Passation des marchés publics

Page 1

Passation des marchés publics

Cécile Fontaine

Hourcabie Bérard Walsh
Pratique du droit 3e édition Sélection et suivi de la procédure – Choix des candidats – Préparation de l’exécution Aymeric
Ann-Charlotte

Sommaire

Chapitre 1 Marchés publics et techniques d’achats régis par le Code de la commande publique 7

Chapitre 2 acheteurs 41

Chapitre 3 Opérateurs économiques et leurs partenaires 53

Chapitre 4 Conflit d’intérêts 63

Chapitre 5 Cas d’intervention en amont des opérateurs économiques 69

Chapitre 6 Obligation de confidentialité 73

Chapitre 7 principes fondamentaux de la commande publique 79

Chapitre 8 Organisation de l’achat : marché alloti et marché à tranches 87

Chapitre 9 Marchés publics exclus 99

Chapitre 10 Marchés réservés 111

Chapitre 11 Logique de seuils 115

Chapitre 12 avis de pré-information ..................................................................... 121

Chapitre 13 avis périodique indicatif 125

Chapitre 14 publicité des marchés inférieurs aux seuils de procédure formalisée 129

Chapitre 15 publicité des marchés supérieurs aux seuils de procédure formalisée ............................................... 135

Chapitre 16 préparation de la procédure 139

Chapitre 17 Dématérialisation des procédures 147

Chapitre 18 procédure adaptée 153

5

Passation des marchés publics

Chapitre 19 procédure d’appel d’offres 161

Chapitre 20 procédure avec négociation : règles applicables aux pouvoirs adjudicateurs 167

Chapitre 21 procédure avec négociation : règles applicables aux entités adjudicatrices 175

Chapitre 22 procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalables 179

Chapitre 23 Concours 187

Chapitre 24 techniques d’achat électroniques 191

Chapitre 25 passation des partenariats d’innovation et des marchés de partenariat 197

Chapitre 26 Distinction procédures ouverte et restreinte 201

Chapitre 27 exclusions des procédures de passation 207

Chapitre 28 Conditions de participation 227

Chapitre 29 Sélection des candidatures 247

Chapitre 30 Critères de choix ................................................................................ 265

Chapitre 31 Formulation des offres 283

Chapitre 32 examen des offres 291

Chapitre 33 Choix des offres 309

Chapitre 34 abandon de la procédure 319

Chapitre 35 information des candidats et des soumissionnaires 325

Chapitre 36 Signature et notification du contrat 333

Chapitre 37 publicité de l’attribution 341 Index 347 Table des matières 355

6

CHAPITRE 4

Conflit d’intérêts

La définition du conflit d’intérêts (§ 4.1) précédera une présentation des sanctions encourues en cas de conflit d’intérêts (§ 4.2).

4.1 Définition

Afin d’éviter des distorsions dans les procédures de passation de marchés ou d’accords cadres et d’assurer l’égalité de traitement de tous les opérateurs économiques, le Code de la commande publique (CCP) définit la notion de conflits d’intérêts(1).

Le Code de la commande publique s’inscrit dans la continuité des prescriptions européennes et notamment de la directive n° 2014/24/UE du 26 février 2014 qui prévoit, à son article 24, que « les États membres veillent à ce que les pouvoirs adjudicateurs prennent les mesures appropriées permettant de prévenir, de détecter et de corriger de manière efficace des conflits d’intérêts survenant lors des procédures de passation de marché ».

Pour la Cour de justice de l’Union européenne, « un conflit d’intérêts comporte le risque que le pouvoir adjudicateur public se laisse guider par des considérations étrangères au marché en cause et qu’une préférence soit donnée à un soumissionnaire de ce seul fait »(2), ce qui justifie, évidemment, qu’une situation de conflit d’intérêts soit proscrite en matière de marchés.

(1) Précisons qu’aux termes de l’article 2 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, le conflit d’intérêts est défini comme étant « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».

(2) CJUE, 12 mars 2015, eVigilo Ltd, aff. C 538/13.

63

Passation des marchés publics

Selon l’article L. 2141‑10 du code, « constitue une telle situation toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt finan cier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché. ».

Cette définition s’inspire de celle donnée par les directives européennes qui précisent que « la notion de conflit d’intérêts vise au moins toute situation dans laquelle des membres du personnel du pouvoir adjudicateur ou d’un prestataire de services de passation de marché agissant au nom du pouvoir adjudicateur qui participent au déroulement de la procédure ou sont susceptibles d’en influencer l’issue ont, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou un autre intérêt personnel qui pourrait être perçu comme compro mettant leur impartialité ou leur indépendance dans le cadre de la procédure de passation de marché (3) ».

Avant même la consécration de cette notion de conflit d’intérêts par les textes européens et nationaux dédiés aux marchés publics, l’existence d’une situation caractérisant un tel conflit était sanctionnée par le juge administratif qui considère « qu’au nombre des principes géné raux du droit qui s’imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d’impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence »(4). Et le Conseil d’État d’ajouter que « l’existence d’une situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure d’attribution du marché est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d’entacher la validité du contrat »(5).

EXEMPLE

CE 14 octobre 2015, Société RevetSens, req. n° 390968 : AMO ancien responsable de la société attributaire du marché avec son concours

A été considéré comme se trouvant en situation de conflit d’intérêts l’assistant à maîtrise d’ouvrage ayant été le salarié, à un poste de responsabilité, moins de deux ans auparavant, d’une entreprise qui a été, avec son concours, désignée comme attributaire. Informé d’une telle situation, l’acheteur aurait dû écarter du processus d’analyse des offres cet assistant à maîtrise d’ouvrage.

CE 12 septembre 2018, Société Otus, req. n° 420454 : AMO ayant rejoint un soumissionnaire avant la date de remise des offres

Le Conseil d’État juge que c’est à tort que le premier juge a censuré une procédure de passation en estimant que le principe d’impartialité devait être considéré comme ayant été méconnu dans la mesure où le chef de projet de l’assistant à maîtrise d’ouvrage avait rejoint, avant la date de remise des offres, la société qui a été in fine déclarée attributaire. Pour estimer le contraire, la Haute juridiction a considéré qu’il ressortait des pièces du dossier que ce chef de projet n’avait pas participé à la rédaction du dossier de consultation des entreprises et que sa mission était cantonnée à la collecte des informations préalables à l’élaboration de ce dossier, tandis que la société l’employant n’avait pas manqué d’impartialité dans l’établissement des documents de la consultation pendant la période où il était son salarié.

(3) Directive n° 2014/24/UE, 26 février 2014, art. 24.

(4) CE 14 octobre 2015, Société RevetSens, req. n° 390968.

(5) CE 25 novembre 2021, Société Corsica Networks, req. n° 454466.

64

Le Conseil d’État juge que la participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres d’un ancien salarié d’un soumissionnaire pouvait légitimement, dans les circonstances de l’espèce, faire naître un doute sur la persistance d’intérêts le liant à ce soumissionnaire et par voie de conséquence sur l’impartialité de la procédure sui vie par l’acheteur. En l’occurrence, l’ancien salarié du soumissionnaire, désigné par le règlement de consultation du marché comme le « technicien en charge du dossier », chargé notamment de fournir des renseignements techniques aux candidats, a exercé des fonctions d’ingénieur chef de projet au sein du soumissionnaire, immédiatement avant son recrutement par l’acheteur et trois mois avant l’attribution du marché. Cette personne s’était vue remettre les plis « en vue de leur analyse au regard des critères de sélection des candidatures et des offres ». Selon le Conseil d’État, même s’il n’était pas l’un des cadres dirigeants du soumissionnaire, il occupait des fonctions de haut niveau au sein de ce dernier et ces fonctions avaient trait à un objet en relation directe avec le contenu du marché, de sorte qu’eu égard au niveau et à la nature des responsabilités confiées à cette personne au sein du soumissionnaire puis des services de l’acheteur et au caractère très récent de son appartenance à cette, la situation de conflit d’intérêts pouvait être caractérisée.

4.2 Sanctions du conflit d’intérêts(6)

Une situation de conflit d’intérêts justifie l’exclusion de la personne en situation de conflit du processus d’achat ou, s’il s’agit d’un candidat, de la procédure de passation d’un marché.

Transposant une faculté offerte par les directives européennes(7), l’alinéa 1er de l’article L. 2141‑10 du Code de la commande publique précise ainsi que « l’acheteur peut exclure de la procédure de passation du marché […] les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d’intérêts, lorsqu’il ne peut y être remédié par d’autres moyens ».

Les articles R. 2184‑1 et R. 2184‑3 prévoient en outre, pour les marchés et les systèmes d’acquisition dynamiques répondant à un besoin dont la valeur est égale ou supérieure aux seuils européens, que le pouvoir adjudicateur établit un rapport de présentation de la procé dure de passation comportant, le cas échéant, « les conflits d’intérêts décelés et les mesures prises en conséquence ».

Reste néanmoins que, selon la Cour de justice de l’Union européenne, « le pouvoir adjudi cateur est, en toute hypothèse, tenu de vérifier l’existence d’éventuels conflits d’intérêts et de prendre les mesures appropriées afin de prévenir, de détecter les conflits d’intérêts et d’y remédier »(8). Et la Cour de justice a eu l’occasion de préciser, dans une décision du 17 mai 2018, que « le pouvoir adjudicateur est, en toute hypothèse, tenu de vérifier l’existence d’éventuels conflits d’intérêts dans le chef d’un expert du pouvoir adjudicateur et de prendre les mesures appropriées afin de prévenir, de détecter ces conflits et d’y remédier ».

(6) Sont volontairement exclues du propos les sanctions pénales susceptibles d’être encourues en cas de conflit d’intérêts.

(7) Article 57 de la directive n° 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive n° 2004/18/CE, et article 42 de la directive n° 2014/25/UE du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive n° 2004/17/CE.

(8) CJUE, 12 mars 2015, eVigilo Ltd, aff. C 538/13 ; CJUE, 17 mai 2018, Šiaulių regiono atliekų tvarkymo centras et « Ecoservice projektai » UAB, aff. C 531/16.

CE 25 novembre 2021, Société Corsica Networks, req. n° 454466 : salarié d’un soumissionnaire embauché par l’acheteur
65 Conflit d’intérêts – Chapitre 4

Passation des marchés publics

D’ailleurs, le juge national considérait également, même avant l’intégration de la notion de conflit d’intérêts dans une norme écrite spécifique aux marchés, « qu’au nombre des principes généraux du droit qui s’imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d’impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence »(9), ce qui vise notam ment une hypothèse de conflit d’intérêts.

Aussi, lorsque le juge constate l’existence d’une situation de conflit d’intérêts, il doit la sanc tionner, en jugeant illégale la procédure de passation(10). L’acheteur, qui se doit d’instaurer des procédures visant à détecter et prévenir les conflits d’intérêts et à y remédier, sera consi‑ déré comme responsable de la participation au processus d’achat d’une personne en situation de conflit, et ce même dans l’hypothèse où la personne en situation de conflit est extérieure à l’acheteur et a participé à la procédure de passation en qualité d’assistant à maîtrise ouvrage.

À défaut, l’annulation du contrat est en principe requise. Le Conseil d’État a ainsi jugé « qu’eu égard à sa nature, la méconnaissance de ce principe d’impartialité était par elle même constitutive d’un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat à l’exclusion de toute autre mesure »(11), et ce sans qu’il soit nécessaire de relever une inten tion de la part de la personne concernée de favoriser un candidat.

EXEMPLE

Ainsi, saisi d’un cas dans lequel l’instruction avait permis de constater qu’un assistant à maîtrise d’ouvrage avait exercé des responsabilités importantes au sein d’une société moins de deux ans avant le lancement d’une procédure ayant conduit à la désignation de cette société comme attributaire du marché, le Conseil d’État a considéré que le caractère encore très récent(12) de leur collaboration, à un haut niveau de responsabilité, pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d’intérêts et par voie de conséquence sur l’impartialité de la procédure suivie par l’acheteur. Dans cette affaire, la Haute Juridiction a considéré qu’il était au demeurant loisible à l’acheteur, qui avait connaissance de la qualité d’ancien salarié de l’assistant à maîtrise d’ouvrage, de mettre en œuvre, une fois connue la candidature de cette société, toute mesure en vue de lever ce doute légitime, par exemple en l’écartant de la procédure d’analyse des offres.

Mais chaque situation implique une appréciation in concreto, justifiant la prise en compte, par exemple, de circonstances caractérisant des précautions propres à exclure toute impar tialité ou rupture de l’égalité de traitement lors de la passation d’un marché(13). Aussi, le juge refuse de reconnaître l’existence d’un conflit d’intérêts lorsqu’« aucune circonstance ne permet de caractériser un intérêt personnel ou une capacité d’influence particulière de nature

(9) CE 14 octobre 2015, Société RevetSens, req. n° 390968.

(10) CE 3 novembre 1997, Préfet de la Marne, req. n° 148150 ; CAA Bordeaux, 14 février 2013, Société ACS Production, req. n° 12LY00305.

(11) CE 25 novembre 2021, Société Corsica Networks, req. n° 454466.

(12) Dans une décision plus ancienne, le Conseil d’État avait considéré que le simple lien salarial qui a pris fin depuis plus de 10 ans ne permettait pas de caractériser une situation de conflit d’intérêts, eu égard au délai important écoulé depuis le licenciement (CE 27 juillet 2001, Société Degrémont, req. n° 232820).

(13) CE 9 mai 2012, Commune de Saint Maur des Fossés, req. n° 355756. Dans ses conclusions sur cet arrêt, le rapporteur public Bertrand Dacosta définissait le conflit d’intérêts comme « une situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé d’une personne qui concourt à l’exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ».

CE 14 octobre 2015, Société RevetSens, req. n° 390968 : adaptation du pouvoir adjudicateur à un possible conflit d’intérêts
66

à créer un doute légitime sur l’impartialité »(14). Il faut néanmoins observer que le Conseil d’État a plus récemment jugé qu’une situation de conflit d’intérêts justifiait l’annulation du contrat, sans qu’il soit nécessaire de relever une intention de la part de la personne concernée de favoriser un candidat(15). Chaque situation implique une appréciation particulière(16).

Cet état du droit doit inciter les acheteurs à instaurer, notamment, des procédures visant à détecter et prévenir les conflits d’intérêts et à y remédier.

(14) CE 22 octobre 2014, Société EBM Thermique, req. n° 382495.

(15) CE 25 novembre 2021, Société Corsica Networks, req. n° 454466.

(16) Voir, par exemple, pour l’exclusion d’une situation de conflits nonobstant l’existence de relations contractuelles entre un soumissionnaire et l’assistant à maîtrise d’ouvrage : CAA Versailles, 2 juin 2022, Association de défense des contribuables de Soisy sous Montmorency, req. n° 19VE03401.

67 Conflit d’intérêts – Chapitre 4

CHAPITRE

Cas d’intervention en amont des opérateurs économiques

Les opérateurs économiques peuvent être conduits à intervenir, avec une intensité variable, en amont du lancement de la procédure de passation d’un marché. Deux hypothèses d’inter vention peuvent être envisagées, à savoir celle d’un sourçage (§ 5.1) et celle dans laquelle l’opérateur économique se voit confier l’établissement de documents de la consultation future (§ 5.2).

5.1 Sourçage

L’article L. 2111‑1 du Code de la commande publique, dédié à la « définition du besoin », prévoit, dans le même esprit que la réglementation antérieure, que « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions écono mique, sociale et environnementale ».

La définition du besoin constitue une étape déterminante, autant d’un point de vue pratique que d’un point de vue juridique, de toute procédure de passation d’un marché. Et, concernant cette étape, il arrive que l’acheteur manque de ressource pour effectuer lui même une bonne et régulière définition des besoins à satisfaire.

Prenant en considération une pratique assez répandue chez les acheteurs et venant égale ment combler un vide réglementaire(1), l’alinéa 2 de l’article R. 2111‑1 prévoit qu’« afin de

(1) Notons néanmoins que le « considérant » n° 8 de la directive communautaire n° 2004/18/UE du 31 mars 2004 envisageait une hypothèse proche en prévoyant qu’« avant le lancement d’une procédure de passation d’un marché, les pouvoirs adjudicateurs peuvent, en recourant à un “dialogue technique”, solliciter ou accepter un avis pouvant être utilisé pour l’établissement du cahier des charges, à condition que cet avis n’ait pas pour effet d’empêcher la concurrence ». Relevons encore que l’article 6.4 de l’Accord de l’OMC sur les marchés publics, dit « AMP », prévoit de façon moins explicite que « les entités ne solliciteront ni n’accepteront, d’une manière qui aurait pour effet d’empêcher la concurrence, un avis pouvant être utilisé pour l’établissement des spécifications relatives à un marché déterminé, de la part d’une société qui pourrait avoir un intérêt commercial dans le marché ».

69
5

Passation des marchés publics

préparer la passation d’un marché, l’acheteur peut effectuer des consultations ou réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences ».

Ce faisant, le Code de la commande publique transpose en droit national les directives européennes, et notamment l’article 40 de la directive n° 2014/24/UE qui prévoit qu’« avant d’entamer une procédure de passation de marché, les pouvoirs adjudicateurs peuvent réaliser des consultations du marché en vue de préparer la passation de marché et d’informer les opérateurs économiques de leurs projets et de leurs exigences en la matière »(2).

Ainsi, le Code de la commande publique pose le principe du dialogue technique qui peut s’instaurer entre les acheteurs et d’éventuels prestataires et, ce faisant, il fixe un cadre légal de nature à sécuriser ces échanges ayant lieu en amont du lancement de la procédure de passation. Le sourçage permettra ainsi à l’acheteur de s’informer concernant l’évolution éventuelle du marché, les enjeux de l’achat (notamment sur le plan environnemental), les modèles économiques adoptés par les opérateurs économiques, les technologies utilisées et celles qui ne le sont plus, mais encore l’intensité de la concurrence, les principaux acteurs et leurs positions respectives.

Le Code de la commande publique ne se contente pas de poser le principe même de ces échanges, mais il fixe de surcroît les conditions dans lesquelles ils peuvent avoir lieu. Il prévoit ainsi fort logiquement, à l’alinéa 2 de l’article R. 2111‑1, que les résultats des études et échanges préalables peuvent être utilisés par l’acheteur. Toute interdiction d’utilisation du fruit de ces échanges aurait ruiné l’intérêt du sourçage, ce qui explique que la réutilisation soit possible.

Reste néanmoins que ces échanges peuvent, dans l’absolue, avantager les opérateurs qui y ont participé. Aussi, l’existence de ce risque, qui n’a rien de théorique, a conduit à prévoir, que la réutilisation régulière des fruits du sourçage suppose que les échanges en amont n’aient pas pour effet de fausser la concurrence ou de méconnaître les principes mentionnés à l’article L. 3 du Code de la commande publique, et donc n’entraînent pas une violation des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures(3)

Ainsi, sous réserve de ces précautions de bon sens, la pratique du sourçage, largement répan due, peut perdurer dans un cadre légal désormais écrit.

(2) Et la directive d’ajouter qu’« à cette fin, les pouvoirs adjudicateurs peuvent par exemple demander ou accepter les avis d’autorités ou d’experts indépendants ou d’acteurs du marché. Ces avis peuvent être utilisés pour la planification et le déroulement de la procédure de passation de marché, à condition que ces avis n’aient pas pour effet de fausser la concurrence et n’entraînent pas une violation des principes de non discrimination et de transparence. ».

(3) Code de la commande publique, art. R. 2111‑1, alinéa 2.

70

5.2 Participation d’un opérateur économique à la préparation du marché

Le besoin de l’acheteur excède parfois ce qu’il est possible d’attendre d’un sourçage régu lier. Il peut avoir besoin de recourir, pour la définition de ses besoins, l’établissement des documents relatifs à la passation d’un marché ou, par exemple encore, pour le choix de la procédure de passation, aux services d’une entreprise qui est, compte tenu de son objet social, susceptible de déposer une offre en vue de l’attribution dudit marché.

Se pose alors la question de savoir si cette entreprise peut ou non se voir désigner, au terme d’une procédure de passation, attributaire du marché dont il a établi, par exemple, les docu ments de la consultation.

La jurisprudence, tant nationale qu’européenne, a répondu à cette question de façon assez libérale.

Le Conseil d’État a ainsi jugé, dans sa décision du 29 juillet 1998(4), que la circonstance qu’une entreprise ait assisté un acheteur durant une phase préliminaire correspondant à la conception d’une application pour la réalisation de laquelle il passe ensuite un marché public n’est pas, à elle seule, de nature à interdire à cette entreprise de soumissionner audit marché.

Si, dans le principe, cette participation en amont de l’opérateur économique n’est pas proscrite, elle ne doit pas avoir pour effet et encore moins avoir pour objet de l’avantager, notamment en lui permettant d’avoir accès à des informations privilégiées et déterminantes pour faire une offre meilleure que celle que pourraient déposer d’autres candidats.

Le juge communautaire s’est également prononcé en ce sens(5).

Les directives européennes, et notamment la directive n° 2014/24/UE, prévoient ce type d’intervention en amont d’un opérateur économique et en fixent les conditions.

TEXTE OFFICIEL

Directive n° 2014/24/UE du 26 février 2014, art. 41

« Lorsqu’un candidat ou soumissionnaire, ou une entreprise liée à un candidat ou à un soumissionnaire, a donné son avis au pouvoir adjudicateur, que ce soit ou non dans le cadre de l’article 40, ou a participé d’une autre façon à la préparation de la procédure de passation de marché, le pouvoir adjudicateur prend des mesures appropriées pour veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée par la participation de ce candidat ou soumissionnaire.

Ces mesures consistent notamment à communiquer aux autres candidats et soumissionnaires des informations utiles échangées dans le contexte de la participation du candidat ou soumissionnaire susmentionné à la préparation de la procédure, ou résultant de cette participation et à fixer des délais adéquats pour la réception des offres. Le candidat ou soumissionnaire concerné n’est exclu de la procédure que s’il n’existe pas d’autre moyen d’assurer le respect du principe de l’égalité de traitement.

Avant qu’une telle exclusion ne soit prononcée, les candidats ou soumissionnaires se voient accorder la possibilité de prouver que leur participation à la préparation de la procédure n’est pas susceptible de fausser la concurrence.

Les mesures prises sont consignées dans le rapport individuel prévu à l’article 84 ».

(4) CE 29 juillet 1998, Garde des Sceaux c/Société Genicorp, req. n° 177952. (5) CJCE, 3 mars 2005, Fabricom SA c/État belge, aff. C 21/03 et C 34/03, Rec. 2005 p. I 01559 : sur conclusions contraires de l’avocat général Philippe Léger.

en amont des opérateurs économiques
71 Cas d’intervention
– Chapitre 5

Passation des marchés publics

L’article R. 2111‑2 du code, qui prévoit que « l’acheteur prend les mesures appropriées pour que la concurrence ne soit pas faussée par la participation à la procédure de passation du marché d’un opérateur économique qui aurait eu accès à des informations ignorées par d’autres candidats ou soumissionnaires, en raison de sa participation préalable, directe ou indirecte, à la préparation de cette procédure » reprend cet état du droit.

Par ailleurs, l’article R. 2111 2 précise en son alinéa 2 que, « cet opérateur n’est exclu de la procédure de passation que lorsqu’il ne peut être remédié à cette situation par d’autres moyens ».

Cela explique qu’à son article L. 2141‑8 2°, relatif aux « exclusions à l’appréciation de l’acheteur », le Code de la commande publique prévoit que les acheteurs peuvent exclure de la procédure de passation du marché les personnes qui, par leur participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché, ont eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats, lorsqu’il ne peut être remédié à cette situation par d’autres moyens.

Aussi, la participation d’un opérateur économique à la préparation du marché est particuliè rement encadrée par le droit positif.

72

Pratique du droit

Passation des marchés publics

La passation d’un marché public est une étape essentielle de la vie du contrat. Elle détermine en grande partie la bonne exécution du marché. Durant cette phase, l’acheteur définit ses besoins ainsi que la procédure de passation adéquate, sélectionne les candidats et enfin attribue le marché au(x) soumission naire(s) ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse. Il doit faire preuve de rigueur, afin de ne pas s’exposer à des recours contentieux avant ou après la signature du marché.

À jour des dernières réformes, liées notamment à la crise sanitaire et à la loi « Climat et Résilience », cette troisième édition présente et analyse, en suivant la chronologie d’une procédure, toutes les étapes de la passation de tout type de marchés publics : sourçage, conflits d’intérêts, calculs des seuils, définition et suivi des procédures, achats électroniques, sélection des candidatures et choix des offres, attribution du marché. Passation des marchés publics permet ainsi de : bien définir ses besoins ; choisir la procédure la mieux adaptée ; mettre en œuvre ses procédures de publicité et de mise en concurrence ; respecter toutes les étapes et réussir la passation de son marché ; limiter les risques de recours.

De nombreux tableaux récapitulatifs de la réglementation, des exemples didactiques et des conseils pratiques illustrent l’ouvrage et permettent de comprendre et de maîtriser la réglementation des marchés publics.

Aymeric Hourcabie , avocat associé, cabinet Aymeric Hourcabie Avocats.

Ann-Charlotte Bérard-Walsh , juriste, responsable des affaires juridiques à la mairie de Saint-Maurdes-Fossés.

Cécile Fontaine , juriste, cheffe du service juri dique de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).

Ce livre s’adresse aux participants à la pas sation des marchés publics : juristes, avo cats, responsables de marchés, assistants des maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre.

ISSN 2267-0149

ISBN 978-2-281-13564-0

Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.