grand théâtre magazine n°12 - Sexe et opéra

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Sexe et opéra

n°12

Daniel Kramer, un metteur en scène exubérant pour Turandot Corinne Winters, de Paul McCartney à Jenůfa Philippe Cohen et les beaux souvenirs du Ballet du Grand Théâtre


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édito

« Faites l’amour…», plus que jamais La saison du Grand Théâtre se termine comme elle avait commencé, sur le fil rouge du thème «Faites l’amour…». Qui pouvait penser, lorsqu’elle a été conçue, que cette injonction prendrait un tour dramatique, au même titre que la production d’ouverture, le monumental Guerre et Paix de Prokofiev, dans la mise en scène de Calixto Bieito ? La voici qui résonne avec une gravité prophétique alors que la guerre a resurgi sur le territoire européen. Bombardant nos certitudes d’un continent éternellement voué à la paix, semant la dévastation sur des terres dont la culture est la nôtre, élevant un rideau de rage et d’effroi entre Tchaïkovski et Beethoven, entre Dostoïevski et Proust.

UN MAGAZINE PUBLIÉ AVEC LE SOUTIEN

du Cercle du Grand Théâtre de Genève, de Caroline et Éric Freymond

Quelles seront les conséquences d’un conflit dont, à l’heure où ces lignes sont écrites, nul n’entrevoit l’issue ? La seule certitude qu’on peut en avoir, c’est qu’elles seront phénoménales. Elles n’auront pas seulement ravagé un pays et un peuple, mais aussi le partage des idéaux supérieurs liés à la reconstruction du monde depuis 1945, laminés par l’incompréhension mutuelle et les mensonges de la propagande. On aura aussi appris, par cette guerre, à quel point les libertés conquises par nos sociétés occidentales sont perçues par d’autres comme les signes d’une dépravation qu’il s’agit de combattre par la loi du plus fort et les principes virilistes qui la fondent. Dans ce périlleux contexte, « Faites l’amour… » reprend un sens fort et profond : c’est bel et bien l’étendard sous lequel, depuis un demi-siècle, nous avons élaboré notre contrat de liberté, d’épanouissement et de bonheur, quels que puissent en être les excès et les limites. Comment traiter dans un tel contexte le thème choisi pour ce magazine, le sexe et l’opéra ? N’est-ce pas tomber dans le futile, dans l’espiègle, au pire moment ? Précisément non. Car le sexe, ici, doit s’entendre comme la charge érotique qui traverse l’opéra depuis ses origines. Monteverdi, Mozart, Wagner, Puccini, Janáček, Chostakovitch… Les chefs-d’œuvre sont innombrables qui non seulement parlent d’amour, mais aussi du désir. De ses violences et de ses délices. De sa lumière et de ses ombres, plongeant dans le mystère de nos pulsions que la musique, mieux que tout autre art peut-être, exprime et sublime. Voyez la triangulation amoureuse autour de Jenůfa, chez Janáček, entre l’homme désiré et l’homme désirant, et les étreintes maudites auxquelles elle conduit. Ou la conquête de Turandot par le prince Calaf, que le désir égare au risque d’en perdre la tête, où Puccini a écrit les salves sensuelles les plus explicites de son œuvre. Alors oui : la liberté de l’amour, la liberté des plaisirs est aujourd’hui à défendre radicalement contre ceux qui l’assimilent à nos faiblesses. L’art, l’opéra, est une des armes de cette résistance. Malgré les apparences, ce n’est pas la moins efficace, puisque l’opéra nous rassemble dans l’émotion partagée de la beauté, cette union sacrée où les peuples peuvent se retrouver au-delà de toute idéologie, et que nous voulons croire plus forte que la barbarie. « Faites l’amour.. » ? Entendons-le aujourd’hui comme un défi et comme une prière. Bonne lecture !

Jean-Jacques Roth

Jean-Jacques Roth a travaillé dans de nombreux médias romands. Il a notamment été rédacteur en chef et directeur du Temps puis directeur de l’actualité à la RTS avant de rejoindre Le Matin Dimanche, où il a dirigé le magazine Cultura. Il a entre autres consacré deux ouvrages au Grand Théâtre. Il a succédé l’automne dernier à Olivier Kaeser à la rédaction en chef de ce magazine.

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David Kramer mettra en scène Turandot de Puccini en fin de saison. L’Américain pose ici sous les ors du Foyer du Grand Théâtre et sous l’œil du photographe David Wagnières. Photographe indépendant à Genève, ce dernier s’est formé dans la publicité horlogère, fasciné qu’il était par le jeu des lumières sur les matières. Il a également travaillé pendant 15 ans comme iconographe au quotidien Le Temps. Dans son travail, consacré aussi bien au portrait qu’aux paysages ou à l’urbanisme, il cherche à saisir « l’étincelant dans le trivial, la richesse de l’inaperçu ou la valeur du négligé ».

RUBRIQUES

Photo : David Wagnières, pour Grand Théâtre Magazine

Édito 1 par Jean-Jacques Roth Mon rapport à l’opéra 4 Rebecca Balestra, « Jouer une diva de l’opéra, voilà ce qui me plairait ! » Ailleurs 6 Antonino Fogliani, un Sicilien à Lugano Portrait 12 Corinne Winters, de Paul McCartney à Jenůfa Portrait 32 Philippe Cohen, les heures exquises d’un esthète

Regard sur nos partenaires 36 Les Grütli, le cinéma qui vise haut Rétroviseur 38 Coulisses 40 Nicolas Tagand Kitchen lyrique 43 Le plus long bar de Genève Mouvement culturel 44 Varsovie, électrique malgré la guerre

D OSSI ER SEXE ET OPÉRA

Portrait de couverture

L’histoire de l’opéra est truffé d’érotisme, sous des formes plus ou moins explicites. Mais comment les transformer sur scène ? En 2005 au Grand Théâtre, Olivier Py avait eu l’audace d’engager un acteur porno pour incarner le Minotaure dans Tannhäuser de Wagner. © GTG /Ariane Arlotti

Coquin, queer, trash… la face hot de l’opéra, par Christian Merlin 14 Le sexe sur scène, un pétard mouillé, par Manuel Brug 20 Daniel Kramer : « Choquer, trop facile ! », 24 Quiz Opéra, amour et sexe : déjouez les pièges !, par Sabryna Pierre 28

Agenda 48

Éditeur Grand Théâtre de Genève, Partenariat Heidi.news, Collaboration éditoriale Le Temps

Directeur de la publication Aviel Cahn Rédacteur en chef Jean-Jacques Roth Édition Florence Perret Comité de rédaction Aviel Cahn, Karin Kotsoglou, Jean-Jacques Roth, Clara Pons Direction artistique Jérôme Bontron, Sarah Muehlheim Maquette et mise en page Simone Kaspar de Pont Images Anne Wyrsch (Le Temps) Relecture Patrick Vallon Promotion GTG Diffusion 38 000 exemplaires dans Le Temps Parution 4 fois par saison Tirage 45 000 exemplaires ISSN 2673-2114

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mon rapport à l’opéra

«Jouer une diva de l’opéra, voilà ce qui me plairait!» Par Serge Michel

« C’est notre Isabelle Huppert », souffle-t-on dans les coulisses de la Comédie de Genève devant la capacité d’incarnation exceptionnelle de Rébecca Balestra. La Genevoise de 33 ans a impressionné avec Olympia, pièce musicale qu’elle a écrite elle-même, hommage à la Callas, Marlène Dietrich et Dalida.

Après avoir obtenu en 2013 son Bachelor à La Manufacture, la Haute École des Arts de la Scène, Rébecca Balestra mutiplie les projets solo et les rôles, classiques ou contemporains. Pour l’édition 2016 du festival far° à Nyon, elle écrit et joue son spectacle Show Set. Elle intègre l’Ensemble du Poche en 2018, crée Piano bar à la Comédie de Genève l’année suivante, puis Show Room au far° et à Vidy-Lausanne avant son Olympia en 2021 qui a ouvert la première vraie saison de la nouvelle Comédie de Genève dans le cadre du festival La Bâtie.

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« Somptueuse », « brillante », « surdouée », « sortie d’un tableau de Klimt » : une comédienne a surgi en Suisse romande et emballe la presse. D’où sort Rébecca Balestra ? D’une grande malle à costumes dans le grenier familial, trésor de déguisements pour une enfant solitaire. Son grand-père Peppino Balestra et sa grandmère Liliane faisaient déjà rire Genève dans les années 1950 avec leur revue Méli-Mélo, entre un ventriloque réputé et un virtuose de l’harmonica, avant d’ouvrir une boutique de 900 costumes, du Moyen Âge aux années folles. Mais Rébecca Balestra est aussi sortie, il y a moins de dix ans, de l’école de théâtre La Manufacture à Lausanne pour enchaîner toutes les scènes romandes comme comédienne, écrivaine, metteuse en scène. Vous souvenez-vous de votre première fois à l’opéra ? C’était tardif, je devais avoir une vingtaine d’années. J’ai été voir la « Trilogie du diable », trois opéras mis en scène par Olivier Py au Grand Théâtre de Genève [2008]. Il y avait Der Freischütz,

La Damnation de Faust et Les Contes d’Hoffmann. Je n’avais pas connu l’opéra avant, mes parents m’emmenaient plutôt à l’Arena voir Notre Dame de Paris ou La Belle et la Bête sur glace… Qu’est-ce qui vous a touchée alors ? J’ai trouvé cette mise en scène magnifique. Je me souviens d’un grand escalier en or, d’une scène de partouze en enfer et d’une Olympia qui chantait dans un faux nu les Oiseaux dans la charmille (Contes d’Hoffmann, 2e acte). C’était Patricia Petibon et je me suis dit que c’était la meilleure proposition d’automate de toutes les mises en scène de cet opéra. Pour l’anecdote, j’ai emprunté ce faux nu des années plus tard au stock du Grand Théâtre pour une création au Théâtre de Vidy (Showroom, d’Igor Cardellini, Tomas Gonzalez et moi-même) où je campais un ersatz d’Ève qui tentait vainement de faire marcher un faux feu électrique. J’ai aussi appelé ma dernière mise en scène Olympia. Comme quoi cette soirée à l’opéra m’a grandement marquée et inspirée !


Rébecca Balestra (ici dans son spectacle Olympia) est sortie de l’école de théâtre La Manufacture à Lausanne pour enchaîner toutes les scènes romandes comme comédienne, écrivaine et metteuse en scène. © Magali Dougados

Avant, les chanteurs d’opéra se tenaient droit et chantaient fort. Maintenant, on leur demande souvent de bouger et de jouer la souffrance, la passion, etc. Concurrence bienvenue ? Je n’aime pas le surjeu, ni à l’opéra ni ailleurs. Il y a tout dans la musique, pas besoin de jouer l’explication de ce que l’on entend. Je suis obsédée par une vidéo d’une prestation de Robert Merrill et Richard Tucker interprétant en 1972 La forza del destino de Verdi au Metropolitan Opera de New York. Ils sont droits comme des i, côte à côte, en smoking sur le devant de la scène. Il n’y a pas un geste, que la voix, que les tripes. C’est d’une sobriété et d’une puissance… la pure classe. Sublimissime. Aimeriez-vous... chanter ? Je n’ai pas de voix et très peu de souffle. Apparemment, je n’utilise que 20% des capacités de mon diaphragme. Je pense que je suis incapable de chanter. Mais j’en ai le fantasme. C’est sûrement pour ça que je parle – ou plutôt que je slame – sur de la musique orchestrale dans Olympia : je me rêve à l’opéra. J’envoie d’ailleurs ce signal à la salle grâce à une mise en scène digne d’un grand récital avec violoncelles, long Steinway et un look d’inspiration Callas. Il y a des rôles d’opéra qui vous font envie ? Ce qui m’intéresserait n’est pas tant d’interpréter un personnage d’opéra qu’un interprète qui interprète un personnage... une sorte de mise en abyme. Maria Callas qui joue la Tosca après s’être fait larguer par Onassis. Jouer une diva de l’opéra, voilà ce qui me plairait !

On dit pourtant que les acteurs lyriques sont mieux payés que les acteurs tout court... Je trouve normal qu’on soit mieux payé à l’opéra, puisque que ce ne sont pas les mêmes budgets, loin de là. L’opéra, c’est la folie des grandeurs ! Mais je trouve ça fantastique, parce que cela permet de donner du travail à tellement de corps de métiers qui disparaissent au théâtre : cordonniers, perruquiers, plumassières, etc. Le financement du théâtre et la façon de rémunérer les comédien·es est à repenser. Je ne sais pas si être salarié et non payé à la prestation, comme à l’opéra, est avantageux pour nous... Par exemple, dans la plupart des théâtres, l’apprentissage des textes n’est pas rémunéré alors que cela représente des heures et des heures de travail intense. Mais les choses sont en train d’évoluer, notamment au Poche/GVE où j’ai signé un contrat pour décembre. Le salaire représente la reconnaissance d’un travail, d’un métier. Reconnaître que les artistes et les artisans exercent des métiers, c’est leur donner la place dont la société a besoin pour continuer de s’interroger et d’avancer. Être payée dignement, à la hauteur de son engagement, de sa formation et de son exigence, c’est être reconnue. Votre dernier spectacle en spectatrice ? C’était fin mars au Victoria Hall, le standupper Louis C.K. La salle était pleine à craquer. Le public était niche, un public adepte d’humour, différent de celui qui va au théâtre ou à l’opéra. Sauf pour mes beaux-parents que nous avions invités et qui sont des réguliers du Grand Théâtre. Le clash a été aussi flagrant qu’entre les moulures dorées de la salle et la vulgarité sans nom de Louis C.K. J’ai eu des sueurs froides, assise à côté de ma belle-mère, quand ça parlait d’inceste et de fast porn sur scène. Heureusement, elle dormait derrière son masque. C’était une super soirée.

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ailleurs

Antonino Fogliani, un Sicilien à Lugano Par Davide Fersini Images par Claudio Bader pour Grand Théâtre Magazine

Le chef italien qui dirigera Turandot s’est établi dans la ville tessinoise il y a trois ans, quittant Bologne pour trouver le calme propice à sa carrière trépidante. Pour lui, toute musique doit chanter. Et pour en percer le cœur, peu importe le chemin, pourvu qu’il en trouve la vérité.

Né à Milan, Davide Fersini a été diplômé en psychologie de l’Université catholique de sa ville avant d’étudier le chant lyrique avec la mezzo-soprano Bianca Maria Casoni. Après avoir terminé sa formation à l‘Opernstudio de Zurich, il a rejoint l‘Ensemble Opernhaus où il est resté jusqu‘en 2012. Sa carrière solo l‘a ensuite conduit sur certaines des plus grandes scènes du monde, comme le Teatro alla Scala, les Salzburger Festspiele, l‘Arena di Verona, le Seoul Arts Center et bien d‘autres. Depuis 2017, il est rédacteur musical et modérateur pour Rete Due, la radio culturelle de la RSI.

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Le lac reflète une lumière intense, on se croirait à la mer. Elle irradie et se reflète sur le marbre vert des façades du LAC, l’édifice polyvalent de la ville, dont l’acronyme résume l’esprit de notre échange : Lugano, Art, Culture. C’est ici, sur la piazza Luini, ce vaste espace pris en tenailles par la nouvelle structure du musée et par les façades néoclassiques de l’ancien Grand Hotel Palace, que nous rencontrons Antonino Fogliani. Le maestro arrive vêtu de couleurs aquatiques : de multiples nuances de bleu et d’azur. Sur sa cravate cobalt, telles de petites vagues, une pléiade de moustaches blanches. C’est l’hommage du célèbre tailleur napolitain Marinella à un grand Italien, Arturo Toscanini, dont la moustache est devenue une icône de la mode dans le monde entier. Fogliani est aussi attentif au style qu’aux coïncidences

symboliques. Il a tenu à la porter le jour de notre rencontre, ce 25 mars très ensoleillé et inhabituellement chaud, qui est aussi la date de naissance de l’illustre maestro. On s’assoit pour avaler un expresso. C’est vendredi matin et la place est à moitié vide. L’œil du maestro est magnétisé par la vue, elle est magnifique ; le monte Brè, au-delà du lac, le ramène en Sicile. « Andrea Camilleri disait qu’il y a deux types de Siciliens, commence-t-il, ceux des rochers et ceux de la haute mer. J’appartiens à la deuxième catégorie, dit-il fièrement, car à Messine, où je suis né, on distingue la péninsule par-delà la mer. Mais pour atteindre cette terre, il faut embarquer et affronter les vagues. » C’est ainsi qu’à l’âge de 19 ans, le jeune Antonino et Angelica, qui deviendra sa femme, traversent le détroit pour commencer à explorer le monde. « C’est peut-être pour cela que je n’aime pas les frontières : je ne les comprends pas ! », lance-t-il alors que nous passons devant l’église Santa Maria degli Angioli en direction de la très fréquentée via Nassa. Nous avons déjà quitté la promenade des bords du lac et nous nous engouffrons dans les travées du shopping de luxe. Fogliani n’est pas indifférent à la beauté et caresse d’un regard furtif les vitrines des magasins. « J’apprécie et je respecte les différences, je me sens chez moi partout. » Et pourtant, malgré les innombrables possibilités qui s’offraient à lui, c’est à Lugano qu’il a choisi de s’installer en 2019. Quitter Bologne, la ville de ses études universitaires et de la naissance de son fils Lorenzo, n’a pas été facile mais le besoin d’un temps plus intime, plus humain et moins dispersé l’a emmené ici, sur les rives du Ceresio.


Depuis son succès au festival Rossini de Pesaro en 2001 avec Il viaggio a Reims, Antonino Fogliani est devenu un chef de référence de la musique italienne. Invité par les plus grands opéras de la Péninsule, il est également directeur du festival Rossini de Wildbad. Au Grand Théâtre, il a dirigé Aïda et La Cenerentola en 2019 et 2020.

Vue de Lugano depuis le parc Ciani, ses arbres séculaires et sa villa du XIXe siècle. Un coin de paradis, intime, humain. Exactement ce que le maestro Fogliani espérait trouver lorsqu’il a choisi de s’installer à Lugano.


ailleurs

Le buste en bronze grandeur nature de Carlo Battaglini, illustre humaniste luganais et syndic de la Ville de 1878 à 1888. Sa statue trône depuis le 6 janvier 1921 sur la piazza… du même nom.

La statue de Vincenzo Vela, dédiée à la mère des frères Ciani, nobles commerçants milanais, est en fait une allégorie de l’Italie blessée par le joug autrichien après les soulèvements révolutionnaires de 1848.

« Andrea Camilleri disait qu’il y a deux types de Siciliens, ceux des rochers et ceux de la haute mer. J’appartiens à la deuxième catégorie. » 8


Les tables du café de la piazza della Riforma, incontournable rendez-vous des touristes et flâneurs à la recherche d’émotions fortes et de photossouvenirs.

Nous voilà sur la piazza della Riforma. Devant nous, la sobre beauté de l’Hôtel de Ville et les balcons fleuris qui surplombent les cafés pour les touristes en quête de photos-souvenirs. Le maestro balaie l’espace, émerveillé, puis s’exclame : « La recherche de la beauté, c’est mon chemin vers la vérité, surtout en musique ! » Un discours de la méthode qui est aussi une profession de foi : « Le chef Lorin Maazel disait qu’il y avait de multiples chemins pour approcher la vérité musicale. Celle-ci est comme un noyau qui irradie d’un point central. Une sphère, en quelque sorte. Peu importe la façon d’y parvenir, ce qui compte, c’est d’être au cœur de ce noyau, car c’est ici que l’ego disparaît et que se fondent les différentes visions des interprètes. » Antonino Fogliani a la réputation d’être un chef d’orchestre exigeant mais ouvert au dialogue, surtout avec les chanteurs, dont il comprend parfaitement les contraintes et les fatigues : « Je m’entends bien avec les bons chanteurs – il met un accent ironique sur le « bon ». Car, depuis l’enfance, j’ai toujours désiré chanter. Toutes les musiques que je dirige doivent chanter, y compris les

œuvres symphoniques. Il faut dire que le chant a toujours fait partie de sa famille : son père, chef de gare, chantait dans le chœur de la cathédrale de Messine et sa sœur, soprano et élève du célèbre ténor Carlo Bergonzi, a été la première chanteuse que le jeune Antonino a accompagnée au piano. « Déjà à l’âge de 14 ans, je connaissais Rigoletto par cœur, glisse-t-il alors que nous nous redirigeons vers le lac. Le piano a été mon premier orchestre. Du reste, à l’origine, je ne voulais pas être chef d’orchestre mais compositeur. » Voilà qui explique ses études auprès de Salvatore Sciarrino et Franco Donatoni, compositeurs très éloignés des musiques qu’il dirige habituellement. Ce qui explique aussi, sans doute, l’enthousiasme du maestro lorsqu’il évoque sa volonté de diriger à Genève le final composé par Luciano Berio pour Turandot. « C’est une première suisse mais aussi pour moi, et je m’y lance à corps perdu. Nous avons évoqué l’idée de terminer l’opéra après la mort de Liù, sur les dernières notes composées par Puccini, comme Toscanini l’a fait lors de la première à La Scala en 1926. À cet instant, la poésie s’éteint et l’histoire trouve, de manière étonnamment naturelle, une conclusion très moderne par rapport à la fin grandiloquente et triomphaliste d’Alfano (l’élève de Puccini qui compléta l’ouvrage, et dont la version est la plus souvent jouée depuis, ndlr). Le problème, cependant, réside dans le livret et la décision inhumaine de Calaf qui, une minute après cette scène déchirante, monte sur le trône avec la puissante et belle Turandot. Puccini lui-même, prisonnier de cette sévère dissonance cognitive, n’a pas pu terminer l’opéra, après y avoir travaillé pendant deux ans, écrasé par la maladie. En ce sens, le final composé par Berio peut offrir une issue intéressante puisqu’il accentue cette dissonance plutôt que de la cacher, en exprimant le conflit intérieur de Puccini par les lignes de chant des protagonistes. »

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ailleurs

« Je suis fasciné par tout ce que je ne connais pas, par la découverte de nouveaux mondes expressifs, de nouveaux langages. » Nous voici arrivés au portail d’accès au parc Ciani. Ici, la chorégraphie kaléidoscopique des fleurs accompagne la déambulation à travers les plantes exotiques entourant la villa qui donne son nom à ce petit coin de paradis. C’est la dernière étape de notre balade. Le maestro va bientôt devoir nous quitter. Un avion l’attend dans l’après-midi. Destination : Düsseldorf et le Deutsche Oper am Rhein qui, depuis 2017, a fait de lui son principal chef invité. « C’est un théâtre que j’aime beaucoup et qui m’offre l’occasion d’explorer des territoires musicaux très éloignés de ce que j’ai fait jusqu’à présent, confesse-t-il. Je parle de Wagner, qui, je l’espère, viendra bientôt, mais aussi du répertoire français. » Mais il ajoute avec un sourire d’autodérision : « Ce n’est pas de la gloutonnerie ! Plutôt une curiosité débordante : je suis fasciné par tout ce que je ne connais pas, par la découverte de nouveaux mondes expressifs, de nouveaux langages. Bien sûr, je ne peux renier mes passions ! Rossini, par exemple, que je dirige toujours avec un immense plaisir – d’où mon engagement au festival de Bad Wildbad. Mais la vie est trop courte et le savoir humain trop grand pour se limiter à une seule activité ! » C’est pourquoi, malgré un emploi du temps très chargé, Antonino Fogliani a accepté il y a quelques mois la chaire de direction d’orchestre du conservatoire de Palerme. Nous nous asseyons sur l’un des bancs rouges du parc. Face à nous, solide comme un roc, se dresse le Monte San Salvatore. « L’enseignement est surtout une façon de revenir régulièrement à mes racines, géographiques et morales. En fait, je n’ai pas l’impression d’être un professeur qui a beaucoup à enseigner, dit-il dans un sourire, mais je peux essayer d’être un exemple, comme Gianluigi Gelmetti l’a été pour moi.

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Pour lui, la musique était une passion dévorante, un amour exclusif : lorsqu’il s’agissait de parler des compositeurs, d’enseigner un morceau, il parvenait comme par magie à trouver du temps supplémentaire. Les journées semblaient pouvoir se rallonger indéfiniment. L’objectif étant de transmettre des connaissances qui se forment par l’expérience, la seule façon de le faire est d’encourager les élèves à penser par eux-mêmes ; de leur apprendre à regarder, à observer plutôt que de simplement voir. Cela demande beaucoup de temps et beaucoup d’amour ! » Fogliani se lève. Il est l’heure de se dire aurevoir. Et puis non. « J’ai encore un peu de temps, faisons quelques pas ! » Nous nous dirigeons vers la sortie du parc et sommes bientôt au Palazzo dei Congressi, l’ancienne salle de concerts de Lugano. À l’arrière, un patio nous tend les bras au milieu de la verdure. Une fois encore, nous prenons place, commandons un apéritif et commençons à parler. Des délices de la cuisine sicilienne et bolognaise, de la famille et des chiens, de Strauss et de Bellini, des chanteurs d’autrefois et des chefs d’orchestre d’aujourd’hui... et de bien d’autres choses encore. Mais ça, c’est tout une autre histoire.


Le LAC, pour Lugano, Art et Culture. Dessiné par l’architecte tessinois Ivano Gianola, l’édifice d’un volume de 180 000 mètres cubes est dédié aux arts visuels et scéniques.

Antonino Fogliani a surtout construit sa carrière sur l’opéra, mais il a également une intense activité symphonique. © Susanne Diesner

Cela fait tout juste vingt ans que la sculpture Eros bandé du Polonais Igor Mitoraj trône sur la piazza Indipendenza, et ce pour le plus grand plaisir des citoyens parmi lesquels Antonino Fogliani.

Lieu de rencontre des politiciens, écrivains, artistes et notables, le Ristorante Grand Cafè al Porto, fondé en 1803, cache en son sein le « Cenacolo Fiorentino », le réfectoire d’un couvent du XVIe siècle et de son plafond à caissons.

rdv.

Au Grand Théâtre de Genève Turandot Du 20 juin au 3 juillet 2022 gtg.ch/turandot

Transmission en direct sur écran géant au Parc des Eaux-Vives le 24 juin 21h, entrée libre 11


portrait

Corinne Winters de Paul McCartney à Jenůfa La soprano américaine qui chantera le rôle-titre de l’opéra de Janáček a appris à chanter grâce à son père amoureux des Beatles. Marathonienne et bête de scène, fascinée par la voix d’Amy Winehouse, elle avoue qu’elle ne pourra jamais incarner les femmes plaintives : « Même les plus vulnérables peuvent avoir de la force. »

Par Jean-Jacques Roth

Corinne Winters voit sa carrière bondir depuis quelques années. Elle a chanté son rôle fétiche, Violetta dans La traviata, de Londres à Melbourne. La soprano américaine s’est également engagée dans le répertoire slave, notamment dans les opéras de Janáček dont elle chante cette saison les rôles titres de Katya Kabanova et de Jenůfa.

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Bruxelles vient de lui faire un triomphe dans le Trittico de Puccini. Un combo rarement joué que l’opéra de la Monnaie a décidé d’afficher dans son intégralité, en ce mois de mars, pour son retour à la normalité post-covid. Corinne Winters y assurait les deux rôles principaux de soprano : celui de Giorgietta, femme délaissée et adultère dans Il tabarro, puis Suor Angelica dans l’ouvrage du même nom, magnifique portrait de femme condamnée à la réclusion moniale par une naissance hors mariage. Contraste total qui offre l’occasion d’apprécier la versatilité de ses talents. Comédienne hors pair, silhouette fuselée d’épouse en feu dans

Il tabarro, séduite par le docker Luigi que chante, avec brio, Adam Smith, ténor tout aussi avantageux qui se trouve être son époux. Puis religieuse cloîtrée par l’hypocrisie sociale, s’abîmant dans la mort lorsqu’elle apprend que son enfant illégitime est décédé. Sa voix lyrique, aux grandes capacités expressives, s‘épanouit dans des aigus vaillants qui trahissent l’endurance de la marathonienne qu’elle est aussi. Corinne Winters n’est pas demandée partout pour rien. Et la mise en scène bruxelloise du jeune prodige Tobias Kratzer ne fait que sublimer ses qualités d’actrice. À Genève, c’est une autre femme en détresse qu’elle affronte avec Jenůfa, dans l’opéra du même titre de Janáček. Après avoir brillé dans le répertoire italien, en particulier avec sa Traviata, Corinne Winters aborde aujourd’hui l’opéra slave, notamment avec Tatyana dans Eugène Onéguine, ou une autre grande héroïne de Janáček, Katya Kabanova, qu’elle vient de chanter en Allemagne et qu’elle incarnera cet été au Festival de Salzbourg.


Pour Corinne Winters, chacun peut faire carrière « si vous êtes convaincue, si vous vous y consacrez entièrement et si vous avez de la persévérance, mais il faut tous ces éléments pour ça marche. » © Emitha Studios

Corinne Winters pendant les répétitions de Jenůfa de Janáček, que mettra en scène Tatjana Gürbaca. © Carole Parodi

Jenůfa et Katia Kabanova sont deux rôles complexes, rendus plus ardus encore par les difficultés de la langue tchèque. Corinne Winters a mis neuf mois à dominer le texte. «J’ai eu recours à deux coaches, l’un à Rome et l’autre à Philadelphie. Je voulais avoir complètement métabolisé le texte avant de me concentrer sur le travail musical.» Jenůfa accouche d’un enfant illégitime que Kostelnička va noyer, pour protéger la réputation de sa belle-fille. Tout naturellement, on demande à Corinne Winters comment on s’y prend pour plonger dans des sentiments si extrêmes. « J’essaie d’aller aussi loin que possible dans le ressenti du personnage pendant les répétitions, mais une fois en représentation, je me retiens car pour toucher le public, je dois extérioriser les émotions plutôt que les vivre en moi.»

On compare souvent Corinne Winters à Audrey Hepburn pour sa grâce juvénile. Elle fait aussi penser à Natalie Wood, l’inoubliable Maria du film West Side Story. Résolument américaine, donc, et née dans les profondeurs du pays, dans l’Ohio. C’est par son père, fan de rock et des Beatles, qu’elle se met à chanter. « Lui faisait la voix de John Lennon et moi celle de Paul McCartney, qui était plus haute. Je chantais aussi dans un chœur mais les sessions avec mon père m’ont vraiment aidée par la suite car mon chant est né d’une expression naturelle plutôt que d’un apprentissage académique. » Poussée par ses parents à prendre des cours, elle impressionne sa prof qui l’encourage à faire de l’opéra. Et en même temps qu’elle découvre cet art dont elle ignorait tout, elle en tombe amoureuse. « Pas seulement pour

la musique mais pour le jeu, pour les costumes, pour les textes, toutes ces formes artistiques que l’opéra réunit. Tout était là. Je suis allée étudier à Philadelphie et j’ai commencé comme mezzo-soprano, mais sans établir une vraie connexion avec les rôles que je chantais. J’ai donc travaillé ma voix pour pouvoir aborder des personnages qui me paraissaient plus complexes et plus intéressants, j’ai conquis une tessiture plus haute et je suis devenue soprano. À partir de là, tout s’est ouvert. » Corinne Winters n’est pas la seule cantatrice à avoir tâtonné avant de trouver sa voix. « À un moment de mes études, je me suis sentie découragée. Alors un professeur m’a dit : “continue de travailler et concentre-toi sur ton chant sans te comparer aux autres”. Il avait raison. Chacun peut faire carrière pourvu d’avoir la conviction de ce que l’on fait, un engagement radical et de la persévérance. Mais aucun de ces éléments ne doit faire défaut. » Corinne Winters incarne la plupart du temps des personnages au destin tragique. Elle refuse pour autant d’en faire des femmes plaintives. « Ce n’est vraiment pas mon tempérament. Même les femmes vulnérables et fragiles peuvent avoir de la force. » Loin de l’image de créatures hors sol souvent attachée aux chanteurs d’opéra, Corinne Winters est totalement connectée au présent. Elle est transportée par la voix d’Amy Winehouse, « pour son authenticité », au moins autant que par celles des grandes cantatrices qu’elle admire. Et lorsqu’elle se détend après une journée de travail, ce n’est pas pour écouter Wagner mais pour regarder Ozark ou Peaky Blinders. Une femme normale, en somme ? « Aussi normale qu’on peut l’être quand on fait ce job de fou où l’on passe dix mois sur douze loin de chez soi. Mais oui, je crois bien que j’ai les pieds sur terre. » C’est avec les mêmes mots qu’elle décrit Jenůfa, cette héroïne bouleversante dont 118 ans la séparent, et dont sa prise de rôle à Genève est attendue comme un événement.

rdv.

Au Grand Théâtre de Genève Jenůfa Du 3 au 13 mai 2022 www.gtg.ch/jenufa 13


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Coquin, queer, trash… la face hot de l’opéra Par Christian Merlin

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Photographies  : © Cha Gonzalez


Critique musical au Figaro et producteur sur France Musique de l'émission Au Cœur de l'orchestre, auteur à la revue L'Avant-Scène Opéra, Christian Merlin a longtemps enseigné les études germaniques et l'histoire de la musique à l'Université de Lille. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la musique et l'opéra.

Depuis toujours, l’opéra parle d’amour. Et parfois sous ses formes les plus crues. Il suffit de penser aux ambiguïtés de genre de l’opéra baroque, à la charge érotique des chefs-d’œuvre de Mozart ou aux voluptés incandescentes de l’opéra romantique. Pour les metteurs en scène, la représentation du désir reste pourtant un défi : comment le montrer pour qu’il reste… désirable ?

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«

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L’école des amants ». C’est le sous-titre que Mozart et Da Ponte ont donné à Così fan tutte, mais n’est-ce pas une définition de l’opéra ? Qu’il soit question d’amour dans les neuf dixièmes du répertoire lyrique, voilà une lapalissade qui ne justifie certainement pas un article de plus. Mais de quel amour parle-t-on ? Dans un genre fortement marqué par les conventions classiques, on pense à un amour idéalisé, filtré par les règles de la bienséance. Grave erreur ! Le sexe y est omniprésent. Il ne l’est pas forcément de manière ostensible. Il suffit d’être attentif. Puisque nous avons commencé par Da Ponte, relisez bien les livrets géniaux qu’il a écrits pour son complice Mozart. Ce sont non seulement des chefs-d’œuvre de construction dramatique, mais leur langue est le lieu de tous les sous-entendus, y compris les plus grivois. Innocents, les batifolages de la Comtesse et de Suzanne avec Chérubin ? Pas tant que cela. Car quand l’adolescent a chanté sa chanson « Voi che sapete » et que la Comtesse, troublée, déclare : « Je ne savais pas que vous chantiez si bien », sa camériste répond : « Oh en vérité il fait bien tout ce qu’il fait. » Inutile de faire un dessin. À l’acte IV, lorsque la jeune Barberine chante « L’ho perduta », en se lamentant sur la perte de l’aiguille que lui avait confiée Suzanne, on ne peut qu’être saisi par le décalage entre la banalité anecdotique du propos et la musique poignante composée par Mozart. Une cavatine si douloureuse, dans la tonalité particulièrement mélancolique de Fa mineur, pour la perte d’une aiguille ? À d’autres ! C’est bien de perte de la virginité qu’il s’agit, sans qu’il soit possible de dire avec certitude s’il s’agit de l’anxiété naturelle d’une jeune fille face aux mystères de l’amour ou de la douleur provoquée par une relation non consentie.

La séduction est présente sur la scène lyrique depuis l’invention du genre. Dès 1643, Le Couronnement de Poppée de Monteverdi est structuré par les unions charnelles de Néron et Poppée, jusqu’à cette rime riche entre odo ( j’entends) et godo (je jouis) que seul l’italien permet : « Si je les entends comme des paroles, j’en jouis comme des baisers. »


L’occasion de rappeler que les Noces évoquent une société où tout le monde n’est pas prêt à accepter l’abolition du droit de cuissage. La même Barberine n’avait d’ailleurs pas froid aux yeux pour renvoyer le Comte dans les cordes quand il voulait dénoncer Chérubin : « Vous me dites souvent lorsque vous m’embrassez : ‘Barberine si tu m’aimais je te donnerais ce que tu voudrais’»… Et si l’on doutait encore des véritables intentions des personnages, les masques tombent vite. Au dernier acte, lorsque le Comte invite sa conquête à le suivre dans un cabinet et qu’elle demande : « Dans le noir, Monseigneur ? », il répond d’un « Je ne suis pas venu pour lire » qui déclenche l’hilarité du public depuis l’existence des surtitres. Dans Don Giovanni, dont l’érotisme est un point de départ, Da Ponte ne se montre pas moins inventif en termes de sous-entendus grivois qu’il met volontiers dans la bouche des domestiques. Lorsque Zerline trouve son fiancé Masetto à terre après avoir été roué de coups par Don Giovanni, lui demande où il a mal et qu’il montre sa tête, ses bras, ses jambes, elle met fin à sa litanie d’un plus qu’explicite : « Il n’y a pas grand mal si le reste est sauf. »

C’est sans doute dans Così fan tutte que Mozart et Da Ponte sont allés le plus loin dans la sexualisation du propos. La servante est encore la plus réaliste, Despina ouvrant les yeux de ses maîtresses sur les véritables attentes des hommes : « En nous ils n’aiment que leur plaisir », avant de mettre les points sur les i : « Une femme à 15 ans doit savoir tout ce qui se fait, où le diable a la queue. » Vision aussi désenchantée qu’en avance sur son temps. Sur un registre résolument comique, sans les cruelles ambivalences mozartiennnes, L’Heure espagnole de Ravel présente Concepción, la femme de l’horloger, qui profite du temps pendant lequel son mari s’absente pour coucher avec ses amants. Cela se complique lorsqu’ils arrivent en même temps et se cachent dans les horloges. Ce qui inspire au librettiste Franc-Nohain cette réplique pour le moins à double sens : « Eh quoi, lorsque j’eus tant de peine à entrer faut-il déjà sortir ? » Et lorsque Concepción invite le muletier qui a passé tout l’opéra à porter les horloges à la suivre, ses mots ne laissent aucun doute sur ses intentions : – Vraiment cet homme a des biceps qui dépassent tous mes concepts. Avec lui pas de propos mièvres. Dans ma chambre, Monsieur, il vous plaît remonter ? – Mais laquelle y dois-je porter de ces horloges ? – Sans horloge. Si vous croyez que dans l’univers éthéré convoqué par Debussy et Maeterlinck dans Pelléas et Mélisande, on ne se touche pas, détrompez-vous. La scène de la tour est d’une sensualité torride qui se débride à mesure que se défont les cheveux de Mélisande, attribut érotique sublimé par Baudelaire et repris par Pelléas : « Je les tiens dans les mains, je les tiens dans la bouche, je les tiens dans les bras », tandis que la musique se fait plus voluptueuse que jamais.

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À vrai dire, la séduction est présente sur la scène lyrique depuis l’invention du genre. Dès 1643, Le Couronnement de Poppée de Monteverdi est structuré par les unions charnelles de Néron et Poppée, jusqu’à cette rime riche entre odo (j’entends) et godo (je jouis) que seul l’italien permet : « Si je les entends comme des paroles j’en jouis comme des baisers. » Les cheveux pour Pelléas, les bras pour Poppée, les seins pour Néron, les pieds pour Musette faisant mine que son escarpin la serre pour reconquérir Marcel à l’acte II de La Bohème : l’opéra évoque les blasons du corps féminin, dont la musique serait l’expression mimétique. Ce qui conduit Alwa à vanter le corps de Lulu en termes musicaux, dans l’opéra d’Alban Berg : « À travers cette robe je sens ton corps comme une musique. Ces chevilles : un grazioso ; ce renflement charmant : un cantabile ; ces genoux : un misterioso ; et l’andante puissant de la volupté. » Véhiculée par la suggestion, la sexualité opératique peut aussi être très explicite. Le plus souvent par la musique : Le Chevalier à la rose, de Richard Strauss, s’ouvre par le petit-déjeuner de la Maréchale et de son jeune amant Octavian après une nuit que l’on n’a pas besoin de voir puisqu’un prélude instrumental survolté nous la raconte par la seule ardeur des instruments, notamment une très éloquente ruade des cors. Quant à l’étreinte entre Katerina et Sergeï dans Lady Macbeth de Mtsensk, de Chostakovitch, elle culmine sur un déchaînement orchestral qui retombe sur des glissandi descendants de trombone pour le moins

suggestifs. On n’est pas surpris que la critique stalinienne ait hurlé à la pornographie musicale… Un pas franchi dans le savoureux Powder her Face de l’Anglais Thomas Adès, créé en 1995, premier opéra à comporter un air… de la fellation ! Un air sans paroles. De fait, si le sexe est présent à l’opéra, c’est souvent sous forme de transgression. Celle que permet le travestissement : Chérubin, Octavian, jeunes hommes joués par une femme, ajoutent l’ambiguïté sexuelle au trouble de la séduction. Et tout se complique lorsque le livret recourt au déguisement. Lorsque le Comte Ory, chez Rossini, s’habille en religieuse pour approcher la Comtesse Adèle alors qu’il tient en fait la main du page Isolier (personnage masculin chanté… par une femme !), la confusion libertine est à son comble. Situation comique qui devient particulièrement touchante lorsque Zdenka, la jeune sœur d’Arabella dans l’opéra de Strauss, obligée de se déguiser en garçon car ses parents ne peuvent se permettre d’avoir deux filles à marier, se glisse dans le lit de Matteo, amoureux d’Arabella, en lui faisant croire que c’est avec l’aînée qu’il fait l’amour : c’est encore à l’orchestre que Strauss demande d’évoquer une étreinte saturée de chromatismes à faire rougir le moins prude des auditeurs. Si le désir est un ressort fondamental du théâtre lyrique, le sexe à l’opéra n’en relève pas moins d’un élan souvent non partagé. L’agresseur est le plus souvent puni avant d’arriver à ses fins : Tosca promet à Scarpia de se donner à lui en échange de la libération de Mario, mais le tue dès le sauf-conduit signé. Parfois c’est au sacrifice de la vie de l’agressée : dans Le Trouvère, Léonore fait mine de céder au Comte de Luna, mais avale du poison avant de se livrer à lui. Le crime qui va jusqu’au bout, c’est celui qui donne son titre au Viol de Lucrèce de Britten, où l’épouse de Collatinus préfère se poignarder après avoir été prise contre son gré par Tarquin. Une œuvre d’une rare hauteur de vue, où Britten traite une fois de plus de l’innocence profanée, transgression ultime. Transgression, encore, lorsque le corps est mis au premier plan là où l’on attendait une sublimation spirituelle. C’est le grand forfait de Tannhäuser, protagoniste de l’opéra de Wagner où les ménestrels participent à un concours de poésie où chacun vient chanter sa conception de l’amour courtois : en se lançant dans un hymne brûlant à Vénus, le scandale est tel qu’il est banni.


Si le désir est un ressort fondamental du théâtre lyrique, le sexe à l’opéra n’en relève pas moins d’un élan souvent non partagé. L’agresseur est le plus souvent puni avant d’arriver à ses f ins.

À transgression, transgression et demie, lorsque le même Wagner, dans La Walkyrie, fait d’un frère et d’une sœur, Siegmund et Sieglinde, les amoureux absolus, faisant exploser toute morale bourgeoise. Ce que Bernard Shaw avait très bien résumé : « À la fin du premier acte de La Walkyrie, Wagner indique : ‘le rideau tombe rapidement’. Heureusement car sinon on verrait de drôles de choses. » Transgression encore lorsque Britten, dans Le Tour d’écrou, d’après Henry James, évoque la place des enfants dans l’imaginaire sexuel. Que les adultes supposés corrupteurs, Peter Quint et Miss Jessel, soient associés, l’un à l’image de la tour, l’autre du lac, n’est pas plus innocent que les sous-entendus qui peuplent le texte, comme ces « pas à peine entendus qui montent et descendent, le geste inconnu, le doux mot qui obsède ». Ce trouble, il n’est plus tout à fait celui de l’enfance mais de l’adolescence pour Salomé, fascinée par Jean-Baptiste, Jochanaan dans l’opéra de Strauss : « Laisse-moi toucher ton corps », « Laisse-moi toucher tes cheveux », « Je veux baiser ta bouche », répète la princesse. Il est vrai que Strauss est de la génération de la psychanalyse, qui donne les clés pour comprendre la sexualité malade d’Elektra, avouant avoir privé son corps de plaisir depuis la mort de son père.

Mais s’il en est un qui est parvenu à abolir la frontière entre le charnel et le spirituel, c’est bien Wagner. Comment Parsifal accède-t-il à la clairvoyance qui fait de lui le sauveur ? Par le baiser de Kundry. Autrement dit, celui qui appelle à la chasteté est initié par la sexualité. Éros et Agapé, éternelle question ! Le texte de Tristan et Isolde nous parle d’une union mystique désincarnée, mais la musique ne suggère-t-elle pas une sensualité dont les vagues se font de plus en plus vertigineuses, jusqu’au plus cruel des coïtus interruptus ? La nouvelle Tristan de Thomas Mann se déroule dans un sanatorium où, à la demande de l’énigmatique M. Spinell, la pensionnaire Mme Klöterjahn joue au piano une transcription de Tristan et Isolde au cours d’une incroyable scène d’orgasme musical qui déclenchera chez elle les premiers signes de la tuberculose qui l’emportera. Le sexe à l’opéra n’est pas sans danger.

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Le sexe sur scène, un pétard mouillé Manuel Brug

C’

Représenter l’acte sexuel sur les planches conduit en général à des désastres, même si l’opéra chante le sexe et la sensualité depuis toujours. Un homme d’expérience raconte les tentatives avortées de faire l’amour en chantant.

était il y a peu, au Palais Garnier. Les dernières notes de l’ouverture des Noces de Figaro de Mozart viennent de s’évanouir. Sur la scène, la reconstruction de trois loges de solistes du somptueux Palais Garnier de l’Opéra de Paris. Au milieu, Susanna et Figaro s’installent comme à la maison ; à gauche, la Comtesse se consume dans sa mélancolie ; assis à droite, son époux se comporte comme un goujat avec un petit rat de l’opéra. On le sait, dans cette « folle journée » inondée d’érotisme, il s’agit de sexe, de sexe et encore de sexe, avec ou sans droit de cuissage. Presque chacun ici se trouve embringué avec tout le monde, ou presque. On y retrouve un enfant illégitime, et par ailleurs, l’affaire est plutôt « gender fluid ». Dès le début. Ici, on ne va pas par quatre chemins – le rococo est certes un style gracieux, mais on n’y laisse filer aucune occasion. Le grand chef Riccardo Muti aime plaisanter au sujet du premier couplet chanté par Figaro :

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Manuel Brug est journaliste spécialisé en danse et en musique, et rédacteur au quotidien allemand Die Welt depuis 1998. Né à Munich, il a travaillé à la Radio bavaroise, puis comme critique de danse et de musique à la Süddeutsche Zeitung, au magazine Opernwelt et au Tagesspiegel de Berlin. Il a reçu en 1999 le prix de la critique du Festival de Salzbourg.

« Cinque... dieci. » Comprenons qu’il ne mesure pas les dimensions du lit matrimonial, mais celles d’un autre outil, tout aussi important pour la félicité conjugale. D’où les paroles de Susanna‚ « 43 centimètres – on le croirait vraiment fait pour moi...». La metteure en scène britannique a probablement considéré que le ramassis entassé dans la chambre de droite, évocateur des débraillages à venir du comte, ne suffisait pas. On va donc voir le couple de domestiques, jusque-là sagement occupés à leurs tâches, se jeter l’un sur l’autre au milieu de la scène en se déshabillant. Debout, les deux chanteurs, tout à fait agréables à l’œil, vont ainsi se délester de leurs vêtements pour se retrouver en caleçon – et non en dessous de femmes – pour s’acquitter au mieux d’un inconfortable « quickie ».


Pénible à regarder, mais sans doute plus pénible encore à jouer ! Car l’évidence est là : ces représentants de l’espèce « chanteurs », aussi beaux, jeunes et conformes à leurs rôles soientils, ne possèdent pas le corps idéal pour accomplir cet exercice tout en répondant aux exigences vocales. Qui plus est sous le feu criard des projecteurs. Mais voilà : ces corps, aujourd’hui, on désire les voir en mode « plaisir augmenté », dans le sillage des images porno véhiculées par Internet, flattés par les filtres d’Instagram déposés sur chaque selfie narcissique. Comme si tout ici devait conduire de manière compulsive et crue à la plus belle scène de sexe. En outre, dans ce Palais Garnier tendu de velours rouge, l’insatiable concupiscence de notre cerveau semble invitée à imaginer ce qui pouvait se passer dans les alcôves sombres des loges du parterre, derrière les baignoires, là même où aujourd’hui encore, sous les patères du vestiaire, un confortable canapé semble attendre les clients… Et cet imaginaire érotique ne s’arrête pas là. Car derrière le plateau de cette représentation des Noces de Figaro se situe le fastueux Foyer de la danse. Sous prétexte d’échauffement, cette

salle scintillante de miroirs avait pour fonction d’exhiber les ballerines misérablement payées sous leur meilleur jour. Ainsi, les messieurs du Jockey Club qui payaient cher ce privilège pouvaient parader après le deuxième acte des grands opéras et se réserver une ballerine comme « objet de plaisir ». Oui, le sexe a toujours fait partie du monde de l’opéra – joué sur scène, vécu dans les coulisses, dans la salle ou le foyer. Le théâtre comme bourse aux contacts, comme boîte de drague. En témoignaient, avant l’ère de l’ordinateur, les mises en scène imaginatives et les étourdissants numéros d’acrobatie du Théâtre Salambo, au cœur du quartier chaud de Hambourg. Des filles racoleuses, des « Belles au bois désirant » ou « Blanche-comme-Neige », ne parlant souvent pas l’allemand, maniaient de gigantesques outils, propriétés de leurs princes de contes de fées, au son de musiques en playback jouées à plein tube. Mais dès l’origine, l’opéra baroque n’esquivait ni le sexe, ni le caractère, ni les relations multiples. Dans la Rome du Couronnement de Poppée de Monteverdi, déjà, les empereurs et les domestiques trafiquent joyeusement entre eux.

Pour sa mise en scène de Tannhäuser de Wagner, en 2005, au Grand Théâtre, Olivier Py avait fait appel à un acteur porno pour incarner le personnage du Minotaure lors de la Bacchanale – jusqu’à lui demander de brandir sa virilité en toute majesté. © GTG /Ariane Arlotti

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dossier sexe et opéra Et dans la Rome historique, celle du pape, des cardinaux rondouillards se transformaient jadis en librettistes guidés par leurs pulsions. Adressés à leurs castrats favoris, jeunes éphèbes qu’ils n’aimaient pas seulement de manière platonique, ils écrivaient des rôles de prima donna – pour des raisons bibliques, les femmes étaient interdites de scène. L’opéra ? Des écuries d’Augias ! Et ne parlons pas de l’opérette… Le père de famille Jacques Offenbach avait des aventures avec presque toutes ses divas, et sa prima donna Hortense Schneider, qui chantait « le sabre de papa » de manière à peine ambiguë, aimait garder la porte de sa loge ouverte à toute heure. Le French cancan sensuel et mousseux, ayant débordé des cabarets et des revues, incitait le bourgeois à bien d’autres escapades. Dans Nana, Émile Zola décrit de manière saisissante comment la courtisane, héroïne de son roman, dans son emploi de figurante de luxe entièrement dévêtue, fascinait la masse des spectateurs qui avaient payé pour la voir. Oui, l’opéra chante le sexe et la sensualité depuis toujours. Mais avec décence, s’il vous plaît ! Ou du moins avec raffinement. Car la représentation concrète d’un acte torride, ça ne fonctionne jamais. Cela reste du simulacre. Et lorsque c’est prétendument pour de vrai, comme l’a régulièrement tenté La Fura dels Baus, à l’époque où les spectacles sauvages des Catalans faisaient les gros titres – avant de s’assagir et de se conformer au goût des festivals – alors les actes pratiqués par des travailleuses et travailleurs du sexe produisaient un spectacle purement mécanique, qu’il soient projetés sur des écrans ou exécutés derrière des vitres embuées. Tout ceci restait immensément vide, dénué de toute sensualité. Comme l’a également été l’automne dernier au Schauspielhaus de Zurich – le titre l’indique bien – la pièce de David Foster Wallace Brefs entretiens avec des hommes hideux. L’acte sexuel façon « mickeymousing », cette technique qui souligne chaque événement d’un film par la bande sonore, aboutit toujours à une forme de parodie. C’est d’ailleurs de cet univers, celui du dessin animé, que dérive le terme. C’est aussi la raison pour laquelle deux des orgasmes lyriques les plus célèbres de l’histoire de la musique ont été composés sous forme de satire mordante d’une éjaculation précoce. L’un en guise de prélude à l’ouvrage, l’autre comme épilogue charnel, tous deux abrités derrière le rideau de scène de manière à rester dans l’ombre d’un accueillant secret.

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L’opéra chante le sexe et la sensualité depuis toujours. Mais avec décence ! Ou du moins avec raffinement. Car la représentation concrète d’un acte torride, ça ne fonctionne jamais. Cela reste du simulacre.


Les Noces de Figaro de Mozart (ici dans la mise en scène de Netia Jones à l’Opéra de Paris) : une « folle journée » inondée d’érotisme où il s’agit de sexe, de sexe et encore de sexe, et où on n’y va pas par quatre chemins. ©Vincent Pontet

Leurs deux auteurs, Dimitri Chostakovitch et Richard Strauss, étaient roublards. Le premier savait exactement ce qu’il faisait lorsque la libidineuse et antipathique Katerina Ismaïlova, devenue Lady Macbeth de Mtsensk, empoisonneuse de son beau-père et meurtrière de son époux, enfermée dans sa frustration provinciale, se jette sur Sergeï, en profanant le lit matrimonial au rythme du tutti orchestral et de son grondement tonitruant. Et c’est sur le glissando nasillard et ridicule des trombones que son idiot d’amant, tête basse, quitte le nid d’amour. Dans Le Chevalier à la rose de Richard Strauss, ce sont des triolets de cors qui signalent les derniers soupirs de plaisir entre la Maréchale et son jeune amant Octavian, au terme d’une nuit d’extase dans la Vienne de l’impératrice MarieThérèse. Rien n’en est montré, bien sûr : lorsque le rideau se lève après cette ouverture orchestrale suggestive, on découvre les amants au lever du jour, épuisés, épanouis. Et dans la plupart des mises en scène, habillés de pied en cap – il faut savoir que le tendre et juvénile Quinquin, ainsi que le surnomme la noble dame, est chanté par une mezzo-soprano. Strauss le considérait comme un descendant du Cherubino mozartien, tout débordant de sentimentalité. On ne savait encore rien des métrosexuels et de la non-binarité… Pour coller au politiquement correct, à Londres, le Royal Opera House de Covent Garden a engagé récemment un « intimacy coach ». En d’autres termes un conseiller en intimité, semblable à celui qui, dans le monde du cinéma, depuis le mouvement #MeToo, discute des scènes de sexe avec les acteurs et les aide à les jouer devant les caméras. À Londres, il s’agissait d’accompagner les chanteurs de Theodora, l’oratorio de Haendel, dans une mise en scène de Katie Mitchell annoncée comme pouvant heurter la sensibilité des jeunes publics. Pourtant, le martyre de

l’héroïne de l’ouvrage, chrétienne condamnée par les Romains païens à se prostituer dans un bordel, était ici représenté de manière si sobre que l’intimité des cantatrices ne risquait vraiment rien. En réalité, la scène d’opéra reste un lieu plutôt chaste, afin d’épargner aux protagonistes les tourments exhibitionnistes. Certes, il peut y avoir de la nudité, mais l’exposition de l’intimité des corps est plutôt rare, malgré la publication de l’ouvrage Deviant Opera : Sex, Power, and Perversion on Stage (Déviance à l’opéra : sexe, pouvoir et perversion sur scène) aux très sérieuses Oxford University Press. En réalité, il n’y est fait état que de scènes de type sado-masochiste, agressives et ostentatoires, destinées à renforcer les théories actuellement dominantes en matière de sexe, de genre, de pouvoir et de violence. Autrefois, Calixto Bieito a fait les gros titres en utilisant sur scène du sang artificiel et des liquides évoquant le sperme. Mais ces audaces sont restées isolées. On pense à ses mises en scène particulièrement controversées au Komische Oper de Berlin. Au Freischütz de Carl Maria von Weber, où le personnage de Max était un homme de Néandertal intégralement nu ; à L’Enlèvement au sérail de Mozart, où Osmin urinait face aux esclaves sexuelles du harem ; ou encore à Armide de Gluck, où la magicienne plongée dans son chagrin d’amour faisait défiler une douzaine de beaux hommes nus pour se rincer l’œil. Mais le Catalan a abandonné ces extravagances depuis longtemps. Du coup, de respectables abonnées du Grand Théâtre de Genève pourront continuer à encenser avec nostalgie la production légendaire de Tannhäuser de Wagner signée par Olivier Py en 2005. Réputé pour agrémenter ses plateaux avec de nombreux hommes à moitié nus, sur un mode « Crazy Horse à l’opéra », Py avait pris à la lettre les indications de Wagner pour la Bacchanale, dans la version parisienne de son opéra. Puisque le compositeur imaginait la présence d’un Minotaure dans la grotte de Vénus, le metteur en scène avait engagé un authentique acteur porno. Celui-ci devait traverser la scène en exhibant sa virilité en érection. Mais lors de la deuxième représentation, son organe était demeuré exsangue, si bien que les spectatrices en fourrure assises aux meilleures places, déçues, rangèrent leurs jumelles d’opéra et gloussèrent moqueusement. Le sexe à l’opéra ? Lorsqu’il se veut réaliste, c’est un pétard mouillé. Toujours, en fait.

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«CHOQUER, trop facile!» Par Jean-Jacques Roth

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Comment mettre en scène l’amour charnel sur scène ? Aussi radical qu’il puisse être, le metteur en scène Daniel Kramer (il signera Turandot en juin) n’est pas sûr que tout montrer soit la bonne idée.

Enfant terrible des scènes lyriques et théâtrales, Daniel Kramer a choqué plus d’une fois, notamment avec une Traviata aux fêtes très délurées, tendance SM, qui provoqua de mémorables controverses. À Genève, il fut à ses dépens l’auteur d’un autre buzz, puisque son projet de La Flûte enchantée, en 2015, fut stoppé net trois semaines avant les représentations. Le directeur d’alors, Tobias Richter, estimait qu’il ne convenait pas à un spectacle de fin d’année – Kramer entendait y montrer la violence sous-jacente de l’ouvrage. Ce souvenir amer est lavé par le bonheur que le metteur en scène américain a de retrouver une institution qui s’est intéressée très tôt à son talent en invitant Punch et Judy, l’opéra de Harrison Birtwistle qui fut aussi son premier essai lyrique. La pandémie a retardé ces retrouvailles, mais on y est : le voici sous les ors du Foyer pour évoquer un ouvrage où l’amour – interdit, refusé, conflictuel – est au premier plan, et où la sexualité, bien qu’il n’y soit fait allusion que sous la forme du traumatisme qui a conduit la princesse Turandot à décapiter tous ses prétendants, est évidemment de la partie. Daniel Kramer n’est pas là pour détailler sa conception du spectacle dont l’espace sera dessiné par les Japonais du collectif TeamLab, qui allie recherches graphiques et artistiques à un univers de haute technologie. Il préfère laisser parler une forme de mystère. « Lorsque j’ai vu pour la première fois un spectacle de Pina Bausch, j’ai mis six mois à le comprendre, en y repensant chaque jour. Les choses les plus mémorables, qui me hantent pour longtemps, sont celles que je ne comprends pas immédiatement. Les journalistes veulent que je clarifie tout mais je m’en défends. Ça va au détriment du travail inconscient. »

Nous sommes ici pour parler du sexe à l’opéra, et vous n’avez jamais reculé dans votre travail devant des images crues, évoquant de manière très directe les pulsions sexuelles ou les traumatismes qui peuvent leur être attachés. C’est donc un thème important pour vous ? Quel compositeur n’a pas écrit sur l’amour – et sur la haine, bien sûr ? Dans Turandot, il s’agit de l’apprentissage de l’amour malgré un traumatisme. Les deux protagonistes, le prince Calaf et la princesse Turandot, en ont hérité depuis des temps très anciens. En fait, l’opéra aurait aussi bien pu s’appeler Calaf. C’est plutôt son histoire à lui. Pour moi, il s’agit d’un homme profondément enfermé dans son propre trauma, submergé par sa masculinité toxique, et qui à la fin a appris à devenir un « gentle man », au sens étymologique du terme : un homme « gentle », doux, gentil, tendre. Comment s’opère cette mue ? Au début de l’opéra, la musique de Calaf est passionnée, alors que celle de Turandot est celle d’un iceberg : parfaite opposition du feu et de la glace. À la fin, Turandot fond, mais pourquoi fond-elle ? Je travaille beaucoup sur cette question avec mon équipe, nous avons recours à Jung et à Bruno Bettelheim plutôt qu’à Freud. Il s’agit d’analyser la terreur masculine devant la dévoration féminine. Turandot est comme un trou noir, une abysse sombre. Elle provoque une


« Je n’ai jamais cherché à représenter de manière directe le sexe et la violence sur scène. La poésie et la métaphore sont bien plus intéressantes, à mon sens. » © David Wagnières pour Grand Théâtre Magazine

parle à égalité. Voyant le sacrifice qu’il lui offre, tout se calme en elle. Nous avons choisi de terminer l’opéra avec la version de Luciano Berio (ndlr : Puccini n’a pas achevé sa partition, la plupart du temps donnée dans la version complétée par Franco Alfano), qui laisse plus d’espace à l’exploration de ce moment où Calaf comprend Turandot et peut la rencontrer dans un lieu plus sain, véritablement en couple.

tempête émotionnelle, et alors Calaf, fou d’amour, perd la tête. Mais elle, ce qu’elle voit, ce sont des hommes qui cherchent à la posséder, à exercer sur elle leur domination, alors que son père l’empereur siège au-dessus de sa tête. On vit dans un monde de pouvoir patriarcal. Et pourtant l’un et l’autre se rencontrent à la faveur des défis qu’ils se lancent. Calaf affronte ses peurs de la féminité castratrice. Il apprend que c’est elle qui est terrorisée, traumatisée, qu’il doit lui parler et la toucher d’une manière différente que les autres femmes. Lorsqu’il lui donne à son tour à résoudre une énigme, en retour des siennes, il lui montre qu’il lui

Y a-t-il d’autres éléments liés à la sexualité dans votre lecture ? La castration est un thème très important. Les trois ministres Ping, Pang et Pong étaient historiquement des eunuques. Dans ma vision, ils sont un peu amoureux les uns des autres. Autour de l’empereur, aucun homme n’était pourvu de testicules, il y a avait donc un haut degré d’amitiés masculines et d’homosexualité à la cour. Du coup, Calaf a devant lui le tableau de ce qui l’attend s’il perd ses gonades. J’ai une bible pour ce spectacle : Les blessures symboliques de Bruno Bettelheim. Il nous a beaucoup servi à l’exploration de l’imaginaire du spectacle, connecté à celui du Japon, incroyablement riche en évocations castratrices liées à l’inconscient. Vous vous désignez comme metteur en scène queer. Est-il important qu’on montre aujourd’hui sur scène des personnages LGBTQIA+ ? Bien sûr. Pour moi, c’est un devoir. Il y a tellement d’opportunités, à l’opéra, de célébrer l’amour queer, l’amour contemporain ! Oui, on a besoin de montrer la diversité des orientations sexuelles et amoureuses sur scène. Dans le même esprit, je ne peux plus voir un opéra avec une distribution uniquement blanche. On doit encourager l’inclusion dans nos spectacles.

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dossier sexe et opéra

relation à la violence. Par exemple, je ne veux pas montrer, dans Turandot, le supplice de Liu, à laquelle les gardes de la princesse tentent d’extorquer le nom de Calaf. Je ne veux pas gratifier le public avec cela, ce n’est pas le niveau de message dont nous avons besoin aujourd’hui. Dans un cas comme celui-ci, j’exerce mon droit de subversion.

Les préparatifs du collectif japonais TeamLab pour l’espace scénique de Turandot. © Teamlab

Est-il nécessaire parfois d’aller jusqu’à montrer l’acte sexuel sur scène de manière réaliste ? Je n’en suis pas convaincu. Si l’on veut choquer, oui… mais choquer, c’est la chose la plus facile à faire pour un metteur en scène. Mais est-ce que c’est beau, un acte sexuel ? La poésie et la métaphore sont bien plus intéressantes, à mon sens. Je n’ai jamais cherché à représenter de manière directe le sexe et la violence sur scène. Lorsque j’ai mis en scène Woyzeck de Büchner au théâtre, j’ai ritualisé la violence du tambour-major sur Woyzeck comme une chorégraphie de Broadway, et à la fin du « combat » le tambourmajor se plantait face au public et disait : « Yeah, violence ! » La représentation de la violence est moins intéressante, à mon sens, que celle de notre

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Vous avez la réputation d’un metteur en scène controversé. C’est par plaisir de provoquer ? Pas du tout. Au contraire, les polémiques me font mal. Il n’y a que de l’amour en moi. Même si la provocation est parfois considérée comme une qualité en Europe, d’ailleurs certains directeurs d’opéra ou de théâtre nous y poussent parfois, je cherche en réalité à creuser le plus profondément possible le cœur d’un ouvrage. Je veux répondre à la question : pourquoi représenter cette pièce maintenant ? Si l’on fait Turandot aujourd’hui, il est important de parler de masculinité toxique. Il s’agit de réveiller le public, qu’il se pose des questions. Bien sûr, il faut aussi des mises en scène classiques. Mais si je fais mourir Mimi du sida, dans La Bohême, plutôt que de phtisie, je pense que les générations d’aujourd’hui comprendront mieux la raison d’être du spectacle. L’opéra doit montrer le monde ! S’il y a une chose dont je suis fier dans mon travail, c’est qu’il plaît toujours à des gens plus jeunes que moi. Je crois avoir un sens contemporain de l’action, du dynamisme, de la représentation. Personnellement, je suis souvent très mal à l’aise lorsque je vais à l’opéra : je ne suis pas habillé comme les autres, les gens chantent immobiles dans leurs costumes lourds, sans que personne se soit demandé pourquoi on jouait cet ouvrage aujourd’hui. Alors je ne me sens pas le bienvenu et je m’ennuie.

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Au Grand Théâtre de Genève Turandot Du 20 juin au 3 juillet 2022 gtg.ch/turandot

Transmission en direct sur écran géant au Parc des Eaux-Vives le 24 juin 21h, entrée libre


La marche du monde, sur LeTemps.ch

Isabelle Huppert: «Mon plaisir, c’est de répondre à l’attente d’un metteur en scène» Article publié le samedi 5 mars 2022

En tournée avec La Cerisaie de Tchekhov, qu’elle a jouée à la Comédie dans une mise en scène de Tiago Rodrigues, la comédienne Isabelle Huppert livre son approche du jeu et de la création. © Torchia/NYT/Redus/laif


dossier sexe et opéra

Opéra, amour et sexe : déjouez les pièges! Par Sabryna Pierre

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Sabryna Pierre est auteure dramatique et librettiste, publiée aux éditions Théâtrales. Après avoir collaboré avec de nombreuses institutions de spectacle vivant, elle rejoint en 2019 l’équipe du Grand Théâtre de Genève en tant que responsable développement culturel, afin de partager sa passion de l’opéra avec tous les publics.

« L’opéra, c’est quand un ténor et une soprano veulent coucher ensemble mais qu’un baryton les en empêche », disait George Bernard Shaw. Au-delà de cette citation quelque peu éculée, le sexe et l’opéra entretiennent une relation polymorphe que nous vous proposons d’explorer au fil des quelques questions ci-dessous. Sur scène ou en coulisses, sirènes séductrices, cantatrices courtisanes, musiques érotiques ou scandales marketés… Saurez-vous démêler le vrai du faux ? À vous de jouer !


Un film publicitaire du Stockholm Folkoperan pour promouvoir le Turandot de Puccini. Un opéra libertin du XVIIIe siècle composé par Rossini juste avant la Cenerentola, et dont les partitions ont été détruites par le compositeur.

29 — Comme bien d’autres cantatrices de son temps, la soprano Sophie Arnould déployait ses talents à la fois sur les scènes d’opéra et dans les alcôves… Elle était connue pour son esprit et ses réparties piquantes. On dit que l’ex-duchesse de Chaulnes, dépossédée de son titre à la suite de son mariage avec son amant roturier, lui aurait un jour demandé comment se portait le « métier ». Ce à quoi Sophie aurait répondu : « Assez mal, depuis que les duchesses s’en mêlent. » Ses bons mots, regroupés dans le recueil Arnoldiana, font encore aujourd’hui les délices de nombreux lecteurs. — The Opera of Orgasms est bel et bien un film publicitaire, commandé en 2017 par le Stockholm Folkoperan à l’agence Ingo. On y voit (et surtout on y entend) une succession d’orgasmes dont la juxtaposition reconstitue plus ou moins subtilement la ligne mélodique de Nessun Dorma… S’il n’a jamais écrit puis brûlé d’opéra libertin avant sa Cenerentola, Rossini a bien eu la velléité de porter à la scène Ninetta alla corte, une comédie française légère qui s’est heurtée à la censure papale. Quant au club de strip-tease londonien, arrêtez de le chercher, puisqu’on vous dit qu’il n’existe pas…

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très confidentiel, où les danseuses se dénudent au son des plus grands airs du répertoire.

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Charlotte Eckermann, cantatrice et maîtresse du duc de Sudermanie, futur roi Charles XIII de Suède.

Rosine Stoltz, cantatrice et maîtresse (entre autres) du Baron Ternaux, de Léon Pillet, directeur de l’opéra de Paris ou encore du duc Ernest II de Saxe-Cobourg-Gotha. d’Eurydice dans l’opéra de Glück, et maîtresse (entre autres) du duc de Lauragais.

« Pour faire plaisir aux dames on ne gagne pas en une heure ce que l’on gagne pour faire plaisir aux hommes. » À quelle chanteuse célèbre doit-on cette citation ? ❥ Sophie Arnould, créatrice du rôle

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The Opera of Orgasms. Derrière ce titre énigmatique se cache : ❥ Un club de strip-tease londonien

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— Marie, dont la liaison avec l’archiduc devait rester secrète, profitait de ces premières viennoises de la Walkyrie, Siegfried et du Crépuscule des Dieux (L’Or du Rhin non, trop court, trop risqué) pour rejoindre son amant. Elle avait conçu un stratagème qui consistait à se laver les cheveux très tard l’après-midi de la représentation. Ceux-ci n’ayant pas le temps de sécher, elle devait – quel dommage – manquer l’opéra. Comme l’écrit le biographe Jean des Cars : « Les opéras de Wagner sont très utiles pour encourager l’adultère. Ils sont si longs ! » S’ils avaient été plus courts, la tragédie aurait-elle été évitée ? Quelques mois plus tard, Rodolphe et Marie se suicidaient ensemble dans le pavillon de chasse de Mayerling, rebattant les cartes de la succession au trône d’Autriche-Hongrie.

La durée des opéras de Wagner permettait à Marie de rejoindre son amant puis d’être de retour chez elle avant que sa famille ne rentre.

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— Lady Macbeth de Mtsensk se jouait déjà depuis deux ans avec un immense succès quand l’article de la Pravda vint (provisoirement) mettre fin à la vie de l’ouvrage. L’histoire de Katarina, sorte de Madame Bovary russe qui trompe et tue son mari, dérange non seulement par son érotisme ambiant – « Personne ne m’excite d’une caresse passionnée », chante Katarina, avant d’être rejointe par son amant Sergueï pour une incartade accompagnée des glissandos de trombones très évocateurs… – mais également par le besoin de liberté et la volonté d’émancipation exprimé par l’héroïne.

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La musique de Wagner avait un effet étrangement aphrodisiaque sur Rodolphe.

Louis II de Bavière, était un grand admirateur du maître de Bayreuth.

Boris Godounov de Moussorgski. Roméo et Juliette de Prokofiev. Chostakovitch.

En 1936, paraît dans la Pravda un article intitulé Du chaos en place de musique qui amène le régime stalinien à interdire une œuvre décrite comme exacerbant « les goûts dépravés du public bourgeois » en montrant « de la façon la plus naturaliste les scènes d’amour ». Il s’agit de : ❥ Lady Macbeth de Mtsensk de

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Entre le 11 et le 21 décembre 1888, l’Opéra de Vienne donne pour la première fois la Tétralogie de Wagner. Marie Vetsera, jeune maîtresse de l’archiduc Rodolphe d’Autriche, s’en réjouit particulièrement, mais pourquoi ? ❥ L’archiduc, comme son oncle

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dossier sexe et opéra


— Powder Her Face retrace en effet une part de la vie de la scandaleuse duchesse d’Argyll, dont les exploits sexuels furent exposés lors de son procès en divorce en 1963, et firent les beaux jours de la presse à scandale de l’époque. Dans l’hôtel où prend place la scène 4 de l’acte I, la duchesse fait appel au room service et gratifie le serveur d’une petite « gâterie », épisode qui permet à Thomas Adès d’offrir la première description musicale d’une fellation. L’ingéniosité du livret et de la partition, où planent les ombres tutélaires de Berg, Stravinsky ou encore Kurt Weill, ont permis à cette œuvre de s’imposer au-delà de l’anecdote et d’être fréquemment portée à la scène depuis sa création. À noter que lors de ses premières représentations en 1966 au Théâtre de l’Odéon à Paris, La Passion selon Sade avait dû être renommée La Passion selon x.

La Ronde de Philippe Boesmans, et ses dix tableaux décrivant dix étreintes charnelles successives. Powder Her Face de Thomas Adès, inspiré de la vie de Margaret, duchesse d’Argyll, surnommée la « Dirty Duchess ».

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31 — Sex, celebrity and scandal : c’est ainsi que le Royal Opera House promeut en 2011 Anna Nicole, le nouvel opus commandé à Mark-Anthony Turnage inspiré par la vie et la mort d’Anna Nicole Smith, starlette à la poitrine démesurée. L’institution signale que l’opéra contient « un langage extrême, des abus de drogue et du contenu à caractère sexuel » et « n’est pas approprié à un public de moins de 16 ans ». À la scène 4, par exemple, le personnage de Melissa vous apprend tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le lap dance sans jamais oser le demander. Oh, et quand Docteur Yes, le chirurgien plasticien, vocalise A, B, C, D, E, F… ce n’est pas la version anglaise de la gamme qu’il égrène mais bien les tailles de bonnet de soutien-gorge.

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Bussotti, dont le titre, qui juxtapose l’évocation de la Passion du Christ et le patronyme du sulfureux marquis, fit scandale.

En 1995, quel opéra la radio britannique Classic FM refuse-t-elle de programmer, le jugeant « impropre à la diffusion »? ❥ La Passion selon Sade de Sylvano

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La Fille, dans Sleepless de Peter Eötvös.

Melissa, dans Anna Nicole de Mark-Anthony Turnage.

Opera de John Gay.

« Look don’t touch / Bump ang grind / nothing but a g-string » (On regarde on touche pas / Frotti-frotta / Sans rien d’autre qu’un string) : par qui sont chantés ces quelques vers croquignolets ? ❥ Jenny Diver, dans le Beggar’s

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portrait

Philippe Cohen, les heures exquises d’un esthète Cet été, le directeur du Ballet du Grand Théâtre passera le flambeau à Sidi Larbi Cherkaoui, après dix-neuf ans de règne. Confidences d’un homme qui doit tout à la danse. Par Alexandre Demidoff

Alexandre Demidoff se forme à la mise en scène à l’Institut national des arts et techniques du spectacle à Bruxelles. Il enchaîne ensuite avec un master en littérature française à l’Université de Genève et à l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie. Il collabore au Nouveau Quotidien dès 1994 et rejoint le Journal de Genève comme critique dramatique en 1997. Depuis 1998, il est journaliste à la rubrique Culture du Temps qu’il a dirigée entre 2008 et 2015. Il passe une partie de sa vie dans les salles obscures.

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Cette vie qui est un songe, parfois. Philippe Cohen serait le compagnon de l’empereur Hadrien, oui, ce Romain magnifique, cuirasse d’airain, âme de satin, auquel Marguerite Yourcenar prête un crépuscule flamboyant. En chambellan avisé, il parerait la fin du jour de spectacles célestes, où musiciens et danseurs improviseraient des gestes jamais vus. Philippe Cohen, 69 ans, n’a jamais fantasmé sur cette cour, mais il a une passion d’adolescent pour l’autrice des Nouvelles orientales et de L’Œuvre au noir. Tout lui parle chez elle : la phrase ferme et souple comme un alezan, le vertige de ses héros harcelés par leurs démons, le coup de grâce qu’ils redoutent ou appellent de leurs vœux, le parfum des fatalités. Le directeur du Ballet du Grand Théâtre se reflète dans ce miroir-là : pendant dix-neuf ans, il a conduit en esthète et en diplomate la compagnie genevoise. Il en a dessiné l’éclectisme, la confiant à des chorégraphes alors à l’aube de leur carrière, Benjamin Millepied, Andonis Foniadakis, Sidi Larbi Cherkaoui, qui lui succédera cet été. Mieux, il l’a projetée dans le grand monde, à New York, Pékin, Paris.

L’ombre de Dominique Bagouet

À l’heure des adieux, Philippe Cohen caresse la carte de ce qu’il nomme son bonheur. Dans son bureau, des cartons annoncent une nouvelle vie, dans sa maison du Midi. Au sol, un soldat en bois vert pomme lui susurre une féerie ancienne. C’est un vestige du Casse-Noisette chorégraphié par Benjamin Millepied et dessiné par Paul Cox. Ce poste, il ne l’avait pas brigué, souffle-t-il. Les dés de la chance. On rembobine. En 2001, Jean-Marie Blanchard succède à Renée Auphan à la tête de la maison. Son délégué général est Liliane Martinez, figure de la scène qui a œuvré auprès du chorégraphe Dominique Bagouet, pour qui Philippe Cohen a dansé. Elle l’invite à voir un spectacle du ballet. « Je dirigeais la section danse du Conservatoire de Lyon, je faisais ce que j’aimais et je venais de décliner l’offre de prendre les rênes du Ballet de l’Opéra


Philippe Cohen devant le Grand Théâtre : « Je suis un spécialiste du grand écart, je peux prendre mon pied avec Offenbach comme avec John Cage. J’adore Le Lac des cygnes et Cunningham. » © David Wagnières pour Grand Théâtre Magazine

national du Rhin. Je rencontre Jean-Marie Blanchard le lendemain du spectacle. Il me demande ce que j’en pense, je lui dis que les danseurs n’étaient pas à la hauteur de Concerto Barocco, cette œuvre maîtresse de George Balanchine. » Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Deux jours plus tard, Liliane Martinez le rappelle et lui laisse entendre qu’il pourrait succéder à Giorgio Mancini. « J’avais 50 ans, c’était un bel âge pour commencer une nouvelle vie, alors j’ai dit oui. » Sa ligne ? Sinueuse et intuitive. Une science de l’arabesque, au fond, où cohabitent Saburo Teshigawara, ce virtuose de l’abstraction, et Joëlle Bouvier, cette volcanique qui d’un amour impossible fait un chant.

Révolution de velours

« Je suis un spécialiste du grand écart, je peux prendre mon pied avec Offenbach comme avec John Cage. J’adore Le Lac des cygnes et Cunningham. Quand Jean-Marie Blanchard m’a demandé quel cap j’entendais fixer au Ballet, je lui ai promis qu’il serait créatif. Je voulais renouveler notre répertoire en misant sur la création. Et comme j’estimais qu’on n’était pas assez bons sur pointes, j’ai décidé qu’on y renoncerait. » Mine de rien, c’est une révolution. Avec, comme dans tout bon livret, une épée de Damoclès au-dessus de la tête du héros. Aux yeux de certains conseillers municipaux, le Ballet coûte trop cher. Cela tombe bien, c’est aussi l’avis de certains membres éminents du Cercle du Grand Théâtre. « Jean-Marie Blanchard a été transparent, il m’a fait part de l’éventualité d’une disparition de la compagnie. Je serais devenu alors le Monsieur Danse de l’opéra, mais sans brigade. J’aurais fait de la programmation. Bref, il m’a donné deux ans pour installer la compagnie. » C’est là que le séducteur entre en scène. Il rencontre les ténors du Cercle, ouvre des répétitions au public, expose le labeur de ces garçons et de ces filles qui font profession de ravir les foules. « J’ai compris que la tendance s’était retournée quand Guy Demole (alors grand mécène du Grand Théâtre, ndlr) m’a dit qu’il n’était pas amateur de ballet, mais qu’il venait désormais avec plaisir. J’ai un savoir-faire. C’est mon côté animateur de supermarché. » Les meilleurs arguments sont artistiques. Loin de Sidi Larbi Cherkaoui rallie les amateurs de danse contemporaine. Casse-Noisette emballé par Benjamin Millepied ­– en 2015, le Flamand Jeroen Verbruggen en proposera une vision vénéneuse façon Tim Burton – subjugue les balletomanes de toutes les obédiences, enfants et familles compris. Est-il abusif alors de parler de romance entre les Genevois et leur Ballet ? Il n’est plus question en tout cas de le supprimer.

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portrait

Ces heures exquises, Philippe Cohen les fait défiler avec la gourmandise de celui qui n’était pas programmé pour ce destin. Dans un coin, la statuette de Casse-Noisette l’embrasse de ses yeux d’enfant. Remonte alors le tintamarre de Casablanca, la ville où il est né. Ses parents sont pauvres. Les tantes et les oncles qui ont mieux réussi les traitent, lui et son frère, de bâtards. Il a 5 ans, son père et sa mère divorcent. Celle-là s’établit à Nice avec ses fils. Elle les choie, mais elle attend d’eux qu’ils soient impeccables. Le manque d’argent ne justifie pas les mauvaises manières.

Une enfance à l’opéra

L’opéra entre par la bande dans la vie du solitaire. Son père vit à Paris avec l’assistante sociale de l’Opéra. « Elle m’invitait voir tous les spectacles et j’adorais. Carmen, La traviata étaient des fêtes. Je détestais en revanche le ballet que je trouvais corseté et ridicule avec ses chaussons et ses tutus. » À 15 ans, une copine l’entraîne à un cours de danse jazz. Il y prend goût. 1969 est l’année de toutes les révélations. Au Festival d’Avignon, il voit dans la cour du Palais des papes le Roméo et Juliette de Maurice Béjart, avec le magnétique Paolo Bortoluzzi dans le rôle-titre. « J’ai découvert qu’un spectacle de danse pouvait parler de nous, de nos existences. » Philippe rêvait encore de devenir steward sur Air France. Mais plus pour longtemps. Sa prof de danse a d’autres vues pour lui. « Tu es grand et beau. Tu devrais essayer la filière classique. » Mais comment financer une formation à Paris ? Sa veine alors s’appellera Rosella Hightower, étoile et pédagogue majeure qui a créé son école à Cannes. Elle l’accepte, non sans avoir sourcillé. « Tu as un physique, d’accord, mais aucune souplesse. » Cinq cours par jour changent un homme. À la sortie, sa protectrice lui propose de tenter le Ballet du XXe siècle de Maurice Béjart. Il préfère le Ballet de Nancy où il va rencontrer l’un des hommes de sa vie, l’irradiant Dominique Bagouet. « J’ai rejoint sa compagnie, nous étions amoureux,

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il a assumé avec moi ouvertement son homosexualité, lui qui était marié. Il m’a ouvert les yeux. Il m’a fait voir des expositions et des films que je n’aurais jamais vus sans lui. » Les roses fleurissent et l’histoire change d’allure. François Mitterrand et la gauche accèdent au pouvoir. Installé rue de Valois, Jack Lang impose ses cols Mao et ses ambitions pour la culture. La danse contemporaine est l’un des fleurons de sa politique et Dominique Bagouet en est le chevalier. Philippe Cohen a 30 ans en 1983 et décide d’arrêter de danser, parce qu’il ne veut pas connaître le destin de ces grognards qui pansent leurs blessures en priant pour que le gong ne sonne pas trop tôt. Sa chance s’appellera encore une fois Rosella Hightower. « C’est elle qui me fera venir au Jeune Ballet de France qui venait d’être créé. J’en suis devenu le maître de ballet. » Le garçon de Casa, qui se voyait steward pour s’affranchir de la pesanteur, s’est élevé en se forgeant un corps de combat. Couvé par le Casse-Noisette de Paul Cox, il vous raconte ces joies qu’il n’aurait jamais imaginées, lui qui était un enfant taiseux et farouche. « À propos, que dirait le petit Philippe à celui que vous êtes devenu ? »

Les photos de cette page ont été choisies par Philippe Cohen. En haut: En 2016, la chorégraphe neuchâteloise Joëlle Bouvier offrait une version sombre et brûlante de Tristan und Isolde. © Gregory Batardon


La pureté du studio de danse, le raffinement du Clavier bien tempéré de JeanSébastien Bach : en 2011, Emanuel Gat signait Préludes & fugues, pièce en forme de cahier intime. © GTG /Vincent Lepresle

« Tu t’en es bien sorti. » L’ombre des lauriers, dans ce Midi qu’il chérit, Philippe Cohen sirotera sans nostalgie le nectar de ses plaisirs. Il écoutera une Passacaille de Bach et visionnera des interviews de Marguerite Yourcenar, comme il le fait quand il s’ennuie. Il relira Les Mémoires d’Hadrien. Des silhouettes romaines danseront sur les pelouses de ses pensées. Il les saluera en hédoniste.

L’étoffe de ses songes. Au printemps 2006, l’Italienne Francesca Lattuada demandait aux danseurs du Grand Théâtre d’être dans l’allégresse de ceux qui déterrent un trésor. Leur Allegro macabro brillait dans la nuit. © GTG / Ariane Arlotti

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Au Bâtiment des Forces Motrices, Genève Tristan & Isolde, chorégraphie de Joëlle Bouvier Du 25 au 29 mai gtg.ch/tristan-et-isolde

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regard sur nos partenaires

Les Grütli, le cinéma qui vise haut Les deux salles voisines de la Maison des arts forment la colonne vertébrale de la cinéphilie genevoise, à raison d’environ 700 films par an. Depuis cette saison, elles collaborent avec le Grand Théâtre pour le cycle Cinéopéra. Par Mina Sidi Ali

Éprise de cinéma d’auteur, d’art contemporain et de design, Mina Sidi Ali est diplômée d’un double master des Relations internationales et de sociologie à l’Université de Genève. Après avoir sillonné la planète, vécu au Japon et en Afrique du Sud entre autres, elle reprend avec Olivier Gurtner les rênes du magazine culturel Go Out ! jusqu’en 2016, et poursuit seule, dorénavant, l’aventure éditoriale.

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Si Genève est une ville si remarquablement cinéphile, les Grütli n’y sont pas pour rien. Dans les deux salles du sous-sol de la Maison des arts, les cinémas du Grütli assurent depuis 11 ans une triple mission : faire connaître le cinéma de répertoire, diffuser le cinéma émergent et s’adresser au jeune public. À raison d’environ 700 films par an, le nom des Grütli est devenu synonyme de qualité, que celle-ci passe par l’exigence ou par le plaisir. Par une rétrospective des frères Farelly ou de Bergman, par un cycle sur le cinéma des années 80 ou autour de Mizoguchi. La devise d’origine, « Donner à voir et apprendre à aimer », n’a donc pas changé au gré des directions successives, la dernière en étant assurée par Paolo Moretti depuis deux ans. En témoigne le grand nombre d’événements organisés autour des projections, en présence de réalisateurs, chefs opérateurs ou comédiens. C’est l’autre mission de la maison, résumée par le responsable de la programmation Alfio di Guardo : « Organiser des rencontres entre ceux qui aiment le cinéma et ceux qui le font. » Le sens de la programmation, c’est un art et les Grütli y sont passés maîtres. Ils ont par exemple choisi des cinéastes du plaisir pour fêter la réouverture des salles, après les deux fermetures pandémiques : la première fois

© Rachel Copponnex


avec un cycle Billy Wilder, la seconde avec la comédie italienne. Le public s’est précipité. Les Grütli n’ont perdu que 10% de leur fréquentation pendant les périodes de restrictions sanitaires, un record probablement européen si l’on sait que la dégringolade, partout ailleurs, atteignait 30 à 40%. Les Grütli sont aussi le camp de base de la plupart des festivals de cinéma qui rythment l’année genevoise : le FIFDH, le FIFF, Filmar en América Latina, Black Movie, Everybody’s Perfect, d’autres encore. Étant donné le voisinage des institutions liées au cinéma qui habitent elles aussi la Maison des arts (Fondation romande pour le cinéma, Fonction : Cinéma, etc.), les cinémas du Grütli forment bien l’un des éléments structurants de la vie cinématographique genevoise.

Mais s’ils ont une telle assise aujourd’hui, c’est aussi qu’ils ont très tôt compris l’importance d’un travail en réseau avec les autres institutions culturelles. La politique du Grand Théâtre étant désormais animée par les mêmes principes, le rapprochement s’est donc opéré entre ces deux voisins que seul un restaurant sépare. Ils ont ainsi mis en place une programmation légère, lancée cette saison. Cela s’appelle Cinéopéra : quatre fois par an, une personnalité du monde de l’opéra et du ballet a carte blanche pour présenter un film lié à son parcours ou qui hante son cœur, et pour en parler avec la salle. Le metteur en scène de Guerre et Paix, Calixto Bieito, a par exemple choisi Requiem pour un massacre d’Elem Klimov. Prune Nourry, qui a signé les décors d’Atys, a retenu Nausicaä de la Vallée du Vent de Hayao Miyazaki. Et pour clore ce premier cycle, la soprano Evelyn Herlitzius a choisi Le Ruban blanc de Michael Haneke. La collaboration sera reconduite la saison prochaine, dès le 27 août. On pourra alors voir le chef-d’œuvre de Stanley Kubrick, Barry Lyndon, ascension d'un bel intrigant dans la fastueuse société anglaise du XVIIIe siècle, avec Ryan O’Neal et Marisa Berenson, qui remporta quatre Oscars en 1976. On apprendra dès la parution du programme de la prochaine saison du Grand Théâtre qui est le chef d’orchestre responsable de ce choix, dont il viendra s’expliquer devant les spectateurs. En attendant, les écrans continuent de tourner à plein régime, avec début mai une rétrospective consacrée à Kinuyo Tanaka, actrice fétiche des plus grands réalisateurs japonais et elle-même réalisatrice de plusieurs films, dont 6 seront projetés. Autres points forts à venir : une soirée avec le célèbre chef opérateur suisse Renato Berta, et des projections gratuites à l’occasion de la Fête de la musique. Les Cinémas du Grütli Rue Général Dufour 1, Genève www.cinemas-du-grutli.ch

Barry Lyndon ouvrira la deuxième saison de Cinéopera au Grütli : l’ascension et la chute d’un intrigant irlandais dans la haute société anglaise du 18e siècle, chef-d’œuvre de cruauté et de raffinement signé Stanley Kubrick. © Peregrine/Hawk Films/ Warner Bros

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Aux cinémas du Grütli Barry Lyndon Le 27 août 2022 37


rétroviseur

Attendue comme un événement, la première mise en scène lyrique du chorégraphe Angelin Preljocaj a comblé tous les espoirs, élevant Atys de Lully sur des cimes de noir et d’argent, en communion avec le chef Leonardo García Alarcón. Réussite majeure à laquelle a succédé la création suisse de Sleepless, dirigée par son compositeur Peter Eötvös. L’artiste des décors d’Atys, Prune Nourry, a également occupé le stand du Grand Théâtre au salon Artgenève, alors que la compagnie de Hofesh Shechter a débarqué avec Double Murder pour épater la galerie. Grands moments ! La soprano Pretty Yende, retour d’une diva en récital après ses premiers pas au Grand Théâtre dans La Flûte enchantée en 2015. © Alice Riondel

Victoria Randem et Linard Vrielink, les jeunes amants maudits de Sleepless de Peter Eötvös, dans la mise en scène de Kornél Mundruczó. © Magali Dougados

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Appelés en remplacement de la compagnie d’Ohad Naharin, Hofesh Shechter et sa compagnie ont fait exploser Double Murder au BFM juste avant le printemps. © Todd MacDonald

La danseuse Martina Rösler dans Homo Deus Frankenstein de Sara Ostertag et Johan de Smet, au Théâtre Am Stram Gram, ou l’art de poser des questions existentielles à hauteur d’enfants. © Magali Dougados


Les statues de cordes de Prune Nourry sur le stand du Grand Théâtre lors du Salon artgenève, dont les organisateurs mettent sur pied cet été, dans les parcs de la rive gauche de Genève, une nouvelle édition de la Biennale Scultpuregarden, curatée par Devrim Bayyar. © Annik Wetter

Au pied de la gigantesque statue de Prune Nourry, le formidable Atys du baryton américain Matthew Newlin a impressionné par sa performance totale, chanteur au français impeccable habitant avec grâce et puissance les chorégraphies complexes d’Angelin Preljocaj. Le spectacle a ensuite été présenté à l’Opéra de Versailles, où il a fait un triomphe. © Gregory Batardon

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coulisses La principale difficulté du métier selon Nicolas Tagand ? Travailler dans le noir, avec supplément obligatoire de vitamine D. © Carole Parodi pour Grand Théâtre Magazine

Nicolas Tagand Un montagnard qui évolue dans les hauteurs de la scène, ne serait-ce pas un peu cliché ? La comparaison semble tout à fait pertinente à Nicolas Tagand, à la fois accompagnateur en montagne et cintrier au Grand Théâtre depuis une vingtaine d’années.

Par Aude Seigne

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La mission concerne tout ce qui est suspendu au-dessus de la scène, qu’il s’agisse d’éléments de décor, de lumière ou d’un chanteur. Les cinq cintriers du Grand Théâtre passent l’essentiel de leur journée à 18 mètres au-dessus de la scène, dans l’obscurité, travaillent à deux par spectacle et s’entendent comme les doigts d’une seule main. Le vocabulaire est spécifique : les 50 équipes sont ces longues barres où il est possible de suspendre les éléments, les ponctuelles permettent des ajouts supplémentaires. On ne dit pas monter ou descendre mais appuyer ou charger, on ne dit pas corde mais guinde, la corde étant réservée à celle du piano. Nicolas Tagand précise que ce vocabulaire vient des marins, et qu’autrefois, quand quelqu’un prononçait un mot interdit, on ouvrait l’apéro. En grimpant plus haut comme au mât d’un voilier, on trouve le grill, à 30 mètres au-dessus de la scène, royaume des poulies et des filins.

Ce que Nicolas Tagand apprécie dans ce métier, c’est la gymnastique tant physique qu’intellectuelle. Il faut savoir à la fois accrocher des pièces de fer avec une clé de 30 et programmer l’ordinateur, se rappeler que le rideau peut descendre en 10 secondes, qu’une équipe peut supporter une tonne, une ponctuelle 250 kg, transmettre ces informations au régisseur. Comme beaucoup de métiers au théâtre, être cintrier c’est savoir ce qui est possible en fonction de compétences précises inconnues des autres services et les appliquer au projet global. Pour Nicolas Tagand, il est important de dire que les cintriers ne sont pas planqués dans les hauteurs, que pèse sur eux une énorme responsabilité sécuritaire. La pression vient du plateau, mais le temps que le message arrive en haut il faut plusieurs mouvements pour revenir en arrière. Le garde-fou consiste à tout noter au millimètre près : chaque chiffre, chaque hauteur, chaque limite. Nicolas Tagand est également percussionniste depuis l’âge de 7 ans, en classique et en rock. Il est infirmier de formation, parfois consulté au Grand Théâtre en cas de petite blessure, est devenu technicien de plateau des scènes franco-suisses de la région avant d’arriver au Grand Théâtre en 2001 comme personnel supplémentaire et d’y être engagé en 2008. Petit-fils de guide de montagne, d’origine haut-savoyarde, il fait aussi de la grimpe, emmène des clients au Salève, aime les voyages et les rencontres. Les hauteurs lui plaisent, c’est pourquoi le parallèle avec son métier de cintrier ne lui semble pas tiré par les cheveux. Notre conversation avait d’ailleurs commencé par la principale difficulté du métier selon lui : travailler dans le noir, avec supplément obligatoire de vitamine D. Heureusement, il y a cette petite porte qui a failli être condamnée lors de la dernière rénovation et qui débouche sur le toit du Grand Théâtre. Comme un très haut sommet d’où l’on s’extirpe du monde tout en contemplant les alentours, d’où l’on perçoit encore la lointaine musique d’une autre histoire.


I M AG E : PAU L I N E J U L I E R E T N I C O L A S C H A P O U L I E R

Giacomo Puccini

Turandot 20.6 – 3.7.2022

DÈS CHF 17.–

GTG.CH41



kitchen lyrique

© David Wagnières pour Grand Théâtre Magazine

Le PLUS LONG BAR de Genève

Par Mina Sidi Ali

Attention pépite ! Au sous-sol du Grand Théâtre de Genève se trouve le Bar Bleu doté d’un bar de 24 mètres. Comptoir en zinc, murs en briques, cave aux multiples voûtes, parterre en Terrazzo et mobilier design, l’espace à l’ambiance feutrée sert des repas avant, pendant et après les spectacles. Il se prête aussi à des after-works ou des soirées privatisées.

Depuis sa rénovation en 2019, réalisée avec dextérité par le bureau d’architecture Linea Architecture Design, le Grand Théâtre de Genève dévoile 4 lieux uniques où se délecter d’une cuisine bistronomique. À chaque étage, son univers dont celui du Bar Bleu situé au sous-sol. Son atout majeur ? Son immense bar mesurant 24 mètres – le plus long de Genève – dont le design rappelle le bar lumineux de l’amphithéâtre au 3e étage. Dès l’entrée du bar, on est interpellé par une photographie au grand format des dessous de la scène du Grand Théâtre. L’espace a été aménagé de meubles design chinés dans plusieurs lieux. On y retrouve du laiton brossé, une matière leitmotiv des rénovations du GTG. Petite anecdote du bureau d’architectes : les briques ont été conçues à partir de terre crue de la région pour conserver une certaine authenticité du lieu.

Côté cuisine, on peut y manger une heure avant le spectacle, durant l’entracte et également après la représentation. Comme dans tous les lieux de restauration du Grand Théâtre, ce sont les équipes de Benjamin Luzuy qui régalent, proposant une cuisine affirmée, locale, saisonnière et gourmande. On aime les petits clins d’œil glissés au spectacle du jour. Ainsi, pendant les représentations d’Aïda, les plats étaient relevés d’épices égyptiennes. On connaît davantage le lieu pour les dîners-spectacles mais le Bar Bleu se prête à merveille pour les soirées privées, avec son ambiance plus dérobée et feutrée que les deux autres bars du Grand Théâtre, celui du foyer et de l’amphithéâtre.

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mouvement culturel

Varsovie, électrique malgré la guerre

Imaginé par Staline en pleine guerre froide, le palais de la Culture et de la Science du haut de 237 mètres devait concurrencer les plus grands buildings américains. Aujourd’hui, il abrite des théâtres, un cinéma, une piscine et une terrasse panoramique qui offre une vue imprenable sur Varsovie. © Artur Bogacki / Alamy Stock Photo

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© Alamy


Capitale de la mémoire, éclectique et bouillonnante, Varsovie est placée en état d’urgence par l’exode ukrainien. L’immense élan de solidarité polonais est visible partout. La ville se couvre d’hommages au voisin agressé. S’y rendre en ce moment, c’est aussi soutenir le secteur touristique polonais mis à mal par les annulations. Par Sarah Bakaloglou

Installée à Varsovie depuis octobre 2020, Sarah Bakaloglou couvre l’actualité polonaise pour plusieurs médias francophones, dont Radio France Internationale et la RTS. Journaliste française, elle travaille depuis sept ans comme correspondante à l'étranger. Éprise de voyages et de découvertes, elle a auparavant posé ses valises pendant plusieurs années en Birmanie (Myanmar) et en Italie.

1 • Musique LA SCÈNE GÉANTE

L’Opéra de Varsovie ne fait pas dans la modestie : il abrite la plus grande scène lyrique du monde. On parle ici de ses dimensions : 36,5 mètres de largeur, 57,6 m de profondeur et 34,4 mètres de hauteur (par comparaison, celle du Grand Théâtre, la plus grande de Suisse romande, fait jusqu’à 18 mètres d’ouverture et 9 mètres de hauteur). Édifié en 1833, complètement détruit par la guerre, le Teatr Wielki fut reconstruit à l’identique et inauguré en 1965. Il comprend à la fois l’Opéra national (Opera Narodowa) et le Théâtre national (Teatr Narodowy) de Pologne. Sa grande salle peut accueillir 1840 spectateurs. À voir en cette fin de saison, tout en prévoyant des possibles changements liés à la situation politique : Eugène Onéguine de Tchaïkovski mis en scène par le directeur artistique de l’institution, Mariusz Treliński (juin), puis Pelléas et Mélisande de Debussy dans la mise en scène de Katie Mitchell, avec le ténor neuchâtelois Bernard Richter en tête de distribution (juillet). CHOPIN

Outre l’univers symphonique principalement animé par l’Orchestre philharmonique de Varsovie, qui prévoit notamment une exécution en concert du rare The Dream of Gerontius d’Elgar avec le brillant Michael Spyres (3-4 juin), la vie musicale polonaise est dominée par Chopin et ses immortels chefs-d’œuvre pianistiques. Tours de ville sur ses traces, concerts d’été dans le parc Łazienki (voir plus bas) au pied de la statue qui le montre en pleine inspiration, Chopin est partout, en tête de gondole d’innombrables soirées aux chandelles ou dîners romantiques dans les restaurants de la capitale.

2 • Vieille ville PATRIMOINE MONDIAL DE L’UNESCO

Difficile de visiter Varsovie sans venir admirer la vieille ville ! Près de 85% du centre historique ont été détruits pendant la Seconde Guerre mondiale. Tout a été reconstruit à l’identique : maisons, château royal, églises… Des travaux qui ont duré cinq ans et qui se sont appuyés sur des documents d'archives et les recherches des historiens et conservateurs. Et c’est si bien réussi que l’UNESCO a inscrit le quartier au Patrimoine mondial. Arpentez les ruelles et ses bâtiments colorés, ainsi que sa place du marché aux belles façades. Sur la place trône une statue de sirène, emblème de la ville. MUSÉE DE VARSOVIE

Ne manquez pas le musée historique de Varsovie, niché dans les maisons bourgeoises de la place du marché, et ses plus de 7000 objets sur une collection de 300 000 (cartes, photographies, sculptures, meubles). Indispensable pour retracer l’histoire de ce village de pêcheurs devenu capitale européenne. Et pour couronner la visite, vous aurez une très belle vue de la vieille ville depuis les toits ! Pour repartir, empruntez la voie royale (la rue Nowy Świat et la rue Krakowskie Przedmieście) où vous croiserez l’Université de Varsovie au passé rebelle, ainsi que de nombreuses librairies, boutiques et galeries d’art. 11h à 18h. 11h-20h (je, sa)

3 • Au cœur du ghetto DÉCOUVERTE DU STREET ART DU QUARTIER MURANOW

Ce quartier unique de Varsovie, qui tient son nom de l'île de Murano, était le centre de la vie juive avant la guerre. Devenu le cœur du ghetto de Varsovie, le quartier a été ensuite reconstruit sur ses décombres.

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mouvement culturel

Pour découvrir cette histoire riche et sa nouvelle architecture, rien de mieux que de parcourir ses rues et ses façades où le street art s’est installé. Pour cela, réservez une visite guidée avec Free Walking Tour (contribution libre) dont les guides passionnés vous emmèneront à la découverte de Muranow. freewalkingtour.com/find-a-tour

MUSÉE POLIN

Lieu incontournable de Varsovie, le musée de l’Histoire des Juifs polonais se situe dans un édifice moderne et audacieux, crée spécialement pour ce lieu de mémoire par l’architecte finlandais Rainer Mahlamäki. Très riche et intéractif, il propose un voyage de près de 1000 ans au cœur de l’histoire des Juifs en Pologne, depuis leur arrivée au Moyen Âge dans un pays perçu comme une terre d’accueil aux événements dramatiques du XXe siècle. L’occasion de rappeler que sur les 3 millions de Juifs polonais d’avant la guerre, seules 200 000 ont survécu. Comptez au moins trois heures pour parcourir l’ensemble. Le restaurant du musée cuisine en ce moment pour les réfugiés ukrainiens et vous pourrez donner une contribution. www.polin.pl/en

4 • Le passé communiste PALAIS DE LA CULTURE (ET SES BARS)

Vous ne pourrez pas le manquer : le Palais de la culture et de la science domine la capitale, du haut de ses 237 mètres. Idée de Staline, le bâtiment devait concurrencer les plus hauts buildings américains en pleine guerre froide. Aujourd’hui, il abrite des théâtres, un cinéma, une piscine et une terrasse panoramique au 30e étage. Mais ce sont surtout ses deux bars/ cafés branchés et militants, qui attirent les Varsoviens : le Café Kulturalna

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(qui cuisine aujourd’hui pour les réfugiés ukrainiens) et Bar Studio, où, pendant l’été, les arcades du Palais de la culture deviennent une piste de danse à ciel ouvert. Terrasse : 10h à 20h

MUSÉE DU NÉON

Situé dans le quartier de Praga, ce musée original ouvert en 2005 compte des centaines d’enseignes au néon datant de l’époque communiste. Si dans les pays occidentaux, les néons étaient utilisés à des fins commerciales, en Pologne, ils étaient utilisés pour « informer, éduquer et amuser ». C’est en 1955 que le régime décide de légiférer pour autoriser les néons, avec l’espoir qu’ils égayent le quotidien de la population. Des artistes réputés, architectes et designers graphiques se sont lancés dans leur production : résultat, les néons sont désormais intrinsèquement liés à l’histoire du design polonais du XXe siècle. 12h à 18h. 11h à 17h (di). Fermé le mercredi

ART CONTEMPORAIN AU CHÂTEAU UJAZDOWKI

Ce château baroque, reconstruit dans les années 50, abrite un centre d’art contemporain renommé et dynamique qui propose expositions, performances de théâtre et concerts. Jusqu’au 5 juin, vous pourrez découvrir l’exposition « Non censuré – l’art indépendant polonais des années 80 » sur la production

artistique pendant la période du régime communiste auquel de nombreux artistes se sont opposés. Le cinéma des lieux, qui offre des séances aux petits Ukrainiens, est réputé pour sa programmation de films en langue originale. https ://u-jazdowski.pl/en

5 • Côté branché HALA GWARDII ET HALA MIROWSKA

Ces deux halles imposantes en brique, construites entre 1899 et 1901, ont été le théâtre d’une partie de l’histoire polonaise. Les Allemands s’en sont servis pendant la Seconde Guerre mondiale pour y mener des exécutions. Détruites pendant l’insurrection de 1944, puis reconstruites, devenues dépôt de bus puis centre de boxe, elles sont revenues aujourd’hui à leur mission d’origine pour le plus grand plaisir des Polonais qui se pressent notamment au marché extérieur. Et pour le côté branché, il faut entrer dans Hala Gwardii, qui a voulu s’inspirer entre autres du Chelsea Market de New York en combinant bons restaurants et culture, avec des festivals gastronomiques. Hala Mirowska : 7h à 18h. 7h à 15h (sa). Dimanche fermé. Hala Gwardii : Marché 9h à 20h (ve, sa) ; 10h à 17h (di). Commerces : 11h à 1h (ve, sa) ; 10h à 21h30 (di)


Pour le moins original, le musée du néon expose des centaines d’enseignes datant de l’époque communiste où ils étaient utilisés pour « informer, éduquer et amuser ». Résultat, les néons sont désormais intrinsèquement liés à l’histoire du design polonais du XXe siècle. © Electric Egg / Alamy Stock Photo

PLACE ZBAWICIELA

Sur cette place incontournable de Varsovie, ne manquez pas de vous arrêter dans un des nombreux cafés, bars ou restaurants branchés dont les tables sont disposées sous les arcades et sur les trottoirs qui attirent étudiants, artistes, activistes. Vous trouverez par exemple le restaurant Veganda : la capitale fait partie des villes les plus vegan-friendly au monde ! Au milieu de la place, le rond-point a accueilli de nombreuses œuvres d’art ces dernières années, dont certaines ont suscité la polémique (comme un arc-en-ciel LGBT).

Édifié en 1833 et complètement détruit par la guerre, le Teatr Wielki a été reconstruit à l’identique vingt ans plus tard. Il abrite à la fois le Théâtre national et l’Opéra national qui, avec sa scène de 36,5 mètres de largeur et 57,6 m de profondeur, en fait la plus grande scène lyrique du monde. © K.Serewis/Gallo Images Poland/Getty

Le jardin suspendu de la Bibliothèque universitaire, œuvre de la paysagiste Irena Bajerska, va vous impressionner : 2000 m2 en hauteur et 15 000 m2 au sol qui sont reliés par des escaliers fleuris et une cascade. Inauguré il y a 20 ans, il offre un panorama unique sur la ville et la Vistule. © Office du tourisme Varsovie.

https ://saunawisla.pl

CÉRAMIQUE POLONAISE

C’est un beau souvenir à ramener de votre visite : la Pologne est réputée pour sa céramique traditionnelle, ornée de motifs (cercles, petites fleurs, pois) réalisés à la main. Chaque produit

6 • Verdure en cascade

Vous ne pourrez pas manquer le bâtiment de la Bibliothèque universitaire et sa couleur verte qui détonne. Construit dans les années 1990 par les architectes Marek Budzyński et Zbigniew Badowski, ce bâtiment moderne abrite au rez une galerie ouverte à tous, où vous pourrez admirer des affiches, tradition artistique polonaise. Mais c’est sûrement son jardin suspendu (et sa vue sur Varsovie) qui va vous impressionner : 2000 m2 en hauteur et 15 000 m2 au sol qui sont reliés par des escaliers fleuris et une cascade. Jardin : 8h à 20h (1er mai au 30 septembre). Sinon : www.buw.uw.edu.pl/en/about-us/ building-and-garden

SAUNA WISLA

Une touche de Scandinavie sur les bords de la Vistule : ce nouveau sauna offre une atmosphère intimiste avec vue sur ce fleuve qui traverse la capitale. Idéal pour se relaxer, surtout quand le froid est encore là. Construit avec le budget participatif de la mairie de Varsovie, le sauna est gratuit à certains horaires et peut être privatisé.

11h à 19h. 11h à 17h (sa). Dimanche : fermé

JARDIN SUSPENDU ET BIBLIOTHÈQUE UNIVERSITAIRE

QUARTIER PRAGA

Ancien quartier ouvrier, le quartier de Praga connaît aujourd’hui un nouvel essor et accueille bars, galeries d’art et magasins vintage (Look Inside, Wilenska 21, et ses produits de designers polonais, par exemple). De l’autre côté de la Vistule, il a échappé aux bombardements et c’est d’ailleurs ici que Roman Polanski a tourné quelques scènes du film Le Pianiste. Entre vos visites au Musée du Néon ou au Musée de la vodka, faites une pause dans le charmant jardin du Café Proces Kawki ou allez vous balader dans le magnifique park Skaryszewski.

est donc unique. La faïencerie Bolesławiec est le plus grand fabricant de céramique (et ce, depuis le XIIe siècle !). Plusieurs adresses existent à Varsovie, dont la Galeria Bolesławiec & Ceramics Studio (Al. Jerozolimskie 49, 00-696 Warsaw) où vous trouverez des produits en céramique et pourrez aussi créer les vôtres.

PARC ŁAZIENKI

Difficile d’imaginer que le branché Hala Gwardii, le Chelsea Market polonais, recèle une histoire aussi noire. L’imposante halle de briques a en effet, été le théâtre d’exécutions menées par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale avant d’être entièrement détruite puis reconstruite. © DR

Le parc Łazienki est l’un des plus beaux de la capitale : un espace de 76 hectares, où de nombreux Varsoviens aiment venir le week-end. À l’intérieur, vous pourrez visiter le Musée du Palais Royal de Łazienki, ancienne résidence d’été du roi Stanisław August. De mi-mai à mi-septembre, tous les dimanches (hors période covid), des pianistes interprètent des morceaux de Frédéric Chopin en plein air. 6h à 20h, entrée gratuite.

www.lazienki-krolewskie.pl/fr

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agenda

Femmes puissantes et héroïnes tragiques vont dominer la fin de saison. Jenůfa aux prises avec un infanticide dans le chef-d’œuvre de Janáček. L’impératrice de glace Turandot dans l’opéra de Puccini à voir en salle ou en plein air, sur écran géant. Mais aussi l’Isolde de Wagner dans le ballet de Joëlle Bouvier, ou la soprano Asmik Grigorian, l’une des plus belles voix d’aujourd’hui, à ne pas manquer pour son premier récital à Genève. L’avenir de l’homme est en marche ! Par Karin Kotsoglou

DUEL #3 – LA LIBERTÉ FACE AU DÉFI DU CLIMAT : UN ÉCHANGE ENTRE DOMINIQUE BOURG ET NICOLAS JUTZET Et si l’on se disputait lentement ? Prendre le temps d’argumenter, respecter son adversaire : à rebours du clash médiatique et des petites phrases canardées sur les réseaux, le T magazine, en partenariat avec le Grand Théâtre de Genève, invite deux personnalités que tout oppose à s’écrire de longues lettres. Ce duel épistolaire en six épisodes sera interprété et mis en scène sur la scène du Grand Théâtre. Grande salle Grand Théâtre de Genève Le 12 mai 2022 à 20h Un partenariat Grand Théâtre de Genève et Le Temps

Parc des Eaux-Vives à Genève Le 24 juin à 21h. Entrée libre

LATE NIGHT #3 Quand le théâtre devient le spectacle et quand les acteurs du spectacle c’est vous. Accueillis dès l’entrée par une ambiance et les sons de la fine fleur de la DJ-sphère, vous voilà emportés en Cendrillon des temps modernes, de salle en salle, de longdrink en cocktail, jusqu’au bout de minuit. Au Grand Théâtre, trois fois par saison, le carrosse se transforme en citrouille au petit matin et les pantoufles de vair laissent la place aux baskets de tout genre, de quoi affronter la piste de danse sans abîmer les beaux parquets. Soirée atypique pour des gens curieux de tout. Grand Théâtre de Genève

ASMIK GRIGORIAN EN RÉCITAL Parmi les récents succès d’Asmik Grigorian, qui ont enthousiasmés le public comme la presse, citons : Butterfly à l’Opéra d’État de Vienne, Die tote Stadt à La Scala de Milan, Der fliegende Holländer au Festival de Bayreuth et des débuts parisiens dans La Dame de pique de Tchaïkovski. Pour sa première apparition au Grand Théâtre (après avoir remplacé Sonia Yoncheva au pied levé pour le concert d’anniversaire de l’OSR en 2018), Asmik Grigorian promet une rencontre fascinante sur son terroir culturel, celui des mélodies de ses familiers Tchaïkovski et Rachmaninov. Grand Théâtre de Genève

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TURANDOT SOUS LES ÉTOILES Pour fêter la musique ensemble, le Grand Théâtre vous invite sous les étoiles, non pas celles de son immense plafond en voie lactée de l’artiste Jacek Stryjenski à la place de Neuve, mais bel et bien celles qui vous attendent en plein air, dès que la nuit commence à tomber, au parc des Eaux-Vives. En entrée libre, venez vivre Turandot de Giacomo Puccini sur grand écran. Une soirée à la belle étoile, les pieds dans l’herbe et la musique de Puccini dans les oreilles. Dans les yeux, le ciel, le lac et la production du mois du Grand Théâtre de Genève, avec à la baguette Antonino Fogliani et Daniel Kramer à la mise en scène. Après la mémorable soirée de juin 1998 avec la projection de Madama Butterfly du même Puccini, venez fêter la musique ensemble au parc des Eaux-Vives. À ne pas manquer !

Le 7 juin 2022 à 20h

Le 25 juin 2022 de 22h à 2h


Andreas Ottensamer (artiste en résidence), Jonas Kaufmann, Sol Gabetta, Sir András Schiff, Philippe Jaroussky, Sabine Meyer, Jan Lisiecki, Patricia Kopatchinskaja, Daniel Hope, Klaus Maria Brandauer, René Jacobs, Jaap van Zweden & Gstaad Festival Orchestra, Vasily Petrenko & Royal Philharmonic Orchestra, Alain Altinoglu & Orchestre radio-symphonique de Francfort, Christophe Rousset & Les Talens Lyriques Assurez-vous les meilleures places sur gstaadmenuhinfestival.ch – 033 748 81 82 49

© Julian Hargreaves – Sony Classical

JONAS K AUFMANN


Récital

Asmik Grigorian 7.6.2022 — 20h DÈS CHF 17.–

GTG.CH


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