IN VIVO #26

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SITUATIONS DE VULNÉRABILITÉ : DES BESOINS SPÉCIFIQUES

ENDOMÉTRIOSE Ces règles douloureuses qui cachent une pathologie ORTHODONTIE Le réalignement des dents low cost TRAITEMENTS Des psychédéliques en micro-dosage

Édité par le CHUV

www.invivomagazine.com

Penser la santé N° 26 – DÉCEMBRE 2022
IN EXTENSO LES HORMONES
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magazine fantastique, dont les posters habillent toujours nos murs. » Swissnex, Brésil ABONNEZ-VOUS À IN VIVO
mise
Laure A., Lausanne MAIN BIONIQUE TOUCHER, BOUGER, SENTIR ? Pierre-François Leyvraz sur ses onze ans la tête du CHU DÉCEMBRE
infographies sont géniales, faciles à comprendre
au public auquel
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« Vos
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j’enseigne. »
VIVO 20 JUIN COVID-19 www.invivomagazine.com MATERNITÉ COVID-19 COMBATTRE LE VIRUS TÉMOIGNAGES www.invivomagazine.com OBESITÉ Maladies cardiovasculaires, dépression et grossophobie Ces femmes qui font congeler leurs ovocytes DOSSIER LA SCIENCE FACE AUX VIRUS TRANSMISSIONS VARIANTS VACCINS DOSSIER FEMMES, CHERCHEUSES ET MÉDECINS GENRE CARRIÈRE COLLABORATION VÉGANISME Entre bienfaits et carences Le point de vue de Boris Cyrulnik La maladie psychiatrique au cinéma IDENTITÉ JEUNES ET TRANSGENRES COMMENT LES ACCOMPAGNER ? TÉMOIGNAGES / ENQUÊTE SOLUTIONS phénomène aujourd'hui amplifié sur des réseaux par la pandémie. LA MÉDECINE FACE À LA MÉFIANCE Concilier endurance et manque de sommeil
Isabelle G., Lausanne

IN SITU

7 / HEALTH VALLEY

Trisomie 21: une thérapie à partir d’hormones

11 / SUR LA ROUTE Un fil qui sauve

FOCUS

17 / DOSSIER

Situations de vulnérabilité et accès aux soins PAR ÉMILIE MATHYS

Le Sleep-In de Renens sert d’hébergement d’urgence pour les personnes qui n’ont pas de toit pour la nuit. Dans le cadre du dossier consacré à la médecine communautaire, la journaliste Emilie Mathys a accompagné une Équipe mobile d’urgences sociales sur le terrain (p. 22).

HEÏDI DIAZ
IN VIVO / N° 26 / DÉCEMBRE 2022
SOMMAIRE
Le magazine In Vivo édité par le CHUV est vendu au prix de CHF 5.- en librairie et distribué gratuitement sur les différents sites du CHUV.

MENS SANA

30 / INTERVIEW

Solange Peters

« J’aimerais montrer que la diversité n'est pas une menace »

PAR ÉMILIE MATHYS

34 / DÉCRYPTAGE

Vivre avec la maladie de Crohn

PAR AUDREY MAGAT

37 / PROSPECTION

Mon expérience du covid long

PAR SIMON FARAUD

40 / TENDANCE

Se soigner au LSD ?

PAR ARNAUD DEMAISON

43 / COULISSES

Au CHUV, l’architecture en renouvellement perpétuel

PAR JEAN-CHRISTOPHE PIOT

CORPORE SANO

48 / INNOVATION

Burn-out et big data

PAR PATRICIA MICHAUD

52 / TENDANCE

Le mirage des sourires pour quelques francs

PAR STÉPHANIE DE ROGUIN

56 / TABOU

Bébés secoués, éviter le drame

PAR AUDREY MAGAT

58 / DÉCRYPTAGE

Les mystères de la très douloureuse endométriose

PAR ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

62 / EN IMAGES

Le parcours d’une blouse

PAR AUDREY MAGAT

CURSUS

71 / ÉCLAIRAGE

Le CHUV, un fleuron de la médecine vaudoise

PAR ARNAUD DEMAISON

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ERIC DÉROZE, GILLES WEBER
30 21 34 2 SOMMAIRE

UN

Les Suisses ne se précipitent pas chez le médecin à chaque bobo. Selon l’OCDE, ils consultent en moyenne quatre fois par année, soit beaucoup moins qu’en France (7 fois) ou en Allemagne (10 fois). Rien à voir avec un désamour à l’égard du système de santé helvétique, l’explication viendrait plutôt du porte-monnaie : une visite chez le médecin coûte cher. Mises en place pour responsabiliser le ou la « consommateur·trice de soins », les franchises et quotepart ont l’effet collatéral assumé, et parfois pervers, de dissuader les patient·e·s incertain·e·s. Sachant que les premières centaines de francs seront à leur charge, certain·e·s y réfléchissent à deux fois avant d’aller faire inspecter cette petite toux qui traîne. Jusqu’au moment de l’hospitalisation, en urgence et à grands frais, suite à une pneumonie.

Si un suivi régulier demande un effort financier pour la majorité, il est hors de portée de toute une partie de la population considérée « en situation de vulnérabilité » (p.17). Les disparités sociales, la pauvreté en tête mais aussi l’isolement, le handicap, l’analphabétisme, l’immigration et bien d’autres encore sont connues pour avoir des répercussions importantes sur l’état de santé. Certaines conditions ou des parcours de vie particuliers ont un impact fort tels que le système carcéral (p.26) ou le statut de réfugié (p.21) ; d’autres phénomènes comme le covid long (p.37) sont encore peu connus mais font déjà des dommages substantiels même parmi les couches de la population traditionnellement moins à risques. De manière transitoire ou chronique, personne n’est à l’abri de se retrouver un jour en position de vulnérabilité.

L’hôpital a conscience qu’intervenir tôt auprès de ces populations, c’est une chance de prendre en charge des situations avant qu’elles ne dégénèrent. Les autorités sanitaires, et notamment celles du canton de Vaud (DSAS), fournissent de nombreuses prestations d’intérêt général, que ce soit dans l’assistance sociale, les hébergements sociaux, l’ouverture de consultations spécialisées, les subventions et bien d’autres encore, pour atteindre des personnes qui sans ces efforts resteraient en marge du système de santé. Mais face à l’urgence financière de la fin du mois, comment se préoccuper des conséquences à long terme de ce qui pour l’instant n’est qu’un petit bobo ? /

GILLES WEBER
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PETIT BOBO QUI FINIRA PAR COÛTER CHER Éditorial ARNAUD DEMAISON Responsable éditorial

Grâce à ses hôpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spécialisent dans le domaine de la santé, la Suisse romande excelle en matière d’innovation médicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de « Health Valley ».

Grâce à ses hôpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spécialisent dans le domaine de la santé, la Suisse romande excelle en matière d’innovation médicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de « Health Valley ».

IN SITU

HEALTH VALLEY

GENÈVE P. 11

Actualité de l’innovation médicale en Suisse romande.

Actualité de l’innovation médicale en Suisse romande.

RENENS P. 9

Une nouvelle pince de Pozzi qui limite les douleurs lors d’interventions gynécologiques a été imaginée par la start-up Aspivix.

Le spin-off Artiria Medical a développé un outil pour faciliter le traitement chirurgical des AVC.

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NEUCHÂTEL P. 8

L’application OptiBP permet de mesurer sa tension artérielle depuis un smartphone.

MONTHEY P. 6

Spécialisée dans les tests rapides, GaDia pourra désormais commercialiser ses produits à une échelle internationale.

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START-UP DIAGNOSTIC RAPIDE

Spécialisée dans le développement de tests rapides pour les hôpitaux, la start-up GaDia, basée à Monthey, vient d’obtenir la certification qui lui permet de garantir la conformité de ses produits à une échelle internationale. GaDia fabrique notamment des tests pour détecter le Covid-19, les infections fongiques ou encore un dispositif pour repérer une résistance aux antibiotiques.

EX VIVO

La Fondation pour l’innovation vient d’octroyer 100’000 francs à la start-up lausannoise

HemostOD. L’entreprise s’est spécialisée dans la conception de plaquettes sanguines ex vivo, c’est-à-dire en dehors de l’organisme. Une solution intéressante pour lutter contre la pénurie de ces cellules sanguines dont la demande est en augmentation. Les plaquettes de synthèse diminuent aussi le risque de contaminations lors des transfusions.

EXOSQUELETTE

Emovo Care, un spin-off de l’EPFL, a obtenu la certification lui permettant de mettre sur le marché son exosquelette de la main. Destiné aux personnes ayant subi une attaque cérébrale ou un accident, l’exosquelette se compose d’une structure simple et adaptable afin de garantir une utilisation quotidienne. Ce dispositif permet, entre autres, de retrouver de l’autonomie.

En pourcentage, la proportion de la population suisse qui considère mal dormir la nuit. Un résultat publié en juin dernier dans l’étude « Sanitas Health Forecast 2022 ».

Raphaël Heinzer, médecin-chef au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil, pointe notamment la course à la performance, la lumière des écrans ou encore l’alcool comme des causes majeures de perturbation du sommeil.

« Pourquoi la moitié de la Suisse dort mal », Tribune de Genève, 21.06.2022

Un médicament contre le Covid-19

MISE SUR LE MARCHÉ L’entreprise

Pfizer vient d’obtenir l’autorisation pour la distribution de Paxlovid, un médicament pour soigner le Covid-19. Le traitement, sous forme de comprimés, est destiné aux adultes qui présentent des risques importants de développer une forme grave de la maladie. Le médicament contient du ritonavir, un principe actif utilisé depuis plus de vingt ans, notamment pour le traitement contre le VIH.

L’OBJET

CASQUES CONNECTÉS

Depuis août dernier, les casques des joueurs des clubs de hockey de Swiss National League sont équipés de capteurs pour mesurer les impacts des chocs à la tête. Le projet a été imaginé au sein de l’EPFL par l’entreprise Bearmind et le designer Christophe Guberan. Les données récoltées seront analysées par une équipe de recherche de l’EPFL et du CHUV afin de concevoir un système qui permettra de protéger davantage les joueurs et de diminuer les risques de commotions cérébrales. Ce produit devrait voir le jour d’ici à deux ans.

EVAN DE SCHRIJVER L’ÉPIDÉMIOLOGISTE S’EST EXPRIMÉ DANS LE JOURNAL « LE TEMPS » AU SUJET DES ENJEUX LIÉS AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET AU VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION. LA MENACE RÉSIDE DANS LA HAUSSE, MAIS AUSSI DANS LA BAISSE DES TEMPÉRATURES. EN SUISSE, ON COMPTE 5200 DÉCÈS PAR AN LIÉS AU FROID SUR CES CINQUANTE DERNIÈRES ANNÉES.

DR 6
« À l’échelle mondiale, les effets de la température ont déjà été associés à plus de 7 millions de décès par an. »
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Trisomie 21 : une thérapie à partir d’hormones

COGNITION Pour une partie des personnes porteuses de trisomie 21, des symptômes proches de ceux de la maladie d’Alzheimer pourraient apparaître. Un fait peu connu, comme cette maladie. «C’est une pathologie dont la cause chromosomique a été découverte à la fin des années 1950, mais dont on ne sait que peu de choses, alors que la trisomie 21 s’accompagne de nombreux problèmes de santé », explique Ariane Giacobino, spécialiste en génétique et responsable de la consultation dédiée à cette maladie aux HUG.

Récemment, une étude pilote a été menée au CHUV, destinée à améliorer la qualité de vie des personnes nées avec une trisomie 21.

« Notre recherche vise à étudier le rôle de l’hormone GnRH, notamment impliquée dans la reproduction et la puberté, sur la cognition chez les personnes porteuses de trisomie 21 », explique Michela Adamo, doctorante dans le cadre de cette étude menée par l’endocrinologue Pre Nelly Pitteloud au CHUV, en collaboration avec l’Inserm. «Le déficit intellectuel est l’une des manifestations cliniques principales de la trisomie 21. Mais il est impossible de savoir, par avance, le degré de ce déficit ou comment il va évoluer dans le temps », ajoute Ariane Giacobino.

Un traitement déjà connu

L'étude pilote a été menée sur sept hommes, tous pouvant s'exprimer. « L’avantage, c’est que le traitement de GnRH pulsatile existait déjà et est très bien toléré ; il est utilisé par exemple pour les personnes qui ne vont pas au travers de la puberté spontanément, précise Michela Adamo. Ce traitement est administré par une petite pompe généralement placée sur le bras. » Les sept patients retenus pour l’étude ont donc reçu durant six mois, en sous-cutané, des injections de GnRH

TEXTE : CAROLE EXTERMANN

toutes les deux heures. Pour trouver les participants, l’équipe du CHUV s’est tournée vers la professeure Ariane Giacobino qui dirige la seule consultation consacrée à la trisomie 21 dans le pays ainsi que vers les différentes associations présentes en Suisse romande. «Pour des familles qui ont souvent déjà énormément de rendez-vous médicaux, la participation à l’étude demandait beaucoup de motivation, souligne Ariane Giacobino. Mais, en même temps, si la thérapie fonctionne, c’est la promesse d’un grand soulagement.»

Confirmer la durabilité des effets

EN HAUT : NELLY PITTELOUD, CHEFFE DE SERVICE D'ENDOCRINOLOGIE, DIABÉTOLOGIE ET MÉTABOLISME EN BAS : IMAGERIES CÉRÉBRALES AVANT ET APRÈS LE TRAITEMENT

À la fin de la phase pilote, nous avons observé, chez six des sept patients traités, une amélioration des performances cognitives se traduisant par une meilleure représentation tridimensionnelle, une compréhension accrue des consignes, ou encore une plus grande capacité de raisonnement. « Ces résultats cliniques sont déjà particulièrement encourageants. Nous avons pu montrer des changements dans le fonctionnement cérébral, en terme de connectivité, détaille Michela Adamo. En effet, sous l'effet du traitement, nous avons observé que certaines régions importantes pour la cognition communiquaient mieux entre elles. » Des résultats qui ont valu un article en septembre dernier dans la revue Science au sujet de cette recherche. Désormais, l’un des enjeux majeurs est de les confirmer par la réalisation d'une étude de plus grande ampleur. L’équipe de recherche mènera donc une étude randomisée avec une soixantaine de femmes et d’hommes né·e·s avec une trisomie 21. Le but étant de comparer les effets de la GnRH avec un placebo. /

Formulaire pour participer à l’étude : https ://www.chuv.ch/fr/edm/edm-home/ recherche/etude-lutre-up-trisomie-21

GILLES WEBER
L’amélioration des capacités intellectuelles des personnes atteintes de cette maladie est un enjeu majeur pour leur qualité de vie. Un traitement basé sur l’hormone GnRH a apporté des premiers résultats encourageants.
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3 QUESTIONS À LÉONORE PORCHET

LA PRÉSIDENTE DE L’ORGANISATION SANTÉ SEXUELLE

SUISSE DÉPOSE UNE INITIATIVE PARLEMENTAIRE

POUR SUPPRIMER L’AVORTEMENT DU CODE PÉNAL.

1 EN QUOI CONSISTE CETTE INITIATIVE ?

En Suisse, l’avortement est a priori interdit. Il relève du Code pénal qui précise les conditions dans lesquelles il n’est pas puni, par exemple lorsque l’avortement intervient dans les douze premières semaines de grossesse. L’initiative vise à valoriser l’IVG en tant que droit humain, et non comme une autorisation exceptionnelle liée à de nombreuses conditions.

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QUELS SONT LES OBSTACLES À L’IVG EN SUISSE ?

Les principales difficultés que rencontrent les femmes qui souhaitent avorter sont des prix élevés et de longs délais d’attente. La facilité d’accès à l’avortement varie aussi selon les cantons. On assiste ainsi à un tourisme gynécologique. Certaines femmes préfèrent se rendre dans

un autre canton, voire à l’étranger pour avorter. Dans le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures, par exemple, aucune IVG n’aurait été pratiquée depuis 2012 alors que ses résidentes n’ont jamais cessé d’y faire appel. Le canton enregistre 2,9% d’IVG en 2021, mais pas une sur son territoire.

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QUEL SERAIT L’IMPACT SUR LE PERSONNEL MÉDICAL SI L’INITIATIVE ÉTAIT APPROUVÉE ?

Actuellement, les spécialistes de la santé suivent le droit pénal et des règles qui ne sont pas d’ordre médical, comme l’exigence d’une lettre écrite par la patiente avant de procéder à l’IVG. J’espère que l’adoption de l’initiative sera reçue comme un soulagement et un acte de confiance envers le corps médical qui sera libre de traiter l’IVG pour ce qu’elle est : une question de santé. /

Mesurer la pression artérielle avec un smartphone

INNOVATION En posant le doigt sur la caméra de son smartphone, une personne peut se voir indiquer sa pression artérielle en quelques secondes via l’application OptiBP. Ce logiciel conçu par la start-up neuchâteloise Biospectal est arrivé en finale du Swiss Medtech Award. Cofondée par Patrick Schoettker, médecin-chef du service d’anesthésiologie au CHUV et Eliott Jones, l’entreprise, qui emploie actuellement 15 personnes entre la Suisse et les États-Unis, espère ainsi pouvoir faciliter le dépistage de l’hypertension artérielle. Un enjeu capital, puisque la pathologie constitue la principale cause d’accidents vasculaires et cérébraux à l’échelle mondiale.

Créer des cerveaux numériques

RECONSTRUCTION L’équipe de scientifiques du Blue Brain Project de l’EPFL a découvert une nouvelle façon de dessiner des neurones en 3D. Un algorithme leur permet de reconstituer rapidement et numériquement des aires cérébrales entières. À terme, cette pratique pourrait permettre de créer des jumeaux numériques du cerveau humain. Pour l’instant, les expériences montrent des résultats dans la réalisation de reconstructions et de simulation biologique du cerveau de la souris.

IMAGIE
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SANTÉ DES FEMMES : UN MARCHÉ DE NICHE AU GRAND POTENTIEL

Le terme « femtech », né de la contraction des mots anglais female et technology, regroupe les entreprises actives dans la santé féminine. Un domaine en croissance, surtout en Suisse. Parmi les 1300 entreprises identifiées dans le monde par FemTech Analytics, 85 sont installées dans le pays. La plateforme annonce que ce marché devrait approcher les 75 milliards

de dollars d’ici à 2025. Pourtant, les financements restent encore timides par rapport au nombre de personnes concernées. Pour renforcer ce marché, l’EPFL et le Groupe Mutuel ont lancé en 2021 Tech4Eva, un accélérateur de start-up spécialisées dans la femtech et basé à Lausanne. Trois exemples d’entreprises suisses actives dans ce domaine.

SANTÉ REPRODUCTIVE

Les recherches actuelles tendent à montrer que le microbiote vaginal peut jouer un rôle important dans la fécondation. La start-up Yoni Solutions, basée à Monthey, étudie le profil des composants de ce microbiome qui pourraient notamment influencer la réussite d’une fécondation in vitro.

GYNÉCOLOGIE

Les manipulations du col de l’utérus se font souvent sans anesthésie, par exemple lors de la pose d’un stérilet, un dispositif contraceptif installé directement sur l’utérus. L’instrument privilégié pour ce type d’interventions est la pince de Pozzi. L’idée de la start-up Aspivix installée à Renens est d’offrir un dispositif alternatif, conçu avec une ventouse pour limiter les douleurs potentielles.

Adopter un rat de laboratoire

ANIMAUX DE COMPAGNIE Particulièrement doués pour apprendre rapidement de nouvelles tâches, les rats sont souvent sollicités en laboratoire dans le cadre d’expériences comportementales. En Suisse, ils représentent 9,5% des animaux utilisés dans le cadre de recherches scientifiques. Pour pouvoir offrir une fin de vie décente à ces rats, l’EPFL vient d’engager une collaboration avec la Protection suisse des animaux dans le but de placer chez des particuliers les animaux qui ne participeront plus à des expériences.

GROSSESSE

La serviette hygiénique connectée imaginée par l’entreprise lausannoise Rea Diagnostics permet de reconnaître les signes d’un accouchement prématuré. Connectés à un smartphone, les capteurs analysent continuellement, et de façon non invasive, les sécrétions vaginales de la femme enceinte.

ISTOCK
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Une mouche numérique en open source

BIOMÉCANIQUE La NeuroMechFly est une mouche virtuelle développée par une équipe scientifique de l’EPFL. Conçu sous forme de logiciel open source, l’outil peut être librement utilisé et modifié. Ce modèle numérique de l’insecte le plus utilisé en sciences de la vie sert notamment au développement de robots bio-inspirés. La NeuroMechFly a été créée à travers des mesures 3D de l’activité de mouches réelles. L’insecte est l’un des seuls à pouvoir grimper sur tous types de terrains. Une meilleure compréhension de son comportement permet de perfectionner la conception de robots bio-inspirés.

Bonne nouvelle pour la lutte contre le cancer de l’ovaire

FINANCEMENT Le professeur Sven Rottenberg de l’Université de Berne et l’oncologue Intidhar Labidi-Galy de l’Université de Genève et des HUG viennent de décrocher 878’000 dollars pour leur recherche contre le cancer de l’ovaire. Ces subsides ont été octroyés dans le cadre de l’Ovarian Cancer Research Program, l’unique organisme de recherche dédié au cancer de l’ovaire au niveau fédéral, aux États-Unis. La maladie est souvent diagnostiquée à un stade tardif et de nombreuses femmes subissent des récidives. Le duo cherche à décrypter ces mécanismes de résistance à l’aide, entre autres, de l’intelligence artificielle.

3 QUESTIONS À MARA GRAZIANI

LA PROFESSEURE EN INTELLIGENCE ARTIFICIELLE UTILISE CET OUTIL POUR AFFINER LE DIAGNOSTIC ET LES TRAITEMENTS.

1 QUELS SONT LES ENJEUX DE VOTRE RECHERCHE ?

Je développe, avec mon équipe, des algorithmes d’intelligence artificielle (IA) aptes à la détection de pathologies comme le cancer ou la sclérose en plaques. Nous estimons que dans les prochaines années, cette technologie pourra assurer aux patient·e·s une détection plus rapide et précise de leur pathologie et identifier une thérapie spécifique à chaque cas. Concernant la sclérose en plaques précisément, nous sommes, avec le laboratoire du Centre d’imagerie biomédicale (CIBM) du CHUV, sur le point de lancer un challenge international appelé «Shifts 2.0». L’idée est de réunir des chercheurs et chercheuses du monde entier dans le but d’améliorer les techniques d’IA existantes et de les rendre plus fiables.

2 EST-CE QUE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE PEUT SE SUBSTITUER AU MÉDECIN ?

L’intelligence artificielle n’est en aucun cas un substitut aux thérapeutes. Ce seront toujours les médecins qui prendront la décision finale. Des études ont démontré que les spécialistes qui utilisent l’intelligence artificielle en complément de leur diagnostic minimisent les erreurs au cours de la détection d’un cancer. Par exemple, à l’hôpital de Caltagirone, en Italie, les médecins utilisent ces algorithmes pour éviter de rater les signes de cancer qui ne sont pas facilement visibles comme le cancer de la prostate ou du côlon. L’institut de pathologie de Berne travaille aussi sur des technologies pour renforcer l’efficacité de son laboratoire et répondre au nombre croissant de demandes d’analyses.

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QUAND LE PROGRAMME D’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE SERA-T-IL PRÊT POUR UN USAGE QUOTIDIEN ?

Dans quatre ou cinq ans, toujours aux côtés des pathologues, nous espérons proposer un algorithme plus intuitif et efficace. Mon travail consiste principalement à affiner la communication entre le corps médical et l’algorithme d’IA, afin d’assurer la fiabilité et la sécurité de l’utilisation de ces algorithmes dans les routines de diagnostic quotidiennes. /

DR
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ARTIRIA MÉDICAL GENÈVE SUR LA ROUTE À la rencontre des acteurs de la Health Valley.

Nouvelle étape : Genève.

Quatre cheveux à peine, c’est la largeur du nouveau dispositif développé par Artiria Medical pour améliorer la prise en charge des AVC (accidents vasculaires cérébraux). En Suisse, l’AVC, qui touche 16’000 personnes par an, constitue la troisième cause de mortalité après les maladies cardiovasculaires et les cancers. Alors que chaque minute compte lorsqu’il s’agit d’attaques cérébrales, ce tout petit fil d’Ariane révolutionnaire augure de grandes avancées dans le traitement de l’AVC qui touche une personne sur quatre dans le monde. Grâce à cette technologie de pointe, la start-up a développé un fil de 0,3 millimètre, soit environ 30 fois plus petit qu’un endoscope classique de 8 millimètres. Les neuro-radiologues pourront se diriger beaucoup plus facilement et rapidement le long de l’artère fémorale, de l’aine jusqu’au cerveau, avec l’espoir de limiter ainsi les séquelles de l’AVC, souvent très lourdes.

À l’origine du projet, deux ingénieurs romands quadragénaires et amis, que la passion commune pour la montagne

et les technologies médicales innovantes a conduits à créer Artiria Medical en 2019.

« L’idée est venue d’un besoin des praticiens observé dans les blocs opératoires. Pour l’instant, la seule technologie disponible est un fil dont le pilotage est très complexe ou bien la chirurgie à crâne ouvert, explique l’un des deux cofondateurs et CEO de la boîte, Guillaume Petit-Pierre. Or à long terme, la moindre minute gagnée lors d’un AVC permet une meilleure récupération. Avec son dispositif de guidage augmenté, notre solution pourrait grandement faciliter et améliorer les interventions. »

Spin-off de l’EPFL, Artiria Medical (artiria signifie « artère » en grec) vient de lever 3,8 millions de francs pour entamer la phase d’essais cliniques cet automne et espère commercialiser son fil révolutionnaire d’ici à 2024. Nichée au cœur du Campus Biotech à Genève, la start-up planche d’ores et déjà sur d’autres technologies de pointe. « Notre ambition est d’amener de l’innovation dans le domaine neurovasculaire en général, où il y a encore beaucoup à inventer. » /

ÉTAPE
N° 26
Un fil qui sauve
La start-up Artiria Medical a développé un dispositif pour améliorer le traitement des AVC
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TEXTE : PAULINE CANCELA

SOUVERAINETÉ : CE DANGEREUX ÉQUILIBRE

« Susteignty » est un mot que vous ne trouverez pas encore dans votre dictionnaire. Il s’agit d’un néologisme qui alimente nos réflexions sur la gestion de notre souveraineté.

Les deux dernières crises auxquelles nous faisons face (pandémie et guerre en Ukraine) nous ont montré les limites de notre système d’approvisionnement s’appuyant sur le « no stock », le « just-in-time », la libre circulation des marchandises, des capitaux et des ressources humaines.

L’idée de repenser la mondialisation, les chaînes d’approvisionnement au profit de circuits courts ou encore la préférence nationale est au cœur des débats, souvent résumée à des questions de souveraineté. Un mot que je n’aime pas car il suggère un repli sur soi, des relents d’égoïsme, voire de suffisance. Nous dépendons et dépendrons en effet toujours les uns des autres, d’où le concept de susteignty qui intègre deux dimensions essentielles : la souveraineté (sovereignty) et la durabilité (sustainability). Cette dernière est en effet essentielle pour garantir que nous nous projetons au-delà d’un horizon purement conjoncturel et répondons à la fois aux questions d’accès aux ressources et à celles d’une pérennisation des réponses apportées. Que l’on évoque les questions liées à l’accès aux énergies, aux médicaments (et vaccins), à la nourriture, aux données ou aux technologies, la dialectique est similaire. Mais sommes-nous indépendants ? Pour le savoir, répondons à trois questions : disposons-nous des technologies clés nousmêmes ? Sinon, y avons-nous accès au travers de différentes sources indépendantes ? Sinon, avons-nous un accès illimité, à long terme (au moins cinq ans) et garanti par un unique fournisseur non monopolistique ou oligopolistique (typiquement la Chine ou les États-Unis) ?

Si nous répondons trois fois non, nous devons dès lors tout faire pour garantir au moins un oui à l’une des trois questions ou alors nous deviendrons dépendants d’un autre État et nous nous exposons à une coercition économique.

Comme le rappelait récemment le professeur Stéphane Garelli, il n’y a rien de plus frustrant que de constater que notre liberté est contrainte par les décisions des autres. L’économie globale a exacerbé ce sentiment de dépendance. Il faut cependant mesure garder et rester connecté au monde en profitant des expertises de chacun. Que ce soit un État, une entreprise ou une personne, nul ne peut en effet s’isoler. Nous sommes pris dans un maillage de relations, qui peuvent se transformer en autant de faiblesses que d’opportunités.

L’objectif ne peut être d’y échapper, mais de mieux gérer ces interdépendances. Les vaccins contre le Covid-19 le montrent. En deux ans, le monde a inventé, produit et distribué plus de 4 milliards de doses. Aucune entreprise seule, aucun institut de recherche, aucun État n’aurait été capable d’une telle prouesse, ce que résuma fort bien en son temps Franklin Roosevelt : « La civilisation moderne est devenue si complexe et la vie des hommes civilisés est si étroitement liée à celle d’autres hommes dans d’autres pays qu’il est impossible d’être dans ce monde et hors de lui. »

Participez à ce débat de société en enrichissant nos discussions sur inartis.ch ou sur Instagram #Susteignty. /

BENOÎT DUBUIS Ingénieur, entrepreneur, président du BioAlps et directeur du site Campus Biotech inartis.ch republic-of-innovation.ch healthvalley.ch
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TEXTE : BENO Î T DUBUIS

CERVEAU

Fatigue mentale

Après une journée d’intense réflexion, de concentration poussée et d’échanges sociaux, il est tentant de privilégier les activités intellectuellement faciles. Et c’est normal.

D’après un groupe de recherche français, la fatigue mentale est corrélée à une accumulation toxique de glutamate dans la zone du cerveau impliquée dans la prise de décision. L’équipe de neuroscientifiques de l’Institut du cerveau de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris a ainsi publié en août 2022 une explication physiologique à ce qui est souvent considéré comme de la paresse intellectuelle. /

LA SUITE DES ARTICLES DE IN VIVO

Sauver des vies

Depuis trois ans, l’application

« Save a life » permet d’alerter les personnes qui savent prodiguer un massage cardiaque situées à proximité d’une victime. Entre janvier et septembre de cette année, l’alerte a été lancée 92 fois et dans 49 cas les volontaires inscrits sur l’application sont arrivés avant l’ambulance.

Puisque l’on sait désormais que chaque minute écoulée diminue de 10% les chances de survie de la personne qui a subi un malaise cardiaque, agir le plus vite possible est indispensable. /

COMPATIBILITÉ

Transformer le sang

Avoir suffisamment de réserves de sang constitue un défi majeur pour les hôpitaux, d’autant plus que tous les groupes sanguins ne sont pas compatibles. Face à cette problématique, une équipe de recherche de l’Université de la Colombie-Britannique a trouvé un moyen potentiel de transformer le sang du groupe A en celui du groupe universel O. Les expériences – jusqu’à présent menées en laboratoire – sont prometteuses mais demandent encore d’être approfondies avant d’être appliquées dans les hôpitaux.

Précision

Une erreur de rhésus s’est glissée dans l’article « Vers la révolution du sang artificiel » publié dans le dernier numéro d’In Vivo : seuls les groupes sanguins A- et O- peuvent convenir aux personnes du groupe A-. /

ENFANTS

Covid et diabète

En pédiatrie, de plus en plus de médecins observent une hausse des cas de diabète de type 1. Une observation confirmée par les résultats d’une recherche américaine publiée en septembre dernier dans la revue médicale JAMA Network Open. Les données de 571’256 dossiers médicaux d’enfants entre 0 et 18 ans ont été analysées et montrent que durant les six mois qui suivent la contamination du virus, le risque de développer du diabète est de 72% pour cette population. /

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13
IV n° 25 p. 52

L’IMPORTANCE DU LANGAGE

Le 14 septembre dernier, au lendemain de la mort du cinéaste phare de la Nouvelle Vague, de nombreux journaux titraient sur son choix d’avoir recouru au suicide assisté. Jean-Luc Godard, 91 ans, aurait lui-même choisi, et presque scénarisé, sa sortie. Comme il l’avait fait pour le personnage incarné par Jean-Paul Belmondo dans Pierrot le fou qui attachait autour de sa tête des bâtons de dynamite, ou encore comme il le faisait dire à l’écrivain interprété par Jean-Pierre Melville dans son premier film À bout de souffle et dont l’objectif était de « devenir immortel, et puis mourir ». Dans ses interviews, Godard citait souvent la fameuse phrase de Camus, selon lequel « il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide ».

« Il n’était pas malade, il était simplement fatigué », titrait Libération. Une affirmation que Jean-Jacques Bise, coprésident de l’association Exit spécialisée dans le suicide assisté en Suisse, s’est dépêché de démentir.

« Monsieur Godard, pour pouvoir être aidé par Exit, a dû nous envoyer un dossier médical qui a été accepté par nos médecins-conseils », a-t-il déclaré au Temps. En cause, la terminologie : « fatigué de la vie » implique une lassitude, alors que dans le cas du cinéaste, il faut parler de polypathologies invalidantes liées au grand âge. Des tensions qui soulignent le tabou qui entoure encore le sujet, surtout en France, où le débat sur la légalisation du suicide médicalement assisté a ressurgi la veille de la mort du cinéaste.

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PHOTO : AGENCE VU / KEYSTONE
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La réputation flatteuse du système de santé suisse est souvent liée à ses prestations de pointe.

Moins connue, la pratique sociale et communautaire joue un rôle tout aussi important. Elle s’adresse à des populations peu visibles et peut, à faible coût, changer en profondeur leurs conditions de vie.

PRÉCARITÉ LA MÉDECINE SOCIALE EN PREMIÈRE LIGNE

Zoom sur un pan de la médecine qui a fait de la vulnérabilité son champ de bataille et de recherche.

ÉMILIE MATHYS
TEXTES
FOCUS VUlNÉRABIlITÉS 17
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Les qualificatifs ne manquent pas pour vanter le système de soins suisse, dont la couverture est considérée comme universelle : performant , à la pointe , l’un des meilleurs au monde . Pourtant, une partie de la population n’y a pas accès, ou seulement partiellement. Personnes migrantes, en situation de handicap, au chômage, sans domicile fixe, en prison, travailleur·se·s du sexe, mères célibataires et bien d’autres encore : beaucoup d’individus passent entre les mailles du filet ou rencontrent des difficultés pour accéder aux prestations qui leur reviennent. Dans ce contexte, la prise de conscience du rôle de la médecine sociale dans l’accompagnement des plus pauvres est indispensable.

« La santé, c’est aussi la communauté, rappelle le professeur Patrick Bodenmann, chef du Département Vulnérabilités et médecine sociale (DVMS) d’Unisanté, également titulaire de la chaire de médecine des populations en situation de vulnérabilité de l’Université de Lausanne (Unil). La médecine sociale ne prend pas uniquement en compte les données biomédicales, mais aussi et surtout les déterminants socio-économiques de la santé : enfance difficile, chômage, parcours migratoire, violences… Tout ce qui se passe hors du cabinet a un impact sur l’état de santé physique et mental. Pratiquer la médecine sociale inclusive implique de s’intéresser à l’individu dans son entier. »

Un individu qui, d’un jour à l’autre, peut se trouver en « situation de vulnérabilité », un concept incontournable en médecine sociale. La notion de vulnérabilité est dynamique, précise-t-il. Être fragilisé·e aujourd’hui ne signifie pas nécessairement que ce

sera le cas demain. En témoigne la récente pandémie de Covid-19 qui a soudainement privé une partie de la population de ses revenus. Plus fréquemment, un divorce ou une perte d’emploi peuvent mener à l’isolement. Des histoires et des parcours de vie aussi variés que les maux à panser. « On a le monde entier dans nos salles d’attente », aime rappeler Patrick Bodenmann. Ces histoires individuelles tissent une toile complexe aux enjeux multiples, dont la médecine sociale et communautaire se nourrit, autant sur le terrain que dans le pôle académique.

CHIFFRES 8858

En francs, le montant annuel dédié à la santé par habitant·e en Suisse

10% à 20%

Part de la population suisse qui a déjà renoncé à des soins médicaux pour des raisons financières

LEXIQUE DE LA MÉDECINE SOCIALE ET COMMUNAUTAIRE

DÉTERMINANTS SOCIAUX DE LA SANTÉ (DSS)

Les facteurs non médicaux qui influencent les résultats en matière de santé et les conditions dans lesquelles les gens évoluent. Et l’ensemble des facteurs et systèmes sociaux, politiques et économiques qui façonnent les conditions de vie quotidienne.

INÉGALITÉS SOCIALES DE SANTÉ

Cette expression regroupe les différences au niveau de l’état de santé et les inégalités d’accès aux soins. Découle directement de la condition sociale des personnes en lien avec le revenu, la position professionnelle ou encore la formation.

PRÉCARITÉ

Un état d'instabilité sociale en lien avec l’absence d’une ou plusieurs sécurités, par exemple au niveau de l’emploi.

PAUVRETÉ

Lorsque la précarité devient chronique et qu’elle affecte plusieurs domaines de l’existence.

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LES DISPARITÉS SOCIALES, SOURCES D’INÉGALITÉ FACE À LA SANTÉ

Aux origines de la médecine sociale se trouve le constat, au XIXe siècle, que des inégalités sociales face à la santé émergent dans les villes qui s’industrialisent. Les fondateur·trice·s de la santé publique peuvent ainsi démontrer la vulnérabilité de certains groupes de la population, notamment les ouvrier·ère·s face aux propriétaires industriels. Les conditions de vie insalubres s’accroissent et favorisent la transmission de la tuberculose pulmonaire. La thématique met toutefois du temps avant d’être théorisée : elle le sera pour la première fois en 1977, en Grande-Bretagne, via le « rapport Black » qui pointe les différences systématiques en matière de santé en fonction de la position sociale. Un tournant historique.

Au début du XXIe siècle, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publie un rapport sur les déterminants sociaux de la santé, établissant les inégalités comme une problématique transversale. Si les États-Unis et la Grande-Bretagne sont en avance sur ces questions, la Suisse peine à faire de cette thématique une priorité. D’une part, rappelle Patrick Bodenmann, parce que notre système est décrit comme ultra-performant et inspire confiance, sans compter le tabou qui entoure la pauvreté dans un pays riche et, d’autre part, parce que

les forces se concentrent sur la médecine « technique », plus prestigieuse.

« On parle beaucoup de la médecine de pointe car elle coûte extrêmement cher. Elle contribue à faire exploser les budgets de la santé en soignant une partie de la population qui n’est de loin pas la plus importante, souligne Claudine Burton-Jeangros, sociologue de la santé et de la médecine à l’Université de Genève. La médecine de pointe s’intéresse à des maladies, à des problèmes à régler qui restent rares. À l’autre extrême, la médecine sociale s’intéresse aux personnes qui ont des maladies physiques et mentales, plus banales et courantes. Elle répond aux besoins de santé primaires de la population dans son ensemble. » Et coûte a priori moins cher. En plus, les maladies tardivement traitées pèsent lourd sur le système sanitaire.

Les premières politiques publiques pour lutter contre les inégalités en Suisse sont élaborées dans les années 1950. Néanmoins, les disparités ont perduré jusqu’à aujourd’hui. En effet, le pays manque de données qui permettraient de cibler les inégalités en matière de santé, et ainsi de mieux y répondre. « En Suisse, les enjeux de mesure de l’équité sont encore absents, pointe Kevin Morisod, médecin et doctorant au Département Vulnérabilités et médecine sociale d’Unisanté, dont le focus est l’équité en santé. Nous recueillons très peu d’informations sur l’origine ethnique ou le niveau socio-économique des individus, contrairement à des pays comme la Grande-Bretagne ou les États-Unis, qui ont des indicateurs d’inégalités dans la population. » Des informations sont collectées par les assurances maladie qui possèdent toutes les données en matière de santé de la population, rappelle le chercheur, mais elles n’ont pas l’obligation de les rendre publiques.

ÉQUITÉ

Une absence de différences injustes ou évitables entre des groupes de personnes, qu’ils soient définis sur le plan social, économique, démographique ou géographique ou d’après le genre, l’origine ethnique ou le handicap. Est atteinte lorsque chacun·e peut réaliser pleinement son potentiel de bien-être.

SEUIL DE PAUVRETÉ

En 2020, il se situe en moyenne à 2279 francs par mois pour une personne seule et à 3963 francs par mois pour un ménage avec deux adultes et deux enfants de moins de 14 ans.

VULNÉRABILITÉ

Un manque d’ajustement entre les besoins et les ressources à disposition, augmente la probabilité de subir un tort, notion dynamique qui peut concerner tout le monde au cours d’une vie.

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Source : « Médecine sociale en 2013 : quand la précarité précède la pauvreté » (revmed.ch)

UN SYSTÈME PARTIELLEMENT « UNIVERSEL »

En 2019, les dépenses annuelles consacrées à la santé se montaient à 8858 francs par habitant·e, soit le deuxième montant le plus élevé après les ÉtatsUnis. En termes de coûts directs pour les ménages, la Suisse est en tête des classements mondiaux. Aux yeux de Kevin Morisod, le coût engendré par un système « dense en ressources humaines et matérielles, aux soins de haute qualité » est un réel enjeu d’équité, y compris pour les personnes possédant une assurance maladie : « La franchise, la quote-part, ou des primes non proportionnelles au revenu sont des éléments qui pèsent lourd sur les ménages à faibles et moyens revenus. » Avec parfois pour conséquence un renoncement aux soins pour des raisons financières, lorsqu’il faut choisir entre se nourrir, se loger et des traitements non urgents, ce qui ne va pas aller en s’améliorant si l’on en croit l’augmentation moyenne des primes maladie de 6,6% l’an prochain. Cela faisant basculer les personnes proches du seuil de pauvreté du mauvais côté.

L’Observatoire suisse de la santé estime qu’entre 10 et 20% de la population du pays a déjà renoncé à des soins, à des traitements ou des contrôles médicaux pour des raisons financières. En tête, les soins dentaires, non couverts. C’est le cas de Sarah*, 31 ans, qui a mis deux ans à soigner une carie et a abandonné l’idée de remettre un stérilet à 400 francs, augmentant ainsi le risque d’une grossesse non désirée. La doctorante dispose d’un petit revenu et n’a droit à aucun subside en raison de son permis B. « Soit on est pauvre et on reçoit des aides, ou alors on est riche et on a accès aux soins. Qu’advient-il des gens entre deux ? » s’interroge la jeune femme. De son côté, Loris*, père de famille, considère qu’avec sa franchise à 2500 francs « aucun soin n’est remboursé. J’attends de voir si mon cas empire avant de consulter. »

Un suivi défaillant des maladies chroniques peut entraîner des visites fréquentes aux urgences, déjà saturées. Kevin Morisod rappelle que, dans certains

pays, « les urgences sont la porte d’entrée du système de santé ». Au contraire de la Suisse, où il faut passer par un médecin traitant. Complexe et peu transparent, notre système de soins peut se révéler un labyrinthe pour les personnes en situation de migration, notamment. C’est le cas d’Aden*, arrivé de Somalie comme requérant d’asile en 2009, qui n’avait, à l’époque, pas connaissance du concept de « médecin de famille ». Pris en charge par le CHUV, il s’est vu administrer des antibiotiques pendant trois ans faute de centralisation des informations. Résultat : une aggravation de sa santé et une résistance aux médicaments.

La sociologue Claudine Burton-Jeangros rappelle également que pour nombre de personnes précarisées, ou sans contrat de travail, le fait d’être malade peut aussi signifier ne pas toucher d’argent ou, le cas échéant, perdre son poste. Il n’est pas rare que des personnes clandestines ou sans papiers refusent d’aller à l’hôpital par peur de se faire dénoncer. Elles ont pourtant droit à des soins. Si les structures officielles peuvent faire peur, des entités comme l’Équipe mobile d’urgences sociales (EMUS) ou les nombreuses associations, à l’image de Médecins du monde, font un travail important, autant au niveau de l’information et des ressources qu’au niveau médical. Un travail en réseau est nécessaire pour atteindre les personnes hors système car sans papiers ou marginalisées.

Autre faille du système de soins, l’accès à des interprètes communautaires, dont le financement n’est pas standardisé en Suisse. « Les enjeux des barrières linguistiques et culturelles sont importants. Les frais d’interprétariat ne sont pas pris en charge par l’assurance maladie mais revient aux hôpitaux », détaille le médecin au Département Vulnérabilités et médecine sociale d’Unisanté, Kevin Morisod. Avec le risque d’une mauvaise compréhension ou, si la traduction est assurée par un membre de la famille, un non-respect du secret professionnel et de l’anonymat. Les problèmes de « littératie » en santé, soit le manque de compréhension de la santé et du système de santé par les patient·e·s, ne touchent pas uniquement les personnes étrangères, mais également suisses. La Fédération Lire et Écrire estime à environ 800’000 le nombre de personnes qui seraient concernées par l’illettrisme, dont la moitié sont nées sur le sol helvétique et ont suivi l’école obligatoire.

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« MALGRÉ LES CONDITIONS DIFFICILES, NOUS ESSAYONS DE VOIR LE POSITIF »

Arrivée en Suisse le 16 avril dernier d’Ukraine avec ses parents, Maryna Melnyk réside désormais dans le canton de Vaud. Malgré les difficultés rencontrées, elle tient à exprimer sa reconnaissance pour l’accueil mis en place par la Suisse à destination des réfugié·e·s d’Ukraine.

« Ce matin encore, j’ai appris que des bombes avaient été lâchées sur ma ville d’origine », murmure Maryna Melnyk, l’émotion la forçant à interrompre son récit quelques instants. Arrivée au centre d’asile de Boudry en avril dernier, puis passée par la structure d’hébergement temporaire de Beaulieu, l’Ukrainienne est hébergée avec ses parents depuis quatre mois (on leur avait dit deux semaines) par l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM).

« Nous avons eu de la chance de pouvoir rejoindre la Suisse, mais cela a généré beaucoup de stress, notamment pour ma mère de 70 ans qui se déplace en chaise roulante. Cette situation complique beaucoup de choses, notamment pour les rendez-vous médicaux auxquels il faut se rendre. Mais nous avons été bien accueillis. Dès notre arrivée, nous avons eu un rendez-vous avec des infirmières, puis des psychologues qui nous ont posé des questions

sur notre état psychique. Nous avons par la suite été redirigé·e·s vers un médecin russophone pour un contrôle individuel. »

La quadragénaire, qui travaillait comme cheffe de triage de documents civils, relève quelques différences compréhensibles entre les systèmes suisse et ukrainien : « Les pharmacies en Ukraine proposent un vaste choix de médicaments en libre accès, notamment

les antibiotiques. Ici, même s’ils sont gratuits pour nous, c’est difficile de s’en procurer sans ordonnance. On doit s’habituer à ce nouveau système, c’est parfois compliqué car on a très peu de renseignements mais on arrive à s’informer par le bouche à oreille. »

« Même si les conditions de vie sont parfois difficiles dans un foyer qui accueille beaucoup de monde, et que les journées peuvent être longues, nous essayons de voir le positif. Nous arrivons désormais à dormir. Les débuts étaient angoissants car des avions de ligne survolent fréquemment le foyer, ce qui nous rappelait de mauvais souvenirs. Je suis très reconnaissante de l’accueil de la population suisse envers les Ukrainiens, de savoir que je peux toujours trouver de l’aide, ou recevoir des soins. Mais pour l’heure, la seule chose à laquelle nous rêvons, c’est de retrouver notre maison, et aujourd’hui, ce n’est pas possible. »

JEANNE MARTEL
PROPOS RECUEILLIS PAR ÉMILIE MATHYS
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SUR LA ROUTE, AUX QUATRE COINS DU CANTON

Avec 3000 interventions et 730 patrouilles par an en moyenne, l’Équipe mobile d’urgences sociales dans le canton de Vaud (EMUS), rattachée à Unisanté, ne connaît pas la crise. Les crises, en revanche, sur le bout des doigts : violences conjugales, chutes, personnes à la recherche d’un hébergement d’urgence, familles en deuil, les situations requérant l’intervention de l’EMUS sont aussi diverses que la population du canton de

TEXTE : ÉMILIE MATHYS

PHOTOS : HEÏDI DIAZ

Vaud, dans lequel elle intervient. Composée à chaque fois d’un·e travailleur·euse sociale et d’un·e infirmier·ère, l’équipe du jour ou de la nuit peut être appelée 24h/24 et 7j/7. Si le travail de l’EMUS permet, entre autres, de désengorger les urgences, il se révèle être un précieux observatoire de la précarité, et particulièrement de la précarité sociale.

ÉQUIPE DE JOUR

En plein mois de juillet, les journées sont relativement calmes, même si les interventions ont augmenté de 30% par rapport à l’année précédente pour la même période. Laurent, infirmier, accompagné de Vanessa, travailleuse sociale, en profitent pour faire un tour à Renens. Avec la fermeture de l’hébergement d’urgence du Mouvement 43m², ils craignent les campements illicites.

PREMIERS SOINS

Sur le retour, l’équipe fait un stop au Sleep-in de Renens. Un homme de la communauté rom s’est blessé en travaillant aux champs. Laurent désinfecte sa plaie et la recouvre d’un pansement propre.

22 FOCUS VUlNÉRABIlITÉS
Un jour et une nuit en compagnie de l'équipe d'urgences sociales de la région vaudoise. Reportage.

TROUVER DES LITS LIBRES

Les équipes de l’EMUS profitent des longues heures passées sur la route pour s’enquérir auprès des hébergements d’urgence (ici, le Sleep-In de Renens) sur le nombre de places vacantes, dans le cas où il faudrait rediriger des personnes sans abri croisées pendant la soirée ou la nuit. Chaque rencontre est en outre répertoriée si le ou la bénéficiaire devait de nouveau faire appel à l’EMUS à l’avenir.

PROTÉGER LES VICTIMES

Carine, infirmière, et Vanessa sont appelées à Nyon pour un cas de violences domestiques. Le duo gare le bus dans une ruelle attenante : « Dans les quartiers, on prend garde à ne pas se parquer trop près du domicile. Les gens parlent beaucoup. »

VIOLENCE CONJUGALE

Le compagnon de Louise* a été expulsé hier soir par la police pour violences domestiques. L’EMUS est le premier contact de la jeune femme. Carine et Vanessa lui expliquent longuement la suite de la procédure et ses droits. « La violence n’est pas acceptable », affirme Louise, qui semble sûre de sa décision. « Il arrive qu’après un témoignage intense, nous ressentions le besoin de nous poser avec un café et de respirer un peu », avoue Carine.

FUGUE NOCTURNE

Il est minuit en ce lundi soir, la travailleuse sociale et l’infirmière sont appelées à Yverdon pour un conflit familial, une adolescente de 12 ans a fugué. La nuit sera longue.

*Prénom connu de la rédaction

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UNE ÉQUIPE SPÉCIALISÉE POUR LUTTER CONTRE LE SYNDROME « ENCORE ELLE, ENCORE LUI »

Il arrive que certaines personnes se présentent de façon répétée aux urgences pour un problème qui pourrait être mieux pris en charge dans un autre service. « On parle d’usager fréquent lorsqu’un individu a consulté cinq fois ou plus au cours des douze derniers mois, précise Patrick Bodenmann, chef du Département Vulnérabilités et médecine sociale d’Unisanté. On considère, dans le canton de Vaud, que ce phénomène concerne une personne sur sept, mais qu’il représente 12 à 15% de l’ensemble des consultations d’urgence. »

Pourtant, d’après les études menées par le chercheur et son équipe, 80% des patient·e·s récurrent·e·s ont un médecin traitant. « D’abord, le rapport à l’urgence est très subjectif. Ensuite, pour de nombreuses personnes, particulièrement lorsqu’elles se trouvent en situation de vulnérabilité, le fonctionnement du système de santé peut être opaque. Une autre explication à cette pratique est qu’il peut apparaître rassurant de s’adresser à un établissement qui possède un important plateau technique. »

Cependant, dans cette situation, personne ne trouve son compte. Le personnel médical est mis sous pression, puisque ces consultations peuvent participer à limiter la possibilité de s’occuper rapidement des patient·e·s qui ont besoin d’une prise en charge

urgente. Et les personnes qui consultent pour une raison non urgente, souvent de l’hypertension, du diabète ou encore la perte de leurs médicaments, ne bénéficient pas de la qualité de soins attendue. « Cette conjoncture augmente aussi le risque d’actes de discrimination envers les usagers fréquents, ce qui est hautement problématique. »

Pour améliorer la qualité de l’environnement de travail du personnel des urgences et la prise en charge des personnes qui consultent fréquemment, une équipe infirmière a été mandatée pour agir directement sur place. Le système repose sur un programme informatique qui avertit automatiquement l’équipe infirmière lorsque la personne est identifiée comme usagère fréquente. « Dès que l’usager fréquent a terminé sa visite auprès des urgentistes, un case manager de l’équipe infirmière entre en contact avec la personne pour la guider vers le service qui pourra le mieux répondre à son besoin. » Le dispositif a déjà permis de réduire le nombre de consultations de 20% en une année. « Le rapport à la maladie peut être très différent d’un individu à l’autre, il est parfois aussi influencé par la culture de la personne. Il est donc nécessaire que les case managers possèdent des compétences cliniques transculturelles. »

à la lutte contre les inégalités. Il suit l’actualité liée à la thématique de l’asile, qui a été aggravée par les récents évènements survenus dans l’Est de Europe. La situation migratoire est appelée à se complexifier dans les décennies à venir. « Ce qui se passe avec l’Ukraine est inédit, autant en termes de volume qu’en termes d’accueil. À l’avenir, le système sanitaire devra être repensé. »

UNE MÉDECINE SOCIALE SOUS PRESSION

Aux obstacles financiers ou culturels se greffe l’actualité : pandémie, crise énergétique, guerre en Europe ou encore réchauffement climatique mettent le système de santé suisse sous pression. « La détresse humaine est malheureusement un réservoir intarissable », commente le professeur Patrick Bodenmann, qui a dédié sa carrière

Au mois de juin 2022, le canton de Vaud comptabilisait le chiffre record de 10’000 requérant·e·s en processus d’asile (chiffres du Secrétariat d’État aux migrations) et autant de particularités en matière de santé et de prise en charge. Si les premier·ère·s réfugié·e·s d’Ukraine avaient pour beaucoup un niveau socio-économique leur permettant de fuir le pays, dans un deuxième temps ont afflué les personnes plus précaires et donc à la santé plus fragile, à l’instar des requérant·e·s d’autres pays du monde, oublié·e·s par l’actualité.

24 FOCUS VUlNÉRABIlITÉS

FAIRE PARTICIPER LES PERSONNES SOURDES ET MALENTENDANTES POUR AMÉLIORER L’ACCÈS AUX SOINS

À la consultation gynécologique du CHUV, Martine Jacot-Guillarmod, médecin adjointe, est entourée de deux sages-femmes qui connaissent la surdité et la malentendance et maîtrisent la langue des signes et la langue parlée complétée. « Ce dispositif repose principalement sur des initiatives personnelles, il est impératif de le généraliser afin de garantir l’accès aux soins pour les personnes S/ sourdes* et malentendantes », explique Véronique Grazioli, responsable de recherche à Unisanté au sein du Département Vulnérabilités et médecine sociale. La Fédération suisse des Sourds estime que 10’000 personnes sont sourdes de naissance en Suisse, tandis que le nombre de celles atteintes de troubles auditifs s’élèverait à 1 million. « Très souvent, les individus touchés n’osent pas demander au médecin de répéter une information. Cela peut engendrer des situations complexes. Le fait de ne pas comprendre comment prendre un médicament, par exemple. » La recherche menée par Unisanté, en collaboration avec le CHUV, implique des personnes concernées par la surdité et la malentendance pour améliorer l’accès et la qualité des soins. « Il est impératif d’agir au niveau de la formation pour que le personnel possède des outils permettant d’améliorer la communication. Des mesures simples, comme doubler le temps des consultations et engager des personnes ressources sont également essentielles. »

*Ce terme permet d’inclure à la fois les personnes sourdes et celles qui s’identifient comme tel.

Outre les conflits présents et futurs, le réchauffement climatique représente également une menace, non seulement en raison du déplacement des populations qui poussera certaines personnes à migrer hors de leurs pays, mais aussi en Suisse en termes d’équité, rappelle Kevin Morisod : « La canicule a pour conséquence une surmortalité essentiellement chez les personnes âgées à revenu modeste, qui ne disposent pas d’un logement adéquat, et ont moins de contacts sociaux. Les personnes sans domicile fixe sont précarisées par des phénomènes comme le réchauffement climatique et la pandémie. »

Si la médecine sociale et communautaire fait face à de nombreux défis externes, la sociologue Claudine Burton-Jeangros pointe un autre enjeu majeur, celui de la reconnaissance de cette spécialité : « La médecine sociale doit pouvoir montrer son intérêt. Le fait de prendre en compte les besoins primaires contribue à la meilleure santé de la population en général. » Patrick Bodenmann et Kevin Morisod vont plus loin : « La médecine sociale est une priorité. Il est aussi de notre responsabilité de bien communiquer sur notre travail et nos recherches. »

La question de la santé doit sortir de l’hôpital, estiment les expert·e·s. « C’est dans la manière dont la société est organisée qu’on va pouvoir faire en sorte que les gens ne tombent pas malades. Notre société doit être pensée pour réduire les inégalités et assurer l’intégration, en agissant directement sur les déterminants socio-économiques de la santé », relève Claudine Burton-Jeangros. Car la pratique de la médecine sociale ne peut se faire sans un travail en amont sur l’accès à l’éducation, l’aménagement du territoire, le logement, la lutte contre les discriminations et la précarisation du travail… Bref, sans une volonté de prévenir plutôt que de guérir. /

UNISANTÉ, AU SERVICE DE LA SANTÉ PUBLIQUE

L’organisme Unisanté (Centre universitaire de médecine générale et santé publique) a pour mission de décrire les inégalités, d’en comprendre la causalité et d’implémenter des solutions pour réduire les inégalités sociales de santé. Ce centre est né le 1er janvier 2019 de la fusion entre la Policlinique médicale universitaire, l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive, l’Institut universitaire romand de santé au travail,

l’association Promotion santé Vaud et l’Équipe mobile d’urgences sociales. En plus du travail de terrain, le pôle académique étudie les divers groupes à risque d’iniquité (personnes sourdes et malentendantes, celles ayant un recours fréquent aux urgences, travailleur·se·s du sexe, etc.). Unisanté compte environ 880 collaborateurs et collaboratrices réparti·e·s sur plus de 15 sites dans l’agglomération lausannoise et le canton de Vaud.

* noms connus de la rédaction
25 FOCUS VUlNÉRABIlITÉS

in vivo De quels droits disposent les personnes incarcérées en matière de soins ?

didier delessert Pour la protection de leur santé physique et psychique, les personnes en détention, avec ou sans papiers, ont le même accès aux soins médicaux que la population civile générale. Les détenus doivent pouvoir jouir des mêmes possibilités de mener une vie favorable à la santé que les personnes en liberté, et avoir droit au secret médical et au consentement libre et éclairé.

Biographie

Chef du Service de médecine et psychiatrie pénitentiaires (SMPP) depuis 2019, le Dr Didier Delessert a effectué sa formation de médecine à l’Université de Lausanne et au département de psychiatrie du CHUV. Vaudois d’origine, il a occupé le poste de médecin-chef de la médecine pénitentiaire du Valais entre 2013 et 2019, puis a commencé à travailler dans le milieu carcéral « par un concours de circonstances ». Un milieu qu’il n’a plus jamais quitté et qu’il définit comme « un monde passionnant, à l’interface des problèmes de société, de la médecine et de la justice ».

iv Les statistiques montrent que l’état de santé des détenu·e·s est moins bon que celui du reste de la population. Pourquoi ? dd Les personnes détenues sont considérées comme se trouvant en situation de vulnérabilité à cause de la privation de liberté que leur situation implique, des liens sociaux fragilisés ou de la stigmatisation liée à l’emprisonnement. En Suisse, la prévalence des hépatites C en détention est huit fois et demie supérieure à la population générale. Concernant le VIH, elle est trois fois supérieure. La problématique des maladies infectieuses est prégnante en milieu carcéral, tout comme celle des addictions. Les personnes incarcérées sont de manière générale en moins bonne santé car elles évoluent souvent dans des milieux précaires, n’ont pas toujours accès à une alimentation saine, souffrent de maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension. Une attention toute particulière est portée à la prévention du suicide. Nous observons en effet en prison une « sursuicidalité » par rapport à la population civile. En Suisse, le taux de suicide est 6 à 7 fois plus élevé en prison ; on compte environ dix suicides pour 10’000 détenu·e·s.

iv Les femmes détenues rencontrent-elles des problèmes spécifiques ?

dd S’il y a peu d’études cliniques là-dessus, nous constatons que les femmes incarcérées sont davantage touchées dans leur santé psychique et physique, quand bien même elles sont moins nombreuses que les hommes si l’on prend la population carcérale dans son entier (elles en représentent moins de 10%, ndlr). Beaucoup d’entre elles souffrent de problématiques d’addiction. Les détenues sont également plus à même d’avoir connu des violences au cours de leur existence, notamment des violences sexuelles. Aussi, certaines arrivent enceintes et accouchent en prison, ce qui requiert un accompagnement spécifique.

« EN MILIEU CARCÉRAL, LES TROUBLES PSYCHIATRIQUES SÉVÈRES SONT EN HAUSSE »
PROPOS RECUEILLIS PAR ÉMILIE MATHYS 26 FOCUS VUlNÉRABIlITÉS
La mission première de la prison n’est pas de soigner. Pourtant, elle regroupe une population à risque, dont la vulnérabilité exige une attention particulière. Le point avec Didier Delessert, chef du Service de médecine et psychiatrie pénitentiaires au CHUV.

iv L’incarcération peut-elle représenter une opportunité de dépistage, d’un meilleur contrôle d’une maladie pour les personnes précarisées ?

dd La prison n’est pas une institution de soins en tant que telle, mais elle permet, effectivement, d’avoir accès à des personnes qui échappent souvent au système de soins. Toute personne a droit à une visite sanitaire dans les 24 heures après son admission. Une première rencontre est réalisée par le personnel infirmier du Service de médecine et psychiatrie pénitentiaires, complétée ensuite par une visite médicale des professionnels d’Unisanté. Les détenus se voient proposer un examen de santé complet, avec un dépistage des maladies infectieuses, chroniques ou des cancers. On sait qu’un dépistage précoce d’une maladie infectieuse, par exemple, minimise les conséquences sur l’état de santé et limite les coûts et les risques de transmission au sein de la population carcérale et après la remise en liberté.

iv La détention a-t-elle un impact sur la santé à long terme ?

dd Si la prison peut dans certains cas représenter une opportunité de dépistage, on sait aussi que l’enfermement et le manque d’activités, notamment, sont nocifs pour l’état de santé en général. On observe, par exemple, que les anciens prisonniers vieillissaient plus vite.

iv La surpopulation carcérale a-t-elle un effet ?

dd La surpopulation carcérale dans le canton de Vaud est particulièrement visible dans le cadre de la détention avant jugement, une situation qui fragilise énormément les personnes concernées : l’activité est restreinte, l’incertitude liée à la sortie est anxiogène, les contacts avec l’extérieur sont pauvres. L’accès aux soins est à l’heure actuelle maintenu mais le système atteint ses limites. Si la population devait augmenter, les délais pour répondre aux demandes des détenu·e·s seraient rallongés. Il est clair que dans un contexte de surpopulation, la souffrance et le stress des prisonniers augmentent encore.

iv Qu’en est-il de la santé mentale dans les prisons ?

dd Si les troubles psychiatriques ont toujours été surreprésentés en milieu carcéral, nous observons ces dernières années une augmentation des cas sévères. L’enfermement peut renforcer des problématiques déjà présentes comme un stress post-traumatique, une addiction ou encore la précarité.

iv Quels sont les défis pour les soignant·e·s dans la prise en charge des détenu·e·s ?

dd C’est notamment de faire vivre les soins dans une institution dont ce n’est pas la mission première. Nous travaillons dans un environnement que l’on sait être délétère pour la santé des détenus, ce qui peut générer chez les professionnels des conflits éthiques. Travailler sur le délit tout en s’intéressant au parcours de vie, la souffrance du détenu, bref son humanité, est un exercice passionnant mais exigeant.

ERIC DÉROZE
27 FOCUS VUlNÉRABIlITÉS

Dans chaque numéro d’In Vivo, le Focus se clôt sur une sélection d’ouvrages en « libres échos ». Ces suggestions de lectures sont préparées en collaboration avec Payot Libraire et sont signées Joëlle Brack, libraire et responsable éditoriale de www.payot.ch.

PATIENT’ELLES

FAVRE, 2022, 192 PAGES, CHF 21.00

marginalisées. Les travailleuses et travailleurs sociaux de la Coulou, un foyer de nuit pour les SDF, cherchaient des médecins volontaires, c’est ainsi que j’ai eu l’occasion de m’impliquer localement – deux heures toutes les deux semaines. C’est maigre pour vaincre la méfiance des personnes exclues, leur faire comprendre qu’elles ont le droit d’être considérées : elles sont tellement rejetées que même leur corps n’existe plus. Il est négligé en termes d’hygiène ou de soins médicaux essentiels. Cela a renforcé ma conviction que la médecine doit se réinventer pour s’approcher d’elles, pour les apprivoiser, et les aider à retrouver une place dans la société.

IV Quels sont selon vous les verrous à faire sauter pour débloquer cet état de fait ?

Installée à Genève comme interniste et spécialiste du sida, la doctoresse Françoise Thomé, humaniste, a puisé dans ses souvenirs et son expérience pour témoigner dans « Patient’Elles » de la force des femmes en situation de précarité.

IN VIVO Comment en êtes-vous venue aux soins humanitaires ?

françoise thomé Je voulais être prof de français en Patagonie, mais les études étaient fastidieuses, et une conférence du CICR m’a convaincue : j’ai vu la médecine comme l’occasion de m’ouvrir au monde. C’était l’époque de MSF. Un cours de santé communautaire m’a passionnée, puis j’ai eu la possibilité de partir au Cameroun. Cette expérience a été fondatrice. Découvrir les gens en profondeur m’a libérée des convenances, et confortée dans mon projet. J’ai alors privilégié les services dans lesquels l’humain est au cœur du soin.

IV À quoi attribuez-vous le fait que la médecine standard « perde en route » tant de gens ?

ft Les problèmes sociaux ont toujours existé, mais depuis une quarantaine d’années ils se sont aggravés, car le système est beaucoup moins souple pour les absorber, pour tolérer la différence. Avec la chute du Mur, la mondialisation néolibérale, puis les vagues croissantes de migrant·e·s, le nombre de laissé·e·s-pour-compte a explosé. À Genève, il n’y avait pas de structures pour traiter ces populations

ft Les verrous sont politiques, au sens large, conséquence entre autres de la sous-représentation des femmes. Cela se ressent dans la prévention, l’éducation, la financiarisation de la médecine, qui était un art et devient un marché. Il est impératif que les décideur·euse·s souhaitent que la société aille mieux, au lieu de penser au rendement.

IV Votre carrière a été longue et bien remplie : avez-vous vu le phénomène de la prise en charge des gens en situation de précarité évoluer ?

ft Actuellement, les structures de prise en charge existent, mais elles traitent les effets et non les causes. Et il ne faut plus s’accommoder des fausses bonnes idées, qui légitiment l’exclusion. On croit, par exemple, bien faire en créant des «unités de soins pour sans-papiers ». C’est bien médicalement sur le moment, mais socialement on pérennise le problème au lieu de le résoudre. Alors oui, des petites choses se font, mais pas assez et trop lentement.

IV Et concernant les femmes en particulier ?

ft Dans mon service de policlinique, les soins aux personnes en situation de précarité étaient gratuits jusqu’à la fin des années 1980. Puis, j’ai vu arriver beaucoup de femmes sud-américaines, souvent des « mules » abandonnées en Suisse une fois leur « mission » accomplie, et forcées à travailler au noir. Mon intérêt pour elles et mon expérience médicale se sont entremêlés. Même dans l’exclusion, tout est pensé par rapport aux hommes. Pour les femmes réfugiées ou SDF, c’est encore pire. Elles sont très seules, sans modèles sociaux ni personnels, alors qu’elles viennent souvent de cultures qui privilégient la transmission orale et la solidarité. /

Patient’Elles. Récits de femmes ordinaires, extraordinaires DRE FRANÇOISE THOMÉ
28 FOCUS EN lECTURES
PROPOS RECUEILLIS PAR JOËLLE BRACK

Maraudes littéraires

SOPHIE CHABANEL

L’AUBE, 2021

159 PAGES

CHF 28.90

Oui, ces maraudes sont bien celles du «SAMU social» qui, chaque nuit, tourne dans les grandes villes françaises, fournissant nourriture et assistance aux personnes sans abri. Mais le camion charge aussi chaque soir une caisse de livres… Avant de partager l’expérience de l’équipe, Sophie Chabanel pensait qu’une caisse supplémentaire de vivres, de vêtements, de médicaments serait plus utile – non? Non: stupéfaite, elle a vu les bouquins non seulement recherchés, mais discutés et analysés par les SDF! Car, venus de tous les horizons, ils ont un bagage littéraire parfois étonnant, des références et des avis, un regard aussi sur la lecture. Et la culture fait bien partie de leurs besoins essentiels. Par touches, sans analyses bien-pensantes, la romancière restitue l’humanité étrange mais profonde de ces brèves rencontres avec, non pas des SDF qui lisent, mais des lecteurs que la vie a mis à la rue, là où la communauté du livre est un lien inattendu mais très fort: la précarité n’est pas synonyme de misère intellectuelle, et de ces tournées éprouvantes naissent des étincelles éphémères mais brillantes.

EN BREF

Ma Loi sur la gratuité des soins de la maternité

GRACE MBONGI UMEK, L’HARMATTAN, 2021

243 PAGES, CHF 27.00

Accoucher dans de bonnes conditions, une évidence en Europe, un défi en Afrique. Au Congo, une femme d’affaires engagée mène le combat pour que l’hôpital public, soutenu par l’État, soit accessible aux plus modestes qui, effrayées par le prix des soins (faute de paiement, mère et enfant sont parfois « séquestré·e·s »), l’évitent – au risque de perdre leur bébé. Sa solution : la maternité gratuite, qui résoudrait tout. Mais le chemin vers la législation adéquate est ardu. Grace Mbongi garde cependant espoir.

La Santé sociale

NICOLAS DUVOUX, NADÈGE VEZINAT, PUF, 2022

107 PAGES, CHF 16.20

Au chevet de nos systèmes de santé, deux sociologues interpellés par l’impact social de la récente crise sanitaire tentent de comprendre comment la maladie peut encore, au XXIe siècle, être un facteur d’aggravation des inégalités. Au fil des contributions qu’ils ont rassemblées se dessine un fonctionnement qui compte, irréalistement, sur le libre arbitre des patient·e·s, sans considérer ce que cette « liberté » peut avoir d’illusoire en situation précaire. Mais aussi, heureusement, il existe des moyens à encourager pour un accès aux soins plus concerné et plus efficace.

Les Naufragés

PATRICK DECLERCK, POCKET, 2003

457 PAGES, CHF 15.60

« Pour bien juger, il faut avoir été condamné une fois. » Cette réplique d’Hôtel du Nord, ce psychiatre belge l’a faite sienne en suivant durant plus d’une décennie les personnes dont la santé mentale est dégradée par la fragilité sociale. En se mêlant à elles, dans la rue ou dans les structures dédiées, en écoutant surtout. Dans ce classique de l’assistance intelligente se matérialisent les clichés qui empêchent l’accès aux soins véritablement utiles, aussi bien du côté de la société que des victimes de la précarité. Un coup de poing humaniste, toujours actuel vingt ans après.

CHRONIQUE
29 FOCUS EN lECTURES

« Quand le sida est arrivé, j’ai vu un certain nombre de mes amis disparaître. Il était évident que je serais infectiologue. »

30 MENS SANA
Solange Peters

SOLANGE PETERS En première ligne dans la mobilisation européenne contre le cancer, Solange Peters est responsable de l’oncologie médicale au CHUV. Elle se bat depuis longtemps contre les stéréotypes de genre en milieu hospitalier. Rencontre.

Figure de la lutte contre le cancer, Solange Peters a été élue, en 2020, présidente de la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO). L’une des missions principales de cette organisation est d’améliorer la qualité des soins dans le domaine du cancer et de garantir une égalité d’accès aux traitements pour tout le monde. À l’occasion de la fin de son mandat à l’ESMO, In Vivo s’est entretenu avec la spécialiste qui appartient à cette catégorie des 1% de chercheurs et chercheuses dont les publications sont les plus citées au monde. Solange Peters évoque son rapport à sa carrière, à la mort qui fait intimement partie de son activité professionnelle et ses projets d’avenir.

in vivo Le cancer peut être la conséquence d’une mauvaise hygiène de vie, ou lié à des facteurs génétiques. Il est, surtout, en majorité, dû à de la malchance. Est-il important de déculpabiliser les gens ?

SoLAnGE PETERS Oui, la malchance est l’une des bases de mon engagement en médecine, et en oncologie particulièrement. Il me semble évident de tout faire pour contrecarrer ce

qui frappe les gens de manière indue, impromptue, brutale et douloureuse.

iv « Se battre contre le cancer », « le vaincre ». On utilise souvent un vocabulaire guerrier pour en parler. Cette terminologie peut-elle avoir un impact sur les patient·e·s ?

SP Je n’y avais jamais réfléchi… En règle générale, je n’utilise pas ce type de vocabulaire. Je parle de « réussite », d’« espoir », de « soulagement ». Mais peut-être que les patients l’utilisent pour trouver plus de motivation ? On aimerait pouvoir contrôler les malheurs qui nous arrivent. Mais il est risqué de penser être le seul acteur, car on devient aussi le seul coupable de son échec – et ce n’est jamais le cas. En définitive, chaque personne doit utiliser le vocabulaire propre au processus qu’elle mène.

iv Quels sont les défis qui vont occuper l’oncologie, et plus généralement le domaine des soins, ces prochaines années ?

SP Nous devons repenser notre système de soins. La question

« J’aimerais montrer que la diversité n’est pas une menace »
INTERVIEW : ÉMILIE MATHYS
31 MENS SANA INTERVIEw
PHOTO : ERIC DÉROZE

de la gestion du financement de ce système de santé et sa durabilité est aujourd’hui centrale. Seule la recherche académique, fragilisée, reste un modèle durable d’établissement, et nous dépensons des millions au CHUV pour ces innovations. Si les problématiques des justes coûts, des modèles de remboursement et d’une pratique plus rigoureuse de notre métier ne sont pas priorisées, aucune société ne pourra continuer à financer des soins optimaux, même pas la nôtre. L’innovation est durable quand on sait la personnaliser. La science doit apprendre à définir ce dont chaque patient a spécifiquement besoin. Ce sera le cas avec l’immunothérapie. Les patients peuvent aujourd’hui déjà vivre significativement plus longtemps avec le cancer – bénéficiant au long terme d’une qualité de vie parfois proche de celle de la population normale. Je ne suis pas convaincue que l’on sera capable de guérir tous les cancers mais nous pourrons les transformer en maladies chroniques.

travailler encore davantage avec l’OMS. Je vais aussi prendre la présidence de la Ligue suisse contre le cancer. À côté de ça, et si cela a du sens, je me vois retourner à la politique (nldr. Solange Peters a siégé au Conseil communal de Lausanne en 1996 puis a été élue cheffe du groupe socialiste et au Conseil national), au niveau national possiblement. Si je me présente, je dois auparavant m’investir, faire les marchés le samedi matin et travailler dur. Je ne veux pas qu’on pense que je profite de mes privilèges ou de ma notoriété.

iv Vous terminez votre présidence à la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO). Quel bilan tirez-vous de ce mandat ?

CONTRECARRER CE QUI FRAPPE LES GENS DE MANIÈRE INDUE

iv Et quels sont vos défis, à vous, d’un point de vue personnel ?

SP J’adore mon métier, j’adore soigner les gens, et je ne pourrais pas vivre sans. Je reçois fréquemment des propositions pour travailler dans l’industrie pharmaceutique ou les grandes organisations professionnelles internationales, mais je ne suis pas prête aujourd’hui à m’éloigner des patients. J’ai une grande expérience de la santé à l’international, et j’aimerais certainement

BIOGRAPHIE

SP J’ai été élue après des années de construction scientifique et éducative internationale au sein de l’ESMO. Rapidement, est arrivé le Covid-19, accompagné d’énormes incertitudes en termes de santé publique. Nous avons ainsi, en quelques semaines, établi une trentaine de lignes directrices pour le traitement du cancer pendant la pandémie de Covid-19, sur lesquelles les professionnels européens se sont appuyés. Les membres de l’ESMO m’ont demandé de rester une année additionnelle en tant que présidente, ce qui m’a permis d’apporter concrètement du changement. Aujourd’hui, il y a, au sein des organes dirigeants de l’ESMO, 50% de femmes, et beaucoup de collègues jeunes, engagés et visionnaires, de tous les pays. Des quotas visant à la diversité ont été instaurés et les frais d’adhésion pour tous les membres issus de pays à faibles revenus ont été abolis de façon permanente. Nous avons, en outre, créé l’International Cancer Foundation, que je préside, qui ambitionne notamment de soutenir des projets humanitaires pour lutter contre le cancer.

Née à Lausanne en 1972, Solange Peters grandit dans une famille de professeur·e·s de pharmacologie, engagé·e·s sous la bannière socialiste. Un engagement politique dont héritent leurs enfants.

Solange Peters est au bénéfice d’une formation de biologiste et de médecin. Elle dirige depuis 2016 le Service d’oncologie médicale du CHUV.

iv Vous évoluez dans un milieu très compétitif et masculin. La pression a-t-elle toujours été un moteur ?

SP Oui, étudiante déjà je présidais la Fédération des associations d’étudiant·e·s. À 20 ans, j’étais au Conseil communal de Lausanne. Avec, toujours en tête, cet

32 MENS SANA INTERVIEw
« IL ME SEMBLE ÉVIDENT DE TOUT FAIRE POUR
»

engagement pour la l’égalité, l’équité et la diversité. J’ai été éduquée dans une famille de politicien·ne·s de gauche. Nous avons toujours accueilli celles et ceux qui en avaient besoin à la maison. Une de mes plus grandes colères naît lorsque j’ai l’impression qu’une femme n’est pas par définition l’interlocutrice principale. Cela passe par de petites choses, et des comportements répétitifs dont je reste malheureusement témoin au quotidien. La façon dont on répond à nos interventions, nos e-mails ou encore quand notre Direction va préférer consulter le collègue masculin pour un avis alors qu’il n’en est ni l’expert ni le garant. Ces stéréotypes de tous les jours qui jalonnent la carrière d’une femme la rendent pentue. Et font abandonner plus des trois quarts d’entre elles.

iv À quel moment de votre parcours le choix de l’oncologie s’est-il imposé ?

privilégier. C’est une intimité avec les patient·e·s qui est unique et précieuse, même si on ne comprend pas toujours leurs choix. Cette proximité est parfois rugueuse aussi, parce que l’échec et le deuil sont des réalités : le cancer en emporte plus de la moitié.

PATIENT ·E A SPÉCIFIQUEMENT BESOIN »

SP J’ai une double casquette de biologiste et de médecin. Je travaillais en tant que doctorante sur le VIH. Quand le sida est arrivé, j’ai vu un certain nombre de mes amis disparaître. Il était évident que je serais infectiologue. Au début de ma thèse sur les mécanismes de résistance aux traitements du virus du sida, les gens mouraient en une année seulement de la progression de la maladie, dans des conditions très pénibles. À la fin de ma thèse, ils pouvaient avoir des enfants. La maladie est devenue chronique. Je suis ensuite retournée dans la pratique de terrain de médecine et j’ai découvert l’oncologie. Il y avait beaucoup de liens avec l’infection par le VIH, je pense notamment aux mécanismes de résistance des cellules cancéreuses, et l’importance de l’immunité. C’était à l’époque un domaine où tout restait à faire : on mourait du cancer sans l’espoir d’un traitement efficace, la recherche ne proposait pas de solution. J’ai été convaincue au bout de six mois et n’ai jamais regretté mon choix.

iv Votre carrière est loin d’être terminée. À ce stade, que souhaitez-vous que l’on retienne de Solange Peters ?

SP C’est difficile à dire. J’aimerais montrer que la diversité n’est pas une menace mais, au contraire, une richesse. Le CHUV reste malheureusement un lieu où la discrimination de genre est encore fortement présente, et cela, malgré les efforts de la Direction générale. Nous devons travailler sur les réels aspects de changement, nécessaires, pour que la diversité ne soit plus une exception mais une évidence. /

iv Vous dites qu’il n’y a pas de discipline où l’on est plus proche des gens que la médecine. SP L’oncologie est un domaine particulier. À l’annonce d’un diagnostic, aussi précoce soit-il, à quoi pense-t-on avant tout ? À la mort, invariablement. Les gens sont directement renvoyés à leurs valeurs fondatrices, à ce qu’ils veulent désormais

« LA SCIENCE DOIT APPRENDRE À DÉFINIR CE DONT CHAQUE
33 MENS SANA INTERVIEw

Vivre avec la maladie de Crohn

Incomprise et taboue, la maladie de Crohn reste aujourd’hui incurable. Dans les cas les plus aigus, les spécialistes recommandent la suppression d’une partie de l’intestin. Les associations se mobilisent pour sensibiliser la population et soutenir les personnes atteintes.

Aucune maladie n’est sexy, mais la maladie de Crohn ne l’est particulièrement pas, dit Adéla Fanta, secrétaire à l’association Crohn Colite Suisse. On parle ici de selles, de consistance, de sang, de flatulences et de douleurs au ventre. C’est un sujet tabou dont les gens ont malheureusement honte de parler. » L’association créée en 1986 est composée de membres volontaires, qui sont également atteints par la maladie de Crohn ou la rectocolite ulcéro-hémorragique, l’autre grande pathologie liée à une inflammation de l’intestin.

Les symptômes de la maladie de Crohn, souvent dissimulés, se caractérisent par un transit capricieux, des douleurs et des sensations d’urgence d’aller à la selle. L’affection concerne tout le tube digestif, de la bouche à l’anus, mais attaque plus couramment la zone de transition entre

l’intestin grêle et le gros intestin. La maladie peut provoquer jusqu’à 20 diarrhées par jour. « Les patient·e·s souffrent souvent également de symptômes extra-digestifs, comme des douleurs articulaires, des problèmes de peau, des inflammations des yeux et des voix biliaires », précise Thomas Greuter, chef de clinique en gastroentérologie au CHUV.

La maladie est souvent vécue avec embarras, ce qui pousse de nombreux·ses patient·e·s à s’isoler. Elle touche pourtant une personne sur 500 en Suisse, principalement les femmes (1,4 femme pour 1 homme), et se déclare généralement entre 20 et 30 ans ou après 60 ans. Selon les chiffres de l’association, 80% des individus souffrant d’un Crohn se

CONSEILS PRATIQUES GROSSESSE

Rien n’empêche une personne atteinte de la maladie de Crohn d’être enceinte, mais un suivi médical régulier est important, notamment pour adapter le traitement médicamenteux.

TEXTE : AUDREY MAGAT
34 MENS SANA DÉCRypTAgE

sentent honteux. « On doit régulièrement aller aux toilettes, les douleurs sont continues. Quant aux traitements, s’ils soulagent, ils peuvent provoquer une prise de poids, des problèmes de peau, voire la chute de cheveux, ce qui peut sérieusement diminuer la confiance en soi », détaille Adéla Fanta.

INTIMITÉ

Les relations sexuelles sont compatibles avec la maladie de Crohn mais elles peuvent être limitées par les douleurs abdominales et les fistules. Les phases de crise entraînent aussi une baisse de la libido.

Pour faire face, le partage d’expériences se révèle essentiel. «C’est une des premières choses que l’on dit : vous n’êtes pas seuls.»

L’association apporte des réponses aux interrogations du quotidien: vie professionnelle, grossesse, relations sexuelles. Selon elle, les patient·e·s manquent souvent de temps lors des rendez-vous médicaux pour poser des questions concrètes et intimes. « Aujourd’hui, certaines personnes contactent l’association parce qu’elles viennent d’être diagnostiquées, d’autres s’interrogent sur des aspects inattendus. Par exemple : est-il possible de faire un tatouage ? Oui. Peut-on aller dans un solarium ? Non. »

Les causes exactes de ces inflammations chroniques des muqueuses restent inconnues. Des facteurs de risque ont néanmoins été identifiés, comme le tabac, la santé du microbiote intestinal, la prise d’antibiotiques, l’alimentation et notamment les aliments transformés. Si on ignore la cause de cette maladie, elle touche statistiquement davantage les pays occidentaux. L’une des hypothèses pour expliquer ce déséquilibre réside dans le dépistage, plus fréquent dans ces pays. Mais, pour le moment, les seuls facteurs de risque attestés scientifiquement sont le tabac et la consommation d’aliments transformés.

CHIRURGIE SALVATRICE

SPORT

L’activité physique qui sollicite les articulations est à éviter pendant les poussées. Le repos est prescrit en période de crise. Les fistules peuvent contre-indiquer certains sports, comme le vélo.

UNE SOLUTION DANS LE TÉLÉTRAVAIL

« La maladie de Crohn est difficilement compatible avec la vie professionnelle. Les employeur·euse·s craignent les absences pour cause d’hospitalisation, ils prennent peur face à cette maladie. »

Pour Adéla Fanta, secrétaire à l’association Crohn Colite Suisse, le monde professionnel se montre parfois insensible aux maladies

« La maladie reste pour le moment incurable, mais les traitements et la chirurgie

inflammatoires chroniques de l’intestin. « Les malades peuvent aussi se sentir gênés, les toilettes d’entreprise n’offrent pas toujours une grande intimité. » Pour elle, le télétravail constitue une solution pour les personnes touchées par la maladie de Crohn. Un avis partagé par Thomas Greuter, chef de clinique en gastroentérologie au CHUV : « Travailler à domicile enlève

une pression autant sociale que psychologique. Dans les périodes de crise, face aux douleurs et aux urgences d’aller aux toilettes, il est plus confortable d’être à la maison. » En outre, en période de pandémie, les personnes souffrant de la maladie de Crohn doivent particulièrement se protéger étant donné que les traitements entraînent souvent une baisse de l’immunité.

35 MENS SANA DÉCRypTAgE

permettent de la contrôler, ajoute le gastroentérologue Thomas Greuter. Ces traitements à base d’immunosuppresseurs diminuent les symptômes et atténuent la sévérité de son évolution. Chez un tiers des patients, les médicaments fonctionnent très bien, pour un autre tiers la réponse est plus partielle et le dernier tiers ne répond pas aux traitements. Dans ce cas, la chirurgie peut être une solution. » Il existe alors différentes interventions, qui consistent à couper les parties malades de l’intestin et reconnecter les parties saines. Une autre solution est l’iléostomie, qui consiste à poser une dérivation de l’intestin vers l’extérieur au niveau du ventre. Toutes les selles sont alors évacuées dans une poche de stomie. Cette opération constitue parfois un traitement transitoire pour reposer le tube digestif et optimiser l’efficacité des médicaments administrés, ou définitif si la partie endommagée est trop importante pour être coupée. « La chirurgie est omniprésente dans le parcours thérapeutique : 75% des personnes atteintes devront subir une opération. »

par jour. Je suis allée à l’hôpital pour être alimentée artificiellement et la gravité de ma maladie m’a imposé de passer à une stomie définitive. Paniquée, je cherchais des témoignages en ligne mais ne trouvais que des informations terrifiantes et négatives. Après mon opération, j’ai donc voulu partager mon expérience, par mon biais d’expression : la bande dessinée. »

Avec humour et sous le pseudo « Stomie Busy », Juliette Mercier raconte depuis 2019 son histoire personnelle à plus de 100’000 abonnés sur Instagram. Elle aborde les questions du quotidien avec la maladie, des allersretours à l’hôpital mais aussi les questions de féminité et d’intimité.

« La beauté a plusieurs visages et plusieurs corps aussi », scande un de ses récents dessins. « Aujourd’hui, je vis nettement mieux, je n’ai plus de symptômes ! Il faut s’habituer à la poche mais je me la suis totalement appropriée. Elle me permet plus de liberté. » L’illustratrice a également publié en 2021 la bande dessinée Ma Crohn de vie (Éd Leduc Graphic), relatant son combat avec la maladie.

ALIMENTATION

Pendant les crises, tout ce qui stimule la digestion devrait être évité, comme les fruits et légumes crus, les boissons gazeuses, les noix, etc.

C’est le cas de Juliette Mercier, atteinte de la maladie de Crohn depuis ses 15 ans, qui a vécu une iléostomie totale. « J’ai dû me faire opérer en urgence en 2017. À

l’époque, je mesurais 1,69 m pour 37 kg. J’étais en sous-poids, constamment fatiguée, j’avais jusqu’à 20 diarrhées

VOYAGE

Afin de s’éviter le stress d’une urgence, il peut être utile de repérer les toilettes publiques avant une excursion. Le site wc-guide.ch a par exemple cartographié tous les WC en libre accès en Suisse.

« Chaque personne vit son Crohn différemment, ce qui implique qu’il faut souvent essayer plusieurs traitements avant de trouver le bon », souligne Adéla Fanta, qui se réjouit néanmoins des progrès scientifiques. « Lorsqu’on m’a diagnostiquée il y a vingt-cinq ans, il n’existait que deux médicaments. Aujourd’hui, une dizaine est disponible. J’ai bon espoir qu’on trouve un jour un traitement curatif. » /

36 MENS SANA DÉCRypTAgE

COVID-LONG : LE PRÉJUDICE DU DOUTE

’est avant tout une fatigue qui persiste, puis des symptômes divers, allant des difficultés respiratoires aux pertes de goût et d’odorat, en passant par des douleurs inconnues. Deux ans après l’émergence mondiale du covid, 39% des adultes qui ont été atteint·e·s par le virus souffrent d’une forme longue de la maladie, d’après une étude menée par l’Université de Genève. Entre incompréhension et efforts de rémission, un collaborateur du CHUV partage son expérience personnelle.

Mardi matin, 8 heures. J’arrive au bureau pour l’une des nombreuses séances de la semaine. J’ai beau me concentrer, j’ai toujours un temps de retard, les sujets s’enchaînent trop rapidement. J’en ressors avec l’impression d’être incompétent. Je crains que cela finisse par se voir.

Cette scène s’est répétée chaque semaine pendant plus d’un an, depuis que j’ai été testé positif au Covid-19 le 1er mars 2021. J’avais alors repris le travail dès que possible. En montant la première volée d’escaliers : mal aux cuisses, essoufflement, fatigue. Ça va passer, rien d’alarmant.

Mois après mois, les symptômes persistent. Je ressens des douleurs musculaires – impossible de remonter le store à manivelle de mes fenêtres, de me brosser les dents sans changer de bras –et toujours beaucoup de fatigue. Grand amateur de randonnée, je ne grimpe plus la montagne, je la longe. Je réfléchis lentement, j’ai des trous de mémoire.

« NON, ÇA NE VA PAS »

Mon parcours de « patient Covidlong » débute en août 2021, car j’éprouve des difficultés pour respirer. Verdict ? Tout va bien, ça doit être dans ma tête. En janvier 2022, des douleurs persistantes aux aisselles me conduisent

TEXTE : SIMON FARAUD
C
37 MENS SANA pROSpECTION
Infecté par le Covid-19, Simon Faraud, employé du Service de communication au CHUV a subi, comme de nombreuses personnes, les symptômes de la version longue de la maladie. Entre doutes paralysants et capacités réduites, son expérience fait écho aux contours flous qui entourent encore cette maladie. Témoignage.

SIMON FARAUD

Responsable de la communication interne du CHUV depuis janvier 2021 et auteur de ce texte, Simon Faraud a suivi des études de lettres à l’Université de Lausanne avant de travailler à RTSinfo pendant six ans. Il vit aujourd’hui en Valais et se passionne pour la montagne, la cuisine et la photographie.

à nouveau chez ma médecin. La consultation se prolonge, on fait le tour de mes symptômes. Juste avant de partir tombe la question que je refusais de me poser : « Sinon, vous, ça va ? » En répondant « non », j’avoue enfin à une professionnelle que je ne vais pas bien, et que l’épuisement me provoque des crises d’angoisse. « Je vais vous arrêter, monsieur. » Mon congé maladie durera six semaines.

Pourtant, selon la science, je suis en parfaite santé. Juste une carence en vitamine D, « comme tout le monde ». C’est paradoxal, mais puisque je n’ai rien, j’ai gagné le droit d’aller à une consultation postCovid-19. Pour moi, ce sera à l’Hôpital RivieraChablais de Rennaz.

Coïncidence, je m’y rends pour la première fois le 1er mars 2022, un an pile après mon test positif. Avant même le premier examen et le premier médicament, je vais déjà mieux. Empathie, bonne humeur, écoute, du guichet d’accueil jusqu’au médecin. On entend souvent que la médecine est devenue trop technique, a perdu toute humanité mais mon rétablissement, je le dois en partie aux personnes que j’ai eu le bonheur de croiser au long de mon parcours hospitalier.

LA DÉLIVRANCE DES RÉPONSES Quelques semaines, un test respiratoire, un test d’effort et deux malaises vagaux plus tard, le diagnostic est posé : asthme et respiration dysfonctionnelle. Le premier, je connais, j’en ai eu beaucoup jusqu’à l’adolescence. Retour à la case départ, avec

le même inhalateur qu’il y a vingt ans. Ça ne me rajeunit pas.

Pour la seconde, la respiration dysfonctionnelle, le rendez-vous est pris au Service de physiothérapie et ergothérapie de l’Hôpital de Martigny pour neuf séances de rééducation ventilatoire. Mon physiothérapeute s’appelle Lars Denayer, il a un accent que je ne saurais situer (flamand, il s’avérera) et des patients comme moi, il en voit beaucoup : « Ça n’arrête pas », me glisse-t-il. S’il pratiquait déjà la physiothérapie respiratoire avant la pandémie, le virus a chamboulé sa profession : « Nous avons une excellente collaboration avec nos collègues pneumologues et physiothérapeutes, ce qui nous permet de nous adapter rapidement en fonction des avancées de la recherche. C’est important. »

Mes jours de congé sont dédiés à la physio. Rapidement, grâce aux conseils, exercices et encouragements de Lars, ma situation s’améliore. Au point que seules six séances seront nécessaires.

UN ESPRIT CEINT DANS

UN CORPS SAIN

Entre-temps, j’ai repris le travail. Mais cette année de Covid-long a laissé des traces, notamment psychologiques. Si le corps est redevenu sain, il va maintenant falloir s’occuper de l’esprit. J’ai aussi été contraint de réduire mes interactions sociales à la portion congrue. Le travail draine toute mon énergie, je

AURÉLIEN BARRELET
38 MENS SANA pROSpECTION

panique si je dois organiser des choses, voir des gens. Quant à l’avenir, je m’interdis d’y penser, jusqu’à nouvel ordre.

Une discussion avec le professeur Pierre-Olivier Bridevaux, chef du Service de pneumologie du Centre hospitalier du Valais romand et responsable de l’Unité de pneumologie de l’Hôpital Riviera-Chablais, me fait néanmoins comprendre que je ne suis pas seul, et que les difficultés que je rencontre, je ne les invente pas. «L’altération de la qualité de vie des patients n’est absolument pas négligeable, elle est même sévère. Par exemple, nos patients qui souffrent de respiration dysfonc-

tionnelle ont une qualité de vie mesurée par des scores qui est comparable à celle de personnes qui souffrent d'un cancer. Ce n’est pas banal. »

LA SEULE CERTITUDE: ÊTRE DANS LE DOUTE

Si je peine, aujourd’hui encore, à m’affranchir du doute qui continue à me ronger, surtout depuis une seconde infection au Covid-19 en juin 2022, mes deux interlocuteurs, eux, sont plus optimistes. Pour le Prof. Bridevaux, ce n’est qu’une question de temps, et de patience: «Il faut garder espoir. La recherche avance partout dans le monde. Nous avons l’espoir de nouveaux

traitements qui vont cibler les biomarqueurs de la maladie et peut-être, par ce biais-là, réduire les symptômes. Mais nous ne sommes qu’au début de ces recherches. Pour l’heure, nous n’avons pas de pilule miracle. » /

RAFAEL, LA PLATEFORME D’INFORMATION POST-COVID

Rafael est la première plateforme francophone interactive sur les séquelles à long terme du Covid-19. Inaugurée en novembre 2021, elle inclut un chatbot (robot conversationnel), qui répond aux questions et fournit des informations sur les symptômes du post-Covid.

Face au manque de tests au début de la pandémie, le Service de médecine de premier recours (SMPR) des HUG a été obligé de mettre en place un système de suivi à distance. Rapidement, les équipes se sont aperçues que, chez certain·e·s patient·e·s, les symptômes persistaient. « Nous avons l’impression d’être utiles en fournissant des informations, et parallèlement nous recueillons des données importantes. C’est gagnantgagnant », explique le Prof. Idris Guessous, médecin-chef de service du SMPR. Les données récoltées par cet « outil citoyen participatif » sont ensuite comparées à celles

provenant des cohortes de suivi standardisé afin de « repérer et confirmer un signal ».

Aujourd’hui, Rafael compte de nombreux partenaires romands, dont le CHUV et Unisanté, mais aussi étrangers. Une volonté d’ouverture assumée et promue par son concepteur. Pour Idris Guessous : « Le ou la patient·e est réellement l’expert. En tant que médecin, vous me dites ce que vous ressentez, je prends des notes et j’apprends avec vous. »

Les témoignages liés aux effets du Covid-long sur la population sont nombreux. Outre Rafael, différents groupes de soutien ou d’information existent, à l’instar de la plateforme Altea, ou des associations suisses alémaniques Long Covid Suisse et Covid Langzeitfolgen.

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SE SOIGNER AU LSD, SANS FAIRE D’ACCRO

Le microdosage de psychédéliques permet de traiter la dépression, la migraine, ou le stress post-traumatique. Gros plan sur un phénomène qui gagne en popularité.

ANCIENNES MOLÉCULES, NOUVEAUX TRAITEMENTS

Dans la série

Nine Perfect Strangers, Nicole Kidman est la gérante d’un centre de remise en forme dans lequel elle administre du LSD en faible dose à ses pensionnaires à leur insu, pour les aider à faire face – avec plus ou moins de succès – à leurs traumatismes passés. Si cette fiction s’éloigne des considérations médicales et éthiques qui accompagnent habituellement ce genre de traitement, elle met en lumière une pratique de plus en plus répandue : le microdosage.

Que ce soit du LSD ou de la psilocybine, de nombreuses substances circulent dans les milieux qui ont les moyens de se les procurer. Une microdose se situe généralement entre 5 et 10% de la quantité normalement requise pour obtenir un effet psychédélique. Pas d’hallucinations, les effets sont subtils et permettent aux personnes de fonctionner normalement, comme en prenant un médicament classique. Fort de résultats très positifs, le phénomène se démocratise au point

d’intéresser la recherche, il doit cependant encore se débarrasser d’un problème d’image.

« WAR ON DRUGS »

La politique de prohibition du gouvernement américain dans les années 1970 sous le président Nixon a eu des répercussions dans le monde entier : un répertoire de substances désignées comme « drogues à bannir » sera repris jusqu’en Europe, mettant dans le même panier opiacés, cannabis et psychédéliques. Si ces lois visaient à interdire l’usage récréatif, elles ont aussi découragé

Depuis plusieurs décennies, les traitements pharmacologiques en psychiatrie tournent essentiellement autour de quatre classes de médicaments : les neuroleptiques, les thymorégulateurs, les antidépresseurs et les anxiolytiques. Si ces derniers se montrent efficaces dans le traitement d’un large éventail de pathologies, le regain d’intérêt pour d’anciennes molécules, comme le LSD ou la psilocybine, pourrait apporter un souffle nouveau à la psychopharmacologie.

TEXTE : ARNAUD DEMAISON
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Les lois qui visaient à interdire l’usage récréatif ont aussi découragé la recherche
MOVIESTILLSDB 41 MENS SANA TENDANCE

la recherche. C’est grâce aux débats sur la libéralisation du cannabis que certaines barrières morales et politiques sont en passe d’être franchies.

Pour Gabriel Thorens, psychiatre spécialiste en addictologie aux HUG, les psychédéliques souffrent toujours en 2022 d’une mauvaise réputation. Pour l’expert, «on sait aujourd’hui qu’il faut faire la différence entre l’effet psychotrope qui a un impact sur nos perceptions et l’effet addictif qui perturbe le système de renforcement et provoque une dépendance. Le LSD, par exemple, est hallucinogène mais n’a que peu ou pas d’effets addictifs. À l’inverse, la nicotine rend très rapidement dépendant, mais n’altère pas la perception de l’environnement.»

HARO SUR LA QUALITÉ

Gabriel Thorens pratique la psychothérapie assistée par psychédéliques (avec des doses complètes) dans le cadre de thérapies compassionnelles, c’est-à-dire destinées à des personnes en fin de vie. Le psychiatre émet toutefois quelques réserves sur la pratique du microdosage, car « les substances se trouvent l’heure actuelle uniquement sur le marché noir. À moins que les particuliers ne les fassent contrôler dans un laboratoire, elles ne sont souvent pas sûres, que ce soit en termes de dosage ou de qualité. »

Quant à une utilisation par prescription, Gabriel Thorens note qu’il reste encore beaucoup de recherche à faire pour qu’on puisse déterminer le réel bénéfice de cette pratique, et ainsi l’inscrire dans le cadre d’une thérapie: «avec une dose complète, c’est l’intensité de l’expérience psychédélique qui apporte une plus-value thérapeutique. On suppose donc que dans le cadre du microdosage, la molécule aurait sa propre activité sur le fonctionnement du cerveau. Nous en sommes toujours au stade de l’hypothèse, mais de plus en plus d’études sur le dosage complet avec action psychédélique rapportent que, pour la dépression chronique par exemple, il pourrait s’agir d’un traitement remarquable. » /

TÉMOIGNAGE

soraya cadelli « Depuis l’enfance, je souffre de dépression. Après des années d’errance médicale, j’ai commencé le microdosage de psilocybine, sur le conseil d’une thérapeute. Après avoir échangé avec des chercheurs, le protocole du Dr Fadiman s’est imposé : une prise de 5mg avant 10h tous les 3 jours et selon besoin. Ma santé mentale

et physique s’est immédiatement améliorée et je reste sans effets secondaires. Toutefois, l’accès à la psilocybine reste difficile dans un cadre psychiatrique en raison de son statut légal. Ces difficultés ne me découragent toutefois pas et nous sommes de plus en plus nombreux·ses à nous organiser. Et ce, avec ou sans le soutien de la psychiatrie classique. »

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« Il faut faire la différence entre l’effet psychotrope et l’effet addictif »

AU CHUV, L’ARCHITECTURE EN RENOUVELLEMENT PERPÉTUEL

Chantier après chantier, le CHUV se transforme constamment pour répondre aux besoins et maintenir son statut de référence. L’idée force : c’est le médecin qui doit se déplacer vers les malades plutôt que l’inverse.

Il aura fallu vingt ans de planification et dix autres de travaux pour que la Cité hospitalière voie le jour en 1982, transformant ainsi le paysage lausannois. Quarante ans plus tard, l’établissement est devenu, avec ceux de Genève, Bâle, Zurich et Berne, l’un des cinq hôpitaux universitaires de Suisse. Et tout a changé ou presque : la formation, la recherche et les soins mais aussi la démographie vaudoise. Alors que l’hôpital avait été dimensionné pour répondre aux besoins de 500’000 habitants au début des années 1980, le canton en compte désormais plus de 800’000 et devrait franchir la barre du million en 2040, dénombrant ainsi autant de patient·e·s potentiel·le·s.

Une galette à transformer

Pour rester à jour, l’hôpital doit développer sa stratégie immobilière, exploiter et maintenir le

patrimoine, faire évoluer les laboratoires et les blocs opératoires, mais aussi gérer la construction et la rénovation des bâtiments, améliorer l’accueil, assurer la sécurité opérationnelle… « Un hôpital n’est jamais terminé », résume Catherine Borghini Polier, l’architecte des lieux, qui assume ces missions en lien avec la direction et les autorités cantonales.

Arrivée en 2008 à la tête de la direction des constructions, de l’ingénierie, de la technique et de la sécurité (CIT-S) du CHUV, elle pilote une équipe de 250 personnes, dont une cinquantaine d’architectes et d’ingénieur·e·s. Leur mission ? Adapter un ensemble immobilier dessiné dans les années 1960 et relativement classique dans sa conception. Une « galette », qui réunit l’ensemble des installations, des appareils et des dispositifs médicaux nécessaires aux soins.

« Sur le plan pratique, l’architecture hospitalière doit répondre à trois enjeux principaux : une bonne gestion des personnes, une amélioration constante des différents espaces, et la prise en compte des contraintes techniques comme les voies d’acheminement de l’oxygène ou la largeur des couloirs, explique Catherine Borghini Polier. Nous devons d’abord contribuer à la prise en charge cohérente des patient·e·s et à l’optimisation des parcours de

TEXTE : JEAN-CHRISTOPHE PIOT
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soins, autour de l’idée que ce sont les médecins qui se déplacent vers les malades plutôt que l’inverse. Nous devons également repenser l’organisation et le partage de l’espace pour gagner en souplesse, par exemple en permettant à une même salle de servir à différents usages en fonction des besoins. »

Spécificités hospitalières

Un hôpital n’est pas un bâtiment comme les autres. « Au-delà du fait qu’il doive être facile à entretenir et à nettoyer, chaque espace a ses caractéristiques et ses normes propres, parfois drastiques comme en chirurgie. Nous devons aussi tenir compte de certaines contraintes techniques de construction, par exemple en concevant des bâtiments capables de résister à des inondations ou à un séisme, au moins pour certains équipements vitaux comme les blocs opératoires. »

C’est cette variété de projets et de défis qui plaît à Catherine Borghini Polier : « L’émergence de thérapies innovantes réclame par exemple des adaptations uniques pour certains laboratoires de pointe, comme ceux du Ludwig Institute for Cancer Research sur le site du Biopôle d’Épalinges, où les investissements ont permis la création d’un Centre d’immunologie, d’infectiologie et de vaccinologie qui a l’ambition de se positionner comme le leader suisse dans ce domaine. » Un

8 À 10 ANS

De l’intention à la réalisation, le temps nécessaire à la concrétisation d’un petit programme, au budget de 20 à 40 millions de francs.

défi constant, d’autant plus difficile à conduire qu’aucune formation spécifique n’existe en Suisse pour les architectes hospitaliers, souligne celle qui a commencé sa carrière en dessinant la Policlinique médicale universitaire, aujourd’hui Unisanté. « On apprend beaucoup par la pratique. Notre métier relève bien de l’architecture, mais l’adaptation est la règle : nous devons constamment trouver un sens à chaque espace, faire preuve d’inventivité. Nous formons donc nos nouveaux·elles collaborateur·trice·s en interne. »

Concentrer les soins

Démographie médicale oblige, le principal enjeu de l’architecture hospitalière consiste à répondre à la hausse constante de l’activité. Chaque année, les 12’200 salariés du CHUV accueillent plus de 51’000 patient·e·s, dont plus de 20% pour des opérations chirurgicales. D’où un évident problème de place, ajoute Catherine Borghini Polier. « En quarante ans, nous avons petit à petit sorti du bâtiment hospitalier tout ce qui n’était pas indispensable aux soins, comme les services de direction et de logistique ainsi qu’une partie des laboratoires de recherche. » Une chasse aux mètres carrés qui a permis de s’affranchir progressivement du passé : les chambres de cinq lits – courantes dans les années 1980 – ont presque disparu au profit de chambres doubles ou individuelles, plus confortables et mieux adaptées aux attentes de la patientèle.

« La pratique et le savoir médical doivent toujours être au service des patient·e·s, et l’architecture y participe , pointe Catherine Borghini Polier. Nous tentons partout de gagner en confort, car nous savons désormais que les malades se rétablissent plus vite dans un cadre bienveillant. Nous avons ainsi également créé des infrastructures de support comme des salles de physiologie pour les aider à se remettre en mouvement aussi vite que possible. » À leur manière, les architectes contri-

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buent ainsi à répondre une tendance majeure : l’augmentation des soins ambulatoires, en progression de 11% au CHUV entre 2020 et 2021.

Réalisations marquantes

Aux moyens humains s’ajoutent des moyens financiers substantiels : lancé en 2009, le plan de modernisation actuellement déployé prévoit un total de 1 milliard de francs d’investissements, dont 800 millions ont déjà été engagés.

« Le chiffre peut sembler considérable, mais il est à mettre en rapport avec le budget global du CHUV », soit 1,9 milliard de francs pour la seule année 2021.

Depuis, les entreprises se sont multipliées, à l’instar des nouveaux édifices de l’hôpital psychiatrique de Cery à Prilly, de l’extension de 250 places supplémentaires du restaurant du personnel en 2014, ou encore de la construction des locaux regroupant le centre de sécurité, la centrale d’accueil téléphonique et le centre de contrôle.

Les initiatives plus ambitieuses prennent davantage de temps. Dernier exemple en date : la rénovation totale du bloc opératoire central, mis en service en novembre 2021 après cinq ans de travaux. Doté d’un budget de 105 millions de francs, le projet permet aux équipes du CHUV de disposer désormais de 22 salles équipées selon les derniers standards technologiques – huit de plus qu’avant les travaux. Là encore, une partie du travail est invisible : « La spécificité du projet tient au fait que tous les flux passent par le plafond, de l’énergie à l’oxygène, en passant par les câbles du réseau informatique et le flux d’air laminaire qui garantit l’asepsie du site opératoire », souligne Catherine Borghini Polier. Les soignant·e·s disposent ainsi d’un espace désencombré, plus net et plus fonctionnel.

1 MILLIARD

Le montant en francs suisses des investissements prévus par le CHUV dans leur plan de rénovation lancé en 2009.

Le chantier le plus impressionnant est quant à lui encore en cours : lancée en 2019 avec un budget dépassant les 200 millions de francs, la construction de l’hôpital des enfants est un tour de force technique : au nord de l’esplanade centrale, le bâtiment s’élève au-dessus d’une station de métro auparavant ouverte à ciel ouvert et désormais enfouie sous les fondations du futur site. En 2024, celui-ci proposera une centaine de lits ainsi que l’ensemble des services et des plateaux médicotechniques nécessaires à la prise en charge complète des enfants jusqu’à 18 ans. Mais la transformation n’est jamais terminée : en lien avec les autorités cantonales, la CIT-S planche déjà sur son prochain schéma directeur pour dessiner le CHUV de demain. /

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Prendre conscience

KRISTINA WÜRTH

Éthicienne clinique avec une formation en anthropologie culturelle, elle fait partie de l’Unité d’éthique clinique IHM-CHUV depuis deux ans. Son étude actuelle porte sur les consultations auprès des patient·e·s immigré·e·s. Elle entreprend aussi un projet sur la discrimination et le racisme en milieu hospitalier.

« Les discriminations et les attitudes racistes prennent forme dans le contact entre deux personnes. Dans ce face-àface, la langue, le niveau d’éducation, le milieu socio-économique, les difficultés sociales de chacun, sont autant de facteurs qui peuvent interagir et conditionner des stéréotypes ou des actes discriminatoires. » Kristina Würth, éthicienne clinique à l’Unité d’éthique clinique IHM-CHUV, s’intéresse depuis plusieurs années à la communication et aux interactions entre les patient·e·s présentant des caractéristiques de vulnérabilité sociale et les clinicien·ne·s (corps médical, infirmier, etc.), l’équipe de traducteur·trice·s, ainsi que le personnel administratif.

Dans sa recherche, elle cite par exemple le cas d’un patient analphabète qui avait certes consenti à une opération du cœur, mais qui n’était pas en mesure par la suite d’utiliser correctement l’appareil implanté. Il a été alors perçu par les professionnel·le·s comme non coopératif et difficile. Son état de santé s’est dégradé, au point d’être encore pire qu’avant l’opération. Dans cette situation, malgré les intentions authentiques des acteurs de soin de ne pas discriminer, les faits relatés montrent une réalité différente.

Kristina Würth esquisse quelques explications : « Il n’y a pour l’instant pas véritablement d’indications en clinique médicale sur la prévention de la discrimination dans des situations à risque bien connues, par exemple en cas de barrière linguistique. Cela est laissé à la responsabilité de chaque médecin ou soignant·e. » Dans la pratique quotidienne, la chercheuse observe que les recommandations éthiques habituelles font défaut dans les situations impliquant une personne en situation vulnérable. « Qui est responsable – et compétent – pour déterminer si les capacités linguistiques d’un patient sont suffisantes lors d’une consultation ? Qui décide quoi faire si ce n’est pas le cas ? Le médecin, le patient ou les circonstances – comme la disponibilité d’un traducteur ? » La chercheuse promeut ainsi une approche basée sur l’humilité, qui considère d’abord le ou la patient·e comme une personne unique à (re)découvrir. D’autre part, la méthode vise à lever les tabous sur la thématique et permettre ainsi un discours qui dépasse les réactions réflexes. Les résultats et conclusions de sa recherche seront à découvrir d’ici à la fin de l’année 2023. /

des discriminations à l’égard des populations dites vulnérables
RECHERCHE
46 MENS SANA lABO DES hUMANITÉS
Dans ce « Labo des humanités », In Vivo vous fait découvrir un projet de recherche de l’Institut des humanités en médecine (IHM) du CHUV et de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.

MARJORY WINKLER

Directrice de l’association romande Ciao depuis 2018

Savoir écouter et conseiller les jeunes

La plateforme Ciao.ch a vu le jour il y a 25 ans, avant même le développement d’internet tel qu’on le connaît aujourd’hui. Ce site constitue un véritable réceptacle de la parole des jeunes de 11 à 20 ans, qui peuvent y poser anonymement leurs questions. Ensuite, des expert·e·s travaillant pour des structures partenaires leurs répondent et, si besoin, les guident vers des professionnel·le·s. Les jeunes nous donnent trois informations seulement : leur âge, leur genre – sans obligation de le faire – et le canton de résidence. Connaître leur canton nous permet d’orienter leurs questions vers des services locaux qui pourront mieux les conseiller. Si certaines questions restent privées, d’autres sont publiées en vue d’aider d’autres adolescent·e·s. Ciao a même un forum, pour que les utilisateur·trice·s puissent discuter entre eux et créer une communauté de soutien entre personnes partageant les mêmes soucis.

Chez les jeunes, et particulièrement à l’adolescence, le principe de normalisation est extrêmement fort, on se demande si nos expériences ou notre physique sont normaux. Le fait de pouvoir

lire les témoignages des autres est absolument crucial. En 2021, on a pu décompter 2 millions de visites, 3000 questions et plus de 40’000 messages échangés sur le forum du site. Ces résultats nous encouragent à continuer notre effort, malgré la taille réduite de notre équipe.

L’année dernière, nous avons ouvert ontecoute.ch, une plateforme jumelle de Ciao.ch, mais visant la tranche d’âge des 18-25 ans. Nous étions préoccupé·e·s par les résultats de la Corona Stress Study de l’Université de Bâle montrant que c’était cette population qui souffrait le plus des restrictions. Grâce notamment au financement du Canton de Vaud, nous avons pu ouvrir le site en juin. Si, sur Ciao.ch, la moitié des questions ont pour sujet la sexualité, on remarque que pour les plus âgé·e·s, ce sont les difficultés de santé mentale qui préoccupent majoritairement.

PROFIL

Marjory Winkler, née en 1982 à Delémont, dirige depuis 2018

l’association Ciao. D’un CFC de médiamaticienne à Bienne à un CAS en promotion de la santé à l’Université de Genève, son parcours a toujours évolué entre la communication et la santé publique.

Depuis sa création, ontecoute.ch recense déjà plus de 40’000 visites, c’est peu comparativement à Ciao.ch mais c’est un bon début, et le nombre est en hausse constante. À l’avenir, nous voulons maintenir la qualité et la visibilité de Ciao.ch, mais le gros de notre travail portera sur ontecoute.ch. Nous devons améliorer le référencement et la communication pour nous faire connaître. Nous travaillons par exemple actuellement avec des focus groups de jeunes qui nous aident à identifier leurs besoins et les formats qui leur parlent le plus. /

SAMUEL GOLLY
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BURN-OUT ET BIG DATA

En constante augmentation au sein de la population, le burn-out reste difficile à diagnostiquer. Une équipe de recherche bernoise imagine une méthode pour identifier la maladie grâce à l’intelligence artificielle.

n Suisse, près de trois salarié·e·s sur dix se situent dans une zone de stress dite critique. Concrètement, ces personnes éprouvent davantage de contraintes liées au travail que de ressources pour y faire face, selon la dernière édition du Job Stress Index*. Cette part de la population active sous pression – qui était d’un·e sur quatre en 2014 –, a probablement encore augmenté durant la pandémie, anticipent les premières observations. La même étude chiffre à 7,6 milliards par an le coût du stress professionnel pour les entreprises. Il faut dire que le nombre d’arrêts de travail explose depuis quelques années. Toujours en 2020,

Edes statistiques compilées par les assureurs Swica et PR Rück montraient qu’ils avaient grimpé de 50% depuis 2012. Ils concernaient un épuisement au travail ou une dépression.

Le burn-out serait-il la maladie du XXIe siècle ? C’est en tout cas ce que laisse penser le titre du livre publié par les psychologues Anny Wahlen et Nadia Droz**. Un fléau qui ne cesse de prendre de l’ampleur à l’ère de la numérisation, du multitasking et de l’accélération du rythme de travail. Malheureusement, les avancées en matière de détection de l’épuisement au travail ne suivent pas la cadence. Raison principale : la difficulté à poser un diagnostic, du moins si l’on se base uniquement sur les symptômes, explique Nadia Droz. En effet,

*L’étude a été publiée par Promotion Santé Suisse en 2020.

**« Burnout, la maladie du XXIe siècle ? » Anny Wahlen et Nadia Droz, 2018, Éditions Favre.

« les personnes en burn-out souffrent de symptômes qui peuvent être émotionnels, cognitifs, comportementaux, sociaux ou psychosomatiques ; je n’ai encore jamais vu deux personnes qui présentaient exactement les mêmes symptômes », poursuit la praticienne basée à Lausanne, qui intervient entre autres au CHUV dans les cours de prévention du burn-out. Parmi les symptômes les plus fréquents de la maladie, on peut citer les maux de tête, les troubles du sommeil, la baisse de confiance en soi ou encore les troubles gastro-intestinaux.

TRAITEMENT AUTOMATIQUE DU LANGAGE

De l’avis des spécialistes, la détection du burn-out –qui consiste en premier lieu

CORPORE SANO
TEXTE : PATRICIA MICHAUD
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LE REPÉRER POUR MIEUX L’ÉVITER

Les symptômes ressentis en cas de burn-out peuvent s’apparenter à ceux de la dépression ou de l’anxiété. Les spécialistes ont également constaté que les personnes concernées ont tendance à sousestimer les premiers signes d’alerte ou à chercher à les masquer par peur d’être perçues comme des individus moins résistants.

SIGNES D’ALERTE

→ Préoccupations liées à l’activité professionnelle durant les congés

→ Moins de productivité malgré un plus grand investissement

→ Négligence des relations avec les proches au profit du travail

→ Difficultés de concentration

→ Problèmes de mémoire

→ Difficultés à l’endormissement

→ Augmentation de la consommation de substances stimulantes

PRÉVENIR LE BURN-OUT

→ Veiller au respect des besoins primaires (alimentation, sommeil, activité physique)

→ Réserver du temps pour le repos et la récupération

→ S’assurer du bien-fondé des exigences imposées

→ Fixer des priorités

→ Déléguer des tâches

→ Chercher du soutien auprès de chef·fe·s ou collègues

Source « Détection précoce de l’épuisement – Éviter le burn-out » / SECO, 2018

en un épuisement dû à un stress chronique au travail et non pas en une atteinte à la santé psychique – est un enjeu de société majeur. Dans ce contexte, les résultats d’une étude menée à la Haute école spécialisée bernoise, publiés en avril 2022 dans la revue Frontiers in Big Data, ont attiré l’attention. L’équipe de recherche de Mascha Kurpicz-Briki a développé une approche novatrice, qui s’appuie sur le traitement automatique du langage.

« Actuellement, le burn-out est souvent diagnostiqué grâce à des tests psychologiques qui consistent à obtenir des réponses graduées du type ‹ Je me sens à bout à la fin de ma journée de travail : jamais/quelquefois/ chaque jour › », constate Mascha Kurpicz-Briki. Le hic ? Les personnes interrogées peuvent être tentées d’influencer les résultats en évitant de cocher les réponses les plus extrêmes. « Des questionnaires ouverts et plus complets sont bien sûr aussi utilisés par les spécialistes ; mais ils nécessitent un important travail d’analyse », poursuit la responsable du projet. « Notre équipe s’est demandé si l’intelligence artificielle pourrait permettre de contourner ces écueils, ou du moins apporter sa contribution à la problématique

de la détection du burn-out. » Pour ce faire, l’équipe a passé au crible – grâce au traitement automatique du langage –des textes figurant sur le forum anglophone en ligne Reddit, qui propose des discussions par thèmes. « Nous avons analysé plus de 13’000 extraits anonymisés, dont certains provenaient de discussions sur le burn-out et certains de discussions sur d’autres sujets », rapporte Mascha Kurpicz-Briki. L’équipe a ainsi été en mesure de mettre au point une méthode qui évalue si le langage contenu dans des textes relève ou non de l’épuisement professionnel. Une idée couronnée de succès, puisque « dans 93% des cas, le burn-out a été identifié correctement ».

PAS RECONNU COMME MALADIE

Aussi prometteuse soit-elle, cette piste doit encore être consolidée. « L’étape suivante consiste à tester notre méthode dans un contexte clinique. » Il s’agira notamment de dresser, en collaboration avec des spécialistes du burnout, une liste de questions ouvertes qui seront posées à un échantillon représentatif de la population. Puis d’essayer la méthode sur les réponses obtenues, idéalement dans les langues nationales. Mascha Kurpicz-Briki avertit : « Même si nos résultats sont validés, cela ne veut pas dire que du jour au lendemain, on pourra mettre sur le marché un outil

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permettant aux responsables RH de détecter en trois clics le burn-out dans les entreprises ou un auto-test rapide pour les collaborateur·trice·s. »

La chercheuse imagine plutôt un logiciel destiné aux psychologues ou aux médecins, qui les aideraient dans leur démarche et viendrait compléter les méthodes existantes.

« En ce sens, il faut parler d’intelligence augmentée plutôt que d’intelligence artificielle ; elle soutient l’humain mais à la fin, c’est à lui que revient la tâche du diagnostic. »

Nadia Droz le confirme, « actuellement, la méthode de détection du burn-out la plus efficace est l’anamnèse, c’est-à-dire le récit des antécédents de la personne concernée ». Reste que toute forme d’exploration qui – à l’image de celle de la Haute école spécialisée bernoise – permet de faire avancer les choses en matière de diagnostic et de classification

« est la bienvenue », relève la psychologue. L’épuisement professionnel n’est pas considéré comme une maladie par les autorités helvétiques. En juin 2019, le Conseil national a rejeté une initiative parlementaire socialiste demandant que le burn-out soit pris en charge par l’assurance accidents de l’employeur plutôt que par l’assurance maladie de l’employé. Quant à l’OMS, même si elle n’a pas franchi le pas, elle a reclassifié en

2019 le burn-out en tant que syndrome résultant d’un stress chronique au travail et non plus seulement en tant qu’état d’épuisement.

CHANGER LA CULTURE D’ENTREPRISE

Contrairement à d’autres pays comme l’Italie, en Suisse, le burn-out n’est pas reconnu comme une maladie professionnelle. Or, cette classification comporte de nombreux avantages. Notamment de meilleures mesures de réinsertion pour les salarié·e·s concerné·e·s, une déculpabilisation des personnes touchées (puisque la responsabilité de la pathologie retomberait sur l’employeur·euse), ainsi qu’une meilleure vision d’ensemble du phénomène (en raison du devoir d’annonce) et, dans la foulée, la possibilité de repérer les entreprises dans lesquelles le phénomène est particulièrement fréquent. En outre, cette reconnaissance par l’assurance accidents pourrait inciter les entreprises à mettre en place des mesures de prévention et de détection précoce.

Et l’enjeu est de taille : plus il est pris en charge tardivement, plus l’épuisement professionnel s’installe dans la durée. « Dans le cas d’un burn-out, il faut compter en moyenne entre trois et six mois d’arrêt de travail », avertit Nadia Droz. Mais la prévention a aussi son prix. « Pour qu’elle soit efficace,

les entreprises devraient transformer en profondeur leur culture, être vraiment à l’écoute des collaborateur·trice·s, procéder à des débriefings réguliers. » Les managers devraient par exemple être incités à agir dès que des plaintes à répétition concernant la charge de travail ou les horaires remontent jusqu’à eux. « Le problème, c’est que cela va à contresens de la logique – encore très présente actuellement –des entreprises ‹ kleenex › : elles sont ravies d’engager des gens hyper-motivés, qu’elles jettent ensuite sans trop d’états d’âme lorsqu’ils sont épuisés en raison de leur sur-engagement. »

Cependant, par rapport à la génération précédente, la société considère aujourd’hui le burn-out comme un sujet important notamment en entreprise et il est davantage pris au sérieux. /

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LE MIRAGE DES SOURIRES POUR QUELQUES FRANCS

La tendance du low cost atteint désormais les soins orthodontiques. Diverses entreprises proposent un réalignement des dents pour des sommes particulièrement attrayantes. Mais la qualité est-elle toujours au rendez-vous ?

EXPÉRIENCE RATÉE

Séduite par les publicités, Lauren a voulu tenter l’expérience.

En Suisse, il n’est pas rare de lire des affiches publicitaires proposant des prestations orthodontiques. Des entreprises désormais bien installées dans le pays offrent des services défiant toute concurrence. Ces sociétés sont spécialisées dans le réalignement des dents à l’aide de gouttières transparentes. De quoi remplacer les bagues métalliques traditionnelles par un appareil invisible et léger. Certaines proposent également la pose de facettes en céramique ultra-fines qui se collent contre les dents pour donner un aspect blanc et lisse à des dents abîmées. «Si le ou la patient·e présente un déplacement simple de certaines dents, une solution de ce type va très bien fonctionner », explique Martin Broome, médecin-chef du Centre de médecine dentaire et orale du CHUV. Mais dans de nombreuses

« Les traitements orthodontiques classiques sont particulièrement onéreux, alors je me suis laissé convaincre par ces entreprises aux offres de consultation gratuite. Les bureaux n’étaient pas ceux d’un cabinet dentaire, les photos de mes dents ont été prises avec un smartphone, se souvient la Genevoise de 39 ans. Et contrairement à leur publicité, il fallait payer. Face à mon refus, ils se sont énervés. J’irai plutôt voir un vrai orthodontiste. Finalement, on sait pourquoi on paie le prix d’un service. »

situations, ces offres miracles ne sont pas aussi efficaces qu'annoncé.

UN SYSTÈME AUTOMATISÉ ET STANDARDISÉ

Les entreprises de traitements orthodontiques à bas coût fonctionnent ainsi: les personnes intéressées se rendent dans une clinique où une série d’empreintes dentaires numériques sont prises à l’aide d’une caméra. Cette opération est généralement réalisée par un·e assistant·e dentaire. En théorie, l’orthodontiste doit toujours être présent, «mais ce n’est pas toujours le cas », observe Martin Broome. Les données sont analysées, et un algorithme détermine l’empreinte dentaire optimale à réaliser. Un autre logiciel crée une série de gouttières. Toutes ont un petit défaut volontaire, qui provoque ainsi un léger mouvement de la couronne dentaire. Une fois fabriquées, les gouttières sont envoyées à domicile par la poste. Pour la majorité de ces entreprises, il n’existe ensuite pas ou peu de suivi, ou uniquement par le biais d’une application digitale.

TEXTE :
STÉPHANIE DE ROGUIN
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VOISIN/PHANIE CORpORE SANO TENDANCE 53

« Pour les personnes qui présentent un problème au niveau de la base osseuse, par exemple une mâchoire trop en arrière ou trop en avant, l’ordinateur ne va pas pouvoir l’identifier, explique le spécialiste du CHUV. Ces solutions à bas coût n’apportent que des corrections dentaires, mais n’effectuent pas du tout d’action orthopédique, alors qu’il faut parfois forcer les dents dans une position qui n’est pas naturelle, ce qu’une gouttière ne peut pas effectuer. »

Et même dans ce cas, souvent, l'entreprise préconisera malgré tout le port d’une gouttière, qui se révélera alors parfaitement inefficace.

CHOISIR EN CONNAISSANCE DE CAUSE

Les gouttières d’alignement transparentes, présentées comme faciles d’utilisation, sont en réalité contraignantes puisqu’il faut les porter 20h sur 24. Elles doivent également être changées chaque semaine : pour les cas simples, le traitement s’étend sur dix à quinze semaines et, pour les situations plus compliquées, jusqu’à près d’une année. Une gestion peu évidente à assurer, notamment par les adolescent·e·s. Si un traitement avec des bagues métalliques est également lourd, il paraît néanmoins essentiel que les patient·e·s puissent faire leur choix entre les deux méthodes en toute connaissance de cause.

L’avantage d’aller consulter un orthodontiste indépendant est qu’à la première rencontre, celui-ci va effectuer un bilan complet de la santé buccale et de l’état des dents. Un moyen d’identifier d’éventuelles complications qu’un système informatisé est incapable de déceler. « Ces prestations à bas coût écartent complètement l’élément humain, qui reste le garde-fou d’un traitement inadéquat », avance le spécialiste.

ERREUR MÉDICALE, QUE FAIRE ?

« Afin d’éviter toute ‹ erreur › médicale, mieux vaut agir en amont : s’informer, poser des questions pour bien comprendre ce que le praticien nous propose, ou encore demander plusieurs avis constituent la première étape pour ne pas avoir de mauvaises surprises par la suite, conseille Yannis Papadaniel, responsable santé à la Fédération romande des consommateurs (FRC). Une fois le traitement effectué, s’il ne correspond pas à ce qui avait été annoncé, il faut communiquer son désaccord au médecin concerné par lettre recommandée, en expliquant précisément quels sont les points d’insatisfaction. » Une médiation –parfois directement disponible à l’hôpital – peut aussi représenter une aide. Si ces démarches ne suffisent pas, il est recommandé de faire évaluer le cas par un organisme indépendant de défense des patient·e·s, par exemple par l’OSP ou la Fédération suisse des patients ou de regarder auprès des assurances de protection juridique.

ABSENCE DE SUIVI

Avec un système où les personnes se trouvent livrées à elles-mêmes une fois les gouttières reçues, il est difficile de savoir vers qui se tourner en cas de problème. « Ces entreprises se concentrent sur le fait d’avoir un beau sourire. Nous recevons régulièrement des personnes qui en reviennent insatisfaites, et n’ont pas du tout reçu de proposition de correction si les résultats escomptés ne sont pas atteints », relève Martin Broome.

Car sur les sites d’évaluation, figurent également des avis beaucoup moins enthousiastes : résultat final non conforme à ce qui était annoncé (un problème de morphologie non détecté dès le début) ; sévère manque de communication ; dents saines abimées suite à un soin donné ; consultations prétendues gratuites alors que tout diagnostic nécessite au minimum une radio à 100 francs.

« De manière générale, c’est toujours compliqué de faire reconnaître une erreur médicale, prévient Yannis Papadaniel, responsable santé à la Fédération romande des consommateurs (FRC). C’est aux patient·e·s que revient la charge de la preuve. En outre, la procédure a également un coût financier. » Selon les cas, les procédures judiciaires peuvent être évitées : en matière de soins dentaires, chaque antenne cantonale de la SSO (Société suisse des médecins dentistes) dispose d’une commission de médiation.

PRIX D’APPEL ET COÛTS CACHÉS

Un des atouts majeurs de ces entreprises repose sur leurs tarifs attrayants :

1990 francs tout compris pour un alignement avec gouttières ou encore un traitement complet dès 40 francs par

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mois. Mais si l’on regarde dans le détail, on découvre que le prix de l’alignement des dents d’une mâchoire est proposé dès 2490 francs, par exemple. Pour la pose de facettes dentaires en céramique ultra-fine, un abonnement dès 80 francs par mois cache un montant de 8900 francs pour 12 pièces.

Selon le médecin-chef du Centre de médecine dentaire et orale du CHUV

Martin Broome, les prestations de ces sociétés et celles d’un orthodontiste traditionnel peuvent aller du simple au double. Moins de personnel, moins de suivi, et donc moins de frais pour l’entreprise. Et encore, les prix bas sont relatifs. Au moindre problème, s’il faut suivre un autre traitement car l’offre initiale ne répond pas au résultat escompté, le coût final peut être beaucoup plus élevé que ce qui était annoncé.

Pratiquer des prix variables reste cependant tout à fait légal, les tarifs dentaires n’étant pas soumis à des tarifs de référence comme dans le système Tarmed. Ceci signifie qu’ils ne peuvent pas être dépassés, mais un·e praticien·ne peut tout à fait facturer en dessous du tarif indiqué. « Les soins dentaires sont donc soumis à la concurrence, relève Yannis Papadaniel, responsable santé à la FRC. Cela peut constituer un avantage, mais le problème reste que, souvent, l’utilisateur·trice ne comprend pas comment le prix est calculé et les raisons des variations. »

L’explication des bas coûts tient aussi au fait que ces sociétés sont bien implantées dans toutes les agglomérations romandes et alémaniques. Il y a donc des investisseurs derrière chacune d'elles. Ces entreprises peuvent se permettre des économies d’échelle.

CONNAÎTRE SES DROITS

En Suisse, il existe des associations pour soutenir les personnes qui souhaitent obtenir de l’aide ou des informations en cas d’erreur médicale. L’Organisation suisse des patients, par exemple, s’occupe à la fois des patient·e·s, mais aussi de leurs proches ou des professionnel·le·s qui auraient commis une erreur de traitement. La Fédération suisse des patients est également active dans ce domaine. Son but: favoriser la transparence dans le domaine de la santé publique. Elle est aussi en mesure d’informer les individus sur leurs droits en matière de soins. Pour encourager la population à se renseigner sur ses droits dans ce domaine, les cantons latins de Suisse ont, de leur côté, réalisé la brochure «L’essentiel sur les droits des patients », disponible en ligne.

Mais ces entreprises se focalisent sur le fait de donner un beau sourire de manière plutôt standardisée. Il convient à chacun·e de faire ses choix en fonction du problème dentaire rencontré : quelques dents désalignées ou abîmées peuvent tout à fait être arrangées avec des solutions bon marché. En cas de doute ou de problème plus grave, un bilan global de la santé dentaire s'avère incontournable. /

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BÉBÉS SECOUÉS : COMMENT ÉVITER LE DRAME

Le phénomène que les spécialistes appellent « Abusive head trauma » (AHT) fait de nombreuses victimes, dont au moins une dizaine de morts chaque année en Suisse. Une campagne vient d’être lancée pour prévenir ce geste aux lourdes conséquences. L’enjeu central : dédramatiser et mieux comprendre les pleurs des nourrissons.

Ce sont souvent des situations où tout se cumule : les cris perçants qui ne s’arrêtent pas, une fatigue abrutissante causée par les nuits écourtées, un voisin qui sonne pour se plaindre du bruit… Les nerfs passablement éprouvés, il suffit de quelques secondes pour commettre l’irréparable. Le syndrome du bébé secoué est la première cause de mortalité par maltraitance chez les enfants de moins de 2 ans en

Suisse. D’une extrême violence, ce geste de secousses répétées entraîne une oscillation brutale d’avant en arrière de la tête du nourrisson. Conséquences : les veines du cerveau se déchirent et créent des saignements intracrâniens. Les effets de cisaillements provoquent des hémorragies rétiniennes et les dommages cérébraux génèrent des dysfonctionnements neurologiques. Aujourd’hui, le terme de « Abusive head trauma » (AHT) est favorisé par les équipes médicales pour désigner la lésion plutôt que le mécanisme.

« Le syndrome du bébé secoué n’arrive pas par accident, lors de jeux ou de balancements pour le bercer, précise Sarah Depallens, pédiatre et responsable du Child Abuse and Neglect (CAN) Team, unité du CHUV spécialisée dans la maltraitance infantile. C’est un acte d’une violence extrême. » Un bébé sur dix décède après le choc. Deux enfants sur trois seront sévèrement handicapés, physiquement comme mentalement. Pour les autres, les séquelles sont plus difficiles à évaluer : les retards psycho-cognitifs peuvent être légers et se manifester seulement plus tard, lors de la scolarité par exemple, s’exprimant par des difficultés de langage ou des problèmes d’apprentissage.

Ce sont souvent les pleurs des premiers mois, mal supportés par des parents fragilisés et fatigués, qui entraînent la perte de contrôle. Dans certaines situations, c’est aussi la méconnaissance du danger qui est pointée du doigt. Le père de l’enfant ou le conjoint de la mère est dans 60% des cas celui qui passe à l’acte. « Les hommes sont moins éduqués aux pleurs d’un bébé, explique la pédiatre. En

TEXTE: AUDREy MAgAT
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outre, pour des raisons d’organisation familiale et de manque de soutien sociétal, peu de pères sont présents lors des discussions avec la sage-femme, avec l’infirmière de la petite enfance ou pour les visites chez le pédiatre, ce qui fait qu’ils sont moins informés des besoins du bébé et reçoivent moins de conseils éducatifs. » Dans 10% des cas, ce sont les mères qui sont responsables, et pour 30% des situations, ce sont les mamans de jour, les jeunes filles au pair ou les baby-sitters.

L’âge moyen des victimes est de 5 mois, « période durant laquelle les pleurs sont les plus fréquents, notamment à cause des coliques du nourrisson et du rythme de sommeil encore irrégulier ». Chaque année, une dizaine de cas sont signalés en Suisse, chiffre qui pourrait en réalité être plus important car seuls les cas graves et symptomatiques sont identifiés. « Les statistiques liées à la maltraitance sont toujours inférieures à la réalité puisqu’une grande partie reste invisible », précise Sarah Depallens.

L’ESSENTIELLE PRÉVENTION

La détection précoce pour éviter d’autres épisodes de secouements est un enjeu majeur. La plupart des symptômes d’un bébé secoué sont aspécifiques : irritabilité, vomissement, léthargie, voire convulsions ou troubles de l’état de conscience. Les équipes médicales sont aujourd’hui formées pour identifier ces tableaux cliniques et repérer au plus vite les signes de maltraitance.

Selon une étude menée par Sarah Depallens, plus de 60% des bébés examinés pour une suspicion d’AHT avaient des lésions cérébrales intervenues à des âges différents, et 70% de ces bébés avaient déjà vu un pédiatre quelques semaines plus tôt pour des symptômes aspécifiques pouvant être le signe d’un événement antérieur de violence. « Il est donc essentiel de les repérer au plus vite pour éviter que la violence ne se reproduise sur le bébé ou sur ses frères et sœurs. » En cas d’identification d’un bébé victime de mauvais

traitement, une coordination étroite avec la justice civile et la justice pénale est mise en place afin d’identifier la personne responsable de cette maltraitance et éviter une récidive.

« Les pleurs peuvent épuiser les parents, souligne Sarah Depallens. En cas de grande difficulté, il vaut mieux quitter la pièce, demander de l’aide, prendre le temps de souffler. Un bébé n’est jamais en danger s’il est allongé sur le dos dans son lit à barreaux. » Sarah Depallens s’est associée au professeur Tony Fracasso, médecin légiste directeur adjoint du Centre universitaire romand de médecine légale, pour créer une campagne de prévention en Suisse romande. Commencée en octobre 2022, la campagne composée de vidéos et d’un site internet dispense des conseils aux jeunes parents. « Il faut dédramatiser les pleurs pour enlever la pression des parents qui pensent que ces cris signifient leur incompétence, explique Tony Fracasso. Les pleurs sont normaux. Les nourrissons restent parfois inconsolables malgré les efforts. La frustration est donc compréhensible et c’est en réalisant cela que l’on apprend ce qui est dangereux, comme le fait de secouer un bébé. Et une fois l’information acquise, elle est généralement transmise dans l’entourage. » Lancée à Lausanne et à Genève dans un premier temps, la campagne est relayée par les professionnel·le·s de la santé, notamment par les sages-femmes. « L’élément déclencheur est identifié : ce sont les pleurs, explique-t-il. Les personnes responsables ne veulent généralement pas nuire à l’enfant, elles regrettent leur acte. Avec une meilleure sensibilisation, ces drames sont évitables. » /

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LES MYSTÈRES DE LA TRÈS DOULOUREUSE ENDOMÉTRIOSE

Elle touche au moins une femme sur dix, peut causer des douleurs importantes et mener à l’infertilité. Pourtant, l’endométriose reste souvent décelée trop tard. Un test salivaire pourrait accélérer son diagnostic.

TEXTE : ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

Un an après ses premières règles, à 12 ans, Madeleine* a commencé à avoir mal au ventre durant ses menstruations. « Je me tordais de douleur et je ressentais de fortes crampes qui m’empêchaient d’aller à l’école, se souvient la jeune femme aujourd’hui âgée de 23 ans. C’est seulement à partir du moment où mon endométriose a été diagnostiquée que mon entourage a compris que je n’exagérais pas. » C’est assez récemment que la médecine a pris conscience que les règles douloureuses peuvent en réalité cacher une pathologie. « En

consultation, on a longtemps dit aux femmes concernées que les douleurs liées à leurs règles n’étaient pas graves. On leur prescrivait la pilule, sans chercher la cause du mal », rappelle Chahin Achtari, médecin-chef au Service de gynécologie du CHUV. Le dépistage de l’endométriose s’est aujourd’hui systématisé.

Selon l’OMS, l’endométriose touche une femme sur dix en âge de procréer. La maladie est provoquée par une prolifération anormale de l’endomètre, la muqueuse de l’utérus, en dehors de sa cavité. Si son origine reste mystérieuse, la diversité des symptômes dépasse largement les solutions thérapeutiques disponibles actuellement. « Les symptômes varient selon les endroits où s’implantent les cellules de l’endomètre, précise Chahin Achtari. Si elles sont présentes sur les parois du vagin, il peut y avoir des douleurs lors des rapports sexuels. Si les cellules de l’endomètre s’infiltrent dans le rectum, il peut y avoir des douleurs, voire des saignements, lors du passage des selles. Ces sensations sont souvent cycliques et empirent systématiquement les jours précédant les règles puis pendant les règles. »

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La raison exacte de la mort de Marilyn Monroe à l’âge de 36 ans a souvent fait l’objet de diverses hypothèses. L’actrice s’est elle donné la mort, a-t-elle été assassinée ? Plus rarement évoqués, son endométriose et le traitement qui lui était administré pour lutter contre les douleurs pourraient expliquer sa mort.

L’un de ses biographes Anthony Summers raconte que déjà adolescente, Marilyn était terrassée par la douleur au moment de ses menstruations*. Plus tard, en 1952, alors qu’elle est officiellement opérée pour une appendicite, l’actrice aurait inscrit un mot sur son ventre suppliant le chirurgien de ne pas effectuer l’ablation de ses ovaires.

Les biographes font également état de nombreuses fausses couches, lui rendant la maternité impossible. Or, l’une des conséquences possibles de l’endométriose est justement l’infertilité.

*Source : « Endométriose : la maladie cachée de Marilyn Monroe », Les Inrockuptibles, juillet 2017

L’HYPOTHÈSE DE LA MENSTRUATION RÉTROGRADE

Les personnes touchées par l’endométriose n’ont pas un profil particulier. « Dans certaines familles, elle est plus présente, mais on ne sait pas encore si cela est attribuable à des raisons génétiques, épigénétiques ou à des causes extérieures », indique

Chahin Achtari. Les causes exactes restent une énigme pour le corps médical. L’hypothèse la plus partagée est qu’elle serait attribuable à la menstruation rétrograde. Lors des menstruations, qui sont normalement évacuées par le col de l’utérus, du sang reflue vers la cavité abdominale, emportant au passage des cellules

de l’endomètre vers le ventre. « Les cellules s’implantent alors sur la surface du péritoine – la membrane qui tapisse l’abdomen, le pelvis et les viscères – et, comme une graine, arrosées par la douche hormonale, elles poussent. »

Cette hypothèse ne convainc qu’une partie des spécialistes. « Elle n’explique pas toutes les formes d’endométriose, comme celles dans la zone thoracique ou du rétropéritoine isolé », fait valoir Nicola Pluchino, anciennement responsable du Centre d’endométriose des Hôpitaux universitaires genevois (HUG) et désormais

PICTORIAL PRESS LTD / ALAMY STOCK PHOTO
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médecin-adjoint au CHUV. Un autre enjeu majeur de l’endométriose est son impact sur la fertilité. D’après l’association EndoFrance, 30 à 40% des personnes touchées par la maladie sont confrontées à des problèmes d’infertilité. Des recherches sont menées à ce sujet, notamment à Genève. « Nous avons créé un lien fort entre les gynécologues et les médecins qui s’occupent de la fécondation in vitro », indique Nicola Pluchino.

LE MANQUE DE TRAITEMENTS

La prise en charge varie selon les symptômes. « Les solutions qui n’impliquent pas une intervention ont pour but de supprimer les douleurs, ou au moins de les réduire, à l’aide d’un traitement hormonal, une pilule contraceptive ou un stérilet à hormones », explique le médecin, soulignant que ces techniques ne guérissent pas la maladie. La laparoscopie, une intervention chirurgicale à l’aide d’un instrument muni d’une petite caméra, permet d’examiner la cavité abdominale et d’enlever les lésions pathologiques. Pour Chloé*, 27 ans, chercheuse à l’université, ses

MOBILISATIONS

De nombreuses initiatives sont menées pour mieux informer sur l’endométriose.

Une pétition comptant près de 20’000 signatures, lancée par les associations S-Endo et EndoHelp, pour la reconnaissance publique des souffrances liées à l’endométriose, a été déposée aux Chambres fédérales. Deux

menstruations qui ont débuté à 14 ans se sont toujours accompagnées de grandes douleurs. « Mon endométriose n’avait pas encore été diagnostiquée. Une pilule microdosée m’avait été prescrite à 15 ans comme moyen de contraception. J’ai eu nettement moins de douleurs, mais au bout de quelque temps, elles sont revenues. »

Au Centre d’endométriose des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), Nicola Pluchino et son équipe déplorent un manque de traitements. « La pilule et la laparoscopie, les piliers actuels du traitement de l’endométriose, ne suffisent pas », estime le gynécologue. L’établissement est considéré comme un centre d’excellence par la European Endometriosis League pour son activité de recherche. Nicola Pluchino regrette cependant l’insuffisance des fonds dédiés à ce sujet alors que les besoins sont immenses. « Ce manque peut s’expliquer par le fait qu’il ne s’agit pas d’une maladie mortelle. D’autre part, l’endométriose est associée aux menstruations et à l’infertilité, des thématiques encore souvent taboues. »

motions demandent par ailleurs un renforcement de la recherche sur l’endométriose ainsi qu’une campagne nationale pour sensibiliser la population et le personnel médical.

Le dernier samedi du mois de mars est dédié à l’Endomarch, une marche mondiale pour l’endométriose. La semaine européenne de prévention et d’information sur l’endométriose se déroule également en mars.

Le magazine Lyv (lyv.app/le-mag), entièrement consacré à l’endométriose, propose des enquêtes, des chroniques, des interviews et des témoignages sur le sujet.

Sur les réseaux sociaux, plusieurs comptes sont consacrés au partage sur l’endométriose. Sur Instagram, on trouve notamment @balance_ton_endo, @mon.endo et @endo.neline

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ANTICIPER LE DIAGNOSTIC

Il y a une dizaine d’années, poser un diagnostic pouvait prendre jusqu’à sept ans. «Durant la première année de douleurs, j’ai consulté la gynécologue de ma mère, raconte Chloé*. Elle m’a dit que c’était normal d’avoir mal. Un jour, alors que j’étais encore adolescente, j’ai dû me rendre aux urgences, car je n’arrivais plus à bouger les bras à cause de la crispation qu’avait engendrée la douleur. Ces symptômes avaient alors été attribués à une crise d’angoisse. À 20 ans, j’ai rencontré une spécialiste sensible à ces questions qui m’a fait tous les examens gynécologiques possibles et qui a détecté une adénomyose, une forme d’endométriose interne à l’utérus. »

Actuellement, il existe des outils dédiés, notamment l’échographie et l’imagerie par résonance magnétique (IRM), qui permettent de raccourcir les délais de diagnostic. «À la fois durant leur formation et leur pratique, les médecins sont aujourd’hui davantage confronté·e·s à l’endométriose, de sorte qu’elle est plus rapidement diagnostiquée », ajoute Nicola Pluchino. Depuis l’ouverture du centre, fin 2015, le nombre de patientes a été multiplié par dix.

«Chaque année, nous comptons 300 nouveaux cas. Actuellement, nous faisons 2000 consultations et procédons à 150 laparoscopies par an. »

Cependant, lorsque la maladie est identifiée par ces biais, il est souvent trop tard. De plus, certaines formes de la maladie ne sont pas visibles avec ces technologies lors des stades précoces.

«Un marqueur salivaire, plasmatique ou urinaire pourrait totalement changer la prise en charge dans ce domaine. » C’est précisément ce que propose la start-up

française Ziwig: l’Endotest, un

test salivaire permettant de dépister l’endométriose. «Notre priorité est que toutes les femmes du monde aient accès à un diagnostic rapide, et cela, dans les meilleures conditions possibles », indique son fondateur, Yahya El Mir. La technologie s’appuie sur de nouvelles techniques de séquençage. «Il s’agit d’un appareil mesurant d’un coup des milliers de biomarqueurs qui sont analysés et traités à l’aide de l’intelligence artificielle, fournissant un diagnostic précis. »

Nicola Pluchino et son équipe prônent un changement de culture médicale autour de l’endométriose. «Nous avons développé un environnement d’écoute privilégié, et nous prêtons une attention particulière aux symptômes de chaque patiente. Il existe désormais une grande flexibilité de sorte que les protocoles sont adaptés aux besoins spécifiques des femmes. » L’équipe opte pour une approche transdisciplinaire incluant des liens avec les services d’urologie, de chirurgie viscérale et thoracique, par exemple. /

* noms connus de la rédaction

Chahin Achtari, médecin-chef au Service de gynécologie du CHUV

WILLY BLANCHARD
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LE PARCOURS D’UNE BLOUSE

À L’HÔPITAL, LE PERSONNEL S’ÉQUIPE CHAQUE

JOUR DE VÊTEMENTS PROFESSIONNELS AFIN D’ÊTRE RECONNAISSABLE ET DE RESPECTER LES ESSENTIELLES NORMES D’HYGIÈNE. IMMERSION DANS LE PARCOURS

DE LAVAGE DES BLOUSES MÉDICALES.

Symbole de propreté et d’hygiène, la blouse blanche fait partie intégrante de l’habit du personnel de l’hôpital. Au Moyen Âge déjà, les nonnes, souvent responsables des soins, portaient de grandes capes blanches pour se protéger des projections de sang et autres fluides. Le blanc possède également l’atout considérable d’être facilement détachable. Au CHUV, le service de lingerie équipe les 12’228 collaboratrices et collaborateurs de l’hôpital, mais assure également la rotation des draps et des serviettes des patient·e·s.

Chaque jour, le CHUV envoie plusieurs tonnes de linge hospitalier aux Blanchisseries Générales (LBG) basées à Yverdon-les-Bains. En exploitation

depuis 1986, les LBG sont aujourd’hui réparties sur quatre sites : deux bâtiments principaux se trouvent à Yverdon-les-Bains, un à Chailly-Montreux (VD) et un à Marsens (FR). L’entreprise propose une gamme de textiles variés – les vêtements sont principalement produits en Grèce et en Slovaquie et le linge éponge au Portugal – qui sont ensuite loués par les établissements clients. Avec ses 270 collaborateur·trice·s, les LBG sont spécialisées dans les établissements de santé et travaillent avec différents hôpitaux publics, EMS et établissements de santé privés dans toute la Suisse romande. L’entreprise lave quotidiennement 40 tonnes de linge. Chaque vêtement est équipé d’une puce qui contient diverses informations : sa taille ou encore son année de mise en circulation.

TEXTE : AUDREY MAGAT PHOTOS : GILLES WEBER CORpORE SANO EN IMAgES 62

1/ FAIRE LES POCHES

La blouse sale est placée dans un sac par la lingerie du CHUV avant d’être envoyée aux LBG. Tous les vêtements à poche sont observés sur une table lumineuse afin de vérifier que rien n’a été oublié à l’intérieur. Ciseaux chirurgicaux, mouchoirs, paires de lunettes, stylos : des dizaines d’objets sont retrouvés par jour avant d’être soit jetés, soit listés parmi les objets trouvés.

2/ TRIAGE

Les sacs de linge sale sont répandus sur des tapis avant d’être triés manuellement en fonction du type de produits et du tissu. Entre les draps, le linge, les vêtements et autres torchons, 3,6 tonnes de linge sont triées par heure dans des alvéoles dédiées. Ces sacs bleus de 50 kg, référencés en fonction de leur contenu et de leur programme de lavage, se déplacent ensuite de manière automatisée à travers la manufacture pour atteindre les tunnels de lavage.

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3/ LAVAGE

Pas moins de 3000 kilos de linge sont lavés à l’heure dans les tunnels industriels. Il faut compter 5 litres d’eau par kilo de linge aux LBG, alors que dans les ménages privés machine à laver demande 30 litres. Les eaux de rinçage sont réutilisées pour les prélavages.

L’eau montée en température et la vapeur servent, quant à elles, à chauffer les nouvelles arrivées d’eau. Le linge et les blouses seront systématiquement lavés à 65° pour respecter les normes d’hygiène nécessaires au milieu hospitalier.

4/ ESSORAGE

Une fois lavé, le linge passe dans la partie dite « propre » de l’usine. Ici, chaque employé·e doit s’équiper d’un uniforme propre pour éviter les contaminations par des éléments extérieurs. L’essorage est effectué par une presse qui écrase le linge en galette. Les galettes sont ensuite démêlées pour faciliter le travail des ouvrier·ère·s qui accrochent les angles des draps ou boutonnent les vêtements sur un cintre.

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5/

CHASSE AUX TACHES

À la sortie du lavage, chaque vêtement, chaque blouse, est vérifié visuellement avant de poursuivre son parcours dans l’usine. L’objectif : repérer les pièces tachées, notamment d’encre de stylos, de sang, ainsi que celles abîmées ou qu’il faut repriser.

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7/ RÉCEPTION AU CHUV

Dès 6h30, les employé·e·s de la lingerie s’activent pour réceptionner les sept camions de linge propre revenant des LBG. Ils transfèrent les habits dans le distributeur, dont la capacité de stockage est de 2800 vêtements. Toute la journée, ils doivent ensuite le recharger pour assurer une disponibilité permanente des habits.

6/ SÉCHAGE

Les vêtements mis sur cintres traversent un couloir de vapeur (aussi appelé tunnel de finition) pour être séchés et défroissés. Ils sont ensuite pliés par une machine puis rangés dans des portants à roulettes – 100 pièces par chariot – qui seront emballés de plastique afin de rester propres, puis chargés dans des camions direction le CHUV.

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8/ DISTRIBUTION

Installé en 2006, le distributeur de vêtements du CHUV gère plus de 3500 tenues par jour. À l’époque, ce service était assuré manuellement par les lingères. Il faut compter environ 12 pièces de linge dans l’absolu pour chaque employé·e afin d’assurer la rotation de l’équipement.

9/ RETRAIT DE LA BLOUSE

Chaque personne a droit à deux blouses par jour, sept fois par semaine. Le personnel soignant scanne son badge sur une des trois portes du distributeur. Il sélectionne le vêtement souhaité (blouse, pantalon, tenue de bloc opératoire, etc.). La machine cherche alors dans son stock la taille correspondant à la personne et l’achemine automatiquement à la porte. À la fin de son service, le vêtement porté est déposé dans un des bacs dédiés, et le cycle de la blouse reprend.

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Accusées d’être à l’origine de pandémies, comme le « Virus Nipah » dans les années 1990 ou, plus récemment du coronavirus, les chauves-souris possèdent en effet la particularité d’être parfois impliquées dans la transmission de virus hautement contagieux à l’humain. « Ces mammifères se distinguent par un système immunitaire particulièrement bien régulé au niveau de la réponse inflammatoire qui leur permet d’être porteurs d’un virus tout en arrivant à vivre avec », précise Philippe Christe, professeur associé à l’UNIL et spécialisé dans les interactions entre les parasites et leurs hôtes.

Aux États-Unis, une équipe de recherche de l’Université de Berkeley s’est intéressée à ce mécanisme de défense atypique pour en décrypter le fonctionnement. Une réactivité supérieure du système immunitaire des chauves-souris par rapport à

Les chauvesouris, ces hyper-résistantes

celui des humains serait l’une des hypothèses pour expliquer cette résistance aux virus. Parmi les mammifères, la chauve-souris est seule à pouvoir voler. Une activité particulièrement coûteuse en énergie. Et c’est justement cette caractéristique qui pourrait expliquer la rapidité et l’efficacité de leur mécanisme de défense. Plus surprenant encore, leur système immunitaire ne s’altère pas avec l’âge, contrairement à celui des humains, cela, même chez les espèces qui vivent jusqu’à 40 ans.

Lors de pandémies, l’animal est souvent pointé comme vecteur de transmission, or cet échange est majoritairement lié à l’altération de son habitat. « Dans le cas du plus fréquemment appelé ‹ Virus Nipah ›, la déforestation avait un lien direct avec la propagation de la maladie. Des porcs qui étaient entrés en contact avec des déjections de chauves-souris ont contaminé les humains au moment de la consommation de cette viande. »

ARTERRA PICTURE LIBRARY / ALAMY STOCK
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NOM PIPISTRELLUS NATHUSII TAILLE (TÊTE + CORPS) 22-25 CM CARACTÉRISTIQUE MIGRATRICE, PEUT ENTREPRENDRE DE LONGS DÉPLACEMENTS SAISONNIERS ENTRE L’EUROPE DE L’EST ET NOS RÉGIONS.
LAURENT PERRIN
Les mammifères capables de voler disposent d’un système immunitaire qui ne s’altère pas avec l’âge.
TEXTE :
CORpORE SANO FAUNE & FlORE 68

ANA LÚCIA CARREIRA

Infirmière en santé communautaire et tuberculose, Consultation Tuberculose, CHUV

La patiente fond en larmes.

Je viens de lui dire qu’elle ne va pas mourir de la tuberculose.

Arrivée en Suisse depuis l’hémisphère Sud, cette jeune migrante a fui son pays quelques mois auparavant avec son sac à dos pour seul bagage. Elle laisse derrière elle parents, amis, famille. Hospitalisée pour la première fois de sa vie, elle ne parle pas le français et ne connaît personne en Suisse. Je me rends auprès d’elle, accompagnée d’une interprète communautaire.

Dans son pays, l’accès aux soins est difficile. On y manque de moyens pour diagnostiquer et pour traiter. Les distances à parcourir sont grandes et il faut payer pour être soigné. Le peu qu’elle sait sur la santé, elle l’a appris au sein de sa famille.

Le mot tuberculose évoque pour elle la certitude d’être mise à l’écart, le rejet, l’abandon. Dans son village, elle a entendu beaucoup d’histoires dont la fin est toujours la même. Elle se pense donc condamnée, après avoir pourtant survécu

au dramatique périple de la migration et aux dangers qu’il représente.

La tuberculose est une maladie infectieuse et fait partie des dix premières causes de mortalité dans le monde. En Suisse, elle n’a pas disparu mais le nombre de nouveaux cas est relativement faible et les traitements sont accessibles. Car la tuberculose frappe de préférence là où sévit la pauvreté, favorisée par tout ce qui affaiblit le système immunitaire par exemple la dénutrition ou le VIH, ou ce qui facilite les contaminations : la précarité, la promiscuité et l’analphabétisme ou encore ce qui freine l’accès aux soins. Cela explique pourquoi la grande majorité des bénéficiaires de la consultation tuberculose dans laquelle j’exerce à Lausanne sont des personnes migrantes. L’action coordonnée d’infirmières, de pneumologues et d’assistantes sociales permet d’intervenir rapidement et de manière efficace sur tous les facteurs qui permettront de guérir.

Donc non, ici, elle ne mourra pas de la tuberculose.

Quant à ses larmes, elles témoignent des souffrances physiques et psychiques accumulées sur son parcours. Mais ce sont des larmes de soulagement et de joie. /

DR
CORpORE SANO ChRONIqUE 69
« Ici, vous n’allez pas mourir »

L’acide gammahydroxybutyrique, ou GHB, est souvent appelé la « drogue du viol ». Cette molécule doit son inquiétant surnom à plusieurs de ses effets : désinhibition, sédation rapide et troubles de la mémoire. Régulièrement cité dans les médias et sur les réseaux sociaux, le GHB inquiète un grand nombre de noctambules qui ont peur de se faire droguer et abuser à leur insu. Mais que sait-on exactement de sa présence sur le territoire romand ?

Le GHB est découvert par le chimiste russe Alexandre Zaïtsev en 1874. Il faudra attendre l’essor de la neurobiologie, en 1961, pour le voir réapparaître en raison de ses similitudes avec le neurotransmetteur GABA, dont le rôle physiologique est de diminuer l’activité des neurones. À faible

C 4 H 8 O 3 UNE MOLÉCULE,

TEXTE : YANN BERNARDINELLI

ACIDE

g AMMA- hy DROX yBUT y RI q UE

C 4h 8O 3

dose, le GHB leurre ce neurotransmetteur et empêche son action inhibitrice. Les neurones producteurs de la molécule du plaisir, la dopamine, sont donc stimulés. « Les effets récréatifs recherchés sont l’euphorie, la relaxation et la sensation d’ivresse », indique Marc Augsburger, responsable de l’unité de toxicologie et de chimie forensiques du Centre universitaire romand de médecine légale.

À plus haute dose, le GHB va stimuler la fabrication du neurotransmetteur GABA dans le cerveau et provoquer un ralentissement global de l’activité neuronale comparable au sommeil.

« Le GHB est utilisé comme

sédatif, mais la différence entre la dose thérapeutique efficace et la dose toxique étant trop faible, son champ d’application médical reste très limité », indique le spécialiste.

Depuis janvier 2021, l’équipe de Marc Augsburger recherche systématiquement cette molécule lors d’accidents de la route ou d’agressions. Cependant, le GHB est particulièrement difficile à détecter : aucune trace ne subsiste douze heures après sa consommation. « C’est particulièrement problématique lors de viols avec une perte de mémoire. Passé le délai, nous ne pouvons infirmer ou affirmer sa présence. » En dix-huit mois, l’équipe

a détecté trois cas sur 633 auteurs d’infractions pénales, et un cas sur 60 victimes d’agression sexuelle ou de black-out. Leur étude montre que le GHB n’est pas la molécule majoritairement retrouvée lors d’agressions sexuelles : avec moins de 2% des cas, il est loin derrière l’alcool (50%) et le cannabis (17%).

« Le GHB est peu consommé en Suisse romande et principalement de manière récréative. Son utilisation en cas d’agression sexuelle, avec suspicion de prise de substance à l’insu de la personne, semble marginale comparée à la consommation d’alcool, de cannabis ou encore de cocaïne. » Malgré des statistiques rassurantes, l’intoxication au GHB reste donc une réalité à prendre très au sérieux. /

Le GHB, entre mythe et réalité
UNE HISTOIRE
CORpORE SANO zOOM 70

CURSUS ÉCLAIRAGE

Texte :

Arnaud Demaison Un fleuron de la médecine vaudoise

Il y a 40 ans, le Bâtiment hospitalier était inauguré après une décennie de travaux. Son histoire renvoie cependant à une époque plus ancienne. Lausanne est riche d’une longue tradition médicale.

Les premiers frémissements de l’histoire de la médecine à Lausanne remontent au Moyen Âge. Au XIII◊ siècle déjà, l’Hôpital Notre-Dame se tenait sur le site de l’actuel Gymnase de la Cité, où il continuera de s’agrandir jusqu’en 1806 pour devenir le premier Hôpital cantonal. C’est à cette époque que le décret des Hospices cantonaux permet la construction d’un Hospice cantonal, d’un Hospice des aliénés et d’un Établissement pour les incurables au Champ de l’Air, à la rue du Bugnon. En 1874, la construction du nouvel Hôpital cantonal au Bugnon permettra au canton de Vaud de récupérer Notre-Dame, qui deviendra tour à tour une prison, une clinique et, finalement, une école.

Parallèlement à ce regroupement d’institutions de soins au Bugnon, un institut de

médecine composé de deux chaires (médecine et chirurgie) s’installe à l’Académie de Lausanne en 1806, suivi de la première école pour garde-malades laïques et indépendants au monde à la Source en 1859. L’Académie se transformera en université en 1890, et avec elle l’institut deviendra une faculté. Le Dispensaire central, future Policlinique universitaire, est aussi fondé durant cette période. Véritable carrefour ferroviaire et des savoirs, Lausanne devient peu à peu la «Mecque médicale»: des jeunes du monde entier se rendent sur les bords du Léman pour étudier la médecine et la chirurgie auprès de grands noms comme Auguste Forel, Mathias Mayor, Jean-André Venel ou César Roux.

Le début du XX◊ siècle sera marqué par une crise de croissance spectaculaire, avec

MUSÉE HISTORIQUE DE LAUSANNE / ALBERT
LURASCHI
WÜRGLER, NUMA
71 CURSUS ÉClAIRAgE

la création du Dispensaire antituberculeux, l’ouverture de la Maternité grâce aux progrès de l’asepsie, de l’Hôpital Nestlé, de l’Hôpital de Cery et du prédécesseur de l’Isrec qui comprend le Centre anticancéreux romand (CACR). C’est d’ailleurs dans cette première moitié de siècle que germe l’idée d’une cité hospitalière qui regrouperait en son sein toutes ces spécialités, posant les bases de la trilogie des missions telle qu’on la connaît aujourd’hui : « soins, enseignement, recherche ».

Bien que le nom « Centre hospitalier universitaire vaudois » ne devienne officiel que dans les années 1970, on retrouve le sigle « CHUV » dans les journaux déjà depuis 1967. Suite à l’adoption du Plan hospitalier cantonal par le Conseil d’État cette même année, un projet architectural pharaonique est lancé, et la première pierre du futur Bâtiment hospitalier est posée quatre ans plus tard. Si le projet comptait près de 2000 lits au départ, il est réduit à un peu plus de 1000, sachant que l’infrastructure liée à l’ouverture de chacun d’eux coûte plus d’un demi-million. Le conseiller d’État Philippe Pidoux osera même la comparaison : « Si les Égyptiens ont construit des pyramides, la communauté vaudoise a édifié le CHUV. »

Inauguré en 1982, le CHUV n’a dès lors cessé de grandir. Aujourd’hui, il regroupe 13 départements et plus d’une centaine de services. Plus de 50’000 patient·e·s sont hospitalisé·e·s dans ses murs et plus de 3000 enfants y naissent chaque année. La Faculté de biologie et de médecine accueille simultanément près de 2000 étudiant·e·s de tous horizons. Premier employeur du canton, l’institution est devenue un acteur incontournable de la vie sociale, culturelle et économique vaudoise. En 2020, près de 23% des Lausannois·e·s travaillent dans le secteur de la santé humaine et de l’action sociale, contre une moyenne nationale – déjà élevée – de 13,5%. Joyau de la longue tradition sanitaire de notre canton, le CHUV participe activement à la faire perdurer. L’engagement sans faille et le haut niveau de compétence de ses collaboratrices et collaborateurs le classent d’ailleurs comme l’un des meilleurs hôpitaux du monde. /

27’292

51’276

Évolution du nombre de patient·e·s hospitalisé·e·s en 1981 et en 2021

72 CURSUS ÉClAIRAgE

11

Le nombre d’années qui ont été nécessaires pour bâtir le CHUV

339

Le hit-parade des prénoms les plus populaires depuis 1977, date à laquelle leur recensement a été numérisé

530,2

En millions de francs, le coût de construction du Bâtiment hospitalier

88’050

Nombre de naissances à la Maternité entre 1982 et 2021

ERIC DÉROZE
Emma
Gabriel 399
73 CURSUS ÉClAIRAgE
JEANNE MARTEL 250 millions 1,9 milliard 4500 12’228 Nombre de collaboratrices et collaborateurs en 1982 et en 2021 Budget d’exploitation annuel en 1982 et en 2021 CURSUS ÉClAIRAgE

20’000

Urgences traitées en 1981 et en 2021 (chiffre 1981 estimatif)

80’261

11,97

6,6

Durée moyenne de jours d’hospitalisation en soins aigus somatiques en 1981 et en 2021

HEÏDI DIAZ
75 CURSUS ÉClAIRAgE

TOPOGRAPHIE

BACKSTAGE

COUVERTURE

76
Croquis de la carte de la Health Valley (p. 4). Représentation du relief de la Suisse romande en tranches. Trois étapes de recherche pour évoquer la médecine sociale, la thématique du focus de ce numéro (p. 17).

ÉMILIE MATHYS

Journaliste RP diplômée de l’Académie du journalisme et des médias, Émilie Mathys rejoint le Service de communication et de création audiovisuelle du CHUV au printemps 2022. Pour ce numéro d’In Vivo, elle a réalisé le dossier sur la médecine sociale et communautaire, en lien avec les populations en situation de vulnérabilité, un thème qui lui est cher.

SAMUEL GOLLY

Samuel Golly, 26 ans, est étudiant en histoire de l’art. Depuis deux ans, il est journaliste freelance chez Large Network. Curieux de tout et aimant rencontrer des personnes intéressantes, sa première contribution pour la chronique rouge de ce numéro d’In Vivo lui a permis de découvrir Marjory Winkler,

Pour ce numéro, Lena a collaboré à la mise en page, ainsi qu’à la conception graphique. Jeune graphiste passionnée par l’éditorial, elle a rejoint l’équipe de Large Network il y a un peu moins d’une année. Pendant ses études, Lena a également eu l’occasion de travailler en tant que graphiste au sein du service de communication du CHUV. Une expérience qu’elle a beaucoup appréciée.

CONTRIBUTEURS
LENA ERARD

IN VIVO

Une publication éditée par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et l’agence de presse Large Network

www.invivomagazine.com

ÉDITION

CHUV, rue du Bugnon 46 1011 Lausanne, Suisse

T. + 41 21 314 11 11, www.chuv.ch redaction@invivomagazine.com

ÉDITEURS RESPONSABLES

Béatrice Schaad et Philippe Eckert

DIRECTION DE PROJET ET ÉDITION ONLINE

Arnaud Demaison

REMERCIEMENTS

Service de communication et création audiovisuelle du CHUV

PARTENAIRE DE DISTRIBUTION

BioAlps

RÉALISATION ÉDITORIALE ET GRAPHIQUE

Large Network, www.largenetwork.com

T. + 41 22 919 19 19

RESPONSABLES DE LA PUBLICATION

Gabriel Sigrist et Pierre Grosjean

DIRECTION DE PROJET

Carole Extermann

DESIGN

Large Network (Aurélien Barrelet, Sabrine Elias, Lena Erard)

RÉDACTION

Large Network (Yann Bernardinelli, Pauline Cancela, Andrée-Marie Dussault, Carole Extermann, Samuel Golly, Audrey Magat, Patricia Michaud, Leandra Patané, Laurent Perrin, Jean-Christophe Piot, Stéphanie de Roguin), Arnaud Demaison, Simon Faraud, Émilie Mathys

RECHERCHE ICONOGRAPHIQUE

Sabrine Elias

COUVERTURE

Large Network, Lena Erard

IMAGES

CHUV (Eric Déroze, Heïdi Diaz, Numa Luraschi, Jeanne Martel, Gilles Weber), Musée historique de Lausanne / Albert Würgler, Ana Yael

IMPRESSION

PCL Presses Centrales SA

TIRAGE 15 000 exemplaires en français

Les propos tenus par les intervenant·e·s dans In Vivo et In Extenso n’engagent que les intéressé·e·s et en aucune manière l’éditeur.

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