La ville pas chiante

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la ville pas chiante

« Il en faut tout de même du culot pour intituler un ouvrage “la ville pas chiante”. Les auteurs auraient pu choisir un vocabulaire plus onctueux, leur éditeur les inciter à plus de modération. Parler d’aimables cités aurait été plus convenable. Et convenu. Car ces mots bienveillants, qui ne fâchent personne, sont désormais les grands poncifs du marketing territorial. À force de novlangue, le dit de l’urbain en perd ses directions, ses objectifs jusqu’à en devenir inefficace. Pour avoir souvent entendu que “l’urbanisme c’est barbant, personne n’y comprend rien”, on se dit qu’il faut cesser de jargonner gouvernance, coélaboration, smart cities, mixité fonctionnelle ou renforcement de la cohésion sociale. Ça ne peut pas faire de mal d’y aller franco ! Faire la ville pas chiante et y intéresser les habitants, c’est peutêtre commencer par arrêter les discours emmerdants. Mais il faut être plus culotté encore pour penser, comme les auteurs de cet ouvrage, que cette ville-là est possible. Que des métropoles aux communes de la ruralité, le paysage urbain peut être plaisant, rigolo, beau, historique, inventif, surprenant, ordonné, foutraque, praticable, confortable, animé, ouvert, serein, sûr... Toujours divers, jamais ennuyeux. En ces temps de pandémie où la tentation est devenue forte d’aller chercher ailleurs de l’herbe que l’on suppose plus verte, il est urgent d’apporter la preuve qu’on peut la fabriquer, cette ville riante, éthique et durable. Une utopie urbaine qui n’en est pas une, ainsi que le démontrent les 10 points déclinés dans ce livre pas ordinaire. » Marie-Douce Albert, journaliste

ISBN : 9782281144956

la ville pas chiante Alternatives à la ville générique

Alternatives à la ville générique

la ville pas chiante

Alternatives à la ville générique

ARIELLA MASBOUNGI ANTOINE PETITJEAN

Préface de Patrick Bouchain


sommaire 13

INTRODUCTION

Faire la ville pas chiante, c’est faire la ville non générique Ariella Masboungi Là où quelque chose passe entre la vie et la beauté Rencontre avec Christian Portzamparc

DéFI

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Placer le paysage à l’origine Une ville qui parle avec le territoire, pensée par le paysage Entre nature et artifice Rencontre avec Jacqueline Osty Sept clés pour une ville moins chiante Rencontre avec Franck Poirier Articuler l’urbanisme, le paysage et l’architecture Rencontre avec Henri Bava

DéFI 2

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Inventer un programme ad hoc Concocter des situations inattendues, porteuses d’usages échappant au générique Réhabilitation et opérations complexes - Ingrédients de la ville pas chiante Rencontre avec Éric Bazard Pop-up stores & Cie Rencontre avec Anne-Mie Depuydt

DéFI 3

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Faire une ville permissive La ville qui s’invente à plusieurs, qui rend libre et joue avec les initiatives L’habitat participatif en antidote à la ville chiante - Une méthode strasbourgeoise Rencontre avec Alain Jund Les appels à manifestation d’intérêt enrichissent-ils la ville? Rencontre avec Guillaume Hébert La ville chiante est celle qui se cache derrière la réglementation Rencontre avec Patrick Bouchain

DéFI 4

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Activer une ville solidaire, équitable, émancipatrice La ville qui prend soin de tous L’urbanisme transitoire au service de la solidarité Rencontre avec Nicolas Détrie Une politique du « care » pour agir sur la ville chiante - Madrid rebelle Rencontre avec Manuela Carmena

DéFI 5

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Rendre aimables les rez-de-chaussée « Rez-de-chaussons » la ville ! Le commerce, marqueur de la ville pas chiante Texte de Pascal Madry Activer le sol de la ville Rencontre avec Djamel Klouche, Caroline Poulin et François Decoster de l’AUC

DéFI 6

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Jouer avec le transitoire Transitoire ou tactique, l’urbanisme qui anticipe la ville pas chiante À la recherche de la juste articulation entre projet, lieu et temporalité Rencontre avec Charlotte Girerd Le place-making, une contre-culture du projet urbain Rencontre avec Andreas Krüger

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LA VILLE PAS CHIANTE


DÉFI 7

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Concocter une ville du bien-être

Une ville qui prend soin - Quand la ville pas chiante, apaisée et saine, offre un bien-être collectif La ville pas chiante, ça tient à rien Texte de Stéphane Juguet La ville pas chiante, entre le pôle maison et le pôle ville Texte d’Alain Bourdin

DéFI 8

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Susciter l’accident heureux Quand l’accident est une richesse - Architectures de la ville pas chiante Habitat coopératif : nouvelles architectures - Trois exemples berlinois Rencontre avec Silvia Carpaneto L’accident comme source d’émotion et d’enthousiasme Rencontre avec Fréderic Bonnet La ville est une question d’énergie qui laisse place à l’imprévu Rencontre avec Youssef Tohmé

DéFI 9

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Travailler et produire dans la ville pas chiante Réinventer la ville productive - Petites et grandes économies à l’origine d’une ville diverse

Bruxelles, ville productive Rencontre avec Kristiaan Borret Faire revivre la ville de l’industrie et des métiers Texte de Pierre Veltz

DéFI 10

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Réintervenir dans une ville jamais finie La ville (pas chiante) n’est jamais finie - Mutabilité, évolutivité, marier les âges de la ville et travailler dans l’existant L’esprit du palimpseste à l’ère du temps réel Texte de Bernard Reichen La ville millefeuille - L’art de l’enrichissement permanent à Barcelone Rencontre avec Oriol Clos La ville pas chiante, c’est toute la ville ! Rencontre avec Fréderic Bonnet De la boring city à la capitale punk Rencontre avec Philippe Close

193 Conclusion

195 Postface

La ville pas chiante interroge les aménageurs Jean-Luc Charles

SOMMAIRE

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Placer le paysage à l’origine

01 défi

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LA VILLE PAS CHIANTE


PLACER LE PAYSAGE À L’ORIGINE

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Sept clés pour faire une ville moins chiante Rencontre avec Franck Poirier

Portrait

Pour faire une ville « moins chiante », il faut d’abord porter une attention particulière aux transformations en cours et les combiner aux logiques du vivant, pour apporter de l’épaisseur aux récits urbains donnant corps à la ville. Pour le paysagiste en charge des espaces publics, c’est une sorte d’évidence qui s’expérimente selon différentes logiques, pour guider son mode d’intervention, ancrer l’apport des réalisations nouvelles dans une réalité géographique et offrir les conditions d’une appropriation sociale. Cette ville « pas chiante » pourrait être abordée à travers sept clés.

FRANCK POIRIER est paysagiste, associé à l’Agence BASE qu’il a fondée avec Bertrand Vignal et Clément Willemin. L’agence marie des compétences multiples qui se traduisent dans des projets d’espaces publics comme à Nantes, à Lyon et ailleurs mais aussi des projets complexes qui s’attaquent à des sites industriels pollués tels la Vallée de la Chimie à Lyon, l’ensemble avec une approche poétique des lieux.

1. Convoquer l’imaginaire

S’inscrire dans une continuité pour tisser le fil d’un récit fondateur du projet, à partir de l’histoire du site, révéler et faire perdurer une histoire portée par un imaginaire collectif fort, associé à celui des lieux, sont peut-être les premiers pas vers une ville pas chiante. Ainsi, sur les crassiers à l’ouest de Saint-Étienne, un parc industriel se structure autour de l’idée d’un parc-machine et d’un paysage productif en mouvement, où les analogies programmatiques révèlent des dispositifs spatiaux hérités de l’aventure minière. Ainsi, l’eau deviendra le charbon du futur, le crassier, une île mystérieuse. La gestion hydraulique se fait lien dans une recherche de résilience du site, par une transition entre industrie, culture et nature. Aussi, dans le cadre de la renaturation de l’île de Nantes, un projet urbain a été proposé comme un assemblage de lieux indépendants résonant chacun avec les titres des romans de Julien Gracq : une manière d’engager une fiction poétique offrant une base programmatique ouverte à la discussion publique comme à celle d’autres concepteurs invités. Dans ce travail où la narration est centrale, de nouveaux supports sont nécessaires, comme des cartes de « géo-récits ».

2. Penser par le vide Une ville se découvre, s’imagine et s’arpente par ses vides offrant une invitation à la marche, à l’ivresse du parcours. L’espace public doit être envisagé comme un laboratoire des transformations citoyennes à l’échelle de la ville : en tant que lieu de représentation, lieu des possibles, cristallisant l’imprévu, l’appropriation libre et le détournement. L’espace se donne sous forme de relation d’emplacement, invitant à laisser travailler les interfaces des lieux. Le projet d’Euratlantique, à Bordeaux, a été pensé autour de la reconstitution d’un grand vide urbain, s’ouvrant sur le fleuve, enlaçant les différents quartiers organisés autour de lui et fabriquant, à l’image des anciens estey de la Garonne, un nouvel affluent paysager en pleine ville. Cet anneau continu d’espaces publics offre une ouverture dans le tissu urbain, des perspectives filantes et des fonds de scènes et développe un paysage structurant, appuyé sur d’anciens tracés hydrologiques,

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La régénération environnementale de la Vallée de la Chimie : un paysage réparateur qui reconstitue les sols inertes pour en faire des sols vivants.

fédérant les quartiers riverains autour de la programmation d’un ruban public intermodal et partageable.

3. Créer les conditions du vivant Le temps long du projet amène à élaborer des systèmes de correction et d’expérimentation, incluant la logique du vivant. Le temps long offre aussi l’occasion de reconstituer les ressources de demain, d’appréhender les cycles de vie de matériaux recyclables et de mettre à l’œuvre la reconstitution de sols fertiles, l’épuisement de la terre constituant le risque majeur futur. Le plan guide de la Vallée de la Chimie à Lyon s’engage sur la production d’un paysage dans le contexte industriel et métropolitain, prenant acte de la raréfaction des terres fertiles et de la nécessité de régénération des sols. Les nombreux tènements sans occupation accueilleraient les terres à traiter et à amender pour reconstituer des substrats agronomiques et expérimenter la production de sols fertiles, les procédés de dépollution et la production de biomasse. Le paysage productif participe alors à augmenter la valeur écologique de la vallée tout en générant une valeur économique et énergétique dans des espaces stratégiques.

4. Favoriser la permissivité La tendance est à l’hybridation des pratiques, temps et espaces et il est essentiel que la ville rende permissible toutes les nouvelles formes d’appropriation. C’est sur l’indétermination, la gestion fine de la contiguïté de ses espaces que l’urbain de demain doit pouvoir compter.

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LA VILLE PAS CHIANTE


Sur les berges de Nantes, des ouvrages ouverts à diverses fonctions, imaginés avec les habitants, ont été disposés en libre usage. L’appropriation se fait au gré des saisons et des publics. Une plateforme à l’allure d’une pêcherie occupe la ripisylve et offre un gradin, sur une scène, et des hamacs, au ras de l’eau, pour buller, méditer ou faire l’école buissonnière. Plus loin, après l’esplanade dédiée aux sports alternatifs et cultures urbaines, s’élève un échafaudage monumental, les pieds dans l’eau, véritable belvédère urbain sur la Loire, proposant terrasses, transats dans les airs, tables de bricolage, jeux et, à la belle saison, une guinguette contemporaine anime ce nouveau lieu de vie.

5. Positiver les risques Face au rapport contemporain quelque peu anesthésié avec la nature, la forte prise en compte des contraintes par le projet appelle une relation immersive avec celle-ci, mue par le désir de la prise de risque du corps dans l’espace. Cette approche du projet sensible et intuitive se confronte aux risques et aléas naturels pour les positiver et les transformer en langage de projet. L’occurrence de catastrophes naturelles au sein de nos paysages « fabriqués » et, plus particulièrement, inondables questionne la manière d’habiter le monde. La requalification des 15 kilomètres de rives de Saône, à Lyon, présentait une situation à fort risque. La séquence, réalisée par l’Agence BASE, consiste en une artificialisation discrète des berges, très étroites et instables à ce niveau : le projet apparaît et disparaît en fonction des crues et décrues de la rivière, sans s’opposer à un rythme naturel imprévisible qui le dépasse. L’augmentation de ces situations « instables » permet de considérer l’habitabilité des territoires inondables, autant qu’elle interroge la construction de relations à l’environnement et l’aptitude à s’adapter aux transformations aléatoires. L’appropriation des espaces publics peut, toutefois, représenter un risque aux yeux du maître d’ouvrage. Pourtant l’espace public doit rester pédagogique, lieu de rencontre et de défi, source d’apprentissage individuel et collectif laissant libre cours à l’imagination, la permissivité forgeant la responsabilisation, puis l’autonomie. Penser la résilience des territoires face aux risques maîtrisés, c’est laisser se développer de nouvelles formes de connaissance, individuelles et environnementales.

6. Intensifier les usages Les lieux de vies sont pratiqués, habités. Leur spontanéité d’usage invite à penser le mobilier urbain comme un potentiel praticable à la limite entre espace public et espace privé. Les « mobilieux », à ce titre, sont des mobiliers de structure rustique qui offrent de l’espace. Par leur taille surdimensionnée, ils deviennent des microlieux. Ceux du site Blandan, dans le 7e arrondissement de Lyon, permettent une domestication en créant des lieux de rendez-vous et un déploiement d’activités physiques en extérieur. Sur la partie haute du site, le mobilier provient d’un recyclage de matériaux : les pierres de rive, de soubassement, les marches d’escaliers ou encore les pignons sont détournés, récupérés et assemblés pour fabriquer un langage lié à la mémoire du site. La Place d’Armes et la grande prairie centrale du parc laissent se développer un large panel d’usages sportifs évolutifs, sur les dalles de reconquête héritées des hangars historiques. L’hospitalité d’un tel

PLACER LE PAYSAGE À L’ORIGINE

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Les quais de Loire à Nantes, des franges investies de nouveaux usages via une grande économie de moyens : un espace public désencombré qui tire parti de la pente des berges pour créer des situations inattendues dans un dialogue retrouvé avec le fleuve.

site se joue entre l’ouverture à la diversité des usages dans un parc très fréquenté1 et le maintien de zones vacantes, offrant une capacité d’évolution pour les mutations futures, s’insérant dans l’univers militaire du lieu dont le détournement d’usages intensifie ses fonctions.

7. Faire de l’urbanisme un jeu L’urbanisme, art de la coordination, implique de définir des protocoles, contraintes choisies partageables, tout en faisant advenir la surprise et l’imprévu dans les réponses imaginées et la vie quotidienne proposée. Plutôt que de faire le jeu de l’urbanisme réglementaire, il faut proposer de faire de l’urbanisme un jeu, en réaction aux contraintes et circonstances. Sur l’île de Nantes2, la réalisation et la gestion des lisières engageraient à revoir la répartition classique entre privé et public : remplacer la fiche de lot par une fiche de rue introduirait des règles de composition (et de leur perturbation ponctuelle) des fronts urbains pour assurer la cohérence du tissu. Il s’agirait alors d’éditer des règles du jeu, ou d’émulation, garantissant un bon voisinage entre projets en lien avec les priorités du plan guide. Ainsi, jouerions-nous entre unité et diversité, offrant le caractère inattendu que l’on aime dans la ville spontanée, décidément pas chiante ! Notes

1. Jusqu’à 20 000 personnes par jour en été. 2. Dialogue compétitif 2016, proposition non retenue, avec GGAU, architectes urbanistes.

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L’habitat participatif en antidote à la ville chiante Une méthode strasbourgeoise Rencontre avec Alain Jund

Portrait

Que l’on soit touriste, habitant, actif, étudiant, enfant ou âgé, issu d’une classe défavorisée ou plus privilégiée, on a tous parcouru une ville chiante. Mais ce qui est chiant pour l’un ne l’est pas nécessairement pour l’autre. Aussi, pour Alain Jund, c’est contre une ville excluante qu’il convient de lutter, car « la ville qui repousse et range dans des cases ses citoyens est peut-être la plus redoutable des villes chiantes ». Inventer de nouvelles recettes, pour promouvoir équité sociale, qualité environnementale et diversité architecturale est l’une des priorités des élus strasbourgeois, qui luttent contre le syndrome de la « ville du parfait achèvement » et le recours systématique aux macrolots. Pour lutter contre les « produits immobiliers dont la pauvreté de conception patente ALAIN JUND sanctionne une vie sociale moribonde », il a engagé à Strasbourg est vice-président de une politique publique d’habitat participatif comme une parade l’Eurométropole en charge efficace pour mieux faire la ville. des mobilités, après avoir été

adjoint à l’urbanisme, lors du mandat précédent, et viceprésident de la métropole. Il est président du Réseau national des collectivités pour l’habitat participatif et a engagé Strasbourg dans une politique très dynamique en la matière.

Un supplément d’âme

Pour Alain Jund, promouvoir, en tant qu’entité municipale, l’habitat coproduit, c’est s’opposer aux modèles classiques, apporter un supplément d’âme à l’architecture et à la ville, rendre tangibles les usages, conférer du sens et donner à voir une richesse de l’habiter. Cet engagement puissant de la collectivité ne se traduit, pour l’instant, que par une production minoritaire, mais celle-ci questionne, parfois avec impertinence, le reste du tissu urbain et suscite des désirs de vie en commun. La qualité d’usage que cet habitat inhabituel se traduit dans des formes urbaines et architecturales nouvelles, étonnantes, en général de grande qualité esthétique comme constructive, ayant anticipé les enjeux de la transition environnementale dans la construction. En rendant désirable la ville dense, l’habitat participatif permet aux collectivités de « fabriquer » avec les futurs habitants des lieux partagés et bien vécus, la densité étant vécue comme la promesse d’une qualité de vie au quotidien. L’histoire a débuté de manière pragmatique, il y a plus d’une dizaine d’années, à Strasbourg, qui compte aujourd’hui 30 bâtiments d’habitat participatif. La ville s’est d’abord inspirée des exemples outre-Rhin (Fribourg et Tübingen), où la culture coopérative avait plus d’une décennie d’avance. Visiter des projets avec habitants, coopératives, bailleurs, architectes et urbanistes a favorisé une première prise de conscience. Restait à rendre possible ce qui paraissait utopique. La ville a, pour ce faire, défini une trentaine d’emprises foncières municipales, pas trop vastes (« la maïeutique prenant du temps, il vaut mieux commencer petit ! », dit Alain Jund). Sur ces parcelles, des faisabilités architecturales ont permis de lancer des appels à manifestation d’intérêt ouverts aux habitants, réunis en coopératives, à

PLACER FAIRE UNE LE VILLE PAYSAGE PERMISSIVE À L’ORIGINE

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« La mutualisation et le partage des espaces et des services sont utiles dans nos villes où l’espace est rare et l’envie de vivre ensemble peu évidente : un enjeu architectural qui a des conséquences profondes à l’échelle urbaine, voire métropolitaine. » Alain Jund

Les projets d’habitat participatif à Strasbourg essaiment à l’échelle de la ville. Ci-dessus : plantation de haie vive par l’association Gaïa Florentina (ZAC des Poteries). À gauche : en arrière-plan, 5 logements en habitat partagé du collectif Baugruppe et, au premier plan, maison citoyenne développée par l’association Éco-Quartier (ZAC de l’Étoile). À droite : 23 logements en habitat partagé du collectif K’hutte (quartier de la Brasserie, Strasbourg Cronenbourg).

partir de cahiers des charges focalisés sur le profil énergétique du bâtiment, les matériaux et la programmation. Sur les 30 projets enclenchés, une quinzaine est aujourd’hui habitée. La ville a ensuite étendu aux ZAC un objectif de 10 % d’habitat participatif, facilement atteignable pour les aménageurs. L’élan politique a été déterminant, complété par la dynamique des citoyens qui se sont reconnus dans cette manière de faire. Les projets relevant d’abord de l’autopromotion « classique » (sur le modèle allemand des Baugruppen), un relatif entre-soi était à craindre. Étendre le dispositif à l’accession sociale à la propriété et inclure bailleurs sociaux et coopératives d’origines sociales diverses a donc été prioritaire dans le lancement d’un nouvel AMI en septembre 2019.

Mécanique d’une question d’intérêt général Une méthode empirique donne des gages de son efficacité, à la pointe d’un sujet tributaire de facteurs techniques autant qu’humains, demande du temps et de la persévérance, tant elle redéfinit la relation et les responsabilités entre copropriétés et collectivité. Une « charte de vie », écrite par les habitants qui entrent dans la coproduction, édicte les valeurs à partager et guide l’action, de l’esquisse jusqu’à la vie future quotidienne du projet. L’enjeu économique des opérations représente le principal obstacle à lever. Une approche au cas par cas concilie équilibre des bilans économiques et performance environnementale de la construction (décote antispéculative annexée sur la performance thermique de la construction). Le prix des terrains est toutefois fondé sur l’estimation des Domaines, hors décotes habituelles

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(pour l’accession sociale notamment). Autre sujet : le stationnement, dont la contrainte est amoindrie par dérogation du PLU peu contraignant (0,5 place par logement à proximité d’une station de tramway), et qui est peu utilisé. Outre la réservation de foncier (cédé par consultation spécifique), dans les ZAC comme dans le diffus, la démarche repose sur l’acculturation des acteurs (clarifier les définitions et divulguer les méthodes, tout en intégrant l’habitat participatif au sein d’opérations de logement locatif social) et le soutien à l’évolution des savoirfaire. Encore faut-il stimuler et rallier un tissu professionnel : pour dépasser les réticences de l’Ordre des architectes (qui craint une potentielle menace pour la profession), un cahier des charges précise la nature de la commande aux maîtres d’œuvre, tandis qu’un réseau d’AMO locaux, de notaires et d’acteurs bancaires fluidifie les enjeux juridiques, administratifs et financiers. En parallèle, un comité de pilotage (qui réunit le CAUE, la ville et l’Eurométropole, les bailleurs sociaux et la SEM) passe en revue les projets et étoffe la stratégie publique à plus grande échelle. Concomitamment, l’étude des montages juridiques sécurise les groupes

« La SERS avait identifié dans l’habitat participatif une 3e filière, entre les promoteurs privés et les bailleurs sociaux. Si, très rapidement, elle a perçu que l’habitat participatif ne serait jamais une affaire de volumes, avec des programmes variant de 4 à 25 lots maximum, elle a compris le formidable effet levier pour le vivre ensemble qu’engendrait le recours à des acteurs aussi engagés et motivés que ceux impliqués dans l’habitat participatif. » Eric Hartweg, directeur général de la SERS et des « Deux-Rives ».

FAIRE UNE VILLE PERMISSIVE

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« Limiter la réalisation des projets dans le temps reste un enjeu qui suppose d’encadrer les groupements pour qu’ils consolident leurs programme et calendrier de mise en œuvre avant de passer à l’acte. » Alain Kuntzmann, directeur de projets, Ville et Eurométropole de Strasbourg Conçu par les architectes de Dominique Coulon & associés, cette petite tour mêle agence d’architecture et logements au cœur du quartier historique strasbourgeois de la Krutenau.

(ces derniers devant « tenir » même si une des familles quitte le processus en cours) comme la ville (limiter le risque d’arrêt de chantier). Un « cahier des charges autopromotion » spécifique et l’accompagnement régulier des acteurs sécurisent l’approche. Enfin, l’organisation d’ateliers de formation (sur le rôle du maître d’ouvrage, les responsabilités, le risque juridique, la notion de « vivre ensemble »…) double celle d’ateliers d’accompagnement des organismes sociaux. La ville peut également faciliter la constitution de groupements, en amont de la cession de foncier. Informer et consulter les groupes d’habitants potentiels sur la base d’un cahier des charges permet d’évaluer l’organisation (stratégie générale), la solidité financière, le projet de vie (dans la durée) et un préprogramme consolidé. La ville cède alors le foncier au groupement le plus solide. Autre enjeu : assurer l’ouverture de la démarche au plus grand nombre. L’ouverture sociale du dispositif est impulsée par la collectivité, par l’instauration d’autres critères de jugement que ceux purement architecturaux. En matière d’habitat participatif, la ville est facilitateur, mais ne cofinance pas. Elle ouvre le dispositif aux « non-sachants » et crée une dynamique favorable. Négocier avec les banques et les notaires pour légitimer les projets, quitte à se porter partiellement garante, lui incombe pour obtenir la confiance des acteurs financiers, d’autant que les bases économiques de l’habitat partagé sont, en général, beaucoup plus solides que les modèles des promoteurs. Désormais, les projets essaiment et inspirent les opérateurs, bailleurs comme promoteurs, qui y trouvent leur intérêt : « Nombre d’entre eux parlent, dans leurs projets “classiques”, d’espaces et de services partagés ou de mutualisation, et se dirigent vers des projets architecturaux moins standardisés, ce qui nous fait penser que l’histoire n’en est qu’à ses débuts ! » (Alain Jund)

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« REZ-DECHAUSSONS » LA VILLE ! Le plaisir de la ville, c’est la déambulation et la jouissance de ce qui est à portée de vue : le rez-de-chaussée, encore appelé « rez-de-ville » par David Mangin. Comment ne pas bâiller d’ennui face aux rez-de-chaussée opaques, encombrés d’entrées de parking et locaux techniques, que la vie a déserté ? Ou encore des commerces répétitifs et autres enseignes génériques, qui font oublier dans quelle ville du monde on est ? Que dire des périphéries où le piéton est malvenu, en danger, voire suspect, car tout y est fait pour la voiture, semé d’obstacles ? Et la laideur y règne souvent ! Comment créer ou régénérer un commerce de pied d’immeubles, avec la perte de vitesse du commerce physique, comme l’alerte Pascal Madry ? Comment rendre les rez-de-chaussée non commerciaux accueillants et transparents, comme cherchent à le faire l’AUC, François Grether, et bien d’autres ? Comment les considérer comme projet à part entière, en ville dense comme en périphérie — en privilégiant la place des mobilités douces —, à l’heure où la déambulation est plus que jamais à l’ordre du jour pour jouer proximité, santé, plaisir de la ville ? Les rez-de-chaussée, c’est la « plinthe » de la rue, où se joue la capacité à « faire ville », en favorisant une multiplicité d’usages. L’urbanisme fonctionnel, toujours à l’œuvre, en a fait un objet résiduel et technique figé, alors que la flexibilité et l’informel sont les ferments de l’animation. Il s’agit d’abord de privilégier la notion anglo-saxonne de « ville marchable » (walkable city) qui part de l’idée que les rues commerciales doivent privilégier le piéton (« cars don’t shop, people do ! ») ; elle devrait s’appliquer à tout espace urbain : rendre aux citadins le plaisir de la déambulation, en lien ou non avec le commerce, c’est rendre désirable la ville des courtes distances, enjeu majeur de la réduction des circulations automobiles, qui s’imposera sans doute progressivement. L’amabilité des rez-de-chaussée est plus aisée quand les espaces bâtis et non bâtis sont pensés à partir du piéton et non de la voiture. Ce qui n’est pas systématiquement synonyme de rue piétonne, loin de là !

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Photo de la page précédente : Clichy-Batignolles : le voisinage entre bureaux et commerces pour les rez-de-chaussée actifs, ligne de conduite du projet, réalisé par la SEM Paris & Métropole.


Nantes, les quais de l’île : des commerces qui s’étendent sur l’espace public et dialoguent avec des œuvres héritées de la biennale Estuaire (Le Voyage à Nantes).

Le commerce c’est la ville ! Alors que faire quand il est réduit à la portion congrue, aggravée par l’éclatement périphérique et le numérique qui n’a fait que gagner en parts de marché avec la pandémie ? Se concentrer sur les linéaires que l’on peut sauver et concentrer sa présence dans les points clé des nouvelles opérations, conseille Pascal Madry. Mais, surtout, être créatif ! Le commerce devrait rejoindre la ville productive, en se diversifiant dans les linéaires privilégiés, s’ouvrant à l’activité, l’artisanat et les activités sociales ou artistiques, l’économie sociale et solidaire, comme le pratiquent déjà certains aménageurs (la SERM à Montpellier), sur la ville existante — en privilégiant des parcours commerciaux — ou sur les nouvelles opérations urbaines, en gardant pour ces dernières la propriété foncière et la gestion, pour en assurer la pérennité et la qualité. L’aménageur se doit d’être très inventif dans les montages, comme l’avait montré la SEMAPA sur Paris Rive Gauche, assurant des péréquations entre com-

RENDRE AIMABLES LES REZ-DE-CHAUSSÉE

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Le Mercat Santa Catarina à Barcelone, métamorphosé par Miralles Tagliabue : un projet participant de la politique des marchés barcelonais pour conserver cet usage au cœur de la ville tout en les transformant en lieux uniques et polyvalents.

merces rentables et commerces utiles d’intérêt public (autour de l’université). De même la SAMOA a mobilisé le Groupe Chessé, pour acquérir 1 800 m2 sur le quartier Prairie-au-Duc et installer des commerces dès l’arrivée des habitants, en régulant les loyers par une péréquation aidant l’implantation de petits commerces indépendants avec des loyers progressifs, au rythme du développement du quartier. La SERM, elle, a créé une filiale immobilière qui acquiert les commerces en VEFA et les gère. Cela renvoie à l’expérience britannique, comme à Birmingham, où l’opérateur garde la gestion des rez-de-chaussée, définissant une politique claire de péréquation, générant une vie au sol liée à la qualité des lieux et des usages, supportée par toutes les opérations et programmes immobiliers, car la qualité de l’opération dans son ensemble en dépend. Il ne faut pas oublier la part du transitoire et de l’expérimentation qui rencontre toutefois ses limites en France, avec le droit particulier du commerce, qui privilégie les baux à long terme et freine ces processus créatifs.

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LA VILLE (PAS CHIANTE) N’EST JAMAIS FINIE MUTABILITÉ, ÉVOLUTIVITÉ, MARIER LES ÂGES DE LA VILLE ET TRAVAILLER DANS L’EXISTANT Les villes que l’on aime donnent à lire l’épaisseur historique de leur réinvention permanente, au gré de leur « inachèvement perpétuel » (Antoine Grumbach). Mais « les mécaniques de projet, comme les outils juridiques ou économiques, ne laissent plus au palimpseste urbain le temps de se constituer » (Bernard Reichen), même si la ville évolue spontanément par les jeux d’acteurs multiples. Le fonctionnalisme a introduit l’idée d’une ville comme objet fini, qui a plus de chances de se dégrader que de s’enrichir, sujette à vétusté et non à patine… Les formes urbaines monofonctionnelles en témoignent : déficit d’espace public, situation de dépendance (mobilité, accessibilité aux services, au travail, aux loisirs, aux commerces…) et paupérisation (endettement, précarité énergétique, vieillissement des habitants) en sont le corollaire. Alors comment compléter le palimpseste d’une épaisseur contemporaine malgré l’accélération des productions actuelles ? Comment ne pas tout définir et laisser vivre la ville ? Comment y réintervenir en repérant les lieux mutables pour proposer leur évolution par acupuncture, à l’instar de l’ancien architecte en chef de Barcelone Oriol Clos ou de Frédéric Bonnet, architecte-conseil d’Arras, s’appuyant tous deux sur un patrimoine modeste ou remarquable pour l’actualiser en tant que nouveau bien commun ? Renouer avec une dose d’indéfinition de la ville, c’est permettre à la forme urbaine de s’étoffer progressivement. Cela permettrait à certains programmes (tertiaires, éducatifs), de croître ou décroître dans les quartiers, de faire coexister différents modèles économiques et nouveaux profils d’investisseurs ou encore de s’adapter aux crises de tous ordres. Cela favoriserait une forme urbaine diverse et complexe, qui procéderait par jux-

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LA VILLE PAS CHIANTE

Photo page précédente : la ville jamais finie surfe sur les opportunités pour enrichir la fabrique urbaine. À Barcelone, sur la Plaça de les Glòries, le marché aux puces populaire El Encants était menacé. Sur l’initiative de l’architecte en chef Oriol Clos, il est « habillé » d’une structure spectaculaire qui en fait un landmark de Barcelone en conservant un usage populaire mais aussi touristique et inclusif.


Régénérer un village avec délicatesse, à la manière de Luigi Snozzi à Monte Carasso, voilà un savoir-faire mal connu de la ville jamais finie. À Chaliers dans le Cantal, village-rue sur une crête dans un méandre de la Truyère, affluent du Lot, Simon Teyssou articule plusieurs échelles, dans un projet qu’il qualifie de « soustraction », en ôtant les édicules inutiles, en traitant les pieds de façade en seuils plantés avec des essences locales, en désimperméabilisant les sols. Trois placettes belvédères, toutes adossées à un édifice patrimonial singulier, ponctuent le parcours linéaire du village-rue et mettent en scène les vues lointaines en plongée sur la vallée de la Truyère. Le projet porte un regard critique sur l’évolution du territoire en interrogeant le devenir des terrasses sur le coteau au pied du village, autrefois cultivées et productives, délaissées et en friche. Le projet suggère que la commune, propriétaire en partie de ces parcelles, pourrait initier la reconquête des anciennes cultures en concertation avec propriétaires et associations locales. Cette attention au maintien de paysages ouverts pourrait s’étendre à toutes les parcelles agricoles peu accessibles, qui se ferment progressivement. Il s’agirait de penser un projet spécifique pour ces lieux à l’abandon qui viennent au contact du village.

taposition des échelles d’intervention et prévoirait sa mutation potentielle. Ce, à toutes les échelles : du bâtiment (structure, fluides, accessibilité, fonctions…) à l’armature viaire d’un quartier, en passant par l’émergence d’équipements multi-usages conçus dans l’idée d’un « chrono-urbanisme ». Par exemple, concevoir une forme urbaine indépendamment du maillage routier, selon une échelle de parcours propre aux piétons et aux cycles, en inventant des espaces publics nouveaux permet, selon Bernard Reichen, d’anticiper le palimpseste, en lui donnant le temps de se constituer sans assujettir les tracés urbains à un fonctionnement susceptible d’évoluer radicalement et ainsi d’échapper à l’obsolescence des dispositifs. Reste que laisser l’urbanité advenir requiert un travail d’anticipation et de suivi dans le temps, difficile à développer en l’état des outils opérationnels. Appréhender la ville comme « processus dans lequel il fait bon vivre », requiert d’imaginer l’évolution future et l’élaboration d’outils prolongeant l’action des aménageurs pour adapter les projets aux usages. Ici se percutent les mondes des innovateurs et des administrateurs. Comment anticiper un projet urbain ouvert dans un bilan ? (Jean-Luc Charles) Force est de constater que l’on attend des aménageurs qu’ils sécurisent les projets et donc les formatent, compliquant toute évolutivité. Les autorités publiques doivent offrir une oreille bienveillante pour laisser le territoire se saisir d’opportunités et construire des modèles économiques alternatifs

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Intervenir en dehors des dynamiques métropolitaines conduit des concepteurs, tels Simon Teyssou, à s’intéresser à l’évolution des tissus bâtis historiques réputés inhabitables. Au gré d’interventions ponctuelles, c’est une actualisation tout en finesse qui permet de recréer de la vie là où la vacance régnait. Les axonométries (avant/après) illustrent une faisabilité dans le cadre de l’étude urbaine sur le centre-bourg de Port-Sainte-Marie, dans le Lot-etGaronne, menée par Simon Teyssou. Le projet en cours de réalisation articule immeubles neufs et bâtis anciens réhabilités. Le projet fait l’hypothèse d’une transformation concomitante de l’espace public agrandi par la suppression de bâtis désuets. Il s’agit d’une stratégie de soustraction ouvrant de nouvelles perspectives pour les immeubles conservés (lumière, vues, frontages, possibilité de stationnement). Dans ce scénario, l’église des Templiers, désacralisée, devient espace culturel.

à l’origine d’une ville fourmillante de lieux conviviaux et de réenchantements nécessaires. Dénormer s’avère également nécessaire pour gagner des marges de manœuvre. Grands ensembles, macrolots, lotissements, copropriétés : installer des lieux de travail (tertiaire, artisanal) dans des quartiers figés par la loi, la propriété unique (bailleurs sociaux) ou les copropriétés (immeubles comme lotissements) régies par des règlements paralysants reste une gageure, quand la ville devrait, au contraire, être à l’origine d’opportunités pour pallier les crises sociales découlant des soubresauts économiques et financiers. Faire la ville pas chiante, c’est surtout s’intéresser à tout espace urbain (et pas seulement aux « opérations d’urbanisme ») et se poser la question de ce qui fait lien. C’est la fonction des architectes en chef (ou bouwmeester en Belgique), qui regardent les lieux avec amitié, pour débusquer une qualité habituellement mésestimée et déterminer leur potentiel d’évolution. La « réinvention » du Mercats dels Encants (le marché aux puces de Barcelone) en témoigne : c’est le regard amoureux d’Oriol Bohigas qui a permis de préserver cet usage fragile, en le faisant habiller d’une toiture spectaculaire qui en a fait un haut lieu de la ville. Fréderic Bonnet pratique cette fonction transversale à Arras, qui l’amène à se questionner sur le potentiel d’un lieu en mobilisant les élus et associations tout en testant des programmes. S’affranchir des périmètres

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À Romainville, le quartier de l’Horloge : Bernard Reichen a proposé sur l’avenue Gaston Roussel de prendre appui sur un ensemble de pavillons en meulière qui seraient conservés et intégrés à un espace public amplifié et renaturé, pour constituer des sortes de « folies » qui peuvent accueillir des programmes actifs et introduire de la complexité urbaine et programmatique. Ils construisent en eux même un premier récit urbain complété ensuite par des développements contemporains denses et diversifiés. (dispositif partiellement réalisé)

s’impose pour faire la ville pas chiante partout, mais ces profils et missions restent minoritaires et sont trop peu pris en considération dans le quotidien des métiers de l’urbanisme ! Au-delà, placer des systèmes de correction et d’expérimentation au cœur du projet urbain s’inspirerait des logiques du vivant : reconstituer un socle, installer une « pépinière citoyenne in situ » (comme à Strasbourg) et ce, en dépit d’une coordination complexe entre opérateurs et collectivités. Dans la Vallée de la Chimie, à Lyon, le recyclage créatif des installations industrielles se traduit par la définition de 40 inter-lieux à activer de manière temporaire, en faisant appel au micro-investissement. Ces approches pixélisées, indissociables du processus au long cours, articulent court et (très) long termes. Ainsi, la ville pas chiante se nourrit des imaginaires pour se transformer, facilitant l’émergence de lieux inédits répondant à un nouveau besoin ou révélant un usage latent. Elle est garante de perméabilité, de mobilité et d’usages ouverts. L’urbanisme transitoire en est l’un des visages, qui ouvre une voie qui ne peut faire l’économie d’une gouvernance affirmant une vision à long terme. Elle procède par accumulation des modalités de transformation plus ou moins pérennes des sites. Articuler de manière fluide différentes temporalités devient l’un des enjeux du projet urbain, chaque situation devant chercher dans ses potentiels et ses obstacles les réponses appropriées, quitte à proposer d’associer un « calendrier guide » à chaque plan guide. La ville jamais finie est un état d’esprit, peut-être seul susceptible de réconcilier la fabrique de la ville avec l’« inachèvement perpétuel » si désirable dans les temps raccourcis de réflexion et d’action qui sont les nôtres.

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la ville pas chiante

« Il en faut tout de même du culot pour intituler un ouvrage “la ville pas chiante”. Les auteurs auraient pu choisir un vocabulaire plus onctueux, leur éditeur les inciter à plus de modération. Parler d’aimables cités aurait été plus convenable. Et convenu. Car ces mots bienveillants, qui ne fâchent personne, sont désormais les grands poncifs du marketing territorial. À force de novlangue, le dit de l’urbain en perd ses directions, ses objectifs jusqu’à en devenir inefficace. Pour avoir souvent entendu que “l’urbanisme c’est barbant, personne n’y comprend rien”, on se dit qu’il faut cesser de jargonner gouvernance, coélaboration, smart cities, mixité fonctionnelle ou renforcement de la cohésion sociale. Ça ne peut pas faire de mal d’y aller franco ! Faire la ville pas chiante et y intéresser les habitants, c’est peutêtre commencer par arrêter les discours emmerdants. Mais il faut être plus culotté encore pour penser, comme les auteurs de cet ouvrage, que cette ville-là est possible. Que des métropoles aux communes de la ruralité, le paysage urbain peut être plaisant, rigolo, beau, historique, inventif, surprenant, ordonné, foutraque, praticable, confortable, animé, ouvert, serein, sûr... Toujours divers, jamais ennuyeux. En ces temps de pandémie où la tentation est devenue forte d’aller chercher ailleurs de l’herbe que l’on suppose plus verte, il est urgent d’apporter la preuve qu’on peut la fabriquer, cette ville riante, éthique et durable. Une utopie urbaine qui n’en est pas une, ainsi que le démontrent les 10 points déclinés dans ce livre pas ordinaire. » Marie-Douce Albert, journaliste

ISBN : 9782281144956

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ARIELLA MASBOUNGI ANTOINE PETITJEAN

Préface de Patrick Bouchain


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