Magazine IT n°923

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EN COUVERTURE

Jean-Luc Beylat,

président d’Alcatel Lucent Bell Labs France

Nos salariés peuvent créer des start-up en interne qu’elles fassent remonter des informa­ tions sur les besoins du marché », témoi­ gne par exemple Olivier Seznec, directeur de la stratégie technologique de l’équipe­ mentier en télécoms Cisco en France. La gestion des carrières peut également constituer un levier précieux non seule­ ment pour fidéliser les talents, mais aussi pour favoriser un pilotage de la R & D qui prenne en compte les autres réalités de l’entreprise. Invités à sortir de leur tour d’ivoire, cher­ cheurs et développeurs doivent en tout cas apprendre à communiquer leurs résultats de manière intelligible. Ils doivent surtout prouver qu’en devenant des puits de science, ils développent bien leur capacité à irriguer les activités de l’entreprise et représentent ainsi une source de profits et non plus seulement, comme on l’a sou­ vent considéré, un centre de coûts.

rationalisation risque-elle de mettre en péril la créativité?

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Pour ce faire, l’un des défis consiste à identifier les indicateurs les plus perti­ nents de l’efficacité de la R & D. Le nom­ bre de brevets déposés, par exemple, dépend trop de la stratégie de communi­ cation et de gestion de la propriété intel­ lectuelle de l’entreprise pour constituer un outil d’évaluation efficace. Le revenu issu des nouveaux produits peut s’avérer efficace pour les industries à cycle long, mais ne permet pas un pilotage dyna­ mique de la R & D. De même, le temps qui sépare le début d’un projet de la commer­ cialisation (time to market) ou encore la satisfaction client sont des mesures inté­ ressantes, mais insuffisantes. Faute d’étalon maître universellement satisfai­ sant, c’est en fait à chaque industriel de construire ses propres outils de pilo­ tage, en lien avec sa stratégie. Mais en cherchant des indicateurs chif­ frés de performance et en se mettant à

Quels sont les grands défis auxquels la R & D doit faire face aujourd’hui ? J.-L. B. : D’abord, la globalisation, qui

implique de savoir à la fois s’organiser à l’échelle du monde et prendre en compte les spécificités des différents marchés. Ensuite le poids croissant de l’innova­ tion, plus que jamais vitale. Dans un contexte de crise et d’après­crise, la créa­ tion et la destruction de marchés sont permanentes. Et de fait, nos métiers chan­ gent en permanence, nous obligeant à innover très rapidement. Enfin, la nécessité de faire bon usage de son environnement pour penser solution, au lieu de se contenter de faire simple­ ment évoluer ses propres produits. Il s’agit de s’emparer de sujets vastes, comme la ville numérique ou la route intelligente, sur lesquels aucun acteur ne maîtrise l’ensemble des données, d’où l’importance de travailler avec d’autres. Quels changements cela implique-t-il pour les acteurs de la R & D ? J.-L. B. : Ils doivent apprendre à travailler

en partenariat, dans une logique d’inno­ vation ouverte. Et donc faire progresser

l’écoute des besoins du marché, la R & D ne risque­elle pas de perdre son âme et surtout, sa créativité ? L’inquiétude est fréquente parmi les chercheurs. Et de fait, « à trop rationaliser, on peut avoir un effet sclérosant », avertit Jean Christo­ phe Saunière. L’étude que le consultant de PricewaterhouseCoopers vient de publier après s’être entretenu avec une trentaine de responsables R & D de mul­ tinationales ou de grosses PME prouve d’ailleurs que la rationalisation se traduit habituellement par une réorientation

des technologies qui ne sont pas seule­ ment issues des étagères de l’entreprise. Une façon de travailler qui nécessite de penser autrement la propriété intellec­ tuelle. Comment avez-vous concrètement intégré ces nécessités chez AlcatelLucent ? J.-L. B. : Outre les collaborations apportées

par le réseau des Bell labs, nous sommes très impliqués, au niveau français, dans les pôles de compétitivité et nous avons créé des laboratoires communs avec de grands instituts de recherche comme l’In­ ria ou l’Institut Télécom. Nous avons aussi créé en janvier Greentouch, un consortium visant à diviser par 1 000 la consommation énergétique des réseaux de communication. Nous avons par ailleurs créé le Défi entreprendre, dans le cadre duquel nos collaborateurs, issus de tous les services de l’entreprise, peuvent présenter leurs projets et créer des start­ up en interne. Depuis mon arrivée à la tête des Bell Labs France, je mets en place un management favorisant la prise de ris­ ques notamment en acceptant l’échec.

des efforts dans le domaine de l’inno­ vation incrémentale ou de production. Au risque de mettre en péril la capacité d’innovation à long terme. Un écueil qui peut être évité si l’inté­ gration de services aux missions complé­ mentaires au sein d’un processus d’inno­ vation implique un enrichissement réciproque et non une confusion sur leurs fonctions respectives. Autrement dit, si la recherche continue à être invitée à faire de la recherche, c’est­à­dire à pro­ duire des connaissances. JUIN 2010ccN°923

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