International ink 10

Page 1

10 Journal d’Etudiant(e)s en Science Politique et Relations Internationales

DOSSIER

POST TENEBRAS LUZ ?


SOMMAIRE INTERNATIONAL.ink – n°10 Avril 2011 Edité par l’Association des Etudiants en Science Politique et en Relations Internationales (AESPRI). Imprimé par l’atelier d’impression Cominpress

ÉDITORIAL

03 04

Financé par la Commission de Gestion des Taxes Fixes (CGTF)

RÉDACTION Coordinateurs Aude Fellay, Mohamed Musadak Membres Adrià Budry Carbó, Aude Fellay, Aurélia Bernard, Claire Camblain, Fabien Kaufmann, Lukas à Porta, Michaël Wicki, Romain Roustant, Victoria Barras, Youri Hanne, Ian Florin, Alex Petrosian, Giulia Champion, Juliette Bonhoure, Alexis Rapin, Léandre Berret, Nicolas Vodoz, Matteo Maillard, Jérome Wisard Graphiste Thomas Betschart Illustrateur Karian Foehr Photo de la page de titre Michaël Wicki, sur une idée de Victoria Barras Site web www.aespri.ch/journal

15 18 22 24 26

ÉDITORIAL • Déclaration niaise à une époque formidable DOSSIER : POST TENEBRAS LUZ ? • Maldición de Malinche : chronique d'une • fin attendue • Bolivie : la division dans l’unité • Quand le Brésil entre dans la cour des • grands • Coca : quand la chique devient de la snife • L’Ave Maria des cartels mexicains : • « Je vous salue sainte-Mort. » • Assis sur une poudrière blanche • Les nuages noirs du Machu Picchu VOYAGE • Turista ZOOM : VOYEURISME ET SURVEILLANCE • Neutralité du réseau : vers une régulation • du Net ? • De la Carta Magna au Patriot Act : une • mémoire bien volatile • Anne, ma sœur Anne ! VIE UNIVERSITAIRE • Futur des Relations Internationales : ballon • de baudruche ou secret de polichinelle ? LES URBAINES • Praille-Acacias-Vernets • Billet d'humeur REMPLISSAGE • Parce que l’inutile a son importance…

DÉCLARATION NIAISE À UNE ÉPOQUE FORMIDABLE Quelle merveilleuse amante que notre époque ! Alors qu’on commençait à se lasser des courbes de sa silhouette ciselée qui nous annonçait les malheurs romancés de la mondialisation , elle parvient à nous surprendre encore. Nous qui pensions que sa manie à faire de non-événements une actualité cataclysmique aurait raison de notre intérêt. Nous qui pensions que tout en elle avait été découvert, qu’elle ne retrouverait jamais le charme de ses années Perestroïka, qu’on ne s’effondrerait plus de stupeur comme le mur de Berlin, nous sommes piqués au vif…

Quels sont donc ces nouveaux atours dont elle se pare ? Le vent de liberté qui souffle au couchant1 de son corps est-il un fard artificiel ou redécouvrons nous une spontanéité que nous avions enterrée avec notre naïveté ? Quel est donc ce nouveau pays qu’elle porte comme un bijou ? Qu’importe ! L’effet est réussi. Notre curiosité est aiguillonnée. Elle se laissera comprendre, elle nous laissera le croire…

Assis dans les froids auditoires de Genève, écoutant distraitement le prêche de quelque professeur pour lequel le temps s’est arrêté à la crise des missiles de Cuba ou encore le discours éteint d’un académicien pour lequel la recherche se résume à valider ou infirmer une étude précédente, les étudiant-e-s de SES2 se languissent d’elle. Eux qu’on ne considère que comme des pions, tout juste bon à mémoriser par cœur une indigeste tambouille de connaissances et qu’on tente « d’écrémer » à coups de règlements ineptes.

Etudiant-e-s de SES, notre sort est peu enviable, mais nous avons une époque formidable pour nous consoler et une soif (presque) intarissable de trouver les réponses qui la mettrait à nu. Qui sait ? Peut-être y trouverons-nous l’inspiration à nos modestes préoccupations…

Venez réagir sur notre site internet www.internationalink.ch Mohamed Musadak

1 Traduction littérale de Maghreb

Une réaction, un commentaire ou envie de rejoindre la rédaction ? Contacte-nous à

2 Sciences Economiques et Sociales

international.ink0@gmail.com 2

3


DOSSIER

DOSSIER

MALDICIÓN DE MALINCHE : CHRONIQUE D’UNE FIN ATTENDUE Adrià Budry Carbó

12 octobre 1492 : Le vent souffle sur le large. Exténués par une traversée qui s’éternise, déshydratés et minés par le scorbut, les marins de la caravelle Pinta sont au bord de la mutinerie. Soudain, la délivrance : un jeune marin prononce le mot tant attendu : ¡ Tierra, tierra ! Après un peu plus de deux mois de traversée, Christophe Colomb et ses 90 membres d’équipage parviennent à remporter le pari fou de relier l’Europe et « l’Inde » par l’Ouest. Dans la foulée, les « découvreurs » institutionnalisent avec clairvoyance l’usage du terme « Indien ». Ce jour historique, pierre de touche de l’Espagne impériale et de « l’Hispanité », sera déclaré fête nationale espagnole sous le franquisme. Ce dossier ne raconte pas cette histoire… Acatl-Cuauhtli (19ème treizaine) –Tecpatl : Après avoir quitté la lointaine île de Juana (Cuba), un homme barbu nommé Hernán Cortés pénètre sur le territoire de l’Empire aztèque (actuel Mexique). Accompagné de 300 hommes à peine et contre l’avis de son « Empereur », il se lance à sa conquête. D’abord reçus comme des envoyés divins par le grand Moctezuma, présents et louanges sont échangés. Puis, c’est l’histoire de massacres et de pillages, du démantèlement d’une florissante civilisation en quelques coups d’arquebuse. Exploitant les conflits entre tribus, les Espagnols parviennent à regrouper une alliance et font main basse sur les richesses de la région. Coutumes et religion, langue et administration ; c’est tout un mode de vie qui est imposé. Sans appuis autochtones, sans connaissance préalable du terrain, jamais aussi peu d’hommes n’auraient été responsables du crépuscule d’un si grand Empire. Symbole des divisions, une figure féminine est parvenue à s’imposer à travers les siècles : Malintzin ou Malinche. D’origine maya, elle serait rapidement devenue l’interprète, la conseillère et la maîtresse de Cortés. L’imaginaire latinoaméricain l’associe à une traîtresse portant le fardeau du déclin des civilisations précolombiennes. Cependant, Malinche reste avant tout un exutoire collectif : l’incarnation d’un continent qui se fourvoie en vénérant de fausses icônes, une société qui tourne le dos à ses indigènes et brade sa culture et ses richesses. Livraison de la grandeur du passé à des démons couverts de métal, malédiction de la servitude comme le chantait Amparo Ochoa... Trois siècles de solitude. 4

Quelle que soit la véracité historique du mythe de la Malinche, ce dernier n’en a pas moins gardé son pouvoir évocateur dans l’Amérique latine des privatisations, de la course effrénée aux capitaux étrangers et des réformes d’ajustement structurels. Continent ébranlé par les conflits sociaux, terre de guérillas et de violence, de nombreuses zones restent aujourd’hui ensanglantées par les luttes entre cartels pour le contrôle de marchés extra-continentaux. Pourtant, si comme le disait García Márquez, la vie n’est rien d’autre qu’une continuelle succession d’opportunités de survie, l’exemple de l’Amérique latine doit faire école. Virage politique

BOLIVIE : LA DIVISION DANS L’UNITÉ Aurélien Evéquoz

1

dans le tournant du millénaire, de nombreux conflits se sont apaisés et le dynamisme économique fait à présent reculer les inégalités dans de nombreux pays. Quelles que soient les bords politiques des dirigeants, la même volonté de se saisir de leur destin, d’être les artisans de leur futur semble les unir. Du socialisme bolivarien à la social-démocratie brésilienne, en passant par l’indigénisme bolivien, les divergences marquent le paysage. Pourtant, si devant les médias, accolades et embrassades sont monnaie courante c’est que l’enjeu dépasse les rivalités : celui de la conscience de soi-même, la conscience d’un continent retrouvé.

Le pays suit un processus de “ jungalisation ”

Yo no tracé líneas […] Por las costas de oriente y occidente doscientas millas entro a cada Océano sumerjo mano y mano y así me aferro a nuestro Continente en un abrazo Latinoamericano. Nicomedes Santa Cruz (1925-1992)

La Bolivie connaît des tensions et une division qui menace dangereusement la stabilité du pays. D’un côté, le président Morales et son parti le MAS (Movimiento Al Socialismo) ; de l’autre, les provinces de l’Est. Comment expliquer une telle division au sein du pays ? Depuis l’an 2000, la Bolivie connaît de nouvelles agitations et turbulences politiques importantes. Pas moins de deux présidents ont démissionné en moins de deux ans : Gonzalo Sanchez en 2003 et Carlos Mesa Gisbert en 2005. La situation du pays et telle qu’un analyste politique déclare : « on dirait que la seule règle commune est que tout est permis et que tout est fonction de la capacité de pression pour obtenir ce que l’on cherche… le pays suit un processus de “ jungalisation ” ».2

Cette division repose sur un nationalisme fondé sur des spécificités culturelles

L’imagerie populaire a souvent représenté Malintzin comme une traîtresse ; néfaste héritage de la colonisation et allégorie du néo-colonialisme. (http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f8/Malinche_Tlaxcala.jpg)

présentes : « de toute évidence, mon pays est divisé sur son propre avenir… Il n’y a pas de réelle volonté d’accord, les uns et les autres campent sur leurs positions ».7

C’est à ce moment là, pour la première fois de l’histoire du pays, que le poste de président se retrouve entre les mains d’un Amérindien : Juan Evo Morales Ayma. On s’attend dès lors à que cette élection historique ouvre une période de paix sociale et de stabilité politique dans le pays. Cela,

s’explique par le fait que c’est le parti du président, le MAS – considéré comme « le mentor des « mouvements sociaux » les plus remuant et puissant, ayant provoqué la chute des deux gouvernements précédents »3 – qui détient dès lors les rênes du pays. Cet espoir sera de courte durée. Le pays se retrouve rapidement coupé en deux. Cette division repose sur un nationalisme fondé sur des spécificités culturelles. Pour le dire grossièrement, ce clivage met aux prises un mouvement « indianiste » et un mouvement dirigé par des élites locales, se revendiquant comme « blanches ».4 Géographiquement et politiquement, on retrouve ce clivage. A l’Ouest du pays se trouve l’Altiplano autour de La Paz. Cette région est considérée comme acquise au président Morales et à ses revendications : centralisation, étatisation, nationalisation, gouvernement en faveur de la majorité indienne. A l’Est, on retrouve les provinces de Santa Cruz, Beni, Pando et Tarika, qui recherchent une plus grande autonomie. S’opposent alors deux projets de nation distincts : d’une part, celui d’un Etat plurinational cher aux peuples autochtones. Et d’autre part, un Etat offrant une plus grande autonomie aux départements que revendiquent des groupements de citoyens et d’entreprises de l’Est.5 Comme l’écrit Tito Willy González Ovando,6 la Bolivie ne semble pas se diriger vers une résolution des divergences

Dès lors, nous pouvons nous demander comment ce clivage culturel se traduit dans la réalité sociale. Pour exemple, les 9, 10, et 11 septembre 2008, de violents affrontements ont éclaté dans la région de Santa Cruz (cf. carte). Des partisans de l’autonomie départementale ont violemment attaqué des institutions publiques et se sont confrontés aux forces de l’ordre. Ces heurts ont causé la mort de huit personnes et une centaine de blessés. Les lieux qui ont été la cible des assaillants lors de ces turbulences ont tous une valeur symbolique.8 En effet, ceux-ci représentent la mainmise de l’Etat central sur les ressources locales (centre des impôts internes, Institut National de la Réforme Agraire etc.).

De toute évidence, mon pays est divisé sur son propre avenir… La Bolivie se retrouve donc dans une position délicate et précaire. Si, comme l’annonce son président, la Bolivie à l’ambition de jouer un rôle de premier ordre dans le « socialisme du XXIème siècle », Evo Morales a tout intérêt à résoudre ses divergences internes et construire un pays uni pour affronter les épreuves à venir.

1 DORY, Daniel. « Polarisation politique et fracture 1 territoriales en Bolivie » in Hérodote, n°123, 2006. P.84 2 Jorge Lazarte, La Prensa, mai 2005 3 LAVAUD, Jean-Pierre. « Bolivie : vers l’anarchie 3 segmentaire ? » in Hérodote, n°123, 2006. 4 Ibid 5 ZENIZO, Guillermo, Milenio, septembre 2007 6 Professeur de communication sociale à l’Universidad 6 Mayor de San Andrés, à Sucre 7 ZENIZO, Guillermo, Milenio, septembre 2007 8 BLANCHARD, Sophie. « Bolivie, retour sur six 8 mois de crise » in Vox geographi, 2008

5


DOSSIER

DOSSIER

QUAND LE BRÉSIL ENTRE DANS LA COUR DES GRANDS

Giulia Champion et Alexandre Petrossian

« Le destin des montagnes doit être terrible. Elles sont obligées de contempler toujours le même paysage », paroles de l'écrivain brésilien Paulo Coelho.1 Bien que ce soit le sort des serras brésiliennes, l'évolution constante de leur pays ces dernières années doit avoir été un spectacle tout sauf ennuyeux. Depuis une quinzaine d'années, le jaguar brésilien se développe à une vitesse effrénée. Tous les ingrédients sont réunis pour faire du Brésil un acteur indispensable sur la scène internationale. Subsiste le paradoxe que la 8ème puissance économique du monde est aussi la plus inégalitaire. Malgré tout, le Brésil s'est fait sa place parmi les grands. Le Brésil est une « terre d’avenir » comme l’affirmait Stefan Zweig.2 Cela se confirme actuellement, c'est même la cinquième puissance du monde par la superficie et par le nombre d’habitants. Il partage des frontières avec la totalité des pays du subcontinent américain, à l’exception du Chili et de l’Equateur, et possède un soussol très riche en hydrocarbures ainsi qu’en minerai. L'agriculture représente aussi un secteur considérable de l’économie brésilienne. La diversification sociale et géographique du pays pourrait être représentative d’un continent dans son entièreté.

Sur le plan international, le Brésil est en train de créer un axe de coopération SudSud pour faire face aux grandes puissances traditionnelles ; on peut notamment citer l’IBAS (Initiative Inde, Brésil et Afrique du Sud). Lancée en 2003 afin que ces trois grands pays puissent s’aligner sur divers enjeux de l’agenda international et ainsi augmenter leur poids respectif dans les rapports de force internationaux. En outre, l’IBAS s’engage dans des projets concrets comme celui de la collecte et du recyclage de déchets solides à Port-au-Prince ; ce qui lui a valu, en 2006, le prix des Nations Unies pour le meilleur projet de coopération Sud-Sud.

Sur le plan international, le Brésil est en train de créer un axe de coopération Sud-Sud pour faire face aux grandes puissances traditionnelles Un autre projet Sud-Sud, nous montre la grande aisance de la diplomatie brésilienne à aborder les enjeux actuels : l’initiative

Rio de Janeiro et le Pain de Sucre (http://www.franceameriquelatine.fr/index.php?m=2&step=2&id_sejour=32) 6

BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine) créée au sommet de Copenhague en 2010. Le BASIC a su, par une alliance indéfectible, tenir tête aux « grands ». Ces quatre pays se sont mis d’accord pour réduire leurs émissions carbones selon leurs besoins respectifs, bien qu’il leur était demandé de se soumettre au contrôle d’une instance internationale. Récemment, on a pu voir le Brésil s’attaquer à des enjeux politiques de très grande envergure en essayant, avec l’aide de la Turquie, de résoudre le cas du nucléaire iranien (jusqu’à présent chasse-gardée des puissances traditionnelles comme les Etats-Unis, la France ou le Royaume-Uni). Ces trois exemples nous montrent comment une diplomatie brésilienne en pleine effervescence tente de se faire une place en s’engageant sur les grandes questions contemporaines. Par ailleurs, le Brésil développe aussi sa croissance à travers les échanges commerciaux internationaux. En effet, depuis 2001 la Chine investi au Brésil dans la recherche de matières premières et les conséquences de la crise subie en 1998 et des contraintes qui avaient été imposées par le FMI ne sont plus qu’un lointain souvenir pour le pays lusophone. Dès 2003, le président socialiste Lula da Silva a donné le nouveau mot d'ordre : le changement. La nation ne cesse depuis lors de prospérer. Le Brésil est aujourd'hui la huitième puissance mondiale. Après avoir subi les revers de son histoire, le Brésil peut finalement entrer dans ce cercle vertueux de croissance pressentie et tant attendue. Le Brésil emboîte le pas à la Chine pour la rattraper et marcher à ses côtés, main dans la main. Les deux pays du BRIC vivent une telle expansion qu'ils n'ont même pas senti les conséquences de la crise financière mondiale de 2008. Ils sont liés par des accords de commerce bilatéral et comptent poser les bases d'un nouvel ordre économique et géopolitique mondial. En effet, le « BRIC » qui est un acronyme pour désigner les quatre puissances émergentes ; le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, est né en novembre 2001, lors du G6. La Chine et le Brésil sont toutefois deux alliés avec des airs de concurrents. L'échange commercial est relativement déséquilibré puisque le Brésil exporte principalement des

minéraux et des produits agricoles vers la Chine, alors que cette dernière exporte des produits manufacturés. A ce sujet, le président Lula avait exprimé le souhait de pouvoir augmenter ses exportations manufacturées pour retrouver un équilibre et développer ce secteur. Un bon exemple de la volonté des deux nations de ne pas réduire leurs exigences, maintenant qu’ils sont pris dans l’engrenage d’un développement rapide. L'abandon du dollar comme monnaie d'échange commercial, remplacé par les monnaies nationales des deux pays, est également une autre idée du président brésilien. Cela a notamment permis d'éviter les pertes liées à la dévaluation du dollar depuis la crise de 2008. Sur le plan régional, le Brésil tente de consolider les rapports diplomatiques et économiques avec ses voisins. En 2008, il a intégré l’Union sud-américaine des nations (UNASUL), en plus du MERCOSUR.

La classe moyenne, avant la nouvelle politique du président socialiste Lula, était pratiquement inexistante Sur le plan national, le Brésil a un potentiel de développement énorme lié à son très vaste territoire. Comme l'a dit dans une interview en 2007, l'écrivain brésilien Coelho, alors qu'on lui demandait s'il était riche : « La richesse n'est pas la quantité d'argent que l'on a mais la façon dont on l'utilise. » De la même façon, le Brésil apprend à tirer profit du maximum de ses ressources. En effet, la plus grande partie des terres du pays sont recouvertes par la forêt amazonienne, surtout dans le nord-ouest. Le sud-est constitue la région des mégapoles bordant la mer ; telles que São Paolo ou Rio De Janeiro qui représentent le 84% de l'urbanisation brésilienne. Malgré la gigantesque partie couverte par la végétation, l'agriculture ne représente que 5% du PIB. C'est plus particulièrement la déforestation –malheureusement en faveur des champs pour cultiver les biocarburants– qui a fait que cette nation devienne une opportunité unique aux yeux de grands commerçants. Les désastres écologiques liés à cette démarche se feront bientôt sentir puisque défricher un des grands poumons du globe ne peut rester sans conséquences. La découverte, en 2005, d'immenses gisements pétroliers dans les Bassins de Santos a également suscité la convoitise de diverses puissances cherchant à s’émanciper des pays pétroliers arabes. Il y en aurait pour 33 milliards de barils.

Le secteur industriel est assez diversifié et le secteur tertiaire représente 64% du PIB. Bien qu'il possède un PIB explosif le Brésil est un colosse au pied d’argile puisque les inégalités économiques y sont parmi les plus élevées au monde. La classe moyenne, avant la nouvelle politique du président socialiste Lula, était pratiquement inexistante. Une terrible ségrégation sociale et raciale hantait les rues. Le Brésil rural est devenu un paysage urbain dans lequel les gratte-ciels et résidences des banlieues chics côtoient les vastes bidonvilles, les tristement célèbres favelas. Ainsi, les habitants d'un même pays semblent vivre dans deux univers complètement opposés, comme si seule une partie d'entre eux jouissait de l'expansion économique. Cependant, la classe moyenne a augmenté de 50% dernièrement, suite aux politiques du président Lula da Silva. « Le changement, voilà notre mot d'ordre (...) L'espoir a vaincu la peur, notre société a décidé qu'il était temps d'emprunter une nouvelle voie. » La promesse, qu'il avait faite lors de son entrée au pouvoir en 2003, se concrétise. En 7 ans de mandat, il a sorti 21 millions de personnes de la pauvreté. Son successeur –Dilma Rousseff– n'est autre que sa protégée ; une ancienne militante des guérillas d'extrême gauche ayant combattu la dictature militaire des années 60 à 80. La nouvelle présidente reprend le flambeau de Lula. L'espoir des électeurs brésiliens c'est principalement qu'elle soit à la hauteur de l’héritage laissé par Lula, qui a fait connaître une croissance exceptionnelle au pays.

1 Tirées de son roman Sur le Bord de la rivière Piedra 1 je me suis assise et j'ai pleuré. 2 Jou r na l i st e et écr iva i n aut r ich ien q u i vécut 2 longtemps au Brésil lors de la seconde guerre 2 mondiale et qui y mourut.

Le Brésil rural est devenu un paysage urbain dans lequel les gratte-ciels et résidences des banlieues chics côtoient les vastes bidonvilles, les tristement célèbres favelas (flickr.com) 7


DOSSIER

DOSSIER

COCA : QUAND LA CHIQUE DEVIENT DE LA SNIFE Aurélia Bernard

Evo Morales est le premier président bolivien d’origine amérindienne. Héritier d’une culture traditionnelle, il doit faire face à de nombreux problèmes au sein du territoire depuis son entrée en fonction (début 2006). Parmi les sujets surveillés de près, la production de coca, dont le pays est l’un des plus gros fournisseurs mondiaux et que certains seraient tentés de trop vite associer à la consommation de cocaïne. Malgré la controverse que suscite la production de coca, le gouvernement bolivien tente de promouvoir sa culture. Alors, Morales, défenseur d’une identité ou complice des narcotrafiquants ? La coca : un bienfait ou une drogue ? « Coca oui, cocaïne non ». Morales s’efforce de trouver un consensus entre la réintroduction de la culture des feuilles de coca dans l’usage quotidien et la lutte contre les narcotrafiquants. Pourtant sur la scène internationale, coca rime avec coca…ïne, et il semble difficile de concilier les deux politiques. D’autant plus que les actions

du président sont contestées de toute part. Par exemple sa campagne de dépénalisation de la coca provoque et contredit les politiques antidrogues américaines et européennes. Politique également accueillie par une partie de la population bolivienne comme favorisant encore les citoyens indigènes, qui constituent pour une bonne part le gros des cocaleros (producteurs de coca). Si le clivage au sein de la population pouvait se résumer à Boliviens se réclamant « blancs » d’un côté et Indiens de l’autre [voir l’article ci-contre], alors on pourrait affirmer que Morales, par solidarité, favorise la population amérindienne. C’est effectivement ce que beaucoup lui reprochent, n’accordant que peu d’importance à ce que représente cette plante pour les cocaleros. La coca relève d’une culture ancestrale, déjà utilisée dans les rites religieux au temps des Incas, elle est surtout consommée par mastication ou infusion, procurant une légère stimulation (effet qui se

distingue toutefois des actions de la cocaïne). Et pour cause, la feuille de coca contient une dizaine d’alcaloïdes (principes actifs) lui conférant des vertus médicinales. Bénéfique pour de nombreux organes du corps humain, la coca protège du mal des montagnes, notamment en stimulant la circulation sanguine, facilitant ainsi l’oxygénation du corps et évitant la tachycardie et l’hypotension. Un bon remède, donc, lorsque l’on vit dans la Cordillère des Andes. La culture de la coca, c’est aussi le gagne-pain d’une grande majorité de la population indienne, souvent très pauvre et exclue. Dans les vallées reculées du Chapare ou des Yungas, être cocalero c’est, pour des familles entières, pratiquement la seule manière d’avoir un travail, de se nourrir… et de survivre dans l’un des pays les plus pauvres d’Amérique Latine. La prohibition ou la promotion de la coca devient un enjeu à l’échelle nationale puisque plus de 60% des Boliviens sont d’origine indienne et qu’une partie de cette population perpétue cette culture

controversée comme un fragment de son identité. Avec la dépénalisation de la coca, c’est la tradition et la survie de ces peuples que Morales tente de promouvoir. De plus, ce débat devient aussi un moyen pour les cocaleros de prendre part à la lutte politique. La création d’organisations syndicales des cultivateurs de coca, qui soutiennent les politiques gouvernementales, permet aux peuplades indiennes de revendiquer une identité ; identité qui fût marginalisée à travers l’Histoire et qui continue d’être discriminée. Ces organisations permettent ainsi à des couches de la population illettrée de prendre part à la sphère publique.

Avec la dépénalisation de la coca, c’est la tradition et la survie de ces peuples que Morales tente de promouvoir Le président bolivien : protecteur d’une culture ou des narcotrafiquants ? Evo Morales s’est lancé à sa manière dans une campagne antidrogue tout en espérant la dépénalisation de la coca dans le commerce transnational. Et si la coca est synonyme de cocaïne sur la scène internationale, la distinction se veut nette dans la position du gouvernement. Cependant, elle donne du fil à retordre aux politiques américaines antidrogues. Pour rappel, les américains qui fournissaient un dixième du PIB bolivien au début du mandat de Morales, avaient notamment la volonté d’utiliser cet argent dans le cadre de leur programme d’éradication de la coca dans le pays. Le président amérindien de son côté, voyait au contraire d’un mauvais œil ces subventions qui permettaient plutôt de financer les leaders de l’opposition bolivienne (pro-américaine).

Et si la coca est synonyme de cocaïne sur la scène internationale, la distinction se veut nette dans la position du gouvernement.

Morales s’efforce de trouver un consensus entre la réintroduction de la culture des feuilles de coca dans l’usage quotidien et la lutte contre les narcotrafiquants. (http://en.comunicas.org) 8

les transactions. La production est limitée à une parcelle de 1600 mètres carrés par famille, et s’il y a des excédents, ils seront volontairement détruits. Quant à ceux qui sont pris la main dans le sac à vendre de la coca en dehors de ces marchés légaux, ils n’y auront alors plus accès.

1 Selon le rapport annuel de l’OICS pour l’année 2009, 1 d’après le quotidien bolivien Los Tiempos paru en 1 février 2010. 2 Voi r l’a r t icle de M at t e o M a i l l a rd s u r le blo g 2 d’International.ink : http://international-ink.blogspot.com 2/2010/10/salar-duyuni-un-espace-de-controverses.html

Pourtant selon l’OICS (l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants), la superficie des plantations de coca aurait doublé de 2000 à 2008 dans le pays et la production de cocaïne aurait augmenté de 13% durant cette même période.1 La question reste entière quant à savoir si l’augmentation du rendement de la coca est la réponse à une plus grande consommation de cocaïne à travers le monde. Mais il est en tout cas discutable que ce soit les petits paysans vendant au marché local qui tirent un grand profit de la vente de ces feuilles, les gains financiers semblant plutôt profiter au monde souterrain des narcotrafiquants. Toutefois, si l’augmentation de la culture de coca ne bouleverse pas les mœurs économiques des paysans amérindiens, l’effet contraire pourrait impliquer une toute autre dimension économique. Eradiquer la coca ce serait aussi éradiquer le seul travail, la seule culture des cocaleros des régions des Yungas et du Chapare. Ce serait redéfinir un environnement, un mode de vie et une tradition. D’autres ressources pourraient être mises en valeur en Bolivie, mais elles sont souvent peu ou mal exploitées et sont rarement accessibles aux communautés amérindiennes, comme c’est le cas par exemple du lithium (pour l’instant).2 La coca reste donc la première ressource naturelle qui profite un tant soit peu aux autochtones. Si c’est également ce que Morales a perçu, cela explique peut-être sa motivation actuelle à réhabiliter l’usage traditionnel de la coca sur le plan local, en espérant détourner les paysans des narcotrafiquants. Ce qui amène par exemple le gouvernement à soutenir en ce début d’année 2010 la mise en circulation d’un nouveau produit : le Coca Colla (avec deux L). Cette boisson gazeuse énergisante à base de feuilles de coca, tente ainsi de normaliser un peu plus l’usage légal de la plante.

Malgré les réserves que suscite sa position, le président amérindien condamne les narcotrafiquants. Ainsi en Bolivie, les mécanismes de contrôle dans les régions productrices se sont renforcés au cours de ces dernières années. Stricto sensu, le petit paysan ira vendre sa production de feuilles dans des marchés légaux contrôlés par les syndicats, qui surveillent toutes 9


DOSSIER

DOSSIER

L’AVE MARIA DES CARTELS MEXICAINS : « JE VOUS SALUE SAINTE-MORT. » Léandre Berret

Ce que l’on sait du Mexique : la glorification de la religion chrétienne et l’hégémonie des cartels de drogue. Ce que l’on sait moins, c’est comment ces deux manières de vivre contradictoires se sont si bien ajustées pour finalement faire de l’une le socle unificateur de l’autre. Dans la société mexicaine – pourtant largement représentée dans les médias par les cartels de drogue, la violence et la perversion – les symboles de la religion chrétienne se retrouvent partout. Matérialisée sous différentes formes artistiques : au cou des pratiquants, sous forme de pendentifs ou tatouées sur leur corps, dans des signes devenus superstitions, par des statuettes et des fêtes exubérantes. Et c’est bien là, sous couvert de démonstration religieuse, que s’immisce le crime et la drogue. Le christianisme s’est inscrit dans la culture mexicaine et y prend une place prépondérante. Criminels et truands, en s’y associant, cherchent-ils dans sa pratique une tentative d’expiation instantanée ?

et de prier mais n’éradiqueront jamais ces ascendances païennes si fortes de sens pour les Mexicains. Dans cette singulière fusion religieuse, la facilité du passage (forcé certes) au christianisme est étonnante. Les Mexicains, reconnaissent dans les évangiles des histoires communes à leurs croyances ancestrales. Selon les historiens, « l'évangile que prêchaient les nouveaux venus s'accordait même assez bien avec certaines vieilles prophéties du cycle de Quetzalcoatl ».1 Ces connexions entre les deux cultes ont permis aux civilisations mexicaines de changer de religion sans remettre en question leur Vérité, qui

concordait avec la nouvelle pratique. Les dogmes changent mais les rites ancestraux, dont le culte de la mort restent ! Et bien qu’elle ne représente qu’une partie du culte religieux, la fête des morts ponctue les manifestations de foi. C’est à la Toussaint (fête des morts dans la religion chrétienne) que l’on peut observer les plus grandes démonstrations de croyance. En effet, une fois par an, vivants et morts se retrouvent pour faire la fête ! On se déguise, on s’offre des cadeaux et l’on se rejoint sur les tombes pour un banquet entre morts et vivants. L’historien et journaliste Philippe Ariès résume parfaitement cette

Une brève explication de l’implantation chrétienne au Mexique et son panachage avec les traditions précolombiennes, permettra tout d’abord de refléter les particularités religieuses si spécifiques à la civilisation mexicaine.

10

Outre cette vénération de la mort, ils gardent l’or, les représentations riches et sculpturales, un large panel d’invocations et de démonstrations extérieures de foi. Toutes ces manifestations de croyances caractérisaient leurs ancêtres mayas et aztèques. En fait, les mœurs n’ont pas tellement changées et les anciennes croyances ont largement déteint sur les pratiques chrétiennes. C’est évident, la pratique du culte est ancrée depuis la nuit des temps dans la société mexicaine. Elle s’est transformée, certes, mais les différents aspects de la religion actuelle sont calqués sur les adorations païennes ancestrales. Le plus surprenant cependant provient de la volonté des gangs d’affirmer et de revendiquer cette appartenance à une religion dont les principes s’opposent à leur mode de vie. Car bien que 90% des Mexicains soient catholiques et à majorité pratiquants, les croyants les plus pieux et les plus démonstratifs ne sont pas de simples bigots. Parmi les plus fidèles adeptes se trouvent des vendeurs de drogues, des membres de cartels, des chefs de gangs, des tueurs, des semeurs de violence et de narcotiques.

Les différents aspects de la religion actuelle sont calqués sur les adorations païennes ancestrales

Les populations précolombiennes, dont on connait les grandissimes lieux de culte voués au dieu du soleil (Inti chez les Incas), exprimaient leur foi par des offrandes quotidiennes, des prouesses architecturales et des fêtes quelques fois ponctuées par des sacrifices humains. Depuis toujours, les Mexicains fêtent la mort. Leurs ancêtres aztèques déjà offraient, par la vie de jeunes personnes, force et vitalité au dieu soleil. Les incas pensaient, quant à eux, apaiser les dieux par l’immolation. Et bien qu’exceptionnels, ces rites montrent le lien que noue depuis toujours les peuples mexicains avec la mort. Les exubérantes démonstrations de croyances et cette vénération de la mort sont intrigantes de similarités avec les fêtes religieuses qu’ils commémorent beaucoup plus tard, sous le joug chrétien. L’arrivée des missionnaires au Mexique -après Cortès et à partir de 1519- ne provoquera jamais l’abandon des anciennes influences religieuses. Les chrétiens modifieront leur façon de pratiquer, de croire

particularité de la culture mexicaine : il y a « un sentiment très ancien et très durable, et très massif, de familiarité avec la mort, sans peur ni désespoir, à mi-chemin entre résignation passive et confiance mystique ».2

En sucreries ou par des figurines, les mexicains jouent et se jouent de la mort. (http://www.flickr.com/photos/violinha/526916330)

Les principes de leur vie et de leur religion sont opposés, ils le savent ! Ce paradoxe de la violence quotidienne et de la croyance fidèle est pourtant bien loin de les gêner dans leurs crimes. En s’associant aux croyances chrétiennes, les trafiquants ne sont pas en quête d’un guide, d’une spiritualité ou encore moins d’une loi divine, ils y cherchent une protection et un pardon, une expiation des fautes qu’ils commettent quotidiennement. Et outre la protection, l’adhésion et la pratique intensive d’une religion, permet une certaine cohésion au sein des gangs : elle permet de s’associer à des coutumes, des valeurs et des rassemblements communs. Les chefs de cartels utilisent également la religion pour recruter des adeptes ainsi que s’assurer la loyauté de leurs membres. L’article d’un journaliste

mexicain l’affirme : « Les cartels cherchent à éviter la trahison et la délation, et cette façon de recruter de nouveaux membres, de les assujettir par la dimension religieuse leur garantit que les gens marcheront droit. ».3 Croire aux mêmes saints, prier ensemble et vénérer les mêmes images pourvoit une canalisation comportementale vers un même but, une rigueur dans la fidélité au même clan et une justification à la faute. S’assurer une rédemption, c’est déjà s’autoriser à penser une autre vie et éviter de croire en sa propre perte.

1 I n Rober t G e orge s E SCA R PI T. Au Mex iq ue : 1 christianisme et religions indigènes. In : Annales. 1 Économies, Sociétés, Civilisations. 3e année, N. 3, 1 1948. pp. 317-326 2 Cité sur le site : Découverte Mexique, La mort 2 [En ligne], http://www.vivamexico.info/Index1/Mort. 2 html, (consulté le 09.12.2010) 3 Francisco GÓMEZ, Quand les narcos se prennent 3 pour le Messie, Courrier international, N° 977, du 3 23 au 29 juillet 2009, p.15

La pratique intensive d’une religion, permet une certaine cohésion au sein des gangs Pourtant la pratique chrétienne, dont la moralité est basée sur l’amour de son prochain, contient trop de contradictions avec leur vie pour qu’elle suffise à excuser leurs crimes. C’est grâce à leur passé qu’ils parviennent à conjuguer foi salvatrice et péché continuel. L’adoration des défunts, et de la Mort si typique aux civilisations précolombiennes. Conscients de leur inexorable fin et de leur espérance de vie limitée, les membres de cartels veulent défier cette fatalité. Ils essaient d’apprivoiser la mort, d’en faire une amie, toujours présente, qui ne les kidnappe pas mais qui les accompagne, qui ne les fauche pas mais qui leur tend la main, qui ne les surprend pas mais qui les attend. Perpétuer la pratique, enfin, c’est s’assurer qu’on ne les oubliera pas, qu’ils auront eux aussi une place dans la vie de ceux qui restent, qu’ils ne mourront pas tout à fait… La mort normalisée et la justice divine… Cette association de bienfaiteurs est représentée par la santa Muerte, un squelette en robe de Vierge, paré d’un chapelet. Elle est marquée sur tous les corps, orne toutes les maisons et sa vénération permet aussi, peut-être - à ceux qui vivent malgré tout, malgré eux, du crime et de la drogue - de croire encore que tout n’est pas fini, que la mort n’est pas si féroce, que dans l’horreur des stupéfiants et de la violence quotidienne, il se peut qu’ailleurs, après, on puisse enfin vivre sans peur. En faisant de la mort une alliée, une complice, ils veulent espérer sa clémence… Ils n’ont qu’un seul soutien face à leur vie, une statuette en bois, un tatouage, un espoir, cette mort qu’ils appréhendent tant.

Sources • Francisco GÓMEZ, Quand les narcos • se prennent pour le Messie, Courrier • international, N°977, du 23 au 29 juillet • 2009 • France 5, Les peuples du soleil : Mayas, • Incas, Aztèques [En ligne], • http://www.france5.fr/inca-maya-azteque • /fr/14-education/01-inca/religion.html, • (consulté le 03.11.2010). • Histoire Chapas, Le Chiapas en général, • carte d’identité [En ligne], • http://www.espoirchiapas.com/LeChiapas • /LeChiapas.html, (consulté le 08.11.2010). • Persee, revue scientifique, Au Mexique : • Christianisme et religions indigènes • [En ligne], • http://www.persee.fr/web/revues/home • /prescript/article/ahess_0395-2649_ • 1948_num_3_3_1646, • (consulté le 03.11.2010). • Rêve mexicain, Religion au Mexique • [En ligne], • http://www.revemexicain.com/religions_ • mexique.php, (consulté le 03.11.2010). • Découverte Mexique, La mort [En ligne], • http://www.vivamexico.info/Index1/ • Mort.html, (consulté le 09.12.2010)

11


DOSSIER

DOSSIER

ASSIS SUR UNE POUDRIÈRE BLANCHE Nicolas Vodoz

Peut-on vraiment désamorcer la bombe à retardement du trafic de drogue qui menace tout le continent américain ? En 1993, la police colombienne mettait un terme à deux décennies de violence avec l’exécution de Pablo Escobar, le plus grand trafiquant de cocaïne de l’Histoire. Aujourd’hui, le Mexique s’enfonce dans une guerre de la drogue qui a déjà coûté la vie à des milliers de personnes. Demain, d’autres États pourraient être la proie d’un commerce dont l’enjeu est l’acheminement de la cocaïne vers les États-Unis et l’Europe. Payés en poudre Au début des années 1990, l’acharnement de la lutte antidrogue menée par les Américains dans les Caraïbes a contraint « les cow-boys de la coke » colombiens à faire transiter leur marchandise par le désert mexicain et ses gangs locaux. Payés $1’000 par kilo de cocaïne transporté aux États-Unis, ces nouveaux contrebandiers se sont vite enrichis et développés en cartel. Bientôt rémunérés en poudre plutôt qu’en liquide, ces nouvelles organisations criminelles deviennent de véritables multinationales qui contrôlent toute la chaîne de distribution. Il faut attendre l’élection présidentielle de 2000, pour que le gouvernement mexicain réagisse. La fin du régime du PRI et l’arrivée au pouvoir de Vicente Fox marquent le début de la guerre contre les narcotrafiquants. Son successeur, Calderón, intensifie la lutte avec le déploiement de 50'000 soldats et le commencement d’une étroite collaboration avec Washington.

d’un ouvrier du bâtiment ? les policiers complètent souvent leurs revenus en s’associant aux criminels. Selon l'administration Obama, il est primordial de réformer les institutions rongées par la corruption pour redonner confiance à la population mexicaine toujours plus dépitée.

Depuis 2006, 28'000 personnes ont été tuées au Mexique Des Andes à nos rues Bien que la lutte menée dans les années 1990 ait permis d’éliminer les cartels colombiens, la production de drogue n’y a jamais cessé. En 2008, plus de la moitié de la cocaïne mondiale est fabriquée en Colombie ? le Pérou et la Bolivie sont les deux autres producteurs. Mais un État renforcé a permis de confiner les zones de plantations dans des régions reculées. Ainsi, les trafiquants ne menacent plus la sécurité du pays. Principal espace de transit, le Mexique est la proie de criminels avides d’encaisser les bénéfices mirobolants du trafic de drogue. En raison des risques élevés, les coûts de transport constituent l’essentiel de la valeur du kilo de coke. Seuls 2.5% du bénéfice total reviennent aux producteurs andains, tandis que 28% sont destinés à ceux qui acheminent la marchandise de Colombie aux États-Unis. Les 70% restants sont encaissés par les dealers de rue, eux-mêmes employés par les cartels dont les ramifications s’étendent à toutes les grandes villes américaines.

Depuis 2006, 28'000 personnes ont été tuées au Mexique. 80% des victimes sont des trafiquants et des représentants de l’État ? policiers, militaires et juges. Certains analystes y voient un signe positif, car la situation serait similaire à celle qui précéda la chute du cartel de Medellín et la mort d'Escobar. Forcés d’opérer dans des zones de plus en plus restreintes, les cartels doivent désormais lutter entre eux pour survivre.

Face à une marge de manœuvre de plus en plus étroite, les trafiquants semblent aujourd’hui favoriser de nouvelles routes à travers l’Amérique Centrale. En Équateur et au Guatemala, les saisies d’armes, d’argent et de drogue, ainsi que le nombre d’homicides atteignent des niveaux records depuis le début 2009. Selon les experts, il s'agit d'une réorganisation similaire à celle des années 1990, lorsque les Colombiens avaient renoncés aux Caraïbes devenues trop risquées.

Cependant, le combat militaire a ses limites lorsqu’il s’agit d’enquêter et de rassembler des preuves. Mais la police mexicaine n’est pas fiable et Calderón a du s'appuyer sur l'armée. Payés $350 par mois ? l’équivalent

Pourtant, la consommation de cocaïne aux États-Unis serait passée de 660t en 1988, à 231t en 2008. Cette baisse est partiellement compensée par une augmentation en Europe, où 1.2% des 15-65 ans

12

en prendraient régulièrement. C'est deux fois plus qu’il y a 20 ans. Pour répondre à cette demande croissante, les trafiquants déploient de nouvelles voies d’acheminement. Plus de 51% de la cocaïne européenne passerait par un port vénézuélien. Au pays de Chavez, le taux d’homicides a augmenté de 112% depuis 1998. Répression, éducation, légalisation Malgré un accroissement des contraintes, le commerce de la drogue se réadapte continuellement, car la demande reste globalement forte et les bénéfices d’autant plus attractifs. La conquête de nouveaux marchés est également une stratégie récente des narcotrafiquants qui se concentraient jusqu’à présent sur les États-Unis. Au Mexique, la consommation de cocaïne a explosé depuis qu’il devient de plus en plus difficile d’acheminer la drogue sur l’autre rive du Rio Grande.

Face à une marge de manœuvre de plus en plus étroite, les trafiquants semblent aujourd’hui favoriser de nouvelles routes à travers l’Amérique centrale Il faut donc que les États sud américains réforment leurs institutions policières et judiciaires, afin d'empêcher les narcotrafiquants de s’installer sur leur territoire. Mais il incombe également aux Occidentaux de réduire leur consommation. En 1988, Pablo Escobar disait en guise de provocation : « la consommation de drogue ne diminuera pas par la répression, mais par l’éducation et la prévention ». Plus radicale, la légalisation de toutes les drogues supprimerait la raison d’être de nombreuses organisations criminelles. Mais une telle décision est encore moralement inacceptable pour la majorité des sociétés, comme l’a prouvé le récent rejet californien de dépénalisation de la marijuana.

13


DOSSIER

VOYAGE

LES NUAGES NOIRS DU MACHU PICCHU

TURISTA

Jérôme Wisard

Quel drôle de spectacle celui qui anime chaque matin les rues de la modeste localité d’Aguas Calientes au Pérou ! Des bus flambants neufs ne cessent de défiler, chacun y décharge son lot de touristes en route pour Cusco, l’ancienne capitale inca. Quotidiennement, des centaines de personnes s’y rendent pour visiter le site archéologique le plus célèbre d'Amérique latine : le Machu Picchu. Pourtant, cette fréquentation massive n’est pas sans conséquences pour l’environnement et les populations locales. Perchée à 2500m dans le sud-ouest du Pérou, cette cité inca fut bâtie au XVe siècle. Véritable prouesse technique, les colons espagnols ne l’ont jamais conquise, car ils ne l’ont tout simplement pas trouvée. En effet, elle fut redécouverte en 1911 seulement, par l’archéologue américain Hiram Bingham. Depuis, ce lieu sacré fascine le monde entier et demeure dans l'imaginaire collectif comme « Le » symbole de tout un continent. En 2007, le Machu Picchu a été classé parmi les sept nouvelles merveilles du monde par la Open World Foundation, un organisme non-officiel et à caractère commercial. Ce dernier point soulève des interrogations quant à l'aspect hautement lucratif du lieu. En 1992, seule une centaine de touristes défilent chaque jour au pied du Huayna Picchu, le sommet qui domine la cité mythique. Près d’une décennie plus tard, leur nombre passe à plus de deux mille ! Avec un prix d'entrée d'environ 40$, les 900'000 visiteurs annuels assurent un revenu non négligeable à l'Etat péruvien gestionnaire du site. Cependant, cette augmentation exponentielle de la fréquentation implique de gros risques pour la pérennité du Machu Picchu. Il y a dix ans, une étude menée par des scientifiques de l'Université de Tokyo a démontré que les pentes abruptes du versant ouest du site s'affaissaient d'environ un centimètre par mois. Ainsi, un glissement de terrain pourrait bientôt détruire toute une partie du paysage. En outre, ces chercheurs concédèrent que leurs recherches pouvaient contenir quelques approximations, notamment à cause du niveau excessif de précipitations pris en compte dans leur étude. Toutefois, les intempéries sont fréquentes dans la région en début d’année. En janvier 2010, le Machu Picchu a connu sa pire saison 14

des pluies depuis des décennies. L'accès à la cité a d’ailleurs dû être interdit pendant plusieurs jours après la mort de deux personnes et Aguas Calientes est restée coupée du monde. En vain, l'UNESCO a préconisé au gouvernement péruvien une limitation à mille entrées journalières. En effet, le problème ne réside pas dans l'essence même du tourisme, mais davantage dans la surexploitation et ses répercussions désastreuses pour les populations locales. Alors que beaucoup de visiteurs respectent ce lieu mythique, d'autres, plus intéressés à biffer le Machu Picchu de leur « to do list », se comportent de manière insensible. Soucieux de ne pas tarir cette source de devises, le gouvernement péruvien invoque des excuses insensées pour expliquer sa non-intervention en faveur de la sauvegarde de l’endroit. Selon lui, la limitation du nombre de visiteurs se fait naturellement par la difficulté d'accès à la cité. Certes, les Espagnols ne l’ont jamais trouvée, mais de nombreuses infrastructures y ont été aménagées depuis.

Le problème ne réside pas dans l'essence même du tourisme, mais davantage dans la surexploitation et ses répercussions désastreuses pour les populations locales

sourd au sort du site et des populations avoisinantes. Blocages de trains, manifestations, missives dans les journaux voire même grèves se multiplient depuis 2008. Malheureusement, ces actions n’ont eu aucune répercussion concrète. Pourtant, la participation des populations locales à l’exploitation du site serait doublement bénéfique. D’une part, la manne financière touristique pourrait être redistribuée au travers de programmes de développement dans la région et ainsi promouvoir d’autres activités économiques. De l’autre, la sauvegarde du Machu Picchu serait assurée à plus long terme, car les indigènes n’ont aucun intérêt à provoquer la disparition d’un lieu qu’ils considèrent sacré depuis des siècles. En 2000, lors du tournage d'une publicité, une grue est tombée sur l'Intihuatana (poteau d'ancrage du Soleil), brisant le granit d’un des chefs d'œuvre du site. Depuis, les nuages sont encore plus sombres et menaçants au dessus de Cusco. Mais il en faudra plus que la simple reconstruction de l’Intihuatana, pour que le soleil revienne y briller et que les générations futures puissent encore en bénéficier.

Matteo Maillard

Nous sommes en juillet 1841 aux abords de la gare de Leicester dans les Midlands anglais. Thomas Cook prédicateur baptiste et berger des premières cohortes touristiques, a tout prévu : thé, jeux, petits pains, jusqu’aux slogans moralistes que les membres d’une ligue de tempérance scanderont toute la durée de cette première excursion organisée par son agence1 . Arrivés à leur destination, ce seront les sifflets qui les accompagneront jusqu’à la porte de la salle où se tient un gala contre les méfaits de la boisson. Qui aurait cru que les premiers gémissements poussés par l’industrie touristique avaient été ceux d’une croisade puritaine soutenue par quelques anglais offusqués du comportement alcoolique de leurs concitoyens ? Un siècle et demi plus tard le tourisme se porte bien. Selon les chiffres publiés par l’OMT (Organisation Mondiale du Tourisme) il est le plus grand secteur économique mondial avec 852 milliards de dollars en recettes d'exportation,2 soit environ

10% du revenu mondial.3 Si les chiffres sont vertigineux c’est que l’OMT prend en compte toutes les formes de déplacement, du voyage d’affaires au tour operator en passant par la migration pendulaire. Dans cette masse en mouvement, comment saisir alors la figure du touriste ? Il serait d’abord nécessaire de l’immobiliser, puis pour en dresser le portrait il faudrait nier la multiplicité de ses visages et de ses identités. Ici, seule la figure subjective du modèle moyen sera considérée, celle que l’on croise agglutinée autour des monuments, suant en tongs-chaussettes dans les artères historiques des grandes capitales. Le touriste n’est pas n’importe quel voyageur. Il n’est ni le vagabond, ni le chemineau, ni le pèlerin ou le mercenaire, ni l’exilé ou le migrant. Il n’est pas non plus l’égal du vacancier « qui ne devient disponible pour rien ».4 Le touriste éprouve l’absolue nécessité de touristiquer, de se

présenter aux divers points d’intérêt que lui souligne sa carte détaillée de la région et d’exercer son insistance à travers toutes les activités qui lui seront proposées. Il est le consommateur mobile et s’évertue donc à consommer sans arrêt. Il consomme de l’art, de la culture, de l’architecture, du paysage, de façon tout à fait semblable qu’il engloutit, épuisé, le snack que lui tend un marchand ambulant au coin d’une rue. Aux abords de l’Histoire et de l’espace qui se déploient devant lui, où tour à tour les mille-feuilles architecturaux et les prouesses de l’intelligence et de l’habileté humaine se soumettent à son regard, l’homo touristicus se fait le chantre de l’inadaptation. On le voit chaque matin prendre son petit déjeuner dans le lobby climatisé de l’hôtel, puis partir en vadrouille dans son car (air conditionné). Il n’en sort, sous un soleil de plomb ou un vent glacial, que pour se réfugier dans le musée ou la cafétéria (air conditionné) dans laquelle il

Aujourd’hui, une ligne ferroviaire relie plusieurs fois par jour Aguas Calientes à Cusco. Prix du billet : 90$. Mais, la compagnie exploitante Perurail appartient à un consortium britanno-chilien. Cette mainmise étrangère sur la ligne de chemin de fer la plus touristique du pays a provoqué de nombreuses réactions parmi la population locale. Totalement oubliés dans la redistribution des bénéfices, les indigènes conçoivent de moins en moins que certains voyageurs s’offrent des suites à $800 au Sanctuary Lodge ; plus de trois fois leur salaire mensuel moyen. Par conséquent, des groupes de résistance s’organisent pour alerter l'opinion publique et tenter de faire plier le gouvernement péruvien complètement

Le touriste est un émetteur plus qu'un récepteur. Son contentement est éphémère, mais son empreinte est durable. (http://www.castelinho38.com/blogger/2009_02_01_archive.html) 15

SUITE


VOYAGE aura la chance de déguster un menu local, conditionné lui aussi, afin de s’éviter tout risque de turista. Si le touriste s’entoure ainsi de climatiseurs c’est justement pour ne pas avoir à s’acclimater. Il exige les mêmes standards de vie qu’à la maison. Voir du nouveau, oui ; en accepter les contraintes, pour rien au monde ! Rien d’étonnant à ce qu’on associe si souvent le touriste à la mondialisation, les deux participent d’une exigence commune d’uniformisation globale, de standardisation des cultures et des genres de vie. Là se situe le paradoxe du touriste : demander de la différence culturelle tout en lui faisant subir un nivellement. On finit par réclamer un ailleurs semblable à son ici, et dans la familiarité, on neutralise ce qui nous est étranger.

Si le touriste s’entoure ainsi de climatiseurs, c’est justement pour ne pas avoir à s’acclimater Dans le déplacement touristique, la hantise première est le grain de sable. Celui qui vient se loger dans la mécanique parfaitement huilée du tour operator. Il n’y a pas de tolérance possible pour le retard, l’imprévu, ou l’aléa pouvant entraver le programme fixé. Un pneu éclate, c’est la panique ! On ne sera jamais à l’heure pour le repas du soir. La cadence des aiguilles dicte le pas à prendre. Car ce fonctionnaire du voyage est mû par une inaltérable volonté de rentabiliser chaque effort par une récompense : du beau, labellisé par les guides touristiques et les agences de voyages. Peut être faut-il encore remuer Bouvier et lui expliquer que « prendre son temps est le meilleur moyen de n’en pas perdre ».5 Après avoir fait son circuit et vérifié avec minutie l’exactitude des informations délivrées par son guide de voyage, cet « aveugle qui patrouille et inspecte »6 peut ressentir une certaine frustration, une sorte d’absence qui lui taraude l’estomac... C’est l’ennui. Sa démarche est-elle un peu rébarbative ? Il conclut à un manque de frissons. Se développe alors une nouvelle forme de tourisme, celui de l’extrême, où ceux qui craignent l’aventure ont enfin la possibilité de l’anéantir par la performance. Descentes en rafting, ascensions des pics les plus élevés, treks équipés de plusieurs jours, traversées de mers et d’océans à la rame, course à pied en Antarctique ; en somme la pratique sportive 16

VOYAGE de la haine de soi, « logique exacerbée dans les commandos militaires ou les cellules monacales ».7 A sélectionner quelques unes de ces pratiques pour illustrer le propos, autant s’intéresser aux plus originales. La première se déroule à El Alberto au Mexique et propose le temps d’une nuit, d’endosser le rôle d’un clandestin mexicain franchissant, tapi dans la boue et l’obscurité, la frontière américaine. Avec coups de feu à blanc, passage à tabac simulé d’immigrants, poursuite à la lampe torche, patrouille de 4x4 avec gyrophare et mégaphone, traversée du Rio Bravo à la nage et dissimulation dans les broussailles ; soit la panoplie complète pour s’assurer un spectacle réaliste fournissant la dose de stress et d’adrénaline voulus. Le but avoué étant de rendre hommage aux migrants et faire prendre conscience du voyage entrepris pour atteindre le rêve américain.8 Dans le second exemple, on touche à un genre nouveau de safari dans lequel il n’est plus question de pénétrer en jeep sur le territoire des lions pour les photographier et se faire quelques frayeurs, mais presque. Il s’agit des favelas tours, où la savane est remplacée par une jungle de tôles et de briques et les animaux que l’on observe savent parler. A Rio de Janeiro cela fait plus de dix ans que diverses agences à travers la ville proposent des excursions dans ces bidonvilles. C’est un business florissant, et chaque année la clientèle augmente de 15%.9 Le tour commence par une balade en minibus puis se poursuit à pied. On arpente les rues sans jamais s’éloigner du tracé indiqué par le guide qui invite à «  apprécier le contraste entre les riches et les pauvres ».10 On observe des bâtisses en tôle, des rues, des échoppes, des bars et des banques. Les gens vaquent à leurs occupations quotidiennes, vont au marché, travaillent, se promènent, mangent, dorment, pensent, vivent. Le constat final est évident. Les habitants de la favela sont des gens comme nous malgré un manque de moyens et une misère visible. On est donc rassuré, l’autre est bien un alter ego, un semblable. Ouf ! on s’attendait presque à se faire dévorer au coin d’une ruelle, dommage. Les agences qui proposent ces excursions, les justifient par une retombée économique pour les habitants de la favela, ce qui n’est pas tout à fait exact. La majeure partie des fonds reversés servant en fait à payer les droits de passage auprès du caïd

de la favela.11 Comme l’explique le sociologue Rachid Amirou, l’agence devient ainsi une caution morale qui déresponsabilise et désengage le touriste de tout questionnement éthique. On lui inculque l’idée qu’il fait une bonne action. « Or, si ce tourisme n'est pas accompagné d'une réflexion, c'est du voyeurisme ».12 Voyeurisme ? Indécence ? On peut le croire. Quitte à observer de la misère, autant faire un tour en périphérie de sa ville pour y photographier les barres d’HLM et la précarité florissante. Mais cela renvoie peut être trop brutalement au visage une réalité sociale sur laquelle on pourrait avoir une véritable prise politique et un pouvoir d’action. Les motifs invoqués pour justifier ce type de tourisme peuvent se diviser en deux catégories : soit le devoir de savoir ou de mémoire, soit l’intérêt économique pour les populations locales. Ces deux arguments se tiennent avec difficulté sur le fil du rasoir. Ce devoir de savoir était précisément le prétexte avancé pour justifier le déplacement forcé de villages entiers d’Afrique ou d’Asie lors des expositions coloniales. Sous couvert d’une meilleure connaissance de l’autre, on a longuement étudié, ausculté et dévoilé au public les mystères de ces étrangers de cirque ou de cabinet. A l’image de la Vénus hottentote13 qui après avoir été exposée toute sa vie, a terminé le squelette moulé dans du plâtre et les parties génitales dans des bocaux de formol, pour le bien de la science.

Le tourisme bouleverse l’économie locale, renverse les rapports de pouvoir, crée un déséquilibre institutionnel et social Sans en arriver à une telle extrémité, nous sommes en droit de nous poser la question d’une forme de résurgence colonialiste dans le tourisme et ce malgré les avertissements d’une Béatrice Giblin ou d’une Maie Gérardot.14 Elles soutiennent que tourisme et colonialisme sont incomparables, car les touristes seraient uniquement de passage et donc dans l’impossibilité d’exercer un pouvoir durable ; sans compter qu’ils « viennent de façon très pacifique et le plus souvent avec les meilleures intentions du monde ».15 L’innocence et les bonnes intentions du public des expositions coloniales, si elles n’ont pas activement pris part à la déportation de ces tribus, n’ont jamais, il est certain, remis en question, ni modifié la nature de telles expositions.

Si le tourisme ne peut en aucun cas être considéré comme un colonialisme semblable en violence et en domination à celui des siècles passés, disons qu’il soulève maladroitement le voile de souffrances enfouies. Non pour les comprendre ou les panser, mais effectuer une sorte de mimétisme amoindri, de tropisme atavique qui gratte une mémoire désagréable. Pour ce qui concerne l’intérêt économique des populations locales, signalons que l’effet premier du surgissement d’une économie touristique dans un microcosme est généralement plus néfaste que positif, surtout si ce dernier n’y a pas été préparé. En permettant à quelques privilégiés, comme les caïds des favelas, de s’enrichir rapidement, le tourisme bouleverse l’économie locale, renverse les rapports de pouvoir, crée un déséquilibre institutionnel et social. Le tourisme devenu ainsi interventionnisme, crée de nouvelles tensions politiques et sociales au sein de la communauté qui y est confrontée. Cela ne veut pas dire que tout lieu, toute communauté atteint par le tourisme doit devenir infréquentable. L’idée n’est pas de stopper toute forme de changement pour instaurer un immobilisme économique et social mais plutôt de penser le changement par une régulation du tourisme. D’où l’importance pour un auteur comme Jean-Michel Hœrner de créer une tourismologie, ou science du tourisme, qui permettrait d’étudier, de comprendre et de réguler les flux touristiques pour maîtriser leur impact et leur influence.16 Le tourisme ne peut donc pas se justifier par son aide au développement local. D’ailleurs, si le motif profond de ces visites était la volonté d’aider les populations, rien n’empêcherait quiconque de s’investir réellement. Mais le touriste n’est ni acteur ni militant, il n’est que spectateur, donc superficiel. N’être confronté que quelques heures à ces réalités désarmantes et complexes n’est pas engageant. Il est ainsi plus confortable d’apprécier un instant la misère, de consommer prestement du regard pour retourner aussitôt à ses habitudes et son train de vie. Le touriste n’est pas celui qui voyage17 mais celui qu’on voyage. Il tourne. Retour au point de départ, sans que le déplacement spatial n’ait opéré de déplacement identitaire. A l’image de la Reine Rouge de Lewis Carroll, il doit courir longtemps pour rester à la même place.18

Dès lors, comment voyager ? Nous sommes tous quelque part un peu touriste. Un moyen éventuel de pallier une « touristite » lors de déplacements, serait d’être constamment disponible, dilué dans l’instant. Le touriste ne conjugue jamais au présent. Ses deux pics d’excitation sont la préparation pré-voyage et la consultation post-voyage. Le présent, il l’avale dans l’œil mécanique de sa caméra ou de son appareil photo, le consomme sans trop y faire attention plus préoccupé par son confort ou sa sécurité immédiate. Le voyage requiert ce présent comme une condition sine qua non de sa réalisation. Il doit être compris, vécu, comme une quête initiatique mettant sans arrêt en jeu l’identité.19 « On ne voyage pas pour se garnir d’exotisme et d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore... ». 20

Le voyage requiert ce présent comme une condition sine qua non de sa réalisation. Il doit être compris, vécu, comme une quête initiatique mettant sans arrêt en jeu l’identité

1 Sociologie du tourisme, Saskia Cousin, Bertrand 1 Réau, Ed. La Découverte, Paris, 2009 2 Chiffres pour 2009 de l’OMT (http://www.unwto.org 2 /aboutwto/why/fr/why.php?op=1) 3 Géopolitique du tourisme, Jean-Michel Hœrner, 3 Ed. Armand Colin, Paris, 2008 4 http://w w w.monde-diplomatique.fr/2001/07/ 4 PAQUOT/15344 5 L’usage du monde, Nicolas Bouvier 6 Après l'Histoire II, Philippe Muray 7 Théorie du voyage, Michel Onfray 8 http://www.parqueecoalberto.com.mx/ (http:// 8 www.courrierinternational.com/article/2007/11/ 8 15/dans-la-peau-d-un-clandestin-mexicain) 9 http://www.youphil.com/fr/article/0637-tourisme9 de-la-pauvrete-solidarite-ou-voyeurisme?ypcli=ano 10 http://www.liberation.fr/monde/010158616-les10 favela-tours-font-fureur-a-rio 11 http://www.youphil.com/fr/article/0637-tourisme 11 -de-la-pauvrete-solidarite-ou-voyeurisme?ypcli=ano 12 ibid 13 La Vénus hottentote ou Vénus noire, de son vrai 13 nom Sawtche, était une esclave africaine, déportée 13 au début du X I Xe. Elle devint bête de foire en 13 Europe à cause de sa morphologie caractéristique : 13 hypertrophie des hanches et des fesses, avec des 13 organes génitaux protubérants. Elle fut exposée en 13 Angleterre, en Hollande et en France, où contre 13 quelques sous on pouvait la voir et la toucher. Par 13 la suite on la prostitua et elle devint objet d’étude. 13 C’est Georges Cuvier qui s’appuya sur la forme aty13 pique de son corps pour estimer l’infériorité des 13 peuples africains. Puis à sa mort, il moula son sque13 lette et recueillit ses parties génitales dans des 13 bocaux de formol comme preuve irréfutable de ses

Si le rôle du voyageur est de reconstituer un temps et un espace vital à travers une prise de risque mesurée, le touriste est, quant à lui, étalon quantifieur du risque zéro. Idéal-type d’une société qui écarte avec soin le danger, le risque, et conditionne ainsi à l’irresponsabilité.

13 théories racistes. Elle est aujourd’hui une figure 13 symbolique du traitement infligé aux esclaves au 13 nom de la science. A voir et à lire : Vénus noire, le 13 film d’Abdellatif Kechiche et Vénus hottentote, 13 Sarah Bartman le livre de Carole Sandrel, tous 13 deux sortis en 2010. 14 http://www.espacestemps.net/document5453.html 15 ibid

Le but définitif d’un voyage serait-il alors de trouver une sorte de voie du milieu ? Entre l’expédition suicidaire et le tour operator ? Ce qui compte c’est s’interroger sur la manière. Car s’il y a une différence décisive entre voyageur et touriste c’est que « l’un quête sans cesse et trouve parfois, l’autre ne cherche rien, et, par conséquent, n’obtient rien non plus ». 21

16 Traité de tourismologie. Pour une nouvelle science 16 touristique, Jean-Michel Hœrner, Ed. PUP, Perpignan, 16 2002 17 Géopolitique du tourisme, Jean-Michel Hœrner, 17 Ed. Armand Colin, Paris, 2008 18 De l'autre côté du miroir, Lewis Carroll. La théorie 18 de la Reine Rouge, hypothèse de biologie évolu18 tive proposée par Leigh Van Valen, est construite 18 sur cette métaphore. Elle stipule que les espèces 18 doivent sans arrêt se réadapter dans un rapport de 18 co-évolution antagoniste. Les prédateurs devenant 18 plus forts, les proies devenant plus rapides, il y a 18 un immobilisme des rapports de force dans l’évolu18 tion constante des espèces. Parallèle intéressant 18 pour le cas de l’homo touristicus, seule espèce que 18 son inadaptation n’a pas fait disparaître, bien au 18 contraire, vu la croissance et la prolifération de sa 18 sa population. 19 Théorie du voyage, Michel Onfray 20 Le Poisson-Scorpion, Nicolas Bouvier 21 Théorie du voyage, Michel Onfray

17


Pour cette édition, International.ink offre spécialement quelques lignes au voyeurisme et à la surveillance. Nota bene : les trois auteurs ne se sont pas concertés pour la rédactions de leurs articles. Ils apportent chacun leur propre éclairage. Bonne lecture !

ZOOM

La neutralité : moteur de l’innovation Si nous devions cependant qualifier explicitement la neutralité du réseau cee serait peut être en les termes de Lawrence Lessing, l’un des grands défenseurs de la neutralité du réseau : « Net Neutrality means simply that all like internet content must be treated alike and move at the same speed over the Network ».2 En d’autres termes, le concept de neutralité du réseau suggère que tout paquet d’informations, quelque soit son origine et sa destination, doit être traité de manière égale par le réseau. La notion de neutralité du réseau découle directement de l’un des principes fondamentaux de l’internet, le « end-to-end principle ». Le « end-to-end principle» suggère qu’il est préférable de placer « l’intelligence », le traitement de l’information, non au centre du réseau mais aux extrémités de la communication (le serveur et le poste-client).3 Le « end-to-end principle» permet ainsi le lancement de nouveaux services sans qu’aucune modification de l’architecture du système ne soit nécessaire, sans qu’aucune autorisation d’un quelconque prestataire de réseau ne soit requise et tout cela à moindre coût - Facebook et Google ont été lancé par des étudiants.4 Le seul arbitre existant au sein d’une telle structure est le succès commercial du produit.5

(photo : Steve Rhodes)

La question qui déchaine les passions aujourd’hui est celle de la neutralité pour les services aux usagers.6 Est ce que tous les sites sont traités équitablement par le réseau ? Y a-t-il discrimination des paquets d’informations ? Qu’implique-t-elle ? Est ce la fin de la neutralité? Les évènements de ces derniers mois

témoignent d’une progressive et délicate remise en question de la neutralité du réseau.7 Le 4 août dernier, Google provoquait d’ailleurs le scandale en négociant avec Verizon le transfert prioritaire de ses services moyennant un arrangement financier.

Le concept de neutralité du réseau suggère que tout paquet d’informations, quelque soit son origine et sa destination, doit être traité de manière égale par le réseau « Innovation without permission » Les défenseurs de la neutralité du réseau crient au scandale à l’évocation d’une telle discrimination des paquets d’information car ils y voient une grave menace à l’innovation. En effet, seules les compagnies qui parviendraient à obtenir un contrat salutaire avec un fournisseur d’accès internet tirerait les avantages du Net au détriment peut être de « meilleures » compagnies : « the economics of the Net will start to favor the consolidated, the well-connected, the well-heeled ».8 Facebook, Google, Skype et bien d’autres encore sont aujourd’hui des compagnies florissantes car elles ont bénéficié en leur état de start up d’une absence de barrières au marché du Net. Tolérer la moindre discrimination dans les paquets d’information, c’est, pour les défenseurs de la neutralité, la porte ouverte à tous les abus. Sans un certain nombre de régulations, une compagnie fournissant à la fois l’accès internet et un service de télécommunication pourrait alors privilégier son propre contenu en bloquant un service concucurrentiel.9 De plus, dans un monde sans neutralité du réseau, lever des fonds auprès d’investisseurs s’avère d’autant plus difficile qu’il faut désormais obtenir un contrat favorable avec un fournisseur d’accès internet et qui plus est, concurrencer leurs services qu’ils tendront à favoriser. De telles incertitudes de marché laissent à penser que les investisseurs, sans promesse d’une neutralité, seront réticents à investir. L’Etat se doit donc de protéger l’innovation en empêchant toute discrimination sur le marché du Net. « Innovation without permission » - c’est le maître mot de la réussite du Net et il convient de le préserver ainsi selon les défenseurs de la neutralité du réseau.10 Une évolution nécessaire La neutralité du réseau est-elle véritablement en danger ? Les défenseurs de la neutralité semblent bien souvent surestimer le pouvoir de certaines compagnies, comme Comcast par exemple, à véritablement modifier l’architecture de l’internet. De nombreux exemples démontrent que lorsqu’une compagnie abuse de sa position dominante pour bloquer un service concurrentiel, elle connait un significatif recul de ses utilisateurs et ces derniers tendent d’ailleurs à contourner ses interférences par leurs propres moyens.11 Dans le cas opposant Comcast et BitTorrent, les internautes ont contourné les filtres de Comcast par une version codée du protocole de BitTorrent.12 En entravant la liberté des utilisateurs,

Net Neutrality Protest at Google HQ.

18

VOYEURISME ET SURVEILLANCE

VOYEURISME ET SURVEILLANCE

NEUTRALITÉ DU RÉSEAU : VERS UNE RÉGULATION DU NET ? AUDE FELLAY • Définir précisement la notion de neutralité du réseau est une entreprise illusoire : « Ask five geeks and you may well be given six definitions of it ».1 Ce manque de cohérence est d’autant plus étrange que la question est âprement débattue, sur la scène américaine notamment et depuis quelques mois, au sein de la Commission européenne.

ZOOM certaines compagnies prennent donc le risque de perdre leur clientèle. Et si les défenseurs craignent que l’innovation soit ralentie par la nécessité d’obtenir un contrat pour accéder au profit du Net, certains y voient une évolution naturelle de marché du Net qui doit faire face à une congestion du réseau de plus en plus importante : « as systems become larger and more complex, it now makes sense in cost terms for providers to implement more complex terms of service to wring maximum value out of their networks. »13 On estime que dans 5 ans le marché du Net aura triplé. La congestion du réseau risque de devenir un problème récurrent. Peut-on vraiment blâmer certaines compagnies de vouloir éviter les ”bouchons”? L’internet évolue, grandit, change. Si son architecture a fait son succès, refuser le constat de son changement risquerait d’entraver son avenir.

1 Questionnez 5 geeks à son propos, vous obtiendrez probablement 6 définitions différentes. http://www.economist.com/node/17800141?story_id=17800141. 2 JOURNALONTELECOMMUNICATIONSANDHIGHTECHNOLOGYLAW,p.80. 3 http://blog.mondediplo.net/2010-08-09-Google-et-la-neutralite-du-reseau 4 http://www.nytimes.com/roomfordebate/2010/8/9/who-gets-priority-on-the-web/ net-neutrality-is-hard-to-define 5 http://blog.mondediplo.net/2010-08-09-Google-et-la-neutralite-du-reseau 6 http://blog.mondediplo.net/2010-08-09-Google-et-la-neutralite-du-reseau 7 http://blog.mondediplo.net/2010-08-09-Google-et-la-neutralite-du-reseau 8 http://www.nytimes.com/roomfordebate/2010/08/09/who-gets-priority-on-theweb/an-impenetrable-web-of-fees 9 http://www.economist.com/node/17800141?story_id=17800141

Vers une régulation du Net ? Enjeu politique et économique, la question de la neutralité du réseau est si fondamentale qu’elle relève, selon ses défenseurs, de l’Etat de réguler et de surveiller le marché du Net. Mais l’intervention de l’Etat n’est pas sans conséquence et son ingérence sur le marché du Net risque d’entraver d’avantage son fonctionnement. Certains craignent par exemple que des lois protégeant la neutralité du réseau constituent une barrière à l’entrée : « Filing network neutrality complaints against competitors could become a useful harassment technique, forcing entrepreneurs to waste valuable time pleading their case before the FCC».14

10 http://www.opposingviews.com/arguments/net-neutrality-is-the-catalyst-for-onlineinnovation 11 http://www.opposingviews.com/arguments/network-neutrality-is-not-in-danger 12 Comcast est l’un des plus grands câblo-opérateur et fournisseur d’accès internet aux Etats-Unis. BitTorrent est un logiciel (et protocole) permettant le transfert de fichiers en pair à pair. http://www.opposingviews.com/arguments/network-neutrality-is-not-in-danger 13 Plus le système devient large et complexe, plus il y a une nécessité pour les fournisseurs d’accès internet en terme de coûts d’ établir des termes de service plus complexes afin d’optimiser la valeur de leurs réseaux.

La question de la régulation de Net par l’Etat est éminemment délicate et l’ampleur du débat aux Etats-Unis en témoigne. Cette ferveur américaine pour la question de la neutralité du réseau n’est pas sans intérêt et suggère peut être un problème plus fondamental et plus spécifiquement américain: le manque de concurrence des fournisseurs d’accès internet. Aussi si en théorie, la neutralité du réseau n’est pas à réguler parce que le marché se charge de le faire, le manque de concurrence ne permet pas une régulation optimale par le marché. La question de la neutralité du réseau écarte peut être le débat américain d’un problème plus essentiel et très probablement plus difficile à résoudre que l’élaboration d’une série de lois protégeant la neutralité.15

Facebook, Google, Skype et bien d’autres encore sont aujourd’hui des compagnies florissantes car elles ont bénéficié en leur état de start up d’une absence de barrières au marché du Net Si le débat reste plus marqué aux Etats-Unis, il prend également part en Europe. La Commission européenne et le Parlement européen organisaient d’ailleurs en novembre dernier un sommet sur la neutralité du réseau suite à une consultation publique sur l’internet ouvert et la neutralité de Net.16 Les résultats de la consultation laisse à penser que la question de la neutralité du réseau risque de faire couler encore beaucoup d’encre : « The consultation did not reveal a widespread call for further EU legislation, but there is an expectation that additional guidance may be needed in the future ».17 Affaire à suivre.

19

http://www.ft.com/cms/s/0/d9611768-c310-11de-8eca-00144feab49a.html 14 Remplir des formulaires de plainte contre des concurrents pourrait devenir une technique d’ harcèlement utile, forçant les entrepreneurs à perdre un temps précieux à défendre leur cause devant la Commission fédérale des communications. http://www.opposingviews.com/arguments/beware-the-unintended-consequencesof-regulation 15 http://www.economist.com/node/17800141?story_id=17800141 16 http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/10/1482&format=HT ML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en 17 La consultation ne révéla pas de besoins répandus pour une plus grande législation de la part de l’Union européenne, mais une intervention est envisageable dans le futur. http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/10/1482&format=HT ML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en


ZOOM

ZOOM

VOYEURISME ET SURVEILLANCE

VOYEURISME ET SURVEILLANCE

DE LA CARTA MAGNA AU PATRIOT ACT : UNE MÉMOIRE BIEN VOLATILE.

« La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 apparaît comme la dernière pierre de ce sacro-saint édifice, encore endurcit par la violence des deux guerres mondiales et l’évidence alors d’affirmer internationalement la valeur de l’homme face aux desseins funestes des gouvernements » (John Locke). Et puis, nouvel événement sanglant, déclencheur d’une fracture dans l’histoire : le 11 septembre 2001. Inutile de se remémorer les faits, ceux-là, la population s’en rappelle. Par contre, les mesures contenues dans le Patriot Act I, adoptées le vingt-cinq octobre par le Congrès américain, sont passées bien plus inaperçues. Pas d’images en boucle de la Tour des libertés s’effondrant sous la violence du vote quasi unanime du Congrès. Les principaux axes de cette loi : le droit de mettre sous écoute une personne soupçonnée d’être en contact avec un terroriste présumé, l’accès à ses dossiers bibliothécaires, la « visite » de son appartement sans passer par une autorisation de perquisition par le pouvoir judiciaire, la conservation de son historique web… Fait étonnant, la France, comme au dix-huitième siècle, a suivi l’élan de son voisin éloigné en adoptant la Loi sur la Sécurité Quotidienne,

20

propageant les mêmes idées que le Patriot Act I. Ce dernier n’a pas été remis en question puisque deux ans plus tard, il a été réactualisé et renforcé avec la version numéro II. Petit rappel, en 1679, l’Habeas Corpus prônait plus de liberté individuelle pour garantir une certaine sécurité personnelle face à l’arbitraire du souverain. En 2001, l’argument se renverse subitement lorsque les gouvernements se retrouvent face au dilemme de la sécurité versus les libertés individuelles : il faut restreindre cette dernière afin de garantir la sûreté de tous. Quel retour en arrière pour des pays qui exhibent fièrement à leur côté l’adjectif « avancé ». Apparemment, ces grands politiciens se targuant d’avoir, pour la plupart, fréquenté les meilleurs écoles, ont vite oublié leurs cours d’histoire et de philosophie du droit. Et cela ne paraît être que le début d’une amnésie générale et sélective. « L’ONU a en effet établi des listes noires où figurent des individus soupçonnés de terrorisme ». Elles sont dès lors privées de tout activité rémunérée, même celle de vendre leurs biens personnels. Et s’il s’avère que ce soupçon est infondé, aucune indemnisation n’est prévue.

Cet article ne veut nullement faire un éloge aveugle de la curiosité, mais plutôt se pencher sur ses excès, ses déviances ; envisager ses limites afin de la faire vertu. Quelques-uns pourraient arguer que la curiosité est inutile, gratuite : qu’elle ne sert à rien. Pour Nicole Csechowski cependant, « la curiosité est le signe de ce qu’il y a de singulier en l’homme : chercher à savoir au-delà des connaissances élémentaires indispensables à sa survie et de ce qui semble strictement nécessaire. »1 Nous pouvons alors comprendre la curiosité comme l’apanage d’un individu qui prendrait le risque de rompre avec ses certitudes. Un individu éveillé, les sens agités, capable de s’intéresser au paysage de l’autre. Une curiosité empathique, où le curieux se rend disponible à ces expériences non vécues, s’abandonnant à un sentiment, une émotion. Une curiosité qui débuterait par l’appel du vide, d’où toute vanité serait absente. Une curiosité telle que Pierre Pachet l’exprime : « C’est là que la curiosité apparaît dans sa plénitude : elle cesse d’être un désir d’acquérir, d’accumuler ce qui reviendrait au moi ; à travers le plaisir d’apprendre, l’âme se révèle sa vraie nature, qui l’apparente à la connaissance elle-même. »2 Selon cette vision de la curiosité, raison est donc donnée à la femme de Barbe Bleue.

Georges Orwell est passé à côté d’une vocation, la voyance lui aurait rapporté gros.

A l’inverse de cette apologie de la curiosité, découvrons son côté sombre et laissons s’exprimer ses détracteurs. En effet, l’intérêt que nous portons aux autres n’est pas forcément synonyme de sympathie. Pour Vladimir Jankélévitch qui soutient que la curiosité se nourrit de détails, d’anecdotes relevées, la curiosité reste pointilliste et, sautant d’un objet à l’autre, elle n’ouvre qu’à une connaissance dérisoire, au contraire de la sympathie vraie qui débute, elle, en l’absence de toute curiosité.

Ce désir de ne pas savoir n’est nullement absence de désir. Quand le premier relève d’une dynamique de l’ignorance, de points précis d’aveuglement, de résistances intérieures articulées à une éthique du respect ; le deuxième est inattention, indifférence à autrui, inertie totale de la conscience. Interrogeons ce respect : se veut-il protection de l’autre ou préservation personnelle ? La volonté de ne pas entendre peut cacher une faiblesse, une paresse. Ne voulant pas être déstabilisé, nous cherchons, pour notre propre confort, à sauvegarder l’intégrité et la tranquillité de notre territoire. Afin de ne pas trop nous impliquer, d’éviter certains choix difficiles et nous garder d’une culpabilité future, nous nous replions dans notre tour d’ivoire, à l’abri des violences et aux portes de l’indifférence. Brutalité par le refus délibéré d’entendre ! L’autre se voit alors interdit de raconter son histoire qui risquerait de faire désordre, de ruiner l’harmonie d’un monde idéal et fantasmé. Il est vrai que nous pourrions encore essayer d’envisager l’indifférence autrement que comme un vide et être curieux de notre propre incuriosité. Pourtant, en permettant la persévérance du mal et la pérennité de l’erreur, l’indifférence peut rarement être honorable. Il ne convient pas de dire : « je ne savais pas », quand il fallait faire attention. La vérité, ne se révélant pas d’elle-même, il faut un receveur. Insensible aux victimes, l’indifférence est une collaboratrice hors pair. Enfin, n’est-il pas utile de remettre en question le lien unissant l’exhibitionniste au curieux, le violé au violeur ? Si l’on affirme que pouvoir dire n’importe quoi n’importe où revient à se libérer du jugement des autres, à s’affranchir de l’opinion, nous finissons par trop nous exposer, et devenir des objets de discours. Il est indispensable de cerner les contours de l’intime de manière plaisante et de limiter sa divulgation dans l’espace public. La pulsion de la curiosité se fane devant l’obscénité de la surexposition. Elle a besoin du clair-obscur. Comme le dit Alice Chalanset : « Trop d’objets, trop de lumière, de proximité, cela détruit le désir, cela produit l’indifférence, voire l’écœurement et le dégoût. Devant trop de nourriture, les bouches se ferment. Et de même l’esprit : il s’agit là de la perte globale de l’appétit de savoir. »4

1 Czechowski N., La curiosité, vertiges du savoir, Editions Autrement, Paris, 1993, p. 12.

La curiosité est « le pique-assiette », sélectionnant des séries de faits divers. La sympathie est « l’amoureux », qui, se moquant des détails, des particularités matérielles, adopte la personne toute entière. Alice Chalanset interroge elle aussi cette curiosité au service de soi, qui accumule un savoir mort sitôt acquis : « Que vaut le savoir quand il devient à lui-même sa propre fin, que vaut la vie des autres devenue pur spectacle, divertissement pour les familles, ou aliment pour la rumeur ? »3 Plus dangereuse encore est la curiosité devenue viol, transgressant les frontières de l’intime, bafouant le droit au secret de chacun.

2 PACHET, P., La curiosité, vertiges du savoir, Editions Autrement, Paris, 1993, p. 19. 3 CHALANSET A., La curiosité, vertiges du savoir, Editions Autrement, Paris, 1993, p.132. 4 CHALANSET A., La curiosité, vertiges du savoir, Editions Autrement, Paris, 1993, p.122.

On ne viendra pas à bout de la curiosité en manquant de s’interroger sur sa sœur ennemie : l’incuriosité : figure de l’indifférence ou du respect de l’autre ? Championne de l’égoïsme ou de la grandeur d’âme ? Pour les défenseurs d’un aveuglement volontaire, il existerait des aspects de la vie où le refus de savoir s’apparente à une vertu. Dans le souci du respect des convenances, ils détourneront leur attention d’une conversation surprise par hasard, refusant la position du voyeur. Ils ressentiront de la honte et de l’inconfort suite aux intrusions clandestines en terre étrangère, répugnant à entendre ce qui ne leur est pas adressé, mal à l’aise de devenir détenteurs d’un secret trop mal gardé. Respecter le secret de l’autre revient à ne pas le lui dérober.

21

(photo : Claire Clamblain)

Tout commence en Angleterre en 1215. Les Anglais font signer à Jean sans Terre la Carta Magna, la Grande Charte. C’est la première trace écrite de la limitation de l’arbitraire royal, notamment lorsque celui-ci décide d’arrêter et d’emprisonner ses sujets. Les mécanismes d’application se mettent en place bien plus tard, en 1679, avec l’Habeas Corpus Act. Il permet à toute personne de disposer de son corps devant la justice, faisant naître un principe fondamental : la liberté individuelle. Désormais, les soldats du roi ne peuvent plus s’introduire brutalement dans la maison d’un individu et le mener aux geôles sans procès ; ici sonne, théoriquement, le glas du délit de « sale gueule ». John Locke, renforce cette idée quelques années plus tard lorsque dans sont « Traité sur le gouvernement civil, il écrit : « Et lorsque sa conservation n’est point en danger, il doit (l’homme), selon ses forces, conserver le reste des hommes, et à moins que ce ne soit pour faire justice de quelques coupables, il ne doit jamais ôter la vie à un autre, ou préjudicier à ce qui tend à la conservation de sa vie, par exemple, à sa liberté, à sa santé, à ses membres, à ses biens ». Il définit ici un Etat de nature, inaliénable. La Déclaration d’indépendance américaine de 1776 ainsi que la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 vont toutes deux largement s’inspirer de ces écrits. Elles consacrent légalement et publiquement des idées qui vont continuer à se répandre dans les sociétés occidentales. Les exemples historiques de cette liberté de l’homme à disposer de sa vie privée, de ses biens, d’exprimer librement ses idées religieuses ou politiques se suivent dans une certaine continuité, avec de nouveaux éléments.

CLAIRE CAMBLAIN • Vous avez sans doute déjà tous entendu parler de la triste histoire de la femme de Barbe Bleue. Cette jeune mariée assassinée pour avoir eu le malheur d’ouvrir la seule pièce qui lui était interdite. Bah, la curiosité est un vilain défaut, me direz-vous, pas la peine d’en faire tout un plat ! Mais la curiosité peut être plus qu’un vilain défaut. Elle mérite que nous prenions le temps de la regarder plus intensément, de nous demander en quoi est-elle subversive ? Anne, ma sœur Anne, l’épouse transgressant l’interdit est-elle coupable ou innocente ? La passion de la curiosité peut-elle pousser à la faute ? La curiosité est-elle viol ou empathie ?

(http://www.flickr.com/photos/dr_john2005/2100613261/in/photostream)

VICTORIA BARRAS • Selon une vieille croyance populaire, le poisson rouge aurait une mémoire de quelques secondes. L’être humain est, soit disant, bien mieux doté de cette faculté de se souvenir. Pourtant, depuis peu, les Occidentaux semblent d’accord de restreindre leurs libertés individuelles, oubliant qu’il a fallu plusieurs siècles pour les obtenir. Simple ignorance ou dédain volontaire de droits que nos ancêtres jugeaient primordiaux ?

ANNE, MA SŒUR ANNE !


VIE UNIVERSITAIRE

VIE UNIVERSITAIRE

FUTUR DES RELATIONS INTERNATIONALES : BALLON DE BAUDRUCHE OU SECRET DE POLICHINELLE ? Le 8 décembre 2009 le recteur de l’Université de Genève chargeait un groupe de travail composé exclusivement de professeurs de « formuler des scénarios relatifs au développement du domaine des études internationales à l’Unige ». Trois objectifs avaient été fixés : 1) Améliorer la gouvernance du BARI. 2) Renforcer la formation et la recherche. 3) Sonder les possibilités de créer une offre de maîtrise et/ou une offre post-grade en relations internationales. Un an est passé, un an de négociations et de spéculations mais force est de constater que rien n’a changé. Le BARI se trouve plus que jamais aux prises avec des forces qui le dépassent. Rapports de force inter-facultaires, réticences à dégager des fonds supplémentaires, c’est un véritable jeu de dupe qui se déroule. La gouvernance à l’heure de la realpolitik Baccalauréat fantôme, à la croisée des chemins entre trois facultés et un nombre encore plus important de départements, les Relations Internationales semblent de plus en plus difficiles à gérer en raison de la croissance constante du nombre de ses étudiants. Bien que ses derniers doivent souvent se démêler avec de multiples administrations, c’est principalement la Faculté SES qui assure le fonctionnement du BARI et cela sans financement supplémentaire. Cependant, la direction du programme repose sur les facultés de droit, lettre et SES. Toute modification du règlement et du plan d’étude doivent donc être approuvée par les collèges des professeurs et les conseils participatifs de chacune des facultés, à savoir six organes différents qui peinent souvent à se mettre d’accord. Le rapport sur le développement des relations internationales a d’ailleurs mis en évidence les contradictions inhérentes à ce système alors que certains professeurs sont amenés à effectuer des votes cruciaux malgré leur manque d’investissement dans les Relations Internationales.1 Une petite province dirigée par une lointaine capitale. 22

La commission de direction du BARI (comprenant des représentants de chacune des instances) ne bénéficie, de son propre aveu, nullement de l’autonomie souhaitée et désirerait voir ses compétences élargies.2 Mais se pose alors la question de quelle architecture organisationnelle devrait être privilégiée. Comment parvenir à assurer « l’équilibre institutionnel » tout en faisant une place au BARI ? Divers scénarios ont été envisagés dans le rapport de 2009 sans qu’aucun ne parvienne réellement à sortir du lot. Le renforcement des compétences de la CD BARI ne résoudrait pas les problèmes actuels liés à la cohérence pédagogique du programme et n’apporterait pas de solution durable aux problèmes de gouvernance. D’autre part, la création d’une flambante faculté de Relations Internationales n’aurait que peu de chances de remporter le soutien des autres facultés qui y verraient avant tout une concurrente. En période de vaches maigres, les « ébats budgétaires » étant un jeu à somme nulle, tout nouvel investissement est perçu par les autres instances comme nuisible. De plus, le domaine des relations internationales étant difficile à délimiter, certaines facultés offrent déjà des programmes bénéficiant d’une dimension internationale (droit international, logiques de l’international, histoire économique internationale…) et viendraient se heurter à un éventuel doublon. Le scénario retenu sera finalement celui de l’Unité d’Enseignement et de Recherche (UER), structure souple puisque dotée d’un collège des professeurs et d’un comité de direction mais incapable à résoudre les problèmes administratifs, puisque la gestion des étudiants resterait du ressort des différentes facultés,3 et surtout requerrait un financement conséquent. Que dire alors des conclusions du rapport de la commission ? Scénarios peu développés, ils ne fournissent que peu d’informations et de l’aveu même de certains de certains professeurs, ils constituent un compterendu stérile. Pourquoi un tel écart entre les objectifs et les conclusions du rapport ?

Adrià Budry Carbó

Pourquoi proposer la création d’une UER alors qu’aucune enquête de faisabilité n’a été effectuée et que la commission savait le rectorat réticent à dégager des fonds substantiels pour sa création ? L’IHEID phagocyte le développement des Relations Internationales Le 18 novembre 2004, a été officialisée la création d’un pôle d’excellence en études internationales. Résultat de la fusion entre HEI et l’IUED, l’IHEID décide de se concentrer sur les programmes de maîtrise et les doctorats, plus prestigieux et donc plus rémunérateurs. Le BARI est donc crée par les Facultés de lettre, droit et SES pour désengager un peu plus l’ancien HEI. Gouvernance inefficiente, problèmes de ressources, des éléments reconnus par tous les acteurs en jeu… il n’y a qu’une chose qui ne sera jamais remise en cause : le statut de l’IHEID. Semi-autonome, l’Institut reste néanmoins attaché à l’Université et peut bénéficier de ses services ainsi que des subventions du canton. Si l’institut bénéficie de réseaux internationaux indéniables et que son prestige irradie également l’Université de Genève, il n’en demeure pas moins un frein pour le développement des relations internationales. Chaque décision en la matière semble devoir être soumise à l’approbation ou au veto de l’IHEID alors que l’éventuelle création d’un master consécutif en Relations Internationales est d’emblée écarté en raison du risque de concurrence et du désir d’éviter la création d’un « master poubelle » qui accueillerait tous les déboutés de l’IHEID. De son côté, la création d’une faculté de RI au sein de l’Université de Genève est rejetée puisque peu lisible depuis l’extérieur. La « carte locale » des institutions académiques deviendrait trop « complexe ». Force est de constater que l’Institut n’a aucun intérêt à améliorer un programme qu’il avait déjà décidé d’abandonner il y a quelques années et pour lequel il ne montre que peu d’estime. Seuls quatre élèves du BARI (et aucun Genevois) ont été acceptés à l’IHEID en 2009 ; juste assez pour l’exemple et pour maintenir l’opacité sur le nombre de candidatures.4 Alors qu’on s’émeut de la création d’un

master supplémentaire, faire-valoir de la formule IHEID, le BARI est déjà de facto considéré comme une coquille vide. Pour preuve de cela, la plupart des étudiants semblent arriver à une impasse à la fin de leur baccalauréat : se rediriger ou partir. Seuls 39 élèves sur les 129 que comptait la volée de 2009 s’étaient engagés dans des programmes de l’Université de Genève. Au-delà du processus d’internationalisation des études et du brassage des étudiants dans le monde, il s’agit d’une fuite substantielle de cerveaux liée au manque de débouchés régionaux.5

étudiants à d’éventuelles réflexions sur le futur des R.I. à Genève. Ni gouvernance ni formation améliorées, l’avènement de nouveaux débouchés de maitrise ne fera pas non plus l’actualité cette année. Combien de temps durent nos études déjà ?

1 Rapport du groupe de travail sur le développement 1 des études en relations internationales à l’Université 1 de Genève, p.4. 2 Le statut actuel de la CD BARI demeure assez flou 2 et il semble difficile d’affirmer avec assurance s'il 2 peut être considéré comme un comité scientifique 2 (ce qui aurait pour avantage de mettre en cause 2 l’absence de représentants du corps estudiantin 2 en son sein). De toute évidence, un tel organe fait 2 défaut puisque l’absence d’un fil rouge pédagogique 2 entre les différentes disciplines est particulière2 ment décriée par les étudiants (selon sondage 2 effectué par l’AESPRI au printemps 2010) et souligne 2 une certaine tension entre les différentes approches 2 des relations internationales.

Rapacité financière et autres déconvenues Face à l’augmentation des étudiants, la stratégie aura été -et le sera d’autant plus à l’avenir- un renforcement des critères de sélection. Dans un contexte de restrictions budgétaires généralisé et alors que le débat sur les taxes universitaires s’est invité sur la scène politique, il semble particulièrement incongru pour certains acteurs de renforcer le financement du BARI. Et pourtant, la forte croissance des étudiants extra-cantonaux assure des revenus conséquents au Baccalauréat (CHF 6'588'770 pour l’année 2009) ainsi que les subventions de la confédération (CHF 2'207'850 pour la même année).6 Les augmentations de fonds se font au compte-goutte et semblent relever du lobbying acharné et individualisé des facultés. Ainsi Droit s’est vu attribuer deux assistants en automne 2009 alors que seuls trois assistants étaient dépêchés fin 2009 pour encadrer 88 projets de recherche en Science Politique (sans compter les redoublants). Il existe de sérieuses iniquités entre les facultés et, en conséquence, d’importantes disparités quant aux conditions d’études non seulement entre les différents baccalauréats mais surtout au sein même du BARI. Le nombre des étudiants pourra être réduit comme peau de chagrin, les coûts maintenus à leur niveau actuel, n’en subsistera pas moins les problèmes congénitaux du BARI, à savoir ceux d’une structure inadaptée et d’un manque de cohérence et de consultation quant aux approches des Relations Internationales. Cette année, 525 étudiants de premier cycle ont rejoint les rangs –ce qui porte le nombre total des inscrits à 11547 – et les éternels débats sur le financement du BARI s’éternisent. Alors que la concurrence et le darwinisme social sera encore plus rude cette année, aucune solution ne pourra être trouvée sans véritable mobilisation du corps estudiantin. De leur côté et malgré le constat d’échec de leur rapport, les professeurs semblent plus que réticents à associer les

3 Rapport du groupe de travail sur le développement 3 des études en relations internationales à l’Université 3 de Genève, p.11. 4 L’Institut n’a pas donné suite à une demande de 4 l’AESPRI datée de novembre 2010 concernant une 4 consultation de ces chiffres. 5 A noter que le Service des Allocations d’Etude et 5 d’Apprentissage (SAEA) considère l’IHEID comme 5 un débouché naturel pour les étudiants du BARI 5 et se refuse, en conséquence, d’entrer en matière 5 sur l’octroi d’une éventuelle bourse destinée à 5 compléter des études internationales à l’étranger. 6 Rapport du groupe de travail sur le développement 6 des études en relations internationales à l’Université 6 de Genève, p.3. 7 Chiffres mis à disposition par le professeur Simon 7 Hug dans un courrier adressé à l’auteur le mercredi 7 2 février 2011.

IL NOUS FAUT UN BOUC ÉMISSAIRE ! COMMENTAIRE • « C’est vraiment trop injuste ! », à force de répéter cette phrase qui en est devenue une devise, nous nous sommes transformés –étudiants de relations internationales- en véritables Calimeros. La comparaison est dure, certes, mais force est de constater que les étudiants n’ont obtenu que très peu de leur revendications. Toujours pas de master consécutif en relations internationales, toujours aussi peu d’encadrement et encore de nombreuses incohérences dans les plans d’études… Jusqu’ici, seuls les étudiants reconnaissaient ces problèmes...mais depuis quelques temps et notamment avec le rapport sur le développement des études en relations internationales (voir l’article ci-dessus), même les professeurs concèdent que la situation est critique. Pourtant rien ne change concrètement et ce n’est pas faute d’avoir essayé ! Alors, à qui la faute ? On peut trouver un élément de réponse dans l’organisation du BARI qui se trouve balloté entre trois facultés, trois conseils participatifs et trois collèges des professeurs. En effet, le BARI appartient à tout le monde et en même temps à personne. Tout le monde y apporte son grain de sel pour

ce qui est de la répartition des fonds ou du nombre d’assistants supplémentaires par facultés, mais personne ne veut prendre la responsabilité d’une situation qui commence à inquiéter sérieusement. L’indifférence avec laquelle les professeurs énumèrent, dans leur rapport, les nombreux maux dont souffre le BARI et le peu d’imagination dont ils ont fait preuve pour trouver des solutions faisables témoignent de leur manque d’implication. Il faudrait, pour s’assurer leur zèle, lier leur destin à celui du BARI, en augmentant, par exemple, les compétences de la Commission de Direction du BARI avec la participation vigilante des étudiants, comme dans n’importe quel autre comité scientifique. Cela résoudrait, d’une part, certains problèmes de gouvernance et donnerait, surtout, aux étudiants une entité à qui demander des comptes. Nul doute que les nouveaux responsables seraient moins prompts à accepter l’aveu d’échec si leur responsabilité était engagée et probablement que les doigts accusateurs des « Calimeros » seraient plus efficaces s’ils pointaient tous dans une seule direction… Mohamed Musadak

23


« …Si je regarde la Praille, je vois ces jardins maraîchers, ce doux mélange de terre noire, de feuilles, ces verts et ces bruns, cette écume de couleurs, étang silencieux qui limite la colline de Lancy… » (Henri Tanner, Journal de Carouge, 04.06.1943)

LES URBAINES

PRAILLE-ACACIAS-VERNETS

Poussés par une partie de l’opinion public, les entrepreneurs et architectes ont dévié « dans le sens de la création d'un quartier mixte, intense et attrayant, réservant une place forte à l'emploi mais visant une augmentation sensible du nombre de logements »2 par rapport au projet initial. En bref, on a pu entendre de nombreuses choses comme par exemple la construction de buildings dépassant la hauteur du jet d’eau.3 Aujourd’hui, la situation semble quelque peu bloquée et visiblement ce n’est pas demain que l’on verra une skyline genevoise aux Acacias.

MICHAËL WICKI Quand on pense à la zone Praille-Acacias-Vernets, on pense d’abord industriel. Etonnant quand on sait qu’étymologiquement le mot Praille vient du vieux français pratalia qui signifie « ensemble de prés »… Mais cet espace n’en est pas là à son unique complexité. Il est avant tout constitué d’espèces hybrides dans la mesure où chacun des quartiers qui le compose n’est pas une entité à lui tout seul mais appartient soit à des communes différentes, soit à la ville. De fait, les Acacias sont partagés entre la ville de Genève et Carouge. Cette dernière se dispute également la Praille avec Lancy alors que les Vernets, après avoir fait partie de Plainpalais, a été intégré à la ville en 1930. Les Acacias et les Vernets sont les deux seuls quartiers de la ville sur la rive gauche de l’Arve. Le statut quelque peu compliqué de ces 3 quartiers plante déjà le décors quant aux fonctions qu’on leurs attributs ou leurs réserves. La limite Praille-Acacias-Vernets forme l’une des premières grandes zones industrielles et artisanales crée à la périphérie de Genève en 1960. L’endroit comporte de nombreuses entreprises, fabriques et quelques grands noms de l’industrie tels que le siège mondial de Rolex. Mais comment parler de la zone Praille-Acacias-Vernets sans parler du projet qui tient en haleine les genevois depuis presque cinq ans : le projet PAV. L’intention première était de redynamiser la zone, lui donner une identité nouvelle et la revaloriser.1 La zone industrielle Praille-Acacias étant devenue vétuste, il était tant de se tourner vers l’avenir. Au fil du temps et en pleine crise du logement, les plans ont du s’adapter et se réorienter. 24

Mais limiter cette région à sa zone industrielle serait une erreur car elle renferme une multitude de merveilles qui en fait un des pôles culturel et de divertissements les plus importants de la ville. Commençons par le quartier des Vernets. Relié à Plainpalais par une toute nouvelle passerelle qui sera inaugurée à l’été 2012, il est le rendez-vous des sportifs autant amateurs, spectateurs que pratiquants. En effet, avec le centre sportif de la Queue-d’Arve, la piscine olympique [l’abonnement au mois pour les étudiants est seulement de 10.-, nombre illimité d’entrées sur une période de 30 jours] et la patinoire des Vernets (temple du Genève-Servette Hockey Club), le quartier possède un réel attrait lié au sport. Au centre du débat sur la culture et la vie nocturne genevoise, la caserne des Vernets censée être abandonnée par l’armée dans les prochaines années, suscite l’attrait de quelques associations pour en refaire une zone de culture et de logement.4

Au bord de l’Arve, le Théâtre du Loup et la Parfumerie [ch. de la Gravière 7]propose des spectacles et des soirées. Au bord de l’Arve, le Théâtre du Loup et la Parfumerie [ch. de la Gravière 7]propose des spectacles et des soirées. En revenant sur la rue des Acacias, une curiosité est venue se nicher au fond du parking du magasin Office World : la Cantina chez Marco [rue Eugène Marziano 15]. En pénétrant à l’intérieur de ce restaurant, on croirait voir un petit bout de l’Ouest américain en terres helvétiques. En ouvrant la carte, on se rend finalement compte que c’est plutôt un petit bout de Suisse au milieu de l’Ouest américain. En effet, ce « bikersbar » propose pas moins de 22 sortes de rösti à des prix et quantités raisonnables. Toujours proche de la rue des Acacias, le Tikki’s propose des hamburgers et un décor résolument rock’n’roll. En s’enfonçant dans les Acacias, on trouvera le poumon vert de ce quartier : le parc des Acacias. Un bon kilomètre plus loin on atterrit sur la rue de Carouge, sa dizaine de kebabs, ses bistrots de quartier et son cinéma principalement actif durant le Festival

Billet d'humeur

Le regard usé des Genevois VICTORIA BARRAS Hyacinthe a vingt ans lorsqu’elle débarque à Genève. Descendue de son bled valaisan, Evolène,1 quatrième commune de Suisse par sa superficie, elle s’attend au pire. Des cousins éloignés, habitant dans la « ville au jet d’eau », l’ont mise au parfum. Cette ville, bien que réputée pour la multitude de ses organisations internationales, des sièges sociaux de grandes multinationales ou de banques, est d’un désintérêt total pour les jeunes. Rien ne s’y passe. Les clubs ou bars alternatifs ferment à un rythme régulier sur ordre de la ville. Les bières y sont chères et d’ailleurs tout est hors de prix. Les informateurs de Hyacinthe lui conseillent plutôt de prendre le train afin de se rendre à Lausanne. Elle aura là-bas vraiment l’occasion de « cluber », telle une vraie étudiante. De nature optimiste, cette jeune valaisanne décide d’explorer la ville avec un œil neuf. Elle réalise vite que l’offre est bien plus étoffée que ne le laissaient entendre ses amis. Le lundi soir, pour moins de dix francs, elle assiste à la projection de vieux classiques cinématographiques du monde entier à l’Auditorium Arditi. Le mardi, rendez-vous à l’Alhambar avec

Black Movie en février.5 En face de ce dernier, la librairiecafé les Recyclables met en vente plus de 11'000 livres d’occasions à consulter en buvant une tasse de café ou du fameux thé Mariage Frères pour seulement 4.-, en provenance directe d’une maison de thé parisienne, super chère quand on le sirotes dans la ville lumière. En traversant la route, on pénétrera dans la rue Dizerens pour aller manger népalaistibétain à l’Himalaya ou déguster un verre de vin à l’exChâteau Carton, le Bibarium. Si après ça, il fait encore soif, rendez-vous à la rue Jean-Violette pour en boire un dernier au Jules Verne. …A l’instar de ce dernier, la zone Praille-Acacias-Vernets est résolument tournée vers l’avenir. Espérons que les différents projets satisferont les aspirations de la populations genevoise et, qui sait, la ville aura peut-être un nouveau centre. 1 http://etat.geneve.ch/pav/historique_projet-819-4293.html 2 Idem 3 http://metropolegeneve.blog.tdg.ch/media/01/01/91868375.pdf 4 http://www.arv-ge.ch/content/caserne-des-vernets 5 http://www.blackmovie.ch/off/fr/index.php

une bande de potes. Au programme, concerts live, Dj’s, tout ça une bière blanche à la main, qui est tout de même huit francs. Mais compte tenu de l’offre musicale, elle n’y prête pas garde. Le mercredi, après un cours gratuit de condition physique enseigné par un prof diplômé et sexy, elle décide de se rendre à la Comédie de Genève. Elle y voit la pièce « l’Usage du monde » adaptée du récit de Nicolas Bouvier. Magique ! Le jeudi, fondue au champagne (d’après les rumeurs) aux Bains des Pâquis, tout ça précédé des plateaux de viande séchée qu’elle espère valaisanne. Avec sa bande, ils décident ensuite de partir en piste* et se rendent à l’Usine où a lieu la première édition du festival « Présence Electronique ». Tout cela la mène à se retrouver dans son lit à 5 heures, quand les premiers trams reprennent du service. Autant dire que le cours d’introduction au droit en fera les frais. « Nom de bleu, c’est bien beau de faire la noce, boire des godets et profiter des nuits genevoises » se dit-elle, « mais il est déjà vendredi et il serait peut-être temps de rentrer dans ma vallée »*. Et pendant les deux heures de train qui la mènent chez elle, elle planifie déjà les prochaines virées nocturnes dans la cité de Calvin, qui n’a d’austère, plus que le nom.

*expressions valaisannes

1 http://www.myswitzerland.com/fr/destinations/lieux-devillegiature-en-suisse.html?region=011

25


REMPLISSAGE

REMPLISSAGE

Roman photo Et nos deux gagnants de ce numéro sont : M. Pini et M. Staszak

• Les Pinitudes : – « On s’en sortira Messieurs, oui, – comme dans mon film culte, La Grande vadrouille ». – « Si le cours est un long fleuve tranquille, on finira bien par arriver quelque part, – peut-être en zigzagant. » – « Si vous voyez ce signe (puce électronique) ce n’est pas mon chat qui a mis sa patte – dessus, il n’a pas 5 coussinets, ça veut dire que c’est une définition. »

• Les Staszismes : – « C’est toujours dur de prendre la parole en premier, alors on va directement passer au deuxième : – Monsieur, votre avis ? » – « Par exemple, si je demandais à Madonna quelle a été son inspiration pour son clip… – d’ailleurs, quelqu’un a son numéro ? » – « Effectivement pour vendre des pâtes, c’est mieux pour Panzani d’associer l’Italie à la tomate, – plutôt qu’à la maffia. » – « Un de vous aurait pu me dire que la tomate lui fait penser à sa grande Tante Lulu, – mais ce ne serait pas pertinent socialement, même si la Tante Lulu est une grande cuisinière. » – « Avec les crèmes la laitière, on sous-entend : nos yaourts sont faits comme au 17ème siècle. – Les gens se disent mmmh. Bizarre, personnellement un yaourt façon 17ème – ca me tente moyennement. »

• Last but not least Général McChrystal : « Le pire ennemi du Pentagone, c’est le Power Point. » Etudiante : [mitigée quant à l’habillement de son professeur] « On dirait une grosse abeille. »

- Fantomette, pour vous servir 26

27



Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.