grand théâtre magazine n°14 - Migrations intérieures

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Migrations intérieures

n°14
Les Mondes flottants de Sidi Larbi Cherkaoui Le metteur en scène Michael Thalheimer à l’assaut du Graal Maria Stuarda de Donizetti, le choc des reines

Le ballet, un art extrêmement exigeant Accompagner la santé des danseurs

La compagnie de Ballet GTG avec les deux médecins de référence du CMSE Hirslanden Clinique La Colline, la Dre Victoria Duthon et la Dre Silvia Bonfanti (au centre).

Activité à la fois physique et artistique, la danse, quels que soient son style ou son esthétique, exige un engagement physique important et soumet le corps à une charge de travail quotidienne.

Les exigences chorégraphiques de haut niveau soumettent l'appareil ostéo-arti culaire et musculo-tendineux à des solli citations importantes et répétées. Face à une interdisciplinarité grandissante sur la scène chorégraphique contemporaine, on exige de plus en plus de l'interprète des compétences physiques et artistiques extrêmement éloignées. Le Grand Théâtre accorde une place importante aux enjeux de santé dans les parcours professionnels

des danseurs de sa compagnie. Afin de mieux les accompagner dans la manière dont ils incorporent la question de la santé dans leurs pratiques, le Grand Théâtre et le Centre de Médecine du Sport et de l'Exercice (CMSE) de Hirslanden Clinique

La Colline s'associent pour améliorer leur suivi médical. Ainsi, les danseurs bénéficient d'un accès facilité à un pôle « santé » pour des actions de prévention, des bilans, des soins médicaux et para médicaux. Ce dispositif d'accompagne ment se veut proche de leurs réalités, avec un corps médical à même de saisir leurs enjeux professionnels spécifiques et de comprendre complètement ce que c'est que la danse.

Aller vers soi

Migrations intérieures. Vivre ses transformations, les accueillir comme des révélations ou les activer par le travail de notre volonté : n’est-ce pas le parcours que toute dramaturgie impose à ses personnages – cette capacité à rester maître de son jeu, aussi contraires que soient les circonstances ? Tel est le thème que nous avons choisi pour le dossier de ce magazine qui enjambe des spectacles d’allure pourtant très disparate. Mais qu’on songe à Marie Stuart, dans l’opéra de Donizetti, que la rivalité avec la reine Elisabeth Ire, sur fond de déchirements politiques et amoureux, condamne à la mort : n’est-elle pas transfigurée par la dignité qu’elle manifeste devant l’échafaud, cette noblesse d’âme qui figure l’idéal romantique ?

Qu’on songe encore à Parsifal, chez Wagner. « L’innocent au cœur pur » qui ira d’illumination en illumination, relevant Kundry de ses péchés et sauvant la confrérie du Graal de sa plaie mortelle. Tout dans ce « festival d’art sacré » énonce la puissance salvatrice d’une conscience parvenue à l’éveil, dans un jeu de miroirs fascinant avec les pouvoirs transformateurs que Wagner assignait à son « œuvre d’art totale ».

Qu’on songe enfin, d’une manière plus évidente encore, à Sidi Larbi Cherkaoui. « La danse m’a sauvé », dit-il dans la longue interview qu’il nous a accordée. Le nouveau directeur du Ballet du Grand Théâtre mentionne plusieurs éléments fondateurs à son propos. Ce que fut son enfance tiraillée entre plusieurs cultures, et nourrie par elles. Le racisme singulier dont il a été l’objet, lui le fils de Marocain à la peau de lait, qu’on ne rejetait pas pour son apparence mais à cause de son nom. La découverte d’une homosexualité qui heurtait à la fois son milieu maternel, catholique, et paternel, musulman.

De cet environnement contraint de partout, Sidi Larbi Cherkaoui s’est échappé, adolescent, par la danse. Non pas la « grande » danse classique, ni même contemporaine. Mais celle des clips et de la télé. Kate Bush, Michael Jackson. C’est ensuite que s’est construite sa technique, avant que par son contact avec les maîtres flamands de la danse contemporaine, il devienne le danseur virtuose et le chorégraphe qui, dès le tournant du siècle, imposerait sa griffe au monde entier.

et

de

Inaugurant son poste avec la création de Ukiyo-e, une pièce sur la résilience des corps qui chutent et qui pourtant toujours se relèvent, Sidi Larbi Cherkaoui semble s’inscrire naturellement dans le thème de cette saison du Grand Théâtre : la migration est partout dans sa vie. Qu’on remonte à celle de son père Marocain, qu’on interroge ses métissages spirituels, où le bouddhisme prendra une place déterminante, qu’on évoque la rupture culturelle, sociale et familiale provoquée par l’affirmation de ses choix de vie. Qu’on l’écoute enfin dire l’importance du voyage qu’il a entrepris en 2007 en Chine, pour vivre un an dans le monastère Shaolin et y trouver de nouvelles sources d’inspiration.

de

On mesure alors qu’une trajectoire comme la sienne est exemplaire de la disposition à se remettre en jeu perpétuellement. Exemplaire, finalement, de ce que la migration, sous toutes ses formes, est capable de féconder, en apportant diversité, intensité, ouverture, intelligence de l’autre et de soi-même. Et lorsque l’art effectue lui-même cette migration vers des formes inédites, lorsqu’il explore l’inconnu, il devient lui-même force de déplacement, pouvoir de transformation : c’est à la réinvention de soi qu’alors il nous invite, ouvrant notre imaginaire à de nouveaux lendemains.

Bonne lecture !

du

Rédacteur en chef de ce magazine, Jean-Jacques Roth a travaillé dans de nombreux médias romands. Il a notamment été rédacteur en chef et directeur du Temps puis directeur de l’actualité à la RTS avant de rejoindre Le Matin Dimanche, où il a dirigé le magazine Cultura Il a entre autres consacré deux ouvrages au Grand Théâtre.

1UN MAGAZINE PUBLIÉ AVEC LE SOUTIEN du Cercle
Grand Théâtre
Genève,
Caroline
Éric Freymond édito
© GTG | GREGORY BATARDON PUBLICITÉ

La marche du monde, sur LeTemps.ch

Isabelle Huppert:

RUBRIQUES

Édito

Jean-Jacques Roth

Mon rapport  à la danse

Bourget

tire de la danse une force au quotidien »

Regard sur nos partenaires

L’Orchestre avec un grand « L »

la liane à la lionne rétroviseur

Bergame, nid de Donizetti Stefano Montanari explore sa ville Portrait

Tareq Nazmi « Wagner est un poison lent »

le fil

de la chute ou de son évitement mouvement culturel

Édimbourg, capitale historique et résolument moderne de l’Écosse

Wagner et Bouddha : le compositeur s’est pris d’une telle

spiritualité bouddhique qu’il a longtemps

un opéra sur ce thème.

projet de

l’abandonnera au profit de Parsifal, qui garde les traces de cette fascination.

Partir pour devenir, Sidi Larbi Cherkaoui par Jean-Jacques Roth

Shaolin, poussière et lumière, par Christopher Park

Michael Thalheimer, Migrations wagnériennes par Andreas Berger

De monde en monde par Nicolas Boiffin

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34 Éditeur Grand Théâtre de Genève, Partenariat Le Temps, Collaboration éditoriale Le Temps Directeur de la publication Aviel Cahn Rédacteur en chef Jean-Jacques Roth Édition Florence Perret Comité de rédaction Aviel Cahn, Karin Kotsoglou, Jean-Jacques Roth, Clara Pons Direction artistique Jérôme Bontron, Sarah Muehlheim Maquette et mise en page Simone Kaspar de Pont Images Anne Wyrsch (Le Temps) Relecture Patrick Vallon Promotion GTG Diffusion 38 000 exemplaires dans Le Temps Parution 4 fois par saison Tirage 45 000 exemplaires ISSN 2673-2114
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Coulisses 36 De
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Portrait de couverture
Gare Cornavin, Genève nouvelle escale dans les migrations de Sidi Larbi Cherkaoui qui prend la direction du Ballet du Grand Théâtre cette saison et présente sa première création, Mondes flottants dont il partage l’affiche
avec une chorégraphie de Damien Jalet.
C’est
le photographe David Wagnières qui l’a saisi sur
le
quai, puis au cours de la longue interview que
Sidi
Larbi Cherkaoui nous
a
consacrée. Photo : David Wagnières pour le Grand Théâtre Magazine
MIGRATIONS INTÉRIEURES En tournée avec une «Cerisaie» de Tchekhov, qu’elle a jouée à la Comédie dans une mise en scène de Tiago Rodrigues, la comédienne Isabelle Huppert livre son approche du jeu et de la création. © Torchia/NYT/Redus/laif
Article publié le samedi 5 mars 2022
«Mon
plaisir, c’est de répondre à l’at tente d’un metteur en scène»

LINDA BOURGET

« Je tire de la danse une force au quotidien »

Avant d’être journaliste, la productrice de l’émission « À bon entendeur » de la RTS s’est longtemps rêvée danseuse. Elle raconte ce que cette formation lui a apporté.

Pourquoi la danse ?

Que conservez-vous de cette période de votre vie ?

J’en tire une force au quotidien. Comme le dit Irene Cara dans Fame, I’ll be tough, too much is not enough. J’ai grandi avec cette idée de ne jamais abandonner, de toujours m’améliorer, d’aller plus loin. La danse est une bonne école de vie. Dans le milieu, même les plus grands solistes sont corrigés. La critique, l’échec, lorsqu’ils sont constructifs, sont des moteurs pour avancer.

Est-ce que vous dansez encore ?

Née en 1980 à Romanelsur-Lausanne, Linda Bourget se consacre à la danse jusqu’à ses 20 ans. Après avoir raccroché ses chaussons, elle s’oriente vers des études de journalisme à l’Université de Fribourg. Elle travaille d’abord à La Liberté et à L’Hebdo en tant que journaliste économique, puis à la RTS où elle devient correspondante au Palais fédéral. Une expérience dont elle a tiré le livre Engagées ! co-rédigé avec Nathalie Christen et Simona Cereghetti. Depuis 2020, elle est productrice et présentatrice de l’émission « À bon entendeur ».

L’en-dehors, la ligne de jambe, le coup de pied ou encore le marquage des pas… Un langage codé ? Non, le jargon des danseuses que Linda Bourget connaît bien. Avant d’être journaliste, la productrice de l’émission « À bon entendeur » de la RTS a pratiqué la danse classique et contemporaine à haut niveau. À l’École de danse de Genève de Beatriz Consuelo entre autres, puis au Ballet Junior. Sans en avoir fait son métier, elle tire de cette période de sa vie une détermination à toute épreuve. Maîtriser le trac, surmonter les échecs, viser toujours plus haut : la journaliste de 42 ans raconte ce que la pratique de cet art lui a apporté.

À l’âge de 4 ans, mon pédiatre m’a diagnostiqué une scoliose et a conseillé à mes parents de m’inscrire à la danse ou à la natation. J’ai pris mon premier cours de classique dans mon village à Romanel-surLausanne, puis j’ai très vite rejoint une plus grande école lausannoise. La musique, la rigueur, mais surtout la dimension artistique : j’ai tout de suite aimé cet univers. Pour moi, danser était une manière de canaliser mes émotions et de les transmettre au dehors. À l’âge de 10 ans, c’est devenu toute ma vie.

Quel genre d’adolescence vit-on lorsqu’on s’entraîne plus de 20 heures par semaine ?

J’ai toujours su que je voulais devenir danseuse, il n’y avait aucun doute là-dessus et cela me conférait une certaine sérénité.

La danse était au centre de ma vie, tout le reste s’articulait autour d’elle. L’école, par exemple, était secondaire dans mon esprit.

Devoir renoncer à jouer dehors avec des copines ou à participer à des camps de ski pour éviter une blessure peut être perçu comme un sacrifice, mais pour moi la passion dominait tout. Elle ne me coûtait pas, elle me portait.

Danser sur scène ou passer en direct à l’antenne, pour Linda Bourget, suscite une même forme de trac : « Il faut essayer de le dominer, d’en faire une force. Même en cas d’échec, il faut tenir jusqu’au bout ». © Karine Bauzin pour le Grand Théâtre magazine

Comment avez-vous évolué ensuite ?  À l’âge de 13 ans, j’ai intégré l’école professionnelle de Beatriz Consuelo à Genève. Je me souviens des cours qui se prolongeaient au-delà de l’heure prévue parce qu’on répétait encore et encore les sauts qui comptaient parmi mes exercices préférés. On courait ensuite pour prendre le train et rentrer à Lausanne. Les journées étaient longues mais je ne les sentais pas. De 17 à 20 ans, ma maturité en poche, je me suis consacrée intégralement à la danse, classique mais aussi contemporaine, au sein du Ballet Junior de Genève. Une expérience incroyable dont je garde des souvenirs forts et de belles amitiés.

Un souvenir du premier ballet que vous avez vu ?  À 10 ans, je suis partie en stage en Angleterre. J’ai vu Giselle interprété par le le Royal Ballet de Londres, c’était incroyable. La force de l’émotion qui se dégageait sur scène, l’orchestre, le décor, j’étais émerveillée, impressionnée par la beauté du mouvement. Il faut dire que je suis une inconditionnelle de l’école anglaise, par rapport aux courants français ou russe. J’aime son infinie délicatesse.

Quand j’ai décidé que je n’en ferai pas mon métier, à l’âge de 20 ans, j’ai arrêté du jour au lendemain. C’était assez violent, mais à ce moment-là, il n’y avait pas d’entre-deux, c’était tout ou rien. J’ai recommencé 5 ans plus tard, avec une amie danseuse qui avait ouvert une école à Fribourg. Il ne restait que le plaisir, le fun, ce qui était assez nouveau pour moi. J’ai longtemps été torturée par cette question : aurais-je pu faire carrière dans ce milieu ou est-ce que cela se serait réduit à vivoter quelques années avant de devoir me réorienter ? Aujourd’hui, je suis en paix avec ça parce que je sais que la danse a surtout été pour moi une formidable rampe de lancement dans l’existence.

Y-a-t’il des points communs entre vos deux vies ?

Oui, au niveau de l’antenne. Le trac avant un direct ressemble un peu au trac avant une représentation. Il faut essayer de le dominer, d’en faire une force. Même en cas d’échec, il faut tenir jusqu’au bout. Je me souviens d’un spectacle à Beaulieu où je suis tombée en courant dès les premières minutes. Toute la salle a retenu son souffle, j’avais envie de pleurer mais je me suis forcée à sourire, à me relever. C’est pareil à la télévision : en cas de couac, on sourit et on continue.

Êtes-vous une spectatrice de ballet ?

J’ai malheureusement peu de temps pour cela aujourd’hui mais quand je le peux, je vais à Nuithonie ou au théâtre Equilibre à Fribourg. J’aime particulièrement le chorégraphe français Angelin Preljocaj. Ses créations me touchent beaucoup. Je n’ai vu le travail de Sidi Larbi Cherkaoui qu’en différé à la télévision, j’ai hâte de le découvrir au Grand Théâtre.

4 5 mon rapport à la danse

BERGAME, NID DE DONIZETTI

Stefano Montanari explore sa ville

Figure atypique dans le monde musical, Stefano Montanari vit depuis vingt-sept ans près de Bergame, la ville natale de Donizetti, dont il a dirigé Anna Bolena la saison dernière – nous apprenons, au moment de mettre sous presse, qu’il n’assurera pas les représentations de Maria Stuarda en fin d’année pour des raisons privées. Proche de Milan « l’encombrante », la ville commence à apprendre à tirer parti de son formidable capital musical.

Ferdinando Cotugno est un journaliste italien, né à Naples, vivant à Milan.

Son dernier livre s’intitule Primavera ambientale (Le Printemps de l’environnement). Il écrit pour Domani, Vanity Fair, GQ, Marie Claire, Rivista Studio.

Stefano Montanari regarde ses mains et sourit : « Mon premier professeur de musique avait dit à mon père : “Monsieur Montanari, résignez-vous, avec de telles mains votre fils ne deviendra jamais musicien.” Il les trouvait tordues et disgracieuses, et il avait raison. » C’est un matin ensoleillé à Bergame, nous avons rendez-vous au café historique Balzer, un établissement du XVIIIe siècle situé en face du Teatro Donizetti, la plus importante institution musicale de la ville. Malgré ses mains « tordues et disgracieuses », Montanari est devenu l’un des violonistes les plus talentueux de sa génération, puis un chef d’orchestre reconnu à travers le monde. Après avoir dirigé Anna Bolena, il aurait dû poursuivre la « trilogie Tudor » du compositeur de Bergame en dirigeant Maria Stuarda cette fin d’année au Grand Théâtre, mais il a dû annuler pour des raisons personnelles. Il assurera en revanche la direction du troisième volet, Roberto Devereux, la saison prochaine. Montanari a 53 ans et son look est toujours celui qui lui a valu la réputation de maestro le plus anticonformiste de la musique classique italienne : casquette de rock star, veste en cuir, bottines. « La première chose que j’ai faite lorsque j’ai cessé d’être violoniste pour devenir chef d’orchestre a été d’enlever ma

queue-de-pie et de commencer à m’habiller comme je voulais. Pendant un certain temps, j’ai même porté des colliers, des clous et des bagues, mais j’ai arrêté lorsque, lors d’une répétition d’opéra à Bâle, une bague s’est détachée de mon doigt, a heurté un violon de l’orchestre et s’est cassée .»

Fils d’ouvrier et neveu d’agriculteurs, Montanari est originaire d’un petit village de Romagne, une région de mer et de plaines où la musique est appelée « liscio », un genre populaire conçu pour les danses estivales en plein air. Son père Ausano, passionné de musique symphonique, l’avait encouragé, lui et ses sœurs, à étudier la musique. Nous nous rencontrons à Bergame parce que, jeune homme, Montanari était venu par amour s’établir à Nembro, une petite ville située dans l’une des vallées entourant la ville, et n’en est jamais reparti. C’était il y a 27 ans. Sa belle ? Une collègue violoniste, fille d’un grand musicien de jazz, qui est devenue sa femme. « À l’époque, je dormais peu, souvent dans le train, je ne m’arrêtais jamais, je voulais faire tant de choses. »

Dans les années 90, il a joué dans les théâtres de toute l’Europe avec un ensemble de musique ancienne appelé Accademia Bizantina, puis il a été appelé à Bergame simplement parce que le bruit s’était répandu qu’il y avait dans la vallée un jeune violoniste courageux et talentueux. « J’ai vécu plus de la moitié de ma vie ici, tout près de Bergame, et pourtant je ne peux pas dire que je la connais aussi bien que je le voudrais, c’est une ville qui ne se révèle jamais entièrement à ceux qui n’y sont pas nés. »

6 7 ailleurs
Les fortifications vénitiennes de la « ville haute » depuis la Porta San Giacomo. Stefano Montanari devant la porte d’entrée du Teatro Donizetti de Bergame la plus importante institution musicale de la ville.

Au centre de Piazza Vecchia, la fontaine de Contarini donnée à la ville en

par le Doge

même

Le funiculaire de San Vigilio, long de 630 mètres, conduit à un lieu peu fréquenté, point de départ pour des promenades dans le magnifique

Bergame est en train d’apprendre à tirer parti de sa richesse culturelle, sans plus se tenir en admiration devant Milan, qui a toujours é té « proche et encombrante ».

Une installation artistique dans la Via Colleoni, riche d’ateliers historiques d’artisans et d’endroits typiques.

Son itinéraire pour rallier Nembro à Bergame ne varie pas : il se fait à moto et se termine à la « ville haute » de Bergame, d’où la vue est magnifique – c’est la partie historique de la cité, bien conservée, l’un des plus beaux centres médiévaux du nord de l’Italie. « Je m’assieds sur un mur et je regarde tout autour de moi, c’est un paysage qui, les matins lumineux, vous coupe le souffle. » De là-haut, on peut aussi voir la « ville basse » à l’âme contemporaine : riche, assidue, travailleuse, une ville de constructeurs et de fabricants, où la musique n’a semble-t-il que peu de place. Les habitants de Bergame ressemblent aux murs qui, depuis le Moyen Âge, sont les plus réputés du pays. Il faut du temps pour entrer en relation avec eux. « Ce n’est pas une ville accueillante culturellement parlant, parce qu’il y a toujours cette vieille idée que la culture ne rapporte pas d’argent. Mais les choses sont en train de changer : en 2023, elle sera, avec Brescia, la capitale italienne de la culture. Bergame est en train d’apprendre à tirer parti de sa richesse culturelle, sans plus se tenir en admiration devant Milan, qui a toujours été “proche et encombrante”. »

Lorsque je l’interroge sur la maison natale de Donizetti, un petit musée de la « ville haute » dédié au compositeur, Montanari répond que c’est un lieu intéressant, mais qu’il préfère emmener ses amis visiter le Teatro Sociale, fondé au XVIIIe siècle, et réouvert il y a seulement quelques années après des décennies d’abandon, ou le Circolino Arci, consacré à la musique, un héritage du réseau historique d’espaces culturels fondé par le Parti communiste italien.

Il n’empêche : Donizetti reste le musicien le plus emblématique de Bergame, une figure incontournable, celui dont on a fait la plus grande statue, celui qui a donné son nom au théâtre le plus important, qui n’est jamais absent durant une saison d’opéras. « Bergame, cependant, n’a pas réussi à se l’approprier comme Pesaro l’a fait avec Rossini, parce qu’elle manque de vision en matière d’offre culturelle. La relation de Bergame avec la musique est plus spontanée qu’institutionnelle, avec ses nombreux chœurs d’amateurs, ses petits orchestres.

Ce bouillonnement par le bas est agréable, mais il manque la “colle”. » Montanari aimerait aussi que sa ville apprenne à aimer son autre grand musicien, Pietro Antonio Locatelli : « Il fut le premier grand virtuose du violon, l’un des plus grands représentants de la musique baroque. Si vous le mentionnez aux enfants d’ici, ils vous regardent comme si vous aviez cité un “alien”. »

Pourtant, à une époque, Montanari n’était pas si différent de ces jeunes, admet-il en riant. À l’âge de onze ans, lorsqu’on lui a dit qu’il n’avait pas les mains d’un violoniste, la musique classique n’était pas du tout au centre de sa vie. Si son talent en faisait un enfant prédestiné, il rêvait surtout d’être footballeur ou tennisman, et le disque qu’il faisait tourner en boucle était The Wall de Pink Floyd, porte d’entrée d’une adolescence rythmée par des piliers du rock comme Led Zeppelin et Queen. Enfant, il voulait jouer de la trompette, et c’est son oncle qui lui a offert son premier instrument, un violon, parce que c’était moins cher. Le début d’une histoire d’amour. « Je me débrouillais bien, j’avais cette prédisposition naturelle pour le violon, malgré mes mains. Peu après le conservatoire, je jouais déjà dans des orchestres à Milan et en Europe. »

C’est ainsi qu’a commencé, dans les années 1990, le chemin qui l’a conduit à devenir un outsider populaire de la musique classique et d’opéra. Son excentricité n’est pas seulement une question de style, mais aussi de fond : « Je n’essaie jamais de m’inspirer d’une interprétation particulière d’un opéra, je préfère écouter le moins possible ce qui a déjà été fait par le passé, sinon je ne peux pas trouver ma voie. »

La pandémie de Covid a marqué le chef d’orchestre. Bergame est la ville où la contagion a frappé le plus fort en Italie et Nembro, son village, a été l’un des épicentres de la crise sanitaire, un lieu de peur et de douleur pendant des mois. Aujourd’hui encore, les Italiens associent son nom au virus. « Je suis arrivé au début du confinement en provenance de Stuttgart, où je venais de finir de répéter la Juditha triumphans de Vivaldi, j’ai traversé la vallée en train et c’était déjà fantomatique, désolé. »

8 9 ailleurs
1780
du
nom.
Parco dei Colli.

Le chef d’orchestre feuillette une monographie sur les Pink Floyd et se souvient d’une adolescence où il faisait tourner en boucle The Wall.

Montanari, avec la puissance de sa musique, a été l’un des protagonistes de la renaissance culturelle de la province de Bergame après les jours de deuil. En novembre 2020, il a dirigé Le nozze in villa de Donizetti, en streaming dans un théâtre complètement vide. L’été précédent, à la fin du premier confinement, il avait dirigé l’orchestre du Teatro Dal Verme de Milan lors d’une représentation pour les médecins et les infirmières, qui avait commencé juste après minuit, alors que la réouverture des théâtres venait d’être autorisée. De là, il a entamé une petite tournée en guise de remerciement au personnel de santé, qui se terminera à l’Auditorium Modernissimo de Nembro, la ville la plus blessée d’Italie. « C’était l’un des moments les plus émouvants de ma carrière », se souvient Montanari. « J’ai grandi en Romagne, au bord de la mer, j’ai appris à aimer les montagnes ici à Bergame et je suis très attaché aux vallées qui l’entourent, peut-être plus qu’à la ville ellemême. Mon refuge le plus magique est le lac d’Endine. » Il est situé dans le Val Cavallina, au pied des Alpes Orobiques, à une heure de route du Teatro Donizetti.

À 53 ans, Montanari nourrit toujours mille rêves. Parfois, il s’imagine quitter les scènes pour tenir un bar sur une plage lointaine. « Mais je ne sais pas combien de temps j’arriverais à m’éloigner de la musique : mon souhait est d’encourager Bergame à s’ouvrir encore plus à son histoire culturelle, j’aimerais que tous puissent découvrir le plaisir qu’est l’opéra, qu’il peut être une joie populaire. Le Teatro Donizetti devrait toujours rester ouvert afin que les gens puissent y entrer sans billet, pour se reposer et assister à une répétition d’opéra après une matinée de shopping dans le centre-ville. »

Sa carrière a toujours eu pour projet de faire tomber les barrières et de raccourcir les distances entre l’opéra et le rock, par exemple, ou entre l’opéra et le cinéma. En 2021, il a du reste travaillé sur le projet original d’un film-opéra basé sur Gianni Schicchi de Puccini et dirigé par un autre grand franc-tireur de la culture italienne contemporaine, le metteur en scène Damiano Michieletto. « Je ne sais pas combien de chefs d’orchestre auraient accepté, le cinéma est une machine folle, les voix des chanteurs étaient enregistrées en prise directe, nous tournions dix heures par jour, parfois je disais à l’équipe : “Attention, vous allez me les laisser sans voix !” »

La basilique de Santa Maria Maggiore, sur la Piazzo del Duomo : huit siècles de décors, d’histoires gravées dans le bois par Lotto et même la tombe de Donizetti.

Stefano Montanari devant le monument Donizetti qui aujourd’hui encore reste le musicien le plus emblématique de Bergame.

L’itinéraire pour rallier Nembro, où vit Montanari, à Bergame ne varie jamais : il se fait à moto et se termine à la « ville haute », d’où la vue lui coupe toujours le souffle.

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« Les habitants de Bergame ressemblent aux murs qui, depuis le Moyen Âge, sont les plus r é puté s du pays. Il faut du temps pour entrer en relation avec eux. »
Maria Stuarda Du 17 au 29 décembre 2022 gtg.ch/maria-stuarda
rdv.

Tareq Nazmi possède une voix saine qui se développe facilement sur la longue durée. Un cadeau pour le rôle écrasant de Gurnemanz, dans Parsifal, qu’il chantera à Genève pour la première fois.

Française et Genevoise, journaliste et diplômée de piano au Conservatoire de Neuchâtel, Sylvie Bonier a enseigné l’instrument à Genève et collaboré à différentes parutions et radios en France, ainsi qu’à Espace 2 Elle a assuré pendant 40 ans la chronique musicale de La Tribune de Genève puis du Temps auquel elle continue de collaborer occasionnellement.

« Wagner est un poison lent  »

Allemand originaire du Koweït, Tareq Nazmi vient prêter à Gurnemanz son timbre boisé et sa voix dense. L’étoile montante du chant atteint à Genève le firmament wagnérien.

Une demie-année après la naissance du petit, le couple part rejoindre l’Allemagne maternelle. Direction Munich où naîtra le troisième enfant de la fratrie, et où réside toujours le puîné au sourire franc et au contact chaleureux.

Alors, Koweïtien ou Allemand ? « Allemand du côté maternel et Égyptien du côté paternel. Pour obtenir la nationalité koweïtienne, il fallait y avoir étudié pendant neuf ans. »

Pourtant, le Koweït figure fidèlement dans les différentes biographies du chanteur. « C’était une façon de désigner mon héritage et mon nom. Les gens ne savaient pas où me situer. » Aujourd’hui reconnu dans la galaxie lyrique comme artiste européen à part entière, Tareq Nazmi parle un bavarois parfaitement pur, et s’exprime couramment en anglais. Il n’a jamais appris ni parlé l’arabe en famille. Question d’intégration.

Le Koweït. Son désert, son pétrole, sa culture et sa religion. Si loin des coutumes et des codes européens. Comment un chanteur lyrique, originaire de ce si petit pays du Moyen-Orient peut-il s’inscrire dans la tradition du grand répertoire classique ?

En fait, Tareq Nazmi, baryton-basse en plein essor, n’a vécu que les six premiers mois de son existence dans la ville du golfe Persique. Ses parents étaient venus s’y installer car les conditions de professeur de musique étaient meilleures à-bas qu’en Égypte, le pays du père de Tareq.

Alors que la thématique de saison du Grand Théâtre est tournée vers les migrations, la problématique du déracinement et de l’adaptation parle au multinational. « Il y a deux versants. D’un côté, la nécessité de fuite des migrants issus de pays en guerre, de régions climatiquement invivables ou soumises à la famine. Ils n’ont pas le choix de quitter leur pays, et sont heureux de trouver une terre d’accueil. Mais leur réalité n’est pas si simple à vivre. Il est difficile d’endosser une autre culture. C’est une chance, mais aussi un conflit. Pas toujours une heureuse conciliation. »

Aujourd’hui, une autre assimilation occupe Tareq Nazmi. L’imprégnation de Wagner. « Mon premier rôle wagnérien à été le roi Henri l’oiseleur de Lohengrin. Jusque-là, j’évoluais plutôt dans les univers de Verdi, Schubert, Beethoven ou Mozart, notamment. La plongée en Wagnérie a été un saisissement. Je n’imaginais pas être pareillement pris. Wagner est un poison lent. Quand on commence à le fréquenter, il devient rapidement addictif. Plus on l’écoute et plus on descend profondément dans un monde sans fin. Verdi est le roi du chant, Beethoven le ma tre instrumental, et Wagner le seigneur de l’âme. » Chez le démiurge de Bayreuth, c’est l’aspect psychologique qui attire particulièrement Tareq Nazmi. « Pour moi, les mythes germaniques ont trop été pervertis par le pouvoir nazi. Cet aspect m’incite à une certaine distance vis-à-vis de l’histoire. Je suis fasciné par la complexité des caractères et des sentiments des personnages wagnériens. »

Sarastro, dans La Flûte enchantée de Mozart, est devenu un rôle signature de Tareq Nazmi (ci-dessus à droite). Il l’a chanté sur toutes les scènes, comme ici, l’été dernier, au festival de Salzbourg, dans une production de Lydia Steier, en compagnie de Regula Muhlemann (Panima) et Mauro Peter (Tamino).

© Barbara Gindl/ APA/AFP

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Avec Gurnemanz, sage doyen des chevaliers du Graal, la basse munichoise touche à une sorte de rêve. « Deux rôles me captivaient depuis longtemps : Philippe II de Don Carlos et Gurnemanz de Parsifal. Jamais je n’aurais imaginé le chanter maintenant. Lorsqu’Aviel Cahn me l’a proposé, j’ai été pris d’un vertige. Mais la peur passée, j’ai été transporté. » La quarantaine de minutes de chant pratiquement ininterrompu du premier acte ne l’angoisse pourtant pas. Tareq Nazmi avoue avoir la chance de posséder « une voix saine qui se développe facilement sur la longue durée ». L’intrépide interprète ne ressent pas particulièrement la fatigue vocale. « Je n’ai pas besoin de temps pour me chauffer, et plus je chante, plus je me sens à l’aise. » Un cadeau pour la performance vocale, physique et mentale que représente cette immense entrée en matière.

À 39 ans, Tareq Nazmi ne mène pas en solitaire la gestion de son parcours professionnel. Son professeur Hartmut Elbert, qui l’a pris sous son aile dès ses débuts à l’adolescence, l’accompagne toujours. « Il est un peu mon père musical. La confiance réciproque que nous nous portons n’a jamais faibli. Il m’oriente, me conseille et demeure une oreille attentive, bienveillante et exigeante. C’est un précieux soutien pour ne pas abîmer la voix et aborder les bons rôles au bon moment. »

La belle histoire n’était pourtant ni écrite dans le marbre du destin, ni soufflée par le feu d’une passion dévorante. Le jeune apprenti n’était pas spécialement bon élève. Il s’ennuyait ferme à l’école, préférant le foot, le tennis et les copains. Tareq n’attendait qu’une chose : sortir de l’obligation scolaire. Le violon ne lui plaisait pas non plus. « Fils de professeur de musique, je devais jouer d’un instrument. Mais celui que m’avaient destiné mes parents me décourageait. Difficile et précis, il me demandait trop de concentration. La seule chose que j’appréciais, c’était de jouer en orchestre. »

Tareq Nazmi a chanté dans de nombreux opéras de Wagner, comme cette production du Crépuscule des dieux mise en scène en 2013 par Guy Cassiers à Berlin, sous la direction de Daniel Barenboïm (ici avec la Brünnhilde d’Irene Theorin). © imago/ DRAMA-Berlin.de

Dans le chœur de l’école, il manque des voix masculines. Il est invité à rejoindre les rangs : « Essaie, c’est moins compliqué que le violon. Tout le monde peut chanter. Tout le monde a une voix. » La sienne est naturellement timbrée et ne manque pas de caractère. Peu à peu, le plaisir vient. Le groupe, encore, le séduit. L’adolescent aime « faire partie d’un ensemble, et vibrer d’une énergie commune ». Chanter devient un jeu avant de se révéler intéressant. Avec quatre amis et un pianiste, il fonde le Nostalphoniker sur le modèle des Comedian Harmonists, sextuor vocal allemand des années trente. « Avec ce groupe, on pouvait gagner un peu d’argent. C’était mieux que de travailler au supermarché... » De mariages en anniversaires, la voix se développe. Tareq intègre la Bayerische Singakademie où son professeur le guide.

Tareq Nazmi (plein de sang, ici derrière la Lady Macbeth de Marina Prudenskaya) a déjà travaillé avec Michael Thalheimer, qui le mettra en scène dans la prochaine production de Parsifal. C’était pour Macbeth de Verdi, à l’Opéra de Flandre, où il chantait le rôle de Banco. © Opera Ballet Vlaanderen, Annemie Augustijns

Il affine sa technique, enrichit son style et peaufine son registre. Mozart et le répertoire choral de Bach forment son goût avant une audition décisive à l’Opéra Studio de Munich.

La scène, enfin ! C’est dans la Flûte enchantée qu’il se révèle à lui-même, et aux autres.

« La position de soliste a transformé mon rapport au chant, ma confiance en ma voix et en moi. Tout s’est mis en place. J’ai adoré l’expérience hors de la communauté chorale. La liberté d’expression artistique personnelle a provoqué une ivresse nouvelle. Le choix et la responsabilité des options musicales m’ont enthousiasmé. Retourner dans un ensemble me paraîtrait difficile aujourd’hui. » Cela tombe bien, les grands rôles l’attendent.

Au Grand Théâtre de Genève Parsifal

Du 25 janvier au 5 février 2023 www.gtg.ch/parsifal

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rdv.

L’Orchestre avec un grand « L »

Du haut de ses 30 ans, L’Orchestre de Chambre de Genève (L’OCG) distille une énergie particulière, celle d’une formation à la fois jeune et chevronnée, qui place son activité musicale sous le signe du partage, du plaisir et de la découverte. Son effectif de type Mannheim – particulièrement bien adapté aux œuvres du XVIIIe siècle –pourrait cantonner l’orchestre dans le répertoire classique, mais il n’en est rien. L’OCG présente en effet une programmation riche, originale et audacieuse, mêlant musique ancienne, classique ou contemporaine au jazz et aux musiques actuelles.

Diplômée en Musicologie et Français moderne, Aurore CalaFontannaz prépare actuellement une thèse à Sorbonne Université sur le compositeur Louis Niedermeyer. Elle travaille parallèlement au Centre de documentation de la Fondation Niedermeyer à Nyon et pour les Rencontres Culturelles de la Vallée de Joux.

En 1992, le Collegium Academicum devient L’Orchestre de Chambre de Genève. Ce nouveau nom doit permettre à l’ensemble d’affirmer son identité en tant que formation de chambre, aussi bien que sa vocation professionnelle. Il laisse ainsi de côté un titre à la connotation jugée peut-être trop scolaire. « Ce changement de nom donne l’occasion d’enterrer définitivement l’ambiguïté d’un statut semi-professionnel », expliquait alors son directeur, Thierry Fischer, au Journal de Genève 1 .

L’OCG succède donc au Collegium Academicum, fondé en 1958 par Robert Dunand, tout en reprenant le nom d’un premier « Orchestre de chambre de Genève » actif dans les années 1950-19602. Détail typographique : L’Orchestre de Chambre de Genève s’écrit avec un « L » majuscule, pour se distinguer d’autres formations qui partagent les mêmes initiales, à l’image de l’Opéra de Chambre de Genève. Du Collegium Academicum, le nouvel orchestre hérite d’une forte curiosité pour les œuvres peu connues, voire inédites, ainsi que d’un penchant prononcé pour la création contemporaine. Sous la direction de Thierry Fischer, premier chef de l’orchestre, les grandes œuvres classiques et romantiques s’ajoutent aux programmes, dans le but de toucher un public plus large3 .

Adepte d’une vision collaborative de la culture, L’Orchestre de Chambre de Genève présente une programmation en interaction avec un nombre important d’acteurs et d’institutions, de Genève ou d’ailleurs. © Raphaelle Mueller

Aujourd’hui encore, L’OCG navigue dans un parfait équilibre entre les œuvres les plus connues comme les plus rares, allant de la période baroque au XXIe siècle. Les collaborations mises en place avec le Grand Théâtre pour la saison 2022-2023 témoignent de cet éclectisme. Ainsi, alors que le célèbre opéra La Juive de Fromental Halévy ouvre la saison, L’Orchestre de Chambre de Genève se joint au Grand Théâtre pour proposer en version de concert l’opéracomique L’Éclair, œuvre plus confidentielle du même compositeur. Une semaine plus tard, c’est au tour de l’opéra de se déplacer au

Bâtiment des Forces Motrices pour célébrer le 30e anniversaire de L’OCG, avec un délicieux Apéropéra. Mais ce n’est pas tout ! Pour fêter la reprise des collaborations entre les deux institutions, quoi de mieux que de terminer l’année ensemble ? Le 31 décembre, L’Orchestre de Chambre de Genève participera en effet au traditionnel Concert de Nouvel An du Grand Théâtre avec les œuvres joyeuses et colorées de Jacques Offenbach. La musique contemporaine et électronique ne sera pas en reste en 2023 avec le projet Électrofaunes : une rencontre hors les murs entre L’OCG et le Ballet du Grand Théâtre, savamment menée par le chef Marc Leroy-Calatayud.

Adepte d’une vision collaborative de la culture, L’Orchestre de Chambre de Genève présente une programmation en interaction avec un nombre important d’acteurs et d’institutions, de Genève ou d’ailleurs. La plupart de ces partenaires sont issus du milieu culturel, mais aussi des milieux sociaux ou éducatifs. De l’Amérique latine au MoyenOrient, L’OCG se produit aussi régulièrement à l’étranger. Il est de plus l’invité de nombreuses manifestations, telles que le Paléo Festival – qui avait déjà convié en 1991 le Collegium Academicum à donner le premier concert classique sur la plaine de l’Asse –, le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence ou encore Les Athénéennes.

À l’heure de fêter sa trentième bougie, L’Orchestre de Chambre de Genève s’est entouré d’une dizaine de partenaires pour proposer, sur trois jours, une trentaine d’événements. « Une telle fête ne saurait se concevoir sans ses amis », pouvait-on lire sur le programme de ce festival. Un festival à l’image de L’OCG : « rassembleur et jubilatoire

».

1 Isabelle Mili, « Nouveau patronyme : Le Collegium Academicum vient de changer de nom, sans pour autant renoncer à sa vocation de “tremplin” pour les jeunes virtuoses », Journal de Genève et Gazette de Lausanne (8 octobre 1992), p.27.

2 Claude Tappolet, La Vie musicale à Genève au vingtième siècle Genève, Georg, cop. 2003, t. II, vol. 2, p. 1-2.

3 Tappolet, op. cit., p. 17 et 19.

, avec le Ballet du Grand Théâtre

et 28 janvier 2023

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À l’Usine Electrofaunes
Les 27
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PARTIR POUR DEVENIR

Qu’est-ce qui nous fait, qu’est-ce qui nous change ? Quelles

nous-mêmes ? De l’itinéraire

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du Grand Théâtre, Sidi Larbi Cherkaoui , la notion de déplacement intime est centrale.

vers la danse, pour ce dernier, l’a sauvé.

«Je crée beaucoup de pièces, comme un peintre qui travaille sans cesse pour savoir mieux peindre.

Je me dis qu’un jour je ferai une très bonne pièce : ça tient au moment, aux danseurs, à la musique, à tellement de facteurs… »

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« Vers l’âge de 15-16 ans, j’ai décidé de ne plus faire semblant. Et à 17 ans j’ai dit : c’est moi, c’est à prendre ou à laisser. Je vais essayer d’être le plus courtois possible, mais en même temps je vais être clairement moi-même. »

C’est

une fin de journée où tout a pris du retard. Il y a eu des interviews de tous les côtés, les heures de répétition pour sa prochaine création avec le Ballet du Grand Théâtre dont il vient de prendre la direction, et il commence à avoir faim. Mais Sidi Larbi Cherkaoui s’installe avec la disponibilité d’un sage au sortir de sa méditation. Petit prince aux yeux doux : il a 46 ans et il n’a pas d’âge, comme si l’adulte laissait aujourd’hui à l’enfant la place que ce dernier n’avait pas eue.

Parler de migrations avec lui ? Facile : sa vie en est tissée. Avec en guise d’origine une migration fondatrice, celle de son père marocain venu en Belgique, où il épouse une Flamande catholique.

Dans la famille, la question restera toujours ouverte de savoir où s’établir : rester en Belgique, partir au Maroc ? Ce tiraillement aura des aspects positifs : « C’était une mise en perspective constante de ce qu’est la culture. »

D’autant que d’autres données interviennent dans cette équation : « On parlait français ou anglais à la maison, on regardait la télé française, c’est elle qui m’a formé. Ce dédoublement des cultures, c’était comme des fractales. Et puis, j’étais homosexuel, et cet aspect entrait en conflit avec mes deux cultures, marocaine et flamande, avec autant de résistance dans ces deux mondes. »

Sidi Larbi Cherkaoui a la peau claire mais le nom foncé. Il a ainsi vécu « une forme de racisme très intéressante ». « Je n’étais pas rejeté à cause de mon apparence, mais de mon nom. Il y avait une méfiance liée à mes origines et pas à ce dont j’avais l’air. Je ne comprenais pas pourquoi on ne me faisait pas confiance. Ça m’a conduit à vouloir rassurer tout le monde autour de moi. Au début, je pensais que le problème venait de moi. Plus tard, j’ai compris qu’il était chez eux. » Cette enfance est comme une chambre close, où les contraintes sociales posent des verrous sur toutes les issues. « J’étais assez en paix avec moi-même mais le problème, c’est que les autres n’étaient pas en paix avec moi. J’avais l’impression que je ne méritais pas d’être sur terre. La conscience du mérite, d’avoir de la valeur, est venue avec le temps. J’ai toujours été en train de prouver quelque chose, au niveau intellectuel, éthique. Je voulais être le premier de la classe. J’éprouvais une sorte de panique à l’idée d’être jugé pour qui j’étais, d’où je venais. »

La danse surgit alors, sous l’influence des vidéos de Kate Bush. Elle l’entraîne vite très loin, grâce à ses exceptionnelles facultés virtuoses. Un premier prix pour le meilleur solo de danse belge, à Gand, le révèle. Il se produisait dans des shows télévisés, le voici qui part se former auprès de la prêtresse de la danse flamande, Anne Teresa De Keersmaeker. Il travaille avec des compagnies de hip-hop et de modern jazz, intègre les ballets C de la B d’Alain Platel où il participe comme danseur et bientôt comme chorégraphe.

Tout s’enchaîne : sa première pièce, Anonymous Society, s’apparente à une comédie musicale où il danse sur des chansons de Jacques Brel. Elle reçoit trois prix et une année plus tard, en 2000, Rien de rien remporte le Prix Nijinsky de Monte-Carlo et l’impose sur la scène internationale qu’il ne quittera plus, créant sa troupe Eastman en 2010, prenant en 2015 la direction artistique du Ballet royal de Flandre à Anvers, épicentre d’une carrière qui l’aura vu arpenter aussi bien les plateaux de Broadway que ceux de l’Opéra de Paris, régler le clip « Apeshit » pour Jay-Z et Beyoncé au Louvre ou collaborer avec des artistes contemporains tels que Marina Abramovic et Anthony Gormley. Migration spectaculaire : celle qui emporte un individu hors de son milieu, mettant à mal les loyautés familiales, culturelles et sociales. Soudain, sa dynamique jusque-là figée se transforme en geyser. « Vers l’âge de 15-16 ans, j’ai décidé de ne plus faire semblant. Et à 17 ans j’ai dit : c’est moi, c’est à prendre ou à laisser. Je vais essayer d’être le plus courtois possible, mais en même temps je vais être clairement moi-même.

»

Ce mélange de douceur et de détermination est un trait frappant chez Sidi Larbi Cherkaoui. Comme sa manière de relire ses traumatismes à la lumière de leur transmutation. Il est capable de vous dire « j’ai failli mourir plusieurs fois » sans amertume dans la voix, uniquement pour signaler que les coups qu’il a reçus, jeune, l’ont « fait assez fort pour tenir debout ». Il évoque sa rupture adolescente avec la même sérénité, alors qu’on suspecte qu’elle n’a pas été sans déchirements. « Je n’aime pas trop penser sur ce niveau-là, objecte-t-il. La vie, c’est un peu tout à la fois. Expérience ou traumatisme ? Avec l’âge, j’ai tendance à considérer les choses très dures que j’ai traversées comme des expériences utiles, même si elles étaient lourdes pour l’enfant que j’étais. »

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« Je n’étais pas rejeté à cause de mon apparence, mais de mon nom. Il y avait une méfiance liée à mes origines et pas à ce dont j’avais l’air. Je ne comprenais pas pourquoi on ne me faisait pas confiance. Ça m’a conduit à vouloir rassurer tout le monde autour de moi.»

Avec Faun (cidessus) et Noetic, Sidi Larbi Cherkaoui a fait ses premiers pas de directeur du Ballet du Grand Théâtre dans le cadre de La Bâtie-Festival de Genève. Faun avait été créé en 2009 à Londres, au Sadler’s Wells. © Gregory Batardon

En réalité, les enjeux de sa décision se révéleront très élevés. Car la danse n’est pas seulement une vocation pour Sidi Larbi Cherkaoui, elle représentera bien plus que cela : une liberté et une guérison. « La danse m’a sauvé. Elle m’a permis de digérer mon passé, c’était ma seule manière de trouver la santé. Tout le reste était en train de m’anéantir. Elle m’a aussi permis de trouver ma parole, qui était bloquée par trop d’émotions contenues. Somatiquement, tout était tellement noué dans mon corps… Avec la danse, j’ai pu débloquer des choses qui font que ma parole est plus fluide. Si j’ai du succès, c’est en partie parce que je sais m’exprimer et parler de mon travail. C’est important de pouvoir aider les gens à comprendre ce que l’on fait. »

Ce besoin de ne rien renier, de vouloir faire cohabiter les pôles de son expérience et de ses cultures, est un marqueur du travail artistique de Sidi Larbi Cherkaoui. Des puristes ont pu lui reprocher ses accointances avec la culture pop, alors qu’il peut par ailleurs créer des pièces très complexes. « J’ai eu la chance de grandir avec une vision assez inclusive du monde. Dans l’idée de migration, il y a pour moi la notion de plaisir, celui de la rencontre : comprendre que l’autre est comme nous et en même temps très différent. En réalité, on est soi-même plus différent qu’on ne le croit de l’idée qu’on se fait de nous-mêmes. »

Il y a donc ce respect des cultures populaires, qui ont été l’un des véhicules de son voyage en danse – une migration heureuse : « Chaque chose m’a amené ailleurs. Grâce à Kate Bush ou Michael Jackson, j’ai pu me connecter à des formes de danse qu’il m’était possible de reproduire, et chaque chose m’a amené plus loin, à des styles et des techniques de plus en plus complexes. Il faut parfois passer par Beyoncé pour aller au Louvre. »

Sidi Larbi Cherkaoui a créé Sutra (ci-dessus) en 2008 avec des moines Shaolin. Conçue comme « un spectacle tout simple », la pièce a tourné pendant dix ans après avoir été invitée au festival d’Avignon. Elle sera à Genève en février prochain. © Robbie Jack/Corbis/Getty Images Dans Noetic (ci à gauche), ode à l’énergie vitale, le décor géométrique du sculpteur Anthony Gormley est rempli de perches en fibre de carbone qui semblent figurer les règles figées de la ville, dont les danseurs tenteront de briser les cycles immuables. © Gregory Batardon

À l’inverse, il revendique des pièces difficiles d’accès, celles où il demande aux spectateurs « d’entrer dans (son) univers ». « Là, c’est mon temple, c’est ma religion. Essayez de suivre mais ne vous en faites pas si tout n’est pas accessible. » Sa démarche s’est cependant souvent confrontée à la question de la réconciliation entre les extrêmes : « Je dois trouver le juste équilibre pour être compris mais sans me perdre par excès de simplification. Jeune, on m’encourageait à beaucoup simplifier mes spectacles. Alors je m’exécutais, je faisais des exercices de style pour prouver aux gens que je savais faire ce qu’ils voulaient. Mais ce qui me plaît, c’est la multiplicité des couches. Et au fur et à mesure, le public a commencé à comprendre mon travail. Il m’a fallu du temps. C’est pour cela que je crée beaucoup de pièces, comme un peintre qui travaille sans cesse pour savoir mieux peindre. Je me dis qu’un jour je ferai

une très bonne pièce : ça tient au moment, aux danseurs, à la musique, à tellement de facteurs… »

Dans son parcours, une migration a compté plus que les autres. « C’était en 2007, je traversais une crise après 7-8 ans de bataille dans le milieu. Je tournais en rond, j’aurais pu continuer comme ça pour l’éternité. Alors je suis parti en Chine, au temple Shaolin (lire notre article en page 26). J’y ai trouvé une spiritualité et un art martial, ça m’a libéré de la danse. Ça a été un déplacement énorme, sur tous les plans : tout était compliqué, le froid, le choc des cultures… Mais en même temps, j’ai eu un vrai plaisir à perdre tous mes repères. Je pouvais recommencer à zéro. Pour moi, le bonheur est souvent d’avoir le droit de faire table rase du passé. Le passé, c’est lourd même quand il est heureux. On vieillit de porter son passé. Si on peut l’effacer, on peut marcher la tête haute, être quelqu’un de nouveau. Cette pensée m’aide beaucoup dans les moments difficiles.

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«La rencontre avec les moines de Shaolin a ouvert une partie de mon cœur et de mon esprit à une forme de liberté. J’ai pu voir les choses à travers un autre prisme. J’ai pris un nouvel élan, trouvé une nouvelle logique.»

La rencontre avec les moines de Shaolin a ouvert une partie de mon cœur et de mon esprit à une forme de liberté. J’ai pu voir les choses à travers un autre prisme. J’ai pris un nouvel élan, trouvé une nouvelle logique. J’ai en particulier compris ce que les anthropologues connaissent bien : le rapport de la danse avec le rituel. À travers les rituels, on peut réorganiser les traumas de manière à les digérer. » De ce long séjour est né Sutra, un spectacle que Sidi Larbi Cherkaoui présentera en février au Bâtiment des Forces Motrices. « C’est un spectacle tout simple, en fait, mais c’est devenu un grand truc, qui est allé au Festival d’Avignon et qui a tourné pendant dix ans. » Parmi les choses qui ont alors changé son rapport à la danse, il y a la conscience de l’importance du système nerveux. « C’est beaucoup plus intéressant que les muscles. Le système nerveux est comme un poulpe à l’intérieur de notre corps, ou comme un arbre. Et quand on se voit comme un arbre dans le vent, les gestes deviennent plus fluides, plus doux. C’est une remise en question du corps tout entier. J’essaie de trouver un espace où le corps n’est pas en train de gonfler mais d’éclore. Ça vient du fait qu’on m’a longtemps demandé de me taire, de ne pas exister, de ne pas prendre ma place. C’est aussi ce que, souvent, on se demande les uns aux autres. Ça compresse les gens jusqu’à les anéantir. Comme si on vous imposait un bâillon. Être artiste, c’est retirer le bâillon. » Le voici aujourd’hui à Genève, où il prépare sa première création avec le Ballet du Grand Théâtre. Ce sera Mondes flottants, un spectacle en deux pièces dont il signera la seconde, Ukiyo-e, invitant pour la première le chorégraphe Damien Jalet, son complice de toujours, avec la reprise de Skid, créé en 2017.

C’est donc encore une migration, la première que Sidi Larbi Cherkaoui effectue pour s’occuper d’une compagnie ailleurs que chez lui, en Flandre, où il va continuer de travailler avec sa propre troupe Eastman. « J’aurais pu rester encore trente ans Flandre, mais j’avais le sentiment qu’il me fallait encore apprendre. Je connais bien le Ballet du Grand Théâtre, mon prédécesseur, le regretté Philippe Cohen, m’avait confié une création en 2005, Loin, la première que j’ai effectuée avec une compagnie de répertoire. Il y avait donc ici une relation qui

Sidi Larbi Cherkaoui avait collaboré avec le chorégraphe

Damien Jalet (artiste associé du Ballet cette saison) et l’artiste Marina Abramović pour mettre en scène l’opéra de Debussy Pelléas et Mélisande. Créée en 2018 à l’Opéra de Flandre, la production a été reprise au Grand Théâtre au beau milieu de la pandémie, et n’a donc pu être vue qu’en streaming.

me semblait juste. Et je ressens une telle paix à venir à Genève. Ici je suis vraiment un étranger, et c’est tout à fait acceptable qu’on me traite comme tel. Je suis moins vexé qu’en Flandre où on continue de me dire que “je ne suis pas d’ici”. Alors que ma mère est née en Flandre, et ma grand-mère, etc. Les enfants de mon frère sont un quart marocains mais leur nom “n’est pas d’ici”. Combien de générations faut-il pour qu’un nom devienne “d’ici” ? Peut-être que ça ne vient jamais. C’est terrible car on ne respecte pas l’histoire de ces migrants. Il faut arrêter de penser que la fierté d’une nation est liée à une couleur de peau ou à la toponymie des noms. » Avec une pointe d’humour, Sidi Larbi Cherkaoui a coutume de dire : « Je suis arabe, blanc, homosexuel et végétarien. Je pourrais faire n’importe quoi, ce serait un acte politique. » Cette expérience de vie singulière, d’une marge à la fois subie et revendiquée, vient percuter les nouveaux courants antiracistes, postcoloniaux, féministes, de genre et écologiques, dont le monde

Avec Loin (ici à droite), Sidi Larbi Cherkaoui faisait ses débuts à Genève, à l’invitation du directeur du ballet Philippe Cohen. Cette première collaboration avec une compagnie de répertoire a marqué une étape importante dans la carrière du chorégraphe.

© GTG Mario Delcurto

artistique est souvent un foyer privilégié. S’en sent-il proche ? « C’est intéressant, oui. Même si comme tout le monde, j’ai peur de dire quelque chose de travers. On fait tous un peu attention, mais c’est une vigilance assez naturelle. J’ai subi de telles censures, jeune, quand on ne parlait pas du tout d’homo sexualité, que les autocensures actuelles me paraissent beaucoup moins injustes ! Devoir demander à quelqu’un s’il est il, elle ou iel ne me pose pas de problème. Ça parle de diversité. Oui c’est complexe, mais j’ai toujours adoré la complexité. Ça ne me fait pas peur, au contraire, ça me rassure. Ce n’est pas noir ou blanc. Mon identité est comme cela : il y a du christianisme, de l’islam, du bouddhisme, de l’agnostique, des contacts merveilleux avec l’hindouisme et même une perception animiste des choses. Quand je crée, l’environnement tout entier m’apporte son énergie : elle peut venir des gens, mais aussi des arbres, des pierres... Le monde entier est source d’inspiration. »

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Au Grand Théâtre de Genève Mondes flottants

Du 19 au 24 novembre 2022 www.gtg.ch/mondes-flottants

Au Bâtiment des Forces Motrices Sutra

Du 16 au 19 février 2023

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«J’essaie de trouver un espace où le corps n’est pas en train de gonfler mais d’éclore. Ça vient du fait qu’on m’a longtemps demandé de me taire, de ne pas exister, de ne pas prendre ma place.»
«J’ai toujours adoré la complexité. Ça ne me fait pas peur, au contraire, ça me rassure. Mon identité est comme cela.»

Le temple de Shaolin est connu pour sa tradition d’arts martiaux, que le moine Bodhidharma aurait imposé pour discipliner une communauté en proie à la paresse et au laisser-aller.

Un abbé de Shaolin avait écrit un poème, vers 1250, qui commence ainsi : 福慧智子覺,了 本圓可 悟, « Bienheureux le jeune sage qui atteint la conscience », Ayant intégré l’ensemble, il pourra comprendre ».

Christopher Park a passé sa jeunesse à enjamber l’Atlantique Nord, entre son Canada natal et l’Écosse d’où venait son père. La frustration de ne pas comprendre ce qui était écrit sur une boîte de crayons de couleur importée de Chine qu’on lui offrit pour ses 7 ans lui a donné envie de devenir sinologue. Son karma était de travailler pour le Grand Théâtre de Genève comme rédacteur.

SHAOLIN , poussière et lumière

La poussière… partout la poussière dans cette Chine non asphaltée de l’an de grâce 1984. Le vent sec d’une journée grise de novembre soulève une poussière qui estompe un peu plus les couleurs déjà flétries des murs d’enceinte rouges du monastère de Shaolin, devant lequel un autocar rempli d’étudiants japonais et britanniques vient de se stationner, soulevant à son tour

encore un peu plus de poussière. J’imagine qu’à l’heure qu’il est, le terrain de stationnement des autocars de tourisme du monastère de Shaolin doit être immense, bitumé et récuré par des vigiles sanitaires masqués qui scannent les passes covid des touristes, en ce moment surtout chinois, qui visitent.

Je faisais partie du contingent britannique : l’université d’Édimbourg, où j’étudiais un bachelor de chinois, avait un programme d’échange de deuxième année avec l’université du Shandong, sise à Jinan, capitale provinciale typique de cette Chine en costume Mao et en bicyclette qui se relevait encore du chaos économique et social de la Révolution culturelle. J’avais 18 ans.

Nos enseignants chinois nous avaient organisé un voyage d’études, baptisé pompeusement 西遊記 Xī Yóu Jì, « La Pérégrination vers l’Ouest », du nom du célèbre roman fantastique chinois, mettant en scène le moine Xuan Zang qui partit en Inde étudier et traduire les soutras bouddhistes du sanskrit en chinois, et qui les ramena en Chine, monté sur un cheval blanc et escorté par Sun Wukong, le Roi des Singes et ses compagnons. Nous allions visiter quelques sites historiques du Henan, dont Shaolin, puis continuer vers l’ouest et le Sichuan. Je suis rentré après à Jinan par mes propres moyens, descendant le Yangtsé en bateau jusqu’à Shanghai, mais ceci est une autre histoire. Bien que ne parlant qu’un chinois approximatif, nous étions dans l’ensemble assez conscients de la nature du lieu que nous allions visiter. Les Japonais surtout, mais ils avaient une longueur culturelle d’avance sur nous, les Édimbourgeois.

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Berceau du bouddhisme zen associé aux arts martiaux, le temple chinois Shaolin a hébergé Sidi Larbi Cherkaoui pendant une année. Source de renouvellement de son regard sur la danse et d’inspiration du spectacle Sutra, qui viendra en février au Bâtiment des Forces Motrices, le temple a été l’objet d’une visite singulière pour Christopher Park. Il l’évoque ici.

Le monastère est le berceau de l’école chán, mieux connue sous son nom japonais de zen car c’est au Japon qu’elle connut son plein épanouissement.

La traduction japonaise du roman fait partie des lectures de jeunesse, comme le Seigneur des anneaux pour nous. Mais nous avions tous vu à la télé la série d’animation japonaise Saiyuki (que la BBC diffusait depuis 1979 sous le titre de Monkey) et dont le héros, sous son nom japonais de Son Gokū, était célébré dans la chanson du générique comme « the punkiest monkey that ever popped ». Sun Wukong, dont le prénom même (« Comprendre le vide ») a une forte connotation bouddhiste, était la star de la série par sa force, sa rapidité et ses pouvoirs magiques extraordinaires, mais également à cause de son naturel espiègle et son passé d’irrépressible trouble-fête.

Et voilà comment nous avons débarqué de notre autocar sur l’esplanade de Shaolin. Les Japonais, évidemment, connaissaient tous l’endroit : le monastère est le berceau de l’école chán, mieux connue sous son nom japonais de zen car c’est au Japon qu’elle connut son plein épanouissement.

Et puis les culbutos de papier mâché appelés daruma sont omniprésents au Japon, comme porte-bonheur ou pour faire des vœux de chance et de prospérité. Leur nom vient du moine indien Bodhidharma, qui selon la tradition vint enseigner la contemplation dhyāna, en sanskrit) à Shaolin et y contempla, comme travaux pratiques, un mur de pierre pendant neuf ans sans bouger. Le temple est célèbre pour ses vestiges culturels et architecturaux, dont une Forêt de Pagodes et une Forêt de Stèles. Mais Shaolin est surtout connu

Le jour où nous avons visité Shaolin, aucun moine kung-fu n’était de service. On nous avait expliqué, avec force sourires gênés, que les moines martiaux étaient aussi en « voyage d’études », sans doute partis pour quelque destination lointaine rejoindre les pandas, les artistes de cirque et les joueurs de ping-pong que la Chine de Deng Xiaoping envoyait de par le monde en guise de diplomatie bienveillante. Quand on voit les tweets des ambassadeurs chinois de nos jours, on se dit que les choses ont bien changé…

pour sa tradition d’arts martiaux, que Bodhidharma lui-même aurait imposé pour discipliner une communauté en proie à la paresse et au laisser-aller. Comme tout enfant des années 70, j’avais été exposé (sans grand enthousiasme, j’étais corpulent et je portais des lunettes) aux films d’arts martiaux produits à la chaîne et diffusés dans le monde entier par les célèbres studios Shaw Brothers de Hong Kong, qui avaient eu la mauvaise idée de ne pas engager un certain Bruce Lee à ses débuts, qui par la suite tourna exclusivement pour le studio rival, Golden Harvest. Sur les plus de mille longs-métrages produits par les Shaw Brothers, il en a au moins 30 dont le titre mentionne Shaolin. J’avais dû en voir un au drive-in pendant les vacances d’été 1976 au Nouveau-Brunswick, peut-être Shaolin Temple avec Alexander Fu Sheng. Au XVIIe siècle, Fan Shiyu (joué par Fu Sheng), un jeune homme dont le père a été assassiné par les Mandchous, demande refuge aux moines de Shaolin et va s’entraîner nuit et jour pour protéger le temple contre l’invasion annoncée des méchants Mandchous. C’était comiquement mal doublé en anglais, les cascades feraient rire la génération Z habituée aux animations live action, mais nous on trouvait ça vachement bien.

J’avoue avoir surtout eu très froid ce jour-là, à errer dans les sombres salles caverneuses (et poussiéreuses) d’un temple bouddhiste chinois, encore un qui n’avait rien de si différent de tous ceux que j’avais vu jusque-là (les Chinois doivent penser la même chose des cathédrales gothiques européennes) et de n’avoir pas vu le fameux mur de pierre fixé par Bodhidharma où il aurait laissé son empreinte. J’en ignorais jusqu’à l’existence et dans cet âge des ténèbres, on n’avait pas Wikipédia.

Le lendemain, le soleil reparut, la température monta de quelques degrés et on nous amena au site voisin de Dengfeng, « centre du ciel et de la terre » (devenu, avec Shaolin, patrimoine mondial de l’UNESCO en 2010). Au pied du mont Song, centre géomantique de la Chine, se trouvait le temple tao ste de Zhongyue, alors sans clergé et plutôt à l’abandon mais baigné par l’air et la lumière de la montagne et épargné par le trafic mercenaire et le tourisme auxquels Shaolin avait été livré sans merci. Fermant les yeux, j’ai essayé de me sentir au centre du ciel et de la terre.

Un abbé de Shaolin avait écrit un poème, vers 1250, qui commence ainsi : « 福慧智子覺,了本圓可悟。Bienheureux le jeune sage qui atteint la conscience, Ayant intégré l’ensemble, il pourra comprendre. »

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« Le jour où nous avons visité Shaolin, aucun moine kung-fu n’était de service. On nous avait expliqué, avec force sourires gênés, que les moines martiaux étaient aussi en “voyage d’études”. »
Au Bâtiment des Forces Motrices Sutra
Du 16 au 19 février 2023
rdv.

Migrations WAGNÉRIENNES

Pour Michael Thalheimer, Wagner est un homme de toutes les migrations : celles de sa vie, celles de ses personnages.

Parsifal , dont il prépare la mise en scène, nous rappelle que « nous sommes tous des migrants qui séjournent sur terre pour un certain temps seulement ».

Andreas Berger est né à Braunschweig. Il a fait ses études de langue et littérature allemande et française à Braunschweig et Paris. Il écrit pour des magazines comme Die deutsche Bühne, OPER !, Tanz et Tanznetz. Différents discours sur Thomas Mann, BernardMarie Koltès et l’œuvre de Wagner.

Concentration de la durée des spectacles, espace scénique minimaliste : Michael Thalheimer s’est fait connaître au théâtre par un style qui semble à l’opposé de l’œuvre de Wagner.

Mais l’opéra l’attire précisément pour cela : « Je me suis adapté à la forme prescrite de l’opéra.

D’une certaine manière c’est une prison, mais dans une prison aussi, on peut se sentir libre. »

C’est

avec éclat que le metteur en scène Michael Thalheimer entrait à Berlin, capitale du théâtre allemand, au début du nouveau millénaire. Son interprétation d’Emilia Galotti, pièce emblématique du dramaturge des Lumières Gotthold Ephraim Lessing, réduisait le texte à une durée d’une heure et demie, forçant les acteurs à parler à une vitesse inou e tandis qu’il leur restait tout le temps nécessaire pour exprimer leurs émotions dans des passages muets, par le mime et des mouvements presque chorégraphiés.

La production, toujours au répertoire au Deutsches Theater à Berlin, offrait en 2000 un nouveau style d’interprétation, entre la loyauté méticuleuse envers le texte, pratiquée à Berlin par les grands chefs de la Schaubühne comme Peter Stein et Andrea Breth, et la déconstruction totale des pièces, à l’image des spectacles débordants et longs de Frank Castorf à la Berliner Volksbühne. Par contre, Thalheimer, homme rationnel et toujours au service d’une mise en lumière des enjeux d’un texte, développe avec une grande clarté, et même dans une forme d’austérité, les questions centrales d’une pièce, en ayant recours à un cadre scénique minimaliste et en concentrant la durée du spectacle.

Juste le contraire, en somme, de tout ce que Richard Wagner imaginait pour son nouveau concept d’un « drame musical ». Les œuvres, les monologues chantés et les phrases musicales de Wagner sont longs, et Parsifal, son ouvrage d’adieu, l’est plus que tout autre. Alors, Thalheimer et Parsifal ? Comment va s’opérer la rencontre artistique entre un metteur en scène aimant concentrer le temps et un compositeur qui l’étire ? Peut-être qu’un but commun les unira : parce que Wagner, lui aussi, a pour mission l’éclaircissement, et qu’il envisage même avec Parsifal le point de départ pour une nouvelle communauté entre les êtres humains, que l’on pourrait considérer comme son legs au public et au monde.

On se demande tout de même en quoi Michael Thalheimer est attiré par l’opéra, cet univers réglé par la partition et où les raccourcissements ne sont guère acceptés. Après ses débuts avec Katia Kabanova de Janáček, en 2005 – un ouvrage court –, Thalheimer a connu le succès avec Rigoletto de Verdi au Théâtre de Bâle et il vient de mettre en scène Le Vaisseau fantôme de Wagner à l’Opéra de Hambourg. « Je me suis adapté à la forme prescrite de l’opéra. D’une certaine manière, c’est une prison, mais dans une prison aussi on peut se sentir libre », nous dit-il au téléphone. L’opéra le force à développer ses concepts avec plus de patience et de temps, « ce qui fait qu’il faut être encore plus précis », explique le metteur en scène.

Dans son travail sur Parsifal, il va comme toujours porter une attention particulière aux gestes, aux mouvements, qui révèlent des vérités autres que celles que le texte prétend transmettre. « Ce qui est dit n’est pas toujours la vérité, ni sur scène ni dans la vie. Et la musique m’aide, notamment les leitmotivs de Wagner où l’on peut identifier des émotions ou des pensées qui ne sont pas encore avouées dans le texte. »

Quant au grand thème de la saison du Grand Théâtre, « Mondes en migration », il y voit de nombreux liens avec l’œuvre de Wagner. « Tout d’abord, il était lui-même toujours en mouvement, fuyant ses créanciers ou la persécution politique (il avait participé aux troubles révolutionnaires de Dresde), ou plus tard en voyage en Italie. Migration encore dans Parsifal, mais qui concerne plutôt le temps : avec le personnage de Kundry

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« Ce qui est dit n’est pas toujours la vé rit é , ni sur scène ni dans la vie.
Les leitmotive de Wagner permettent d’identifier des é motions ou des pens é es qui ne sont pas encore avou é es dans le texte »

qui parcourt les décennies sous plusieurs identités et avec Parsifal qui, durant les cinq heures du spectacle, parcourt, tout en étant déjà un homme, son enfance et son adolescence jusqu’au premier baiser. Et qui parvient même à la sagesse d’un homme mûr dans le 3e acte. Tout cela parce que sa mère l’a éduqué en “chaste fol” afin de ne pas le voir tué dans un combat de chevaliers. »

Thalheimer souligne qu’il y a dans cet ouvrage d’adieu une idée plus générale encore : « Nous sommes tous des migrants qui séjournons sur terre pour un certain temps seulement. Notre refuge, notre Heimat, n’est que très temporairement ici. »

Ce monde est montré sous des aspects différents par Wagner, comme si des systèmes s’enchaînaient. « Au premier acte, nous voyons la société pétrifiée du monastère du Graal, donc le monde idéologique des mythes arriérés, d’une religion devenue culte et pure institution, ce qui correspond tout à fait aussi au capitalisme sur

le plan politique, explique Thalheimer.

Parce que le capitalisme nous tient lui aussi sous sa dépendance tout en prétendant nous donner la liberté. »

Le monde du deuxième acte serait notre société « post-Lumières », où la religion est niée mais n’est pas surmontée. « C’est un monde déchiré, où les anciennes vérités n’ont plus cours, mais on n’a pas encore trouvé de nouvelles réponses aux questions essentielles. 0 et 1, la réponse digitale, n’est pas suffisante, et beaucoup de gens comptent déjà les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse : pandémie, guerre, crise écologique – pour le quatrième on attend toujours. »

Le metteur en scène a donc des sympathies pour l’idée du « chaste fol » (le reine Tor ) que Wagner nous présente en sauveur. Et il ne cache pas qu’il a de fortes sympathies aussi pour le jeune mouvement écologique Fridays for Future, qui « comme Parsifal », n’est pas pris au sérieux par la société, notamment par les responsables de la catastrophe. « Avec ces jeunes-là, on discerne au moins un nouvel espoir. »

Par conséquent, le mot prophétique qui conclut l’opéra, « Rédemption au rédempteur ! », signifie pour lui qu’il faut vaincre la religion, et donc aussi le capitalisme. Qu’il faut agir et changer le système. L’idée de Wagner – régénérer une religion devenue culte par l’art, qui aurait le

pouvoir de déclencher l’amour du prochain –n’est pas la sienne. En tant que fils des Lumières, il constate : « Je ne veux pas régénérer la religion », tout en reconnaissant que cela pourrait être une question de définition, si l’on interprète la libération du Graal par Parsifal comme révélation du vrai sens de la religion : l’amour pratiqué qui change la société.

C‘est au cours des répétitions que Thalheimer va vérifier et expérimenter la cohérence du chemin de prise de conscience de Parsifal et trouver ses réponses concrètes. Acteur lui-même, formé à Berne, Thalheimer souligne l’importance de l’échange avec les autres artistes pour s’exprimer : « C’est là, en faisant de l’art, que je peux dire des choses au-delà de ce qui se laisse dire en quelques mots. » Peut-on trouver meilleure formule s’agissant d’une œuvre aussi profonde que Parsifal ?

Séquence wagnérienne fournie pour Michael Thalheimer : avant Parsifal à Genève, il a signé en octobre sa première mise en scène d’un opéra du compositeur avec Le Vaisseau fantôme à l’Opéra de Hambourg. © Hans Jörg Michel

Production qui a marqué le « nouveau Bayreuth » après la Seconde Guerre mondiale, le Parsifal mis en scène par Wieland Wagner a imposé une esthétique épurée, destinée à débarrasser l’oeuvre de son grand-père de son style de représentation légendaire, tel que l’avait récupéré le régime nazi. Cette vision aura une influence durable. Le geste scénique de Michael Thalheimer n’est pas sans lien avec cette refondation historique.

Au Grand Théâtre de Genève Parsifal

Du 25 janvier au 5 février 2023 www.gtg.ch/parsifal

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De monde EN MONDE

La découverte du bouddhisme produisit chez Richard Wagner un ébranlement spirituel qui le conduisit à vouloir composer un opéra sur Bouddha. Projet finalement abandonné, mais qui sera le germe de son dernier ouvrage, Parsifal. Les personnages principaux y opèrent chacun une forme de déplacement intérieur, à commencer par Kundry, dont l’errance puis la rédemption évoquent l’idéal de transformation qui fut celui de Wagner : transformation de l’art, transformation par l’art.

Agrégé de musique, formé à l’École Normale Supérieure et au Conservatoire de Paris, Nicolas Boiffin prépare une thèse à la Sorbonne autour de la musique d’Hugo Wolf. Il enseigne également l’analyse et l’écriture et rédige des critiques pour la revue Classica.

château de Klingsor et retour, ascèse et sensualité dessinent un parcours dont les sources renvoient aussi bien au christianisme qu’au paganisme celte et à la philosophie bouddhiste. Cette cartographie éclectique est le reflet d’une genèse longue et mouvementée. Avril 1849. Wagner, imprégné de la philosophie matérialiste de Ludwig Feuerbach, participe aux insurrections de Dresde ; poursuivi, il prend la fuite pour Zurich. C’est en exil, au contact d’autres révolutionnaires comme le poète Georg Herwegh, qu’il découvre la pensée d’Arthur Schopenhauer et, à travers elle, la philosophie indienne. Dans Le Monde comme volonté et comme représentation (1819), la « négation du vouloir-vivre » est la réponse proposée face à la souffrance qui domine l’existence : le détachement enseigné par le bouddhisme est pour Schopenhauer la confirmation de cette pensée fondamentalement pessimiste. Fasciné, Wagner se plonge dans un recueil de Légendes indiennes (1854) publié par Adolf Holtzmann et dans L’Introduction à l’histoire du bouddhisme indien d’Eugène Burnouf (1844) : comme beaucoup de ses contemporains, l’auteur de Parsifal découvre l’Orient non par le voyage mais par la lecture.

Ce n’est qu’en 1882 que « le projet bouddhiste » est définitivement abandonné au profit de Parsifal, dont les thématiques sont jugées trop proches4. Dans ce « festival scénique sacré », on retrouve la transmigration qui accompagne une faute originelle : Kundry rappelle ici la Prakriti des Vainqueurs. Condamnée à entraîner les mortels dans leur perte, elle erre « de monde en monde » en quête du Rédempteur qu’elle a nargué au pied de la croix : « Hérodias, jadis, et quoi encore ? / Gundryggia là-bas, Kundry ici »5 . C’est de Parsifal, « par compassion sachant »6 , qu’elle obtiendra la rédemption. Il faut relever dans l’opéra les trois occurrences du verbe wandeln (changer ou déambuler) et de son dérivé verwandeln (transformer) : par eux, Wagner désigne aussi bien les transformations du décor (actes I et III) que le changement d’apparence de Kundry (acte II) et la transformation du sang du Christ en vin (acte I).

Si bouddhisme il y a dans Parsifal, ce sera donc désormais par parenté avec le christianisme qui enseigne comme lui le « détachement du monde et de ses passions » (Religion et art, 1880)7 .

«Une rature de soi-même » : telle serait d’après Nietzsche la situation de Parsifal dans l’œuvre wagnérien . La chasteté du héros et des chevaliers du Graal révèlerait une « conversion à des idéaux chrétiens-morbides » voire une « haine de la vie ». À en croire le philosophe, donc, il faudrait voir dans cet ultime opéra une régression plutôt qu’un aboutissement. De conversion cependant, il pourrait être question d’abord en un sens spatial : du temple du Graal au

Wagner découvrit le bouddhisme dans les livres de Holtzmann et Burnouf et pensa composer l’opéra Les Vainqueurs sur la base de la légende indienne de Prakriti. Ce n’est qu’en 1882 qu’il abandonna le projet au profit de Parsifal. © Keystone/ Montage : Anastasia Mityukova

Dans le livre de Burnouf, une légende l’interpelle. Pour avoir refusé la main d’un prince dans une vie antérieure, la jeune Prakriti est condamnée à un amour sans espoir pour un religieux. En renonçant à son désir, elle est reconnue comme sœur par Bouddha et embrasse la vie ascétique. Transmigration des âmes, détachement de l’amour sensuel, compassion : tels sont les thèmes principaux de ce récit dont Wagner tire l’argument d’un nouvel opéra, Les Vainqueurs (Die Sieger ). Hormis un leitmotiv repris à la fin de Siegfried, la musique n’en sera jamais écrite. La principale difficulté, comme pour Jesus von Nazareth laissé à l’état d’ébauche en 1849, en est la représentation d’un protagoniste « entièrement libre et soustrait à toutes les passions »2, ici Bouddha. Maintes fois retouchés, Les Vainqueurs occupe Wagner plus longtemps que ses autres ouvrages inachevés et laisse leur empreinte sur le reste de l’œuvre. Dans Tristan et Isolde notamment, l’association du désir à la souffrance et la transfiguration finale de l’héroïne en sont un écho direct : pour Wagner, il y a là une clé de compréhension des Vainqueurs3 .

Autre aspect de l’enseignement bouddhiste, le respect dû aux êtres sensibles et en particulier aux animaux : voici Gurnemanz qui réprimande Parsifal dont les flèches viennent de tuer le cygne sacré, au début de l’acte I – la partition, elle, fait écho à un opéra d’avant l’exil, Lohengrin. Les sources d’inspiration wagnériennes, en somme, fonctionnent comme autant de miroirs dans lesquels le musicien se retrouve lui-même. À la fois synthèse et dépassement, terme d’un cheminement artistique et produit de réincarnations multiples, Parsifal est bel et bien une œuvre de la migration.

1 Friedrich Nietzsche, Nietzsche contre Wagner trad. Éric Blondel, Paris, Flammarion, 1992 [1889], p. 196.

2 Journal de Wagner pour Mathilde Wesendonck, 5 octobre 1858.

3 Lettre de Wagner à Franz Liszt du 20 juillet 1856.

4 Lettre de Wagner du 10 juillet 1882.

5 Richard Wagner, Parsifal trad. Judith Gautier, Paris, Armand Colin, 1893, p. 59 et 37-38.

6 Ibid., p. 35.

7 Cité dans Serge Gut, Parsifal, drame païen ou drame chrétien ? L’Avant-Scène Opéra n° 213, 2003, p. 114.

Au Grand Théâtre de Genève Parsifal

Du 25 janvier au 5 février 2023 www.gtg.ch/parsifal

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Par Nicolas Boiffin
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La scène est inclinée à 34 degrés et crée pour les danseurs une remise en question totale de leur système d’équilibre. Interrogeant les lois de la gravité, Skid met en scène une dialectique puissante entre la résistance et l’abandon.

De la liane à la lionne

Zoé Charpentier a 24 ans. Elle fait partie de ces 6 danseurs qui ont intégré la compagnie début septembre, choisis parmi 800 candidats. Elle a été attirée par la lumière du nouveau directeur du Ballet, Sidi Larbi Cherkaoui : « Je voulais faire partie de cette aventure ».

Après une formation de ballerine à la Hochschule für Musik und Tanz de Cologne, Valérie Fromont obtient un Master en philosophie à l’Université de Genève.

D’abord critique de danse et de théâtre, elle poursuit sa carrière au Temps comme journaliste culture, société et lifestyle. Depuis 9 ans, elle travaille dans l’industrie de la mode et du luxe en tant que directrice créative et éditoriale.

À quoi ressemble la journée d’une danseuse du Grand Théâtre ? Nous avons suivi Zoé Charpentier, toute jeune recrue de la compagnie, en pleine préparation du ballet Skid. De la classe du matin aux répétitions sur une scène toboggan, itinéraire d’une chrysalide engagée.

Par Valérie Fromont Photographies : Magali Girardin pour le Grand Théâtre Magazine

point de fuite hypnotique duquel on ne peut détacher ses yeux alors que tout autour, les rhizomes de la chorégraphie ne cessent de déconstruire et reconstruire la mosaïque de ce tableau vivant.

Pour défroisser l’élasticité de ses lignes, Zoé a rendez-vous à 9h30. Elle s’étire avec les autres lianes du ballet dans les studios de répétition de Meyrin, transformés pour l’heure en jardin luxuriant par la vingtaine de danseurs de la compagnie qui assistent à la classe d’ouverture de la journée. Dans chaque exercice du cours, on sent déjà monter la sève de Skid qui traverse les corps des danseurs, se déploie dans la sensation du geste et donne le ton de la journée. Une classe pour explorer et aiguiser la qualité de mouvement, celle qui poursuivra son expansion tout au long des répétitions.

« If something doesn’t work, melt, and let yourself go » (Si quelque chose ne marche pas, fondez et laissez-vous aller). À 17h12 ce jeudi après-midi de septembre, quelques secondes avant d’entamer la dernière répétition de Skid, du chorégraphe francobelge Damien Jalet, le maître de ballet Pascal Marty donne ces mots aux danseurs du Grand Théâtre en guise d’intention de

Zoé regarde les autres danseurs répéter :« Il faut trouver des métaphores, un imaginaire suffisamment vaste pour aider le corps à mobiliser et lâcher les bons muscles ».

mouvement. On se dit alors qu’il faudrait graver cette phrase au frontispice de sa vie, la gribouiller au Bic quatre couleurs sur sa main les jours où tout nous échappe, s’en faire un collier en forme de mantra, un talisman arc-en-ciel. Une sorte de transfiguration du célèbre Keep calm and carry on dans lequel on aurait cousu quelques accords de Let it be, histoire d’être paré pour les jours de vent mauvais. Tout en haut de la scène – ce vertigineux plateau de 10 mètres sur 10 incliné à 34 degrés qui signe la scénographie singulière de ce ballet – Zoé Charpentier guette le moment où elle pourra faire dévaler sur la pente de ce toboggan géant la résonance de ces mots dans chacun de ses gestes. À 17h14, elle est une larme qui strie la joue de cette paroi où tout bascule et se rejoue à chaque instant, elle est Sisyphe dans son corps-à-corps sacré. Elle est ce

Comme un élixir gingembre-miel du matin, l’atmosphère de la classe est bariolée et super concentrée : chaque danseur, encore dans le cocon et le secret de ses vêtements en couches multicolores et matelassées –proverbialement désassorties (et dont l’apparente nonchalance confine au soin presque maniaque) – se prépare à devenir chrysalide. Les chevilles tournent et craquent. C’est peut-être le moment le plus émouvant de la journée : celui du calme ouaté où toute la calligraphie du ballet à venir se prépare dans l’intimité de chaque corps, de chaque étirement, de chaque squelette, chaque histoire singulière qui va venir polliniser la chorégraphie. Zoé a 24 ans. C’est un bouton de rose qui se transforme sous l’impulsion des indications du maître de ballet, et cherche dans le mouvement le plus infime un absolu vers lequel on la sent tout entière tendue. Elle fait partie de ces six danseuses et danseurs qui ont intégré le Ballet du Grand Théâtre de Genève début septembre, choisis parmi 800 candidats. Attirée par la lumière du nouveau directeur du Ballet, Sidi Larbi Cherkaoui : « Je voulais faire partie de cette aventure, nous confie-t-elle. Tout en lui me parlait. Son talent, son répertoire, sa programmation, sa personnalité ». Des racines entre le sud de la France et Paris, Zoé Charpentier est ce pur produit de l’école de danse française, un elfe aux lignes sculptées par les conservatoires régionaux, puis le Conservatoire national supérieur de

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Paris, avant de rejoindre les rangs de l’Opéra de Lyon puis ceux de la compagnie d’Angelin Preljocaj. « L’école française, c’est une subtilité de mouvement presque indéfinissable et pourtant reconnaissable entre mille. » Un certain sens de la mesure, un sens certain de l’élégance, du panache évidemment, de la légèreté et de la rapidité. Et de la désinvolture, par-dessus tout. La virtuosité, mais l’air de ne pas trop y toucher, surtout. So French. Mais ce qui frappe avant tout en voyant Zoé danser ce jour-là, c’est sa fluidité magnétique, sa plasticité cinétique, la densité presque liquide de ses mouvements. Du chrome coule entre ses veines. Manuel Renard, également maître de ballet du Grand Théâtre, dit à son sujet : « Zoé nous a impressionnés parce qu’elle est très polyvalente et mature, elle est capable de tout danser. Elle est complètement dans le sol, ce qui est rare pour une danseuse de formation classique. Elle a une belle énergie, très en lien avec les autres membres de la compagnie. Et elle est vraiment créative, ce qui est essentiel auprès d’un directeur comme Sidi Larbi Cherkaoui. ».

Après la classe, quinze minutes de pause et Zoé file à la répétition du matin. Les danseurs commencent par quelques figures libres pour réapprivoiser ce plateau incliné à 34 degrés – quelque part entre la scène et le mur d’escalade. La rampe devient alors un tableau moucheté par les interprètes, se laissant glisser sur la toile blanche comme des taches de couleur sur un dripping de Pollock. Une dialectique entre l’abandon et la résistance, puisque les danseurs sont équipés de bottines Jika-Tabi, des chaussures japonaises entièrement souples portés par les ouvriers de la construction et les pompiers-charpentiers en raison de leur semelle en caoutchouc, qui permet de créer une certaine adhérence à la surface en pente.

13h, Zoé se fait chauffer un plat de pâtes au saumon qu’elle a préparé la veille et se pose sur la terrasse ensoleillée pour nous raconter quelques bribes d’elle, avant de filer à une séance chez le physiothérapeute pour remettre de l’espace entre les lombaires, ce qui est essentiel lorsqu’on travaille avec trois pièces chorégraphiques différentes en moins de deux mois.

Dernière répétition de la journée de la partie Titans du ballet. « C’est particulièrement dur physiquement, comme si on montait une montagne en faisant des squats. On n’a pas le droit à l’erreur parce qu’on est tous ensemble là-dedans. La moindre déviation de trajectoire peut avoir de lourdes conséquences, il faut être ultra-précis. »

Les danseurs doivent accepter une forme de vulnérabilité dans le système qu’ils composent avec la pente. « Se laisser glisser demande beaucoup de douceur, une très grande écoute de son propre corps. »

Élève modèle, Zoé a tenu le plus longtemps possible à ne pas devoir choisir entre ses études de philosophie à la Sorbonne et la danse. « J’étais déjà à la fac lorsque je faisais ma dernière année au Conservatoire de Paris. Je voulais tout faire, tout vivre, jeter des ponts entre les disciplines, j’ai même chorégraphié une pièce autour de l’homme à l’état de nature inspirée par Thomas Hobbes. »

Désormais installée à Genève, elle a repris des études de sciences du langage par correspondance. Décortiquer les mécanismes du corps et l’écosystème des langues, tisser des liens et des résonances entre les monades, apprendre auprès de chaque chorégraphe de nouvelles manières de tricoter et faire bouger les lignes : Zoé est cette toile sémantique qui s’adjoint des fils de toutes parts dans sa quête d’expansion permanente. « Chaque ballet me laisse une sorte de suture dans le corps, façon kintsugi, que je pourrai utiliser lors d’un prochain ballet avec un autre chorégraphe. » À peine le baume de la physiothérapie assimilé par l’organisme, la seconde répétition de l’après-midi s’enchaîne. Pendant que les danseurs répètent l’un après l’autre leur trajectoire sur la toile, de petits hubs s’organisent ; à gauche, on parle cinéma (« Ah non mais Scream c’est trop horrible ! »), à droite, Geoffrey essaie son costume pour Skid, le voilà moulé dans du néoprène et enrubanné de tulle. Les danseurs se font aussi répéter quelques mouvements entre eux, se donnent des conseils. Manuel Renard consigne chaque inflexion de la répétition dans son cahier afin de pouvoir prendre un jour la suite des répétitions. Travail de fourmi choréologue alors qu’il était lui-même un grand danseur : « Lorsque j’ai arrêté, je me suis réveillé un matin, et je n’avais plus de douleur nulle part dans le corps. » Zoé, elle, travaille

inlassablement, sur la scène ou sur le côté « de manière à ce que le corps crée des connexions neuronales et qu’ensuite, on n’y pense plus ».

17h12. « If something doesn’t work, melt, and let yourself go. » Les mots de Pascal Marty résonnent dans la salle alors que les danseurs se mettent en ordre de bataille pour la dernière répétition d’ensemble de la journée. Face à cette pente qui défie la gravité et redistribue les cartes des appuis naturels pour mettre les danseurs face au possible dérapage – à quoi peut bien penser Zoé ? Autour du fergëse, cette recette albanaise qu’elle adore et cuisinera le soir même, en écoutant l’un des podcast de Guillaume Gallienne ou d’Adèle Van Reeth dont elle est coutumière, entre quelques pages d’Olga de Bernhard Schlink qu’elle lit en ce moment, Zoé nous écrira par WhatsApp en repensant à ces mots du maître de ballet : « Se montrer vulnérable en se laissant aller aux réactions physiques du système que l’on compose avec la pente, c’est ce qui nous permettra d’accomplir le mouvement le plus juste possible. À un niveau plus intime, je dirais que c’est la même chose : on ne peut pas toujours être dans le contrôle face aux aléas de la vie. C’est une belle manière d’embrasser les imprévus que de se laisser fondre. Être en résistance face aux imprévus retarde les délais de réaction. Tandis qu’avec l’écoute et l’acceptation que cela arrive, on est plus à même de pouvoir rebondir. » La liane de la classe du matin est devenue une lionne aux aguets, prête à embrasser les accidents de la pente. Une journée chrysalide dans la vie de Zoé, où la danseuse transfigure le réel autant qu’elle est transfigurée par lui. Demain, il faudra remettre ses guêtres, ses cache-misères et chauffer ses chevilles, déplier son imaginaire, aller un peu plus loin dans cette extension du bras que lui corrige le maître de ballet, être en lien avec ce plaisir invincible de danser. Et remettre le mantra arc-en-ciel stoïcien sur le métier : « If something doesn’t work, melt, and let yourself go. »

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Du 19 au 24 novembre 2022 rdv.

Un père, une fille, le drame d’un amour piétiné par les haines confessionnelles, le retour d’un monument du grand opéra français : La Juive de Fromental Halévy a ouvert la saison du Grand Théâtre avec une distribution de premier ordre dans un spectacle incisif signé David Alden. Des voix encore, en récital, avec Olga Peretyatko, et autour de la grande scène, les cercles concentriques d’activités déployées tous azimuts : une exposition au Musée Rath du photoreporter Paolo Pellegrin, dont les images illustrent le programme de cette saison ; le spectacle de madrigaux de Gesualdo, Sparge la Morte, donné dans le cadre de La Bâtie-Festival de Genève ; et le spectacle pour enfants La Souris Traviata.

De 3 à 7 ans, les spectateurs en culottes très courtes ont pu profiter de La Souris Traviata, un spectacle imaginé et chanté par Julia Deit-Ferrand et Leana Durney.

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La soprano Olga Peretyatko a donné un récital en remplacement de Diana Damrau, accompagnée par le pianiste Matthias Samuil. © Carole Parodi
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Rachel (Ruzan Mantashyan) et son père Eléazar (John Osborn) dans La Juive de Halévy. © Magali Dougados Sparge la Morte, des madrigaux de Carlo Gesualdo dans un spectacle de Davide et Giuseppe Di Liberto, avec la Compagnia del Madrigale et l’ensemble Il Pomo d’Oro, donné à la Paroisse de Veyrier dans le cadre de La BâtieFestival de Genève, début septembre. © Magali Dougados L’exposition au Musée Rath des photos de Paolo Pellegrin. © Alice Riondel © Magali Dougados

L’art de la chute ou de son évitement

La chute d’Icare vue par Daumier. La chute est le thème du spectacle Mondes flottants signé par Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet. La chute, ou plutôt avant la chute, dans ce moment où les corps, toujours prêts à se laisser vaincre par la loi de la gravité, tombent… et se relèvent, trouvent à nouveau, et de mille manières, des gestes pour se redresser. © Lebrecht Music & Arts/ Alamy

Clara Pons est metteuse en scène et réalisatrice. Elle travaille à l’intersection entre texte, musique et image. Parmi ses projets récents, un film sur le cycle Harawi d’Olivier Messiaen (2017) ou Lebenslicht (2019) avec la musique de J.S. Bach portée par Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale Gent. Elle est actuellement dramaturge au Grand Théâtre.

Reprenons le bout du fil là où il commence, à la chute, ou plutôt avant la chute, dans ce moment où les corps, toujours prêts à se laisser vaincre par la loi de la gravité – vous savez, cette loi de la pesanteur qui fait qu’on se courbe toujours au plus près de la terre, jusqu’à ce que nos oreilles s’étirant avec l’âge, se confondent avec elle –, ces corps donc, tombent… et se relèvent, trouvent à nouveau, et de mille manières, des gestes pour se redresser. Pour mieux retomber, me direz-vous. Peut-être, mais n’est-ce pas là tout l’art ? L’art de cette recherche chorégraphique de rétablir sans relâche un nouvel équilibre et de faire de cette chute, non plus (seulement) quelque chose d’inévitable mais un plaisir, une jouissance ? Chez Jalet et Cherkaoui, la chute devient beauté en plus d’être vérité.

Encore une fois, notre titre de rubrique semble bienvenu : sur le fil. Lorsque l’on marche en équilibre entre les programmes hétéroclites qui étayent notre saison des mois à venir, entre Mondes Flottants, le diptyque de Damien Jalet, chorégraphe en résidence, et Sidi Larbi Cherkaoui, nouveau directeur du Ballet du Grand Théâtre, et le Parsifal mis en scène par Michael Thalheimer, le fil est lâche. Mais alors quel tire-fesses va nous emmener sur le massif Maria Stuarda, cette reine d´Écosse décapitée par Élisabeth Ire reine d’Angleterre dans une Europe prémoderne baignant dans le sang des guerres de religions, revisitée à la sauce ottocentista italienne ?

Illustrations de 1910 pour l’opéra Parsifal. Le jeune héros est éveiillé à la compassion par Gurnemanz, le chevalier de la confrérie du Graal que « l’innocent au coeur pur » finira par relever de sa chute. © Cci/ Shutterstock

Et là, peut-être parce qu’une certaine philosophie bouddhiste a irrigué la pensée de nos deux danseurs chorégraphes, on n’est plus très loin de l’inspiration première de Richard Wagner et du syncrétisme qu’il obtient avec son œuvre final, Parsifal. Certes, il y est question de rédemption et de sacrifice, d’innocence et de péché. Mais la chute originelle, qui ne cesse de se reproduire à travers le personnage éternel de Kundry, semble enrayée par l’effort constant et répété du jeune Parsifal. Il atteint comme le jeune Bouddha la révélation de l’amour du prochain et comprend que seule la compassion peut sauver l’ordre

périclitant des chevaliers. Que Parsifal se relève de la chute, lui, et à travers lui toute la communauté, reste bien sûr dans le domaine, sinon de la croyance, du moins de l’interprétation. Par contre, on peut entendre dans la musique de Wagner la métamorphose Verwandlung) de la chute et du temps (musical) en un espace extatique de suspension mystique.

Et si la culpabilité était déjà au centre de l’œuvre wagnérienne, le rachat de la faute n’a pas toujours lieu dans l’ordre de la spiritualité – soit dit en passant, la faute n’est pas intrinsèquement un motif judéo-chrétien, comme on l’entend souvent, seulement peut-être l’apitoiement sur elle le serait – mais aussi bien dans la théâtralité. En tout cas, c’est ainsi que nous le présente Mariame Clément dans ce deuxième volet donizettien Maria Stuarda, affichant la rivale catholique de la reine Élisabeth Ire en Judith triomphante de son Holopherne. On sait que le combat intestine des deux cousines a plus à voir avec un affrontement des mondes religieux et politiques qu’avec des querelles de boudoir. En mettant en scène son martyre, Marie Stuart légitime sa chute et donne une arme à la ligue catholique pour continuer les hostilités contre l’Angleterre et le monde protestant émergeant. Donizetti arrête l’histoire ici. On sait que l’Invincible Armada s’y brûlera les ailes, entraînant dans sa chute d’innombrables remous. Et l’Histoire verra encore pendant bien des siècles ses vieux démons tomber puis se relever, malgré ses pardons et ses compassions, feints ou sincères…

Au Grand Théâtre de Genève Mondes flottants

Du 19 au 24 novembre 2022

Maria Stuarda

Du 17 au 29 décembre 2022

Parsifal

Du 25 janvier au 5 février 2023 www.gtg.ch

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Chez Damien Jalet et Sidi Larbi Cherkaoui, la chute devient beaut é en plus d’ê tre vé rit é .
rdv.

Édimbourg, capitale historique et résolument moderne de l’Écosse

Vieilles pierres, parcs immenses, hommes en kilt et plaintes de cornemuses à tous les coins du centre-ville : pas de doute, vous êtes bien à Édimbourg ! Dans la capitale écossaise, on trouve tout ce qu’on aime et pense connaître du pays. Mais « l’Athènes du Nord » sait aussi dire bye-bye aux clichés et nous ouvrir grand les bras, ici et maintenant, au XXIe siècle.

OLD TOWN

Situé au cœur d’Édimbourg, le Festival Theatre possède un foyer moderne en verre et un auditorium artdéco luxueux où sont joués le plus souvent opéras et ballets. Sa scène a aussi acacueilli Charlie Chaplin, Laurel & Hardy, Fats Domino et David Bowie. © philippemx /Alamy Stock Photo

Journaliste en Écosse, Assa Samaké-Roman couvre l’actualité politique et culturelle de cette nation dans les médias francophones et anglophones (RFI, The National, Le Figaro, RTS…). Elle est l’autrice du livre Écosse : Hadrien et la licorne (Éditions Nevicata) et rédactrice en chef de La Revue Écossaise.

Avec ses ruelles étriquées, des escaliers sortis de nulle part qui font débouler dans des endroits insoupçonnés, pas étonnant que les rues pavées d’Old Town aient inspiré tant d’écrivains et d’intellectuels, dont Robert Louis Stevenson, David Hume, Sir Walter Scott, ou plus récemment J.K. Rowling, l’auteure de la saga Harry Potter. Se promener dans le centre historique de la ville donne la sensation de faire un tour au chemin de traverse – d’ailleurs, si vous cherchez « Chemin de Traverse » sur Google Maps, c’est sur Victoria Street, dans le vieux centre, que vous tombez. On ne peut pas la louper, avec ses petites boutiques indépendantes qui arborent des façades colorées. Pour mieux apprécier ce quartier d’Édimbourg, il faut se perdre dans la multitude de closes, des petits passages perpendiculaires au Royal Mile, la rue qui sépare les deux châteaux d’Édimbourg, ouverts au public : Holyrood Palace, résidence officielle du monarque britannique en Écosse, et l’ancien château, où Marie Stuart a donné naissance au futur roi, Jacques VI. Une des plus belles closes est sans doute Makars’ Court (la cour des poètes), à côté duquel se situe le Musée des Écrivains.

NEW TOWN

Juste en face, de l’autre côté de Waverley Gardens d’où partent les trains de la gare centrale d’Édimbourg, New Town offre une atmosphère opposée en tous points. Construit entre entre 1767 et 1850 pour lutter contre la surpopulation d’Old Town et éviter que les familles huppées fuient Édimbourg pour Londres, la nouvelle ville se distingue

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1 • Quand l’ancien rencontre le nouveau
Par Assa Samaké-Roman
© istock

par son agencement, tout en quadrillage, et par son architecture néo-classique qui a été enviée par toute l’Europe. Un des plus beaux passages du quartier, Circus Lane, représente à merveille l’esprit de New Town, qui a été inscrit avec Old Town et le West End au patrimoine mondial de l’UNESCO. https://ewh.org.uk

Leith, une rivière qui traverse la capitale. Il s’agit d’un quartier d’Édimbourg où les travailleurs des moulins habitaient jadis. Il est resté quasiment inchangé: notamment Well Court, avec ses bâtiments en grès rouge encore occupés aujourd’hui, un écrin d’histoire pour faire un voyage dans le temps vers la fin du XIXe siècle.

2 • La nature en ville

HOLYROOD PARK

Pourquoi choisir entre ville et nature quand on peut avoir les deux ? C’est ce que les habitants d’Édimbourg apprécient tant : une capitale qui respire. À deux pas d’Old Town, Holyrood Park contient un loch, une ruine, des falaises vertigineuses et… un volcan éteint ! À 251 mètres d’altitude, Arthur’s Seat est le point culminant de la ville : c’est donc là qu’on jouit de la meilleure vue de d’Édimbourg et sa région. Chaussures de marche et coupevent impératifs !

CALTON HILL

Toujours dans le centre, au bout de l’artère commerçante de Princes Street, Calton Hill est plus accessible qu’Arthur’s Seat où l’on peut également apprécier un magnifique panorama de la capitale écossaise. La colline compte de nombreux points incontournables comme le City Observatory (où se trouve la galerie d’art Collective), le Nelson Monument, et le National Monument, inspiré par l’acropole d’Athènes – d’où le surnom d’« Athènes du Nord » donné à Édimbourg. L’édifice lui-même a un surnom moins flatteur : la honte de l’Écosse, car il n’a jamais été achevé.

DEAN VILLAGE

Un véritable village dans la ville, Dean Village offre un cadre bucolique le long de la Water of

3 • Musique first

Berceau du romantisme fantomatique cher aux opéras les plus sombres, de Lucia di Lammermoor à Macbeth, sans oublier le personnage de Marie Stuart dans l’opéra de Donizetti programmé à Genève en décembre, l’Écosse cultive une tradition musicale honorée par les excellents Scottish Chamber Orchestra et le BBC Scottish Symphony Orchestra, ainsi que par le Scottish Opera. Tous ces ensembles ont Glasgow pour port d’attache mais se produisent régulièrement à Édimbourg, soit dans le monumental Usher Hall vieux d’un siècle, fort de ses 1900 places et d’une histoire qui y a vu passer Charlie Chaplin comme David Bowie, soit dans le Festival Theater, dans la Vieille Ville. Au programme des prochains mois, le Trittico de Puccini mis en scène par le maître national du genre, David McVicar, et Carmen. Pour sa part, le BBC Symphony Orchestra propose des extraits du Crépuscule des dieux de Wagner en version de concert (20 novembre).

Un artiste du Festival Fringe jongle sur le Royal Mile. Le festival, qui fête son 72e anniversaire, a proposé cette année quelque 3841 spectacles. C’est là où les talents du monde entier, parfaits débutants, étoiles montantes ou stars mondiales, se retrouvent le temps d’un été. © Jeff J Mitchell/ Getty Images

Turner, mais aussi les Écossais Ramsay et Raeburn, dont l’un des tableaux les plus célèbres, The Skating Minister, y est exposé. On peut aussi s’y rendre pour manger au Scottish Café & Restaurant, un établissement dirigé par la célèbre famille Contini d’Édimbourg, qui propose des plats écossais de saison, simples, réconfortants et impeccablement présentés.

www.nationalgalleries.org/visit/scottishnational-gallery

FRUITMARKET

Juste à côté de la gare centrale d’Édimbourg, Fruitmarket veut être un espace ouvert, gratuit, pour voir et réfléchir à l’art. Les locaux de l’actuelle galerie consistent en la fusion de deux bâtiments : d’un côté, une bâtisse de la fin du XIXe siècle, et de l’autre un ancien marché aux fruits des années 1930, converti en galerie d’art dans les années 1970. À l’époque, on pouvait y voir des œuvres d’Henri Cartier-Bresson et de David Hockney. Aujourd’hui, on y va pour découvrir ceux qui font bouger l’art contemporain, ou tout simplement pour boire une tasse de thé ou manger un morceau dans la cafétéria, immense et épurée. www.fruitmarket.co.uk

pubs, restaurants étoilés et bars à cocktails s’enchaînent. Parmi les adresses qui sortent du lot, le Roseleaf, un gastropub à l’ambiance détendue où l’on peut déguster des cocktails dans des théières, ou Teuchters Landing, un pub rustique et chaleureux situé dans l’ancien terminal du ferry qui se rendait à Aberdeen. www.roseleaf.co.uk teuchtersbar.co.uk

BARS CHICS À NEW TOWN

des milliers de représentations à l’affiche de deux festivals : le Festival international d’Édimbourg, et le Fringe, son off qui est devenu le plus grand festival d’art du monde.

SCOTTISH NATIONAL GALLERY C’est the musée d’Écosse : la Scottish National Gallery, dans la Nouvelle Ville d’Édimbourg, abrite une collection d’art de la Renaissance à l’époque contemporaine, d’Écosse et du monde entier. Au programme, entre autres : Cézanne, Van Gogh,

5 • L’hospitalité écossaise

TOURNÉE DES PUBS À LEITH Édimbourg a plus de restaurants par habitant que n’importe quelle autre ville du Royaume-Uni, et il suffit de faire un tour à Leith, quartier portuaire, multiculturel et vivant au nord de la ville, pour s’en rendre compte. Sur la rive de l’embouchure du Water of Leith, The Shore, on ne sait plus où donner de la tête les

New Town est le centre culturel d’Édimbourg avec ses nombreux musées, mais pas que : le quartier attire les fêtards et bons vivants pour sa haute concentration en bars et restaurants chics et instagrammables, souvent dans des espaces insoupçonnés. Parmi les meilleures adresses, Panda & Sons, un speakeasy caché derrière un barbier vintage, ou Bramble, un bar où l’on sert des cocktails innovants en sous-sol d’un pressing. http://pandaandsons.com www.bramblebar.co.uk

6 • En août, festivals pour tous

FESTIVAL INTERNATIONAL ET FRINGE

Tous les mois d’août depuis 1947, le cœur d’Édimbourg bat au rythme

Pendant quatre semaines, on trouve dans tous les endroits publics, grandes salles, sous-sols de pubs, amphithéâtres de l’université, tous types de spectacles pour petits et grands : comédie, théâtre, cabaret, cirque, opéra, poésie, et on en passe. C’est là où les talents du monde entier, parfaits débutants, étoiles montantes ou stars mondiales se retrouvent le temps d’un été. À vivre au moins une fois dans sa vie ! www.eif.co.uk/ www.edfringe.com/

FESTIVAL INTERNATIONAL DU LIVRE

Ceux qui veulent échapper à la folie du Fringe se réfugient au Festival international du livre d’Édimbourg, le plus grand festival littéraire du monde. Pendant deux semaines tous les mois d’août, des centaines d’auteurs du monde entier s’y rendent pour parler de livres et d’idées qui font avancer le monde devant un public international qui cherche à se nourrir l’esprit.

www.edbookfest.co.uk

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4 • De l’art à tous les coins de rue
Des membres de l’équipe d’honneur de l’US Air Force se produisent sur l’esplanade du château d’Édimbourg lors du Royal Edinburgh Military Tattoo 2022 qui a réuni plus de 800 artistes et présenté des spectacles internationaux. © Jane Barlow/PA Images via Getty Images Roseleaf est l’un des pubs les plus populaires de Leith, le quartier nord d’Édimbourg qui est devenue une destination très prisée pour les passionnés de food & drink. © VisitScotland Véritable village dans la ville, Dean Village offre un cadre bucolique le long de la Water of Leith qui traverse la capitale. © VisitScotland

Alternance de styles sur la grande scène : les Mondes flottants de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet inaugurent la saison du ballet, Maria Stuarda de Donizetti clôt l’année en bel canto, avant que Parsifal fasse entendre le « festival d’art sacré » de Wagner. Autour de ces événements, de grandes voix (Bryn Terfel, Nina Stemme) en récital, l’iconique Late Night, organisée avec le Festival Les Créatives, et le concert du Nouvel An, sous les cotillons musicaux d’Offenbach. Eh bien, dansez, maintenant !

LATE NIGHT #1, SOIRÉE CLUBBING AVEC LES CRÉATIVES

Trois fois par saison le Grand Théâtre ouvre ses portes à des heures pas protestantes. Accueillis dès l’entrée par une ambiance et des sons la fine fleur de la DJ-sphère qui vous emmènent, vous voilà emportés en Cendrillon des temps modernes, de salle en salle, de longdrink en cocktail, jusqu’au bout de minuit pour affronter la piste de danse et ses beaux parquets. Pour marquer sa 1e Late Night de la saison, le GTG s’associe au Festival Les Créatives. Au programme : deux DJ-sets menés par Lena Willikens et Bob « 1000Balles », précédés d’un défilé « Self Love Letter » par Agapornis x HEAD.

Late Night #1 le 25.11.2022, 21h30

Late Night #2 le 11.2.2023, 21h30 Programme à venir sur gtg.ch/la-plage/late-nights

BRYN TERFEL EN RÉCITAL

Charmeur à la voix d’airain, digne descendant des bardes celtes par sa récitation intelligente et réfléchie, Bryn Terfel revient en récital à Genève, en compagnie de son épouse Hannah Stone (ancienne harpiste officielle du prince de Galles) et de la pianiste Annabel Thwaite pour un programme ample comme un ciel étoilé et digne d’une grande randonnée à travers les sommets et les vallées de son beau pays natal.

Grand Théâtre Genève, le 26 novembre 2022 à 20h

« ROSA ET BIANCA »

Au royaume du belcanto, Rosa et Bianca sont deux princesses jumelles aux caractères diamétralement opposés. Quand Rosa court, crie et trompette, Bianca rêve, lit et soupire. Mais le jour de leur dix-huitième anniversaire, le grand chambellan annonce qui de Rosa ou de Bianca montera sur le trône et deviendra la reine. Un spectacle musical sur une réécriture en français d’airs de Gaetano Donizetti, mis en scène par Sybille Wilson, avec Sophie Negoïta et Julia Deit-Ferrand. Foyer du Grand Théâtre, les 14, 17 et 21 décembre à 14h, les 17 et 21 décembre 2022 à 10h. Spectacle musical dès 5 ans.

CONCERT DE NOUVEL AN

Le GTG continue son investigation du répertoire romantique français et propose un voyage dans l’univers fantasti-comique de Jacques Offenbach, du galop endiablé de La Vie parisienne à l’amour que la GrandeDuchesse porte aux uniformes, avec un détour

par les enfers d’Orphée, nous célébrerons la nouvelle année en tour du monde à la Jules Verne. Et bien sûr, qui dit « Concert de Nouvel An », dit « Beau Danube bleu ». L’Orchestre de Chambre de Genève y sera dirigé par le très jeune chef d’orchestre lausannois Marc Leroy-Calatayud. Avec le ténor Stanislas de Barbeyrac, étoile montante du répertoire français ainsi que la formidable mezzo franco-suisse Marina Viotti, bien connue du public du GTG.

Grand Théâtre Genève, le 31 décembre 2022 à 20h

NINA STEMME EN RÉCITAL

Pour son retour au Grand Théâtre, la soprano, autant à l’aise avec la mélancolie troublée de Robert Schumann qu’avec le romantisme nostalgique de Richard Strauss ou le détachement ironique de Kurt Weill, nous fait découvrir l’un de ses compatriotes peu connus, Sigurd von Koch, contemporain de Gustav Mahler, dont le cycle Die geheimnisvolle Flöte (« La Flûte mystérieuse ») est une anthologie symboliste de poèmes classiques chinois. Nina Stemme chantera l’Op. 41 de Schumann et son Requiem résigné et solennel, accompagnée au piano par Magnus Svensson.

Grand Théâtre Genève, le 4 février 2023 à 20h Réservations : www.gtg.ch/billetterie

48 agenda
artgeneve.ch 26–29.01.2023
chanel.com CERTAINES RENCONTRES MARQUENT POUR TOUJOURS. BAGUES EN OR BEIGE ET OR BLANC.

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