grand théâtre magazine n°01 - Le minimalisme

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Le minimalisme

n°01

Voyage au Centre Arvo Pärt en Estonie D’où vient la musique de Philip Glass ? Jean-Stéphane Bron : mon rapport à l’opéra


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Agilité & Précision

Une puissante combinaison

L’UBP, partenaire historique du Grand Théâtre de Genève, est heureuse de soutenir l’opéra Einstein on the Beach, qui marque le lancement d’une saison riche en promesses et en découvertes.

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Édito de Caroline et Eric Freymond et du Cercle du Grand Théâtre

UN NOUVEAU MAGAZINE PUBLIÉ AVEC LE SOUTIEN

« Seul un opéra ouvert à la vie de la cité et aux grandes questions du présent et de l’avenir peut avoir une pertinence culturelle et sociétale. » Ce statement d’Aviel Cahn, le nouveau directeur du Grand Théâtre de Genève, affirme sa vision et son ambition. Son projet est basé sur l’enthousiasme communicatif, l’éveil à la curiosité et l’ouverture à la diversité culturelle. Il veut créer une maison vivante, un espace d’inclusion, un épicentre d’idées, de projets et de collaborations. C’est dans cet esprit que nous avons conçu ce nouveau magazine. Puisque l’opéra est la rencontre de tous les arts, son identité est pluridisciplinaire. Les pages qui suivent puisent librement dans la programmation de cet automne. Nous vous proposons des rencontres avec des artistes, des découvertes de lieux culturels, des références à des penseurs, des ingrédients pour des débats sociétaux, des immersions dans l’histoire des arts, des reportages littéraires et même des voyages culinaires. Ce magazine est structuré en deux parties : les rubriques d’abord, pour découvrir l’opéra, à la fois la discipline artistique, les sujets abordées par certaines œuvres, les bâtiments ou encore les femmes et les hommes qui le soutiennent. Et d’autre part le dossier thématique, choisi à partir d’un aspect saillant du trimestre de programmation. Le dossier de ce premier numéro est ainsi consacré au minimalisme, courant artistique majeur des années 1960-1970 aux États-Unis, mais dont l’influence s’étend bien au-delà. Le compositeur Philip Glass, co-auteur de Einstein on the Beach, est notamment à l’honneur. Sur un plan plus insolite, le « cube » qui émerge du toit du Grand Théâtre, seul élément minimal du bâtiment, est révélé depuis les airs grâce à un drone habilement piloté. Des journalistes, des critiques, des artistes, établis ici ou ailleurs, signent les textes de ce magazine. Le comité éditorial, lui aussi marqué par l’ouverture, fait écho au titre du livre d’Aviel Cahn sur ses dix ans de direction de la scène lyrique des Flandres : Opera out of the box. Commissaire de projets pluridisciplinaires mais non spécialiste de l’opéra, j’ai le plaisir d’en être le rédacteur enW chef et de travailler avec le grand reporter et entrepreneur de médias Serge Michel et son équipe de Heidi.news, ainsi qu’avec un petit groupe tonique et compétent de collaboratrices et collaborateurs du Grand Théâtre. Ce magazine, qui paraît quatre fois dans la saison et que vous trouvez au GTG, est aussi distribué dans le quotidien Le Temps et disponible dans de nombreux lieux culturels et épicuriens. Quelque soit la manière dont il a atterrit dans vos mains, nous vous en souhaitons une stimulante découverte !

Olivier Kaeser Olivier Kaeser est historien de l’art, commissaire d’expositions d’art contemporain et de projets pluridisciplinaires. Il a codirigé le Centre culturel suisse de Paris pendant dix ans, après avoir mené en duo l’espace d’art indépendant attitudes, à Genève et ailleurs. Il a coédité de nombreux livres d’artistes et autres publications culturelles.

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Mon rapport à l’opéra 6 Jean-Stéphane Bron, par Stephan Müller Ailleurs 8 Centre Arvo Pärt, un dialogue complice entre architecture et musique, par Mireille Descombes

Image de couverture Le « cube » du bâtiment du Grand Théâtre photographié avec un drone par Valentin Flauraud. Une vue plongeante de son toit est en couverture, et d’autres angles constituent l’insert en p. 34.

Éditeur Grand Théâtre de Genève Partenariat Heidi.news

Directeur de la publication Aviel Cahn

Rédacteur en chef Olivier Kaeser Édition Serge Michel

Responsable éditorial Olivier Gurtner

Comité de rédaction Aviel Cahn, Olivier Gurtner, Olivier Kaeser, Serge Michel, Stephan Müller, Clara Pons Direction artistique Jérôme Bontron, Sarah Muehlheim Promotion GTG

Diffusion 38 000 exemplaires dans Le Temps Parution 4 fois par saison

Le penseur qui me guide 14 Pauline Julier sur Bruno Latour Duel 16 La science peut-elle sauver le monde ? par Anne Debroise Reportage littéraire 1/4 18 Faire connaissance, par Max Lobe Le tour du cercle 22 Caroline Freymond / Yves Oltramare, par Serge Michel Rendez-vous 24 par Olivier Kaeser, Olivier Gurtner, Clara Pons

D OSSI ER M I N I MAL I SME

RUB RI QUES

Édito 3 par Olivier Kaeser

Philip Glass, Robert Wilson, Einstein on the Beach, 1978. Pochette de disque vinyle, graphisme Milton Glaser

Minimalism for ever, par Corinne Rondeau 28 Insert, photographies par Valentin Flauraud 34 Music is a Place, Philip Glass, par Marc Cardonnel 36 Vers d’autres minimalismes sonores aujourd’hui, par Antoine Chessex 42 Sur le fil des minimalismes, par Clara Pons 44 Mon dîner de rêve à la table de Donald Judd, par Véronique Zbinden 46

Tirage 45 000 exemplaires ISSN 2673-2114

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Mon rapport à l’opéra

Entretien conduit par Stephan Müller

Passionnément, à la folie, pas du tout, un peu, de temps en temps, tout Verdi, jamais sans champagne, jamais tout court ? Quel est votre rapport à l’opéra ? Pour inaugurer cette rubrique (ainsi que ce nouveau magazine), nous sommes allés poser cette question au Suisse romand qui a découvert l’opéra à 46 ans lorsqu’il a filmé les coulisses de l’art lyrique de Paris.

Jean-Stéphane Bron est un réalisateur et scénariste suisse, membre de la société de production Bande à part. Ses documentaires ont reçu deux fois le Prix du cinéma suisse. Il a notamment réalisé Mais im Bundeshuus – Le génie helvétique, 2003, Cleveland contre Wall Street, 2010, L’Expérience Blocher, 2013, L’Opéra, 2017, ainsi que la fiction Mon frère se marie, 2006. Son prochain film, Brain Stories, traite de neuroscience et d’intelligence artificielle.

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Jean-Stéphane Bron, pendant votre plongée au cœur de l’opéra, supposiez-vous y trouver un agenda politique programmé ou bien même une idéologie intrinsèque au genre ?

JSB — J’avais une intention politique en commençant le documentaire. Mon but était de filmer l’institution comme un microcosme, une société miniature avec toutes ses relations de pouvoir et de classe. J’étais conscient en plus que je filmais cette institution culturelle à un moment particulier de l’histoire européenne. Je m’explique : mon film précédent était un portrait du leader d’extrême droite Christoph Blocher. Filmer l’opéra (de Paris en l’occurrence) comme une société à part entière, un tout où il est possible de vivre ensemble, était pour moi la réponse au film sur Blocher. Et puis filmer le drapeau français être hissé sur du Wagner était à la fois une blague et un moyen de signifier au-delà de la France et des nationalismes. C’était précisément une manière de montrer un petit bout d’Europe : des gens de diverses origines et cultures qui se mélangeaient, une manière de dire qu’une culture n’est pas un bloc homogène mais une multitude de langues et de cultures entrelacées qui coexistent comme elles peuvent pour créer un collectif. La vraie dimension politique du film, je l’ai logée dans la relation entre l’intérieur de cette institution, filmée comme utopie, et son extérieur, où les conflits sociaux viennent la questionner. Extraits du documentaire L’Opéra de Jean-Stéphane Bron

Donc pour vous, il n’y a pas de quoi remettre en cause le genre même ? Vous n’avez pas voulu 50 ans plus tard faire écho au cri lancé par Pierre Boulez au Spiegel en 1967 « il faut faire sauter les maisons d’opéra » ?

Au contraire, j’ai été inspiré par les motifs formels de l’opéra qui composent des tableaux édités comme dans un film, qui jouent avec Stephan Müller est metteur en scène des effets de rupture, de choc, de sidération – passer de la lumière d’opéra et de théâtre. Il a codirigé au noir par exemple – ou de continuité et aussi rupture portés eux par le Theater am Neumarkt à Zurich, a été metteur en scène et dramaturge la musique. J’ai également essayé de transcrire le mouvement au Burgtheater à Vienne et a travaillé permanent entre l’individu et le collectif, ce qui est pour moi un des ailleurs en Europe, aux États-Unis motifs principaux de l’opéra. On a essayé de travailler depuis le début et en Chine. Il est actuellement conseiller artistique du Grand Théâtre avec la musique en partant de l’idée que la musique était au cœur et professeur émérite de la ZHdK de chaque scène. Pas un élément supplémentaire, ajouté aux fils (Performing Arts). des séquences, mais bien la source organique du tempo et du rythme général du film. Les images du film sont en rapport ou au contraire flottent en désaccord avec elle. Par rapport au cri boulezien, il me semble que c’est en effet essentiel d’ouvrir l’opéra et de reconsidérer qui y a accès et à quel prix. J’essaye de l’évoquer à ma manière, ce cri. Mais au-delà de cette problématique, il y a aussi la question de comment l’opéra reflète son temps, est-il en contact avec les questions qui agitent la société ? Partout, il semble rester une passion de riches blancs. Ceci dit, cette constatation ne nous amène pas très loin. Ce qui m’a intéressé dans le film, c’est la vie de ce théâtre, la vie de cette société qui dit beaucoup d’autres choses, qui entretient le sentiment de la collectivité, possède un horizon commun et raconte l’urgence de vivre et faire ensemble, même si ce n’est « que » lever le rideau chaque soir. J’ai aimé et chéri cette société fragile, exemplaire en beaucoup de points, que j’ai essayé de célébrer à travers quelques figures emblématiques. Un système solaire du vivant sans nier la dimension sociale des crises, des conflits et des douleurs.

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Vue d’avion du Centre Arvo Pärt, situé en pleine forêt à Laulasmaa, à 35 km de Tallinn. © Toñu Tunnel / Arvo Pärt Centre

Ailleurs CENTRE ARVO PÄRT, Par Mireille Descombes

un dialogue complice entre architecture et musique


Abritant les archives du compositeur ainsi que diverses activités destinées au public, ce bâtiment tout en lumière et en transparence a ouvert ses portes l’an dernier près de Tallinn en Estonie. Un lieu à vivre et s’approprier par les sens et l’esprit.

L’estonien Arvo Pärt est l’un des compositeurs contemporains les plus joués. Il est aussi l’un des rares à posséder un centre entièrement consacré à son œuvre souvent qualifiée de minimaliste. Conçu par le bureau espagnol Nieto Sobejano Arquitectos, auteur de plusieurs musées, ce bâtiment tout en lumière, en silence et en transparence a ouvert ses portes au public en octobre 2018. Lové en pleine nature à Laulasmaa, à 35 kilomètres de la capitale Tallinn, il se trouve sur une péninsule bordée par la mer et recouverte par une douce forêt de pins. Alors que le Grand Théâtre présente en novembre la pièce Fall du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, créée en 2015 sur des musiques d’Arvo Pärt, c’était l’occasion d’aller voir sur place à quoi peut ressembler un dialogue complice entre architecture et musique. Visiter le Centre Arvo Pärt est un voyage. Tant physique que spirituel et mental. Surtout quand les journées de juin s’étirent à l’infini pour mieux tendre la main à l’aurore. Une fois dans la capitale, inutile de se précipiter sur un taxi ou sur une voiture de location. Il existe plusieurs bus qui mènent à Laulasmaa et les gens de Tallinn sont adorables. Ils vous pilotent volontiers vers ce satané arrêt de bus qui, dissimulé parmi une demi-douzaine d’autres, désespérément vous échappe. Une fois installé dans le 237 – oui, c’est le plus rapide ! – fiez-vous au conducteur. Quand vous lui indiquez le Centre Arvo Pärt – ou Arvo Pärdi Keskus – son visage s’illumine. Tout fier, il vous dépose même, quelques mètres avant l’arrêt, à l’exact croisement qui mène au parking réservé aux visiteurs. Le reste du périple s’effectue à pied, sur un petit chemin moelleux recouvert d’aiguilles de pins. Les nichoirs accrochés çà et là sont ornés de notes ou de clés de sol. Entre les troncs rectilignes, se profile peu à peu un bâtiment bas, vitré, au toit clair, dont les fines colonnes jouent à cache-cache avec les troncs environnants.

Mireille Descombes. Journaliste culturelle indépendante, basée à Lausanne, critique dʼart, dʼarchitecture et de théâtre. Passionnée de littérature, elle tient également un blog consacré au roman policier, Polars, Polis et Cie.

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Commençons par l’extérieur. Faisons lentement le tour de cet étonnant édifice de quelque 2300 m2. Et pour cela suivons le chemin balisé qui mène à une haute tour hélicoïdale bardée de treillis métallique. Un ascenseur conduit au sommet d’où l’on jouit d’une vue superbe sur la péninsule et la mer au loin. Et se retournant, on peut également admirer, comme depuis le ciel, la forme singulière du centre qui – clin d’œil respectueux – évoque celle du célèbre vase Savoy d’Alvar Aalto. Du haut de ce promontoire, l’œil reconnaît aussi clairement la découpe pentagonale de plusieurs patios. Le plus grand, on le découvrira plus tard, abrite une petite chapelle de style grec conçue un peu comme un objet trouvé, l’élément préexistant d’une architecture antérieure.

Auditorium du Centre Arvo Pärt. Le bâtiment, conçu par le bureau espagnol Nieto Sebejano Arquitectos, a été inauguré fin 2018. © Toñu Tunnel /  Arvo Pärt Centre

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Après cette prise de contact, il est temps de pousser la porte du Centre Arvo Pärt. L’institution a pour vocation première d’abriter les archives de compositeur. Une partie des locaux leur est donc réservée, accessible uniquement à l’équipe, aux professionnels et aux chercheurs. Le reste est ouvert au public. Muni d’un audioguide où sont téléchargées différents pièces d’Arvo Pärt, chacun peut adopter son rythme, craquer pour une mini-salle de lecture donnant sur la forêt, visiter la salle de concert de 150 places ou s’installer dans la bibliothèque qui, dotée d’une généreuse cheminée, accueille les ouvrages personnels d’Arvo Pärt et de sa femme Nora, des livres de nature théologique notamment. C’est aussi l’occasion d’apprécier la simplicité naturelle des matériaux (verre, bois et béton) ainsi que la fluidité organique des circulations et des espaces où l’angle droit semble avoir été banni. Sur une paroi du couloir ont été accrochées quelques photos du musicien et de ses amis accompagnées de citations. Un exemple ? « La musique est pour moi le début et la fin de tout. En fait, je ne connais rien qui puisse être aussi puissant qu’elle.» Vous avez fait le plein de sensations ? Vous avez envie d’en savoir plus sur le musicien lui-même et sa démarche ? La salle vidéo du Centre propose un excellent petit film à la fois synthétique et plein d’humour sur sa vie et son œuvre. Une présentation qui, comme il se doit, commence par le début, la naissance d’Arvo Pärt, le 11 septembre 1935 à Paide, en Estonie. Trois ans plus tard, l’enfant déménage avec sa mère à Rakvere où il commence à apprendre le piano et les bases de la théorie musicale. La période est troublée. Après avoir été occupée par les Allemands en 1941, l’Estonie devient une république soviétique intégrée dans l’URSS.


Une situation qui se révèle vite synonyme de contraintes. Arvo Pärt leur oppose néanmoins une imagination fertile et tourne en rond à vélo sur la place de la ville pour écouter les concerts symphoniques diffusés par haut-parleurs sans trop attirer l’attention. Cette passion pour la musique ne le quitte plus. En 1954, une fois l’école secondaire terminée, il poursuit sa formation au conservatoire de Tallinn, notamment auprès de Heino Eller. Il découvre à travers lui la musique dodécaphonique et compose en 1960, sur la base de ces principes, sa première œuvre pour orchestre, Nekrolog, qui est donnée avec grand succès à Moscou, Léningrad et Zagreb. Poursuivant ses expérimentations, notamment par le biais du collage, il devient alors l’une des principales figures de l’avant-garde soviétique. Parallèlement, il travaille comme ingénieur du son à la radio estonienne et reçoit de nombreuses commandes pour des musiques de film. Cette période est suivie par une longue crise. En 1968, Credo est censuré par le régime communiste qui reproche à son auteur son contenu religieux. Arvo Pärt renonce aux techniques modernistes et plus globalement à la composition. Pendant une dizaine d’années, il se consacre à l’étude du plain-chant grégorien et à des compositeurs comme Guillaume de Machaut ou Josquin des Prés. Il est à la recherche d’une manière de composer qui lui soit propre. « À cette époque, dira-t-il plus tard, je ne savais pas si je serai capable de composer à nouveau.» Sa vie personnelle est aussi marquée par le changement. En 1972, il se marie et rejoint l’église orthodoxe. Nouvelle rupture et petite révolution en 1976. Arvo Pärt crée Für Alina, une pièce pour piano devenue célèbre et qui marque le début de ce qu’il qualifie lui-même de « style tintinnabuli ». « Je travaille avec très peu d’éléments, une ou deux voix seulement, explique-t-il à ce propos. Je construis à partir d’un matériau primitif, avec l’accord parfait, avec une tonalité spécifique. Les trois notes d’un accord parfait sont comme des cloches. C’est la raison pour laquelle j’ai appelé cette musique « tintinnabuli ». La tintinnabulation est un espace où j’erre parfois quand je cherche des réponses dans ma vie, dans ma musique, dans mon travail. » Une errance qui visiblement porte ses fruits. Les deux années qui suivent voient la naissance de plusieurs œuvres clés, Cantus in Memory of Benjamin Britten, Fratres et Tabula rasa en 1977, Spiegel im Spiegel en 1978. La suite ? En 1980, Arvo Pärt et sa famille émigrent à Vienne puis s’installent à Berlin. Un exil qui durera trente ans et pendant lequel de nombreuses œuvres voient le jour, souvent basées sur des textes liturgiques ou des prières. Le mot joue désormais un rôle de plus en plus important dans son œuvre, même quand il n’est pas directement présent. Répétition, longs sons tenus, silence, simplicité. On a souvent associé la démarche d’Arvo Pärt à la musique minimaliste. Le terme n’est toutefois présent ni dans la biographie de l’artiste qui figure sur le site du Centre, ni – sauf erreur– dans le petit film présenté dans la vidéo room. Comme nous avions rendez-vous cet après-midi-là avec Michael Pärt, le fils du compositeur, cofondateur et président du Conseil d’administration du centre, nous en avons profité pour lui poser la question. « Quand mon père évoque sa musique, il ne s’y réfère pas comme à une musique minimaliste. Il ne la catégorise pas. Il est vrai que son approche de la partition, son processus d’écriture, son souci de n’ajouter aucune note qui ne soit nécessaire peut se rapprocher de ce courant. Mais à partir d’une perspective totalement différente. Sa démarche vient d’ailleurs, du dedans et de tout un travail sur le texte. Depuis Für Alina, même les pièces orchestrales ont un texte, on ne l’entend pas forcément, mais il y en a un. »

« La musique est pour moi le début et la fin de tout. En fait, je ne connais rien qui puisse être aussi puissant qu’elle. »

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Non, le compositeur Arvo Pärt, 83 ans et réputé solitaire, n’habite pas dans le Centre qui a été construit pour lui et son œuvre en pleine forêt estonienne, près de Laulasmaa. Mais il lui arrive de venir s’y promener, comme sur cette image. Son fils Michael préside le conseil d’administration du Centre – c’est lui qui a reçu notre journaliste lors de son passage. © Birgit Püve

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Les consignes du concours d’architecture étaient claires : « une perle, pas un mammouth ». Il est revenu au bureau espagnol Nieto Sobejano, basé à Madrid et Berlin, actif dans une dizaine de pays dont la Chine, lauréat de nombreux prix et spécialisé dans les musées. Tout près de Genève, Nieto Sobejano Arquitectos vont réaliser le nouveau centre culturel et sportif de Reignier-Esery, au pied du Salève, qui sera terminé en 2020. © Toñu Tunnel / Arvo Pärt Centre

La bibliothèque accueille les ouvrages personnels d’Arvo Pärt et de sa femme Nora. On y trouve notamment des livres de nature théologique, sujet qui lui a valu des ennuis avec les autorités soviétiques lorsque son pays, l’Estonie, en faisait encore partie. © Toñu Tunnel / Arvo Pärt Centre


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Ce souci de la note juste, alliant radicalisme et simplicité, caractérisent aussi l’approche architecturale du Centre. La construction étant financé par le gouvernement estonien (coût total : 8,7 millions d’euros), l’organisation d’un concours était nécessaire. Il fut mis sur pied en collaboration avec l’Union des architectes et avec notamment pour mot-clé : « Une perle, pas un mammouth ». « La tour et la chapelle étaient demandées dans le programme. Nous suggérions aussi la présence de patios et le fait que le bâtiment puisse se fondre dans la nature. Mais sur le plan esthétique et sur l’emplacement exact, nous restions très ouverts », se souvient Michael Pärt qui représentait la famille dans le jury. Le bureau espagnol Nieto Sobejano Arquitectos l’a emporté en 2014 avec son projet « Tabula » qui a séduit par sa clarté et sa structure non hiérarchique. Les architectes disent avoir été inspirés, dans leur projet, du silence et de la géométrie de la musique d’Arvo Pärt. La distance entre les colonnes renvoie en outre directement à l’une de ses partitions. Des règles et des principes qui assurent sens et cohérence sans être forcément perceptibles. Comme dans la musique et la pensée d’Arvo Pärt. Retrouvez la musique dʼArvo Pärt dans Minimal Maximal, ballet présenté au Grand Théâtre du 10 au 17 novembre. www.gtg.ch/minimal-maximal

Pour plus d’informations  www.arvopart.ee

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Le penseur

qui me guide

Par Pauline Julier

« Certains se mettent à dormir et au fur et à mesure tout le monde s’allonge parce qu’il ne reste que ça à faire. Dans le ciel, il n’y a presque pas de nuage. Et le bleu que nous contemplons est une couleur étrange et vide » Pauline Julier, After, vidéo, 9’, 2012

« Comment transmettons-nous la culture d’une génération à l’autre ? Comment faisons-nous pour nous orienter dans le temps et l’espace ? Ce n’est jamais une tâche facile. Particulièrement pour ceux qui se faisaient appeler autrefois “modernes ” ou “post-modernes”, parce qu’ils ont toujours eu une relation malaisée avec la tradition et l’héritage. Ne sont-ils pas plutôt censés s’émanciper de la tradition, afin de se libérer du fardeau du passé ? Mais se libérer pour quoi ? Pauline Julier met en scène la manière dont chaque génération soulève à nouveau cette question. » Bruno Latour, Reset Modernity !, exposition au ZKM, Karlsruhe, 2016

© Pauline Julier, images extraites du film Naturales Historiae, 2019.

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Novembre 2013, je prépare un film à propos des îles Tuvalu lorsque j’apprends la découverte de la plus ancienne forêt du monde au nord de la Chine. Entre la disparition tragique d’îles sous les eaux et l’apparition soudaine d’une forêt âgée de 300 millions d’années, je devine, au delà d’un cycle, l’expression de correspondances poétiques. La représentation scientifique de cette forêt tropicale fossilisée composée d’arbres, de fougères et de vignes depuis longtemps disparus donne à voir le spectacle d’un monde étrange dont nous, humains, sommes absents. La submersion des îles Tuvalu me donne le même vertige, serait-ce là notre extinction qui s’annonce ? Plus tard, cette Pompéi végétale m’amène à interroger mes (nos) manières de penser et représenter la Nature. Je commence alors une nouvelle recherche Naturalis Historia, qui met en scène plusieurs histoires naturelles (scientifique, littéraire, mythique...) au travers de trois formes, une exposition, un moyen-métrage et un livre. Chaque histoire explore une situation d’êtres humains aux prises avec la Nature qui révèle leurs obsessions et ébranle leurs certitudes. Commencer par le début : qu’est-ce que la Nature ? Il faut une pensée suffisamment ouverte pour voyager entre plusieurs disciplines.

Je m’adresse à Bruno Latour.

« Tu me demandes comment définir la Nature ? Je crois que c’est le concept le plus obscur… parce qu’il est fait de séries et de couches, si nombreuses, empilées et contradictoires les unes avec les autres... On dit de choses qu’elles ne sont pas naturelles, aussi bien que de comportements qui ne sont pas naturels, des yaourts qui ne sont pas naturels, des parcs qui ne sont pas naturels, etc. Donc c’est très difficile d’arriver à en retrouver quelque chose. » Je l’interroge à propos de l’avenir : « J’ai une métaphore assez simple : on était montés dans un avion vers une destination qu’on pourrait appeler la modernisation ou la globalisation et puis le pilote nous dit l’endroit où vous allez, on ne peut plus y atterrir, il n’existe plus, il a disparu. Donc l’avion se retourne, et on se dit : s’il n’y a plus de modernisation, nous allons retrouver les Bruno Latour est un philosophe et sociologue français connu pour terrains auxquels nous sommes habitués, le sol ancien dont nous étions sa réflexion sur les sciences et la partis, le pays, la campagne de nos ancêtres. Et évidemment ces pays démocratie ainsi que son concept anciens n’existent plus non plus. Donc le pilote reprend la parole et d’écologie politique. Il a enseigné à SciencePo Paris où il a fondé en dit “I’m sorry ladies and gentlemen, I have very bad news to give you / 2010 le programme d’expérimentation c’est votre pilote à nouveau, le lieu où nous espérions ré-atterrir n’existe en arts et politique (SPEAP). pas non plus”. Et à ce moment-là, tout le monde regarde par la fenêtre Il prépare l’exposition Critical Zones – Observatories for Earthly Politics et on cherche un endroit, voilà à peu près la situation historique dans au ZKM, Karlsruhe, en 2020. laquelle on se trouve. C’est une situation historique qui est, comment dire, pas super sympa, il faut savoir qu’il n’y a pas forcément beaucoup de kérosène dans l’avion, il faut trouver assez vite un atterrissage. » La pensée de Bruno Latour permet d’observer différemment le monde dans lequel nous vivons en renonçant aux anciennes distinctions propres à la pensée « moderne » occidentale – en particulier entre nature et culture –, et de se préparer à atterrir. Il s’agit de décrire, précisément. Qui sommes-nous, nous les « modernes » ? D’où venons-nous ? Quel est notre sol ? Comment faisons-nous tenir ensemble plusieurs régimes de vérités et d’existence ? À quoi tenons-nous vraiment (c’est-à-dire que voudrions-nous emporter dans le nouveau monde qui arrive, de quoi ne pouvons-nous pas nous passer ?). Je crois que ce sont les récits qui nous attachent les uns aux autres. L’endroit inconnu où nous allons, ce monde commun si différent de celui où nous nous dirigions quand nous voulions nous moderniser, appelle de nouvelles narrations qui allient sciences, art, politique, activisme. Bruno Latour nous y invite depuis longtemps déjà. Il faut s’emparer des espaces imaginaires de notre situation écologique. Vite, racontons des histoires. 15 Pauline Julier est une artiste et cinéaste basée à Genève, formée en études politiques à Grenoble, en photographie à Arles et au programme d’expérimentation en art et politique de SciencesPo Paris. Son projet Naturalis Historia a été présenté en film à Visions du Réel à Nyon, en exposition au CCS à Paris, et le sera au ZKM à Karlsruhe. Exposition à Halle Nord, Genève, 04.09-28.09.2019.


DUEL Pascal Bruckner

Frédérick Bordry

La science peut-elle sauver le monde ? Par Anne Debroise Rendez-vous

Le 19 septembre 2019 à 20h Grand Théâtre de Genève www.gtg.ch/duels

Le 19 septembre, le Grand Théâtre ouvre sa scène à deux personnalités ayant des vues opposées. D’un côté, Frédérick Bordry, chercheur en conversion d’énergie, directeur des accélérateurs et de la technologie au CERN, est un scientifique positiviste qui veut continuer d’élargir les connaissances humaines sur notre univers. De l’autre, Pascal Bruckner, philosophe et essayiste, connu pour ses sorties contre l’air du temps. Après son livre Le fanatisme de l’Apocalypse, il dénonce en Greta Thunberg une « dangereuse propagande de l’infantilisme climatique ». Entre sombres visions et dogmes sociaux, énergie et matière, où aura lieu la collision ? Pour préparer ce débat, nous avons demandé à la journaliste scientifique Anne Debroise un état des lieux dépassionné.

Anne Debroise est journaliste, avec une formation d’ingénieure chimiste. Elle travaille pour des médias comme Science et Vie, La Recherche ou Heidi.news. Elle suit depuis 2003 les travaux du GIEC et a signé avec le climatologue français Jean Jouzel le livre Le défi climatique : objectif 2° (Dunod, 2014).

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Sources : GIEC, UICN, WRI, The Lancet.


Le niveau marin mondial est monté de plus de 20 cm en moyenne depuis 1901, en raison de l’expansion du volume des océans qui se réchauffent et par la fonte des glaciers. 30 à 90 cm supplémentaires sont attendus d’ici 2100. La mer grignote les rivages, inonde les terres basses et rend saumâtres les nappes d’eau douces proches des côtes. En outre, les océans s’acidifient en absorbant du CO2 émis dans l’atmosphère par les activités humaines. Leur pH a diminué de 0,1 depuis l’ère industrielle, ce qui fragilise le squelette calcaire de beaucoup d’animaux marins. D’où l’érosion de coquilles d’escargots de mer ou la mortalité anormale des huîtres dans des écloseries américaines. Les coraux souffrent aussi de l’acidité mais encore plus des vagues de chaleur. Ils pourraient disparaître d’ici 2050.

« La marque la plus vendue dans le monde aujourd’hui est la peur. Elle obtient des notes. Elle remporte des votes. Elle génère des clics. » Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, à New York en janvier 2019

Les espèces

La surface des terres concernées par la sécheresse augmente de 1% par an depuis 1950. Dans ces zones, la désertification augmente. Partout, le changement climatique dégrade les sols par l’érosion, les sécheresses, les inondations. Dans les régions de basse latitude, les rendements de certaines céréales (maïs, blé, etc) ont décliné. Dans les régions plus au nord, ils ont augmenté : les hivers sont moins froids et le CO2 dans l’air favorise la croissance des plantes. Au-delà de 2°C de réchauffement global (un seuil envisagé vers 2050), les pertes de productivité agricole vont supplanter les gains et les prix des céréales pourraient exploser.

L’eau

L’air Les activités humaines bouleversent le climat de la planète. Depuis la révolution industrielle, la température moyenne du globe a augmenté de 1°C. Conséquences : l’été, en Europe, en Asie et en Australie, les canicules sont plus longues et plus fréquentes et favorisent les incendies. Le nombre de précipitations violentes a augmenté partout, le risque d’inondations avec lui. L’Atlantique nord subit plus de cyclones, plus intenses. Aux Pôles et en montagne, les glaces fondent. La banquise arctique pourrait avoir disparu en 2050, les glaciers alpins d’ici 2100. Selon les mesures qui seront prises, les températures augmenteront entre 1,5 et 4,8°C d’ici la fin du siècle.

factuels

La terre

Tableaux

L’extension des déserts, le dégel des terres du grand nord, la fonte de la banquise et les incendies détruisent les habitats des espèces vivantes. Certaines migrent en altitude ou vers les pôles pour retrouver leurs conditions. D’autres adaptent leurs rythmes biologiques : des plantes fleurissent plus tôt, des oiseaux migrateurs modifient leur route, des pollinisateurs changent de régime alimentaire. Mais l’adaptation a des limites, surtout si elle doit se faire vite. Selon l’UICN, le changement climatique pèse sur l’avenir d’un cinquième des espèces inscrites sur la liste rouge des espèces menacées. De nombreux spécialistes affirment que la planète est entrée dans un 6e épisode d’extinction de masse.

Et nous ? Le changement climatique va intensifier certains de nos problèmes actuels, comme la production alimentaire et les migrations. D’un côté, ces perspectives affectent notre santé mentale et favorisent la peur. De l’autre, les développements scientifiques et technologiques dans les énergies renouvelables et l’intelligence artificielle, entre autres, pourraient contribuer à résoudre certains de ces problèmes. Serons-nous capables de changer la conscience collective de la peur à l’espoir ?

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Reportage

littéraire 1/4

FAIRE CONNAISSANCE Par Max Lobe

Le bar de l’amphithéâtre est coiffé d’une voûte céleste qui fait écho à celle de la salle dessinée par Stryjenski. Au centre, une glace du Grand Foyer reflète le plafond signé Milliet tandis que les couleurs sont reines dans l’atrium, magnifié par la minutieuse restauration.

Un premier rencart dans un haut lieu culturel : cela ne m’était jamais arrivé. C’est pourtant bien au Grand Théâtre que Noé m’a donné rendez-vous.

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C’est une guerre immobile, mais permanente. La statue équestre du Général Dufour défie les sculptures allégoriques du fronton du Grand Théâtre, des figures de la tragédie, de la danse, de la musique et de la comédie qui semblent néanmoins mourir d’ennui. Je relis le SMS de Noé : « Lorsque tu es devant l’entrée principale, prends à gauche, sur le Boulevard du Théâtre. Je t’attends à l’entrée des artistes ». Dès que j’ai passé l’angle du bâtiment majestueux, un gars me fait de grands moulinets. Des auréoles de sueur humidifient sa chemisette blanche au niveau des aisselles. Cette chemise cache mal ses triceps flasques et sa ventripotence. À part ça, Noé est un plutôt bel homme.

« Par ici, dit-il, à la fois gêné et pressé. Nous n’avons pas beaucoup de temps ». Il me tend un badge visiteur en me jetant un regard entendu. Nous nous glissons dans un ascenseur, pour le quatrième je crois. Puis un couloir. À droite, une cloison de verre donne sur des bureaux. À gauche, un mur en béton mal crépi (de l’art brut ?). Je demande à Noé où il m’amène. Point d’ambiguïté dans ses yeux : il me conduit dans un lieu à l’abri des regards. C’est là qu’on fera connaissance. Je lui dis : « Attends ! Tu me fais visiter les coulisses, et après on fait connaissance ». Je lis dans ses yeux la déception d’un homme pressé d’en finir, mais aussi l’enthousiasme de celui qui se réjouit de la curiosité de son date pour sa passion à lui. « D’accord, qu’il me dit en souriant. Marché conclu ». Voilà comment je me retrouve dans les coulisses du Grand Théâtre de Genève, institution majeure créée en 1879. Nous continuons de longer le couloir de verre et de béton. Encore des escaliers aux points morts fort intéressants pour faire connaissance. Max Lobe est né au Cameroun. Nouveau regard entendu. Qui sait, c’est peut-être dans ce genre Il est l’auteur de Loin de Douala (2018) de coin que finira notre visite. Mais pour le moment, Noé prend au ou de la Trinité bantoue (2014). La plupart de ses ouvrages sont parus sérieux sa mission de guide. Il pousse la première porte et devant nous aux éditions Zoé. Cette saison, il apparaît une sorte de passerelle, peut-être même de balcon. Nous explore en quatre épisodes les coulisses prenons appui sur la main courante. Là s’élève un incroyable micmac du Grand Théâtre, à commencer par cette rencontre prometteuse et semblable à un échafaudage ou plutôt à un gradin à trois niveaux fait un peu coquine. essentiellement de lattes, de tuyaux d’aération et de fer orangé. Sous ce gradin d’un autre type, de grandes lampes reliées à une infinité de câbles argentés ou bleuâtres, projettent des lumières chaudes. Nous sommes à l’arrière du plafond de la grande salle du Théâtre. C’est un dispositif de trois immenses plaques de bronze perforées ici et là pour envoyer la lumière qui enchantera les amateurs d’opéra. Noé m’explique cet élégant chaos. Il dit que nous sommes à plus de quatre mètres au-dessus de la scène. Je l’entends, oui, mais je ne l’écoute plus. Je suis tellement ahuri par le côté alambiqué de ses explications que je ne pose aucune question. La tonalité de sa voix est un doux mélange d’érudition, de frime, de solennité. Il a dû remarquer mon égarement. Car il me promet soudainement, sourire en coin, que je comprendrai tout lorsqu’il me fera découvrir la salle du Grand Théâtre elle-même. En guide attentionné, il me demande de le suivre. Encore deux ou trois portes – je ne m’en souviens plus précisément, puisque je me sentais un peu comme un ours polaire en plein Sahara – et là, le miracle se produit. La grande salle s’offre à mes yeux. Hormis la scène imposante et la discrète fosse d’orchestre, ce qui frappe en premier, je crois, c’est la chaleur des lumières. Sur les immenses plaques de bronze au relief ridé ici et là, elles semblent danser comme dans un tourbillon. Une Voie lactée. À y voir de près, on dirait que ces lumières, sans doute conscientes de leur somptuosité, veulent vite s’éclipser pour laisser davantage de place à ce rouge-luxe des quelques 19


REP O RTAGE LITTÉRAIRE 1/4 20

1500 sièges-strapontins. Ce rouge-catharsis et d’une extrême élégance n’est en réalité qu’une invitation à prendre place. C’est d’ailleurs ce que je m’empresse de faire. Sauf que Noé me rappelle notre contrat. Il faut continuer, et rapidement, car au bout de tout cela, nous devons faire connaissance. Comme j’ai laissé entendre que j’avais soif, il me conduit dans le restaurant du Théâtre. Ici, tout n’est que vagues et ondulations. Deux marches d’escalier et un bar-brique, au sol, cassent l’ondoiement du plafond mais ne retranchent rien à la beauté du spectacle architectural. C’est un ciel étoilé. Noé ne me propose rien à boire. « Est-ce que tu es venu ici pour boire ? » doit-il penser. Il me tient la main et en vitesse, comme des gamins qui s’amusent allègrement dans un musée après l’heure de fermeture, il me tire. Nous montons encore quelques larges marches d’escalier en étouffant un rire qui, je le sais, explose dans nos tripes. Une autre porte s’ouvre, et là, nous sommes sur un balcon. On joue à se faire des confidences, à voix basse, comme le font les aristocrates masqués dans des films que je ne suis même pas à mesure de citer. Noé déverse dans mes oreilles un lent, un sinueux cours de paroles coquines. Je lui réponds par des sourires tendres. Il m’a conquis. « Il est temps que nous fassions connaissance », qu’il me dit. Nous nous tenons par la main comme un couple qui vit ses moments de passion, ces moments où plus rien ne semble entraver l’élan de leur folie affective. D’un pas allègre, presque voltigeant, nous empruntons des escaliers, des couloirs puis des escaliers à nouveau. Un vrai labyrinthe. Il me raconte qu’un incendie a ravagé une partie du Théâtre. Il n’aura pas le temps de me la faire découvrir – le temps presse et il doit retourner bosser. Il m’en glisse quand même quelques mots : c’était en 1951. Et comme par hasard, le 1er mai 1951, fête du travail. En plein test d’un acte de La Walkyrie de Wagner. Un drame qui en appelle un autre. Ce n’est qu’en fin 1962 que le Théâtre rouvre ses portes au public.

À peine ai-je saisi ces derniers mots que déjà nous nous trouvons dans une salle à la lumière mille fois inférieure aux lueurs luxuriantes du plafond de bronze de la grande salle. Noé m’enlace. À l’oreille, avec une espèce de fougue et de finesse, il me chuchote : « Je n’ai plus beaucoup de temps. La prochaine fois, je te montrerai les fresques de Léon Gaud et peut-être même, si t’es charmant, le travail des costumiers ».


essencedesign.com

Six théâtres romands accueillent Le Temps pour un spectacle original de journalisme vivant. Emotion, partage, engagement, aventure, révélations, ficelles du métier. Sur scène, dix journalistes du Temps et un.e invité.e surprise portent, à tour de rôle, un récit, une expérience ou une découverte qui a marqué leur vie professionnelle. La mise en scène est signée Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer, codirecteurs de la Comédie de Genève.

THÉÂTRES ET DATES Genève, Comédie de Genève

La Chaux-de-Fonds, TPR

Mercredi 18 septembre à 19 h 30

Vendredi 27 septembre à 19 h 15

Sion, Théâtre de Valère

Villars-sur-Glâne, Nuithonie

Lundi 23 septembre à 20 h

Mercredi 9 octobre à 20 h

Lausanne, Théâtre de Vidy

Porrentruy, Salle de l’Inter

Jeudi 26 septembre à 20 h

Jeudi 17 octobre à 20 h

Découvrez la tournée romande sur www.letemps.ch/spectacle Billetterie en ligne sur les sites des théâtres

Avec le soutien de

Proposé par


Dans chaque numéro de ce magazine, deux portraits de membres du Cercle du Grand Théâtre Par Serge Michel

Galeriste et collectionneuse Caroline Freymond

Le tour

du cercle

On entre dans l’Espace Muraille, à la place des Casemates, par une petite porte dans un grand mur. Sans savoir comment on va en ressortir, un peu comme Alice dans le terrier du Lapin blanc. Et l’on y trouve, en effet, des merveilles et des surprises que la maîtresse des lieux, Caroline Freymond, semble avoir préparées avec malice. Première surprise : cet espace d’exposition improbable, aménagé dans les caves assainies d’une maison familiale, accueille depuis 2014 certains des plus grands noms de l’art contemporain. Comme le dano-islandais Olafur Eliasson, que la Tate Modern de Londres célèbre cette année par une rétrospective géante. Il est venu ici l’an dernier avec seize de ses créations pour une exposition sur mesure : « objets définis par l’activité ». Seconde surprise : le programme est dicté par les goûts raffinés de Caroline Freymond et de son mari Eric. Avec une ouverture et une envie de partager peu communes dans la cité de Calvin, où le cloisonnement et la discrétion sont toujours de mise, ils collectionnent les œuvres de ces artistes en plus de les suivre et de les exposer : le Français Marc Couturier, l’Iranienne Shirazeh Houshiary, l’Israélienne Michal Rovner ou la reine chinoise de la mode, Guo Pei, qui organisait ici en 2017 un défilé de prêt-à-porter. La présence de l’Asie, elle aussi, est inattendue, dans les murailles de la vieille ville de Genève. Première exposition en 2014 avec le Japonais Tadashi Kawamata. Cet automne 2019, c’est le céramiste Masamichi Yoshikawa qui déposera ses objets dans les entrailles des murailles. Des amitiés fertiles que Caroline Freymond explique en partie par sa rencontre avec Fabienne Verdier, dans un livre d’abord, Passagère du Silence (Albin Michel, 2003), puis dans ses œuvres et enfin en personne. « Sa gestuelle inspirée sur le plan méditatif et sa grande liberté m’ont captivée », dit celle qui n’a pas toujours été galeriste. Dans une vie antérieure, Caroline Freymond fut avocate spécialisée dans l’arbitrage. Elle se réoriente après la naissance des enfants, à la recherche de sens. Cela commence par un chalet qu’elle aménage à Gstaad en chinant, puis une boutique reprise à Saanen. Les objets y sont baroques. , dit-elle. Elle retrouve aussi le goût très sûr que les voyages avec ses parents et tous les musées visités lui ont instillé. Et surtout, elle s’interdit les silos. Sa galerie accueille des lectures, des défilés, des conférences, des concerts. D’où son goût pour l’opéra où, dit-elle, tous les arts se rencontrent.

temps »

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Caroline Freymond, fondatrice de la Galerie Espace Muraille, au 5 place des Casemates, à Genève. © Magali Girardin.

« Je me suis épurée avec le


Ex-banquier et philanthrope

Yves Oltramare

Serge Michel est journaliste, prix Albert Londres de reportage en 2001 pour son travail en Iran. Il a notamment travaillé pour Le Temps, Le Figaro et Le Monde, dont il a été directeur adjoint. Il est co-fondateur du nouveau média suisse Heidi.news.

Yves Oltramare, auteur de Tu seras rencontreur d’Homme : une voie vers l’accomplissement. Ed. Labor et Fides, 2019. © Nicolas Righetti / Lundi 13

La surprise a attendu près d’un siècle. Nonante-trois ans plus précisément. À cet-âge-là, Yves Oltramare, ancien associé de la banque Lombard Odier, formé aux Etats-Unis chez Lehman Brothers, publiait au printemps 2019 son premier livre : Tu seras rencontreur d’Homme. Et alors tous ceux qui le connaissaient ont eu l’impression de le connaître mieux, et ceux qui ne le connaissaient pas l’ont découvert. Car l’ouvrage, qui a le souffle d’un Bildungsroman genevois, est étonnant. Yves Oltramare, fils de pasteur protestant, puise dans les carnets intimes qu’il tient depuis ses 14 ans pour raconter son enfance en pleine Seconde Guerre mondiale, ses années américaines, le retour à Genève ou les premiers exercices spirituels selon Ignace de Loyola, au cours desquels il entend distinctement cette phrase . S’ensuit un cheminement spirituel qui le mène de l’Inde des gourous au Ghana, de la lecture de Nietzsche à celle de Teilhard de Chardin. Devenu philanthrope, l’auteur soutient notamment le Grand Théâtre comme membre bienfaiteur du Cercle et finance la chaire d’histoire des religions à l’Institut de hautes études internationales et du développement. La traversée du XXe siècle d’Yves Oltramare, ce sont avant tout des rencontres. Avec le père jésuite Bernard Maille, les financiers George Soros et Alan Greenspan, Kofi Annan, le moine Matthieu Ricard et tant d’autres. Mais en particulier l’astrophysicien Trin Xuan Thuan, qui signe une préface très inspirée de Tu seras rencontreur d’Homme. La rencontre s’est faite grâce à la peintre Fabienne Verdier (tiens, un lien avec le parcours de Caroline Freymond, sur la page d’en-face !), qui avait besoin d’une maison calme pour travailler à un livre avec son ami Trin Xuan Thuan. Yves Oltramare leur prêta son chalet. Sans oublier Franklin Servan-Schreiber, issu d’une famille de grands noms du journalisme et de la politique, qui a enregistré la série d’entretiens ayant aboutit à ce livre. Que retenir de Tu seras rencontreur d’Homme ? D’abord que c’est un bon livre. Puis que la sagesse des aînés est une denrée terriblement nécessaire. Il fallait voir, en mai, la foule du Salon du livre se figer dans le brouhaha de Palexpo pour écouter le vieil homme malicieux raconter sa quête spirituelle, le sens qu’il a trouvé au Big Bang et le Souffle qu’il perçoit dans l’univers. L’itinéraire spirituel d’Yves Oltramare lui appartient, même s’il y a sans doute, entre ses lignes, des leçons de responsabilité et de conscience environnementale à retenir pour celles et ceux qui lui ont succédé au sein de la place financière genevoise.

d’Homme

Tu seras rencontreur

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1 • La Ribot en majesté

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2 • Daniele Finzi Pasca en mouvement perpétuel

6 • Un monde en soi

3 • Suisse minimale

Rendez

5 • Le MCBA ouvre le bal

4 • Création mondiale à Berlin

-vous


DANSE

LIVRE

LA RIBOT EN MAJESTÉ • 1 Le Festival d’automne à Paris consacre, dans plusieurs institutions dont le Centre Pompidou, le CND ou le Centquatre, un portrait à l’artiste hispano genevoise La Ribot avec 6 œuvres : Panoramix, son anthologie de 34 pièces réassemblées, l’exposition Se vende, la performance-installation très politique Laughing Hole, la nouvelle pièce Please, please, please (avec Mathilde Monnier et Tiago Rodriguez), le projet avec une troupe de danse inclusive Happy Island, ainsi que Another distinguée, dernière en date de ses Pièces distinguées.

SUISSE MINIMALE • 3 Donald Judd, artiste minimaliste majeur, a beaucoup travaillé en Suisse. Il a exposé depuis 1973 à la galerie Annemarie Verna à Zurich et dans plusieurs institutions, il a réalisé une œuvre architecturale au bord du lac de Lucerne, il a fait construire plusieurs de ses œuvres en Suisse, notamment par l’entreprise Menziken, et son mobilier est encore édité par une autre firme suisse, Lehni.

La Ribot, Panoramix 1993-2003, © Manuel Vason

DANIELE FINZI PASCA EN MOUVEMENT PERPÉTUEL • 2 Année intense pour Daniele Finzi Pasca. Après ses mises en scène de la Fête des Vignerons à Vevey et d’Einstein on the Beach pour le GTG, il a plusieurs autres spectacles en tournée dans le monde. Per te, dédié à son épouse décédée, par sa compagnie, et deux mises en scène pour le Théâtre du Soleil, Luzia, inspiré du peuple Tarahumara au Mexique, et Corte, « cortège » en italien, procession festive née de l’imagination d’un clown.

CRÉATION MONDIALE À BERLIN • 4 Après avoir reçu avec deux de ses créations le prix décerné par le magazine Opernwelt de Création de l’année (Pnima… Inwards 2000, Infinite now 2017), Chaya Czernowin revient en novembre à Berlin avec Heart Chamber, un grand opéra sur les changements minimes qui affectent deux étrangers en train de succomber à l’amour. Un voyage au cœur des ténèbres et de l’imprévisible, une enquête presque physique sur le souffle et la voix, une matière en perpétuel changement calquée sur le développement du génome humain (ce que la compositrice israélienne appelle Fluid Idendity), bref une nouvelle énigmedans le monde de l’opéra.

Daniel Finza Pasca, Per te, DR

Portrait de Chaya Czernowin, © Astrid Ackerman

10.09-10.11 2019, Paris

SCÈNES

Le livre Donald Judd & Switzerland, édité par Hatje Cantz, paraît en septembre

OPÉRA

15.11-06.12.2019, Deutsche Oper Berlin

THÉÂTRE

THÉÂTRE BICÉPHALE Nouvelle direction artistique aussi au Schauspielhaus de Zurich, avec le duo allemand Benjamin von Bloomberg et Nicolas Stemann. L’un est dramaturge, l’autre metteur en scène, et ils s’entourent d’une équipe jeune et représentative de différentes sensibilités artistiques. Dans leur réseau, on trouve les metteurs en scène Christiane Jatahy, Christoph Marthaler ou Milo Rau, avec qui des collaborations sont envisagées sur la durée.

ARCHI

LE MCBA OUVRE LE BAL • 5 Le Musée des beaux-arts de Lausanne inaugure, sur la Plateforme 10, son nouveau bâtiment aux lignes très minimalistes, dessiné par les architectes Barozzi Viega, avec l’exposition Atlas, cartographie du don (05.10.19-16.02.20). D’autres nouveaux bâtiments culturels ouvriront bientôt en Suisse : la Comédie de Genève, par FRES architectes, associés au scénographe Changement à vue (2020), le Théâtre de Carouge, par Pont 12 architectes (2020), le Pavillon de la danse, à Genève, par Philippe Rizzotti architecte (2020) ou le Kunsthaus de Zurich, par David Chipperfield (2020).

EXPO

UN MONDE EN SOI • 6 Au Centre Pompidou Metz, l’exposition Opéra Monde. La quête d’un art total, organisée par Stéphane Ghislain Roussel et mise en espace par la scénographe Małgorzata Szczęśniak, explore la rencontre entre les arts visuels et l’opéra au XXe et XXIe siècle. Sculptures, installations, photos, vidéos, maquettes, dessins permettent de découvrir des collaborations artistiques fructueuses. De La flûte enchantée, sculpture installation vidéo autonome de William Kentridge liée à sa mise en scène de l’opéra de Mozart, aux sculptures de Berlinde de Bruyckere pour Penthesilea, de l’installation lumineuse de James Turrell pour To Be Sung de Pascal Dusapin inspiré d’un texte de Gertrude Stein, au dispositif que Renzo Piano construit pour Prometeo de Luigi Nono dans une église à Venise dans le cadre de la Biennale, du story board de Bob Wilson pour Einstein on the Beach à la fusée imaginée par Romeo Castelluci pour Moïse et Aaron d’Arnold Schönberg, en passant par des œuvres de Natalia Goncharova, Oskar Kokoschka, Kara Walker, Aloïse Corbaz, Nina Childress ou Clément Cogitore, le parcours est d’une richesse remarquable. Operndorf Afrika est l’un des projets les plus marquants : Christoph Schliegensief, enfant terrible de la scène artistique allemande décédé en 2010, a imaginé un village opéra au Burkina Faso, composé d’un centre de santé, d’une école et d’un théâtre, construit par l’architecte burkinabé Francis Kéré. Manifeste de liberté et de décloisonnement, ce projet, aujourd’hui réalisé, remet en question les cadres liées aux conventions de l’opéra. James Turrell, scénographie pour To be Sung de Pascal Dusapin, © Marthe Lemelle et James Turrell

Jusqu’au 27.01.2020

MCBA, Lausanne, © Keystone

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OPÉRA

KRISTINA EN VIOLETTA • 6 Elle a séduit le public à Genève dans Il Giasone de Cavalli, repris à Versailles. Elle reviendra dans la cité de Calvin dans Les Indes Galantes. Avant cela, Kristina Mkhitaryan incarnera le rôle-titre du tube parmi les tubes, La Traviata de Verdi à l’Opernhaus de Zurich. Fin septembre et début octobre, elle chantera Violetta Valéry dans la version signée des mains de David Hermann, accompagné de Christof Hetzer qui a façonné les décors et costumes. Et en prime, en fosse ? Une figure appréciée à Genève et dans le monde entier : Fabio Luisi  ! Il Giasone, © GTG / Magali Dougados

26 et 29.09, 06 et 11.10 2019, Opéra de Zurich

DANSE

SIDI LARBI AVANT GENÈVE • 7 Sidi Larbi Cherkaoui chorégraphie Fall pour le GTG, dans Minimal Maximal. Cet automne, il tourne avec plusieurs autres pièces. Session, en duo avec Colin Dunne, qui s’inspire des rythmes et des sons de la danse traditionnel irlandaise (notamment à Turin, Anvers et Bobigny), Sutra, une collaboration avec les moines du Temple Shaolin, le plasticien Anthony Gormley et le musicien Szymon Brzóska (à Istanbul et Athènes notamment), ou Qutb, mot arabe signifiant axe ou pivot, avec la danseuse russe Natalia Osipova, en tournée en Hollande. Sidi Larbi Cherkaoui, Session, © Koen Broos

SCÈNES

POST TENEBRAS CRÉATIVITÉ(S) Le Festival Les Créatives aura lieu à Genève du 12 au 25 novembre 2019. Rythmes et couleurs métissées, avec les concerts de Flavia Coehlo à l’épicentre à Collonge-Bellerive, d’Aziza Brahim à la Salle communale d’Onex, de Vanessa Paradis à la Salle des fêtes de Thônex ou encore Fatoumata Diawara aux Docks Lausanne. Et les pièces Polympe(s) d’Isis Fahny et Dictus Midi d’Anne-Lise Le Gac au Théâtre St-Gervais. MODE

FASHION SHOW MUST GO ON • 8 Adepte du catwalk et de mode, cette soirée est immanquable. Le 8 novembre, la Haute école d’art et de design présente ses étoiles montantes amatrices de portants. Les 26 collections bachelor et master seront en front row pour assurer le show. Trois prix seront remis à ce défilé : le Master Mercedes-Benz, le Bachelor Bongenie et La Redoute x HEAD. Un véritable concours de Genève. Ania Marnicek, Tears of Lava

08.11.2019, Campus HEAD

FOOD

BELLE ADRESSE DE JOUR Ouvert il y a un an, le Cinquième jour est un restaurant atypique, qui propose des expériences culinaires exquises tout en repartageant à la communauté. Ouvert quatre jours par semaine, il propose des plats biologiques locaux et durables. Le cinquième jour, le même menu est offert gratuitement aux personnes moins fortunées, identifiées par ses partenaires communautaires. Le menu fait découvrir les goûts saisonniers de la culture locale, de la ferme à la table. 25 rue des Eaux-Vives, 1207 Genève

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EXPO – PERFO

PERFORMING OPERA • 9 Le Pavillon lituanien, avec Sun & Sea (Marina), opéra performance écologique de longue durée conçu par Lina Lapelyte (performer et musicienne), Vaiva Grainyte (écrivaine et poète) et Rugile Barzdziukaite (cinéaste), a obtenu le Lion d’or de la Biennale d’art de Venise 2019. C’est la troisième fois en quatre éditions qu’un prix majeur de la biennale est attribué à une œuvre « d’art vivant », après Anne Imhof au Pavillon allemand en 2017, et Tino Sehgal, sacré en 2013 meilleur artiste pour « l’excellence et la portée innovatrice de son travail qui brise les frontières entre les disciplines artistiques ». © Andrea Avezzu

ARCHI

MACHINE À HABITER CENTENAIRE • 10 Point d’orgue du centième anniversaire du Bauhaus, le Bauhaus Museum Dessau ouvre en septembre 2019. La collection de la fondation éponyme, qui comporte 49 000 items, est mise en valeur comme jamais dans ce nouvel écrin de 3500m3, dont 2100 dévolus aux expositions. Le bâtiment est signé par le bureau addenda architects (González Hinz Zabala) de Barcelone, selon un concept radical et minimal d’une boîte en acier dans une enveloppe de verre. © addenda architects

Dès le 8.09.2019


-vous

8 • Fashion show must go on

7 • Sidi Larbi avant Genève

Rendez

6 • Kristina en Violetta

9 • Performing opera

10 • Machine à habiter centenaire


MINI MAL ISM FOR EVER 28 Par Corinne Rondeau


18 d’ 92 : un Ve fo m xa Jo is e êm tio n hn n 1 e C 96 mo s d’E ag 3 à ti r e Ne f, ex ik S é at w Yo cut ie, rk ée 84 0 à 19 l’i pou ré ni p ba 19 : F tia r la éti s o t M es nd iv pre tion ie e se s v du ati de miè s re re an mo on d co d nn der ern u B aî Ro ism au h t d he an , d e. L aus s l ire ’ar qu a fo cte chit i po rm ur s e ul de cte e le e« 19 Lu s 19   3 l es 0 d 6 s i à wig Ha 2 – s m 193 Da lpr 196 or 3, i e » Ra nce n fo 6 : D . M ine Th nde es d or r, ea nt an ris Lu t y p cin er à la d seu ré da Ne ans rs f se C o nt hil w Yo e po rm en ds é s r t d , T k. S tm s pa r te od es is er r A h v pi èc a Br e Pa ne nna 19 es ow xo au 64 co em n, n, Ju  : bl Rob Yvo dso qu mp In C ém e n n i m osi de at rt ne ar tio Te iq qu n f rr u es e u on y R . n r da ile et tri y, c ou ce o r v de ns id er s u la m éré ne us e c m iqu om us iq e m me 19 ue in la 6 dé 5 N di ima te lis qu cla o M t on te r vi i es ati ani al , f o rt e. uo t att n d est sit e er od ef e Y é, nd st u d us vo yl e, e la à l’e nne sé da n R du ns con ain ct io e : s tre er, u n d pe de ne u s ct t pe acl out ce ct e, at eu r…

RE pa PÈR r O ES liv H ie IST rK O ae RI se QU r ES

DO SSIER MIN IMALISME

Né dans les années 1960 aux États-Unis, le minimalisme est contemporain de la revendication de nouveaux droits, de révoltes contre les savoirs assujettis et les formes traditionnelles du pouvoir. Dans ce tourbillon de liberté, rejetant la subjectivité de l’expressionnisme abstrait et les influences européennes, le minimalisme paraît sonner le glas du mythe américain de l’assimilation tout en se lançant à sa recherche, à l’image du drapeau étasunien au dos du blouson de Peter Fonda dans Easy Rider (1969). Car si le minimalisme a une racine, elle est peut-être à chercher du côté d’une culture en puissance des lieux dans un pays qui inventa la conquête de l’ouest et la frontière. Entre la fin d’une « fiction du passé » et le début d’une « fiction du présent », comme écrivait D.H. Thoreau, le minimaliste apparaît comme le dernier cow-boy de l’art made in USA. Son aspect austère et formaliste est une manière d’inventer un paysage élémentaire et mathématique en régénérant une vision de l’art, la quête d’un nouveau mythe qui, après l’influent Pop Art, alimente désormais la scène contemporaine. La reconnaissance vient en 1965, avec l’essai de Barbara Rose, ABC Art, dans la revue Art in America, la première à tenter d’entrecroiser arts Corinne Rondeau fait entendre sa voix depuis plus d’une dizaine plastiques, histoire de l’art, danse et musique. Les années 1960 possèdent d’années sur France Culture. une vertu qui nous fait cruellement défaut, le dialogue. Un dialogue Essayiste, critique, universitaire entre pratiques artistiques, source fertile d’expériences interdisciplinaires, basée à Paris, elle publie en 2013 aux éditions du Centre National un mot qui n’est pas sans évoquer celui d’indiscipline. Le pays de de la Danse, la première monographie la frontière ne pouvait que croiser des lignes, même invisibles. C’est par sur l’œuvre de Lucinda Childs : entrelacs, contiguïtés, juxtapositions, déplacements, et dépassements Lucinda Childs, Temps/danse. que se font et se défont les influences. Richard Serra souligne ainsi l’importance qu’a eu dans la conception de son art gravitationnel l’observation de la danse postmoderne, notamment Rose Fractions d’Yvonne Rainer en 1969. L’écriture par répétition et progression de la plus expérimentale et radicale chorégraphe minimaliste procède par « appréhension physique de l’espace, du lieu, du temps et du mouvement », ce qui rend la danse, c’est elle-même qui l’affirmera, si difficile à voir. Mais ce qui reste encore plus difficile à voir aujourd’hui, c’est l’apport de la danse et de la musique au minimalisme, tant l’histoire de l’art leur fait écran. Pour l’histoire de l’art, le minimalisme est avant tout sculptural. Il se caractérise par l’absence de socle et de base, posé à même le sol, pas simplement pour rejeter l’expression et la représentation ou faire allégeance à l’horizontalité, mais inscrire par une simple présence un « ici », à l’instar du héros de La Prairie de Fenimore Cooper, mourant dans un cri : la limite de la vie est un lieu. L’irruption du minimalisme se fait avec Column (1961) de Robert Morris, proche d’Yvonne Rainer. Morris, enfermé à l’insu des spectateurs dans un parallélépipède vertical, gris et clos, produisait la chute de la colonne au bout de trois minutes. Blessé, l’artiste opta pour une corde en coulisse. « Comme la vie, la forme sans qualité est par essence vide ». Cette déclaration musilienne ne cache pas son aspect spéculatif contre tout idéalisme moderniste, ni la chute la dimension temporelle et traumatique de son expérience. Le vide n’est jamais vide, il est le lieu pour un corps qui lance son ici, là où l’art a lieu, quitte à apparaître radicalement impersonnel.

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19 6 an 6 : ex d B Prim r p av os itis ary h Do ec 4 itio Sc stru n Ro nal 2 a or ulpt ctu ga or re d r b t in st ert Jud iste nis s, J s : Y itu Mo d, s d ée ew ou S n tio rr is p o o nn is, l Le nt C ar K h M ger m A u el y W de arq itt arl A nas seu me l’a ue , W nd ton m, rica rt l’é alt re N n m ta er , D McS ew in im blis De an hin Yor F s k, M e al . em ar lav en ia in , , t 19 6 du 6 : Te pro 9 Ev c Da hn gra enin av nse olog mm gs : De ec J , m y) o e EA The u Ro bor ohn siq rga T (E ate be ah x r& C ue ni rt Ha ag , fi sée per En Ra y, e, L lm, pa ime gin us e S ch tev ucin télé r Bil nts eri ly in ng en e v d be Pa a C isio Klü Ar , ta rg xto hi n, v … n, lds tec er à nd Yv , Ö hn N on yv ol ew ne in og Y Ra d Fä ie, ork . in er hlst 19 , ro 67 à m la  : N , an sc um le d O ulp éro de min bjec ture de éc So ima tho am la r e l pe rit s LeW lism od, éric vue rs p u a on r l’ itt, e, e am ine Art a t ne rt qu , a fo P p s’e m i éc ara hlet ve rum n r inim rit gra de c n c éc « M ota ons p a ic la l, m  Ré hs m ac h m c o a an ais em n C el men ré t » je m F t o . n’ en nce ried Art 19 ai t 6 re on ptu con de 7 : nc a P a t pu Jam rem on be l Ar re tré au t i e pa re. co Il d s Tu ère s e im d’ nc up rr ex it or Vo age ima  : «  ell, pos e us et ge Mo do itio n n vo sa et n, t t r le us ns pa a à v P re s a m ga focu de il n éd asa d ’a iu f rd s ez , qu ocu pa m e ena s s s , re e ga re . Sa d’o t la g b n l rd er ard s ob jet, umi e .» èr z- je e 19 vo t, 6 us sa La 8-1 ns   ? 9 H pa ay 69 : M m r En e, in p us éa no D uis ima le ev Dü l A d’ e ar lin ssel rt, G t m g, do e in pre rf e me im e al miè t Be nte en re rl m Eu exp in, o use ro pe osit rgan um, io . n isé e

L’irruption du minimalisme se fait avec Column (1961) de Robert Morris, proche d’Yvonne Rainer. Morris, enfermé à l’insu des spectateurs dans un parallélépipède vertical, gris et clos, produisait la chute de la colonne au bout de trois minutes.

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Robert Morris, Column, DR


Les pièces au sol de Carl Andre en sont un autre indice, quoique en un sens différent : elles rompent avec la verticalité de la sculpture passée, pas seulement pour laisser le spectateur marcher possiblement dessus, mais, comme l’écrit George Kubler dans Formes du temps, Remarques sur l’histoire des choses, particulièrement lu par les minimalistes, lors de sa traduction en 1962, à cause de l’actualité ainsi offerte à l’art. « L’actualité, c’est quand le phare rentre dans l’obscurité entre deux éblouissements (…), c’est un intervalle vacant glissant indéfiniment à travers le temps ». L’intervalle est un petit bloc d’espace-temps variable à l’infini entre deux éléments, il est la forme de l’espace concret, lieu du rapport de l’œuvre et du spectateur. C’est encore en 1962 que la Phénoménologie de la perception de Maurice Merleau-Ponty, tout juste traduit en anglais, devient l’ouvrage de référence des minimalistes : les formes tridimensionnelles ne sont rien sans le parcours d’un corps dans l’espace, sans un regard élaboré à partir d’un point de vue mobile et changeant dans le temps. Donald Judd fait paraître Specifics objects en 1965, et réalise en même temps ses Stack, définissant les sculptures comme des objets relevant d’un « espace concret ». Épuré, économique, simple, voire élémentaire, rationnel ou logique, modulaire, parfois sériel, et d’un profond ennui selon d’aucuns, le minimalisme implique pourtant l’activité de la sensibilité, et un ajustement du regard qui suppose temporalité et latence dans l’espace. Et tout autant une rigueur de construction comme chez Sol Lewitt, qui, en qualifiant ses productions de « structures », substitue l’art conceptuel au minimalisme. « Structures », le mot n’est pas sans rappeler l’ombre d’une histoire collective du vieux continent, celle du constructivisme. De son côté, la chorégraphe Lucinda Childs traduit en termes mathématiques la danse selon un « désir de réenvisager le monde et les choses de façon plus sérieuse. » Reconnus tardivement, après une réception publique orageuse, Einstein on the Beach (1976) et Dance (1979) sont les œuvres les plus sidérantes et sidérales du XXe siècle et du dialogue minimaliste. Pour les puristes, le courant dure une petite dizaine d’années. En 1968 le minimalisme est assimilé par l’institution muséale, deux ans tout juste après la première exposition fondatrice à New York, Primary Structures. Le mot de « Structures » n’est donc pas anodin, il évoque la combinaison de l’architecture, des mathématiques, et de l’écriture verticale en musique avec pour élément fondamental le contrepoint. Transformation constante et multiplication à l’infini de formes et d’opérations élémentaires répétitives, ainsi pourrait-on définir le minimalisme. S’affranchissant des frontières du langage et de la géographie, le manifeste musical de La Monte Young, Terry Riley, puis Philip Glass et Steve Reich en donnera les orientations les plus abouties. La Monte Young tenait les notes le plus longtemps possible,

« Comme la vie, la forme sans qualité est par essence vide »

19 pa 74 : Do r Ph Cré La nal ilip atio M d J pa n d on ud de e te d M la Yo , Da en Dia un n il g, Fla . Pa Art F r M ar vin, mi oun l ia n Z Joh es p dat az n C rem ion ee ha ie , en la . mbe rs a tre a rla rti in ste utre 19 ,W s s al sou Ne 76 : te w Mu r D ten Yo sic u e rk M s, . Œ for ar ia uv 18 M , re es usic se ia nt ns ie lle de S de te la ve m Re us ic 19 iq h, ue cr et 76 : m éée E in La Rob ins im à ch er tei al or t W n o ist ég n e. ra ilso th eB ph n, ie est ea es c t d cré h, ’A é a opé nd u y D Fes ra d eg tiv e P ro al hil 19 at d’A ip 7 9 pr et v G oj  : Da Lu ign lass ec ci on tio nce nd . ns de a Ch fil Ph m ild iq ilip s ue G s d las s eS et ol Le Luc wi ind tt, a cr Ch éé ild eà s Ne ave 19 w c 7 Yo de 9 : rk M l . sit a C ar sit e m hin fa, T e s ilit at ex pe air i Fo as ci e p un . D fic d o o de ur y ati nald trè pr on. J s g ése Il t udd ra nt ran po nd er s s e e pl for e le nv usi me s b a er eu u gu rs n a ses 19 re œ nc uv ie . M 80 : ob C re n de il s i ré ob sig er, a atio je n s n c c d ts o in bre ess e la te o m et f ire ma po on s r o qu re ls. ctio u vê e M nn te uj i el , q men au J ui t a re s a po n. nd u le s

DO SSIER MIN IMALISME

Robert Morris

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19 St 82 : e pi ve Fase è R de ce eic , Fo sa fon h, d ur co da ’A Mo lla tr nn vem bo ice e T e en ra d tio e l res ts t na ac aD ot ve hor e K he M c l ég ee u e m ra rs sic us phe ma of e ic ie et d ker n. éb , 19 9 ut da 0’s pa ns l  : Ap co r Ji a m ogé l d’ mm l Sa ode e d é m lim enc nde , po e la in i Je im na e la r ou rtée ten t di pen al, e ion mo He à s dan tG s lm a d c n  : ra e q tre cou ern ut qui e m ce ue tie tu ité La nt in M l’a n m res , d ng ess ima ira v a . e be eni inim min ns u « C’ nc liste e im lla r e n e , d st al, d ale pro st ic u m au ét s, ce i q a p m s ag il o s ue az inim s m ids us 20 in al inim e 0 de 3 : Vo ism a gu e » ux. et Ne Ou e. , en les w Yo vert fo con rk ure . nt un ditio Les de D m ns dim ia an  : ife exc ens  Bea st ept ion co e d io n s e « nn gig , au  m elle an no t us r s ée de esq d m pr ues in és im e 20 al nta  ». tio (19 05 : 3 n r un 0- ét à e d 198 rosp av es 5) am oi à ect r ér r re are Inn ive à s i l p s Di a D cain ris art bru Cha a : oc i c l  Be um . So es p stes k, p rlott e u ac en n t r e on ta rav inci uro is S Pos ai pe pé ieg en en à l s C 20 as se du enn en, ens r 19 ke . sel a en min es en i s 20 uite mal 07 p ism 20 et rés e e à Ne 17 : la nté A M wY D ar iff o ce rk e lla , 19 ren Lis 60 t W ta -19 ay au 80 to Ca , ex Mo rré po ve – d’ sitio Mi ar t d n o nim e N rga alis îm nis me es ée s, . pa r

De son côté, la chorégraphe Lucinda Childs traduit en termes mathématiques la danse selon un… … désir de réenvisager le monde et les choses de façon plus sérieuse.

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20 Na 18 : ex tio Min n du pos al ima G as sud itio all lism n i Ta ati -es su ery  : Sp q r Si t t s , u Ai n ac u a le e W o M s, d vec mi gap e. L i ei n we iya ont 150 im ore ght i, L jim Ha œ alis . P . O ee a, A eg uv me rem bje Uf ni ue res en iè ct., re an sh Y d . Ka ang ’ar Asie po , R tis or ei tes , Na a ito uss i ,

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afin de dilater les intervalles selon des ondes sinusoïdales, technique intensifiée avec la mélodie râga, à l’occasion de sa rencontre avec le chanteur Pandit Prân Nath en 1967. La même année, Philip Glass est sous l’influence indienne du sitariste Ravi Shankar. La progression de figures répétitives (1,2 / 1,2,3 / 1,2,3,4,…) consiste à s’appuyer sur l’intervalle afin de prolonger par variation la répétition des notes. La partition de Einstein on the Beach en donnera la quintessence. En 1964, Reich collabore à la première de In C de Riley, considérée comme une œuvre fondatrice du minimalisme répétitif. Chacun Dance de Lucinda Childs, Philip Glass et Sol Lewitt. DR d’eux développe des techniques, notamment à partir de bandes magnétiques. Avec le phasing (déphasage), Steve Reich pratique le décalage de deux motifs répétitifs avant de revenir à l’unisson. Là encore, c’est par un intervalle de temps que se révèle la variation au cœur d’un invariant. Ce qui se passe, c’est le déplacement de l’écoute, l’attention se portant vers ce qui arrive aux sons, imperceptiblement. Ces compositeurs n’auront de cesse de confronter l’héritage du dodécaphonisme à la musique extra-occidentale de l’Inde à l’Afrique, ou encore à celle d’un troubadour SDF des rues de Manhattan dont l’apprentissage musical débuta dans une réserve indienne Arapahu du Wyoming, Moondog, déclaré fondateur du minimalisme par Glass et Reich. Mais il n’y a pas que des structures, il y a aussi des règles appelées « task », tâches omniprésentes dès les premières expériences de la danse postmoderne : travailler sur des formes élémentaires, le plus souvent quotidiennes, et une observation assidue du mouvement tel qu’il est. Ces tâches anticipent l’art conceptuel : l’idée devient une machine de l’art… à l’infini, voire irrationnelle. Faire avec ce qu’on a, un corps et toute chose : en observant le comportement des animaux dans des zoos pour Simone Forti, la façon de marcher d’un quidam pour Yvonne Rainer, ou comment provoquer la danse d’un « mouvement ordinaire ». La danse a à faire avec la physicalité d’un corps dans son environnement, tout comme dans les arts plastiques. Pareil en musique : la partition ne détermine plus l’œuvre et son exécution, les règles sont des séries d’indications ou d’orientations non circonscrites. La Composition 1960 n°10 de La Monte Young a pour règle : « tracez une ligne droite et suivez-la » : ligne musicale, sonore, poétique, plastique ou chorégraphique laissée à son effectuation et en aucun cas anticipée. Les règles comme les structures sont des puissances. Aussi rigoureux, acétique, impersonnel que soit le courant minimaliste, il aura paradoxalement œuvré à la reconquête concrète du corps. L’expérience sensible du temps et de l’espace sont sollicitées de façon radicalement différente en requérant toute l’attention sur du minimal, un intervalle entre structure et vide. Rien à voir avec la devise de Ludwig Mies van der Rohe, Less is more, il ne s’agit pas de réduire les procédures et les matériaux pour obtenir des effets maxima. Il s’agit de considérer un principe d’égalité entre toutes les syntaxes, ou comment des combinaisons élémentaires de n’importe quelle expérience artistique interdit toute autorité disciplinaire. Entre mathématique et quotidien, contrepoint et marche, structure et corps, l’expérience devient une correspondance et l’équivalent d’une autre, à la condition d’éliminer le superflu que la répétition rend possible. La dernière partition de John Cage, dont l’œuvre est de plus en plus considérée comme une source incontournable du minimalisme, incarne idéalement le désir d’infini par combinaison du minimum. Sur l’orgue de l’église Saint-Burchardi de Halberstadt la partition de huit pages de Organ²/ASLSP (As SLow aS Possible) est jouée depuis 2001 au rythme d’une note par an et ainsi pendant 639 ans. La vie, là et imperceptible, en équilibre dans le silence entre deux notes. Dans l’intervalle, l’art à l’infini, et au-delà de 2640, année où la pièce cessera d’être jouée.

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Valentin Flauraud a une double vie de photographe et de chercheur à l’EPFL, dont il est docteur en nanotechnologies. Après dix ans pour des agences de presse internationales, il devient photographe indépendant. Il développe les prises de vues par drone pour revisiter notre quotidien et ajouter une nouvelle dimension à ses reportages.

Insert, Photographies par Valentin Flauraud


Le bâtiment du Grand Théâtre de Genève impose sa silhouette majestueuse sur la place de Neuve. Sa façade, ornée des quatre muses – tragédie, danse, musique et comédie – est flanquée d’un côté par le Conservatoire de musique, de l’autre par le Musée Rath. Face à ce panorama architectural derrière lequel les arts bouillonnent, on ne distingue guère le cube de béton qui se dresse sur le toit de la maison lyrique. Il joue pourtant un rôle central : c’est la cage de scène. Bâti à la fin des années 50, il règne seul et presqu’invisible avec ses lignes épurées et son toit scintillant. Nous avons demandé de révéler ce « manifeste minimaliste » à Valentin Flauraud, qui a piloté son drone avec maestria pour vous offrir cette rotation aérienne inédite.

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MUSIC IS A PLAC Le Philip Glass Ensemble (PGE) en répétition à l’Université de Californie (UCLA), Los Angeles, mars 1977 © Betty Freeman

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Marc Cardonnel est conseiller artistique à la Philharmonie de Paris et à l’AuditoriumOrchestre national de Lyon. Il a également occupé cette fonction au festival Les Nuits de Fourvière à Lyon.

Par Marc Cardonnel

À 82 ans, le compositeur Philip Glass conserve la vivacité, la curiosité et la malice d’un jeune homme. Il regarde avec amusement son parcours : jadis avant-gardiste rejeté, son influence sur les cultures de notre temps est aujourd’hui incontestée. Son premier opéra, Einstein on the Beach, fait figure de révolution dans l’histoire de la musique : un ouvrage précurseur qui a transformé notre perception de ce que peut être un opéra. Mais que peuvent bien avoir en commun le génial physicien d’Ulm et l’enfant de Baltimore ?

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Lors d’une conférence de presse à Barcelone en mai 2019, le compositeur esquissait une tentative de rapprochement : tous deux sont des rêveurs. On sait que les idées d’Einstein lui apparaissaient en rêve, or ce jour-là le compositeur confiait aux journalistes : « la musique vient des rêves, et c’est un lieu où vivre. Les musiciens vivent dans deux mondes : dans le monde ordinaire et dans la musique, qui, elle, vient des rêves – où vivent tous ceux qui créent. Dans ce monde, la vérité est profonde. »

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D’où vient la musique ?

1  Entretien avec Brian Ritchie à Hobart, 2011 2 Dans Paroles sans Musique, Philip Glass (autobiographie), éd. La Rue Musicale, 2015 3  Entretien avec Brian Ritchie à Hobart, 2011 4  Entretien avec l’auteur, Philharmonie de Paris, 19 mai 2019

Une réponse qui n’est rien moins que l’aboutissement d’une interrogation centrale dans la vie du musicien. « Lorsque j’avais 15 ans, j’ai commencé à me poser une question très simple : « d’où vient la musique ? » Alors, j’ai pensé, en toute logique, que si je commençais à écrire de la musique, alors je saurais d’où elle vient. J’avais tort ! »1 Le jeune Philip Glass débute ainsi une passionnante réflexion sur l’inspiration et le mystère de la création : une question qui revient comme un mantra dans ses écrits et discours. Et à laquelle le compositeur et sitariste Ravi Shankar lui offrira une première réponse aussi marquante que spirituelle. Nous sommes en 1966. Le jeune Philip Glass, 29 ans, vit et étudie à Paris, lorsqu’il se voit confier la mission d’assister Shankar dans l’écriture d’une musique de film. Ou plus exactement de coucher la musique imaginée par le compositeur sur partition, afin qu’elle puisse être intelligible et interprétée par des musiciens occidentaux. Cette immersion dans la complexité rythmique de la musique indienne est une révélation pour Glass. En découvrant que le rythme peut, davantage que la mélodie ou l’harmonie, structurer et organiser une composition, il pose les bases du langage musical si personnel qu’il s’apprête à inventer. Il n’en faut pas plus pour que Shankar, éminent pédagogue, devienne un mentor pour le compositeur débutant. Peu après cette collaboration, Glass assiste à un concert du maître à Londres. « Après le concert, je suis allé voir Raviji dans sa chambre d’hôtel. Il était assis sur son lit, les jambes croisées. J’ai pris une chaise et je lui ai posé la question (…). « Raviji, d’où vient la musique ? » Sans hésitation, il s’est tourné vers sa table de nuit, où était posée la photographie d’un vieil indien vêtu d’un costume traditionnel et assis dans un fauteuil. Les mains jointes, Raviji s’est incliné devant l’image : « Par la grâce de mon gourou, le pouvoir de sa musique est passé en moi. » Ce fut un moment stupéfiant. La spontanéité et la simplicité de sa réponse m’ont profondément touché. »2 Plusieurs décennies plus tard, Glass en vient, pour mieux y répondre, à reformuler maintes fois sa question, se demandant s’il n’avait pas fait fausse route. Et si finalement cette question n’était pas la bonne ? Peut-être vaudrait-il mieux commencer par demander « Qu’est-ce que la musique ? » Et Glass de se tourner vers une approche langagière : la musique comme langage des êtres humains. Avant de se raviser, puisque les animaux, qui sont dépourvus de langage, partagent avec l’homme une connexion avec la musique. « De toutes les langues que parlent les êtres humains, la musique est la plus éloquente de toutes. J’ai commencé à me satisfaire de cette réponse.3 Et puis un jour, alors que je m’exprimais lors d’une rencontre publique, on m’a à nouveau posé la question. Et j’ai répondu, sans réfléchir – j’entendais la réponse pour la première fois alors que je la prononçais : la musique est un lieu. Un lieu aussi réel que Chicago, Paris, ou la rue dans laquelle vous habitez. Nous les musiciens, nous vivons une partie de notre vie dans ce lieu. Le reste du temps nous vivons dans le monde ordinaire. Les musiciens peuvent travailler facilement plus de dix heures par jour. Simplement parce qu’en fait, ils ne travaillent pas, ils ne font que se rendre dans ce lieu : la musique. Là-bas, c’est ce que l’on fait ! »4

D’où vient Einstein on the Beach ?

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Aux antipodes de l’archétype du compositeur introverti et solitaire, Philip Glass est avant tout un artiste dont l’art s’épanouit au contact d’autres rêveurs. Après Ravi Shankar, il multiplie à l’infini les collaborations avec des plasticiens (Richard Serra, Chuck Close), poètes (Allen Ginsberg), cinéastes (Godfrey Reggio, Errol Morris), chorégraphes (Lucinda Childs) et avec des musiciens venus d’horizons autres que le sien (Leonard Cohen, David Bowie, Patti Smith, Paul Simon, Aphex Twin) : la liste des artistes avec qui il cosigne des œuvres donne le vertige. Cette propension à partager


DOSSIER MINIMALISME 5  Extrait d’interview de l’ouvrage consacré à Robert Wilson sous la direction de Margery Arent Safir, éd. Flammarion / The Arts Arena, 2011 6 Dans A Composer’s notes : Philip Glass and the Making of an Opera réalisé par Michael Blackwood 7  Entretien avec Matias Tarnopolsky pour Cal Performances, 2012 8  Entretien avec Mark Swed, Zellerbach Hall, Berkeley, 2011

la création est sans doute bien plus révélatrice que l’étiquette de « compositeur minimaliste » qu’on lui colle trop souvent, par commodité. « Quand les gens me demandent quel style de musique j’écris, je leur réponds que j’écris de la musique de théâtre. Je suis un compositeur de théâtre. Ils ont cette réaction : « Ah, je croyais que vous étiez un minimaliste. » Enfin, vous pouvez lui donner le nom que vous voulez, mais en réalité, j’écris de la musique pour le théâtre. » 5 C’est d’ailleurs au théâtre, pour la compagnie Mabou Mines, fondée à Paris avec sa première épouse JoAnne Akalaitis, que débute la carrière du jeune compositeur. Ainsi commence-t-il à s’épanouir : dans le compagnonnage et l’interaction avec les artistes et techniciens indispensables à la scène. Quelques années plus tard, sa rencontre décisive avec Robert Wilson le conduit à se tourner vers l’Opéra. « Pour moi, composer un opéra était simplement une question de passer d’écrire de la musique pour le théâtre à écrire du théâtre musical. C’est avec Einstein on the Beach que s’est faite la bascule. » 6 Pour composer son premier opéra, Glass effectue comme un nouveau voyage vers ce lieu qu’est la musique, mais c’est pour mieux y accueillir l’univers de Wilson. « Nous nous rencontrions une fois par semaine pour déjeuner. Rapidement, la structure de la pièce était établie. C’est allé très vite, étonnamment. Et puis, Bob a commencé à faire des dessins. J’ai pris les dessins, les ai mis sur le piano, et j’ai joué la musique. Il faut comprendre que je suis dans le lieu de la musique la moitié du temps. Le reste du temps, je suis dans le monde ordinaire. Parfois, je regarde le monde de Bob Wilson. Quand je regarde ce monde, la musique est toujours là, mais à ce moment c’est de son monde qu’elle me vient. » 7 La production originale d’Einstein on the Beach, créée en Avignon en 1976 puis reprise en 1984, 1992 et pour une triomphale tournée en 2012, marque l’entrée fracassante de Glass dans le monde de l’Opéra. « Les gens disaient « est-ce que c’est un opéra ? » Nous n’avions jamais pensé que c’en était un jusqu’à ce que quelqu’un d’autre le dise. À l’opéra, les quatre éléments que sont le mouvement, l’image, le texte et la musique entrent en jeu. Si toute œuvre de théâtre fait participer ces éléments à un certain niveau, c’est à l’Opéra qu’ils sont tous utilisés de façon constante. Dès lors, ce que nous avons créé pour Einstein peut être un opéra. Bob Wilson l’avait formulé ainsi : pour représenter Einstein on the Beach, il vous faut un plateau et un proscenium, des cintres, des coulisses et une fosse. Vous pouvez appeler Einstein ce que vous voulez, mais le seul endroit où vous pouvez le jouer, c’est dans un Opéra. Si vous me demandez parmi mes partitions, lesquelles sont des opéras ? Celles qui sont jouées dans des Opéras ! »8 À ce jour, on compte près de 30 œuvres écrites de Glass pour l’Opéra, dont il pense qu’il est la vraie maison des compositeurs.

L’œuvre immortelle

Les tentatives de représenter Einstein on the Beach dans une version scénique autre que celle de ses concepteurs originaux (Philip Glass, Robert Wilson, Lucinda Childs, Christopher Knowles et Samuel M. Johnson) sont rarissimes. La reprise de 2012, produite par Pomegranate Arts avec les maîtres d’œuvre originaux, est l’ultime incarnation d’Einstein de leur vivant. La mise en scène de Daniele Finzi Pasca pour l’Opéra de Genève ouvre donc une nouvelle ère qui verra l’œuvre confrontée au regard d’autres artistes. En 2011, interrogé sur la possibilité que le spectacle puisse être remonté sans eux à l’avenir, Glass répondait « Cela se fera, sûrement lorsque nous ne serons plus là pour nous plaindre. Nous sommes à l’horizon de ce futur. La vraie question tient au processus collaboratif de création d’Einstein, un processus jamais éprouvé comme cela auparavant : comment peut-il être transféré ? » Cette question aussi est posée.

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DO SSIER MIN IMALISME

9  Entretien avec l’auteur, Londres, 2009

Aujourd’hui, Philip Glass est toujours là, et bien là. Et bien qu’ayant diminué la fréquence de ses tournées et concerts pour donner la priorité à la composition, il ne montre aucun signe de ralentissement créatif. Tout juste, cette relative distance avec la scène ne va-t-elle pas sans un certain « lâcher prise » plutôt inédit de la part d’un Glass qui ouvre ainsi avec bienveillance et lucidité son répertoire aux quatre vents des possibles reprises et des nouvelles interprétations. Lors d’une de nos discussions au sujet de son ami le poète Allen Ginsberg, Philip Glass avait évoqué par ces mots la postérité et la vie des œuvres après la disparition de leurs auteurs. « Peu d’artistes ont le privilège de vivre au-delà du moment de leurs propres vies. Nous ne savons pas quels artistes seront encore mémorables dans 10, 20, 50, 100, 200, 300 ans… Nous n’en savons rien. Allen sera l’un des immortels. Les immortels sont ceux qui écrivent pour tout le monde, pour toutes les époques, pas seulement pour le futur, mais aussi pour les gens du passé. N’oubliez pas qu’eux aussi sont toujours là. On peut dire que les poèmes d’Allen ont été écrits pour les guerres troyennes, qu’ils ont été écrits pour les guerres d’Irak, c’est la même chose. Les vrais immortels sont ceux qui écrivent pour tout le monde, peu importe quand ils ont vécu ou lorsqu’ils vivront. »9 Philip Glass esquisse de la sorte un horizon où ses œuvres voyageront sans lui, où ses rêves partageront des lieux où le public pourra lui aussi se rendre. Aux futurs spectateurs de son opéra, il donne alors ce conseil : « Pour tenter de le comprendre, vous devez faire un voyage. Assis dans le public, face à la scène, vous devez parcourir une distance, à la fois métaphorique et réelle. C’est le voyage de cette distance qui personnalise l’œuvre. C’est alors qu’elle devient votre œuvre. Si vous ne faites pas ce voyage, ça ne fonctionne pas. ». À en juger par la portée de son œuvre, son universalité et sa popularité, si rares pour un compositeur contemporain, on ne saurait en douter : l’œuvre de Glass est immortelle. Et son monde musical encore riche de biens des lieux secrets à visiter.

Philip Glass et Ravi Shankar dans un studio d’enregistrement à New York en avril 1990. © Ebet Roberts/Redferns/ Getty Images

Philip Glass et sa partition de Einstein on the Beach, en 1975. © Arthur Casablanca Le Philip Glass Ensemble (PGE) en cercle à l’Université de New York (NYU), avec Arthur Murphy, Steve Chambers, Barbara Benary, Dickie Landry, Jon Gibson et Philip Glass, le 4 février 1971. © Tina Giruara

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Šlaura keller / www.laurakeller.ch


Vers d’autres minimalismes sonores aujourd’hui

Par Antoine Chessex

Existe-t-il de nouvelles formes de minimalisme sonore aujourd’hui ? Il semblerait que l’on retrouve dans différentes pratiques artistiques actuelles une propension à la réduction du matériel sonore permettant d’explorer le son comme phénomène physique et d’interroger l’écoute dans sa multiplicité. En observant certaines de ces pratiques aventureuses de plus près, on s’aperçoit qu’en plus d’avoir parfois des critères esthétiques communs, elles permettent aussi de tracer une cartographie de lieux, d’artistes et de scènes œuvrant de façon souvent fragile et marginale au-delà des genres et des catégories. On découvre ainsi dans ces diverses formes d’exploration sonore, non pas simplement un geste minimaliste comme une unique question esthétique, mais plutôt des approches hétérogènes multiples qui déconstruisent le son et l’écoute. Il sera donc tenté ici d’explorer brièvement certaines de ces aventures en quatre petites excursions hors des sentiers battus.

I) L’air qui vibre Les drones du synthétiseur analogique d’Emma Souharce emplissent l’espace et font vibrer l’air de l’église St-Jakob à Zurich un soir de printemps 2019. Comme dans un rêve éthéré, les textures du dispositif modulaire semblent figer le temps et ouvrent des territoires sonores imaginaires telle une brume électrique dans laquelle l’oreille peut se plonger et dériver vers une expérience abstraite et captivante. La performance est organisée par OOR Saloon, une structure crée par les artistes Anna Frei et Franziska Koch développant une plate-forme essentielle pour la diffusion de pratiques sonore expérimentales à Zurich. En encourageant notamment les discours et positions intersectionels autour du son, les choix d’OOR rappellent que l’écoute est toujours située mais aussi construite culturellement et socialement. II) Du bruit ! Des larsens tranchants comme des lames de rasoir surgissent de l’ampli Fender et s’enchevêtrent dans les attaques bruitistes de la guitariste Nina Garcia. Les cordes sont maltraitées alors que des clusters métalliques abruptes émergent tels des masses dissonantes évoquant une structure monolithique dense faite de boucan et d’électricité. Le geste de Nina Garcia est résolument minimal, le matériel sonore est réduit à l’essentiel. Pas de démonstration virtuose inutile ici, mais une propension à explorer les physicalités du son, de la guitare et de l’amplification résultant dans un tumulte halluciné. Quand elle n’est pas en tournée, Nina Garcia fait partie de l’équipe des Instants Chavirés à Montreuil, un lieu essentiel pour la présentation d’expérimentations sonores allant de la musique improvisée à la Noise et aux arts visuels. En Suisse, on a pu entendre Nina Garcia se produire chez OOR à Zurich mais aussi à la Cave 12 de Genève, autre endroit phare des pratiques sonores aventureuses et internationales. Qu’elles soient minimalistes, maximalistes, radicales ou expérimentales, ces recherches sonores sont toujours farouchement non-commerciales et œuvrent hors des chemins balisés.

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III) Mais si on danse ? Si l’on fait un pas de côté hors des pratiques purement sonores, on pourra remarquer que les travaux de la chorégraphe Cindy Van Acker semblent concrétiser une approche minimale, lorsque la mise en espace d’une de ses chorégraphies (par exemple sa pièce Diffraction de 2011) est pensée en interaction permanente avec le dispositif singulier de la lumière et les textures électroniques statiques de l’artiste sonore Mika Vainio, tragiquement disparu en 2017. Les différents médiums dans le travail de Cindy Van Acker semblent alors pensés non pas de façon hiérarchique, mais bien comme une démarche où les artistes impliqués développent


DO SSIER MIN IMALISME

Antoine Chessex est un artiste suisse né à Vevey et basé à Zurich, dont les travaux assument une grande diversité de formes aux frontières du bruit, des arts sonores et des recherches transdisciplinaires. Il est le rédacteur du magazine Multiple et le curateur du festival Textures. www.soundimplant.com/achessex

1  Salomé Voegelin, Listening to Noise and Silence, Bloomsburry, 2010 2  Juliette Volcler, Contrôle : Comment s’inventa l’art de la manipulation sonore, La Découverte, 2017 3  Annie Goh, Sounding Situated Knowledges : Echo in Archaeoacoustics, Parallax, 23:3, 2017

une approche collective et complémentaire. Ces dernières années, Cindy Van Acker a souvent confié la création sonore de ses pièces à des artistes tels que Louis Schild, Francisco Meirino ou Denis Rollet, tous trois explorateurs sonores aguerris et habitués de la Cave 12 à Genève. En reliant personnalités et lieux de performances en Suisse et en Europe, une cartographie émerge peu à peu, interconnectant de multiples positions exploratoires et aventureuses communes comme autant de contributions fondamentales au paysage culturel actuel.

IV) Pour des études culturelles du son De manière plus générale, penser le sonore aujourd’hui pourrait impliquer la critique d’une pensée musicale normative réduite à des genres et des catégories ou à des perceptions limitées de mélodie et de rythme. Cela implique de confronter l’écoute et le son à des prismes culturels et sociaux, mais aussi d’accorder au bruit toute sa pertinence artistique lorsque celui-ci produit des affects et de la connaissance. Les frontières entre bruit, son et musique deviennent alors floues et l’écoute retrouve une qualité phénoménologique mystérieuse et remplie de doutes. Le son et l’écoute peuvent de fait devenir des phénomènes centraux pour analyser la production de la subjectivité. Les études culturelles du son (sound studies en anglais) développent des positions hétérogènes pour tenter de décrire ces aspects, ouvrant des champs de recherches multiples et passionnants où se croisent les approches scientifiques de nombreuses disciplines souvent mises en résonance avec des œuvres d’art sonores. Les travaux de la chercheuse, artiste et auteure Salomé Voegelin 1 à Londres explorent une philosophie du son et de l’écoute qui s’inscrit dans une démarche d’autres chercheuses actuelles passionnantes telles que Juliette Volcler 2, Marie Thompson ou Annie Goh 3. À leur manière, elles développent des discours pointus sur le son et l’écoute. On regrettera au passage le retard pris par les Hautes Écoles de Musique en Suisse qui passent aujourd’hui à côté des champs de réflexion ouverts par les études culturelles du son. En effet, en prenant le sonore comme point de départ et d’arrivée pour penser le monde, on développe des outils essentiels et complémentaires à une approche purement occulo-centrique si présente dans l’histoire des arts, des sciences et des idées, mais aussi dans une certaine tradition musicale fascinée par la virtuosité graphique d’une partition ou par certains rituels de concert où l’œil serait paradoxalement plus sollicité que l’oreille. L’écoute est de fait toujours orientée, construite et située mais aussi manipulée, contrôlée et forcée. Il s’agirait alors de conceptualiser toute la complexité du champ sonore à travers un geste transversal. Une telle approche permettrait de trouver une continuité directe entre la somme des sons de l’histoire passée et présente des humains et toutes les voix non-humaines de la biodiversité. Il devient alors possible de percevoir la totalité de ces paysages sonores comme autant d’écoutes non-hiérarchisées et subjectives ouvrant des possibilités multiples et hétérogènes d’imagination auditive. De surcroît, penser les qualités relationnelles du son et de l’écoute au-delà de la compréhension normative et anthropocentrée d’une musique qui serait uniquement produite par la figure spécialisée de la musicienne ou du musicien, permet également de réévaluer les relations et l’interdépendance entre toutes les formes du vivant. En ceci, un geste transversal permettrait de conceptualiser de nouvelles ontologies pour penser un autre rapport au monde et à l’existence. On pense par exemple aux travaux de Donna Harraway, d’Anna Tsing ou de Timothy Morton qui tentent de conceptualiser des théories spéculatives pour (re)penser l’articulation humain et non-humain. C’est peut-être aussi le travail des artistes que de tenter de contribuer à imaginer et à explorer ces dimensions-là et de tenter de développer différentes formes de pensée du sensible.

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Sur le fil des minimalismes De Einstein on the Beach à Fall  : mouvement, le grand écart de la forme. Accumulations, soustractions, augmentations, diminutions, juxtapositions, décalages, retardement, ralentissement, accélérations, additions, retournements, toutes ces techniques de composition dans l’espace et le temps se retrouvent dans la plupart des arts et imprègnent d’une manière ou d’une autre les formes minimalistes. Un itinéraire tout en expansion de ce que vous pourrez découvrir ou redécouvrir à la rentrée avec le Grand Théâtre.

Par Clara Pons

Einstein on the Beach

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© Matthieu Gafsou

Clara Pons est metteuse en scène et réalisatrice. Elle travaille à l’intersection entre texte, musique et image. Parmi ses projets récents, un film sur le cycle Harawi d’Olivier Messiaen (2017) ou Lebenslicht (2019) avec la musique de J.S. Bach portée par Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale Gent. Elle est actuellement dramaturge au Grand Théâtre.

Mouvement, image, texte et musique – quatre éléments qui définissent le théâtre musical selon Philip Glass – quatre éléments que partagent les opéras en général. Enlevez toute narration de ces quatre éléments et vous voilà dans le magma de matière vierge qui compose Einstein on the Beach, car sachez qu’il n’y est ni question de Einstein, et encore moins de plage. En revanche, il y a un processus rendu visible et audible. On pense au texte programmatique de Steve Reich en 1968, Music as a gradual process : « Je m’intéresse aux processus perceptibles. Je veux être capable d’entendre le processus qui se déroule tout au long de la musique. L’exécution et l’écoute d’un processus musical graduel ressemblent à tirer en arrière une balançoire, la relâcher et l’observer tandis qu’elle passe lentement, ou à poser ses pieds dans le sable au bord de l’océan et regarder, sentir et écouter les vagues les enterrer progressivement. » Chez nous, les vagues de Einstein on the Beach deviennent images par la poésie acrobatique du maître des vignerons de cet été – on a nommé Daniele Finzi Pasca et sa compagnie. Et celui qui tire le swing, c’est le chef suisse Titus Engel. Son conseil : laissez-vous porter par le courant.

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DR

Qui dit mouvement ne dit pas obligatoirement expression corporelle ou danse. Revenant avec In the Penal Colony à une structure moins expérimentale et narrative si pas dichotomique et moraliste, Philip Glass inonde la nouvelle ambiguë de Franz Kafka du flux continu et périodique d’un quintette à cordes, instrumentation presque ancien régime (celui de la truite de Schubert). C’est l’élément sans doute le plus ironique de cet opéra de chambre que Philip Glass compose du haut de son expérience, 24 ans après Einstein on the Beach et tous les opéras, musiques de films et musiques symphoniques qui s’ensuivirent. Revenant à un ensemble plus intime – comme à ses débuts – mais en optant pour la version viennoise, il laisse deux voix incarner les deux personnages kafkaïens. Deux écueils à la dérive que l’acteur vétéran Johan Leysen sauve des flots glassiens et de la littéralité : dans notre version rekafkaisée, on a remis des bouts du texte original. C’est le texte qui, vox ex machina, active le mécanisme infernal de la machine du jugement humain au centre duquel sont perdus les deux chanteurs, tandis que l’installation vidéo transforme le public tour à tour en tribunal et en témoin du procès, en accusé et en accusateur, acculé dans la passivité de son rôle.

Alexandra Conunova

Minimal Maximal De l’image en mouvement, addition temporelle de points immobiles, centre du mécanisme vidéo de In the Penal Colony, on retrouve le mouvement dans les forces centrifuges et centripètes des ballets de Minimal Maximal. Au processus répétitif de construction de Glass – Concerto n°1 pour violon avec Alexandra Conunova à l’archet, dans Paron de Andonis Foniadakis – viennent s’ajouter maintenant le processus de démultiplication et de foisonnement de John Adams – Fearful Symmetries de Ioannis Mandafounis – et la quête de purification quelquefois classée minimaliste de l’Estonien Arvo Pärt (Fratres, Spiegel im Spiegel, Orient & Occident dans Fall de Sidi Larbi Cherkaoui). Un dialogue qui interroge l’essence même du mouvement. Leur recherche chorégraphique rend visible un autre type de processus : une enquête sur la dynamique des groupes, tour à tour inclusive et exclusive, des mouvements chorégraphiques qui déclinent organiquement et puis presque systématiquement les degrés, les phases, les variations, entre l’abondance et la pénurie, l’égoïsme et l’altruisme, la compétition et l’entraide jusqu’à l’effondrement, l’épuisement et qui sait le recommencement.

Rendez-vous Einstein on the Beach

Minimal Maximal

In The Penal Colony

Opéra de Philip Glass et Robert Wilson Mise en scène Daniele Finzi Pasca

Ballet du Grand Théâtre

Grand Théâtre de Genève jusqu’au 18 septembre

Sur les musiques de Philip Glass, Arvo Pärt et John Adams

Opéra de chambre de Philip Glass Livret de Rudolph Wurlitzer d’après le récit Dans la colonie pénitentiaire de Franz Kafka

Chorégraphies de Sidi Larbi Cherkaoui, Andonis Foniadakis et Ioannis Mandafounis

Grand Théâtre de Genève du 10 au 17 novembre 2019

Mise en scène Clara Pons Salle du Lignon 6 et 7 septembre 2019

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Mon dîner

de rêve

À LA TABLE DE DONALD JUDD Par Véronique Zbinden

101 Spring Street, New York, 2e étage – Judd Art/Work © Judd Foundation. Photo : Rainer Judd

Véronique Zbinden est auteure de plusieurs livres et journaliste, spécialiste de l’alimentation et de la gastronomie. Elle passe beaucoup de temps dans les cuisines et restaurants du monde entier mais aussi dans des lieux plus insolites, de la Laponie aux monastères coréens.

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Et si on organisait, au 101 Spring Street à New York, un pop up, un de ces restos éphémères ? Laissez-moi, dans ce décor minimaliste et néo-industriel de SoHo, qui fut l’appartement et l’atelier de l’artiste américain Donald Judd, me montrer maximaliste en invitations. Comme maîtres de cérémonie, je propose Toshio Tanahashi et Pascal Barbot – autrement dit, le plus occidental des tenzo japonais, ces moines-cuisiniers bouddhistes, et le plus asiatique des étoilés français. Alors le menu pourrait ressembler à ça : / Une feuille de radicchio (trévise rouge amère) renfermant des cerises mi-fermentées et crues, un pétale de rose, du miso rouge, quelques éclats de concombre. \ Un cube de gomatofu et sa fleur de bourrache, purée de fèves, lamelles translucides de radis. / Quelques asperges vertes, mousseline d’agrumes, cubes de pomelo, fine brume de fleurs et d’herbes sauvages, nems et condiment épinards, cumin et piquillos..

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\ Une salade de raiponce et miso de sésame aigre-doux toasté au poivre rose, céleri, pêche, chou-fleur, tomates dattes, / De l’aubergine laquée au miso. \ De l’agneau de lait, curry réglisse, café.

Et avec ça, des champagnes signés sinon rien. Des vins rares du Piémont et du Valais. Des desserts pour qui en redemanderait à base de grands crus de cacao, de baies sauvages, de fraises des bois, d’aspérule odorante ou d’agrumes, de fève tonka et de poivre de Tasmanie, selon la saison. Un menu en forme de voyage qui laisserait un souvenir doux et très long en bouche… Toshio et Pascal sont d’abord allés faire leur marché, moment clé de l’inspiration. Levés aux aurores, ils ont ramené une trentaine de variétés de légumes et fruits, des brassées d’herbes et de fleurs sauvages. Ils ont imaginé leur menu sans recourir à aucun des instruments modernes tels que mixeurs, batteurs, trancheuses et autres robots ménagers. La cuisine de Donald est nue, ça leur va bien. Et la philosophie shojin proscrit l’électricité et les frigidaires au profit de l’humain et de la main, la lenteur, le dénuement, le minimalisme culinaire. Le feu et l’eau seuls, alliés à la fraîcheur la plus absolue, les techniques ancestrales de fermentation. Toshio consacre trois heures par jour à la préparation du gomatofu, à base de sésame moulu. Cuisiner est une forme de méditation. Le processus commence toujours par une réflexion autour des ingrédients, de la saison, la façon de les transformer. Aucun geste, si répétitif soit-il, n’est ennuyeux ni fatigant car tout s’inscrit dans une démarche méditative d’éveil. Ne pas s’attendre à des goûts qui explosent en bouche. Se souvenir que l’ail, l’oignon, le poireau comme la ciboule et condiments cousins sont bannis car considérés comme excitants. Une complexité inouïe pourtant en résulte. Du fait de la multitude des gestes et des apprêts, du lent travail de la main et de l’esprit, sans aucun accessoire. Le feu et l’eau. Le Japonais emporte partout sa batterie de couteaux et de hachoirs, des mousselines pour essorer le lait de sésame, une pierre pour affûter ses lames. Un mortier en bois de palissandre et quelques bols évasés pour moudre le sésame.

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Pascal partage avec Toshio plusieurs instruments fétiches et techniques qui doivent beaucoup à l’Asie, du mortier thaï au wok des vendeurs ambulants ; pas de sauces, ni beurre, ni crème, ni vin, mais des pâtes, des infusions, des bouillons d’algues japonais, des réductions, des essences de fruits. Pas de sel non plus, ou tout comme, et rien ne l’agace autant, dans la cuisine française, que « son recours systématique au sel et au poivre, sans réfléchir ». Lui préfère, selon le plat et avec discernement, le miso, l’anchois, la tapenade, le soja, des jus de viande très concentrés ou des agrumes confits pour apporter leurs notes salées.

« Qui sont ces deux gentlemen de la cuisine zen, nomade et spirituelle, que j’ai convoqués à ce dîner imaginaire chez un des artistes les plus importants de l’après-guerre américain ? Le premier a vécu sa révélation à 27 ans. Renonçant à une voie toute tracée dans les affaires, il frappe à la porte d’un monastère. Et se formera à la tradition shojin avant d’ouvrir son restaurant à Tokyo, dans lequel il interprète, revisite et élargit la notion de cuisine du temple. Un jour, Alain Ducasse est venu manger. Il a invité Toshio au Plaza Athénée pour enseigner à ses collaborateurs, deux mois durant, l’essence du végétarisme. Et puis Toshio a choisi de reprendre la route ; « chef nomade », il parcourt désormais le monde pour faire connaître cette cuisine séculaire liée au bouddhisme zen. Le second a beau être natif d’Auvergne, il a fait son service militaire dans les cuisines de la marine nationale, découvrant « la mangue et la vanille en même temps que le bœuf bourguignon ». Basé à Nouméa, il a visité Tonga, Fidji, la Nouvelle Zélande, l’Indonésie. Là où les pêcheurs font griller leur poisson dans des coques de noix de coco. Les termes « exotique », « fusion » ou « asiatique » ne lui évoquent rien. « Pas question de rechercher l’originalité, c’est juste mon parcours », dit-il. À New York ou à Marfa, Texas, les appartements et ateliers de Donald Judd sont devenus des musées, dans le strict respect du testament qu’il a laissé à ses enfants à sa mort, en 1994. Une immense quantité d’archives y est conservée, intacte. Il y est beaucoup question de mobilier, en particulier les grandes tables à manger, mais pas de nourriture. En cherchant, j’ai l’impression qu’il était minimaliste jusque dans ses menus. Le convive d’un dîner préparé par Judd dans l’hôtel suisse de Eichholteren, près de Küssnacht, qu’il a rénové à la fin des années 1980, parle simplement de « nourriture texane ». À New York, il demandait souvent à ses enfants Flavin et Rainer de préparer les dîners pour ses invités, une cuisine apparemment expéditive. Il n’empêche. Quelque chose me dit que Judd n’aurait pas écarté les repas poétiques et mémorables de Pascal et de Toshio, parce qu’ils ont pour leur travail la même exigence dont il a fait preuve dans son art à lui. Pour nos deux chefs, cuisiner, c’est révéler l’harmonie de la nature, se connecter à Bouddha ou à Dieu, présent dans chaque petite tomate, chaque fruit, légume ou créature vivante. « Ma cuisine, résume Toshio, vise à rendre les gens plus heureux et en meilleure santé… ». Donald Judd disait-il autre chose de ses œuvres ?

« Pas question de rechercher l’originalité, c’est juste mon parcours » Pascal Barbot

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espace2.ch

Espace 2 s’écoute en DAB+ et sur 49



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