Cosmos-2023 #2

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École de journalisme de l’Institut Français de Presse

#MeToo, cinq ans après•JO2024 en tension

RESSOURCES NATURELLES

LA GRANDE NÉGLIGENCE

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La France ses

compte ressources

État, ménages et entreprises face à la crise énergétique

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Infographie Paul de Montferrand

Le 17 janvier 2000, 1 million et demi de Californiens se retrouvent dans un noir complet à l’heure du déjeuner. La côte ouest américaine fait alors face à la pire crise énergétique de son histoire. Lors des dix années précédentes, l’État de Californie était resté passif face à l’arrivée de 4 millions de nouveaux habitants, ne construisant pas de nouvelles infrastructures de production d’énergies et laissant faire la libéralisation du secteur. En deux ans, les prix de l’électricité explosent et les agriculteurs manquent de l’eau nécessaire à leurs cultures. Cette crise est un déclic pour les autorités, qui entament alors leur révolution en matière de production énergétique et de gestion hydraulique. Vingt ans après, la Californie a diminué de 13% ses émissions de gaz à effet de serre, réussissant même, le 30 avril 2022, à produire pendant quinze minutes la totalité de son électricité avec des énergies renouvelables.

47 départements en vigilance sécheresse en mai 2023

75 % des nappes phréatiques sous les normales mensuelles en avril 2023

La France aura-t-elle le même déclic que la Californie ? Trois ans après l’échec de la convention pour le climat, deux ans après le Green Deal européen qui jalouse l’Inflation Reduction Act américain, les effets du dérèglement climatique et de la dégradation de nos infrastructures n’ont jamais été aussi visibles dans l’Hexagone. Avec quarante sept départements en état de vigilance sécheresse et 75% de ses nappes phréatiques à un niveau anormalement bas, le pays est aujourd’hui à l’aube d’un été caniculaire. 2022 a déjà été l’année la plus chaude jamais enregistrée et, comme si ça ne suffisait pas, l’inflation record s’est invitée dans la crise en raison, notamment, de l’invasion russe en Ukraine. La France, qui a réussi à éviter le black-out cet hiver, est ainsi, elle aussi au seuil d’un virage vertueux, qu’elle hésite pourtant encore à prendre. Cosmos a fait le choix d’enquêter sur les difficultés rencontrées pour accompagner ces changements. Comme la Californie l’a démontré, des mesures audacieuses et une véritable volonté politique peuvent conduire à des progrès significatifs en matière d’agriculture biologique, de traitement des eaux usées, de lutte contre la précarité énergétique et de gestion de l’eau potable.

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« S’ils doublent mes charges, je vais à la soupe populaire »

Lorsqu’on passe la porte du pôle social d’ Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), on s’imagine presque rentrer dans un hall de mairie. Une grande pièce, des couloirs qui partent dans tous les sens. A l’accueil, les personnes font la queue, patiemment. Les autres attendent leur tour dans des banquettes disposées un peu plus loin. Ici, les rendez-vous s’enchaînent en cascade, que ce soit pour accéder aux distributions alimentaires, à l’épicerie so-

nièrec’étaitcompliquépour les familles, mais cette année,çal’estencoreplus , détaille-t-elle. Il y a des gens qui viennent ici, et qu’on nevoyaitjamaisiciauparavant. »

Ce pôle social est l’endroit-clé de l’organisation de la solidarité dans cette ville d’environ 55 000 habitants. On y trouve notamment le CCAS (centre communal d’action sociale), qui gère l’aide sociale pour les habitants de la ville. Plusieurs associations caritatives indispensables aux

« C’était déjà compliqué l’année dernière mais ça l’est encore plus cette année. Il y a des gens qui viennent ici et qu’on ne voyait jamais auparavant. »

prix près de 70 % moins chers qu’en grande surface. Une présence indispensable, alors que l’accumulation des surcoûts énergétiques à ceux de l’alimentation et des produits de première nécessité ne fait qu’appauvrir ceux déjà en difficulté depuis longtemps.

Laëtitia, agente au pôle social d’Épinay-sur-Seine

lidaire, ou bien réaliser ses dossiers pour bénéficier des aides sociales.

Pour Laëtitia, agente administrative ici, pas de doute : la crise énergétique a provoqué une hausse du public en difficulté. « Beaucoup plus de personnes viennent pour nous parler de leurs difficultés pour payer leurs factures », confirme celle qui travaille ici depuis près d’un an. «Déjàl’annéeder-

plus précaires ont également choisi ce lieu. Le Secours catholique et les Restos du cœur y tiennent notamment des permanences durant la semaine, tout comme l’Edvo (Espoir du Val-d’Oise, structure spécialisée dans l’accueil et la réinsertion de personnes victimes d’addictions), à l’initiative d’un point hygiène pour les personnes sans domicile fixe et d’une épicerie solidaire aux

Evolution des critères d’accès Pour Les Restos du cœur, ce contexte a d’ailleurspoussé à faire évoluer les critères d’accès. «Onprendpourla premièrefoisencompteles factures d’électricité et les charges payées afin de mieux déterminer l’éligibilité à nos aides », détaille ainsi Christine, responsable de l’an- tenne d’Épinay-surSeine, qui enchaîne rendez-vous sur rendez-vous au pôle social. Pour l’association Edvo, la hausse des coûts de l’énergie est même allée jusqu’à mettre en péril les finances de la structure. Cette dernière offre notamment un accueil dans un hôtel social pour les personnes victimes d’addiction. Selon leur parcours, elles peuvent ensuite louer des appartements de l’association pour retrouver leur autonomie. Malgré la

fragilité du public hébergé, l’association n’a pas eu d’autre choix que d’augmenter de vingt euros par mois l’ensemble des loyers, afin de pouvoir supporter les surcoûts. « Çaaétéjustifié par une hausse des prix de l’énergie, avec des courbes de l’augmentation des prix qui étaient jointes pour expliquer » , raconte Thomas, bénévole pour l’Edvo et présent pour s’occuper du point hygiène de l’association. « 240 euros par an, c’estloind’êtrenégligeable pourdespersonnesquisont souvent au RSA, et parfois moins ou sans aucun revenus », reconnaît-il.

Charges doublées

Mais cette augmentation des dépenses d’énergie ne frappe pas que les plus pré- caires. À quelques minutes du pôle social, Nadine, re-

À Épinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, de nombreux ménages ont vu doubler leurs factures de chauffage en quelques mois. La crise énergétique touche les plus précaires, mais aussi les classes moyennes.
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Les Restos du cœur tiennent

traitée, est depuis près de quarante ans propriétaire d’un petit trois-pièces au dixième étage d’une rési- dence d’Épinay-sur-Seine, dont la décoration intérieure semble avoir traversé intacte les années. En juillet 2022, surprise : elle a découvert que ses charges trimestrielles avaient plus que doublé. De 750 euros, elle paye désormais 1 548 euros, dont près de 1 010 euros pour le chauffage. Et ce, sans compter ses dépenses personnelles d’électricité (cuisine, éclairage…).

« J’ai demandé à payer en deuxfois,carjenepouvais pas. Nos retraites ne sont pas extensibles » , déplore Nadine.

Face à cette situation, pas le choix : Nadine a dû « déshabillerPierrepourhabiller Paul» . Comprendre, réduire toutes ses autres dépenses.

Jen’aijamaisétéhabituéeà gâcher,maisjecommenceà vraimentfairetrèsattention. Jedépensebeaucoupmoins pour moi. J’essayais de me mettreaubio:c’estfini,je ne peux plus. J’essaie juste defaireensortequeçan’affecte pas les petits-enfants. Je préfère me priver moi plutôtqu’eux.»

« Personne ne peut suivre »

Le calme apparent de la retraitée tranche avec sa situation. Car, si ses charges ont plus que doublé, c’est en plus pour un chauffage… qui ne fonctionne pas dans son appartement : «Touchez le radiateur, il est froid ! », s’exclame celle qui, pour se réchauffer, laisse une couette épaisse sur son canapé. « Je ne suis jamais chauffée : ici au dixième étage, je suis en bout de

piste. Et je vais maintenant payer1548eurosdecharges par trimestre, tout ça pour qu’à la fin, ça ne marche mêmepas!»

Yvette, également à la retraite et locataire d’un appartement au rez-de-chaussée de la résidence, pousse le même cri d’alerte. Si la

régulation des prix n’a pour l’instant pas eu lieu pour elle, elle redoute forcément la hausse à venir. «Cedegré d’augmentation, personne ne peut suivre. D’ailleurs, beaucoup de gens ici ont

décidé de ne pas payer la hausse. Moi, ma retraite està1300euros,etjepaye 190 euros de charges par mois. S’ils me doublent ça, je vais à la soupe populaire. ». Elle aussi assure «faireattention». Mais dans un système de chauffage collectif, difficile d’avoir un quelconque impact sur sa facture. « La chaudière est allumée même lorsque votre chauffage estcoupé.Legaz sort quand même et vous payez pareil, ça ne fait rien.» La sobriété énergétique, tant prônée par le gouvernement durant tout cet hiver, est encore loin d’être accessible pour tous.

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TimoThée Barnaud et LoLa duBois
« Ma retraite est à 1 300 euros et je paye 190 euros de charges par mois. »
Yvette, retraitée une permanence au pôle social d’Épinay-sur-Seine. (Stéphane de Sakutin / AFP)

Des PME désarmées face à la flambée des prix

Les factures d’énergie explosent pour les PME et TPE. Si l’État a renforcé son soutien aux entreprises les plus énergivores, des inquiétudes persistent pour les non éligibles à ces aides.

de pouce de l’État. L’exécutif a en effet renforcé fin octobre 2022 les aides pour compenser les surcoûts de dépenses des petites entreprises énergivores, à travers la prolongation et la simplification du guichet d’aide au paiement des factures de gaz et d’électricité. « On est toujours ravis de savoir que l’État tente de faire des choses », affirme Stéphane Damour, président de la

clier ne couvre que les entreprises de moins de dix salariés et dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas deux millions d’euros. L’entreprise de M. Vanoverschelde est donc exclue. Le dirigeant verra son budget annuel pour l’électricité passer d’environ « 10,000 à 30,000 euros », sans toucher d’aides. « Je ne sais pas comment je vais faire, confie-t-il. Déjà c’est pas

des entreprises », sans quoi « 2023 va être un tsunami de liquidations ». En effet, au premier trimestre 2023, le nombre de faillites des entreprises a augmenté de 43,6% par rapport à 2022.

Liquidations. « Il y a de l’accompagnement, mais il faut que ce soit dans la durée », estime à son tour Bruno Chevalier, président de la CPME des Côtes-d’Armor, alors qu’il demande à l’État, d’étaler la période de remboursement de la dette, notamment du prêt garanti par l’État (PGE). Si le gouvernement s’oppose à cette idée en raison des règles

«J’ai tout fait comme il fallait. J’ai pris toutes les mesures possibles pour économiser le maximum d’énergie. Et là ? Ma facture d’électricité va tripler d’un coup en 2023 ! Et je finance comment ? Je ne sais pas. » Le cas de Benoît Vanoverchelde, dirigeant d’une PME de 25 salariés dans le Val-d’Oise, n’est pas un cas isolé. Malgré de nouvelles mesures gouvernementales de soutien aux entreprises grandes consommatrices de gaz et d’électricité, de nombreuses PME et TPE continuent à être étranglées par la flambée des prix de l’énergie car non éligibles au coup

Confédération des PME (CPME) de la Drôme. Toutefois, il souligne que les critères d’éligibilité aux différents dispositifs excluent encore un grand nombre d’entreprises : « Par exemple, toutes les entreprises qui ont des abonnements d’électricité inférieure ou égale à 36 kVA, c’est-à-dire la plupart des artisans ou commerçants, ne sont pas concernées par le bouclier tarifaire », explique-t-il.

Tsunami. Ce dispositif, destiné à plafonner la hausse des factures d’électricité, a été étendu aux PME et TPE en septembre dernier. Cependant, le bou-

la joie non plus au niveau des affaires. Ça se maintient mais sans plus. Les perspectives ne sont pas plus réjouissantes qu’autre chose ».

Dans la Drôme, des adhérents de la CPME « se posent énormément de questions » pour l’avenir, raconte Stéphane Damour, qui considère que l’État fait « la sourde oreille » « Ça fait des mois qu’on avertit le gouvernement, pour qu’il arrête de nous balader avec des mesures qui, quand elles commencent à rentrer dans les calculs, excluent un très grand nombre d’entreprises. » Il attend que l’État fasse un « bouclier global pour l’ensemble

européennes en vigueur, souligne Stéphane Damour, d’autres pays comme l’Allemagne acceptent désormais des remboursements plus étalés. Alors que ses annonces peinent toujours à convaincre les chefs d’entreprises, l’exécutif a mis en place le 1er janvier un nouveau dispositif à destination de toutes les PME et TPE énergivores avec un budget de 7 milliards d’euros. Baptisé « amortisseur électricité », il prend en charge une partie de la facture des entreprises qui ne bénéficient pas du bouclier tarifaire. Le dispositif s’applique sur la facture d’électricité des entreprises et l’État compense les fournisseurs. Selon la ministre déléguée chargée du Commerce, Olivia Grégoire, « plus de 75% des entreprises éligibles ont envoyé leur attestation d’éligibilité » à leur fournisseur d’électricité au 30 mars. Le dispositif reste en vigueur jusqu’au 31 décembre prochain.

« Les perspectives ne sont pas plus réjouissantes »
Benoît
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Nombre d’artisans et commerçants ne bénéficient pas du bouclier tarifaire. (Elie Gudi)

L’éco-lieu, le rêve à l’épreuve de la réalité

Une façon de vivre moins individualiste et plus écologique. Surnommés « oasis », ces éco-lieux accueillent des foyers en quête d’alternative au logement individuel.

Mais le chemin pour bâtir de tels projets est souvent long et sinueux. Reportage.

Un terrain, sept familles qui ne se connaissent pas et tout à construire… Loin d’être un nouveau concept d’émission de téléréalité, le projet Ecolodo est né d’une volonté de vivre ensemble et de porter attention à l’empreinte carbone de son habitat. Le projet de cet écolieu a été initié en 2012 à Pellouaillesles-Vignes, à présent une commune déléguée de Verrières-en-Anjou, près d’Angers dans le Maine et Loire. Dans un quartier résidentiel en béton, à l’apparence classique, se glisse un îlot de maisons excentrées aux bardages en bois. A la lisière d’arbres et de végétation, cinq maisons d’une centaine de mètres carrés abritent la communauté. Trois sont soudées les unes aux autres et deux autres leur font face sur un terrain d’environ 3 000m2 Tout a été pensé pour minimiser leur empreinte carbone : de la ouate de cellulose fabriqué à partir du papier des journaux Ouest-France de la région

pour l’isolation des murs, un chauffage au pellet partagé, une laverie commune, un compost pour lequel certains des habitants ont bénéficié d’une formation, une cuve pour récupérer de l’eau des gouttières, un atelier partagé utile aux travaux etc.

« Écolo » n’a pas été un vain mot mais plutôt une ligne directrice. « Moi, au début, je préférais une maison dont je puisse faire le tour, confie Mano, ancienne agente d’entretien à présent à la retraite, mais ça c’est très français. Finalement, j’ai choisi d’être dans la bordure parce que je suis chauffée par les deux côtés, il n’y a aucune déperdition grâce aux voisins. »

Un mode de vie écolo qui séduit de plus en plus de monde. On compte près de 1 000 « oasis », ou éco-lieu, en France, selon l’association Colibri créée par Pierre Rabhi. Chacune a ses spécificités et ses règles, mais toutes reposent sur un socle commun de valeurs tels la sobriété

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Les maisons de l’éco-lieu sont pensées pour minimiser les pertes en énergie. (Lola Dubois)

énergétique, la mutualisation, l’accueil, la gouvernance partagée… Les raisons d’en créer une ou de rejoindre une « oasis » sont diverses. Le désir du « vivre-ensemble », de se rapprocher de la nature ou la soif d’expériences humaines sont autant de raisons qui peuvent pousser citadins comme ruraux à s’installer dans ces lieux aux morphologies variées.

La patience, une vertue indispensable

Mais du rêve à la réalité, la mise en œuvre de l’utopie peut prendre

du temps. A Ecolodo, il a fallu dix ans avant de voir les sept familles, 14 adultes et 11 enfants, s’installer définitivement dans leurs maisons. De l’appel à projet de la mairie à l’installation du dernier propriétaire, il y a eu de très nombreuses réunions, de grands travaux réalisés en autonomie, et la prise en charge de la gestion juridique et financière du projet. Le tout en gardant toujours à l’esprit les nombreux impératifs écologiques et en continuant son activité professionnelle.

« En termes de charge de travail, il faut être prêt à supporter. Il faut

« Il faut maîtriser parfaitement le juridique, le financier et l’autoconstruction. C’est énorme. Les travaux, c’est juste la partie visible »
Céline
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Joël est l’aîné du groupe. Ancien chef de chantier, il est attentif à la bonne avancée des travaux. (Lola Dubois)

maîtriser parfaitement le juridique, le financier et l’auto-construction. C’est énorme. Les travaux, c’est juste la partie visible », explique dans un souffle Céline, enseignante et mère de trois enfants qui a dû s’installer dans sa maison alors dépourvue de salle de bain, de cuisine et de chauffage. Les douches étaient alors prises dans la salle commune, qui sert aujourd’hui surtout pour les réunions, à quelques mètres de sa maison. Pour elle, si c’était à refaire, une chose est sûre : elle passerait par un bailleur. Son époux, Nicolas, déplore, lui, la fatigue induite par la gestion du projet, au détriment du vivre-ensemble. D’autres, à l’image de François, documentaliste en médiathèque et habillé pour les travaux dominicaux, trouvent que la fin du gros chantier a marqué le début « d’activités plus ludiques », comme le cinéma en plein air, l’accueil d’artistes en résidence ou encore la présentation au reste du quartier du patrimoine naturel de la région. En ce moment, les familles se réunissent un week-end par mois pour terminer la pérennisation de l’atelier, encore en préfabriqué.

L’argent, modérateur d’ambitions

Cette fatigue, tous l’ont sentie à un moment ou un autre. Claire-Agnès, qui travaille auprès de jeunes handicapés, et Jean-Michel, thermicien, sont arrivés les premiers, dans une maison encore sous forme d’ « open-space » où tout était à faire.

« Quand je suis arrivée ici, c’était génial, mais au bout de six mois, c’était le burn-out. On travaillait tous les deux et il fallait avancer les travaux le soir et les week-ends », se rappelle Claire-Agnès. Faire, défaire, refaire : la première maison était aussi celle de tous les tests.

le projet deux fois pour des raisons financières. On se disait qu’on ne pourrait jamais aller au bout. Mais à chaque fois le groupe nous a dit “on trouvera une solution, on va faire en sorte que ce soit possible pour vous”. Et enfait, oui, on a trouvé des solutions. On est là. »

Pas loin de quatre ans plus tard, leur terrasse n’est d’ailleurs pas tout à fait achevée. Pourtant, aucun regret de son côté. « Les réunions pour élaborer le projet sont un bon souvenir. On se mettait à rêver sur des images de plus en plus concrètes, les idées fusaient. Maintenant, on compte les uns sur les autres. » Garde d’animaux, d’enfants, courses ou soutien informatique, ce sont dans les petites attentions quotidiennes que loge l’esprit d’Ecolodo. On aurait cependant tort de penser que ce type d’initiative est à la portée de tous. L’achat du terrain, des matériaux, des outils et des services de professionnels sont autant de dépenses qui grimpent très vite. Si la municipalité a pris en charge 10 000 euros pour l’accompagnement du projet par le biais de l’association Alisée, il restait donc aux sept familles tout le reste. Soit, au bas mot, 1,5 millions d’euros à répartir entre les futurs occupants en fonction de leurs surfaces.

Claire-Agnès a eu du mal à se projeter tant l’obstacle paraissait haut. « On a failli quitter le projet deux fois pour des raisons financières. On se disait qu’on ne pourrait jamais aller au bout. Mais à chaque fois le groupe nous a dit “on trouvera une solution, on va faire en sorte que ce soit possible pour vous”. Et en fait, oui, on a trouvé des solutions. On est là. » Pour y parvenir, les apprentis promoteurs ont dû faire quelques compromis sur le choix des matériaux, le béton plutôt que des vis de fondation par exemple, ou sur l’emplacement et la taille de chaque maison. La réalité a donc pu être assez éloignée des projections initiales. Mais qu’importe, dix ans après les premières réunions, la fleur de leurs rêves a produit le fruit d’une réalité fidèle à leurs aspirations.

Joël et Nicolas dans leur atelier commun. (Lola Dubois)
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Les habitants d’Ecolodo partagent le matériel. (Lola Dubois)
« On a failli quitter

Réutilisation des eaux usées : pourquoi ça bloque en France ?

L’eau se raréfie mais la France ne réutilise presque pas ses eaux usées traitées par les stations d’épuration. La faute à une réglementation trop stricte qui empêche d’investir dans des projets à long terme.

La France va-t-elle manquer d’eau ?

L’année 2022 avait été historiquement sèche. Celle de 2023 risque d’être encore pire. Le record de 32 jours consécutifs sans pluie, entre le 21 janvier et le 20 février, a même été enregistré. Le gouvernement a donc, dès le mois de février, appelé les Français à être vigilants sur leur consommation d’eau, en prévision d’un possible nouvel été de sécheresse. Dans ce contexte de stress hydrique, certaines de nos pratiques quotidiennes concernant l’eau peuvent être interrogées. Pourquoi tirons-nous la chasse avec de l’eau potable ? Pourquoi

ne lave-t-on pas les rues avec des eaux recyclées ? Il existe pourtant une solution pour économiser cette ressource : la réutilisation des eaux usées traitées (REUT), une pratique qui consiste à réutiliser directement l’eau en sortie de station d’épuration plutôt que de la laisser se déverser dans la mer. Cette dernière est encadrée par un arrêté ministériel de 2010, modifié en 2014, pour l’irrigation des cultures et des espaces verts.

Projets bloqués

La France réutilise moins de 1% des eaux usées traitées, selon le ministère de la Transition écologique.

À la traîne derrière des pays comme l’Espagne où 14% des eaux traitées sont réutilisées ou encore Israël qui en réutilise 90%, la France détient pourtant un potentiel énorme. Avec 22 000 stations d’épuration sur son territoire, plus de 8 milliards de mètres cubes d’eau (soit le double de la consommation annuelle) sont traités chaque année et pourraient servir à la communauté. Mais une réglementation très stricte limite cet usage. Pour des raisons sanitaires, mais aussi parce que les eaux usées rejetées par certaines stations d’épuration servent à soutenir l’étiage des cours d’eau. Cette réserve ne s’ap-

plique néanmoins pas aux stations situées sur les littoraux, dont les eaux traitées sont rejetées dans la mer. Or certaines communes littorales voient leurs projets de REUT bloqués, faute d’autorisation. C’est le cas de Grimaud (Var), une ville provençal de 4 000 habitants, donnant directement sur le Golfe de Saint-Tropez, qui souhaite depuis 2022 réutiliser ses eaux traitées. En effet, la commune a inauguré en 2021 sa station d’épuration qui traite autour de 970 000 m3 d’eau et qui sont ensuite déversés et perdus dans la mer Méditerranée. Afin de faire face aux possibles prochaines pénuries d’eau –Grimaud était encore placé en vigilance sécheresse en octobre dernier avec un taux très faible de pluviométrie de 700 mm moyen annuel –, la ville cherche à réutiliser ses eaux traitées pour « l’arrosage des pépinières, de nos espaces verts, de notre golf ou encore pour nettoyer nos bateaux, raconte Laëtitia Delsemme, directrice du service environnement grimaudois. Le projet n’a pas reçu l’autorisation de l’ARS [Agence Régionale de Santé, ndlr] car une partie de la commune se trouve dans une zone de captage de l’eau potable et qu’il y aurait des risques sanitaires » La mairie a fait la demande auprès de la préfecture pour modifier le périmètre de protection afin que Grimaud n’en fasse plus partie. Ce sont des démarches qui prennent

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La station d’épuration de Narbonne recycle une partie de ses eaux usées pour son propre fonctionnement. (Valentine Chapuis / AFP)

beaucoup de temps et qui peuvent parfois démotiver. À Grimaud, la détermination est bien présente, surtout dans une démarche écologique, mais on dénonce « des règles trop strictes qu’il faut assouplir rapidement ».

Nœud administratif

À une centaine de kilomètres de là, dans les Alpes-Maritimes, l’agglomération Cannes Lérins, qui compte 160 000 habitants répartis sur cinq communes littorales, bataille aussi depuis dix ans pour réutiliser ses eaux usées. Sauvegarder la ressource en eau pour faire des économies est un enjeu de premier plan pour un territoire aux fortes disparités socio-économiques. En 2014, David Lisnard, maire de Cannes et président de l’agglomération, lance un projet de REUT pour arroser les espaces verts et le golf, nettoyer les voiries, les véhicules industriels ou encore les bennes à ordures ménagères. Ce qui permettrait de réutiliser 15 millions de m3 d’eau par an, soit la moitié de la consommation d’eau po-

table de l’agglomération, au lieu de les laisser se déverser dans la mer en sortie de station d’épuration. Une première étude valide la faisabilité économique et technique du projet. Le ministère de la Santé demande ensuite une autre étude sur les risques sanitaires. Mais aucun professionnel de la santé (ARS, Inserm, Santé Publique France) ne donne de réponse. Une évaluation est finalement menée par des acteurs alternatifs, un groupement d’étude comprenant l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), en pointe sur les risques sanitaires liés à l’arrosage, ou encore le délégataire de la station d’épuration. Elle conclut qu’il n’y a aucune différence entre

1 km de canalisation coûte 1 million

d’euros selon l’Inrae

l’eau traitée et l’eau potable. Pourtant, près de dix ans après, les demandes d’autorisation sont toujours « en cours d’instruction » auprès des services de l’Etat, déplorait David Lisnard dans L’Opinion le 15 mars.

Face à la lenteur de la machine bureaucratique, l’agglomération Cannes Lérins a décidé de prendre les devants en présentant son « programme Eau » le 29 mars , un jour avant celui du gouvernement. Il prévoit « en dépit de la complexité administrative », de réutiliser les eaux usées traitées par la station d’épuration dès juin 2023 pour l’arrosage du golf et le lavage des voiries à Cannes et dans la commune voisine de Mandelieu-la-Napoule. À Cannes comme à Grimaud, l’ARS Provence-AlpesCôte d’Azur est au centre du nœud administratif. Elle n’a pas plus répondu à nos demandes d’entretien qu’à celles des maires, mais indique sur son site Internet qu’« en l’état actuel des connaissances, l’ARS PACA donne un avis défavorable systématique sur les projets pilotes qui n’entrent pas dans le champ réglementaire ». Or, le règlement en vigueur n’autorise la réutilisation des eaux usées traitées que pour l’irrigation et l’arrosage des espaces verts. Pour les autres usages (nettoyage de voiries, de canalisations), la REUT

n’est autorisée qu’à titre expérimental par un décret de mars 2022. Le frein réglementaire se double d’un frein financier. Réutiliser ses eaux traitées à un coût que ce soit dans la gestion de la station d’épuration avec les différentes machines de traitement des eaux usées à entretenir ou dans la construction des tuyaux de canalisation pour transporter l’eau (1 km de canalisation coûte environ 1 million d’euros selon l’Inrae).

Rentabilité à prouver

La Métropole de Toulon réfléchit depuis plusieurs années à un projet de REUT avec sa station Amphitria qui traite les eaux usées de plus de 350 000 habitants et qui déverse chaque année plusieurs millions de mètres cubes d’eau en mer. « Le projet n’est pas bloqué à proprement parler, une étude est en cours pour estimer le coût financier » précise Gilles Vincent, vice-président de la Métropole et chargé de l’environnement. Il n’existe actuellement aucune aide financière de l’État pour aider les collectivités territoriales

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Des communes aimeraient utiliser les eaux usées traitées pour l’arrosage de leurs golfs. (Sebastien Bozon./ AFP)

dans le développement d’un projet de REUT. Autre souci pour les communes, la question de la rentabilité. « La plupart des projets de REUT ne peuvent se faire que dans un cadre expérimental avec une durée limitée à 5 ans maximum. Donc, les grosses collectivités ne souhaitent pas investir massivement pour quelque chose qui ne va durer qu’un temps » analyse Baptiste Julien, responsable

usages. La commune aimerait que les entreprises d’hydrocurage, qui entretiennent le réseau de collecte des eaux usées et pluviales, puissent utiliser de l’eau traitée. Mais la réglementation actuelle les oblige à le faire avec de l’eau potable. Autrement dit, on nettoie les tuyaux sales avec de l’eau que l’on peut boire…

Aller plus loin, plus vite

du pôle Eau à l’AMORCE, association nationale qui accompagne plus de mille collectivités territoriales dans leurs démarches de transition énergétique.

Toujours dans le Var, à Sainte-Maxime, le problème du coût financier se pose un peu différemment. Car un système de REUT fonctionne déjà dans la commune, avec succès, depuis 2006. Il permet de réutiliser chaque année plus de 200 000 m3 d’eau traitée par la station d’épuration pour arroser le golf et des espaces verts. « En 2006, il y avait une forte demande, raconte le responsable du service Eau de la commune. On devait livrer 280 000 m3 d’eau au golf. Or la sécheresse de 2003 nous avait mis le couteau sous la gorge, on craignait de ne plus pouvoir alimenter la population en eau l’été. Donc cela valait le coup de créer 8 km de canalisations pour alimenter le golf depuis la station d’épuration

Mais depuis quelques années, la commune se fait livrer de l’eau en provenance du Canal de Provence et n’est plus en déficit grave d’alimentation en eau. Aucune raison donc de payer pour des kilomètres de canalisations supplémentaires si l’eau traitée par la station d’épuration ne peut pas être réutilisée pour de nouveaux

Malgré les difficultés, il y a une volonté générale d’accélérer sur la REUT. Veolia a annoncé en juillet 2022 son souhait de déployer la REUT sur une centaine de stations d’épuration. Actuellement, 80 stations la pratique en France.Cette opération devrait permettre une économie de 3 millions de m3 d’eau potable, soit la consommation moyenne annuelle d’une ville de 180 000 habitants. Dans un premier temps, l’eau recyclée sera utilisée pour l’entretien des stations avant d’expérimenter d’autres usages urbains ou agricoles, sous réserve d’obtenir les autorisations. Pour Philippe Denis, directeur du développement à Veolia Eau, région méditerranéenne, il faut aller plus loin et plus vite : « La réglementation existante est ancienne et antérieure aux problématiques de sécheresse.

De plus, notre “culture” française fait qu’on aime remplir beaucoup de documents administratifs. Mais, nous n’avons plus le temps de faire ça. Aujourd’hui, il faut que les règles s’assouplissent ». Conscient de l’urgence, Philippe Denis a luimême sollicité, l’été dernier, les collectivités territoriales pour parler de la REUT. « Tout le monde était intéressé mais les projets prennent trop de temps à se déployer. Temps que nous n’avons plus forcément », conclut-il. À l’échelon politique, le gouvernement semble avoir pris conscience du retard pris par la France en matière de REUT et de la nécessité de faire évoluer la réglementation. Le décret de mars 2022 ouvrait la voie à de nouveaux usages pour les eaux usées traitées (nettoyage des voiries, curage des canalisations, lutte contre les incendies). Le Plan Eau, présenté le 30 mars dernier, prévoit de développer « 1 000 projets en 5 ans » pour que la France réutilise 10 % de ses eaux usées d’ici à 2030. Mais ces mesures ne parlent pour l’instant que d’ « expérimentation ». Les autorisations accordées sont temporaires et ne donnent pas de visibilité sur le long terme. Les communes hésitent à investir dans des projets qui pourraient se voir bloqués par la réglementation dans cinq ou dix ans.

Le programme Jourdain, en Vendée, est un cas d’école. Il y a dix ans, les études prévoyaient un déficit de 8 millions de m3 d’eau potable dans le département à horizon 2030 si rien n’était entrepris pour préserver la ressource. En 2014, Vendée Eau lance alors un programme pour traiter 2 millions de m3 d’eau par an à partir de 2027 et en faire de l’eau potable. Il doit permettre d’alimenter jusqu’à 150 000 personnes l’été pour un investissement total de près de 25 millions d’euros.

Réutilisation indirecte

Le projet est inédit en France : les eaux usées traitées, au lieu d’être récupérées directement en sortie de station d’épuration pour arroser les espaces verts ou irriguer les cultures, passent par une unité d’affinage puis sont rejetées dans le milieu naturel et pénètrent les nappes de surfaces d’où le département tire son eau potable. « Le problème, explique Mathilde Coulais, chargée du projet à Vendée Eau, est qu’il n’y a pas aujourd’hui de réglementation française ou européenne pour réutiliser les eaux usées de cette manière. Il a donc fallu réaliser énormément d’études, tout analyser, ce qui coûte cher et prend du temps. C’est un processus lourd, beaucoup d’aller-retour avec les services réglementaires de l’État, de la préfecture et de l’ARS ». La dernière autorisation est en cours d’instruction, elle doit permettre de construire 27 km de canalisations. Ensuite, l’expérimentation pourra être lancée, à partir de 2024, pendant trois ans. Mais si la réglementation n’a pas été simplifiée d’ici là, il faudra demander de nouvelles autorisations pour passer de l’expérimentation au fonctionnement définitif après 2027. Or le temps presse et la France ne sera pas épargnée par la course à l’eau potable. Selon les modèles, le débit des fleuves diminuera de 20 à 40 % et la recharge des nappes phréatiques de 20 à 30 % d’ici à 2040.

Paloma auzéau et Paul de montferrand

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« La réglementation est ancienne et antérieure aux problématiques de sécheresse »
Philippe Denis, de Véolia Eau
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La commune de Saint‑Maxime (Var) se fait livrer son eau depuis le Canal de Provence (Nicolas Tucat / AFP)

WOLFRAM KLOPPMAN CHERCHEUR EN GÉOCHIMIE

On a cru qu’on ne manquerait jamais d’eau »

Cosmos : Pourquoi est-ce important de réutiliser nos eaux traitées ?

Wolfram Kloppmann : Pour plusieurs raisons : on recycle une ressource qui devient de plus en plus rare, on le voit actuellement avec les nombreuses sécheresses (même en hiver !). Quand on utilise nos eaux traitées, on les utilise deux à trois fois avant de les rejeter dans leur milieu naturel. Le traitement des eaux usées revient également deux fois moins cher que le dessalement de l’eau de mer. Et puis on a aussi une économie d’énergie liée aux activités de pompage et de transport de l’eau, lorsqu’on réutilise nos eaux usées.

Est-ce que la France utilise ses eaux usées ?

Actuellement, la France réutilise environ 1% de ses eaux usées. C’est ridicule surtout quand on sait que le pays se situe bien en tête des pays producteurs de technologies de traitement. Ce qu’il se passe, c’est qu’en France on a

cru qu’on ne manquerait jamais d’eau. C’est vrai effectivement que même aujourd’hui globalement la France ne manque pas d’eau mais le cycle de l’eau n’est pas régulier ni linéaire. La France n’est pas épargnée par des pénuries locales, régionales ou saisonnières.

Comment expliquez-vous le fait que de nombreux projets de réutilisation d’eaux soient bloqués ?

Les eaux usées peuvent être soumises à divers types de pollution, ce qui limite leur potentiel de réutilisation selon l’usage recherché, irrigation urbaine, agricole ou recharge artificielle de nappe. L’objectif actuel des pouvoirs publics est de mener une action plus volontariste, de ne plus faire confiance uniquement au milieu naturel pour améliorer la qualité de l’eau réutilisée. Cela implique le développement de nouvelles installations assurant un traitement de l’eau usée zéro rejet.

J’entends beaucoup de monde demander une baisse des restrictions concernant la réutilisation des eaux usées mais l’utilisation des eaux recyclées dans un but de potabilité ou d’irrigation par aspersion de plantes consommables exige un traitement supplémentaire pour s’assurer de la destruction de tout germe pathogène et une épuration chimique conforme aux régulations qui pèsent sur chacun des usages. Tout cela demande un investissement financier conséquent.

La France souhaite passer, d’ici à 2030, à 10% de réutilisation des eaux. Cet objectif vous semble-t-il réalisable ?

Oui mais seulement si tous les acteurs (pouvoir publics, collectivités locales…) y mettent du leur, d’un point de vue financier notamment. Tout le monde commence à prendre petit à petit conscience que l’eau devient une ressource rare. Peut-être qu’ils finiront par comprendre que réutiliser nos eaux traitées est une priorité.

Recueilli par P.auzéau

Le coordinateur du programme de recherche public sur les ressources non conventionnelles en eau et les concepts alternatifs de gestion appelle à investir massivement dans le recyclage en France.
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Vue aérienne d’une station d’épuration à Saint Laurent du Maroni en Guyane (Jody Amiet / AFP)
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Wolfram Kloppman (The Conversation)

Les tuyaux percés des Pyrénées-Orientales

Arroser son potager, remplir sa piscine ou laver sa voiture chez soi est désormais de l’histoire ancienne pour la plupart des habitants des Pyrénées-Orientales. Depuis le 10 mai, la majorité du département est placée en situation de « crise », correspondant au plus haut niveau d’alerte sécheresse. Pour faire face à ce manque drastique d’eau, le préfet Rodrigue Furcy a formulé une liste de mesures de restriction d’eau et lancé un plan de réduction des fuites sur « 15 réseaux au rendement faible, permettant d’engager avant l’été 2 à 3 millions de m3 d’économies d’eau », peut-on lire sur le site de la préfecture. Car dans le département, le plus touché par la sécheresse en France, plusieurs communes constatent des fuites de plus de 50% dans leur réseau d’eau potable.

En d’autres termes, un litre sur deux serait perdu dans les sols avant d’arriver au robinet. Ces « points noirs » ont été identifiés par le gouvernement lors de la présentation du Plan eau le 30 mars dernier. Parmi les 170 collectivités pointées du doigt à l’échelle nationale, dont 14 dans les Pyrénées-Orientales – parmi lesquelles l’agglomération de Perpignan – faisant du département un des plus touchés en France.

Si le phénomène est connu, les raisons sont multiples. Sans surprise, une des premières explications au mauvais rendement vient d’une mauvaise gestion. Pour gérer l’eau, une commune a deux possibilités : soit elle le fait elle-même, soit elle fait appel à des entreprises délégataires à l’instar de Véolia, Suez ou la Saur. Si ce choix est purement politique, côté efficacité, aucune des deux options n’est meilleure que l’autre. « Le tout est de disposer de personnel compétent et entièrement dédié à la question de l’eau », commente Sophie Portea, de l’Office français de la biodiversité. Suivant les mairies de France, le niveau de services est très disparate. C’est notamment le cas en matière de personnel, elles ne sont soumises à aucune obligation. « En appelant les services des eaux, on s’est vite rendus compte que c’était souvent le maire, un adjoint ou quelqu’un de la mairie qui gérait ça et de très loin, confie-t-on au sein du Syndicat pour la protection et la gestion des nappes du Roussillon, et on voit que ce sont souvent celles

qui ont les moins bons rendements. »

Du côté de la qualité de leur réseau, les communes ont également très peu d’obligations. Seule publication obligatoire : le Rapport sur le prix et la qualité du service (RPQS), une fois par an, dans lequel est précisé la tarification de l’eau, les investissements prévus ou la performance du réseau.

Beaucoup d’eau échappe au comptage

Elles regardent le pourcentage d’eau perdue avant d’arriver dans les habitations. Mais pour calculer ce rendement, aucune consigne claire : il y a autant de méthodes que de communes. Sispea (l’Observatoire national des services d’eau et assainissement) définit toutefois le rendement comme la comparaison entre le volume d’eau qui entre dans la commune et le volume consommé par la population.

En réalité, toute l’eau consommée n’est pas comptée. Par endroits, elle entre dans les tuyaux sans passer par un compteur. « On a estimé notre consommation d’eau qui ne passe par aucun compteur à 24 000 m3 par an : on y trouve l’eau des potences agricoles, des arrosages des espaces

verts, du nettoyage des sols ou encore des bornes incendies », précise la mairie d’Ille-sur-Têt, dans les Pyrénées-Orientales. Pire, déclarer cette « consommation estimée sans comptage » est facultatif. Dès lors, le rendement devient une notion presque arbitraire. La principale raison des fuites étant la vétusté des tuyaux, le meilleur moyen de s’armer contre les pertes reste d’entreprendre des travaux et de renouveler les canalisations. « On paie des années de négligence. Pendant des années, on voyait l’eau partir dans la nature mais on ne faisait rien […] On n’a pas entrepris de travaux et on a laissé les canalisations vieillir. Forcément, aujourd’hui les réseaux ont 60 ans, et ça pète ! » s’indigne Séverine le Mestre, chargée de mission au syndicat des nappes du Rousiilon. Sur les 895 000 kilomètres de canalisations en France, beaucoup ont été construites avec des matériaux aujourd’hui interdits et n’ont pas été remplacées. « Avant 1950, les canalisations étaient construites en amiante-ciment. Le problème c’est que ça casse comme du verre ! », commente Gilbert Llusa, agent d’exploitation Saur

Au moment où les nappes phréatiques sont au plus bas, la France perd chaque année des millions de m3 d’eau à cause des fuites. Pire, dans certaines communes des PyrénéesOrientales, un litre sur deux s’échappe dans la nature avant même d’atteindre les robinets.
« Pour renouveler durablement tout le patrimoine en France, il faudrait investir entre 300 et 800 millions d’euros par an. »
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Sophie Portela, Office français de la biodiversité

dans les Aspres des Pyrénées-Orientales.

Budget limité

Mais pour refaire les réseaux d’eau, il faut de l’argent. « Pour renouveler durablement tout le patrimoine en France, il faudrait investir entre 300 et 800 millions d’euros par an », poursuit Sophie Portela, de l’Office français de la biodiversité. Sauf que les communes ont un budget

limité. Aujourd’hui, elles financent leurs travaux de trois manières : avec leur budget, avec les subventions régionales et avec les

Séverine Le Mestre, chargée de mission

aides de l’Agence de l’eau. Pour établir leur budget, les collectivités sont soumises à un principe : « l’eau paie l’eau ». Cela signifie que ce sont les usagers qui paient, à travers leurs factures d’eau, les dépenses futures de la commune en la matière.

Mais beaucoup de professionnels du secteur pointent du doigt un principe à l’agonie, car il ne suffit plus à financer les travaux des collectivités. Pour Séverine le Mestre, cette règle perd en efficacité quand on se trouve dans une logique d’économies d’eau telle qu’on la connaît aujourd’hui. « Si on consomme moins, on finance moins », assure-t-elle avant

de préciser : « La seule solution pour les communes, c’est d’augmenter ses tarifs. Mais dans une période inflationniste comme on est en train de vivre, cela pose de gros problèmes d’acceptabilité de la part de la population ». D’autant que le budget est sanctuarisé : impossible de piocher ailleurs pour l’alimenter.

2,2 milliards d’euros d’aide

Une des solutions apportées par Emmanuel Macron a été d’augmenter le budget des Agences de l’eau afin de gonfler les subventions accordées aux communes dans le besoin. Si ce budget, de 2,2 milliards d’euros aujourd’hui, va connaître une hausse de « près de 500 millions d’euros » dès 2024, dont 180 millions dédiés aux 170 « points noirs » pour lutter contre les fuites, « on est toujours très loin des besoins réels », confie Sophie Portela. « Une goutte d’eau dans l’océan », ironise Sé-

verine le Mestre. Dans lacommune de Millas, on préfère voir cette annonce d’un bon œil. « Depuis deux ans, on a investi entre 200 et 400 000 euros, ce qui nous permettra de passer de 49,1% de rendement en 2021 à sûrement 52% en 2023 », se félicite le maire Jacques Garsau. Si l’amélioration du rendement de Millas n’a pas été exponentielle, l’édile espère pouvoir faire bondir ce chiffre grâce à la future hausse du budget. « Pour l’instant, pour faire des travaux, entre les aides du département et des agences de l’eau, on nous subventionne entre 50 et 70% du coût total. Avec cette annonce, on espère passer à 90% de subventions ! » se réjouit-il. En deux ans, la commune n’a pu renouveler que 4 kilomètres sur ses 26 kilomètres linéaires de réseau et n’a pu améliorer son rendement que de 3%. À ce rythme, il lui faudrait encore onze ans pour remplacer l’intégralité de ses canalisations.

Margaux gable

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Lit asséché de l’Agly, dans le sud de la France le 23 février. (Raymond Roig / AFP )
« Les réseaux ont 60 ans et ça pète. »

Un litre d’eau sur cinq est perdu

Dans votre rapport, vous avez pointé le phénomène des pertes d’eau dans le pays. Si on devait le quantifier, aujourd’hui, combien on perd d’eau en France chaque année ?

Les pertes par fuites annuelles sur la France entières (métropole + outre-mer) sont estimées à 937 millions de mètres cubes. C’est 1 litre sur 5 qui est perdu en moyenne, avec des disparités selon les communes.

D’abord, à cause de l’état du patrimoine. C’est pour ça qu’il est nécessaire d’avoir une bonne gestion qui permet de poser un diagnostic pour identifier où sont les fuite puis programmer des investissements, et ensuite réaliser des travaux. C’est si, et seulement si, toutes les étapes ont été suivies qu’on arrive à un niveau performant.

Il y a aussi la question financière : même une collectivité qui a de bonnes intentions,

si être de la corrosion et des mouvements de terrain. Il y a aussi les incidents extérieurs comme les chantiers qui peuvent endommager les canalisations.

A quelles obligations sont soumises les collectivités en matière de transparence sur la gestion de l’eau ?

Quelles sont les communes qui s’en sortent le moins bien et pourquoi ?

Ce sont les collectivités de moins de 1000 habitants. C’est là où il va falloir faire les efforts les plus importants. Qu’ils délèguent ou pas leur gestion de l’eau, le rendement moyen est quasiment le même.

mais pas les moyens financiers, est nécessairement bloquée. C’est là que les Agences de l’eau peuvent les subventionner pour qu’il aient des aides financières.

Et à quoi sont dues ces fuites, quelles sont les possibilités ?

En premier lieu la vétusté du réseau mais ça peut aus-

Elles doivent publier leur Rapport sur le Prix et la qualité du service. De cette manière, les usagers ont accès à ce rapport où tous les indicateurs de performance sont décrits. Ce qui permet de savoir si les performances d’une collectivité sont bonnes, moyennes ou mauvaises. Mais certaines jouent le jeu et d’autres pas. Vis à vis des fuites en réseau, il y a le décret de 2012 issu du Grenelle de l’environnement, qui pénalise les collectivité ne respectant pas un seuil minimum de rendement. Le respect de ces seuils dépend des territoires, avec des départements qui ont de très bons rendements (+80%), notamment sur la frange ouest en France et en Ile-de-France. Mais certains autres sont en grande difficulté. On remarque que 20% de services publics d’eau ne respectent pas ce décret de fuites. En terme de population couverte, c’est 8% de la population qui est rattachée à un service qui ne respecte pas ce décret.

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Co-auteure du rapport « Panorama des services et de leur performance sur 2020 » publié en 2022, Sophie Portela est cheffe de projet à l’Observatoire national des services publics d’eau potable et d’assainissement. Elle dresse l’état de la situation française des services publics sur le sujet de l’eau.
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Chaque année, la France perd 937 millions de m3 d’eau. (pxhere.com)

chaque année en France »

Communes les plus touchées par les fuites d’eau

170 communes prioritaires dans la lutte contre les fuites sur les réseaux de distribution.

Est-ce que l’annonce d’Emmanuel Macron d’augmenter le budget des agences de l’eau de 500 millions d’euros vous paraît satisfaisante ?

C’est une première étape et c’est toujours un plus, mais ça reste clairement insuffisant. On ne se rend pas compte qu’on a 895 000 km de linéaire de réseau en France. À l’heure actuelle, le taux annuel de renouvellement des réseaux est évalué à hauteur de 0,67% pour l’eau potable. Il nous faudrait donc 150 ans pour renouveler l’entièreté du réseau.

Mais l’argent ne fait pas tout. Si on donne beaucoup d’argent mais que vous n’arrivez pas à vous organiser, ça ne résoudra pas tous les problèmes.

C’est l’organisation, les connaissances, la qualité du diagnostic et la planification des investissements qui font que ça marche. Sauf que les communes n’ont aucune obligation en la matière. De plus, on est dans une phase de transfert de compétence du niveau communal et au niveau intercommunal, ça entraîne des changements organisationnels. Ça complexifie l’organisation interne des collectivités. La communauté de communes doit faire un état des lieux et collecter les données des réseaux qu’elle récupère. Ça complexifie beaucoup le travail à fournir mais ça permet d’avoir plus de moyens humains, financiers et technologiques.

Source : franceinfo.fr

Recueilli par Margaux gable

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Rafaël* a 35 ans. Il est éleveur porcin dans les Côtes-d’Armor et jeune papa. Le choix de l’agriculture biologique était une évidence pour lui : « Je suis fils de paysan et toute ma vie, on m’a dit que le paysan polluait. » En 2017, il reprend l’exploitation familiale mais engage 600 000 euros pour la convertir en agriculture biologique. Il installe ses soixante truies dans des bâtiments qui respectent un cahier des charges strict : de grandes surfaces de paille pour chacune de ses landraces françaises et interdiction d’utiliser des OGM dans la nourriture de ses bêtes. « Clairement, je voulais sauver la planète », confie-t-il. Mais depuis début 2022, le marché ne suit plus. Avec les prix de l’alimentation qui explosent, nombre de ménages ne peuvent plus s’offrir de bio. Dans la grande distribution, si le prix des produits bio augmente moins vite que les autres, c’est toujours du simple au double pour le kilo de jambon blanc (entre 10 et 25 euros pour du conventionnel, jusqu’à 40 euros pour du bio). Avec la demande qui s’écroule, la production peine à s’écouler. Dans ce contexte, Raphaël produit toujours ses porcs en bio, mais il est obligé de les vendre au prix du conventionnel. C’est une perte de 180 euros par porc pour l’éleveur. « Il vaut mieux pour moi que je ne produise pas ces porcs, que de perdre 180 euros par bête. » Raphaël estime avoir perdu 90 000 euros de chiffre d’affaires en 2022. C’est aussi le montant des annuités de son prêt. Son exploitation risque le redressement judiciaire. La situation devient urgente pour l’agriculteur : « Dans les six prochains mois, s’il n’y a pas quelque chose qui se passe, je ne serai plus là pour vous en parler », confiet-il, résigné. En creux, résonnent des chiffres glaçants : en France, un agriculteur se suicide tous les deux jours, selon Santé publique France et la MSA (Mutualité sociale agricole).

« On ne progresse pas »

Avec un recul de 1,3% l’année dernière, la consommation du bio dans la grande distribution a baissé pour la première fois depuis huit ans… alors qu’elle aurait dû poursuivre son aug-

mentation pour remplir les objectifs européens. La France, comme les 26 autres membres de l’Union européenne, s’est engagée à travers le Green Deal à atteindre 25% de surface agricole biologique d’ici à 2030. Elle est aujourd’hui autour de 10%.

« Jusqu’ici on ne pensait qu’à l’offre, sauf que la demande s’est cassée la figure. Donc aujourd’hui, on réfléchit davantage à garantir la demande. Car on ne peut pas faire une transition agricole sans une réelle transition alimentaire », analyse Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, groupement en charge de la promotion du bio en France. À la Fédération nationale d’agriculture biologique, « on subit de manière brutale le changement de tendance », expose son président, Philippe Camburet. « Aujourd’hui, on ne progresse pas, on régresse », résume Nathalie Delagne, présidente de Biolait, un groupement important qui gère la distribution du lait bio. « Si on ne soutient pas plus que ce qui a été fait jusque-là, on ne remplira pas les objectifs. »

Des labels concurrents

Pour ne rien arranger, au vu de l’état du marché, la grande distribution réduit son offre dans ses rayons. Dans les grandes surfaces, le nombre moyen de références bio par magasin a baissé de 5% passant de 523 début 2021, à 497 références début 2022, selon une étude menée par l’institut de sondage Nielsen IQ. Le marché doit également affronter la concurrence des labels qualitatifs qui se multiplient : Haute valeur envrionnementale (HVE), Bleu Blanc Coeur, Sans résidus de pesticide… Ils ne sont pas aussi contraignants que le cahier des charges de l’agriculture biologique (AB), mais ouvrent d’importants débouchés pour les filières. Ils sont accusés de donner l’illusion au consommateur de manger bio, mais moins cher. Le label HVE par exemple, fonctionne selon un système de moyenne de points attribués par thématiques : biodiversité, stratégie phytosanitaire, gestion des fertilisants et de l’irrigation, le tout adapté aux conditions climatiques et environnementales de la région. L’utilisation d’intrants chimiques par exemple

À chaque porc bio vendu au prix du conventionnel, Raphaël perd 180 €. (Timothée Barnaud)

La consommation de bio recule pour la première fois en quinze ans en France, mettant en difficulté les agriculteurs. Dans la filière porcine, une des plus sinistrées, on craint « des drames humains ». Outre l’inflation, le désengagement de l’État est mis en cause.
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La France compte aujourd’hui environ 10% de surface agricole bio (Guillaume Souvant / AFP)

Crise de la filière bio : comment en est-on arrivé là ?

n’est pas interdite. Pour Laurence Marandola, paysanne dans les Hautes-Pyrénées et secrétaire nationale de la Confédération paysanne, « faire croire au consommateur que ça revient au même de manger un produit HVE et un produit bio, c’est tout simplement un mensonge ».

Retour au conventionnel

Plus qu’un passage à vide, cette baisse de consommation à des impacts importants pour la filière. «  Ce qui est dramatique, c’est qu’il y a un frein pour les nouveaux entrants en bio », explique Laure Verdeau. L’Agence Bio a observé un ralentissement significatif des conversions en bio, elles sont passées de 15% en 2020 à seulement 8% en 2021. Le nombre de nouvelles fermes bio connaissait une croissance à deux chiffres depuis quinze ans. Si le nombre d’installations pour 2022 n’est pas encore connu, il risque d’être moins important que les années précédentes. Pourtant, chez les agriculteurs

la dynamique est au rendez-vous. Ils sont nombreux à vouloir passer à un modèle plus vertueux. C’est une conviction écologique qui a poussé Johan, éleveur de vaches laitières en Occitanie : « C’est un système qui est aussi agréable à vivre. Par exemple, on n’est pas confronté aux produits chimiques, les animaux ont peu de problèmes de santé. »

C’est aussi ce qui a convaincu Pierre-Yves, producteur porcin dans le Morbihan : « On va dans le sens de la société, de l’avenir, on sait que l’agriculture de demain c’est la bio. » Selon Laure Verdeau, entre 30% à 50% des nouveaux installés souhaitent le faire en agriculture biologique. « On a des agriculteurs

qui veulent passer en bio, mais l’état du marché ne le leur permet pas », déplore-t-elle.

Plus grave encore, certains quittent définitivement la filière pour retourner vers le système conventionnel. On parle alors de déconversions. Un mot tabou pour les acteurs de la filière, qui sont peu à se lancer dans une estimation du phénomène. Chez Biolait, qui collecte un tiers du lait bio français, « on a quelques départs de producteurs qui repartent vers la filière conventionnelle, avoue sa présidente Nathalie Delagne, à demi-mots. Ça reste un phénomène à la marge mais qui doit pourtant nous alerter. » Au vu de la situation, les objectifs européens vont ▷▷

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« Dans les six prochains mois, s’il n’y a pas quelque chose qui se passe, je ne serai plus là pour vous en parler. »
Raphaël - éleveur

Avec la loi Egalim, la restauration collective devait introduire, au 1er janvier 2022, 20% de produits biologiques. Aujourd’hui, la moyenne est de 6%. (Joel Saget / AFP)

être « excessivement difficiles à tenir », rapporte Etienne Gangneron, ancien vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) chargé de la bio. Claude Gruffat, eurodéputé membre du Groupe des Verts, alliance libre européenne, lui, dénonce un désengagement de l’État sur l’objectif 25% en 2030 : « Les budgets ne sont absolument pas à la hauteur

pour y arriver. Ce n’est pas sérieux. » Le Green deal est un objectif fixé par l’Union européenne, il n’est donc pas contraignant pour les États membres. Ceux-ci répartissent l’enveloppe de la politique agricole commune selon leurs arbitrages. La France a présenté son plan stratégique national de répartition cette année à la Commission européenne, des ambitions « de la décennie précédente », pour Claude Gruffat. Il dénonce des répartitions anti-bio, qui favorisent des labels intermédiaires « qui n’ont pas de cahiers des charges et qui trompent le consommateur ».

Des leviers pour améliorer la situation existent pourtant. La loi Egalim votée en 2018 impose par exemple aux collectivités de distribuer 20% de bio d’ici 2022, dans la restauration collective (les cantines scolaires, les hôpitaux ou les Ehpad).

courir. Si cette loi était correctement appliquée, elle permettrait à certaines filières de sortir de leurs difficultés, comme pour le porc, explique Claude Gruffat : « Si on avait 20% de bio dans les cantines aujourd’hui on n’aurait pas ces difficultés, il en manquerait même. » Pierre-Yves, éleveur porcin, déplore cette situation : « Avec cette loi, l’État nous avait promis du bio et du local, y a des associations d’éleveurs qui ont lancé des installations. On est dégoûtés. »

Un ministère « anti agriculture biologique »

Les conversions en bio sont passées de 15% en 2020 à 8% en 2021. (Timothée Barnaud)

Aujourd’hui la moyenne est de 6%. La moitié du chemin reste encore à par-

Pour passer la crise, Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, annonçait en mars la mise en place d’un plan d’urgence. dix millions d’euros sont engagés pour soutenir les acteurs de la bio. Mais répartis auprès des 60 000 fermes bio en France, ça ne représente que 166 euros par agriculteur. Un montant bien inférieur aux aides réclamées. Pour la filière du porc seulement, les pertes liées à l’inflation sont estimées à 30 millions d’euros. Pour Etienne Gangneron, de la FNSEA, « c’est du grand n’importe quoi, c’est ridicule ».

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La chambre d’agriculture de Bretagne reconnaît une enveloppe « dérisoire au regard des difficultés toutes filières confondues ». Contacté, le ministère n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations.

Pour sauver les meubles, les fédérations et chambres d’agriculture prennent donc le relais et puisent dans les réserves financières de certaines régions pour mettre en place un soutien interne aux agriculteurs en difficulté. L’idée : éviter au maximum que des agriculteurs quittent la filière. « Il faut qu’on évite les déconversions. Donc on va essayer de limiter les dégâts, mais ça aura un impact sur les objectifs, on va prendre du retard », expose Etienne Gangneron. À ce stade, chaque ferme compte, pour Laurence Marandola, de la Confédération paysanne : « Chaque ferme qui arrête, c’est un drame humain et économique. Chaque ferme qui repasse au conventionnel, il faut absolument l’éviter. Et chaque installation il faut la soutenir. »

Si la France est le premier pays européen en termes de surface en bio, cela ne représente que 10% de l’ensemble de ses terres. Elle n’est qu’au 14e rang au niveau européen en proportion surfaces conventionnelles - surfaces bio.

EN NORMANDIE, LE CIRCUIT COURT A ENCORE DU CHEMIN À FAIRE

En Normandie, 28% des agriculteurs bio vendent en circuit-court : vente directe à la ferme, marchés, magasins producteurs, etc. « Les circuits courts, ça permet vraiment de capter la valeur ajoutée sur un produit, de fait de pouvoir mieux se rémunérer », explique Caroline Paris, chargée de mission à Bio en Normandie. Le circuit court, qui ne comprend pas plus d’un intermédiaire, demande donc plus de travail au paysan. De la production à la vente en passant par le conditionnement, il doit tout faire. « Il faut aimer C’est une philosophie de travail. Ce n’est pas parce qu’on est sur une plus petite ferme que le travail est moindre », ajoute-t-elle. La charge de travail est conséquente et le modèle ne préserve pas de la crise. En 2021, un producteur sur deux en circuit court a vécu une baisse de chiffre d’affaires, selon l’association d’agriculteurs. Bio en Normandie est très attentive au développement de cette filière. Avec 700 agriculteurs bio en circuit court, « il y a des territoires qui ont encore la place d’accueillir du circuit court, confirme Caroline Paris, mais ce n’est pas illimité contrairement à la tendance de consommation de 2020 ». Pendant la pandémie, la consommation alimentaire bio des Français a bondi de 12,3%. Une tendance qui ne s’est pas poursuivie… et qui s’est même inversée. Si la Normandie peut encore accroître ses terres bio pour atteindre l’objectif européen de 25% de surfaces agricoles bio d’ici 2030, ça sera « encadré pour que chaque paysan vive sereinement son activité », achève Caroline Paris.

Pour Claude Gruffat, « le ministère de l’Agriculture aujourd’hui est clairement anti-agriculture biologique ». De nombreux acteurs de la bio en France dénoncent des arbitrages en faveur d’une « bio industrielle », c’est-à-dire une agriculture labellisée, mais soumise au modèle productiviste des industriels et de l’agro-alimentaire. Pour Pierre-Yves, dans le Morbihan, « toute la production lancée se retrouve sur le marché. Mes cochons sont là, mais je ne les vends pas ou à perte. Et tout le monde s’en fout, rien n’est fait. On sent que le ministère nous abandonne ». Un plan massif d’urgence de 60 millions d’euros a été obtenu par la FNSEA le 17 mai. Les prochains mois seront déterminants pour la bio et plus encore pour la filière porcine : «  j’ai peur des drames humains dans la filière, car on n’a pas d’échappatoire », achève Rafaël.

Louise-Anne DeLAune et FAnny imbert

*Le prénom a été modifié.

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Avec le recul de la consommation du bio, des producteurs quittent la filière pour retourner vers le système conventionnel. (Markus Spiske / Pexels)
« Les budgets ne sont absolument pas à la hauteur pour arriver à l’objectif 25% de bio en 2030. Ce n’est pas sérieux. »
Claude Gruffat - eurodéputé

Paris : retard sur la ligne

Paris peut-elle vraiment être prêt à temps ? Le 13 septembre 2017, lorsque la Ville lumière est officiellement désignée ville hôte des Jeux olympiques 2024, exactement cent ans après la dernière édition dans la capitale, le compte à rebours est lancé. Sept années pour construire, rénover et adapter la capitale au plus grand événement sportif mondial.

Un argument est alors martelé : ces Jeux devront être ceux de la sobriété budgétaire, s’appuyant notamment sur des infrastructures déjà existantes. Mais des projets d’envergure sont tout de même lancés : un immense village olympique à Saint-Ouen pour acceuillir les 14 250 athlètes et accompagnants présents sur place ; le ancement au moins partiel de nouvelles lignes de métro du Grand Paris Express pour pouvoir circuler entre les différents sites des Jeux ; la transformation de certains bâtiments historiques, comme le Grand Palais ou le Château de Versailles.

Mais à près d’un an de la cérémonie d’ouverture sur la Seine, de nombreux doutes planent sur la faisabilité de certains projets. Les transports publics inquiètent notamment, entre une accessibilité encore plus que marginale pour les personnes en situation de handicap et bon nombre de stations de métro archaïques, techniquement loin d’être prêtes à accueillir les plus de sept millions de spectateurs prévus en août et septembre 2024. Le questions de sécurité ont également pris un retard inattendu, parfaitement illustrées par l’immense fiasco de la finale de la Ligue des Champions 2022 au Stade de France. Le compte à rebours avance, et il avance vite. Et avec lui, l’angoisse de ne pas être au rendez-vous.

Ludovic Marin / AFP
2024

Accessibilité des transports, Paris manqué

En vue des Jeux paralympiques de Paris 2024, l’objectif d’acheminer 100 % des spectateurs en transports collectifs avait été fixé. Un pari impossible, tant les infrastructures restent inadaptées aux personnes à mobilité réduites et les agents insuffisament formés.

«Inclusifs et accessibles. » Tel était le slogan des organisateurs et la Ville de Paris pour les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), que l’on n’a cessé d’entendre depuis la candidature de la Ville Lumière en 2015. Doté d’un budget de 1,5 milliard d’euros dans le cadre du schéma directeur d’accessibilité programmée, Île-de-France Mobilités (IDFM) a engagé un vaste chantier dans cet objectif pour l’ensemble du réseau de transports francilien à l’horizon 2024. Une échéance qui n’a rien de hasard : elle coïncide avec les JOP, durant lesquels la capitale s’apprête à accueillir jusqu’à 350 000 spectateurs en situation de handicap moteur, psychique, mental ou sensoriel. L’ambition était d’acheminer vers les sites de compétition 100% des spectateurs – y compris les personnes en situation de handicap – en transports collectifs, et laisser aux Franciliens un héritage en matière d’accessibilité.

Mais alors que les Jeux débutent dans quatorze mois, les associations redoutent des conditions d’accueil « déplorables » des personnes en situation

de handicap dans les transports franciliens. En huit ans, nombre d’objectifs ont été révisés : seuls les spectateurs valides seront acheminés par les transports collectifs pendant les JOP, et IDFM n’atteindra qu’en 2025 l’objectif de 268 gares accessibles. Son réseau de surface – bus et tramways – sera en grande partie accessible, mais ces modes de déplacement ne pourront pas assumer pleinement et à eux-seuls l’acheminement de tous les spectateurs handicapés vers les sites de compétition.

Des véhicules adaptés

IDFM a détaillé sa feuille de route dans son plan de mobilités dévoilé le 12 mars 2023. L’autorité organisatrice des transports franciliens y propose une première solution, éphémère et partielle : un service spécifique de navettes accessibles à destination des utilisateurs de fauteuil roulant (UFR). Réservées aux spectateurs ayant acheté une place UFR pour une compétition et à un accompagnant, ces navettes partiront des six grandes gares parisiennes et de la station Rosa Parks vers chacun des sites de compétition en utilisant les

voies olympiques. « Ça va être un cache misère », déplore Nicolas Mérille, conseiller national accessibilité d’APF France Handicap. Une solution selon lui révélatrice du « manque d’infrastructures ». De son côté, IDFM se défend : le service de navettes est la solution la plus adaptée aux besoins des UFR pour rejoindre les sites de compétition mal desservis, à l’instar du Stade de France (Saint-Denis) situé à dix minutes à pied des arrêts de métro et de RER les plus proches. Ce qu’on appelle le « dernier kilomètre » est un calvaire pour les personnes en situation de handicap moteur, explique Elie Patrigeon, directeur général du Comité paralympique et sportif

français

: « C’est le moment où l’on peut renoncer à y aller parce qu’on sait qu’on va devoir marcher longtemps, faire la queue. » Le service de navette vise à faire d’une pierre deux coups : il règle non seulement la problématique du

En 2018, l’Association des

« dernier kilomètre » mais comble aussi le manque d’infrastructures adaptées. Un dispositif temporaire mais non négligeable, alors que Paris compte accueillir jusqu’à 4 000 spectateurs UFR par jour pour les JO et jusqu’à 2 500 par jour pour les Paralympiques.D’autres alternatives telles que parkings réservés et taxis accessibles sont prévues en parallèle.

Île-de-France Mobilité n’atteindra qu’en 2025 l’objectif de 268 gares accessibles.

Pour les spectateurs en situation de handicap hors UFR, tels que les personnes aveugles ou mal-marchantes, IDFM propose d’utiliser les moyens de déplacements conventionnels, d’un côté le réseau ferré (métro, RER, Transilien) et 54 Cosmos

de l’autre le réseau de surface (bus et tramway)

Risque de saturation

Mais l’idée peine à convaincre. « Pour l’instant, il n’est pas prévu pour le réseau de surface une disposition particulière dans le cadre des JO », précise Vincent Gautheron, délégué syndical central adjoint pour la CGT-RATP. « Les plans de transports en bus ne sont pas définitifs », reconnaît également Elie Patrigeon. Il craint que les Jeux ne dégradent l’accessibilité des lignes de bus existantes, alors que des épreuves organisées au centre-ville de Paris condamneront certains secteurs de la capitale. « Il faut absolument que les arrêts temporaires qui vont être mis en place soient accessibles », s’alarme-

t-il.« Utiliser le bus ou le tram, c’est mettre plus de temps et avoir plus de correspondances », note Nicolas Mérille, une corvée de plus pour les personnes en situation de handicap. De plus, le réseau classique n’est pas à l’abri d’une satu-

ration. Les Jeux olympiques et paralympiques verront affluer au total 10 millions de spectateurs en un mois et demi, avec des pics de 1 000 personnes par minute à Saint-Denis. Avec pour particulier pour les Paralympiques qu’ils se tien-

LE GRAND PARIS DISQUALIFIÉ

À l’origine, les nouveaux métros franciliens devaient être prêts pour 2024. Il était alors prévu de desservir les sites de compétition au nord-est de la capitale par les tronçons des lignes 16 et 17. Mais au final, ils ne seront prêts qu’en 2026. Conséquence : ce sont les lignes existantes comme les RER B et D qui devront assurer l’acheminement des athlètes et spectateurs vers les sites de compétition.

De quoi inquiéter les usagers alors que ces lignes multiplient déjà les retards et les incidents techniques.

Finalement, seuls les prolongements de la ligne 14 du métro vers l’aéroport d’Orly au sud et jusqu’à SaintDenis Pleyel au nord, seront au rendez-vous.

dront au début du mois de septembre, au retour des grandes affluences dans les transports en commun franciliens. « Si le flux est trop important, ça peut bloquer le tramway et les personnes en situation de handicap », s’inquiète Antoine Mokrane, adjoint au maire de Saint-Denis.

« Tout le monde n’est pas formé »

Les inquiétudes montent mais IDFM rassure : « La répartition des voyageurs sera optimisée afin de respecter les capacités des lignes, des stations et des gares desservant les sites de compétition. » Pour l’autorité régulatrice, les transports franciliens sont déjà prêts à accueillir les voyageurs à mobilité réduite et en situation de handicap.

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paralysés de France manifestait à Paris pour une meilleure accessibilité des transports publics. (Philippe Lopez / AFP)

Toutes les lignes de métro sont labellisées S3A, attestant la capacité des agents à accueillir des personnes déficientes intellectuelles ou présentant un

handicap mental. Une partie du réseau de transports est aussi certifiée Cap’Handéo, le seul label nationalement reconnu en matière d’accessibilité. « Les agents sont

déjà formés, les lignes sont labellisées, il n’y a pas de problème », assure IDFM. Mais la réalité semble plus nuancée. Les agents ne bénéficient « que d’une heure de formation qui sensibilise, du style “vous avez un voyageur qui est déficient visuel, il met la main sur votre épaule et vous l’accompagnez” », témoigne Vincent Gautheron de la CGT-RATP. De plus, le personnel manque. « Il y a encore des annonces pour que des agents se portent volontaires pour faire l’accueil des voyageurs en situation de handicap. S’il y a des annonces, c’est que pour l’instant, tout le monde n’est pas formé », souligne-t-il.

Des besoins divers

Pour Pierre Deniziot, délégué spécial à l’accessibilité et au handicap au Conseil régional d’Île-de-France, le cap des 100 % de spectateurs empruntant les transports en

commun devrait être « revu à la baisse ». « C’était un mauvais objectif. C’est méconnaître le handicap que de dire que tout le monde a vocation de prendre les transports en commun », souligne le conseiller régional qui souffre de difficultés pour marcher. Pour lui, renoncer à cet objectif, c’est offrir aux spectateurs handicapés « une palette de choix, pour que la personne qui a des besoins spécifiques puisse choisir sa façon de voyager. » La région et IDFM disent poursuivre l’élaboration des plans de transport « en parallèle de la définition des événements olympiques et paralympiques ». « Là, on a un très bon rythme de mise en accessibilité. Non seulement les sites seront accessibles pour les JO, mais l’accessibilité va continuer après sur le réseau », assure Pierre Deniziot.

La carte bleue comme ticket de métro à Paris : mission impossible ?

Pour le nouveau patron de la RATP, Jean Castex, les tourniquets du métro sont un « cauchemar ». Mais derrière ce symbole d’un système vieilli, c’est toute l’organisation de paiement et de validation des billets d’Île-de-France qui peine à se moderniser.

Il est 11H un samedi à la gare Montparnasse à Paris. Les voyageurs débarquent par centaines depuis les grandes lignes qui desservent l’Ouest de la France. Des vagues humaines déferlent sur les grands escaliers menant au sous-sol où se trouvent quatre lignes de métro. Là, des files d’attente au guichet et aux distributeurs s’étirent sur des dizaines de mètres pour acheter un moyen de transport qui, il y a encore quatre ans, se résumait à un petit bout de carton. Le poinçonneur n’était pas loin. Agacées d’avoir pris une demi-heure à se procurer le sésame, une jeune Rennaise et sa fille de cinq ans s’en-

gagent dans les portiques. La petite fille passe tandis que le ticket de sa mère est avalé par la machine. Il faudra dix minutes avant qu’elle ne puisse récupérer son billet resté coincé dans le valideur, de vieux portiques qui s’ouvrent brièvement après avoir marqué le ticket, chargé par les couches de poussière accumulées depuis des années. « On passe notre temps à gérer ce genre de problèmes, souffle Matthieu*, agent RATP, et il y a aussi tous ceux qui font la queue pour des tickets démagnétisés, c’est-à-dire les tickets dont la bande qui est censée contenir les informations au plus. » De quoi faire dire à Jean Castex, le nouveau patron de la RATP, que le système actuel de tourniquets était un « cauchemar ». Avant de repartir, la voyageuse venue de Rennes tient à préciser que dans sa ville, « on a juste à sortir sa carte bleue ou son téléphone pour passer » Une technologie surnommée open

payment, ou paiement ouvert, mise en place à Rennes depuis 2021, qui consiste à utiliser sa carte bleue ou sa version dématérialisée sur téléphone pour prendre les transports en commun, et qui se propage un peu partout.

300 villes ont passé le cap Le sans contact est déjà la règle dans d’autres grandes villes. À Londres par exemple, une carte de métro consignée ou la carte bleue permettent de circuler dans l’Underground depuis près de dix ans. Cette transition initiée au moment des Jeux olympiques a permis de fluidifier le trafic. Là-bas, l’open payment représente plus de 50 % des paiements de transports, l’autre moitié se faisant encore en créditant les cartes consignées, selon Laurent Bréchon-Cornery, directeur de l’innovation en mobilité intelligente et en paiement chez Mastercard, dont l’une des missions consiste à « évangéliser

Avant de repartir, la voyageuse venue de Rennes précise que dans sa ville, « on a juste à sortir sa carte bleue ou son téléphone pour passer ».
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28% des lignes de bus sont accessibles aux personnes à mobilité réduite. (Kenzo Tribouillard / AFP)

sur l’open paiement ». La technologie est sécurisée et surtout très efficace. Elle calcule automatiquement le prix le plus juste pour le voyageur occasionnel en fonction du nombre de trajets qu’il effectue grâce à un algorithme spécialement conçu. Tarif unitaire, forfait jour ou semaine : plus besoin d’y penser. Elle offre une expérience rapide et simple puisque le passager n’a qu’à passer son téléphone, ou sa carte bleue, au-dessus du valideur pour être en règle. Plus de 300 villes au monde ont déjà passé le cap et, parmi elles, des capitales européennes à l’image de Madrid et Rome, depuis 2019, Bruxelles, depuis 2020, ou encore Amsterdam, depuis 2022. En France aussi, de plus en plus de villes se laissent convaincre par ce mode de paiement : Dijon et Chartres, en 2018, Brest, en 2020, Rouen, en 2021, La Rochelle et Lyon l’année dernière et bientôt Toulouse. Pourtant, cette technologie n’est pas sur la table concernant une mise en place intégrale dans le réseau parisien. Un système francilien trop complexe

Depuis quatre ans, il existe toutefois une alternative au ticket papier à Paris : la carte Navigo Easy. Elle devait remplacer une fois pour toutes le bon vieux billet papier. Mais les couacs s’accumulent. Pour le moment, il n’est toujours pas possible de se rendre en banlieue avec cette carte qui sert seulement à remplacer les carnets de tickets valables dans Paris. « Il y a 150 000 possibilités de tickets en IDF avec tous les billets pour aller d’un point A à un point B, ce n’est clairement pas pratique, s’exaspère Marc

Palissier, président de la FNAUT Îlede-France, une association de défense des voyageurs. On pensait que ça serait rapidement utilisable pour toute la région, mais le tarif à la distance nécessite d’équiper les gares en validation de sortie. Il y a aussi un problème de développement du système informatique central qui traîne. » Seulement voilà, même à Paris intra-muros, la carte ne fonctionne que pour une personne à la fois et les tickets ne peuvent plus être partagés comme au temps de leur version papier. « Les familles et groupes scolaires grognent, car si chacun achète cette carte à deux euros non consignée, le trajet revient alors au double de son prix actuel [le ticket pour un trajet dans Paris coûte 2,10 euros depuis janvier 2023, ndlr] », s’irrite Marc Palissier.La pénurie mondiale de puces électroniques a par ailleurs ralenti la production de ces fameuses cartes. Résultat, la fin de la vente des carnets de tickets en carton, initialement prévue en mars 2022, est repoussée à une date ultérieure. En

attendant, les carnets sont toujours disponibles dans la plupart des stations. Des nouvelles solutions pour « geeks »

La digitalisation des titres de transport est elle aussi extrêmement chaotique. « On nous dit souvent qu’on peut payer avec le téléphone mais il y a en réalité beaucoup de limites. Déjà, cette fonctionnalité n’est pas disponible sur les IPhone, ce qui élimine beaucoup de voyageurs. Ensuite, comme la carte Navigo Easy, on ne peut ni partager les tickets ni aller en banlieue », soupire le président de l’association. Île-de-France Mobilité, l’agence régionale en charge de la modernisation du réseau et présidée par Valérie Pécresse, répond que « tous les téléphones devraient être compatibles d’ici les Jeux olympiques » et que des « réflexions sont en cours sur des solutions adaptées aux groupes, comme un passe multi-validable ».

Ajoutons à cela qu’il est né-

À PARIS, LES TRANSPORTS LES MOINS CHERS D’EUROPE ?

L’association Transport & Environnement a évalué la part consacrée aux transports dans les budgets des ménages dans 36 villes européennes. En moyenne, en Île-de-France, c’est 2,3 % du budget des ménages qui leur est dédié. Au total, les Franciliens peuvent accéder au troisième réseau de transport le plus dense au monde pour 84,10 € par mois. Cela fait donc de Paris la quatrième capitale européenne la moins chère comparé au revenu moyen de ses habitants, derrière Copenhague, Prague et Oslo. Pourquoi ? Car les voyageurs ne paient en moyenne qu’un quart du coût réel de leur trajet. Le reste est pris en charge par les employeurs, les recettes commerciales, les subventions de l’État, des collectivités et la taxe sur les carburants.

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Les valideurs franciliens ne sont pas compatibles avec la technologie de l’open paiement. (Margaux Gable)

cessaire de télécharger deux applications pour acheter son ticket. « C’est quand même un peu pour les geeks… », glisse Marc Palissier. Mais aussi pour ceux qui disposent de suffisamment de données mobiles, souvent onéreuses pour les touristes étrangers.

Pourquoi donc ne pas se mettre à l’open payment, uniforme, ouvert à tous évitant ainsi aux voyageurs occasionnels de se lancer dans la compréhension des sinueuses grilles tarifaires du réseau parisien ? Une question de budget, répond Île-de-France Mobilité. Il faudrait changer tous les valideurs pour les rendre compatibles. Un coût qui s’élève pourtant à seulement 400 millions d’euros sur dix ans, pour un budget annuel d’environ 10 milliards d’euros. Mais les différents programmes d’allongement des lignes existantes, l’ouverture de nou-

velles lignes, la mise en accessibilité des stations et, surtout, l’augmentation des coûts liés à l’énergie ont plombé le budget de l’autorité régionale des mobilités

« C’est un choix délibéré »

Des solutions existent cependant pour donner à la capitale la chance de faire goûter à ses 18 millions de touristes annuels un accès simple aux couloirs de métro. « Jean Castex veut justement changer les tourniquets, c’est l’occasion. Si l’on fait des changements sur l’architecture technique du réseau, il faut absolument que ces valideurs soient compatibles open payment même si on ne l’active pas tout de suite », plaide Laurent Bréchon-Cornery de MasterCard. Pour le moment, les portillons récemment installés dans les gares rénovées

ou les nouvelles lignes ne sont toujours pas compatibles. « Tous les billeticiens ont dans leur gamme des valideurs qui conviendraient, c’est donc un choix délibéré », constate ce professionnel du paiement sans contact. Pour le moment, Île-de-France Mobilité répond que « l’adoption de plus en plus large des smartphones NFC [smartphones permettant la communication avec un autre périphérique jusqu’à une distance d’une dizaine de centimètres, ndlr] permet aux clients les plus concernés par l’open-paiement d’acheter des titres sans dépendre de supports physiques », c’est-à-dire en passant donc nécessairement par leur application mobile. Ils s’engagent aussi à ce que toutes les gares et stations de la régions soient accessibles à cette technologie d’ici l’été 2024.

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En Île-de-France, 9,4 millions de déplacements sont réalisés chaque jour par les Franciliens. (Philippe Lopez / AFP)

Sécurité : la lutte anti-drone dans le brouillard

Risque sécuritaire, échecs et retard accumulé : la prolifération des drones en France soulève des défis majeurs. Des inquiétudes se lèvent pour la Coupe du Monde de rugby ou les Jeux Olympiques de Paris 2024.

«J’ai alerté dès 2017 sur le retard français

est la même pour toutes les forces : distinguer les drones militaires des drones civils. Dans le premier cas, le drone est de grande taille et peut transporter une charge explosive très importante. Pour faire face à une telle menace, « la défense des militaires français consisterait à lancer un missile », estime l’ancien pilote Xavier Tytelman. Dans le second, le risque est de l’ordre du transport de grenades ou d’explosifs par un petit engin. Or, il est impossible de recourir à une destruction par missile pour les drones de petite taille.

L’outil, comme la plupart de ceux développés dans le secteur, se compose de trois éléments essentiels : des capteurs (tels que des radars, des infrarouges, etc.) pour détecter la menace, une intelligence artificielle capable de reconnaître le type de drone, et un brouilleur pour le dévier de sa trajectoire ou le faire tomber. En se basant sur des documents classifiés, le sénateur de Belfort affirme que l’outil utilisé n’était « pas idéal et inadapté, ce qui en fait un échec opérationnel ». Un échec qui avait alors été remplacé rapidement

Le très court délai imparti pour les premières livraisons avait alors surpris de nombreux experts du secteur. Cependant, début 2023, il a été constaté que « c’est un nouvel échec, avec un contrat de plusieurs centaines de millions d’euros dont l’équipement est actuellement déjà remisé dans un hangar », selon les propos de Cédric Perrin.

« Impossible en quatre mois de fabriquer un nouveau système»

Le Président de l’Institut prospective et sécurité Europe, Emmanuel Du

Mai 2023 59 ©PokRie

Le jeu de l’oie de l’apprenti journaliste

La rédaction de Cosmos t’a concocté un jeu personnalisé. Plonge-toi dans la peau d’un jeune journaliste et essaie d’éviter les obstacles pour atteindre le Graal ultime : un CDD dans le média de tes rêves !

Tu fais ton entrée en école de journalisme !

Bravo, tu as décroché ton 1er CDD !

Ton équipe gagne le tournoi de foot ! Direction l’arrivée

Pour rejouer, commente un épisode de 90’enquêtes !

Tu viens d’écrire ton 1er article ! Avance de 2 cases

Ton ordinateur a crashé... Recule d’2 cases

Tu viens de vendre ta 1ère pige ! Avance de 3 cases

Pour rejouer, invente un faux flash-info !

Tu as oublié un espace insécable ! Recule d’1 case

Tu as partagé une fake news ! Retour à la case départ

Tu décroches un stage... non rémunéré. Recule de 4 cases

Tu as oublié d’allumer ta caméra... Recule de 3 cases

Pour rejouer, invente un faux duplex !

Tu trouves ton 1er témoin ! Avance d’1 case

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