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ENTREPRISES ET DIVERSITÉ : POURQUOI (PARFOIS) ÇA COINCE ?

Genre, handicap, âge, apparence, origines… Née aux États-Unis à la fin des années 60, la question de la diversité dans le monde professionnel ne s’est véritablement imposée dans le débat public français qu’au cours des années 2000. Dix-huit ans après la création de la charte de la diversité en entreprise, signée à ce jour par plus de 4 000 organisations, où en est-on ? À quelle limite les entreprises se heurtent-elles ? Le point avec Gouri Mohan, enseignante et chercheuse à l’IÉSEG.

48 % DES SALARIÉS FRANÇAIS DISENT AVOIR ÉTÉ VICTIMES DE DISCRIMINATION DANS LEUR PARCOURS PROFESSIONNEL*. POURQUOI LES ENTREPRISES PEINENT-ELLES À TRADUIRE LEURS POLITIQUES DIVERSITÉ EN ACTES ?

Les initiatives prises par les entreprises ne dépassent pas toujours le stade du discours. Beaucoup ne cherchent pas réellement à démanteler les modes de fonctionnement qui font que certains groupes sont favorisés de manière disproportionnée par rapport à d’autres, qu’on parle de recrutement, de sélection, de promotion ou de rémunération.

COMMENT CES RÉSISTANCES PEUVENT-ELLES S’EXPLIQUER ?

qu’implique une transformation durable. La deuxième raison est d’ordre structurel. L’organisation du pouvoir favorise les groupes majoritaires et, consciemment ou inconsciemment, ces groupes ne sont pas toujours prêts à ouvrir la voie aux minorités pour leur accorder davantage d’influence et de pouvoir de décision dans l’entreprise. La troisième raison touche à nos propres préjugés. Nous sommes tous sensibles à des stéréotypes personnels

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Il n’y a pas une mais plusieurs raisons. La première tient au fait que parvenir à un changement réel suppose un effort soutenu sur une longue période. Autrement dit, il faut créer et maintenir des pratiques qui peuvent ne pas être rentables à court terme. La plupart des organisations sont préoccupées par leur image, sans vouloir faire face aux coûts basés sur notre perception de certaines caractéristiques : l’âge, le sexe, l’origine ethnique, la langue… Déconstruire ces préjugés nécessite des changements aux niveaux collectif et individuel, via un effort de formation sur la conscience de soi, la communication, les différences culturelles…

QU’EST-CE QUI PEUT VÉRITABLEMENT AIDER À L’EXPRESSION DE LA DIVERSITÉ ?

Il faut impérativement que les dirigeants soient prêts à assumer les coûts associés à la transformation de leur entreprise. Leur plus grand défi consiste à se montrer convaincants en interne, en démontrant que leurs initiatives sont justifiées et que ces mesures ne sont pas mises en place pour faire comme tout le monde. S’ils sont intimement persuadés de la nécessité d’un changement et s’ils sont capables de faire comprendre au reste de l’organisation qu’elle a tout à y gagner, cela fait une grande différence. L’argument purement économique en faveur de la diversité n’est d’ailleurs pas suffisamment mis en avant. En affectant l’adhésion des employés cela peut conduire à l’étiolement de ces initiatives au fil du temps.

EXISTE-T-IL UNE FORME D’INQUIÉTUDE DANS CERTAINES ORGANISATIONS CONCERNANT LA DIVERSITÉ ? CERTAINS MANAGERS CRAIGNENT-ILS PAR EXEMPLE DE PERDRE UNE SORTE D’IDENTITÉ COMMUNE, DE CULTURE D’ENTREPRISE ?

Les recherches montrent que les formations obligatoires sur la diversité provoquent souvent des réactions négatives, au point de renforcer parfois les préjugés à l’encontre des groupes minoritaires. À ceci s’ajoute le fait que les réseaux sociaux informels entre les employés constituent une ressource importante dans les organisations. Comme la plupart des gens ont tendance à construire l’essentiel de leurs relations sociales au sein de leurs propres groupes démographiques, ils peuvent interpréter la diversité comme une menace pour le statu quo, pour la manière dont les choses se font jusque-là.

CERTAINES ENTREPRISES

CRAIGNENT-ELLES UN “EFFET DE QUOTA” EN PROMOUVANT DES PERSONNES QUI POURRAIENT ÊTRE CONSIDÉRÉES COMME ILLÉGITIMES PAR LEURS COLLÈGUES ?

C’est particulièrement vrai dans le cas de l’embauche de femmes : le recrutement d’une nouvelle candidate féminine peut un peu vite être qualifiée d’embauche pour la diversité, au détriment des qualités propres de la candidate. Pour les équipes RH, démontrer qu’une candidate est véritablement légitime en termes de compétence et d’expérience pour occuper un poste identifié “politique de diversité” est encore plus délicat que dans le cadre d’un recrutement classique. Et si la personne recrutée manque de crédibilité, le choix peut en effet s’avérer coûteux à long terme. Il existe d’ailleurs une autre facette à ce phénomène, celui de la “falaise de verre”. Les femmes sont, plus souvent que les hommes, embauchées à des postes à haut risque, où elles sont plus susceptibles d’échouer…

48 % DES SALARIÉS FRANÇAIS DISENT AVOIR ÉTÉ VICTIMES DE DISCRIMINATION DANS

GRANDS GROUPES : DES PROGRÈS À FAIRE

Les grandes entreprises donnent-elles l’exemple en matière de diversité et d’inclusion ? Oui et non. Si la plupart ont déployé depuis longtemps des programmes dédiés ou thématiques (égalité salariale, meilleure intégration des collaborateurs victimes de handicap, inclusion des salariés LGBTQ+…), leurs effets tardent à se faire sentir. En termes d’égalité hommesfemmes, seul un petit tiers des 120 plus grands groupes français comptent 30 % de femmes à des postes de direction, respectant ainsi de manière anticipée le quota de représentation fixé à l’horizon 2027 par le législateur*. Concernant la mixité, le constat est plus préoccupant encore : 3,5 % des dirigeants de comités exécutifs et 4,2 % des membres des conseils d’administration - sont issus des minorités dites visibles.

*Votée en décembre 2021 et destinée aux entreprises de plus de mille salariés, la loi Rixain impose d’ici 2027 un quota de 30 % de femmes parmi les cadres-dirigeants et les membres des instances dirigeantes. Ce taux doit atteindre 40 % d’ici 2040.