International ink 08

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DOSSIER

DOSSIER

RÉSONNANCE Un regard sur le processus de réconciliation du tout un peuple après le terrible régime de l’Apartheid : entre pardon et colère. 1993, je choisis cette année pour ouvrir mon article. 1993 en Afrique du Sud : une Constitution provisoire vient de naître, résultat des négociations entre le National Party1 et ses opposants, dont fait partie l’ANC2 de Nelson Mandela. Rapprochonsnous : guignons par-dessus l’épaule du rédacteur de ladite Constitution pour nous plonger dans la lecture de sa postface intitulée, National Unity and Reconciliation. C’est dans cette partie de la Constitution que nous trouvons les valeurs et les principes qui vont non seulement présider à la transition politique de l’Afrique du Sud vers une nouvelle démocratie, mais qui vont aussi inspirer la formation de la Commission vérité et réconciliation. Cette fois ça y est, le mot est écrit : la Commission vérité et réconciliation, tel sera le sujet du présent article. Si vous le voulez bien, faisons maintenant un bon de deux ans dans le temps pour assister à l’édiction de la Loi relative à la promotion de l’unité nationale et de la réconciliation ; loi appelant justement à la création d’une commission. 1995 toujours, Mr. Dullah Oman, Ministre de la Justice, déclare alors qu’une commission est un exercice nécessaire pour permettre aux Sud-africains de venir à bout de leur passé et de progresser dans la cause de la réconciliation.

1995 toujours, Mr. Dullah Oman, Ministre de la Justice, déclare alors qu’une commission est un exercice nécessaire pour permettre aux Sud-africains de venir à bout de leur passé et de progresser dans la cause de la réconciliation.

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Claire Camblain

Il est possible que vous ayez déjà entendu parler d’une de ces commissions car elles ne sont en aucun cas une idée nouvelle. Des pays d’Amérique latine tels que le Chili ou l’Argentine en ont eux aussi développé dans le but d’exposer et de condamner les violences perpétrées sous des régimes autoritaires. Ainsi, dans le cas précis de l’Afrique du Sud, la création de la Commission vérité et réconciliation faisait écho au régime de l’Apartheid et à ses violences. Son mandat consistait à la fois dans la révélation des violations majeures des droits de l’Homme en Afrique du Sud ayant eu lieu entre 1960 et 1993, mais aussi dans l’établissement des responsabilités des crimes commis, aussi bien au niveau étatique qu’au niveau individuel. La commission était formée par trois comités interconnectés : le comité d’amnistie, le comité des droits de l’homme, et le comité réhabilitation et réparation. Le point le plus important de cette commission provenait de son pouvoir d’amnistie, amnistie que seule la Commission sudafricaine a accordée jusqu’à présent. Les conditions d’amnistie étaient au nombre de trois : révéler toute la vérité, expliquer son acte par un objectif politique et enfin que la violation soit proportionnelle à cet objectif politique. Vérité et Réconciliation, telles sont les deux notions accompagnant la commission dans sa vaste entreprise, mais qui sont-elles réellement ? Premièrement, l’une des trois conditions de l’amnistie place la vérité au centre même du travail de la commission. Personne ne peut être amnistié si l’on considère qu’il n’a pas dit toute la vérité. Quel est le message contenu dans cette importance accordée à la mise en lumière de la réalité ? De manière générale, la vérité pose une base historique commune que l’individu peut interroger. De plus, l’établissement des faits, en rapprochant de la réalité crue de l’Apartheid, empêche certains de nier que tout cela s’est bel et bien passé. De façon plus individuelle, raconter sa vérité, son histoire, offre à la victime de pouvoir regagner un peu de sa dignité. Les défenseurs de la commission espéraient que la victime puisse ainsi avancer dans le cours de sa vie. Cependant, certains critiques de cette institution, et parmi eux, beaucoup de gens spécialisés dans l’aide psychologique, voyaient ces récits d’un mauvais œil, pensant que cela ne ferait que rouvrir des blessures et ne permettrait pas pour autant une cicatrisation. Un autre point personnel à considérer est la fin de l’ignorance dans laquelle étaient plongés les

individus : qu’est-il advenu de mon mari qui n’est jamais rentré de sa journée de travail ? Comment mon fils est-il mort en prison, s’est-il réellement jeté par la fenêtre ? Des réponses à ces interrogations donnent enfin la possibilité de commencer son deuil. D’autres critiques de la commission lui reprochent de montrer une vérité trompeuse parce qu’elle s’attache particulièrement à la violence extrême de l’Apartheid, et non pas à la violence plus insidieuse que représentent les violences vécues au jour le jour, tels que les déplacements forcés dans les townships. Je ne sais pas s’il faut véritablement prendre position ou non, mais j’aimerais ajouter que cette vérité découverte au travers d’une commission et non au travers d’un tribunal, émergeant des aveux des accusés et de leur confrontation avec les victimes, est une vérité historique et non processuelle, vérité voulue utile au bon fonctionnement d’une reconstruction de l’histoire du pays.

De façon plus individuelle, raconter sa vérité, son histoire, offre à la victime de pouvoir regagner un peu de sa dignité

L’Ubuntu, symbolise le pardon au-delà du naturel. L’Ubuntu est un lien qui nous unit tous les uns les autres : une résonnance. Ce qui se passe en soi résonne dans les autres. Ainsi, ce qui te nuit me nuit, et nuit à tout le monde. Selon l’idéologie de l’Ubuntu le seul moyen pour les victimes de recouvrer leur humanité, c’est donc de pardonner et de reconnaître l’humanité de leurs tortionnaires. Pour ma part, si je pouvais me prononcer, je trouve cette capacité de pardon d’une abnégation admirable, mais je ne me permettrais pas de juger un concept s’appliquant à une situation que je n’ai pas ressentie et vécue personnellement. Je soulignerais simplement que le succès a été mitigé : certains ont pu vivre une expérience profonde et accéder à une vérité qui n’aurait pas pu apparaître au cours d’un processus judiciaire ordinaire ; mais d’autres sont toujours rongés par la colère. En effet, l’amnistie pose le problème de la repentance : nombreux sont les coupables à ne pas s’être fait connaître, quand à ceux qui se sont présentés devant la commission, l’expression de leurs regrets n’a pas souvent été suffisante. L’amnistie pose un choix des plus délicat en demandant aux victimes d’accepter ce processus de pardon envers leurs tortionnaires, processus invoqué sur la base d’une unité nationale qui pour certains n’a jamais existé. Les individus en colère crient que

rien n’a changé, que la commission a eu l’effet d’une goutte d’eau dans l’océan, que la police reste toujours raciste et que des familles vivent encore dans l’ignorance. La différence des richesses persistant entre la population blanche et la population noire mérite que nous nous posions la question de savoir si l’on peut se réconcilier le ventre vide ? A mis ou ennemis de la Commission vérité et réconciliation, à vous de savoir si un tel choix est possible, ce qui me sem ble cependa nt év ident c’est que l’amertume et la douleur liées à c e s événement s dem a nderont bien plus que quelques années pour être apaisées.

1 Parti politique au gouvernement pendant la 1 période de l’Apartheid. 2 African National Congress

Sources • http://www.truthcommission.org

La différence des richesses persistant entre la population blanche et la population noire mérite que nous nous posions la question de savoir si l’on peut se réconcilier le ventre vide ?

• http://www.justice.gov.za/trc/report/ • finalreport/Volume%205.pdf • http://www.newsreel.org • http://www.trial-ch.org/fr/commis• sions-verite/afrique-du-sud.html • http://www.dhdi.free.fr/recherches/ • comptesrendus/archives/rap2-98.htm • •

http://base.d-p-h.info/fr/fiches/premierdph/fiche-premierdph-5581.html

In my coutry de John Boorman, 2003

Dans la Constitution de 1993 se trouvent les valeurs fondamentales de la Commission vérité et réconciliation, telles que l’interdiction de la vengeance au profit de la compréhension, l’interdiction de représailles au profit d’une réparation, et une avancée vers la reconstruction du tissu social et d’une unité nationale. Il me semble que l’on retrouve bien ces principes dans le concept de Réconciliation tel qu’il faut le comprendre dans la Constitution de Transition de 1993. La réconciliation est une nouvelle forme de communication. Les parties en conflit dépassent le mode d’actions-réactions pour établir un vrai dialogue. Là encore, le choix d’une commission à la place d’un tribunal peut être expliqué. Dans un tribunal le juge met fin au conflit de façon processuelle, sans pour autant qu’un dialogue puisse avoir lieu entre les deux parties concernées. Il a souvent été question de la Commission comme lieu d’application d’une justice réparatrice et non d’une justice rétributive qui privilégierait le châtiment aux excuses, aux réparations et à la vérité. La notion africaine traditionnelle d’Ubuntu illustre bien la notion de justice réparatrice. 11


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