Droit et gestion des collectivités territoriales 2023

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GIS-GRALE Groupement de recherche sur l’Administration locale en Europe Textes Jurisprudence Doctrine et pratiques 40 ans de décentralisation : une mise en perspective 2022 DROIT et GESTION des Collectivités Territoriales

INTRODUCTION

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Nicolas KADA

Professeur de droit public, Codirecteur du GRALE

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« Dans la pratique, et aussi loin que nous remontions dans le cours des âges, l’homme subit, à côté des contraintes extérieures, une contrainte intérieure. Il n’éprouve pas seulement des résistances, mais il s’en crée à lui même, sous la forme de craintes ou de scrupules. Ces craintes et ces scrupules ont pris, avec le temps, des noms différents : ce sont les lois morales, les lois politiques, les lois religieuses. Aujourd’hui, ces trois sortes de lois subsistent et exercent leur action restrictive sur l’énergie humaine ; elles existaient de même chez les sauvages des temps les plus reculés, mais à l’état confus et, pour ainsi dire, indivis. Les notions mêmes de morale, de religion, de politique, telles du moins que nous les entendons à cette heure, n’existaient pas ; mais l’homme subissait et acceptait de nombreuses contraintes, dont l’ensemble constitue ce qu’on appelle le système des tabous », écrivait Salomon Reinach1 au début du xxe siècle. Ces tabous sont partout et méritent d’être pourchassés dans tous les domaines de la vie collective. Dès lors, pourquoi l’organisation politique et administrative de l’État y échapperait elle ? Pourquoi la décentralisation ne rencontrerait elle pas elle aussi un certain nombre de tabous, de non dits, d’interdits qui empêcherait le législateur, voire le constituant, d’opter en toute liberté pour un mode d’organisation particulier ? La doctrine a déjà tenté, il y a quelques années2, d’en identifier quelques uns, mais ce premier travail méritait d’être approfondi et complété par une réflexion sur les mythes et les impensés de la décentralisation, 40 ans après l’adoption de la célèbre loi3 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. Mythes et impensés ne relèvent évidemment pas de la même catégorie que les tabous, mais procèdent d’une même démarche de « révélation » à laquelle de nombreux chercheurs membres du GRALE ont accepté de se prêter.

Comment comprendre en effet les enjeux des projets gouvernementaux et débats parlementaires les plus récents sans mettre en lumière les mythes fondateurs, les éléments

S. REINACH, « De l’origine et de l’essence des tabous », Cultes, mythes et religions, tome II, éd. Ernest Leroux, Paris, 1906, p. 18.

« Les tabous de la décentralisation », Pouvoirs locaux, n° 83 ; Institut de la décentralisation, La Documentation française, 2010, dossier spécial, N. KADA, « Les tabous de la décentralisation », Paris, Berger Levrault, 2015.

3 Loi n° 82 213 du 2 mars 1982, JORF 3 mars 1982.

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structurants et les grands impensés de la décentralisation en France ? Comment expliquer les résistances de tous ordres autour de la commune, des fondements de la fonction publique, de la fiscalité locale ou encore du statut de l’élu local sans en relever les non dits ? Il a d’abord fallu prendre le temps d’identifier ces impensés, soit par ignorance à l’époque, soit par crainte du danger. Mais de quel danger parle-t-on ici en matière de décentralisation ? De l’éclatement de l’État unitaire ? De la dislocation du lien social ? De la perte de sens du service public ? De la dilapidation des deniers publics ? Mais tous ces risques inhérents à un État nation moderne ne sont ils pas déjà devenus, pour partie réalité ? Et toutes ces craintes, tous ces dangers se valent ils ?

Si les mythes et impensés de la décentralisation ne sont pas en eux mêmes inutiles pour éviter que l’être humain ne dévaste son environnement et parvienne à vivre en société, la nécessité de le surmonter constitue également un enjeu social fort si l’on veut permettre à la société de progresser et de se développer. Or, le droit de la décentralisation rejoint traditionnellement cette préoccupation : incontestablement porteur de mythes plus ou moins tenaces, il a aussi pour vocation d’en combattre certains et d’aiguiller par voie de conséquence le développement de la société.

Cet ouvrage n’a pas d’autre prétention que d’identifier la plupart de ces mythes et impensés pour mieux les surmonter. En matière de décentralisation, un certain nombre peut être recensé qui relève tout autant du champ juridique que du spectre politique ou financier. On le sait, la décentralisation n’est en rien une chose simple ou simplifiable. Il s’agit d’un inextricable puzzle avec lequel il faut sans cesse composer et recomposer. C’est sans doute là que repose le mythe fondateur. Pour sortir de ce labyrinthe, le fil d’Ariane serait dans un premier temps de l’admettre et les contributions qui suivent entendent bien servir cette ambition. En se penchant sur les aspects institutionnels, mais aussi les compétences exercées, en envisageant les collectivités décentralisées tout autant que les services de l’État et les modalités de contrôle préservées, en étudiant les moyens mobilisés et les limites financières à l’action locale, ce dossier vient ainsi utilement compléter le colloque scientifique organisé par le GRALE au Sénat le 23 septembre 2022 sur les 40 ans de la loi du 2 mars 1982 (dont les actes donneront lieu à une publication ad hoc). En mobilisant ainsi un très grand nombre de chercheurs sur cette date anniversaire, le GRALE propose une vision sinon exhaustive pour le moins extensive des enjeux actuels de la décentralisation.

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I. LE PLURALISME STATUTAIRE UN OUTIL DE RÉFORME ININTERROMPU

Florence LERIQUE

Professeure de droit public

La réforme de la décentralisation des administrations locales en 19821 porte sur les droits et libertés des collectivités en privilégiant l’uniformité statutaire pour afficher une logique de système consolidé par le principe d’égalité. Or, dès 1982, des différences statutaires sont adoptées et moins qu’une fissure du système uniforme, c’est un impensé de la réforme qui se fait jour. En effet, la rupture de l’uniformité n’est pas à côté de la logique d’ensemble, mais appartient bien à l’ensemble comme un moyen de le réformer pour l’adapter à des collectivités qui présentent des particularités politiques, géographiques, démographiques, économiques ou encore sociales.

Alors que les changements statutaires ont longtemps été abordés sous l’angle de la crainte ou non de la fédéralisation2 des collectivités dérogatoires, plus récemment sous le prisme du principe d’égalité et de la différenciation, il semblait intéressant de déplacer le curseur. En effet, plutôt que d’observer son impact éventuel sur le système, il a paru utile de conduire une étude de son utilité et de son recours comme un moyen de réforme de l’administration locale.

Ainsi, se représenter la pluralité des statuts comme un moyen de conduire la réforme territoriale est un moyen qu’il convient de tester pour en éprouver l’intérêt. Les rapporteurs Cazeneuve et Viala considèrent que la différenciation ouvrira la porte à une nouvelle étape de la décentralisation3 et marquent ainsi que la différenciation statutaire, notamment, participe de la réforme administrative locale.

1 Pour revenir sur la procédure d’adoption, voir L. FAVOREU, « Décentralisation et Constitution », RDP 1982, p. 1259 1287.

2 M. H. FABRE, « L’unité et l’indivisibilité de la République, réalité ? fiction ? », RDP 1982, p. 603 622 ; T. MICHALON, « La République française, une fédération qui s’ignore ? », RDP 1982, p. 623 688.

3 J. R. CAZENEUVE et A. VIALA, Rapport d’information Assemblée nationale fait sur les possibilités ouvertes par l’inscription dans la Constitution d’un droit à la différenciation, n° 1687 ; J. R. CAZENEUVE, Rapport d’information Assemblée nationale sur les possibilités ouvertes par l’inscription dans la Constitution d’un droit à la différenciation, à la suite du colloque organisé le 13 mars 2019, n° 1816.

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En septembre 1982, François Mitterrand déclarait que la politique de décentralisation était « la plus grande réforme institutionnelle dans l’équilibre de la France depuis le début du siècle ». Cependant, cette réforme a été conçue d’un seul bloc et le pluralisme statutaire est un impensé de la réforme de 1982, car il sera, en fait, rapidement utilisé pour l’échelon communal comme pour des collectivités singulières. La révision constitutionnelle de 2003 centrée sur le droit constitutionnel des collectivités territoriales a accéléré les statuts dérogatoires et particuliers et promeut une décentralisation asymétrique. Si les évolutions institutionnelles conduisant à une différenciation statutaire s’accélèrent, il est clair que la question de l’uniformité catégorielle des collectivités aura été posée dès 1982. En réalité, il s’agit d’une conséquence même de la décentralisation que de poser la question de la diversité statutaire. Si pour certains auteurs, l’unité catégorielle est remise en cause et considérée comme mythique4, on peut se demander jusqu’où ira cette reconnaissance de particularités juridiques dans le droit commun des collectivités territoriales. Il est certain qu’à terme cela aura des répercussions sur le modèle même de décentralisation en France.

Modalité de réforme administrative sous estimée, le pluralisme statutaire est en pleine expansion à tel point qu’il constitue à lui seul une politique d’accentuation de la décentralisation, et en réalité une politique de décentralisation à part entière. Dès 1982, malgré l’uniformité apparente de la réforme on constate que le pluralisme statutaire est inhérent à la décentralisation (I) au point de devenir, au fil des décennies et des statuts dérogatoires, une œuvre de décentralisation (II).

I. Un pluralisme statutaire inhérent à la décentralisation

Le pluralisme statutaire prend plusieurs formes. Il autorise les collectivités d’une catégorie à bénéficier d’un régime dérogatoire (A) comme il permet également de conférer à certaines collectivités un statut particulier pour déboucher sur une collectivité sui generis (B).

A. Les statuts dérogatoires au droit commun

Dès 1982, les catégories ont connu l’instauration de collectivités qui dérogeaient au régime de droit commun de la collectivité concernée. C’est la catégorie des communes qui pose le plus de difficultés (de par le spectre très large de collectivités qui la composent), qui est directement visée par un texte de décembre 1982.

En effet, le niveau communal est une catégorie peu homogène et les règles de droit commun ont été jugées bien peu adaptées aux communes les plus peuplées de l’Hexagone. Les raisons démographiques ne sont pas seules en cause. On peut convoquer des arguments historiques et politiques pour justifier cette différenciation. Pour Paris, le statut de ville capitale explique un statut dérogatoire pour prendre en considération la présence des pouvoirs publics et l’exigence de leur autorité effective.

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4 M. DOUENCE, « La Corse », RFDA 2016, p. 645 654.

Nous devons l’instauration de ce statut dérogatoire aux lois du 31 décembre 19825. Le modèle avec le découpage par arrondissement a pu être comparé à une manière « d’opérer une sorte de “décentralisation” à l’intérieur même de la ville dont la disproportion laissait trop de distance entre le pouvoir municipal et ses assujettis »6. Avec Paris, le législateur a souhaité associer les deux autres communes les plus peuplées de France de l’époque, à savoir Lyon et Marseille. La volonté de cadrer le caractère parfois volcanique de la commune de Paris est en quelque sorte diluée ou camouflée dans un argumentaire plus objectif que politique.

Toute ressemblance avec le régime de droit commun n’est pas bannie puisque Paris, Lyon et Marseille sont dirigées par un maire et un conseil municipal. La grande différence réside en la création d’arrondissements qui sont de simples circonscriptions administratives permettant d’élire un conseil d’arrondissement qui désigne le maire d’arrondissement7. Les trois villes sont respectivement composées de 17, 9 et 16 arrondissements pour Paris, Lyon et Marseille qui élisent les conseils d’arrondissement dont un tiers des membres siégera au conseil municipal de la collectivité.

La dérogation est contenue à un découpage géographique qui ne peut être complètement assimilé à de la décentralisation interne. B. Faure relève cependant que « le statut de Paris Lyon et Marseille serait plutôt pris en exemple dans l’intérêt de démocratiser l’organisation de toutes les plus grandes villes »8. Il n’en demeure pas moins qu’une mise en œuvre aussi circonscrite ne menace en rien ni l’unité ni l’uniformité du statut communal.

Dans un deuxième temps, le statut métropolitain épouse la situation dérogatoire de Paris, Lyon et Marseille puisque la loi MAPTAM9 confère un statut particulier10 aux métropoles de Paris, Lyon et Marseille. Les métropoles de Paris, Lyon et Marseille sont dérogatoires au droit commun des métropoles11 comme Lyon est dérogatoire au droit commun des EPCI à FP puisqu’elle est la seule représentante des collectivités territoriales dans cette catégorie.

La Métropole du Grand Paris est définie à l’article L. 5219 1 CGCT comme EPCI à FP à statut particulier. La Métropole de Lyon est créée par l’article L. 3611 1 CGCT comme « une collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution […] en lieu et place de la Communauté urbaine de Lyon et dans les limites territoriales précédemment reconnues à celle-ci, du département du Rhône ». Enfin, la Métropole d’Aix Marseille Provence est créée par dérogation au 2e alinéa de l’article L. 5217 1 CGCT. Ici, le législateur regroupe la Communauté urbaine de Marseille et plusieurs communautés d’agglomération, dont celle du Pays d’Aix en Provence. Ces collectivités ou

5 Lois n° 82 1169 et 1170 du 31 décembre 1982.

6 B. FAURE, Droit des collectivités territoriales, Dalloz, 6e éd., 2021, p. 385.

Ibid., p. 387.

Id

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Loi n° 2014 58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Les trois métropoles dérogatoires au droit des métropoles sont prévues respectivement par les articles 12, 26, 42 et s. pour les métropoles de Paris, Lyon et Marseille.

10 O. RENAUDIE, « Le Grand Paris », RFDA 2016, p. 490 496 ; L. HAVARD, « La Métropole de Lyon, évolution ou révolution ? », AJDA 2017, p. 510 516.

11 J. Cl. DOUENCE, « Les métropoles », RFDA mars avr. 2011, p. 258 266 ; B. FAURE, « La banalisation du statut de métropole », RFDA 2017, p. 637 641.

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établissements publics sont dérogatoires, mais n’en conservent pas moins des liens étroits avec la catégorie dont elles ou ils sont issus. La situation est différente pour un certain nombre de cas qui connaissent des statuts qui leur sont propres.

B. Les statuts particuliers

La décentralisation va générer des statuts particuliers, car elle consiste en un processus de différenciation qui tend à tenir compte des particularités historiques, géographiques, économiques, sociales ou encore politiques d’une collectivité. Ce qui affleure c’est que plus le processus de décentralisation est amorcé plus le nombre de collectivités à statut particulier tend à se multiplier. C’est en quelque sorte l’essence même de la décentralisation qui œuvre à plus de différenciation.

Outre la situation à part au regard du droit commun des communes, le cas de Paris en tant que collectivité propre à savoir singulière a été signalé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel12 et renforcé par la loi du 28 février 201713.

La loi de 2017 clarifie la situation et crée une collectivité unique en réunissant la commune de Paris et le département de Paris en une seule collectivité à statut particulier dénommée désormais Ville de Paris. L’article L. 2512 1 CGCT dispose ainsi qu’il « est créé une collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution dénommée Ville de Paris, en lieu et place de la commune de Paris et du département de Paris ». Ces modifications de 2017 et la création d’une collectivité unique à statut particulier confirment la situation dérogatoire de la Ville de Paris dans le paysage administratif français.

Autre exemple, celui de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) qui est devenue une collectivité dérogatoire et hybride. L’Alsace fut jusqu’en 2015 une région de droit commun, mais la création des grandes régions a relancé les revendications pour retrouver l’identité diluée dans la Région Grand Est. Cette demande de reconnaissance en faveur de l’Alsace a abouti à la création en 2021 d’un département nouveau matérialisant l’Alsace par la réunion du Haut Rhin et du Bas Rhin14. La Collectivité européenne d’Alsace est une collectivité hybride, car elle est classée parmi les départements, mais elle emprunte également au droit commun des régions.

Constituer une collectivité d’Alsace était un dessein antérieur imaginé pour une collectivité à statut particulier réunissant les deux départements et la région en 2013. Le statut de la collectivité d’Alsace a fait l’objet d’un subtil dosage pour éviter les télescopages avec la région Grand Est d’un côté et l’Eurométropole de Strasbourg de l’autre. Pour la plupart des auteurs, la CEA relève de la catégorie des départements dérogatoires15.

La CEA est classée parmi les départements et constitue, par la réunion des deux départements, une collectivité unique. Pour B. Faure « certains éléments de droit positif

12 Qualification qui écarte le cas de Paris de tout rattachement à la catégorie des communes, celle ci constituant à elle seule une catégorie de collectivité territoriale. Cons. const. 6 août 2009, n° 2009 588 DC ; B. FAURE, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p. 387.

Loi n° 2017 258 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain.

Loi n° 2019 816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace, article 1er

M. VERPEAUX, L. JANICOT, Droit des collectivités territoriales, LGDJ, 2e éd., 2021, p. 131.

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donnent prise à la notion de collectivité unique en son genre »16. En effet, la création législative comme la dénomination qui évite soigneusement la terminologie de département font partie de ces éléments.

Enfin, si les compétences sont celles d’un département de droit commun, les particularités géographiques et culturelles teintent les compétences de la CEA d’une couleur spécifique. Les compétences en matière de transport, d’enseignement ou encore de coopération transfrontalière renchérissent le tableau par rapport aux compétences départementales classiques.

Si la diversification statutaire est inhérente à la décentralisation, ce que nous venons de voir, elle est aussi une voie vers laquelle les réformes sont engagées pour accentuer la décentralisation en expérimentant certains statuts. À terme, ces expérimentations donneront lieu, ou non, à généralisation si elles remplissent le cahier des charges qui les a autorisées.

II. Un pluralisme statutaire, œuvre de décentralisation

Le pluralisme statutaire est porté par le processus de décentralisation et s’accélère à partir de 1982 et 2003, mais il contient également des mesures qui constituent de la décentralisation que l’on peut qualifier de singulière (A) et qui dans certains cas peut être comparée ou assimilée à un palliatif de réforme institutionnelle, voire à une réforme en expérimentation (B).

A. Une décentralisation singulière

La diversification des statuts de collectivités, la multiplication des statuts singuliers accompagnent le processus de décentralisation, car il s’agit d’une décentralisation à part entière. Pas de liste exhaustive, mais des cas précis seront ici abordés afin d’illustrer le travail de décentralisation par la création de collectivité à statut unique. Les deux cas retenus font office d’expérimentation pour les institutions locales. Il s’agit de la Collectivité de Corse et de la Métropole de Lyon.

En Corse, dès 1982, les institutions sont adaptées pour tenir compte de certaines particularités territoriales17. Le statut de la région de Corse est, à partir de 1982, un statut particulier18. Selon l’article 1er du texte, la région de Corse est érigée en collectivité territoriale, cette catégorie ne comporte qu’une seule entité selon le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 février 198219. La loi du 30 juillet 1982 portant statut particulier de la région de Corse autorise la transformation de la Corse en une véritable région20. La

B. FAURE, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p. 398.

Loi n° 82 214 du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région de Corse : organisation administrative.

L. FAVOREU, « Décentralisation et Constitution », RDP 1982, p. 1259 1287.

Cons. const. 25 février 1982, n° 82 138 DC.

M. VERPEAUX, L. JANICOT, Droit des collectivités territoriales, LGDJ, 2e éd., p. 139.

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singularité de la Corse sera progressivement accentuée par les textes successifs dont la loi du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité de Corse21.

La Corse a été conçue comme un laboratoire expérimental d’une administration locale différente de celle qui existe dans toute autre collectivité. En effet, c’est la seule collectivité territoriale qui applique une séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le délibératif. On trouve aussi la procédure de motion de défiance constructive qui est inconnue au niveau parlementaire. Autre illustration d’un statut particulier, l’assemblée territoriale dispose d’un pouvoir de proposition d’adaptation de la loi ou du règlement. Enfin, et pour le moment encore, la loi NOTRe, du 7 août 2015, dispose que la Collectivité de Corse est, au sens de l’article 72 de la Constitution, une collectivité à statut particulier, collectivité unique désormais. En effet, la loi de 2015 a réuni la collectivité territoriale de Corse ainsi que les deux départements de Haute Corse et de Corse du Sud, ce qui est prévu à l’article L. 4421 1 CGCT. Depuis 1991, la Corse est une collectivité à statut particulier qui en cela n’est plus dérogatoire au droit commun des régions, elle est en dehors de ce schéma22.

La Métropole de Lyon a cela de commun avec la Corse, à savoir sa complète indépendance d’une catégorie de collectivité territoriale. Elle constitue, comme la Corse, une catégorie à elle seule dont elle est la seule représentante. Elle est créée au 1er janvier 2015 par la loi MAPTAM23 du 27 janvier 2014.

La Métropole de Lyon est singulière à plusieurs titres. En premier lieu, elle déroge au statut PLM qui a instauré un statut métropolitain dérogatoire pour les trois communes les plus peuplées. Ensuite, elle déroge au droit commun des EPCI à fiscalité propre (FP), puisqu’il s’agit d’une collectivité territoriale. Enfin, c’est une métropole qui déroge au régime de droit commun des communes et des départements.

Les sujets de particularités ne manquent pas, même si des parallèles avec les autres métropoles peuvent être établis comme pour ce qui est de leurs missions. Ainsi, « la Métropole de Lyon forme un espace de solidarité pour élaborer et conduire un projet d’aménagement et de développement économique, écologique, éducatif, sportif, culturel et social de son territoire afin d’en améliorer la compétitivité et la cohésion » (art. L. 3611 2 CGCT).

Pourtant, il n’est pas impossible que le cas lyonnais soit comme la Corse un laboratoire expérimental d’une « organisation territoriale différenciée des aires urbaines, en dehors d’une ruralité qui resterait départementalisée »24

Collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution, la Métropole de Lyon est une collectivité territoriale hors département sur le plan territorial, mais pas sur le plan des compétences puisque la métropole exerce en même temps les compétences de la précédente communauté urbaine et du département du Rhône sur son périmètre. À cette apparente simplification, il faut ajouter les compétences déléguées des autres niveaux de collectivités.

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21 Loi n° 91 428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse. 22 M. DOUENCE, « La Corse », RFDA 2016, p. 645 654. 23 Op. cit. 24 O. GOHIN, J. C. SORBARA, Institutions administratives, LGDJ, 8e éd, 2019.

Les éléments d’un caractère hybride entre l’établissement public et la collectivité territoriale sont multiples. Pour illustrer cette mixité, on peut par exemple évoquer les membres du conseil de la métropole élus au suffrage universel direct depuis les élections municipales de juin 2020 alors que le régime de libre administration est celui des départements (art. L. 3611 3 CGCT). Enfin, le droit applicable pour l’exercice des compétences est celui des EPCI à FP (art. L. 3611 4 CGCT). Ainsi, la Métropole de Lyon se révèle dérogatoire au droit des communes, des départements, des métropoles et des EPCI à FP.

De surcroît et de manière générale, le développement des EPCI XXL25 donne lieu pour certains d’entre eux à une formulation statutaire qui respecte le droit commun des EPCI, mais dont la taille et les aspirations marquent une rupture évidente avec le droit commun. Le cas de la communauté d’agglomération du Pays Basque est emblématique de ces EPCI créés dans l’espoir de plus de singularité et de reconnaissance26

B. Une décentralisation sur mesure

Cette décentralisation singulière verse dans l’énumération et autorise de moins en moins une définition catégorielle et conceptuelle, car il s’agit de répondre à des préoccupations sociales, économiques, historiques, politiques ou encore géographiques. Cette diversification statutaire tend à régler des problématiques territorialisées qui peuvent se rencontrer dans un nombre croissant de collectivités. Cela permet également de réformer ponctuellement et d’éviter une réforme d’ampleur qui semble improbable comme la réforme qui tendrait à simplifier le nombre de strates de l’administration locale, permise dans le cas de Lyon ou de Paris avec le passage à la collectivité unique.

Dans certains cas, la réforme statutaire isolée permet de différer une réforme institutionnelle de plus grande envergure. Il est assez clair que les réformes PLM au niveau du bloc communal c’est-à-dire intercommunalité comprise repousse le travail à conduire sur la strate communale, un peu comme la généralisation de l’intercommunalité à FP constitue une révolution de velours permettant d’écarter les effets négatifs d’un trop grand nombre de communes ou de ce qu’on qualifie également d’émiettement communal.

Dans certains autres cas, la différenciation statutaire est un moyen d’expérimenter une forme de décentralisation afin de savoir si elle est transposable à d’autres collectivités, c’est le cas de la Métropole de Lyon au sein de laquelle on expérimente par exemple le suffrage universel direct pour l’élection des conseillers métropolitains comme le statut de collectivité territoriale. À Lyon, on expérimente également le statut de collectivité concentrant deux niveaux de compétences ainsi que le gouvernement souhaitait le généraliser en reprenant le conseiller territorial de la loi RCT du 16 décembre 2010 exerçant les compétences départementales et régionales.

Mais ce sont les collectivités d’outre mer qui rendent le mieux compte de cette singularité alors que l’article 74 de la Constitution dispose que « les collectivités d’outre-

25 Actes de colloque, « Quelle gouvernance pour les intercommunalités XXL ? », BJCL 2017, n° 7-8.

26 F. LERIQUE, « L’EPCI “XXL” du Pays Basque, une vieille lune à l’avant garde de la réforme territoriale », Politeia 2016, n° 29, p. 89 96.

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mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’entre elles au sein de la République »27.

Les départements d’outre mer sont soit régis par l’article 73 ou par l’article 74 de la Constitution28. Ainsi la Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion ou Mayotte sont régies par l’article 73 de la Constitution. On peut signaler une dérogation supplémentaire en Guyane et en Martinique qui ont basculé en 2016 vers un régime de collectivité unique avec la fusion du département et de la région. Cette solution, préconisée dans le rapport Balladur de 200929, a été adoptée par les électeurs de Guyane et de Martinique par un vote favorable le 24 janvier 2010 et transposée dans la loi en 201130.

Les collectivités d’outre mer qui relèvent de l’article 74 sont Saint Barthélemy, Saint Martin, Saint Pierre et Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française. Au sujet de cette répartition entre les DOM et les COM, B. Faure considère que le processus en cours est celui de « l’éclatement des statuts »31.

Si l’outre mer a montré la voie, on peut considérer que le droit de la diversification statutaire s’oriente vers le sur mesure et vers une singularisation fréquente, décomplexée et assumée. Il semblerait également que ce mouvement n’en soit qu’à ses débuts ainsi que la promotion de la différenciation dans la loi 3DS32 du 21 février 2022 le laisse à penser.

M. VERPEAUX, « La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République : libres propos », RFDA 2003, p. 661 669.

O. GOHIN, « L’outre mer dans la réforme constitutionnelle de la décentralisation », RFDA 2003, p. 678 683.

Rapport du Comité pour la réforme des collectivités locales au Président de la République du 5 mars 2009.

Loi n° 2011 884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.

B. FAURE, Droit des collectivités territoriales, Dalloz, 2021, p. 360.

Loi n° 2022 217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, JO 22 févr. 2022.

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II. 40 ANS APRÈS LA LOI DU 2 MARS 1982 QUE RESTE T IL DE LA COMMUNE ?

Nathalie DEVÈZE

Docteure en droit public

François RANGEON

Professeur (ém.) de science politique

Plus ancienne collectivité territoriale française, la commune apparaît à l’époque féodale par le regroupement d’habitants au sein d’une entité locale régie par des institutions propres, en réaction au pouvoir seigneurial. Elle a survécu à tous les régimes politiques qui se sont succédé depuis, de la monarchie à l’Empire, aux différentes Républiques, sans jamais disparaître.

Une lente évolution législative va progressivement préciser le statut communal, du décret du 14 décembre 1789 instituant 44 000 communes avec à leur tête un maire élu, à la loi du 5 avril 1884 fixant leurs règles d’organisation.

Cent ans plus tard, la loi du 2 mars 1982 consacre la commune comme collectivité territoriale de base de la République.

Toutefois, cette consécration ne met pas un terme aux critiques adressées aux communes. Trop nombreuses, trop petites pour la plupart d’entre elles, inadaptées aux réalités contemporaines, les communes perdent progressivement une partie importante de leurs compétences au profit des intercommunalités qui prennent leur essor au cours des années 1990 2000. Beaucoup d’observateurs émettent alors des doutes ou des craintes pour la pérennité de l’institution communale. Le processus décentralisateur impulsé par la loi du 2 mars 1982 ne profite que marginalement à la commune, les intercommunalités et les régions étant considérées comme les territoires d’avenir. Le fossé entre les métropoles urbaines et les communes rurales se creuse et l’uniformité du statut des communes est de plus en plus contestée. En quarante ans, les communes ont beaucoup changé et leur régime juridique doit être modernisé. Pourtant, la commune résiste à son déclin. Pendant la crise sanitaire des années 2020-2021, l’État fait largement appel aux communes pour mettre en

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œuvre les mesures de lutte contre la pandémie. Collectivité territoriale de proximité, la commune fait preuve d’une remarquable permanence et reste un territoire incontournable.

Nous proposons ainsi une démarche en trois temps : la commune consacrée, la commune contestée, la commune résistante.

I. La commune consacrée

Issue du regroupement d’habitants sur un même territoire, cette communauté qui portera différentes appellations au fil de l’histoire, village, bourg, paroisse, s’est constituée « pour gérer des intérêts collectifs »1 face à l’essor des échanges, de l’activité économique, pour échapper à l’arbitraire du seigneur et à l’iniquité des taxes. Il s’agit alors de communautés d’habitants apparues spontanément, basées sur l’entraide et la protection réciproque2

L’évolution législative viendra progressivement reconnaître ces différentes communautés à travers l’institution de la commune qui sera dotée d’organes et de compétences propres. Puis, la loi du 2 mars 1982 viendra consacrer la commune comme « cellule de base de la démocratie ».

A. La commune avant la loi du 2 mars 1982

La Révolution française impose l’uniformité de l’organisation locale par l’institution d’une structure unique : la commune. Elle se définit par sa population, son territoire et les organes qui la représentent. Le décret du 14 décembre 1789 reconnaît à toute communauté d’habitants le statut de commune. Si Thouret préconisait la réduction drastique du nombre de communes à travers la création de 720 grandes communes, la thèse de Mirabeau prônant le maintien de toutes les communes y compris les plus petites d’entre elles emporta l’adhésion la plus large et ce sont donc 44 000 communes qui furent instituées. Le principe d’uniformité de l’organisation communale sur tout le territoire français et la stabilité du découpage seront globalement maintenus jusqu’à nos jours.

La commune se caractérise également par la désignation d’organes qui la représentent, le maire et le conseil municipal. L’article 49 du décret du 14 décembre 1789 indique : « Les corps municipaux auront deux espèces de fonctions à remplir, les unes propres au pouvoir municipal ; les autres propres à l’administration générale de l’État et déléguées par elle aux municipalités. » Est ainsi instauré par ce décret, le dédoublement fonctionnel du maire, à la fois représentant de la commune et représentant de l’État dans sa mission d’officier d’état civil par exemple.

Au gré de l’histoire et des différents régimes politiques français, le maire sera tantôt élu par les habitants, tantôt nommé par le pouvoir central. Il faudra attendre le XIXe siècle et la loi du 5 avril 1884 pour que le maire soit définitivement élu par le conseil municipal.

1 C. PETIT-DUTAILLIS, Les communes françaises [1947], Paris, Albin Michel, 1970, p. 21.

2 H. PÉRÈS, « Identité communale, République et communalisation », RFSP 1989, n° 5, p. 665. Pour Max Weber, il s’agit de « communalisation », c’est-à-dire du sentiment d’appartenance à la même communauté.

ÉTUDES 52

Ainsi, sous la IIIe République, la loi du 5 avril 1884 fixe un statut d’ensemble à l’institution communale. Désormais, les communes sont administrées, quelle que soit leur taille, par les mêmes organes : un conseil municipal élu au suffrage universel qui élit en son sein plusieurs adjoints et le maire. La mission du maire consiste à préparer et exécuter les décisions arrêtées en conseil municipal. Le maire est également, comme par le passé, le représentant de l’État dans la commune et chargé, à ce titre, de l’état civil, de la police administrative et de l’exécution des lois.

La loi du 5 avril 1884 imposera également que toute commune soit dotée d’un hôtel de ville, indépendant du logement du maire. Cette mesure visait ainsi à rendre la mairie anonyme et donc indépendante du pouvoir social des notables. En effet, « avant d’être abritée dans un édifice, l’institution municipale s’est longtemps incarnée dans la seule personne de son premier magistrat. La mairie, c’était le maire »3. Souvent, son domicile faisait office de maison commune.

La loi du 5 avril 1884 reste, deux siècles plus tard, la base de l’organisation administrative des communes. Il faudra attendre la loi du 2 mars 1982 pour qu’une nouvelle étape importante de l’histoire des communes soit franchie.

B. La commune consacrée par la loi du 2 mars 1982

Dès 1980, François Mitterrand, leader du Parti socialiste et candidat à l’élection présidentielle, avait promis, en cas d’élection, la mise en œuvre d’une politique de décentralisation.

La décentralisation territoriale concerne les collectivités territoriales (communes, départements, régions) qui « disposent de la personnalité juridique, de budgets propres, de compétences et de personnels. Elles sont dirigées par des élus. Cette décentralisation se reconnaît à trois critères fondamentaux : les affaires locales, les autorités locales, le contrôle de la légalité de leurs activités »4

Cette loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions est adoptée par le Parlement un an après l’élection de François Mitterrand, Président de la République. Elle vient renforcer l’autonomie des communes par la suppression de la tutelle préfectorale. Désormais, les actes des collectivités locales sont exécutoires de plein droit à compter de leur publication. Le préfet, représentant de l’État, peut saisir le juge administratif s’il conteste la légalité d’un acte d’une commune, mais il ne peut plus l’annuler lui même. Le contrôle a posteriori par le juge administratif se substitue ainsi au contrôle a priori du préfet qui existait jusque là.

La suppression de la tutelle de l’État sur les collectivités locales constitue une nouvelle étape dans l’autonomie de celles ci au regard du pouvoir central. Toutefois, si cette loi énonce dans son titre « les droits et libertés des communes… », il convient de rappeler que ces dernières ne disposent pas pour autant d’une autonomie absolue. Les

3 M. AGULHON, « La mairie », in P. NORA (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984, p. 169.

4 N. KADA, « Décentralisation » in N. KADA et M. MATHIEU (dir.), Dictionnaire d’administration publique, Grenoble, PUG, 2014, p. 131.

II. 40 ANS APRÈS LA LOI DU 2 MARS 1982. QUE RESTE T IL DE LA COMMUNE ? 53

communes tiennent en effet leurs compétences et leurs ressources de la loi, comme le précise l’article 34 de la Constitution de la Ve République. C’est donc la loi qui fixe leurs compétences. Même si la libre administration des collectivités locales est reconnue dans la Constitution, elle ne s’exerce que dans le cadre fixé par la loi5

Avec la loi du 2 mars 1982 s’ouvre une période dynamique en termes de décentralisation. Plus de quarante lois ont été adoptées de 1982 à 1986 relatives notamment au scrutin municipal, au statut particulier de Paris Lyon Marseille.

Mais, pour autant, il serait illusoire de penser que la décentralisation a débuté en 1982. En effet, elle se caractérise plutôt comme une lente évolution, un long mouvement de maturation depuis « la Révolution française »6 jusqu’aux années 1970, évolution qui verra la « décentralisation » constitutionnalisée en 20037

Le système français d’administration territoriale repose essentiellement sur la commune, plus ancienne collectivité locale, comprise dès l’origine comme une société de citoyens ayant des intérêts communs. Cependant, l’évolution récente révèle de nombreuses critiques à l’encontre des communes ainsi que le déclin de leurs compétences au profit des structures intercommunales. La commune apparaît ainsi remise en cause, contestée.

II. La commune contestée

Le découpage territorial de 1789 a maintenu un nombre très important de communes et les lois de 1884 et de 1982 n’ont pas remis en cause leur nombre. De nombreuses critiques se sont pourtant élevées à l’égard de cet éparpillement communal, cette hétérogénéité qui s’accentua au fil du temps en lien avec le développement économique et la migration de la population vers les villes.

De plus, les communes ont été amputées d’une partie importante de leurs compétences au profit des EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), ces structures paraissant mieux adaptées pour relever les nouveaux défis, économiques et environnementaux notamment.

A. Les critiques adressées à la commune

L’émiettement communal est en France un héritage de l’histoire.

À la fin du XIXe siècle, les inconvénients du morcellement communal étaient déjà prégnants et ne firent que s’accentuer au fil du temps. La France comptait 37 500 communes au milieu du XIXe siècle et 36 500 au milieu du XXe siècle.

5 Constitution du 4 octobre 1958, art. 72, al. 3.

6 G. MARCOU, « L’État et les collectivités territoriales : où va la décentralisation ? », AJDA 28 juill. 2013, p. 1556.

7 V. DONIER, Droit des collectivités territoriales, Paris, « Mémento Dalloz », 1re éd., 2014 ; Loi constitutionnelle du 28 mars 2003, art. 1 de la Constitution de la Ve République.

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Textes

Jurisprudence Doctrine et pratiques

Droit et gestion des collectivités territoriales (DGCT) propose, dans une première partie, une étude pluridisciplinaire d’un thème d’ac tualité puis décrypte, dans une seconde partie, l’ensemble des évolutions législatives, régle mentaires et jurisprudentielles de l’année échue dans le domaine des collectivités territoriales.

L’édition de 2022 traite ainsi de la décentra lisation, à l’occasion des 40 ans de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions.

Ce dossier propose une réflexion approfondie sur les mythes fondateurs, les éléments structu rants et les grands impensés de la décentralisa tion en France.

La seconde partie, qui traite de l’actualité de l’année échue, propose des chroniques théma tiques qui se concentrent sur l’administration

territoriale et les aspects territorialisés de l’ac tion publique (fonction publique territoriale, urbanisme, environnement, finances et fisca lité, etc.).

Destiné aux acteurs publics locaux – services déconcentrés de l’État, élus locaux, agents ter ritoriaux, directeurs financiers –, aux avocats aux magistrats, aux enseignants-chercheurs et aux étudiants, le DGCT 2022, véritable ency clopédie de la décentralisation, fournit toutes les clés pour apprécier la portée des réformes institutionnelles.

Le groupement de recherche sur l’administra tion locale en Europe (GRALE) est un grou pement d’intérêt scientifique (GIS). Sa mission est de promouvoir des recherches sur la base d’un programme pluridisciplinaire.

Université Paris-I

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DROIT et GESTION des Collectivités Territoriales 40 ans de décentralisation : une mise en perspective
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