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Renverser les codes Polyvalence et évolutivité des pièces, réorganisation de la distribution, augmentation surfacique sont pourtant, plus que jamais, au cœur des problématiques engendrées par l’extension de la monoparentalité et de la recomposition familiale. Bâtiment fondateur à Nîmes, le Némausus de Jean Nouvel (1987) avec ses 35 % de surface supplémentaire par rapport à un logement social classique a bousculé en son temps les habitus en abordant frontalement la question de la quête d’espace. Aux antipodes de la nécessaire densité actuelle, cette recherche d’espace en plus passe aussi par la manière dont on configure la cellule et le sentiment d’espace que peut en retirer l’usager par rapport à son mode de vie et à son évolution. D’autres architectes, secondés par des maîtrises d’ouvrage courageuses, se sont depuis fort heureusement risqués à explorer des voies nouvelles. Témoignant des évolutions notables en cours et des alternatives typologiques possibles, des opérations manifestes ont vu le jour : entre autres la Cité de Mulhouse avec la Somco (2005) ; l’agence Boskop à Nantes avec la Nantaise d’habitation (2009) ; Les Diversités à Bordeaux avec Domofrance (2009) ; les opérations de Lacaton Vassal à Saint-Nazaire avec Silène et l’OPH de la ville (2004-2011). La faisabilité de ces opérations atypiques et exemplaires repose néanmoins sur la persévérance et l’imagination des commanditaires et concepteurs qui ont su AMC - n° 234 - juin - juillet 2014

Philippe Ruault

du collectif et de la maison individuelle est également symptomatique. Car c’est bien à ce désir – « vivre ensemble d’accord, mais séparément » –, partagé par la grande majorité des gens, que se confrontent les concepteurs. Une hybridation typologique et sociale, qui prend le pas sur les autres formes d’habitation, devient un ferment expérimental à travers les usages qui en découlent. À l’heure du « vivre ensemble », quand le président de la République François Hollande s’engage à construire 500 000 logements par an et à renforcer la loi SRU, approcherions-nous en France d’un monde idéal ? Les concepts de « mieux vivre », de « confort d’usage pour tous » sonnent comme des labels infantilisants et ne sont que l’expression d’une société individualiste à laquelle il faudrait réapprendre à vivre à coup de slogans marketing. Il n’y a pas que des « belles personnes » prêtes à « réenchanter leur vie » et par voie de conséquence leur logement. C’est néanmoins là, à la limite du collectif et de l’individuel, dans la frange intangible du vivant, qu’est en train d’opérer le changement, d’ailleurs indissociable de la mise en place d’une mixité sociale, urbaine et intergénérationnelle. On invite les résidents à partager des situations, à avoir des espaces de services et de loisirs en commun. L’habitant devient moteur et sa prise en compte instrument d’une expérimentation sociale visant à stimuler et à laisser libre cours à son potentiel d’appropriation.

Cité manifeste, Mulhouse, 2005, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal architectes

dialoguer entre eux et détourner l’arsenal réglementaire tout en renouvelant conjointement la définition programmatique des logements. En apportant des réponses différenciées, elles ont en commun de ne pas dissocier le mode de production et les aspirations des usagers, de traduire dans l’organisation spatiale la mobilité, mais aussi la flexibilité de leurs comportements. Qu’il s’agisse du décloisonnement de Lacaton-Vassal, de la réversibilié du plan neutre de Boskop ou de la réorganisation interne de pièces relativement standard de Raphaëlle Hondelatte et Mathieu Laporte aux Diversités, ces manières de faire s’assurent de l’articulation des usages, autant pour y répondre que pour les révéler. Dans un autre registre, en s’appuyant sur la participation active des habitants pour une reconquête de leur logement via le chantier, Patrick Bouchain fait de la méthodologie qu’il applique un champ expérimental. Il remet la vie au cœur du processus de construction, réconcilie réalité organique et notion d’habiter : l’usager n’est plus un être théorique. Et c’est bien cette dimension-là, cette possibilité donnée aux habitants de prendre part en tant qu’acteurs à l’élaboration d’un projet, qui constitue aujourd’hui en France l’expérimentation la plus flagrante dans le logement. « L’usage est une conception prolongée », souligne Bernard Blanc dans le n° 5 d’Urbanité (voir p. 71) . Plutôt que de faire un produit que l’habitant adapte a posteriori, mieux vaut en amont et à travers la mise en place d’une chaîne collaborative aboutir au sur-mesure. « L’habitation est une action et non un objet », avait déjà dit Lucien Kroll et, à ce titre, la vague d’habitat participatif qui déferle actuellement en France est significative. Si elle répond d’abord à la nécessité de rationaliser les coûts, elle engage indubitablement une nouvelle configuration entre les citoyens, les pouvoirs publics et les bâilleurs. Le partage des espaces y prend tout son sens et le « vivre ensemble » – rêvons un peu – aussi. Alice Bialestowski.

* Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, créé en France fin 1944 ** « The Soft Zone, La Mémé », Lucien Kroll, AA Quaterly, vol. 7, 4, Londres, 1975

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