires et qui touchent le métabolisme s’élève à environ 300 dollars par personne, selon une étude menée en décembre dernier par des chercheurs du Brigham and Women’s Hospital (BWH) dans la périphérie de Boston. La faible consommation de noix, de graines, de fruits de mer et l’abondance de consommation de viande transformée sont les principaux facteurs de cette charge.

JPM / CULTURA CREATIVE / CULTURA CREATIVE VIA AFP

L’OBJET


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GLOBE

L’Obamacare fait de la résistance La révision du système de santé américain promulguée par Barack Obama célèbre ses 10 ans. Malgré une hausse du nombre d’Américains assurés, ce projet est régulièrement remis en cause.

ALEXIS C. GLENN/UPI/NEWSCOM

SANTÉ UNIVERSELLE Près d’un adulte américain sur trois n’est pas allé se faire soigner au cours de l’année écoulée en raison des coûts de prise en charge médicale. Dans le même temps, les États-Unis ont dépensé 17% de leur PIB pour des soins de santé contre 12% en Suisse, selon l’OCDE. Cela représente l’équivalent d’environ 10 000 dollars par habitant. Pour résoudre cette crise médicale et sociale, le Patient Protection and Afforable Care Act (ACA ou plus couramment appelé « Obamacare ») est promulgué par le président Barack Obama en 2010. L’objectif : obliger les Américains à s’assurer sous peine de payer une taxe proportionnelle à leurs revenus. Pour ce faire, l’offre Medicaid (destinée aux faibles revenus) a été élargie (en abaissant le seuil salarial) et une bourse aux assurances a été créée afin de proposer des produits adaptés à chacun. Pour l’heure, ce système affiche de bons résultats : six États et la capitale, Washington, dans le district de Columbia, comptent désormais 95% d’assurés au sein de leur population.

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Une mesure inconstitutionnelle « Au niveau social, l’Obamacare est une réussite, mais d’un point de vue politique, le constat reste mitigé », souligne Jonathan Gruber, professeur d’économie au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et architecte de ce système de santé. Un constat qui résulte de l’acharnement des Républicains envers cette proposition venue de l’ancien président démocrate. Dès son élection à la Maison-Blanche, Donald Trump s’est empressé de dénoncer le système sur fond de lutte partisane. Un juge de district de l’État du Texas a même qualifié le mécanisme « d’inconstitutionnel », menaçant ainsi son retrait. On compte également une dizaine d’États qui n’ont pas encore ratifié l’Obamacare. Les attaques du Parti républicain n’ont rien de surprenant, au contraire celles des candidats démocrates à la prochaine présidence étonnent. Notamment le favori des sondages Bernie Sanders, qui qualifie l’Obamacare de « système de santé truqué et corrompu ». Selon Jonathan Gruber, les républicains et Donald Trump réussissent à affaiblir la loi mais vont avoir du mal à l’abroger faute de majorité nécessaire. /


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Du cannabis destiné aux vétérans

JOHN STANFORD

CET EXPERT EN CAPITAL-RISQUE REVIENT SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA RÉGION DE BOSTON EN MATIÈRE DE BIOTECHNOLOGIES.

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COMMENT BOSTON EST-ELLE DEVENUE UN ACTEUR MAJEUR DE LA BIOTECH ?

À la fin des années 1970, le Conseil municipal de Boston et l’Université de Harvard ont approuvé la création d’un nouveau laboratoire. Celui-ci est devenu au fil des décennies une plaque tournante des technologies médicales et biologiques de la région. Plus de 120 universités, collègues et hôpitaux de pointe s’y retrouvent dans un espace relativement proche. L’accès facilité au capitalrisque permet aux entreprises de disposer des fonds nécessaires pour prendre des risques inhérents à la biotech.

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QUELS DOMAINES SONT LES PLUS PROMETTEURS ?

Nous entrons dans un âge d’or du domaine des sciences de la vie. L’immuno-oncologie et les thérapies géniques sont en train de changer notre manière d’imaginer les traitements. La seule interrogation concerne le flou autour des décisions politiques qui pourraient remodeler les motivations de l’industrie dans son ensemble. / John Stanford est le directeur exécutif d’Incubate, un groupe d’intérêt visant à aider les politiciens à mieux comprendre les biotech.

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LE SÉ VO LA VI IN

QUELLES SONT SES PRINCIPALES FORCES D’INNOVATION ?

Les universités créent un nombre important de spin-off qui permettent à des étudiants ou à des professeurs de continuer le développement d’une découverte scientifique sous forme d’entreprise. Le quartier de Kendall Square constitue un autre atout majeur de la ville. Il concentre des centaines de sociétés biotech. Presque tous les jours, des événements ont lieu dans le quartier afin de mettre en relation les grandes entreprises avec les talents et les investisseurs en capital-risque.

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Lutter contre les zombies DE PAUL KRUGMAN FLAMMARION, 2020

Heroin(e) UN COURT-MÉTRAGE DOCUMENTAIRE D’ELAINE MCMILLION SHELDON, NOMINÉ À LA 90E CÉRÉMONIE DES OSCARS EN 2020

Disponible sur la plateDans son dernier livre, forme Netflix, ce docuPaul Krugman, Prix mentaire de courte durée Nobel d’économie, suit le parcours de trois déconstruit et donne Américaines, une cheffe des clés de compréde brigade des pompiers, hension des doctrines une juge et une cheffe économiques de la droite de mission caritative, américaine. Le profesqui luttent contre une seur au Massachusetts épidémie d’opiacés dans Institute of Technology leur ville d’Huntington (MIT) consacre plusieurs dans l’État de Virginiepassages à la réhabilitaOccidentale. tion du programme Obamacare : augmentation des cotisations, R É OS S U hausse de l’emploi LES VID OM 0 U ES ET RONIQ AZINE.C H G C privé et baisse des A S M LE NVIVO S V E RS WWW.I temps partiels non LES LIEN souhaités.

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3 QUESTIONS À

PRESCRIPTION Pour atténuer les troubles de stress post-traumatique (TSPT) liés à la guerre, les anciens combattants ont souvent recours à des médicaments opiacés. Les vétérans se montrent ainsi particulièrement vulnérables à des surdoses d’opioïdes mortelles, selon une étude du Ministère de la santé publique. L’État du Massachusetts envisage d’intégrer prochainement le cannabis comme un traitement alternatif aux TSPT. Ce faisant, les vétérans pourraient alors se voir prescrire de la marijuana par les médecins à un prix abordable. Un projet de loi jugé satisfaisant puisque près de 83% des anciens soldats interrogés par l’association américaine des vétérans d’Irak et d’Afghanistan (IAVA) pensent que le cannabis devrait être légalisé à des fins médicales.


POST-SCRIPTUM LA SUITE DES ARTICLES DE IN VIVO IL EST POSSIBLE DE S’ABONNER OU D’ACQUÉRIR LES ANCIENS NUMÉROS SUR LE SITE WWW.INVIVOMAGAZINE.COM

MALADIES PSYCHIQUES

NAISSANCE IE* n° 3

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Prédire l’effet du médicament

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On estime qu’un Suisse sur cinq souffre de symptômes dépressifs. Pour les soigner, la plupart des patients reçoivent des antidépresseurs. Or, ces médicaments mettent plusieurs semaines à montrer des effets, et les médecins doivent souvent faire des essais avec plusieurs antidépresseurs avant de trouver la bonne combinaison qui atténuera les symptômes, tels que la tristesse ou le manque d’énergie. Une étude publiée dans Nature Biotechnology montre qu’un électroencéphalogramme (EEG) effectué chez le patient peut prédire si la sertaline, un antidépresseur fréquent, sera effectif, soit un gain de temps de plusieurs semaines. En effet, l’EEG montre un certain signal chez les patients qui répondent bien à ce traitement. Ce signal est ensuite analysé par un algorithme. Selon les chercheurs impliqués dans l’étude, cette méthode personnalisée pourra être utilisée, en Europe, dans la prise en charge psychiatrique au cours cinq prochaines années. /

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La grammaire des bébés À seulement 8 mois, les enfants savent déjà faire la différence entre les mots désignant des actions ou des objets et ceux remplissant une certaine fonction grammaticale, comme les conjonctions de subordination ou les articles. C’est ce que des chercheurs de l’Université Paris-Descartes ont démontré dans une étude. Cette aptitude les aide à avoir une structure de la langue très tôt dans leur vie et à juger l’importance des nouveaux mots qu’ils apprennent au quotidien. /

ALLERGIES IV n° 8

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Coléoptère versus pollen Entre août et octobre, les pollens d’ambroisie provoquent des réactions très fortes chez les personnes allergiques. Cette cousine du tournesol se trouve notamment aux alentours des points d’eau et des rivières, ce qui rend difficile l’utilisation de pesticides pour éradiquer la plante. Le secours pourrait venir d’un insecte : dans un article de Nature Communications, des biologistes allemands décrivent comment le coléoptère appelé « Ophraella communa » pourrait aider les allergiques. En effet, ils ont observé que, dans la plaine du Pô (Italie), il s’attaque presque à la totalité de l’ambroisie – réduisant la quantité de pollen dans l’air de 82%. En Chine, des chercheurs ont déjà introduit cet insecte dans des écosystèmes ciblés. /

*IN EXTENSO

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AUTISME : AGIR TÔT ET FORT LES TROUBLES AUTISTIQUES TOUCHENT UNE NAISSANCE SUR 100. DES MÉTHODES ORIGINALES SONT DÉVELOPPÉES POUR EN DÉTECTER LES SYMPTÔMES ET PRENDRE EN CHARGE LES ENFANTS. EXEMPLES À LAUSANNE ET À GENÈVE.

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TEXTE : CAROLE EXTERMANN

ans le film Hors Normes, les réalisateurs Olivier Nakache et Éric Toledano ont voulu apporter une vision plus juste des troubles autistiques. Ils ont engagé, aux côtés de comédiens professionnels comme Vincent Cassel, des personnes véritablement atteintes d’autisme, parfois à un degré sévère. Une nouveauté dans le monde du cinéma qui avait tendance, comme dans Rain Man, à mettre en scène des personnages autistes avec des capacités mentales spectaculaires.

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« Ces cas représentent pourtant une minorité, précise Nadia Chabane, directrice du Centre cantonal autisme (CCA) dans le canton de Vaud. La majorité possède, au contraire, un retard mental important, des difficultés à s’exprimer, ou est même dans l’impossibilité de former des phrases. » Le taux suisse se situerait entre 0,8 et 1% de la population totale. Plus d’un quart des cas présentent un trouble autistique important dès l’enfance, selon un rapport établi en 2018 par le Conseil fédéral. « Les causes précises ne sont pas élucidées, et les frontières de l’autisme sont en constante évolution, écrivent les auteurs du rapport. En revanche, nous savons aujourd’hui qu’il s’agit d’un trouble neurodéveloppemental. »

Impossibles à guérir, les troubles du spectre autistique peuvent cependant être pris en charge. Depuis quelques années, la piste de l’intervention précoce est explorée en Suisse. À Genève d’abord, en 2010, avec un premier centre consacré à cette méthode développée par les psychologues américaines Sally Rogers et Geraldine Dawson. La méthode de l’intervention précoce est fondée sur une technique comportementale basée sur le « modèle de Denver » où la prise en charge compte un spécialiste pour un enfant, à raison de 20 heures par semaine durant deux années. Le jeune patient est ainsi stimulé dans l’acquisition de compétences communicatives et sociales basiques. En 2014, un projet pilote a inclus six centres dans toute la Suisse (dont celui de Genève),


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afin de mesurer l’impact de cette approche intensive. À Lausanne, le Centre cantonal autisme est reconnu par l’assurance invalidité depuis l’an dernier et fait désormais également partie du programme, visant à étudier les effets d’un modèle d’intervention précoce intensive sur l’intégration de l’enfant.

SUIVRE LE MOUVEMENT DES YEUX « Pour optimiser ce type de dispositif, il est important de se concentrer sur le diagnostic, précise Nadia Chabane. Cela demande une collaboration étroite entre

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les pédiatres, les éducateurs et les spécialistes des troubles de l’autisme. » Si les manifestations sont diverses, les troubles du spectre de l’autisme ont pour dénominateur commun une difficulté au niveau de la communication et des interactions sociales combinée à des intérêts restreints ou à des comportements répétitifs. Une longue série d’examens permet de confirmer ce diagnostic. Des outils, tels que l’eye-tracking, ont été développés pour faciliter les recherches. Un récepteur infrarouge permet d’enregistrer ce qui capte le regard du patient lors de la projection d’un dessin

animé. « Les enfants situés sur le spectre ne s’attardent pas, comme il serait attendu, sur les échanges de regards entre les protagonistes, mais sur des objets annexes, indépendants à la compréhension de la scène sociale », explique Marie Schaer, chercheuse à l’Université de Genève et spécialiste du sujet. Une fois le diagnostic posé, l’enfant peut rejoindre un centre spécialisé dans l’intervention précoce. « Le pari est d’agir au moment où la plasticité cérébrale est la plus grande, souligne Nadia Chabane. Entre 2 et 4 ans, le cerveau de l’enfant possède une

VINCENT CALMEL/FONDATION PÔLE AUTISME

Agir au moment où la plasticité cérébrale est la plus grande : l’intervention précoce est de plus en plus souvent pratiquée chez les enfants atteints de troubles autistiques.

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capacité d’adaptation qui permet d’agir de façon efficace. » L’antenne du Centre cantonal autisme située dans le complexe hospitalier du CHUV est gérée par une équipe pluridisciplinaire et possède une capacité de dix places accueillant les enfants durant vingt heures par semaine. Similaire à une garderie ordinaire, l’espace possède pourtant quelques spécificités. Pour aider les jeunes patients à se concentrer sur une seule chose à la fois, les salles de thérapie sont particulièrement épurées. Aussi, les objets qui leur sont destinés sont visibles, mais placés en hauteur. « Cette mesure vise à stimuler la communication et apprendre aux enfants à désigner ce qu’ils souhaitent obtenir », explique Chloé Peter, psychologue pour le centre.

OBJECTIF ÉCOLE ORDINAIRE La journée s’articule autour de séances individuelles, où chaque enfant est accompagné par un thérapeute, ainsi que d’activités permettant de les aider à développer leur autonomie, notamment lors des repas. « Pour les personnes atteintes de troubles du spectre autistique, se nourrir peut s’avérer compliqué. Le rapport aux différentes textures des aliments, par exemple, constitue souvent un obstacle. Un travail sensoriel autour de la bouche et de l’oralité avant de manger permet de désamorcer cette sensibilité extrême. » Cet apprentissage de la gestion des gestes du quotidien s’accompagne de sessions individuelles avec des

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éducateurs, des psychomotriciens, ou encore des logopédistes qui agissent en étroite collaboration. L’objectif principal est de fournir des outils pour que l’enfant puisse intégrer l’école ordinaire. Le coût du dispositif se situe entre 100 000 et 150 000 francs par an et par enfant. Actuellement, l’assurance invalidité, qui a reconnu le Centre vaudois, participe au financement à hauteur de 45 000 francs par cas, le reste est pris en charge par les cantons et les communes. Si un tel montant paraît élevé, il est important de le mettre en rapport avec l’efficacité du projet. Ainsi, le Conseil fédéral mentionne dans son rapport sur les troubles du spectre de l’autisme qu’il suffirait que 2% des participants au dispositif d’intervention précoce gagnent les outils pour vivre de façon indépendante et que l’investissement soit amorti. Car la prise en charge d’un adulte atteint de troubles du spectre autistique s’évalue à 25 000 francs par mois – sur cinquante ans, cela représente un coût de 15 millions. À l’étranger, de nombreuses études témoignent de l’avantage économique de ce dispositif d’intervention précoce. Par exemple, une recherche menée par Nienke Peters-Scheffer, chercheuse en sciences comportementales à l’Université de Radboud aux Pays-Bas, montre que la mesure a permis de réaliser une économie de 1,1 million d’euros en moyenne par personne atteinte d’autisme. /

POLÉMIQUE AUTOUR DES THÉRAPIES Un article paru dans la NZZ en septembre dernier fait état des fragilités de la prise en charge précoce. C’est d’abord la capacité du nombre d’enfants pris en charge qui est mise en cause. En Suisse, seules 190 places sont disponibles en centres intensifs. Les autres auront seulement une séance de suivi d’une heure par semaine à domicile. L’accès aux centres s’avère également problématique pour les familles qui ne vivent pas à proximité et peut engendrer des coûts de déplacement importants. Plus encore, Monika Casura, experte en autisme, remet en cause dans le même article la transition du centre à l’école. Un enfant habitué à être encadré durant vingt heures par semaine par des adultes saura-t-il s’adapter à une classe de 20 enfants ? Si l’autisme fait débat, c’est également par rapport au dispositif de soutien engagé par l’assurance invalidité. En effet, d’autres formes de handicap ne bénéficient pas de ce privilège. Le psychiatre Thomas Girsberger soulève ainsi la conséquence de ce soutien : certains pédiatres orienteraient leur diagnostic vers l’autisme, dans les cas peu clairs, car les thérapies offertes sont meilleures que pour les autres troubles. Pour Marie Schaer, active dans la recherche sur ces troubles à l’Université de Genève, ces critiques méritent d’être nuancées. « La Suisse est en retard sur le plan international. De nombreuses études montrent qu’il y a un véritable retour sur investissement. À Genève, on estime pour l’instant que le coût de ce suivi intensif est amorti à partir du milieu de la 3e année scolaire si l’enfant suit un cursus ordinaire, et entre la 6e et la 7e année s’il est en école spécialisée. »


TEXTE : ANDRÉE-MARIE DUSSAULT ILLUSTRATION : URKA/KAREN ICHTERS POUR IN VIVO

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TENDANCE

LES SUISSES ACCROS AUX CACHETS

La surconsommation de somnifères, de tranquillisants et d’antidépresseurs ne touche pas seulement la population âgée. Les adolescents sont aussi concernés. Le stress est en cause. Les experts sonnent l’alarme.

ous les soirs avant d’aller au lit, Albert*, 83 ans, avale une petite pilule bleue. Sans elle, il est convaincu qu’il ne dormirait pas. Ce rituel dure depuis plus de vingt ans. Au fil des ans, son médecin a dû lui prescrire une dose toujours plus forte pour obtenir l’effet initial. « Je voudrais vraiment arriver à retrouver le sommeil naturellement, sans ce médicament qui me cause des maux d’estomac », dit-il. Mais à chaque fois qu’il a essayé d’arrêter de le prendre, les symptômes de sevrage – tremblements, tachycardie, étourdissements –, sans compter l’insomnie, étaient tels qu’il y a renoncé. L’architecte à la retraite fait partie des 350 000 personnes en Suisse recensées par l’assureur Helsana qui consomment des benzodiazépines, ces sédatifs utilisés contre l’anxiété ou les troubles du sommeil, de façon prolongée. Et qui en deviennent dépendantes après quelques semaines d’usage. Les chiffres de la dernière enquête sur la santé de l’Office fédéral de la statistique (OFS), publiés l’an dernier, vont dans le même sens : ils montrent que près de la moitié de la population âgée de plus de 15 ans prend au moins un médicament (toutes catégories confondues) chaque semaine.

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PETIT LEXIQUE DU CACHET Antidépresseur Un groupe de médicaments utilisé en psychiatrie pour traiter les dépressions. Benzodiazépine Une substance utilisée comme sédatif pour traiter les angoisses ou les troubles du sommeil. Opioïde Une substance qui calme les douleurs chroniques ou aiguës. Psychostimulant Terme générique pour désigner des substances qui ont un effet calmant sur certaines pathologies, mais aussi un effet stimulant chez les personnes en bonne santé.

Des statistiques d’autant plus inquiétantes que la tendance est à la hausse. La proportion de Suisses qui prennent au moins un médicament par semaine est passée de 39% à 52% au cours des vingt-cinq dernières années, selon l’OFS. Les femmes sont plus concernées que les hommes (55% contre 45%). Environ 5% de la population consommeraient « régulièrement » des somnifères, tranquillisants ou antidépresseurs, alors que chez les 75 ans et plus, ce pourcentage grimpe à 84%. La consommation de médicaments augmente partout, selon le rapport statistique de l’OCDE 2018, la Suisse étant la cinquième plus grande consommatrice au monde. Faut-il s’alarmer ? « Oui », répond clairement Chin Bin Eap, responsable de l’Unité de pharmacogénétique et psychopharmacologie clinique du Centre de neurosciences

LES ADOS DE 15 ANS SONT DE PLUS EN PLUS NOMBREUX À RECOURIR À DES TRANQUILLISANTS.


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TENDANCE


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psychiatriques du CHUV, notamment pour ce qui concerne la consommation élevée d’opioïdes ou de benzodiazépines chez les personnes âgées. Beaucoup d’aînés commencent un traitement aux benzodiazépines et ne le terminent jamais, observe le professeur. « Leur prescription est souvent inappropriée et abusive, faite en dehors des indications reconnues. Ils doivent être prescrits pour maximum quatre semaines, après quoi une réévaluation doit être effectuée. » Il soutient que, s’ils sont pris à moyen-long terme, arrêter peut être très difficile, ajoutant qu’en principe les médecins sont sensibles à ce danger. Markus Meury, porte-parole de l’association Addiction Suisse, rappelle que ces calmants peuvent provoquer chez les aînés d’autres problèmes, comme des troubles cognitifs, de la confusion, des pertes de mémoire, des étourdissements, des chutes ou une pseudo-démence qui les affaiblissent, entraînant une spirale vers le bas. « On a parfois l’impression que certains professionnels de la santé pensent que, comme ils sont en fin de vie, ce n’est pas trop grave de les gaver de tranquillisants. » D’ailleurs, dans plusieurs EMS, on tend à « calmer » les seniors à coups de médicaments, relève-t-il. « C’est purement une question économique. Les comprimés sont de toute façon payés par l’assurance maladie et ils coûtent moins cher que d’autres formes de thérapies. S’ils sont assommés par les cachets, moins de personnel est requis, les aînés sont plus faciles à gérer et il y a moins besoin de les sortir. » L’expert en médicaments constate par ailleurs que les ados de 15 ans sont également de plus en plus nombreux à recourir à ces médicaments. « Les filles les consomment depuis un moment déjà. Les garçons semblent les avoir découverts plus récemment. On soupçonne que le stress et la pression à l’école en sont la

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ÉPIDÉMIE D’OPIOÏDES AUX ÉTATS-UNIS La prescription incontrôlée d’antalgiques opioïdes à très large échelle à partir des années 1990, une grande pression exercée par les compagnies pharmaceutiques sur les médecins et une publicité agressive ont déclenché une grave crise des opioïdes aux États-Unis. Entraînant un nombre élevé de cas de dépendance, elle a tué 47 000 personnes en 2017 seulement. Selon une étude américaine, 8% à 12% des consommateurs à qui ces médicaments avaient été prescrits ont développé une accoutumance. Après l’introduction de mesures restrictives par les autorités, plusieurs se sont procuré les médicaments sur le marché noir ou se sont tournés vers l’héroïne ou des produits plus forts encore. Des producteurs et distributeurs d’antalgiques, ainsi que des médecins prescripteurs ont été condamnés à verser des dommages et intérêts.

cause. » Mais ce sont des hypothèses, indique-t-il, soulignant le besoin de recherches ultérieures sur les motivations des jeunes et quels produits ils consomment. FORTE POPULARITÉ DES ANTIDOULEURS

Quant aux opioïdes, ils sont souvent prescrits comme analgésiques après une opération ou lors de maladies, comme le cancer. « Mais de plus en plus, ils le sont aussi pour d’autres pathologies douloureuses, notamment des maux de dos. On remarque que la plupart des nouveaux médicaments contre les douleurs sont des opioïdes, alors qu’une étude de l’Hôpital universitaire de Berne a montré que, souvent, les non-opioïdes sont plus efficaces contre certaines douleurs », fait valoir Markus Meury, ajoutant que celle-ci a aussi relevé que les boîtes d’opioïdes sont généralement plus grandes que celles des non-opioïdes, favorisant la surconsommation, et donc la dépendance. D’ailleurs, la consommation d’opioïdes est en constante augmentation. Les médicaments les plus populaires sont les antidouleurs : 24% des personnes interrogées par l’OFS y avaient eu recours dans les sept jours précédant sa dernière enquête. Entre 1992 et 2017, leur consommation a doublé. « Nous n’avons pas encore une situation comme celle aux États-Unis (lire encadré), car un contrôle plus strict des prescriptions est exercé, et les primes d’incitation sur les ventes ainsi que la publicité sont interdites en Suisse, mais il faut rester attentif », soutient Chin Bin Eap. BANALISATION DES ANTIDÉPRESSEURS

Outre les benzodiazépines et les opioïdes, les psychostimulants, comme la Ritaline et les autres dérivés d’amphétamines, peuvent aussi créer une dépendance. Ceux-ci sont prévus pour les personnes hyperactives et/ou souffrant du trouble du déficit de l’attention ou hyperactivité (TDAH). S’il n’y a pas de risque de dépendance pour les personnes diagnostiquées TDAH, celui-ci existe


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néanmoins chez les personnes saines et/ou avec un antécédent d’abus de drogues et/ou d’alcool, explique-t-il. « Alors qu’ils calment les personnes diagnostiquées TDAH, ils stimulent les autres, augmentant la vigilance, réduisant la fatigue et permettant, par exemple, de travailler ou d’étudier plus longtemps. » Historiquement, ces médicaments ont beaucoup été utilisés par les soldats en temps de guerre, rappelle-t-il, générant de graves problèmes de dépendance. Du reste, tant les psychostimulants que les benzodiazépines et les opioïdes sont recherchés par les toxicomanes et font l’objet d’un important trafic illégal. Enfin, les antidépresseurs, très utilisés en psychiatrie et dont la consommation est en hausse depuis 2007, sont également sujets à prescription et utilisation excessives. « Il y a 30–40 ans, leurs effets secondaires étaient beaucoup plus importants et, pour cette raison, ils étaient sous-utilisés. Aujourd’hui, leur usage s’est largement répandu », affirme Chin Bin Eap. Si une dépression est modérée ou sévère, combinés à une psychothérapie, les antidépresseurs peuvent avoir des effets bénéfiques, assure-t-il. « Ils ne sont cependant pas toujours un succès. Et ils ne sont pas exempts d’effets secondaires. » En revanche, lorsque l’on a affaire à une dépression légère, il y a d’autres moyens pour la combattre, souligne-t-il. « En effet, dans bien des cas, pour se soigner, il existe des alternatives aux médicaments, lesquels ne règlent pas les problèmes, mais les anesthésient, insiste Markus Meury. Il peut s’agir de diverses psychothérapies, de l’hypnose, de l’acupuncture, de la physiothérapie, de l’ostéopathie, de remèdes naturels à base de plantes, ou encore de pratiques comme le yoga ou la ‘mindfulness’ (une technique de méditation visant à prendre conscience du moment présent). » La nette hausse du recours aux médicaments est en partie liée au vieillissement de la

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UNE MÉDECINE PLUS INTELLIGENTE QUI PRESCRIT MOINS

À l’avant-garde suisse, l’Entité hospitalière cantonale (EOC) tessinoise a lancé il y a cinq ans un projet contre la surprescription de médicaments et d’examens, dans le cadre de la campagne Smarter Medicine-Choosing Wisely, promue en 2011 par l’Académie suisse des sciences médicales. L’objectif était de promouvoir la transparence et des thérapies adaptées, en réduisant les prescriptions notamment de somnifères et d’autres interventions où les risques de surprescription sont élevés. Un logiciel a été créé pour analyser automatiquement les prescriptions faites dans les hôpitaux du canton de sorte que les professionnels de la santé puissent voir qui prescrit plus ou moins. Grâce au monitorage des somnifères, qui a concerné 45 000 patients – dont 25,5% en consommaient déjà avant leur hospitalisation –, les nouvelles prescriptions sont passées dans les dix-huit premiers mois de 7,8% à 5,7% pour se stabiliser ensuite à 5%.

population, mais d’autres facteurs sont en cause, poursuit Markus Meury. La facilité à obtenir une prescription et le fait que certains patients veuillent des solutions rapides, réclamant des médicaments, jouent aussi un rôle. « On constate chez les gens une tendance à vouloir résoudre les problèmes instantanément avec des médicaments et à ne plus tolérer les douleurs ou les inquiétudes. » La pression sociale ne permet plus de prendre le temps pour se soigner comme il le faudrait, considère-t-il. « Dans notre société où l’on a le devoir de ‘fonctionner’, ces médicaments sont ‘bons’ pour le patient, le médecin, l’employeur, l’industrie pharmaceutique », énumère-t-il. À l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), Yann Hulmann, son porte-parole, indique que, dans le cadre de sa Stratégie nationale addiction, une évaluation de la consommation de médicaments a été commandée l’an dernier. « Outre les risques pour la santé, comme c’est le cas pour d’autres formes de dépendance, l’usage problématique de calmants, de somnifères et de médicaments psychoactifs, en particulier à base d’opioïdes, peut avoir des conséquences sociales comme l’isolement, la perte d’emploi et une hausse des coûts liés à une prise en charge médicale. » Sur ce dernier point, Albert, l’octogénaire cité en début de texte, en sait quelque chose. Lors d’une hospitalisation pour une chute – vraisemblablement un effet secondaire de sa consommation quotidienne de benzodiazépines – où il s’est brisé une hanche, on lui a diagnostiqué des symptômes de la maladie d’Alzheimer, aussi potentiellement induits par l’usage prolongé de somnifères, lesquels risquent de lui créer encore d’autres soucis de santé. Un cercle vicieux dont le Vaudois est loin de sortir. /

*Prénom d’emprunt


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COULISSES

BIOLOGIE ET NUMÉRIQUE, UN DUO GAGNANT TEXTE  :

Le nouveau Centre romand de compétences en bioinformatique doit permettre de clarifier les causes de maladies, d’établir des diagnostics ou encore d’élaborer des molécules thérapeutiques.

PATRICIA MICHAUD

L

es sciences de la vie et le monde médical n’échappent pas à la déferlante des données. «  Vu leur quantité, il devient impossible de traiter ces données de manière traditionnelle, commente Nicolas Guex, qui pilote le nouveau Centre de compétences en bioinformatique (BICC) de l’Université de Lausanne. Il faut donc développer des outils capables de prendre le relais. » Comme son nom l’indique, la discipline est issue de la rencontre entre la biologie et l’informatique. Devenue incontournable en l’espace d’une dizaine d’années, elle permet de transformer une montagne de données brutes – par exemple, des millions de séquences, de pixels ou de paramètres collectés sur des millions de cellules – en données exploitables. Le big data devient ainsi smart data. « Concrètement, les

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outils numériques nous permettent de fouiller ces données, de leur donner du sens et de les rendre accessibles », explique Nicolas Guex.

En matière de recherche et d’application, le potentiel de cette pratique est énorme : compréhension des causes de maladies, établissements de diagnostics ou encore élaboration de nouvelles molécules thérapeutiques. Dans la foulée, l’intérêt pour la bio-informatique ne cesse de croître « et cette discipline se professionnalise », relève Christian Iseli, qui seconde Nicolas Guex dans ses tâches à la tête du BICC.

CYTOMÉTRIE DE FLUX Procédé permettant d’étudier de manière précise des cellules ou des bactéries.


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Convergence des compétences Inauguré en juin 2019, le BICC est né de la volonté d’utiliser au mieux le potentiel de cette nouvelle science, tout en contournant les écueils qui surviennent forcément lorsque plusieurs disciplines se rencontrent. «  La plupart des scientifiques bio-informaticien à temps partiel, s’accordent à dire qu’il n’est plus possible qui se charge de tous les aspects liés de faire de la recherche sans le recours à au traitement et à l’analyse des donl’informatique, note le directeur. Reste nées. Les prestations peuvent se lique pour un professeur de biologie, il miter à quelques jours dans le cadre peut être compliqué de superviser le d’analyses ponctuelles ou s’étendre travail des bio-informaticiens, par sur des périodes beaucoup plus lonmanque de connaissances techniques. » gues lors de projets importants. C’est là qu’intervient le BICC. Dotée de « D’une certaine manière, le fonctionnesix collaborateurs, cette structure – ment du BICC s’inspire du secteur privé, qui a vu le jour dans la continuité de notamment de ce qui se fait dans la pharla nouvelle Division calcul et soutien ma, rapporte le biologiste. Les domaines à la recherche de l’UNIL – met à la de recherche sont certes stratifiés, mais il disposition des chercheurs les comexiste des projets transversaux regroupant pétences d’un (ou de plusieurs) un spécialiste de chaque discipline. » Dans cette logique, la structure de l’UNIL propose à ses groupes de chercheurs, à ceux de l’EPFL et du CHUV, des profils de compétences très variés : « C’est l’intérêt de mettre plusieurs bioinformaticiens sur le coup. »

Cytométrie de flux et immunothérapie Malgré le jeune âge du BICC, ses collaborateurs sont déjà impliqués dans plus d’une dizaine de projets prometteurs de recherche. Dans ce cadre, ils ont traité ou développé des programmes spécifiques. De puissants algorithmes ont notamment été appliqués sur des dizaines de millions de cellules analysées par cytométrie de flux dans un groupe du Département d’oncologie UNIL CHUV. Cette méthode permet d’évaluer les protéines de la membrane cellulaire, les protéines

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intracellulaires ainsi que les peptides et l’ADN. En utilisant ce procédé, un nouveau type de population cellulaire a pu être isolé, qui avait échappé aux procédures d’analyse standards recommandées jusqu’alors. « La quantité relative des divers types de cellules immunitaires présentes dans le sang est utile pour caractériser l’état du système immunitaire d’un patient ou suivre sa réaction à un traitement », explique Nicolas Guex. Le BICC apporte également son soutien à un autre groupe de recherche du Département d’oncologie. « La présence de cellules immunitaires


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IMMUNOTHÉRAPIE Utilisation de protéines produites par le système immunitaire pour traiter certains types de cancer.

infiltrées dans les tumeurs peut aider dans le choix du meilleur traitement de certains cancers, rapporte le chef du BICC. Le développement d’algorithmes spécifiquement calibrés pour reconnaître ces types cellulaires promet non seulement de diminuer le travail manuel des chercheurs, mais aussi d’assurer une reproductibilité des résultats. » Christian Iseli cite, pour sa part, les recherches d’une équipe du Service d’urologie du CHUV dans le domaine de l’immunothérapie. « Pour mémoire, son principe de base est d’inciter le système immunitaire à attaquer les cellules cancéreuses, tout en épargnant les cellules saines. » La comparaison de séquences d’ADN obtenues à partir de cellules normales ou tumorales d’un même patient permet de déterminer des mutations susceptibles de produire des protéines mutées présentes exclusivement dans la tumeur. Ces protéines mutées pourraient être utilisées comme cibles en vue d’un traitement d’immunothérapie. « Dans le cadre de son projet de détermination des protéines mutées exploitables pour un traitement, l’équipe du CHUV a confié le séquençage à la plateforme GTF de l’UNIL (ndlr : Lausanne Genomic Technologies Facility) et les analyses au BICC. »

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Un débat de société est nécessaire Ces trois exemples ne sont que la pointe de l’iceberg. « Globalement, les perspectives offertes par la bioinformatique en termes de santé publique sont énormes. En effet, elle permet d’analyser les données plus à fond, plus rapidement et de manière reproductible », fait remarquer Nicolas Guex. Encore faut-il « que les données fassent l’objet d’une collecte systématique et structurée, que ce soit à l’échelle suisse ou internationale  ». Le spécialiste souligne qu’en la matière plusieurs pays font bien mieux que le nôtre, par exemple le Danemark et l’Islande. Reste qu’à une époque où la question de la protection des données est sur toutes les lèvres, « il est important de sensibiliser la population à cette thématique, en expliquant bien quels types de données sont collectées et pourquoi », précise Christian Iseli. « Surtout, il faut définir quel est le juste milieu entre monitoring à outrance et intérêt public de la recherche. » Et Nicolas Guex de confirmer : « C ’est un vrai débat de société qu’il faut mettre en place ! » /


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LABO DES HUMANITÉS

RECHERCHE

Dans ce «  Labo des humanités  », In Vivo vous fait désormais découvrir un projet de recherche de l’Institut des humanités en médecine (IHM) du CHUV et de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.

Analyse du génome : se poser les bonnes questions TEXTE : ELENA MARTINEZ/IHM

LUCA CHIAPPERINO

ISTOCK

Philosophe et sociologue des sciences à l’Institut des humanités en médecine, il s’intéresse aux méthodes de travail des scientifiques.

médecine, passant par un travail complexe de production de légitimité éthique, scientifique et clinique de nouvelles pratiques dites de médecine de précision, et c’est tout ce travail social des scientifiques que nous étudions », explique Luca Chiapperino.

Le déploiement de nouvelles technologies biomédicales comme le séquençage du génome implique également de nouveaux La santé personnalisée fait l’objet d’une questionnements chez les patients. Gaia attention soutenue au sein du CHUV, tant Barazzetti, philosophe et éthicienne au sur le plan médical que socio-éthique. ColLaboratoire de l’UNIL et à l’IHM, étudie Ainsi, l’équipe de Jacques Fellay, médecin- une des étapes clés du processus en cours chef de l’Unité de médecine de précision, en cardiologie : la restitution d’informations étudie la possible origine génétique génétiques aux patients présentant des de l’arrêt cardiaque auprès d’une cohorte risques d’arrêt cardiaque. de patients à risque du Service de cardiologie. Cet arrêt du cœur létal, sans Est-ce que je souhaite connaître les résultats signes avant-coureurs, survient chez des de ces analyses et leur impact sur ma santé ? personnes souffrant généralement d’une Quelles sont les implications pour les maladie cardiaque restée méconnue. membres de ma famille qui partagent en partie mon patrimoine génétique ? Voici Dans le cadre de cette recherche translaquelques-unes des questions légitimes que tionnelle, trois chercheurs de l’Institut des se posent les patients, « ce qui implique humanités en médecine (IHM) décortiquent d’intégrer la question de l’utilité personnelle la nécessaire réorganisation des pratiques de ces résultats, outre leur validité et utilité et l’évolution des standards éthiques pour médicales », précise Gaia Barazzetti. En effet, l’ensemble des professionnels impliqués. tenir compte des perceptions, besoins, Luca Chiapperino, philosophe et sociologue attentes et préoccupations des patients des sciences, et Mélody Pralong, anthropo- a un impact évident sur leur santé et leur logue, suivent au quotidien les chercheurs, bien-être psychologique à long terme. les médecins ou encore les techniciens « L’enjeu est moral : la bienfaisance en de laboratoire dans leur contexte profesmédecine doit de plus en plus inclure la sionnel. Une approche qui part du terrain, perspective du patient », conclut l’éthicienne. à la croisée entre recherche et clinique, Les données récoltées devraient contribuer pour étudier ce biotope hospitalier en à la mise en œuvre de directives au CHUV mutation et y revient avec des éléments concernant le retour des résultats et la d’analyse et de réflexion : « Le projet piloté pratique du consentement à la recherche. / par Jacques Fellay est un excellent exemple du processus de génomisation de la 51


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CHRONIQUE

ANNE-MARIE MOULIN Médecin et philosophe, directrice de recherche émérite au CNRS

La quarantaine, entre angoisse et consentement

La crise sanitaire liée au Covid-19 a obligé de nombreux États à instaurer des mesures de… quarantaine. Au siècle dernier, ces dernières ont été jugées archaïques, symboles d’ignorance, même si en sourdine des mesures d’isolement avaient encore cours, en cas d’épidémies ou de maladies contagieuses comme les tuberculoses ultrarésistantes.

administration chargée de vérifier les passeports sanitaires des bateaux. Malgré leurs défauts, les quarantaines ont probablement limité les catastrophes et on leur attribue le déclin de la peste en Europe au XVIIIe siècle. Précisément au tournant du XIXe siècle, la génération révolutionnaire des médecins autour de François Broussais a contesté le principe de la contagion et les quarantaines. Disciple de François Broussais, le Dr Clot, à l’École de médecine du Caire, lors de la peste de 1835, s’est fait inoculer en public du pus de bubon pesteux. Il prône la diète et le stoïcisme, face aux fatalistes et aux tenants de la contagion.

Originellement, la quarantaine désigne un système de surveillance autour de la Méditerranée, destiné à prévenir la peste du Levant. Raguse/Dubrovnik en 1383 et Venise en 1423 ont pris l’initiative de n’admettre des Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les navires au débarquement qu’après un délai quarantaines ont été relancées face au choléra d’observation en cas de suspicion. Pourquoi ce venu d’Asie. Pas moins de dix conférences terme de « quarantaine » ? Le chiffre symbolique internationales entre 1851 et 1903 ont discuté suggère une parenté entre impureté et infection : des quarantaines à opposer au nouveau fléau quarante jours pour la purification des accou- et aussi à la fièvre jaune. En 1893 est signée chées lors des relevailles, ou pour la sortie du à Dresde une convention internationale deuil et de la souillure de la mort. Ce système de sur les quarantaines à l’égard des voyageurs surveillance s’appuyait sur des lazarets autour et des marchandises. de la Méditerranée. Pièces maîtresses du dispositif sanitaire, il s’agissait de prisons souvent Comment juger les mesures de confinement situées sur une île, flanquées d’une actuelles ? En promouvant l’isolement au domicile, assorti d’une surveillance médicale, la médecine moderne n’a pas seulement évité une terminologie angoissante, elle a voulu instaurer un nouvel ordre rationnel reposant sur une meilleure connaissance PROFIL des paramètres biologiques, comme le temps d’incuAnne-Marie Moulin est bation de la maladie et de la contagiosité, et sur directrice de recherche éméun respect du consentement des intéressés. Par rite au CNRS. Elle contre, les mesures de confinement actuelles dévoilent a notamment publié Le Médecin du Prince, Voyage et aggravent les inégalités sociales. À l’après-corona entre les cultures (Odile d’en tirer des conclusions. /

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Jacob). Elle a enseigné, entre autres, à la Faculté de médecine de l’Université de Genève entre 1991 et 1994.

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TEXTE : NINA SEDDIK

QUAND L’ACCOUCHEMENT TERRORISE LE NOMBRE DE FEMMES QUI ONT PEUR DE L’ACCOUCHEMENT EST EN CROISSANCE. EN CAUSE, ENTRE AUTRES, LES RÉSEAUX SOCIAUX ET LEURS RÉCITS CATASTROPHE. LE PERSONNEL MÉDICAL S’EST SAISI DU SUJET ET PROPOSE PLUSIEURS TRAITEMENTS.

D

épression, pensées obsessionnelles, crises d’angoisse, cauchemars : l’appréhension de l’accouchement se transforme chez certaines femmes en une peur irrationnelle et en une véritable souffrance. Ces peurs sont appelées tocophobie, du grec tokos, qui signifie « naissance ». Cette pathologie toucherait entre 14% et 22% des futures mamans, selon une étude publiée par la Fédération nordique des sociétés d’obstétrique CORPORE SANO

et de gynécologie. D’après son constat, les cas de tocophobie sont en nette augmentation depuis les années 2000. Cette hausse s’explique notamment par l’arrivée d’internet et des réseaux sociaux, avec l’effet anxiogène qu’ils peuvent avoir sur certaines femmes. Toujours selon l’étude, cette augmentation est également due à une meilleure attention accordée à la santé de la future mère au cours de la période périnatale depuis quelques années, permettant ainsi de détecter plus facilement les cas de tocophobie. Si cette pathologie est difficilement chiffrable en raison du peu d’études réalisées et du manque de consensus autour des critères sur lesquels s’appuyer pour la classifier, le monde médical s’accorde pour distinguer deux types de tocophobie, dont les symptômes sont similaires. La primaire, qui

touche les femmes dont c’est la première grossesse, et la secondaire, dont souffrent les femmes ayant déjà eu des enfants. RÉCITS CATASTROPHE ET RÉSEAUX SOCIAUX « Plus le terme de mon accouchement approchait, plus mes crises d’angoisse et mes cauchemars s’intensifiaient », se rappelle Flora*. Cette Lausannoise de 33 ans a été diagnostiquée de tocophobie primaire au sixième mois de grossesse. Sa plus grande peur ? Celle de mourir à la suite d’une hémorragie. L’angoisse des complications et la peur de mourir de Flora ont principalement été nourries par des récits rapportés par des proches : « Je n’y avais jamais pensé auparavant, mais il a suffi que j’entende parler de quelques cas d’accouchements très difficiles pour que ma peur se déclenche », admet la jeune femme.


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Selon l’Office fédéral de la statistique, le nombre de décès maternels enregistrés en Suisse entre 2007 et 2016 est de 41, soit cinq décès pour 100 000 naissances. Cependant, la mortalité maternelle reste élevée dans le monde, particulièrement dans les régions à revenus faibles, dans lesquelles on dénombre 239 décès pour 100 000 naissances, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Malgré ces chiffres, Flora se rend sur des forums et les réseaux sociaux – « une énorme erreur », comme elle l’avoue, car cela n’a fait que nourrir son anxiété. Internet serait-il donc le grand coupable de l’augmentation des cas de tocophobie ? « Il est vrai que les femmes ont désormais accès à une masse d’informations potentiellement anxiogènes bien plus importante qu’auparavant, observe la CORPORE SANO

LA MORTALITÉ MATERNELLE RESTE ÉLEVÉE DANS LE MONDE, PARTICULIÈREMENT DANS LES RÉGIONS À REVENUS FAIBLES.

Pre Antje Horsch, psychologue et consultante en recherche au Département femme-mère-enfant du CHUV. Cela peut créer des angoisses chez des personnalités fragiles. Néanmoins, il faut en relativiser l’impact, car ces mêmes réseaux sociaux permettent aussi de raconter son histoire et de se rassurer. » Un constat que partage Lamyae Benkazour, pour qui l’augmentation de la tocophobie serait également liée au fait que l’on est aujourd’hui plus attentif à la santé de la femme durant la

Depuis ce printemps, le Prof. David Baud propose des consultations aux futures mères durant lesquelles elles peuvent faire part de leurs craintes. PROSPECTION

période périnatale et que ces craintes sont donc davantage repérées. « Nous sommes à l’écoute de nos patientes. Si l’une d’entre elles demande une césarienne dès la première consultation, nous allons investiguer afin de savoir si nous sommes face à une tocophobie », confirme le Prof. David Baud, chef du Service d’obstétrique du Département femmemère-enfant du CHUV. LIBÉRER LA PAROLE Lorsque Aline est tombée enceinte de son deuxième enfant, la césarienne était pour elle la seule option envisageable. Souffrant d’une tocophobie secondaire, cette Vaudoise de 34 ans a vécu un premier accouchement par voie basse extrêmement traumatisant en 2013. « J’ai cru que j’allais y rester. À partir de là, donner la vie signifiait perdre la mienne », confie-t-elle. Dépression, cauchemars, mutisme : les cinq premiers mois de cette deuxième grossesse ont été très douloureux à vivre pour elle et son conjoint. « Je me suis complètement coupée de mon

GILLES WEBER

« L’accouchement a été pendant longtemps associé à un risque mortel élevé pour la mère et l’enfant, note la Dre Lamyae Benzakour, médecin adjointe au Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crises des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Malgré la diminution drastique de ce risque grâce aux progrès de la médecine dans des pays industrialisés comme le nôtre, l’accouchement reste perçu comme une mise en danger potentielle dans l’inconscient collectif. »


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THIERRY PAREL

À la suite d’un premier accouchement traumatisant, Aline a souffert d’une tocophobie dite secondaire.

bébé, je n’arrivais à parler ni de la grossesse en cours ni de mon premier accouchement. Je me sentais si mal que j’avais aussi des difficultés à m’occuper de ma fille », explique Aline. Pourquoi décider de retomber enceinte après un événement aussi difficile ? « Il était impensable que ma fille soit enfant unique. En revanche, nous avons attendu quatre ans au lieu des deux années initialement prévues avant de nous lancer », confie-t-elle. À la suite d’un accouchement traumatisant, certaines femmes décident en effet de retarder la naissance du prochain enfant, voire même de ne plus donner la vie, en multipliant les méthodes contraCORPORE SANO

ceptives pour éviter tout risque. Dans d’autres cas, des solutions plus extrêmes sont envisagées. « Il arrive qu’elles décident de ne plus avoir de rapports sexuels, voire même de se faire stériliser », note Antje Horsch. Victime de symptômes de stress post-traumatique importants, Aline doit son salut à une équipe de professionnels pluridiscipli-

naire. Dès le cinquième mois, elle s’oriente en effet vers une pédopsychiatre, une sagefemme de l’association Profa (spécialisée dans les questions relatives à l’intimité) et une hypnothérapeute, grâce à laquelle elle a pu préparer et visualiser chaque étape de son accouchement (voir encadré). Elle a également été prise en charge par un gynécologue

« CELLE QUI OSE DIRE QU’ELLE VIT MAL LA GROSSESSE ET L’ACCOUCHEMENT PEUT RAPIDEMENT ÊTRE STIGMATISÉE. » ANTJE HORSCH PROSPECTION


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du CHUV qui a su l’écouter et la rassurer. Une chance que ne partagent pas toutes les patientes : « Les contrôles chez mon gynécologue étaient expéditifs. Je me sentais démunie car il n’y avait aucune place pour la discussion », confie Flora. De nombreuses femmes en proie à la tocophobie choisissent de se murer dans le silence. Par manque d’écoute de l’entourage et des professionnels du secteur médical, mais aussi par autocensure. « La société a fait de la grossesse et de l’accouchement des événements merveilleux. Celle qui ose dire qu’elle les vit très mal peut rapidement être stigmatisée », analyse Antje Horsch. La solution ? Éradiquer le sentiment de honte en libérant la parole. « Plus on multiplie les espaces d’échange et de discussion, par le biais des médias et des associations par exemple, plus les femmes se sentiront légitimes de parler des troubles dont elles souffrent », ajoute Lamyae Benzakour.

accueille également les femmes dont l’accouchement a été vécu comme un événement traumatisant. Ces entretiens menés avec la sage-femme présente en salle de travail ce jour-là consistent en une reprise des étapes du protocole et d’une discussion avec la patiente. L’occasion de déceler

*Prénom d’emprunt

VAINCRE LA TOCOPHOBIE : QUELLES SOLUTIONS ? La prise en charge de cette pathologie varie selon les patientes. Pour certaines d’entre elles, le simple fait de disposer d’un espace de parole et d’écoute, avec une sage-femme par exemple, contribue grandement à améliorer leur bien-être et à apaiser leurs peurs. Dans les situations les plus aiguës, une psychothérapie est généralement recommandée. C’est le cas pour les femmes sujettes à l’anxiété, à la dépression ou qui ont été victimes d’abus sexuels, notamment. Les médecines alternatives, comme l’hypnothérapie, représentent, quant à elles, un complément aux thérapies dites classiques. L’hypnose consiste en une série d’exercices de visualisation et d’affirmations positives à pratiquer quotidiennement avant le jour de la naissance. L’objectif est de préparer le mental de la future mère à une situation de stress, en visualisant chaque étape de l’accouchement, par exemple, et à lui donner des outils pour le maîtriser.

De son côté, le CHUV propose à ses patientes une nouvelle consultation depuis ce printemps. « Il s’agit d’entretiens personnalisés d’environ une heure avec des sages-femmes, au cours desquels les futures mères peuvent parler de leurs craintes, s’informer et poser toutes leurs questions », explique David Baud, l’un des instigateurs du projet. Une étape obligatoire grâce à laquelle des cas de tocophobie potentiels peuvent être détectés. Cette consultation CORPORE SANO

des symptômes de stress post-traumatique éventuels et de proposer une prise en charge adaptée permettant de prévenir, entre autres, de possibles troubles de l’attachement. /

De son côté, le yoga prénatal permet d’apprendre à gérer ses émotions et les pics d’anxiété, entre autres grâce à la respiration et à des mouvements doux du corps. Avant de se lancer dans ce type de démarche, il est toutefois conseillé de consulter un médecin afin de faire appel à un thérapeute reconnu. Le site internet de la fondation suisse pour les médecines complémentaires (asca) propose également une liste de professionnels agréés.

PROSPECTION


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Guérir grâce aux selles La transplantation du microbiote fécal suscite d’énormes espoirs chez les patients souffrant de nombreuses pathologies. La Suisse romande est à la pointe de ce traitement prometteur.

E

TEXTE : ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

t si les selles contribuaient à guérir des pathologies aussi diverses que le diabète, la maladie de Crohn ou la dépression ? L’idée peut sembler saugrenue, mais depuis quelques années, une thérapie permet de restaurer l’écologie microbienne de l’intestin de personnes malades. L’objectif de la transplantation du microbiote fécal (TMF) est de réintroduire une flore bactérienne saine. Et les résultats sont spectaculaires. Dans les cas d’infections récidivantes à l’espèce de bactéries dite Clostridioides difficile – une maladie qui cause des diarrhées CORPORE SANO

importantes avec un risque de rechute élevé –, son taux de succès est de 90%, contre 20 à 30% avec des antibiotiques. Recommandé uniquement dans ces cas, et ce, depuis 2013, ce traitement pourrait bientôt être utilisé pour soigner de nombreuses autres pathologies comme les troubles neurologiques ou des maladies telles que le diabète. « À titre compassionnel (c’est-à-dire pour des patients atteints de pathologies qui ne peuvent pas être traitées de manière satisfaisante par des thérapies autorisées), quelques patients l’ont reçu avec un certain succès au cours de l’année dernière », dit Benoit Guery, médecin-chef du Service des maladies infectieuses du CHUV. Car depuis 2017, l’hôpital universitaire INNOVATION

vaudois est le seul établissement en Suisse accrédité par Swissmedic pour pratiquer la TMF. Avec les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), il a créé l’an dernier une plateforme romande destinée à devenir un centre de référence. Pour l’instant, la plateforme reçoit trois ou quatre personnes atteintes de Clostridioides difficile par mois. « La TMF est effectuée en hospitalisation. Mais dès cette année, nous espérons un passage vers l’ambulatoire. Une démarche est en cours pour qu’une tarification soit fixée et qu’elle soit reconnue par les compagnies d’assurances », indique Benoit Guery. Parallèlement, des programmes de recherche clinique et


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fondamentale sur le microbiote et d’autres maladies ont été initiés. La mise en place d’un registre et d’une biobanque (de selles et de sang) est également à l’ordre du jour, « dans le but de remonter au donneur, pour assurer la traçabilité et connaître les effets de la TMF à long terme ». CHERCHE DONNEURS DE SELLES

Cheffe de clinique responsable du développement de la TMF au CHUV et vice-présidente du Groupe français de transplantation fécale, Tatiana Galperine explique comment s’effectue la thérapie : « Nous avons besoin d’un donneur de selles et d’un pharmacien pour transformer

celles-ci en médicament. » Trouver des donneurs peut paraître simple, mais cela exige une logistique complexe et coûteuse, souligne-t-elle. Le protocole s’inspire de celui utilisé pour identifier des donneurs de sang, avec davantage d’exigences. Les donneurs éventuels répondent en effet à une série de questions portant sur leur mode de vie, leur alimentation, leur consommation d’antibiotiques dans les six derniers mois, leurs voyages dans des zones à risque, l’état de leur transit, etc. « En cas de constipation chronique ou de cancer de l’intestin dans la famille, un candidat sera d’emblée rejeté. »

Des effets sur les symptômes de l’autisme ? Un naturopathe de Vancouver, Jason Klop, a créé une polémique en pratiquant des transplantations fécales sur des enfants avec autisme dans une clinique au Mexique, facturant quelque 15 000 dollars américains. Sur Facebook, le Canadien affirme avoir traité des enfants en utilisant des pilules et des liquides fabriqués à partir de selles d’adolescents et avoir constaté des améliorations spectaculaires des symptômes du trouble du spectre de l’autisme. À ce jour, une seule étude exploratoire menée à l’Université de l’Arizona a suggéré que la TMF pourrait aider à améliorer les symptômes de ce trouble. En 2017, les chercheurs ont remplacé la flore intestinale de 18 enfants atteints, les suivant en parallèle avec un groupe de contrôle. Les chercheurs ont observé une nette amélioration des problèmes gastro-intestinaux. De plus, des symptômes comme les difficultés de socialisation ont aussi diminué dans certains cas.

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INNOVATION

Les personnes sélectionnées sont vues en consultation et passent des examens cliniques. Un bilan de leur sang et de leurs selles sera mené. « L’objectif est de s’assurer qu’aucun agent pathogène ne puisse être transmis au receveur », précise la médecin. Seuls 10% des candidats sont finalement éligibles. En 2019, au CHUV, ils étaient dix. Dans certains cas, le candidat est un proche du patient, s’il répond aux critères de sélection. Sinon, le recrutement se fait parmi des volontaires, notamment des étudiants. Le don recueilli – lequel peut être produit à domicile selon une procédure stricte –, filtré et dilué, est congelé à -80 degrés Celsius, pour être transformé en médicament. Puis il est mis en quarantaine deux mois, avant d’obtenir les résultats d’un second screening du donneur. Pour garantir un niveau de sécurité très élevé, un local et un congélateur sont exclusivement dédiés à la TMF. La transplantation se pratique par voie orale avec de grosses gélules gastro-résistantes (qui ne se délitent pas dans l’estomac), à raison de 15–20 unités quotidiennes, pendant deux jours, sous surveillance à l’hôpital. Ou encore, par endoscopie ou sonde naso-duodénales. Par voie basse, la TMF peut être effectuée par colposcopie ou lavement rectal. « Le choix se fait en fonction du diagnostic et des possibilités selon les


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Microbiote fécal d’un donneur sain destiné à une transplantation dans le tube digestif d’un patient receveur pour rééquilibrer sa flore intestinale à l’Hôpital Saint-Antoine, Paris.

La transplantation du microbiote fécal pourrait bientôt être utilisée pour soigner de nombreuses pathologies telles que le diabète.

APHP-ST ANTOINE-GARO /PHANIE, DR TONY BRAIN / SCIENCE PHOTO LIBRARY

caractéristiques du patient », spécifie Tatiana Galperine. PAS UNE SOLUTION MIRACLE

Actuellement, le site web ClinicalTrials.gov, qui recense les essais cliniques en cours dans le monde, en dénombre plus de 300 impliquant la TMF. Plusieurs études suggèrent une certaine efficacité dans le traitement des maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI), où les recherches sont les plus avancées. Les pathologies neurologiques (autisme, dépression, Parkinson, sclérose en plaques… ), cardio-vasculaires, oncologiques, rhumatologiques, liées à l’axe intestincerveau, mais aussi le diabète et CORPORE SANO

l’obésité pourraient également bénéficier de la TMF, soutient Tatiana Galperine. La cheffe de clinique met cependant en garde : « Nous recevons beaucoup d’appels de gens qui croient que la TMF est la solution miracle à leurs problèmes. Très médiatisée, souvent présentée de façon simpliste, elle doit être extrêmement encadrée. D’autant que nous avons encore des difficultés à bien saisir le fonctionnement du microbiote. » Dans la littérature, l’hypothèse la plus communément avancée est que le microbiote du donneur pourrait occuper l’espace libéré après le traitement antibiotique, empêchant ainsi Clostridioides INNOVATION

difficile de recoloniser le côlon, entrant en compétition avec lui. Collaborant avec le CHUV, médecin adjointe au Service des maladies infectieuses aux HUG, Benedikt Huttner souligne que le risque d’induire certaines maladies auto-immunes et la transmission de pathogènes du donneur ne peut pas être exclu à 100%. Il rappelle qu’aux ÉtatsUnis, un patient est mort à la suite d’une TMF en juin dernier. « Dans ce cas, la recherche de bactéries multirésistantes chez le donneur avant la transplantation n’a pas été faite. En Suisse et en Europe, la présence de ce type de bactéries constitue une raison d’exclusion de donneurs potentiels. » /


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DÉVELOPPEMENT GÉNITAL : LE DROIT AU CHOIX étaient pratiquées systématiquement sur les enfants en bas âge, afin de rendre leurs organes génitaux conformes. Le plus souvent, c’étaient des organes féminins qui étaient réalisés, car l’opération était plus simple que celle de la reconstitution d’un pénis. « Aujourd’hui, ce type d’interventions d’assignation n’est pas effectué, précise Oliver Sanchez. Mais celles visant à corriger des variations du développement génital persistent. »

TEXTE  : CAROLE EXTERMANN

À la naissance, certains corps échappent à la distinction entre garçon et fille. L’opération infantile a longtemps été une solution. Une pratique aujourd’hui remise en question. « Les opérations d’assignation sexuelle doivent être considérées comme des mutilations. » Ce sont les mots de l’association InterAction dans une lettre adressée au Conseil d’État genevois, en novembre dernier. Le texte met en lumière un sujet qui demeure tabou. « Il arrive que, lors de certaines naissances, attribuer un sexe à l’enfant soit impossible », explique Oliver Sanchez, médecin spécialisé́ en urologie pédiatrique au CHUV. On parle alors d’intersexuation. Jusque dans les années 1990 encore, en Suisse, les opérations d’assignation sexuelle

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Selon l’OMS, ces variations concernent 1,7% des naissances en Suisse, dont certaines formes plus subtiles sont décelées plus tard, à l’adolescence ou à l’âge adulte. Pour Audrey Aegerter, cofondatrice d’InterAction, ces gestes sont inadmissibles : « C’est une question de droits fondamentaux. L’enfant n’est pas malade, il n’a pas à être opéré́ sans son accord. » Hormis les interventions liées à l’assignation sexuelle, une opération souvent pratiquée est celle visant à corriger un hypospadias – une variation qui touche l’organe sexuel externe des garçons. L’orifice urinaire se situe dans ces cas-là sur le côté et non à l’extrémité́ du pénis. En Suisse, cette particularité́ concerne un garçon sur 300. Cette intervention, davantage pratique que nécessaire, permet à l’enfant d’uriner plus facilement debout et de faciliter les relations sexuelles à l’âge adulte. « Dans la pratique, il y a de multiples formes d’hypospadias : la plus sévère est prise en charge par une équipe multidisciplinaire, et, en cas de difficulté́ d’assignation du sexe,

TABOU


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l’intervention est repoussée jusqu’à l’âge de consentement de l’enfant, explique Oliver Sanchez. Pour les plus bénignes, j’explique aux parents qu’il n’y a pas de danger. Mais les protocoles internationaux recommandent une chirurgie entre 12 et 18 mois. Je propose toujours aux parents de prendre leur temps avant de se décider, car il n’y a pas d’urgence. » PARTICIPER À LA DÉCISION Pour Audrey Aegerter, qui a elle-même été opérée enfant, et sans son consentement, aucune intervention génitale ne devrait être pratiquée en bas âge : « Dans la plupart des cas, une seule opération ne suffit pas. Un enfant présentant une variation du développement génital peut parfois être opéré́ une dizaine de fois durant son enfance. » Un point également mis en avant par les Hôpitaux universitaires de Genève sur leur site, qui mentionne, au sujet de l’hypospadias, que dans 10% à 20% des cas, une seule intervention ne suffit pas. Et pour les cas sévères, le risque de réopération atteint même 50%. En Suisse, ce type d’opérations n’est actuellement pas interdit. Pourtant, la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine déconseille tout traitement chez l’enfant présentant une variation du développement génital et met en garde contre les attentes d’une telle intervention : « Un sexe résultant d’une opération n’est pas comparable avec un sexe naturellement donné. » La commission recommande ainsi d’attendre que l’enfant soit capable de discernement et puisse participer à la décision avant de pratiquer cette opération irréversible. « Aucune opération en bas âge n’est nécessaire et elle n’est jamais en premier plan au CHUV », concède Oliver CORPORE SANO

TABOU

Sanchez : « La première étape est de rassurer les parents. S’il y a un doute sur l’appartenance sexuelle de l’enfant, l’équipe prend soin de ne pas utiliser le terme fille ou garçon et d’insister sur le fait que l’enfant est en bonne santé. » Une équipe pluridisciplinaire accompagne ensuite les parents, afin de détailler la situation. « Pour les patients qui présentent des déséquilibres hormonaux majeurs, qui peuvent être dangereux, notre équipe met en place un traitement médical adéquat, avec une prise en charge psycho-sociale complète des familles. » Pour les membres d’InterAction, cette mesure n’est pas suffisante. « Il s’agit avant tout d’une question sociale, que la médecine rend pathologique», précise Audrey Aegerter. Dans la lettre adressée au Conseil d’État, l’association déplore le manque de collaboration du milieu médical avec les associations, malgré leur sollicitation. « Il faudrait faire en sorte que les parents soient mis en contact avec des personnes et d’autres parents concernés par cette situation. Cela permettrait de diminuer le stress qui peut peser sur les familles. » Oliver Sanchez nuance ce propos : « Nous parlons des groupes de patients aux familles. Par contre, il n’y a pas de groupe d’hommes concernés par des hypospadias peu sévères, alors que cette variation est fréquente. » /


TEXTE : JEAN-CHRISTOPHE PIOT

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CRYOTHÉRAPIE : LA RÉCUP’ À FROID

La cryothérapie se démocratise, portée par la promesse de résultats spectaculaires sur le bien-être ou l’apparence. Une mode qui commence à préoccuper les scientifiques et les professionnels de la santé.

C

ristiano Ronaldo, LeBron James ou encore Stan Wawrinka… On ne compte plus le nombre d’athlètes qui postent sur les réseaux sociaux des photos d’eux en pleine séance de cryothérapie, le corps enveloppé d’une vapeur glacée. Des images spectaculaires qui ont attiré l’attention du grand public sur une technologie dont les ressorts ne sont pourtant pas nouveaux. Des poches de glace aux sprays refroidissants, le recours au froid pour faciliter la récupération ou apaiser la douleur après un contact un peu rude est connu depuis longtemps. Dès le Ve siècle avant notre ère, Hippocrate recommandait déjà d’appliquer de la neige sur les hématomes. Reste que si le froid a toujours fait partie de l’arsenal médical, on franchit un cran supplémentaire avec la cryothérapie. Ce procédé consiste à s’exposer durant deux à trois minutes à un froid sec et intense entre -110 et -170 °C, et jusqu’à -195 °C dans le cas des cryothérapies du corps partiel ou CCP (voir encadré). Une drôle d’idée qui a pourtant vite séduit les athlètes. Mais que cherche-t-on à obtenir ? « La cryothérapie crée un choc thermique de très courte durée », explique Mathieu CORPORE SANO

TENDANCE

Saubade, chef de clinique au sein du Centre de médecine du sport du CHUV. Si la baisse de la température corporelle centrale n’est que de 0,3 °C, elle peut aller de 5 à 10 degrés à la surface de la peau. « Face à ce stress brutal, l’organisme répond par une série de modifications physiologiques qui permettent d’améliorer la circulation sanguine, de favoriser l’oxygénation des muscles pour accélérer la récupération ou de soulager des douleurs. » Une cascade d’effets positifs dont témoignent beaucoup d’athlètes et qui va bien au-delà de la récupération des sportifs, selon une partie des professionnels de la santé. Kinésithérapeute à Paris, Didier Vambert fait partie des ardents défenseurs de cette pratique, qui vient enrichir son offre thérapeutique : « Au-delà de la préparation à l’effort et de la récupération, la cryothérapie du corps entier (CCE) permet de soulager des blessures variées, des tendinites aux déchirures musculaires, en passant par les hématomes, courants dans les sports de combat ou de contact. » En dehors du champ sportif, beaucoup de professionnels de santé – rhumatologues, dermatologues, kinésithérapeutes, ostéopathes – l’utilisent pour traiter des patients touchés par des pathologies chroniques lourdes comme la sclérose


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FRANCK FIFE / AFP

Les footballeuses françaises Amandine Henry (en haut) et Élodie Thomis (en bas) font partie des nombreuses adeptes de la cryothérapie dans le monde du sport professionnel. Lors de cette thérapie, le corps est exposé pendant deux à trois minutes à des températures extrêmement basses.

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en plaques. Pour eux, l’exposition au froid aurait aussi des effets sur le sommeil, la dépression, certaines maladies de peau comme le psoriasis ou encore l’eczéma. LE RAPPORT QUI JETTE UN FROID La panacée ? Pas si vite. En septembre 2019, une publication de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale en France (Inserm) est venue sérieusement doucher les enthousiasmes. Après analyse de la littérature scientifique existante, le verdict des chercheurs français est sans appel. En termes de santé, « les résultats en faveur d’un effet positif de la cryothérapie sont modestes et uniquement mesurés à très court terme », indique le rapport. « Nous ne savons tout simplement pas en objectiver les effets », précise Soumaya Ben Khedher Balbolia, l’un de ses auteurs. « La centaine d’études menées en vingt ans ne permet pas de démontrer les bénéfices de manière claire et robuste », ajoute l’épidémiologiste, qui pointe aussi les faiblesses méthodologiques des travaux analysés. L’inserm n’est pas le seul à pointer l’absence de preuves : aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA), chargée du contrôle des médicaments, affirme également « ne disposer d’aucun élément indiquant que la CCE traite efficacement des maladies ou des affections comme la fibromyalgie, les migraines, la polyarthrite rhumatoïde, la sclérose en plaques, le stress, l’anxiété ou la douleur chronique ». Face à l’absence de preuves scientifiques, que penser des témoignages enthousiastes des patients et des soignants ? « Il n’y a aucune raison de ne pas les croire, mais la douleur est une notion subjective, délicate à mesurer et à évaluer. Le rapport ne conclut pas à l’absence de bénéfice mais à l’impossibilité d’en comprendre le fonctionnement d’une part, et d’en CORPORE SANO

AVEC OU SANS LA TÊTE ?

La CCE (cryothérapie du corps entier) consiste à exposer le corps entier au froid, tête comprise, dans un équipement qui peut compter une, deux ou trois pièces. Soumis à un froid d’origine électrique, le patient peut s’y déplacer en sous-vêtements, ses extrémités protégées par des gants, des chaussettes et un masque. La CCP (cryothérapie du corps partiel) se déroule dans une sorte de caisson vertical dont ne dépasse que la tête. Une fois le patient installé, l’azote liquide fait rapidement descendre la température jusqu’à -160 °C, voire -180 °C. Des deux possibilités, c’est la CCP qui concentre le plus les critiques dans le rapport de l’Inserm, qui signale des risques de brûlure, voire d’asphyxie.

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démontrer les effets thérapeutiques d’autre part », tranche Soumaya Ben Khedher Balbolia. Un point de vue que partage le docteur Saubade, tout en tempérant : « Même s’il ne s’agit que d’un effet placebo, c’est un effet tout de même. Comme à chaque fois qu’apparaît une nouvelle piste thérapeutique, il faut attendre que la recherche en précise les bénéfices. Mais je suis plutôt enthousiaste tant que la pratique est bien encadrée. » UN RISQUE DE DÉRIVE ? Et c’est bien là que le bât blesse : « N’importe qui peut investir dans une cabine de cryothérapie et ouvrir son institut », résume Soumaya Ben Khedher Balbolia. Ce constat est valable dans l’Union européenne comme ailleurs. Partout ou presque, la réglementation est inexistante : aucun titre professionnel et aucune formation ne sont nécessaires à ce jour. Stimulée par la vogue de la cryothérapie chez les célébrités, les cabines se sont donc multipliées ces trois ou quatre dernières années. Cabinets d’esthétique, instituts spécialisés, centres de fitness – la tendance est palpable en Suisse, où une quarantaine de structures coexistent, indépendantes ou franchisées par des sociétés comme Hibernatus ou Swiss Cryotherapy. Fanny Cambria, cogérante du salon genevois Cryobar, peut témoigner de la vitalité d’un marché de plus en plus concurrentiel. Ouvert il y a cinq ans, son institut était alors le deuxième de Genève ; la ville en compte aujourd’hui quatre de plus, sans que l’activité ralentisse, au contraire : « Nous recevons chaque mois 100 à 150 clients de tous les profils et de tous les âges, de 18 à 70 ans. Depuis trois ou quatre ans, le grand public se tourne vers la cryothérapie parce que c’est bon pour la récupération musculaire, mais aussi pour le sommeil,


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les rhumatismes ou encore la peau. » D’autant que l’offre n’est pas inaccessible : à 59 francs la séance, le Cryobar se situe dans la moyenne des tarifs helvétiques et propose des formules d’abonnement qui permettent de réduire la facture. Problème : certains discours commerciaux jouent sur la frontière floue qui sépare le monde du soin et celui de l’esthétique et du bien-être. Insomnie, dépression, douleurs chroniques, cellulite, problèmes de poids… La lecture des sites web laisse parfois penser que la cryothérapie relève de la baguette magique, capable de tout traiter ou presque. Des discours trompeurs qui vont parfois trop loin, estime Soumaya Ben Khedher Balbolia : « En France, certains vont jusqu’à prétendre qu’on peut traiter le cancer par la cryothérapie. Il y a un vrai risque que des patients, sensibles à ce discours, décident d’arrêter leur traitement. » UNE PRATIQUE À ENCADRER La cryothérapie n’est pas une pratique anodine. Avant de s’exposer à une température de -160 ou -170 °C, des précautions s’imposent. Certaines relèvent du bon sens : ne pas entrer dans la chambre de cryothérapie juste après un effort ou par grande chaleur, éviter impérativement de commencer la séance avec la peau humide, poser ses lentilles ou protéger l’extrémité de ses membres. Autant de gestes qui imposent la présence d’un opérateur avant, pendant et après le passage par les cabines.

UNE INVENTION JAPONAISE

Présentée en 1979 lors du Congrès européen des rhumatologues, la première cabine de cryothérapie a été inventée par le professeur japonais Toshiro Yamauchi dans l’idée de soulager de leurs douleurs des malades atteints de rhumatismes. La technologie s’est ensuite développée avec l’apparition des premières chambres de cryothérapie du corps entier, où ont été traités des patients victimes de douleurs post-traumatiques, dont des sportifs blessés. C’est dans le cadre du sport de haut niveau que la pratique s’est ensuite généralisée à partir des années 1980, notamment en Union soviétique lors des Jeux olympiques de Moscou.

« Un choc thermique de cette envergure pèse sur le système cardiovasculaire », insiste le docteur Saubade. La cryothérapie est donc contre-indiquée en cas d’hypertension ou de problèmes cardiaques, après un AVC ou si l’on souffre d’une pathologie sensible au froid comme la CORPORE SANO

TENDANCE

maladie de Raynaud. « La réflexion se fait au cas par cas et, au moindre doute, il faut poser la question à son médecin. Le principe de précaution doit toujours prévaloir », souligne le praticien, qui relève à cet égard le sérieux des centres spécialisés installés en Suisse romande : « Nous n’avons eu aucun écho négatif. » Quant à la fréquence, tout dépend du profil des patients, explique Didier Vambert : « Une seule séance, trente-six heures avant une compétition, suffit à un sportif pour se préparer. Dans le cas d’un patient atteint de sclérose en plaques, on peut aller jusqu’à deux séances par jour en pleine poussée, tant qu’elles sont séparées de deux heures. » Là encore, tout est question de protocole et chaque cas est différent, insiste le kinésithérapeute. Au Cryobar, Fanny Cambria l’assure : elle veille à tout excès et aucun de ses clients n’entre dans une de ses cabines sans avoir rempli un questionnaire détaillé et pris sa tension. La gérante est d’ailleurs la première à réclamer la mise en place d’un cadre réglementaire précis, pour éviter tout risque de dérive. Mais la question est de savoir où placer le curseur. En Suisse comme en France, où l’étude de l’Inserm a mis en évidence une série d’accidents et de procès, certains militent pour que les professionnels de la santé soient les seuls à pouvoir proposer la cryothérapie. C’est le cas de Didier Vambert : « La cryothérapie, ce n’est pas un tour de manège. C’est un protocole précis, adapté à chaque cas et à chaque patient. Quand on voit que certains regardent leur portable ou vont boire un café pendant que les patients sont dans la machine… À force de laisser faire n’importe quoi à n’importe qui, on va droit à l’accident », martèle le praticien. /


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es singes aussi aiment suivre des leaders. C’est le constat de Charlotte Canteloup, postdoctorante dans l’équipe d’Erica van de Waal de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne. Lors d’une expérience en Afrique du Sud, son équipe et elle ont mené une recherche de huit mois sur le comportement des singes Vervet dans leur habitat naturel. Les individus de deux groupes distincts ont été observés pendant huit mois durant leurs activités quotidiennes. Les chercheurs ont attribué des rangs et des statuts sociaux afin de différencier les dominants des dominés. Par la suite, huit boîtes contenant chacune un morceau de fruit étaient disposées sur le sol chaque matin. Ces dernières pouvaient s’ouvrir de deux façons : en soulevant le couvercle ou en ouvrant le tiroir. Chaque matin, l’équipe analysait quel singe se laissait influencer par quel autre singe et comment.

NOM CHLOROCEBUS PYGERYTHRUS TAILLE DE 40 À 60 CM SANS LA QUEUE CARACTÉRISTIQUE POSSÈDE 5 TYPES DE CRIS POUR ALERTER SES CONGÉNÈRES ET RECONNAÎT LEURS VOIX

Le prestige des singes Comme les humains, les singes Vervet désignent des leaders dont le comportement influe sur celui des autres. TEXTE : LAURENCE JAQUET

congénères et qu’ils copiaient préférentiellement la technique utilisée par les individus d’un rang social plus élevé. « Toutefois, les primates ne reproduisent pas le geste exact dès le premier essai, il s’agit plutôt d’émulation. Ils sont attirés par le même endroit de la boîte que les leaders », dit Charlotte Canteloup. Une hypothèse de la chercheuse est que les singes Vervet répondent à la notion de prestige. Chez l’humain, les plus savants ou les plus puissants jouissent d’un certain statut et sont préférentiellement imités par les autres. Il se pourrait que le concept de prestige se retrouve ainsi dans l’histoire évolutive que l’on partage avec nos cousins éloignés et qu’il induise des règles d’apprentissage similaires aux nôtres. « Cela nous permet de mieux comprendre l’émergence de certaines de nos capacités, souvent considérées comme des spécificités humaines, donc de mieux comprendre notre espèce », ajoute-t-elle. /

VINCENT POMMEYROL / ALAMY STOCK PHOTO

Les analyses ont montré que les primates apprenaient à ouvrir les boîtes en observant leurs

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FAUNE EN IMAGES & FLORE


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VINCENT SCHNEEBELI Directeur des soins de département

Coronavirus & psychiatrie : un crash test relationnel

Pour déployer ses effets bénéfiques, le soin psychiatrique doit pouvoir s’appuyer sur certains ingrédients essentiels. La relation de confiance entre soigné et soignant en fait partie et se matérialise avec une certaine continuité, dans la durée. Sans cela, impossible d’envisager parcourir le chemin, souvent long, qui mène de la crise à un nouvel équilibre.

quotidiens par visioconférence, avec les patients, les familles, les proches. Puis la collaboration étroite avec les partenaires du réseau de soins dont l’hôpital fait partie et qui, ensemble, constituent le filet de sécurité autour de la personne psychiquement souffrante.

Même au sein de l’hôpital, le confinement, le port du masque et les mesures de distanciation sociale n’ont pas su éloigner les patients et les soignants. C’est même le contraire qui s’est produit, puisque ces derniers ont compensé le stress lié à la situation par une intensification de leur Mais du jour au lendemain, présence auprès des personnes hospitalisées. la pandémie de Covid-19 a imposé de Au final, il y a la surprise. Celle d’avoir eu fermer les consultations ambulatoires et moins de patients hospitalisés, d’avoir mis hôpitaux de jour pour ne se concentrer sous tension le lien avec eux, sans que cela que sur les urgences. Bien que cela ait augmente massivement leur détresse. eu pour but de protéger les patients Les uns et les autres ont saisi l’opportunité d’un danger imminent, on pouvait d’expérimenter et, ce faisant, ont découvert légitimement craindre que l’état de santé de nouvelles ressources, y compris en de celles et ceux qui bénéficient de ces eux-mêmes. Le centre de gravité du dispositif structures se dégrade, entraînant une psychiatrique s’est rapproché des patients, hausse spectaculaire des urgences et une la continuité des soins a pu être garantie, augmentation des hospitalisations. et la relation est intacte. /

DR

Le scénario pessimiste ne s’est finalement pas confirmé. Il faut dire que, derrière leurs portes fermées, les soignants se sont réorganisés. Premier impératif : pour garder le lien, reprendre contact. Beaucoup de choses sont possibles par téléphone, y compris des consultations lorsque la situation l’impose. Ensuite les entretiens

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CHRONIQUE


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ISONIAZIDE C 6H 7N 3O

C6H 7N 3O UNE MOLÉCULE, UNE HISTOIRE TEXTE : CHARLOTTE MERMIER

L’accroissement des connaissances sur l’ADN a généré des avancées significatives en médecine, notamment grâce à une meilleure compréhension des maladies génétiques, qui ouvre aussi d’autres perspectives : la connaissance de certains gènes d’un patient pourrait permettre d’adapter ses traitements à ses caractéristiques génétiques. Telles sont du moins les promesses de la « médecine personnalisée ». Chaque individu est doté d’un génome – c’est-à-dire l’ensemble de ses gènes – unique. Les gènes, porteurs de l’information génétique, sont responsables de la transmission des caractères héréditaires tels que les traits physiques, physiologiques ou certaines maladies. Au sein d’une population, plusieurs versions d’un même caractère peuvent exister (par exemple les yeux bleus, marron ou verts). C’est ce qu’on

Ode à la diversité génétique : le cas de l’isoniazide appelle le polymorphisme génétique, qui participe à la diversité génétique d’une population. Lorsque les gènes sont responsables de pathologies, on voit leur impact direct sur la santé. Mais leur influence est parfois moins évidente à première vue : « Au début du XXe siècle, un médecin britannique, Archibald Garrod, découvre une anomalie héréditaire qui modifie la couleur de l’urine et démontre qu’elle est due à un défaut génétique affectant une enzyme, explique Thierry Buclin, médecin-chef du Service de pharmacologie clinique du CHUV. C’était un visionnaire ! Il prédit que les enzymes font partie du bagage héréditaire, et que la manière dont maintes substances sont métabolisées

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ZOOM

dépend de notre constitution génétique. Les gènes peuvent également altérer la réaction des patients à certains médicaments : le concept de polymorphisme pharmacogénétique est né. » L’illustration inaugurale d’un tel polymorphisme a été apportée par le cas de l’isoniazide, premier antituberculeux actif par voie orale, introduit dans les années 1950. « À l’époque, les médecins remarquent que l’élimination de l’isoniazide diffère en fonction des patients. Ils découvrent que cela est dû à une disparité au niveau du fonctionnement de l’enzyme normalement responsable de son élimination, et confirment l’origine génétique de cette disparité », précise Thierry Buclin. Chez les

métaboliseurs lents, des voies métaboliques accessoires interviennent pour éliminer le médicament, mais sa concentration reste plus élevée dans le sang et plus de dérivés toxiques sont formés. Les porteurs de l’enzyme inefficace semblent donc désavantagés par leur version génétique. Mais il s’avère que certaines substances présentes dans la nature deviennent toxiques justement sous l’action de cette même enzyme, désavantageant les métaboliseurs rapides. La version inactive devient alors un bénéfice pour les porteurs. « C’est probablement là que réside l’intérêt biologique des polymorphismes génétiques. L’hétérogénéité entre individus fait qu’il y a toujours une partie de la population qui survit dans un environnement changeant », conclut Thierry Buclin. L’histoire de l’isoniazide, un hymne à la diversité ? /


CURSUS

INTERVIEW

« La crise a montré un visage plus humain de l’hôpital »

Propos recueillis par : Rachel Perret

Le CHUV a hissé la voile « plan catastrophe » un mardi, le 4 février. Le Prof. Philippe Eckert dirigeait le bateau depuis cinq semaines seulement. Lorsque la pandémie a été déclarée, vous veniez d’entrer en fonction comme directeur général du CHUV. Comment avez-vous vécu ce baptême du feu ? philippe eckert Plutôt bien. Nous avons dû instaurer un mode de fonctionnement particulier (voir l’infographie p. 74) et pour moi qui démarrais dans cette nouvelle fonction, cela a peut-être été plus aisé que de m’insérer dans une organisation préexistante. Paradoxalement, la situation était claire, car nous avions un seul sujet de préoccupation, même s’il était majeur.

CURSUS

SPÉCIAL PHILIPPE ECKERT

in vivo

iv Formellement, vous étiez encore le chef

du Service des soins intensifs. Cette double casquette a-t-elle été un atout ? pe J’étais en terrain connu, c’est vrai, mais j’ai surtout eu la chance de pouvoir m’appuyer sur une équipe de confiance et déléguer la conduite du service au Prof. Mauro Oddo, médecin-chef aux Soins intensifs. Par ailleurs, lorsque j’étais en poste à la direction de l’Hôpital de Sion (VS), nous avions élaboré un plan de crise sanitaire dans le contexte de la grippe aviaire. Cette expérience m’a été très utile. J’aime cette organisation de crise, car les choses vont

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vite, les chaînes de décisions sont courtes et les échanges constants. Aujourd’hui, cela va nous permettre de repenser le fonctionnement de l’hôpital, en gardant de la crise ce qu’elle a eu de positif. iv C’est-à-dire ?

Lors de chacune de mes visites dans les services, j’ai été frappé par la cohésion de l’hôpital, sa sérénité et sa capacité à se réorganiser autour d’une problématique. Tous les secteurs ont très bien fonctionné et nous avons vu une magnifique mise en commun de compétences multiples. J’aimerais que cette crise nous fédère davantage autour de notre institution et d’objectifs communs. J’aimerais que chacun reste conscient de l’importance de son rôle et de sa valeur, que chacun garde cet état d’esprit tourné vers la recherche de solutions. L’évolution de l’hôpital passera par davantage de participation, d’échanges et d’explications, avec une structure centrale très bien organisée.

pe

iv Comment se sont passés les échanges

et les prises de décisions avec le canton ? La collaboration avec la cheffe du

pe


CURSUS

INTERVIEW

« Il n’y a pas de solutions toutes faites, que ce soit dans la gestion de la crise ou dans la recherche médicale. »

1961

Naissance à Delémont. Son père est chef comptable des Mines d’asphalte à Fleurier (NE), son grand-père maternel est médecin de famille, formé en chirurgie 70

1987

Obtient son diplôme de médecine

1998

Après une spécialisation en médecine interne au CHUV, il se tourne vers la médecine intensive et rejoint l’Hôpital de Sion (VS)

GILLES WEBER

Profil


CURSUS

INTERVIEW

Département de la santé et de l’action sociale, Rebecca Ruiz, s’est établie immédiatement et a été excellente. Le partage d’informations et des décisions s’est fait en direct, de façon fluide et rapide. Je pense que notre conseillère d’État (ndlr : en poste depuis un an) savait déjà qu’elle pouvait avoir confiance dans notre institution, mais elle a pu le vérifier. En soutenant le canton, notamment pour l’approvisionnement en matériel de protection, le CHUV a joué un rôle déterminant. Tout le réseau hospitalier vaudois s’est mobilisé pour augmenter ses capacités en soins intensifs et cela a très bien fonctionné. Cet épisode peut-il marquer un tournant et remettre en cause le principe de concurrence dans le domaine de la santé ? pe Cette crise sanitaire nous aura au moins permis de tous nous rencontrer, cliniques et hôpitaux, autour d’un enjeu commun et j’espère que cela engendrera des partenariats équilibrés. Cet épisode pourrait aussi avoir l’effet contraire et voir tout le secteur désireux de rattraper la baisse de l’activité. Une certaine concurrence demeurera toujours et elle peut être saine si elle nous pousse à nous améliorer. Mais l’offre ne devrait pas induire une demande excessive. Autrement dit, il faut un système de santé iv

2004

2006

Nommé président de la Société suisse de médecine intensive

Nommé directeur médical de l’Hôpital de Sion (VS)

71

2015

performant pour bien soigner les gens, mais sans faire davantage que ce qu’il convient de faire et tomber dans la surconsommation. Une limite difficile à trouver. iv Avez-vous ressenti une pression à

sauver, à ne pas pratiquer de retraits thérapeutiques et à faire mieux que ce que font usuellement les soins intensifs ? pe Non, aucune. Nous avons pratiqué la même politique, qui est en phase avec ce que veulent les patients, leurs chances de survie et d’évolution en termes de qualité de vie. L’équilibre entre le risque de s’arrêter trop tôt et de faire de l’acharnement thérapeutique reste toujours un exercice compliqué et nécessite de beaucoup dialoguer entre cadres soignants et avec les proches. En ce sens, la crise a été bénéfique car elle nous a permis d’expliquer ce que sont les soins intensifs, une aventure loin d’être anodine qui peut sauver beaucoup de monde mais pas tout le monde et qui peut laisser des séquelles. iv Comment la médecine peut-elle

revendiquer ses impuissances ? Doit-elle le faire ? pe Pour moi, il n’y a pas d’aveu d’impuissance, mais un devoir de vérité. Il est important que la population comprenne qu’il n’y a pas de solutions toutes faites,

Nommé chef des Soins intensifs du CHUV

2020

Entre en fonction comme directeur général du CHUV


CURSUS

INTERVIEW

que ce soit dans la gestion de la crise ou dans la recherche médicale. Mettre au point un nouveau traitement ou un vaccin n’est pas simple et, si les progrès de la médecine sont majeurs, nous ne pouvons pas toujours tout soigner. Nous avons des limites. Nous sommes mortels. Les professionnels de la santé sont là pour entourer la population, mais elle doit assumer sa part en prenant aussi soin d’elle-même. iv La crise a été marquée par une vague

de soutien sans précédent de la part de la population. Quel impact sur la relation soignant-soigné ? pe La crise a aussi beaucoup montré les autres professionnels, non soignants, qui participent à la vie de l’institution. Ce mouvement de solidarité aura été l’occasion de donner un visage plus humain à l’hôpital, parfois vécu comme un monstre de technologies, mais qui est avant tout un ensemble d’hommes et de femmes. J’espère que cela va contribuer à rassurer les patients.

proches n’a jamais été rompu. Au contraire, l’importance de cette relation n’a peut-être jamais été autant thématisée et soignée que durant cette période. Elle a donné lieu à de nombreuses initiatives qui, pour beaucoup, modifieront l’hôpital. iv Certains philosophes, comme André

Comte-Sponville, se sont insurgés contre la limitation des libertés imposées notamment aux personnes âgées au nom de leur protection. Pensez-vous que nous soyons allés trop loin, que nous développons une obsession du risque zéro au détriment des libertés individuelles ? pe C’est toute l’ambiguïté de la société actuelle. On se plaint de la limitation des libertés tout en pointant du doigt le nombre élevé de décès dus au coronavirus. Nous ne pouvons pas tout avoir. Je pense que la société a le devoir de protéger tout le monde. C’est exact que les mesures de protection pour les personnes âgées ont été plus fortes que pour les jeunes, mais parce que ce sont elles que le Covid-19 tue le plus. Quelle légitimité peut-il y avoir à sacrifier une partie de la société au nom des libertés individuelles ? La responsabilité était collective, bien au-delà du cercle familial. Je suis toujours étonné d’observer à quel point il est difficile de dire que quelque chose a bien fonctionné.

« Je suis toujours étonné d’observer à quel point il est difficile de dire que quelque chose a bien fonctionné. »

iv Dans le même temps, l’hôpital n’a jamais

été aussi peu accessible et s’est transformé en une sorte de forteresse. Le lien entre l’hôpital et ses usagers est-il abîmé ? pe Je ne crois pas car les raisons de la limitation des visites ont été bien expliquées et le lien entre les services, les patients et les

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CURSUS

INTERVIEW

Début avril, la présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga (au centre), s’est rendue au CHUV pour soutenir la lutte contre la pandémie de Covid-19. De gauche à droite : Nuria Gorrite, présidente du gouvernement vaudois, Oliver Peters, directeur général adjoint du CHUV, Philippe Eckert, directeur général du CHUV, Isabelle Lehn, directrice des Soins du CHUV et Rebecca Ruiz, conseillère d’État vaudoise.

Lorsque nous regardons dans le rétroviseur, il faut reconnaître les erreurs commises, mais également replacer les décisions dans leur contexte. En l’occurrence, j’estime que les décisions politiques ont été courageuses et nécessaires. iv Que pensez-vous des applications

JEAN-BERNARD SIEBER/KEYSTONE

qui permettent de tracer les personnes contaminées ? pe Le principe de tracer et de retrouver les personnes de contact pour les isoler n’est pas nouveau, cela s’est toujours fait dans les épidémies antérieures et c’est une bonne chose. Il s’agit de prendre toutes les précautions pour que la sphère privée soit respectée, régler les questions éthiques et

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juridiques, mais il ne faut pas renoncer à un outil moderne et utile. iv Cet été, irez-vous en famille à la plage,

derrière des cages en plexiglas ? Je ne suis pas un adepte de la plage, cela tombe bien ! Nous avions de toute façon prévu des vacances en Suisse cette année. C’est ce que nous allons faire et je m’en réjouis. Le monde qui se dessine pour nos enfants, avec les difficultés liées à la consommation des ressources de la Terre, du réchauffement climatique et du fossé qui se creuse entre les ultrariches et les personnes dans le besoin, me questionnait déjà beaucoup. Le Covid-19 n’aura pas changé cela. /

pe


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INFOGRAPHIE

UN HÔPITAL TRANSFORMÉ

Infographie : Pierre-Antoine Dubois

Pour faire face à la pandémie de Covid-19, le CHUV a adapté de nombreux processus.

Adaptation de la ventilation de l’hospitalisation Nord du BH17

Création de 17 lits de soins intensifs dans la future salle de réveil du bloc opératoire central rénové

Assurer la protection des soignants et des patients. Aménagement d’une consultation au BU21

Création d’une unité de 16 lits au niveau 06 du bloc opératoire complémentaire

Création d’un secteur de dépistage proche des urgences.

Ouverture de 17 lits pour les patients Covid.

16 lits de soins intensifs supplémentaires dédiés aux patients Covid.

150 120 90 60 30 0

5 mars

12 mars

7 mars

14 15 mars mars

Adaptation de la ventilation des unités 1 et 2 des Soins intensifs Augmentation des espaces réservés aux patients Covid.

Adaptation de la ventilation des Soins continus du BH17 Assurer la protection des soignants et des patients. 74

Création d’une unité d’hospitalisation à BT07 14 lits disponibles dans des chambres placées en pression négative pour accueillir des patients contagieux.

19 mars

21 mars

Déplacement de l’unité d’attente pour les patients couchés (UAPC) vers la zone des lits INCA (plan de gestion interne en cas de catastrophe) Augmentation des lits UAPC de 7 à 16 pour les urgences.


CURSUS

INFOGRAPHIE

Délocalisation de la dialyse aiguë au BH11 Libération d’espace pour les patients Covid.

Montage d’une tente sur le parking des ambulances Augmentation de la capacité des patients arrivant en urgences couchées.

Création d’une garderie au BH08 dans les anciens locaux de la bibliothèque

Aménagement d’un local au BH05 normalement destiné au stock du bloc opératoire

Augmentation des possibilités de garde pour les enfants des collaborateurs.

23 mars

26 mars

Un étage de l’hôpital orthopédique est remis à ses spécialistes Redémarrage d’une partie des activités cliniques.

Création de dix places supplémentaires pour les urgences couchées.

28 mars

2 avril 31 1 mars avril

Aménagement de l’ancienne URGO Création de 11 lits de soins intensifs.

Déplacement de l’URGO dans l’hôpital de jour de cardiologie et radiologie du BH07 Transformation de certaines zones d’urgences en zones de soins intensifs pour patients Covid.

75

Regroupement de l’activité pédiatrique pour libérer un demi-étage du BH11 Augmentation de la capacité d’accueil des patients Covid.

6 avril

17 avril

27 avril

Patients Covid hospitalisés au CHUV

Libération du bloc opératoire complémentaire Préparation de huit salles électives et de deux salles d’urgence. Création d’une garderie à Beaumont 48 Au total, plus d’une centaine de places de garde pour les enfants des collaborateurs ont été créées.


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LE PORTRAIT DE

PARCOURS

Karine Tissot Elle conduisait des trams et donnait des cours de natation pour financer ses études en histoire de l’art. Après avoir dirigé pendant huit ans le Centre d’art contemporain d’Yverdon-les-Bains, Karine Tissot pilotera les activités culturelles du CHUV. TEXTE  : RACHEL PERRET PHOTO : LAURIANNE AEBY

« J’aime le mot ‘partage’ car il contient le terme ‘art’. Par la richesse de ses expressions, l’art offre des alternatives de pensées qui touchent tous les moments de la vie, y compris les plus fragiles. »

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CURSUS

PARCOURS

1974–1986

Décollage dans le canton de Vaud Les parents de Karine Tissot se rencontrent à l’aérodrome de la Blécherette : elle est hôtesse de l’air chez Swissair ; lui, ingénieur mécanique, rêvait de devenir pilote professionnel. La sœur de Karine fait de la danse son métier, tandis que son frère, docteur en microélectronique, fonde une start-up à succès. Pas de prémices artistiques ou culturelles, dans cette enfance qui se déroule à Morges, mais le souvenir marquant, à 6 ans, de manquer de se noyer à la piscine.

1987–1991

Un tournant, à Lugano À 13 ans, elle est invitée par une amie à passer quelques jours à Lugano. Les filles visitent un musée qui abrite alors la collection d’art ancien, moderne et contemporain de la famille Thyssen-Bornemisza. Une révélation. Elle décide alors de faire le collège artistique à Genève. Entre-temps, Karine a aussi appris à nager : tellement bien qu’elle devient monitrice.

1992–2005

Entre les lignes Elle étudie l’histoire de l’art à l’Université de Genève, ainsi que le russe. C’est autour de ses tables de caractères cyrilliques et au cours de voyages en ex-URSS qu’elle se lie à une étudiante, dont, bien plus tard, elle épousera le frère. Pour financer ses études et un diplôme supérieur en muséologie, elle donne des cours de natation et conduit des trams. Passeuse, elle n’aura de cesse de traduire l’art pour permettre à tout un chacun de l’apprécier. Elle décroche son premier emploi au Musée d’art et d’histoire de Genève.

2006–2011

Transmissions Au Musée d’art moderne et contemporain de Genève, le Mamco, Karine monte le Bureau des transmissions, dont le rôle est de rendre l’art accessible à tous les publics, adultes comme enfants. En 2010 sort de presse un livre sur lequel elle travaille depuis longtemps, une somme qui retrace 600 ans d’histoire de l’art à Genève. Le canton lui propose alors d’accompagner, à travers une sélection d’œuvres, la construction d’une nouvelle ligne de tram. Un mandat qu’elle mettra entre parenthèses à la naissance de sa fille, Apolline.

2012–2020

Une escale à Londres, destination CHUV Yverdon met au concours un espace de l’Hôtel de Ville pour un projet culturel. Le Centre d’art contemporain (CACY) imaginé par Karine est retenu. En 2018, elle s’accorde, grâce à une bourse, un congé sabbatique de quelques mois à Londres. Il se révélera actif puisqu’elle y conçoit la programmation suisse d’Art Paris. Alors qu’elle monte ses dernières expositions à Yverdon (« Libres » et « Inside »), une nouvelle porte s’ouvre, à l’hôpital. En juin, elle succédera à Caroline de Watteville au poste de chargée des activités culturelles du CHUV. /

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BACKSTAGE

FLEXIBILITÉ L’agence Large Network, coéditrice avec le CHUV d’In Vivo, a également adapté ses processus pendant la crise sanitaire. Jonglant entre le télétravail, les visioconférences et les mesures de protection, l’équipe a pu réaliser ce numéro spécial en un temps record. Ci-dessus, Pierre Grosjean, Yasmine Ahamed et Mónica Gonçalves (de gauche à droite).

LARGE NETWORK

ILLUSTRATION C’est l’illustratrice lausannoise Karen Ichters qui a réalisé le dessin pour l’article sur l’addiction des Suisses aux cachets (p. 45). Ces croquis montrent comment elle a mélangé une imagerie très suisse aux menaces cachées de certains médicaments.

78


CONTRIBUTEURS

NINA SEDDIK Diplômée de l’École hôtelière de Lausanne, Nina Seddik a travaillé dans la communication avant de s’orienter vers le journalisme. Elle le pratique aujourd’hui en freelance et collabore avec différents titres romands. Passionnée par les questions sociétales, elle s’intéresse tout particulièrement au rapport que les femmes entretiennent avec leur corps. Durant la préparation de l’article au sujet de la tocophobie publié dans ce numéro (p. 53), elle s’est émue de la culpabilité que peuvent ressentir certaines femmes face à la peur d’accoucher.

LAURENCE JAQUET Géographe de formation, Laurence Jaquet est particulièrement intéressée par les questions environnementales en lien avec l’urbanisme et la société. Elle contribue ainsi à l’écriture d’articles pour différents journaux et magazines tout en poursuivant, des études en aménagement du territoire. Dans In Vivo, elle apprécie particulièrement la rubrique Faune et Flore, à laquelle elle a collaboré dans ce numéro (p. 66).

BERTRAND TAPPY

DR

Lorsque In Vivo a demandé à Bertrand Tappy, son ancien responsable éditorial, de venir couvrir la réorganisation du CHUV dans la lutte contre le Covid-19, le journaliste n’a pas hésité une seule seconde. Durant plusieurs semaines, il s’est rendu dans différents services de l’hôpital afin de rédiger le dossier spécial de ce numéro (p. 3).

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IN VIVO

Une publication éditée par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et l’agence de presse Large Network www.invivomagazine.com

ÉDITION

CHUV, rue du Bugnon 46 1011 Lausanne, Suisse RÉALISATION ÉDITORIALE ET GRAPHIQUE T. + 41 21 314 11 11, www.chuv.ch Large Network, www.largenetwork.com redaction@invivomagazine.com T. + 41 22 919 19 19 ÉDITEURS RESPONSABLES

Béatrice Schaad DIRECTION DE PROJET ET ÉDITION ONLINE

Gary Drechou

RESPONSABLES DE LA PUBLICATION

Gabriel Sigrist et Pierre Grosjean DIRECTION DE PROJET

Robert Gloy

REMERCIEMENTS

DESIGN Alessandro Sofia, Alyssia Lohner, Amélie Kittel, Large Network, Mónica Gonçalves et Sabrine Elias Daphné Giaquinto, Diane De Saab, Dominique Savoia Diss, Élise Méan, Francine Billote, Jessica Scheurer, Joelle Isler, Katarzyna Gornik, RÉDACTION Manuela Palma de Figueiredo, Mélanie Affentrager, Large Network (Yann Bernardinelli, Andrée-Marie Dussault, Carole Extermann, Muriel Faienza, Nicolas Berlie, Nicolas Jayet, Erik Freudenreich, Laurence Jaquet, Robert Gloy, Blandine Guignier, Audrey Magat, Sarah Iachini, Simone Kühner, Sonia Ratel Tinguely, Charlotte Mermier, Patricia Michaud, Jean-Christophe Piot, Tiago Pires, Nina Seddik), Virginie Bovet et le Service Rachel Perret, Bertrand Tappy de communication du CHUV. PARTENAIRE DE DISTRIBUTION

BioAlps

RECHERCHE ICONOGRAPHIQUE

Sabrine Elias MISE EN PAGE

Mónica Gonçalves COUVERTURE

Photo : Laurianne Aeby IMAGES

CHUV (Laurianne Aeby, Eric Déroze, Heidi Diaz, Gilles Weber), Urka/Karen Ichters, Thierry Parel IMPRESSION

PCL Presses Centrales SA TIRAGE

17’500 exemplaires en français Les propos tenus par les intervenants dans In Vivo et In Extenso n’engagent que les intéressés et en aucune manière l’éditeur.

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IN EXTENSO

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24 heures dans la peau d’un athlète

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