l'intelligence artificielle au service de l'architecture

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Stanislas Chaillou

l’intelligence artificielle au service de l’architecture

l’intelligence artificielle au service de l’architecture

En architecture, le recours à l’intelligence artificielle (IA) en est encore à ses prémices. Pour autant, les résultats obtenus et escomptés sont engageants. Ce nouvel élan technologique semble à même de faire évoluer le périmètre et la pratique de l’architecture, ses méthodes et ses savoir-faire. En se plaçant à ce moment d’inflexion du métier, ce livre présente les résultats actuels et les promesses de l’IA dans sa conjonction avec l’architecture. Il la replace d’abord dans l’histoire des sciences, en retraçant la généalogie des évolutions technologiques depuis un siècle : de la grille modulaire aux logiciels de conception, jusqu’à l’adoption progressive de l’IA. Un tour d’horizon des avancées récentes de cette dernière en architecture est ensuite présenté : génération de plans, élaboration de façades, exploration de possibilités structurelles, etc. Cet ouvrage donne enfin la parole à des chercheurs, de l’université d’Harvard à celle du Bauhaus, dont les contributions et les points de vue esquissent une fresque de la diversité des possibles. De la création de variantes par de l’IA dite « générative » à la prédiction de la performance énergétique du bâti grâce au machine learning, leurs travaux posent aujourd’hui les jalons d’une IA adaptée à l’architecture. En conjuguant théorie, exemples et contenus digitaux, cet ouvrage éclaire donc les débuts d’une nouvelle ère technologique : celle de l’IA, apte à servir la pratique architecturale pour les décennies à venir. À propos de l’auteur Stanislas Chaillou a obtenu sa licence d’architecture à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), en 2015, et son master d’architecture à l’université d’Harvard en 2019. Ses travaux d’étude portaient sur les aspects théoriques et applicatifs de l’intelligence artificielle en architecture. Il travaille désormais en tant qu’architecte et « data scientist » au sein du département de recherche et développement de Spacemaker, où il est chargé d’élaborer des projets de recherche autour de l’intelligence artificielle pour assister la conception architecturale.

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l’intelligence artificielle au service de l’architecture Stanislas Chaillou

ISBN 978-2-281-14485-7

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SOMMAIRE PRÉFACE

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INTRODUCTION

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1 HISTOIRE D’UNE ALLIANCE 1.1. 1.2. 1.3. 1.4.

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La modularité La conception assistée par ordinateur Le paramétrisme L’intelligence artificielle

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2 L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN ARCHITECTURE

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2.1. 2.2. 2.3. 2.4. 2.5.

L’intelligence artificielle et ses modèles Les plans Les façades Les perspectives Les structures

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3 ARTICLES ET OPINIONS 3.1. 3.2. 3.3. 3.4. 3.5. 3.6. 3.7.

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Vers une intégration humaine de l’intelligence artificielle Agencements et espaces L’échelle urbaine L’apprenti sorcier L’IA en architecture : une perspective expérimentale Modèles de substitution et conception Les « boîtes grises »

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4 PROGRÈS ET AVENIR

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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BIOGRAPHIES DES CONTRIBUTEURS INDEX

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Avant d’être un ouvrage théorique, ce livre veut d’abord proposer une illustration simple de l’intelligence artificielle (IA) en architecture. Les lectrices et lecteurs pourront parcourir le folioscope suivant : en feuilletant cet ouvrage rapidement de page en page, elles et ils découvriront, sous forme d’animation, la manière par laquelle un modèle d’IA peut être entraîné à approximer le dessin de plans architecturaux. Des premières images, où le modèle se familiarise tout juste avec le dessin de plans de logements, jusqu’aux dernières images, où ce même modèle arrive à placer pièces et ouvertures, cette séquence d’entraînement est une introduction immédiate à « l’IA architecturale ».

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INTRODUCTION L’intelligence artificielle (IA) est une discipline qui a déjà pénétré nombre d’industries, en leur apportant les moyens de relever des défis inédits. Son adoption en architecture en est encore à ses débuts, mais les résultats obtenus et escomptés sont prometteurs. Cette technologie est bien plus qu’une simple opportunité, elle est un pas en avant sans doute décisif, à même de faire évoluer radicalement la pratique de l’architecture. En nous appuyant sur un éclairage historique, nous replacerons, dans un premier temps, l’IA dans l’histoire des sciences et de l’architecture. L’évolution technologique qui y conduit est en fait l’inverse d’une « disruption » ; elle est le résultat d’une lente maturation, justifiant le tour d’horizon chronologique qui introduit cet ouvrage. Dans un second temps, nous exposerons les résultats récents des différents champs de la recherche. L’IA contribue en effet déjà à la conception des principales échelles du bâti. Plans architecturaux, élévations, perspectives, structures : autant d’applications effectives que ce livre développe. Enfin, nous donnerons la parole aux chercheuses 13

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INTRODUCTION

et chercheurs qui, aujourd’hui, travaillent aux avant-postes de cette évolution. Cet ouvrage réunit pour cela une sélection d’articles, qui dessinent les grands enjeux de l’IA et de ses applications en architecture. Du Bauhaus à Harvard en passant par le MIT, c’est une fresque internationale des expérimentations actuelles que ce livre donne à voir aux lectrices et lecteurs. En somme, entre théories et exemples, nous entendons éclairer les débuts d’une nouvelle ère technologique, celle de l’IA, qui, tout en démultipliant la pratique architecturale, lui rend ses lettres de noblesse. À travers un parcours en trois étapes, nous nous proposons de dévoiler aux lectrices et lecteurs la promesse que représente l’IA, lorsqu’elle est mise au service de l’architecture. Le contenu de ce livre est en partie dérivé de l’exposition « Intelligence Artificielle & Architecture », ouverte au public début 2020. Cette exposition, commissionnée par Stanislas Chaillou, et produite par le Pavillon de l’Arsenal à Paris présentait l’état des lieux de l’adoption de l’IA en architecture. Elle est aujourd’hui accessible en ligne, sous le format d’une visite virtuelle. Les lectrices et lecteurs pourront s’y promener à loisir et retrouver une partie du contenu de cet ouvrage. Cette visite en ligne fait donc écho à ce livre, alors que l’ouvrage reprend, augmente et complète le contenu de l’exposition. En outre, ce livre est complété par un contenu numérique, accessible grâce à un système de codes QR cliquables et pouvant être scannés à la fin ), de chaque chapitre. Ces références diverses, sous formes de livres ( ), films d’archive ( ), sites internet ( ) et autres, articles ( proposent aux lectrices et lecteurs de poursuivre leur découverte de l’IA en architecture, au-delà du contenu de cet ouvrage. Note de l’auteur : à titre de références, ce livre mentionne certains logiciels et fabricants. Cet ouvrage pour autant ne promeut ni ne soutient les solutions mentionnées.

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Exposition virtuelle en ligne

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2. L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN ARCHITECTURE

causes de leur marge d’erreur, ils affinent progressivement leur capacité à émuler le phénomène que les données décrivent. La figure 2.1 détaille le fonctionnement général de ces modèles. Dans les pages qui suivent, nous présenterons aussi deux cas particuliers de cette forme d’IA générative ayant fait leurs preuves ces dernières années : les GANs et les VAEs. Auto-évaluation Fig. 2.1. Architecture d’un modèle de substitution

Entrée

MODÈLE

Sortie

Grâce à ces modèles, l’IA s’est rapprochée de l’architecture ces dernières années. Pour illustrer cette réalité, les trois figures suivantes présentent son application à la génération de plans d’appartements. Dans cet exemple, développé plus en détail dans la suite de l’ouvrage, un modèle est entraîné à apprendre à agencer des pièces dans une emprise au sol préalablement définie, tout en respectant la position de la porte d’entrée et des fenêtres de façade. En utilisant une base de données de paires d’images (fig. 2.2), le modèle apprend progressivement à aménager l’intérieur de plans d’appartement. La figure 2.3 montre les résultats obtenus durant la phase d’entraînement d’un modèle GAN ayant duré près de 16 heures. Des premiers essais, en haut à gauche de la figure, aux derniers, en bas à droite, le modèle a appris à agencer un plan de logement. 52

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2.1. L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

ET SES MODÈLES

Fig. 2.2. Paire d’images « input » (gauche) et « output » (droite), associant une emprise au sol à un agencement de pièces, S. Chaillou, Harvard, 2019

Début de l’entraînement

Fig. 2.3. Images générées durant l’entraînement d’un modèle GAN, S. Chaillou, Harvard, 2019

Fin de l’entraînement

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2. L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN ARCHITECTURE

Les images [A] à [D] de la figure 2.4, qui correspondent à quatre moments distincts de l’apprentissage, révèlent l’assimilation par le modèle d’IA des principes d’agencement spatial. Le premier essai n’émule que l’emprise au sol d’un appartement [A]. Puis, les notions de façade et de programme émergent, sans pour autant donner place à une cohérence spatiale, ou même à un cloisonnement des pièces [B]. Plus tard, le modèle acquiert le principe de la fermeture des espaces, alors que des cloisons entre pièces prennent place systématiquement, et que les adjacences entre celles-ci se précisent [C]. Finalement, une fois l’entraînement terminé [D], le modèle propose un plan respectant la plupart des principes nécessaires à la bonne organisation de l’espace : ouvertures en façade, adjacences valides entre différents éléments du programme, cloisonnement des pièces, etc. Fig. 2.4. Moments de l’entraînement d’un modèle GAN, Chaillou, Harvard, 2019

[A]

[B]

[C]

[D]

Bien qu’il surpasse les méthodes génératives qui l’ont précédé, ce processus n’est pas exempt de limitations. En premier lieu, les plans 54

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2. L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN ARCHITECTURE

2.2. LES PLANS

L’agencement des pièces au sein d’une emprise au sol représente

un enjeu de taille en architecture, auquel l’IA peut apporter des solutions. Pouvoir diviser un plan d’étage tout en respectant les contiguïtés et adjacences nécessaires, des dimensions de pièce raisonnables et une répartition des ouvertures correcte, est une tâche pour laquelle l’IA peut proposer des solutions initiales surprenantes. ArchiGAN, dérivé du modèle GAN Pix2pix, s’attache à estimer l’aménagement intérieur de plans d’appartement. Il propose ainsi d’assister l’architecte à penser la question du programme. L’utilisateur est invité à spécifier des conditions initiales, à savoir la forme de l’emprise au sol d’un appartement, la position des fenêtres en façade, et celle de la porte d’entrée. En fonction de ce jeu de contraintes, le modèle propose une répartition des pièces, des cloisons et des éléments structurels, comme les colonnes ou les murs porteurs. Dans la figure 2.7, nous présentons les résultats de ce modèle : pour chaque paire d’images, celle de gauche représente les contraintes initiales spécifiées par l’architecte, l’« input », et l’image de droite le résultat obtenu grâce au modèle GAN, l’« output ». 58

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2.2. LES PLANS

Fenêtre Entrée

Emprise au sol

Salon

Chambre

Salle de bain

Couloir

Cuisine

Placard

Balcon

Fig. 2.7. Input et output de plans par le modèle ArchiGAN, Chaillou, Harvard, 2019

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2. L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN ARCHITECTURE

Si la qualité des typologies produites prête à discussion, il convient de considérer ces résultats comme un premier jet, à partir duquel l’utilisateur est invité à itérer. La variété des options produites est aussi l’une des forces d’une telle approche. En effet, en proposant de nombreuses formes à l’utilisateur (fig. 2.8), le modèle agit comme une source d’inspiration et offre dès les débuts de l’esquisse de multiples possibilités. Ces résultats illustrent en réalité une version possible de la collaboration qui existera bientôt entre des modèles d’IA et l’architecte. Sur des questions techniques telles que l’agencement d’un programme, demandant une réflexion à la fois quantitative et qualitative, l’IA peut d’ores et déjà apporter des pistes d’exploration valides. Fig. 2.8. Plans générés par le modèle ArchiGAN, Chaillou, Harvard, 2019

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2.2. LES PLANS

RÉFÉRENCES ET RESSOURCES

FR

IA & Architecture, une perspective experimentale

EN

S. Chaillou, Towards Data Science, 2020

S. Chaillou, Towards Data Science, 2019

ArchiGAN EN

S. Chaillou, Nvidia Developer Blog, 2019

Space Layouts & GANs

EN

AI & Architecture, Towards a New Approach Mémoire de recherche, S. Chaillou, Harvard, 2019

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2. L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN ARCHITECTURE

2.3. LES FAÇADES

L’IA peut aussi apporter son aide à la conception de façades.

Dessiner l’enveloppe d’un bâtiment exige de penser une composition de sa façade, ainsi que de mener une réflexion sur sa matérialité. Pix2pix offre ici une réponse pertinente. Ce modèle GAN, développé en 2018 par Isola & al., un groupe de chercheurs de l’université de Berkeley, est capable de texturer une façade en partant d’une image décrivant la disposition de ses éléments structurants (fenêtres, corniches, pilastres, portes, balcons, etc.). Pour un agencement donné, le modèle génère une représentation texturée de la façade (fig. 2.9), tout en assurant une certaine unité stylistique. Cette approche limite donc le travail d’une façade à un strict jeu de composition. L’utilisateur peut faire varier la taille et les proportions de chaque élément (partie gauche des images de la figure 2.9), avant de demander au modèle de texturer l’ensemble. Le résultat offre un aperçu de la matérialité et de l’aspect d’ensemble de la façade (partie droite des images de la figure 2.9), que l’architecte peut rééditer à loisir, afin d’en faire évoluer le rendu final. 62

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2.3. LES FAÇADES

Fig. 2.9. Série de façades, Isola & al., laboratoire BAIR, Berkeley, 2018

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2. L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN ARCHITECTURE

À ce va-et-vient entre l’IA et l’architecte correspondent une part spécifiée et une part générée de l’information bien distinctes. L’architecte se charge de la composition, ou, en clair, de l’agencement relatif des éléments de façade, de sa logique et de son équilibre. Cet aspect constitue la part spécifiée, ou, autrement dit, la contrainte. De son côté, la machine doit traduire cette composition en une trame cohérente, où le style et l’aspect des matériaux sont en harmonie de part en part de la façade. Elle assure également l’ajout d’un degré bien supérieur de détail à chaque élément spécifié par l’architecte. Par exemple, pour une fenêtre représentée à l’aide d’un carré bleu par l’utilisateur, le modèle GAN propose un encadrement, un vitrage et une corniche, tout en s’assurant d’aligner les autres fenêtres de la composition sur le même style. Cet aspect constitue la part générée. Entre parts spécifiée et générée, ce processus permet donc un gain de temps pour l’architecte, tandis que ce dernier conserve sa liberté créative. La figure 2.10 illustre la palette des propositions de façades générées par ce modèle, pour des contraintes chaque fois différentes. Fig. 2.10. Série de façades, Isola & al., laboratoire BAIR, Berkeley, 2018

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2.3. LES FAÇADES

RÉFÉRENCES ET RESSOURCES

EN

Site officiel de Pix2pix

EN

Isola & al., université de Berkeley, CVPR, 2017

EN

Image-to-Image Translation with CGAN Isola & al., université de Berkeley, CVPR, 2017

Présentation de Pix2pix en 2 minutes 2017

EN

Interface de démonstration de Pix2pix C. Hesse, 2017

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3. ARTICLES ET OPINIONS

3.2. A GENCEMENTS ET ESPACES

PAR BASTIEN DOLLA, DIRECTEUR GÉNÉRAL D’HABX

La qualité d’un logement réside en partie dans certains attributs,

comme la luminosité, l’isolation acoustique, l’aération, etc. Cependant, elle tient également, et peut-être avant tout, à l’adéquation de son architecture avec le mode de vie de son occupant. Sauf en de rares exceptions, les appartements neufs vendus sur plans sont conçus sans connaissance de leurs futurs habitants. L’architecte doit alors penser l’agencement en s’appuyant sur un profil d’occupation type, par exemple, un couple avec deux enfants pour un trois pièces, qui ne représente pas la variété, de plus en plus grande, des modes de vie. En conséquence, les logements standardisés sont souvent mal adaptés aux usages de leurs occupants. 84

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3.2. AGENCEMENTS ET ESPACES

La raison de cette inefficience tient en un paradoxe difficile à résoudre. L’acquéreur d’un logement neuf souhaite, pour se décider, disposer du plan futur de son appartement, mais le promoteur immobilier n’est prêt à assumer le coût d’un plan sur mesure que si l’acquéreur s’engage à l’acheter. De surcroît, un processus commercial efficace nécessite des temps de réaction très courts, peu compatibles avec le délai de production d’un plan ad hoc par un architecte. La difficulté à produire des plans « sur mesure » ne tient cependant pas tant à la complexité de la tâche architecturale en elle-même, quelques dizaines de minutes suffisent souvent à l’architecte pour adapter le plan initial, qu’au processus global de production : transmission de l’information du vendeur vers le maître d’œuvre en passant par le maître d’ouvrage, gestion de la disponibilité de l’architecte, production de supports graphiques du contrat de vente, etc. L’automatisation de la conception du plan modifié permettrait de s’affranchir de ces coûts de communication et améliorer significativement l’expérience de personnalisation d’un logement neuf. Cet objectif est poursuivi chez habx via la création de solutions numériques dédiées aux promoteurs.

RÉSOUDRE LE SPACE LAYOUT PROBLEM Le problème central de la personnalisation d’un plan d’appartement peut être assimilé à celui, bien connu, de l’agencement optimal d’espaces sous contraintes de surfaces et d’adjacences, dit « space

layout problem » ou « problème d’aménagement de l’espace », présenté à la figure 3.3. La tâche à réaliser consiste à réussir à partitionner un polygone, celui constitué par l’enveloppe de l’appartement, en des pièces dont la surface corresponde aux spécifications exprimées, tout 85

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3. ARTICLES ET OPINIONS

en respectant des règles indispensables à la viabilité architecturale du plan : taille minimale de pièces, proximité des gaines techniques avec les salles humides, éclairage naturel des chambres et des pièces de vie, etc. L’automatisation de ce problème a fait l’objet de travaux anciens et nombreux sans qu’une solution efficiente et généralisable n’ait pu être trouvée. Fig. 3.3. Le space layout problem

Nous avons élaboré chez habx une méthode de résolution de ce problème s’appuyant sur la combinaison de trois techniques issues de familles algorithmiques très différentes : un moteur d’inférence1 pour la définition d’une trame spécifique à l’enveloppe de l’appartement, la programmation par contraintes2 pour générer des solutions initiales variées vérifiant certaines contraintes impératives, un algorithme génétique3 pour l’optimisation fine de chaque variante de plan (fig. 3.4). Avant de chercher à automatiser la création d’un plan d’appartement, il faut répondre à la question complexe de ce qu’est un plan de qualité. Cette question peut se formuler ainsi : comment est-il possible d’objectiver la performance du travail de conception architecturale d’une façon quantifiable et aisément calculable à partir d’un modèle géométrique ? Nous proposons pour cela six critères : le respect des 86

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3.2. AGENCEMENTS ET ESPACES

surfaces souhaitées, l’éclairage naturel, la simplicité des formes, la convexité, un ratio de forme pertinent, et la connexité du plan (fig. 3.5). Ces choix sont nécessairement réducteurs, mais suffisants pour générer des premiers résultats intéressants. Ces critères peuvent être fréquemment antagonistes. Une pièce pourrait, par exemple, répondre de façon plus efficace au critère de surface souhaitée si elle disposait d’un plus grand nombre d’angles, ou encore, une pièce devrait être concave pour faciliter l’accès au couloir de desserte, etc. La recherche de compromis est indispensable. Fig. 3.4. Les quatre étapes de l’algorithme

Fig. 3.5. Objectifs et qualités recherchés

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3.3. L’ÉCHELLE URBAINE

dépend de la complexité de la représentation des données. La forme la plus simple est la représentation directe des propriétés géométriques par des paramètres tels que la longueur, la largeur ou la hauteur d’un objet. Néanmoins, bien qu’il soit possible de générer un grand nombre de dessins différents en faisant varier les paramètres de manière incrémentielle, les dessins générés sont tous relativement similaires et peu originaux, bien qu’intégrés dans le modèle paramétrique. Comparées à l’infinie complexité des processus naturels faisant se développer une plante ou un animal à partir de gènes ou de chromosomes, nos représentations paramétriques s’avèrent triviales. Cette réduction de la diversité des options générées reste une limite importante pour des applications convaincantes de l’IA à la conception. Une autre difficulté des approches de conception informatique réside dans leur intégration dans des processus de conception réels et complexes. En effet, les outils de calcul traitent une partie spécifique du processus de conception global. Un défi majeur dans ce contexte concerne donc la pratique et l’enseignement traditionnels de la conception, qui n’incluent pour l’instant pas les concepts informatiques dès le départ. Souvent, le calcul est utilisé pour démontrer a posteriori la qualité d’un concept développé, au lieu d’intégrer le calcul dans le processus de conception dès le début. Dans le cadre de nos activités à l’université du Bauhaus à Weimar, nous développons de nouveaux concepts d’enseignement pour l’utilisation de méthodes de calcul comme partie intégrante du processus de conception. Dans une série de projets, nous avons exploré les techniques d’IA qui conduisent à de nouvelles méthodes de conception semi-automatiques basées sur l’interaction entre la pensée créative humaine et la puissance de calcul des ordinateurs. Nous avons notamment rassemblé une série d’exemples convaincants sur notre plateforme d’enseignement en ligne1. Par ailleurs, nous développons à l’heure actuelle de nouvelles procédures 95

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3. ARTICLES ET OPINIONS

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3.3. L’ÉCHELLE URBAINE

Fig. 3.8. Approche intégrée de la conception urbaine pour un nouveau quartier, mise en œuvre au moyen de la « DeCodingSpaces-Toolbox »2, logiciel d’analyse de formes urbaines développé par Reinhard König et Martin Bielik. Dans l’interface, la palette à gauche permet d’entrer et de manipuler certains critères, quand celle à droite quantifie les différentes propriétés du plan d’urbanisme visible au centre de l’interface.

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3.6. MODÈLES DE SUBSTITUTION

ET CONCEPTION

la façon dont un espace est apprécié par ses habitants. Il s’avère donc crucial de fournir à un designer une analyse instantanée des mesures quantitatives précédemment mentionnées. En réalité, l’exigence d’une évaluation rapide nourrit l’intersection entre le machine learning et la conception, et trouve son expression dans la modélisation dite de « substitution ».

MODÈLES DE SUBSTITUTION De nombreux problèmes d’ingénierie impliquent des règles sousjacentes qui régissent un ensemble de variables, mais dont le calcul est coûteux, et sans quoi les phénomènes étudiés ne peuvent être directement observés. Dans le cas de considérations quantitatives, les concepteurs informatiques sont confrontés à un premier problème. Il peut s’agir du calcul de la diffusion du bruit ou de l’écoulement du vent sur l’ensemble d’un site, tâches chronophages et coûteuses, et donc difficilement compatibles avec l’impératif d’une itération rapide. La modélisation de substitution est une méthode consistant à imiter le comportement d’un véritable modèle de simulation. Par exemple, les calculs de vent s’appuient sur des simulations de dynamique des fluides, lesquelles composent une méthode complexe qui suit la dynamique des fluides du vent dans un espace tridimensionnel. Si nous partons du principe que nous voulons connaître le confort éolien uniquement à une hauteur donnée – disons à la hauteur moyenne d’un être humain –, nous pouvons concevoir un modèle de substitution qui donne une approximation de la force du vent dans un espace à deux dimensions, à une hauteur donnée. C’est précisément ce que nous avons réalisé chez Spacemaker. La figure 3.29 montre que, pour un site donné et 143

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3. ARTICLES ET OPINIONS

Fig. 3.29. Prédiction de l’écoulement des vents dans l’application de Spacemaker

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3.6. MODÈLES DE SUBSTITUTION

ET CONCEPTION

Résultat attendu

Prédiction obtenue Fig. 3.30. Résultats de la prédiction de l’écoulement des vents, en fonction d’une vitesse du vent spécifiée et de sa direction

Résultat attendu

Prédiction obtenue

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Stanislas Chaillou

l’intelligence artificielle au service de l’architecture

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En architecture, le recours à l’intelligence artificielle (IA) en est encore à ses prémices. Pour autant, les résultats obtenus et escomptés sont engageants. Ce nouvel élan technologique semble à même de faire évoluer le périmètre et la pratique de l’architecture, ses méthodes et ses savoir-faire. En se plaçant à ce moment d’inflexion du métier, ce livre présente les résultats actuels et les promesses de l’IA dans sa conjonction avec l’architecture. Il la replace d’abord dans l’histoire des sciences, en retraçant la généalogie des évolutions technologiques depuis un siècle : de la grille modulaire aux logiciels de conception, jusqu’à l’adoption progressive de l’IA. Un tour d’horizon des avancées récentes de cette dernière en architecture est ensuite présenté : génération de plans, élaboration de façades, exploration de possibilités structurelles, etc. Cet ouvrage donne enfin la parole à des chercheurs, de l’université d’Harvard à celle du Bauhaus, dont les contributions et les points de vue esquissent une fresque de la diversité des possibles. De la création de variantes par de l’IA dite « générative » à la prédiction de la performance énergétique du bâti grâce au machine learning, leurs travaux posent aujourd’hui les jalons d’une IA adaptée à l’architecture. En conjuguant théorie, exemples et contenus digitaux, cet ouvrage éclaire donc les débuts d’une nouvelle ère technologique : celle de l’IA, apte à servir la pratique architecturale pour les décennies à venir. À propos de l’auteur Stanislas Chaillou a obtenu sa licence d’architecture à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), en 2015, et son master d’architecture à l’université d’Harvard en 2019. Ses travaux d’étude portaient sur les aspects théoriques et applicatifs de l’intelligence artificielle en architecture. Il travaille désormais en tant qu’architecte et « data scientist » au sein du département de recherche et développement de Spacemaker, où il est chargé d’élaborer des projets de recherche autour de l’intelligence artificielle pour assister la conception architecturale.

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l’intelligence artificielle au service de l’architecture Stanislas Chaillou

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