

EntrEtiEns Exclusifs
Nicholas MEYER
The Telegram from Hell
Bonnie MACBIRD
The Serpent under

- Mademoiselle Holmes, saison 2 - Dr Watson and the Darkwater Hall Mystery
- Holmes à l’opéra
- J.M Barrie, ami de Conan Doyle et premier auteur de pastiche
Sherlock Holmes et le passe-muraille, troisième partie, par Robin Rowles

Par Fabienne Courouge, rédactrice en chef de la Gazette du 221B
Les pastiches (ou romans holmésiens, comme les auteurs préfèrent les appeler) sont une tradition née quasiment en même temps que les aventures originales du héros de Conan Doyle. Ils sont même parfois signés de la main de Sir Arthur lui-même. L’aura et, il faut bien le dire, le succès du grand détective ont nourri l’inspiration de bien des auteurs.
Selon le dictionnaire, un pastiche est une œuvre qui imite le style d’une œuvre précédente. Ce qui, à bien y réfléchir, est une définition suffisamment vague pour y inclure non seulement des histoires de Sherlock Holmes, mais aussi les romans de Mycroft Holmes, les livres de cuisine de Mrs Hudson et les histoires d’Enola Holmes.
Pourquoi ce succès ? Sans doute parce les personnages principaux ont une plasticité suffisante pour qu’un nouvel écrivain puisse les modeler à sa guise, ce qui serait infiniment plus compliqué avec, par exemple, Jane Eyre ou Edmond Dantès. Mais Doyle invite ouvertement les autres à compléter les blancs : un hiatus de trois ans dans l’emploi du temps du détective, ou l’évocation furtive d’autres aventures aux titres affriolants : Le Rat géant de Sumatra ; Le Politicien, le phare et le cormoran apprivoisé ; L’Histoire répugnante de la sangsue rouge et bien d’autres. Comment résister à l’envie de les raconter ? Et comment résister à imaginer la famille, la jeunesse, les amours perdues, ou les vieux jours de ce héros nimbé d’un mystère intrinsèque, que l’on côtoie sans jamais vraiment le connaître.
Dans ce numéro, nous allons nous pencher sur l’un des premiers auteurs de pastiches, J.M. Barrie, un ami de Doyle, qui eut l’impertinence d’embarquer Holmes dans une parodie, mais aussi «écouter» deux des plus grands auteurs actuels de romans holmésiens, Bonnie MacBird et Nicholas Meyer, nous parler de leur dernier ouvrage respectifs.
Enfin, une panoplie de critiques, d’analyse et de création viennent compléter ce nouvel opus que, nous l’espérons, vous apprécierez.
Bonne lecture à toutes et tous.
Au sommaire de ce numéro
Actu série
Critique de la saison 2 de Mademoiselle Holmes, par Brigitte Maroillat.........................................P 3
La pépite cinéma
Dr Watson and the Darkwater Hall Mystery, par Xavier Bargue ................................................... P 6
Actu livres
Interview de Nicholas Meyer, The Telegram from Hell ............................................................P 10
Le Portrait SHinois de Nicholas Meyer.......P 16
Interview de Bonnie MacBird, The serpent under ....P 17
Analyse
Holmes à l’opéra, par Brigitte Maroillat .........P 23
J.M. Barrie, ami de Conan Doyle et premier auteur de pastiches, par Fabienne Courouge.............P 27
Création
Sherlock Holmes et le Passe-Muraille, de Robin Rowles, troisième et dernière partie................P 32


Mademoiselle Holmes, la saveur des promesses déçues
Par Brigitte Maroillat
L’année dernière, la première saison de Mademoiselle Holmes avait réussi à capter l’attention grâce à un personnage principal décalé à souhait et des éléments mythologiques holmésiens judicieusement pensés. Après une chute vertigineuse dans le plus pur style Reichenbachien d’un des protagonistes de la série, créant un climax bien troussé de fin de saison, le suspens était à son comble et offrait une fenêtre vers une suite prometteuse. Alors que la seconde saison vient de s’achever sur TF1, il est désormais temps de faire un bilan, d’autant qu’il est rare qu’une création télévisée française soit inspirée par le détective de Baker Street.
La série, en sa première année, a indubitablement constitué une bonne surprise. Certes, cette histoire holmésienne servie par des personnages bien de chez nous peut d’emblée déconcerter, mais cette
french touch est pleinement assumée. Charlie Holmes, l’arrière petite-fille de Sherlock Holmes, agent subalterne du commissariat principal de Nantes, décalée et gaffeuse, sous traitement pour calmer ses angoisses
de HPI, est d’emblée un personnage hors norme qui séduit.
Un accident de circulation et la rencontre avec le stagiaire légiste, Samy Vatel, jeune Watson au regard naïf, vont révéler ses hautes facultés de déduction. Celle qui était jusqu’alors le vilain petit canard du commissariat sera invitée, grâce à ses dons exceptionnels, à intégrer l’équipe des enquêteurs principaux.
Le duo Charlie/Samy fonctionne bien et doit beaucoup à l’alchimie entre Lola Dewaere et Tom Villa qui prennent un évident plaisir à incarner ce tandem hommage à Holmes et Watson. Il est pour le moins réjouissant de voir naître ici une nouvelle mythologie holmésienne. Ainsi, la façon dont Charlie rassemble mentalement les pièces éparses du puzzle de l’énigme en jouant du violon (ce qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le palais
française dans la généalogie holmésienne). Ancien directeur d’enquête du commissariat de Nantes, il est une légende dans le métier. Georges qui a élevé Charlie, après le suicide de sa mère, est un personnage taciturne, vivant avec elle dans un manoir isolé. Il n’en est pas moins bon vivant et dirige un ensemble de musique celte au sein duquel Charlie joue du violon.
Georges est aussi le véritable gardien du temple de l’héritage holmésien qui en sait plus qu’il ne veut en dire sur les intrigues entre les Holmes et les Moriarty. À cet égard l’idée d’épousailles illégitimes entre les deux clans est une idée assez audacieuse. Après le décès d’Alexander Moriarty, magnat de la presse à scandales, toute l’intrigue secondaire mène à l’entrée en scène d’April Moriarty, héritière aussi dangereuse que détestable. Dans l’ultime épisode de la saison, à l’issue d’une confrontation ne manquant pas de piquant,

mental du Sherlock de la BBC). Les éléments mythologiques reposent également sur le personnage de Georges Holmes, fils du détective de Baker Street, et grand-père de Charlie, incarné par l’immense Daniel Prévost (exploitant ainsi l’idée d’une branche
on se dit que Charlie aura bien du mal à se dépêtrer d’une histoire où tout l’accuse et qui donnera sans doute lieu à une longue enquête sur les relations complexes entre les Holmes et les Moriarty. Nous étions donc particulièrement intrigués de voir la suite.

Dans la seconde saison, hélas, rien de ce que nous pouvions imaginer : pas de Charlie sur le banc des accusés, ni de Charlie en fuite, le temps d’un mini-hiatus, pour établir son innocence sur fond de révélations surgissant du passé avec un Georges Holmes en rouage essentiel de l’intrigue. Tout cela était en germe dans la tête des Holmésiens, mais nullement dans celle des scénaristes. D’emblée, l’histoire reprend comme si de rien n’était, Charlie étant blanchie grâce au témoignage de Samy, nous dit-elle en introduction du premier épisode (une ellipse bien commode…).
Plus bizarre que jamais, elle se lance de nouveau dans des investigations. Bien qu’ingérable, Charlie est brillante et n’a pas son pareil pour faire d’infimes détails les pièces majeures de la résolution des crimes. On se trouve ici davantage dans HPI, que dans une série d’inspiration holmésienne. Les comportements étranges du personnage deviennent le ressort premier de la série. Charlie qui a peu vécu, ayant été surprotégée par son grand-père, se lâche comme une ado, fait la fête avec des copines, vit des amours d’un jour... Quant à Samy, en fin de stage et en rupture de domicile, il s’installe dans le
manoir des Holmes, sur invitation de Charlie, au grand désarroi de Georges Holmes. À cet égard il est quelque peu frustrant qu’un personnage aussi essentiel que Georges Holmes soit relégué à des caméos de bougon de service qui ne cesse, par de petites phrases assassines, de persécuter Samy dont la présence l’insupporte.
On peut également regretter que les scénarios se perdent quelque peu dans des intrigues inextricables et des histoires d’amour insipides. On est désormais très loin des secrets de famille des Holmes et des Moriarty qui avaient fait le sel de cette réjouissante première saison. Les éléments mythologiques sont en effet désormais passés au second plan. Il est aussi fort dommage que le mystère de la disparition d’April soit révélé aussi vite et surtout sous un angle qui affadit l’histoire. Il y avait pourtant de quoi poursuivre sur la lancée des complots fomentés par les Moriarty mère et fille. Leurs sombres desseins auraient pu constituer une belle ligne narrative, pour faire monter en puissance la série. Une troisième saison pourrait peut-être faire revenir Mademoiselle Holmes à la recette première qui nous avait tant captivés. Les paris sont ouverts.


La redécouverte d’une rareté holmésienne
Sauf erreur de notre part, aucun ouvrage en français dédié au cinéma holmésien ne mentionne l’existence du film Dr Watson and the Darkwater Hall Mystery. À la décharge de leurs auteurs, ce téléfilm britannique de 1974 n’a jamais été diffusé en France et n’est pas des plus mémorables. De nos jours, on peut le voir facilement sur YouTube et un sous-titrage non-officiel en français a même fait son apparition sur le web en début d’année 2025. L’occasion de ressortir des limbes cette œuvre tapie depuis 50 ans dans un obscur recoin du cinéma holmésien.
Un Holmes absent au profit de Watson
Grande caractéristique de ce téléfilm : comme son nom l’indique, il s’agit d’une enquête du docteur Watson, et non d’une enquête de Sherlock Holmes, absent de l’écran. L’intrigue débute par une simple réplique de Watson adressée à Holmes (hors champ) pour lui souhaiter un agréable séjour loin de Londres et lui prodiguer quelques conseils : « trois repas par jour et de l’air frais ».
À peine Watson se retrouve-t-il seul au 221B qu’une cliente arrive – trop tard – pour consulter le détective. Lady Emily Fairfax est inquiète : son mari, Sir Harry, magistrat, avait envoyé un certain « Black Paul » en prison pour braconnage. Black Paul a désormais purgé sa peine et s’est réinstallé aux abords du manoir des Fairfax avec l’intention, selon les domestiques, de tuer Sir Harry pour se venger. Sir Harry ne prête aucune importance à ces rumeurs et refuse d’alerter la police.
Lady Fairfax souhaite protéger son mari malgré tout, d’où son recours à un détective privé. Holmes est absent ? Pas de problème, c’est Watson qui, courtois et sensible aux bonnes manières de la jeune femme, partira s’installer quelques jours à la campagne dans le manoir familial.
Le Chien des Baskerville revisité
Un certain parallèle saute aux yeux entre l’intrigue du téléfilm et celle du Chien des Baskerville. Dans les deux cas, on assiste à une enquête de Watson installé dans une demeure isolée en pleine campagne, avec pour mission de veiller sur le propriétaire des lieux (Sir Harry / Sir Henry) qui sousestime le danger qu’il court. La figure de Black Paul se confond avec celle de Selden, l’évadé de prison. Ce parallèle se poursuit tout au long de l’intrigue à travers différentes situations.
On notera que d’autres allusions holmésiennes sont disséminées dans certaines scènes. Watson termine une nouvelle intitulée The Adventure of the
Deadly Cobra qu’il décide de renommer The Speckled Band, un papier avec le nom « Rache » est épinglé au mur du 221B, enfin Watson évoque avec ses hôtes la campagne d’Afghanistan, le dénouement du Rituel des Musgrave et le récit du Ruban moucheté.
Un style très « années 70 »
Originalité qui fera éventuellement sourire : le téléfilm est bien ancré dans son époque. La libération sexuelle est passée par là, d’où un certain nombre de scènes et de répliques que nous qualifierons gentiment de « peu canoniques ». On retiendra notamment une scène mémorable de jeux de rôle tendance « fetish » entre les deux propriétaires du château (empêchant Watson de dormir, « rhoo ils en font du bruit de l’autre côté du mur ! »). À noter également les sentiments de Miles (le frère de Sir Harry) envers Dolores, la servante du manoir, qui préfère quant à elle passer ses soirées dans le lit de Watson ! Ne vous attendez pas non plus à des scènes torrides : on est juste dans le style « nanar des seventies ».

Allez, un dernier exemple pour la route : lorsque Lady Fairfax se trouve au 221B et cherche à convaincre Watson de venir séjourner au manoir, elle lui promet de faire « tout ce qu’il voudra » en échange de ses services d’enquêteur. « Tout ce que je voudrai ? » demande Watson, intéressé. « Tout ce que vous voudrez qui soit à la portée d’une épouse fidèle » doit préciser la jeune femme. Pauvre Mary Morstan, si elle savait...
Quelques mots sur la résolution de l’affaire
La conclusion de cette enquête watsonienne mérite de braver la « spoiler zone » pour émettre quelques commentaires à ce sujet. Aussi pourrez-vous, cher lecteur ou lectrice de La Gazette du 221B, sauter ce paragraphe pour passer au suivant si vous souhaitez préserver un peu de suspense.
Toute l’enquête est construite de manière à ce que le spectateur comprenne que Black Paul n’est pas une réelle menace, et qu’un membre du manoir cherche à exploiter cette crainte pour tuer Sir Harry, dans l’espoir que
Black Paul soit désigné meurtrier à sa place. Dès lors, le spectateur cherche à identifier un possible adversaire de Sir Harry parmi les autres membres du manoir. Serait-ce Miles, personnage au caractère oscarwildien, alternant entre déprime et absinthe, à qui la fortune familiale échappe depuis toujours du fait qu’il est né « 20 minutes trop tard » après son frère jumeau, Sir Harry, quant à lui considéré comme l’aîné de la famille ? Serait-ce le major Bradshaw, ami de famille, dont on apprend les sentiments pour Lady Fairfax, la femme de Sir Harry ? Serait-ce l’un des domestiques ?
Un « piège » est finalement tendu au meurtrier par Watson, qui apprend l’organisation d’une imminente partie de chasse. Affirmant à tous les membres de la famille que Black Paul devrait profiter de cette occasion pour tirer sur Sir Harry, et qu’il aura le temps de l’arrêter dans son geste avant qu’il ne puisse commettre son crime, Watson participe à cette sortie où il veille sur le maître des lieux. Le suspense est à son comble : quel


membre de la famille va donc chercher à simuler l’accident de chasse ? Soudain, un coup de feu part et Sir Harry est touché (on applaudira ici la vigilance de Watson qui n’a rien vu venir). Tout le monde s’arrête, sauf Black Paul, le meurtrier, qui tire à nouveau d’autres coups de feu sans parvenir cette fois à toucher sa cible, y compris Watson qui l’invite à lui tirer dessus en pleine poitrine (!). À court de balles, le criminel est finalement maîtrisé, direction la potence. La blessure de sir Harry se révèle, heureusement, assez superficielle.
S’ensuit une « séquence de salon » où Watson révèle son raisonnement. Le bon docteur affirme qu’il avait compris depuis le début que Black Paul était le meurtrier, puisque c’était « évidemment un méchant absolu » (subtil, l’ami Watson). S’ensuit une explication peu vraisemblable sur l’arme du crime, un fusil réputé peu précis, expliquant que le bon docteur ait invité le meurtrier à lui tirer dessus en pleine poitrine, s’assurant ainsi d’être en sécurité puisque les coups tirés ne pourraient en aucun cas atteindre le point visé (!!). Étrange affirmation, alors que Sir Harry a précédemment été touché du premier coup. Enfin, on pourra tout simplement se demander pourquoi Black Paul participe à cette partie de chasse mondaine et pourquoi il s’attaque à Sir Harry devant tant de témoins, alors que le crime semblait jusqu’à présent
être habilement fomenté sans que son auteur ne puisse être démasqué. L’intrigue s’en retrouve bâclée et fait définitivement plonger ce téléfilm dans la catégorie des nanars holmésiens à oublier de toute urgence.
Connexions holmésiennes...
Après avoir vu ce film, on se demande bien sûr qui en est à l’origine.
Réponse : Kingsley Amis (1922-1995), scénariste, et James Cellan Jones (19312019), réalisateur.
Kingsley Amis, peu connu en France, est un auteur britannique anobli en 1990 pour son œuvre qui se compose de plus de 20 romans, mais aussi de recueils de poèmes, de nouvelles et de scénarios radiophoniques ou télévisuels. Holmésien discret, il a notamment réalisé la préface d’une édition anglaise des Mémoires de Sherlock Holmes , et a fait paraître une version « novelisée » de ce fameux Darkwater Hall Mystery quelques années après la sortie du film.
James Cellan Jones, tout aussi inconnu en France, est quant à lui un réalisateur prolifique de la BBC, pour qui il a réalisé au cours de sa carrière plus de 50 téléfilms et séries souvent adaptés de romans de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe . Fun fact : c’est son fils, Simon Cellan Jones, qui réalisera en 2004 un autre téléfilm holmésien : La Revanche de Sherlock Holmes.
Enfin, dans la même veine, on soulignera pour terminer une autre anecdote étonnante : l’actrice qui incarne ici Lady Fairfax est Elaine Taylor, épouse de Christopher Plummer, qui incarnera lui-même Holmes à deux reprises sur le petit écran en 1978 et 1984. Le monde du cinéma holmésien est petit !
Interview de Nicolas MEYER
SherlockHolmesandtheTelegramfromHell

Nicholas Meyer a eu la gentillesse de nous accorder une interview à son retour de New York où il participait au dîner du BSI. Comme à son habitude, l’érudit holmésien s’est prêté avec enthousiasme au jeu des questions. Mélomane, il nous a également fait partager sa passion pour l’opéra. La dimension shakespearienne de Moriarty et sa ressemblance avec le baron Scarpia dans l’opéra Tosca de Puccini ont visiblement titillé l’imaginaire de l’auteur et semblent avoir suscité sa réflexion.
Propos recueillis et traduits par Brigitte Maroillat
L a G azette du 221B : Bonjour, Nicholas. Que pouvons-nous vous souhaiter pour la nouvelle année ? Quelles sont vos attentes pour 2025 ?
N icho Las M eyer : Je suppose que mon attente est que nous survivions d’une manière ou d’une autre à la présidence de Donald Trump…
L a G azette du 221B : J’aime beaucoup l’idée d’un Sherlock Holmes plus âgé qui se rend à Boston puis au Mexique pour empêcher les Alliés de perdre la Première Guerre mondiale en impliquant l’Amérique dans le conflit. C’est captivant et superbement mené. Comment cette histoire est-elle née ?
N.M : Eh bien, je ne sais jamais vraiment d’où viennent mes idées. Elles surgissent
comme Athéna de la tête de Zeus, mais je ne sais pas qui est Zeus. Je lis beaucoup d’essais historiques, et de biographies. Peut-être que cela a commencé il y a environ 4 ans, lorsque ce livre a été publié… Attendez une seconde... (Il se lève pour prendre un livre sur une étagère et me montre l’ouvrage qu’il a entre les mains). Celui-ci, The Zimmerman Telegram : intelligence, diplomacy, and America Entry into World War I de Thomas Boghardt. C’est le deuxième livre avec ce titre. L’autre avec le même titre, que j’ai lu quand j’avais une vingtaine d’années, a été écrit par l’historienne américaine Barbara W. Tuchman. Puis, quand celui-ci est sorti, je l’ai lu aussi (il feuillette le livre de Boghardt). J’essaie de voir quand il a été publié… En 2012. C’est une histoire totalement folle, ce télégramme de Zimmerman. Et d’une manière ou d’une autre, j’ai eu l’idée que Sherlock Holmes était impliqué dans tout ça. Cela semblait être une idée géniale. J’ai besoin de temps pour écrire un livre et j’ai joué avec celui-ci pendant encore 5 ans ! Je l’ai un peu oublié et je suis revenu dessus. C’était un livre difficile à écrire, plus difficile que certains autres parce qu’il exigeait que je transmette à des lecteurs qui ne savent rien de cet événement, et qui ne savent rien non plus de la dernière histoire de Sherlock Holmes, Son dernier coup d’archet. Ce n’était pas si facile, mais personne n’a dit que c’était censé être facile, de toute façon.

N.M : Oui, oui, c’est une sorte de suite de Son dernier coup d’archet dans lequel nous apprenons qu’à l’approche de la guerre, Holmes était infiltré en Amérique. Donc je me suis dit que ça pourrait marcher...
L a G azette du 221B : Est-ce à dire que ce roman est la suite que vous rêviez d’écrire à Son dernier coup d’archet ?
L a G azette du 221B : Vous plongez Sherlock Holmes dans un monde qui est similaire au nôtre, où les alliances, les traités et les trahisons humaines menacent de créer un autre cataclysme. Avez-vous été inspiré par notre époque pour écrire cette histoire ?
N.M : C’est une question très intéressante !
Je pense que toutes les œuvres d’art sont le produit de l’époque à laquelle elles ont été créées. Mozart ne ressemble pas seulement à Mozart. Il ressemble à la musique de la fin du XVIIIe siècle en Europe centrale. Renoir ne ressemble pas seulement à Renoir. Il ressemble à l’impressionnisme français de la fin du XIXe siècle. Si je devais vous montrer cinq films qui se déroulent tous en 1789, mais dont un a été tourné en 1920, un autre en 1950, un autre encore en 1990, et ainsi de suite, vous seriez capable de dire en cinq minutes de quelle époque datent chacun d’eux, car ils refléteraient inévitablement l’air du temps, les idées en vogue, la mode, et ainsi de suite. Donc, je pensais inconsciemment au monde dans lequel je vis lorsque j’ai écrit The Telegram from Hell. Je pense qu’il est juste de dire que l’état du monde me préoccupait, que j’en sois totalement conscient ou non. Et parfois, quand vous écrivez, vous vous dites : « Oh, c’est plutôt cool, parce que ça fait penser à telle ou telle chose. Et vous n’avez pas besoin de l’expliquer aux lecteurs. Ils la comprendront et la reconnaîtront ».
L a G azette du 221B : Holmes et Watson visitent différentes villes, dont Mexico. Vous y avez déjà fait un film et j’imagine que cela vous a aidé à retranscrire avec autant de précision l’atmosphère de la ville à un moment précis de son histoire, après avoir été transformée en «petit Paris» par le Président Porfirio Diaz.
N.M : Absolument. J’étais allé au Mexique en 1984, quand je tournais un film intitulé Volunteers avec Tom Hanks. Mais je n’y étais jamais retourné. J’en étais arrivé au point où, dans l’écriture du roman, Holmes et Watson se retrouvent à Mexico. Avec toutes les recherches que j’avais faites, j’ai fini par dire à ma compagne : « Je pense que nous devons y aller parce que je ne me sens pas à l’aise pour écrire sur cet endroit après toutes ces années. » J’avais des contacts là-bas dans le milieu du cinéma. Nous y sommes donc allés et avons fait ce que nous appelons « un repérage des lieux » quand on prépare un film. Nous avons regardé
tout ce qu’il y avait. J’étais très intéressé par le bureau télégraphique de la Western Union à Mexico. Je n’avais aucune idée qu’il s’agissait d’un musée, et qu’il y avait même une exposition entière sur le télégramme de Zimmerman ! Ce bureau télégraphique a été construit sous Diaz, comme de nombreux bâtiments publics à Mexico. Il ressemble à un palais, avec des peintures murales au plafond, comme à Versailles ! C’est tout simplement incroyable. Oui, Diaz voulait que Mexico ressemble à Paris.
L a G azette du 221B : Vous mélangez des personnages historiques avec des personnages fictifs. Quel est votre secret pour que cela fonctionne si bien et semble si crédible ?

N.M : Vous savez, il est très difficile de répondre à ce genre de questions. J’ai posé les mêmes à d’autres artistes que j’admire. Comment je fais ? Je dois dire que j’ignore comment je fais les choses. L’oracle de Delphes a dit un jour à Socrate qu’il était l’homme le plus sage de Grèce. Le philosophe pensa : « Cela n’est pas possible, je dois donc trouver quelqu’un de plus sage que moi », et il s’est mis à discuter avec chaque catégorie de la société grecque, et finalement il en est venu aux «poètes» c’est-à-dire tous les artistes, les peintres, les sculpteurs, les écrivains. Il déclara ensuite : « Je croyais que les artistes qui créent des œuvres si justes sur la condition humaine se révéleraient
plus sages que moi ... Imaginez ma surprise quand j’ai découvert que les artistes étaient les personnes les plus stupides à qui j’ai parlé ». Ils étaient « comme des enfants » (en français). Sauf quand ils pratiquaient leur art et qu’ils entraient alors dans une sorte de transe, et dans cette transe, ils recevaient la dictée de Dieu. C’est ce qu’ils appellent « l’inspiration ». Et à la fin, quand ils reprennent leurs esprits, ils ne se souviennent de rien, et redeviennent des enfants qui ne peuvent pas expliquer ce qu’ils ont fait pendant qu’ils étaient en transe. Et je ne peux pas expliquer ce qui se passe quand je suis assis devant mon bureau, ou avec un bloc-notes sur les genoux et que je commence à écrire. Mais,

à ce moment-là, je sais comment parlent Alice Roosevelt ou Sir William Melville. Cela me vient en quelque sorte tout seul ! Si on le fait bien, les gens ne le remettent pas en question. Si on le fait mal, ils se disent : « Hum, ça ne ressemble pas « à la vérité » (en français).
L a G azette du 221B : Vous n’aimez pas la plupart des films holmésiens parce que Watson y est dépeint comme un idiot. Dans vos romans, vous développez donc le son personnage qui devient aussi actif que le grand détective lui-même. Est-ce votre façon de le valoriser ?
N.M : Bien vu ! Oui, dès mon premier roman, La Solution à sept pour cent, j’essayais de corriger cette caricature de Watson. En effet, pourquoi un génie voudrait-il faire équipe avec un imbécile ? Je pense qu’on peut faire remonter ce type d’association jusqu’à Don Quichotte. Watson est comme Sancho Panza. Et ce dernier n’est pas un idiot. C’est un réaliste, qui, comme il le dit, sait de quel côté du pain il y a le beurre. Il comprend les « excentricités » de Quichotte, mais il aime être avec lui et se faire expliquer les choses par lui. Je pense que Watson est aussi comme ça.
publication de La Solution à sept pour cent, car j’y présente un Holmes accro à la cocaïne. Certains fans ont été très contrariés par cette addiction, car ils voyaient leur héros comme un surhomme et ne pouvaient pas concevoir qu’il soit un colosse aux pieds d’argile. Holmes ne pouvait pas être mortel, être vulnérable, être juste humain. Et ils affirmaient donc qu’il n’était pas vraiment toxicomane et qu’il bernait Watson.
Je ne pense pas que les héros aient besoin d’être défendus parce qu’ils se révèlent humains et non divins. Ils apparaissent plus réels. Il me semble même qu’ils sont plus réels s’ils ont des problèmes comme tout le monde, que ce soit la toxicomanie ou l’alcoolisme. Ce ne sont que des gens ordinaires avec des dons extraordinaires.
En fin de compte, le génie est inexplicable. On ne peut pas expliquer celui de Mozart. Et si vous lisez les lettres qu’il a écrites,
Pour moi, le fait que Holmes fonctionne avec la chaîne et le boulet de sa dépendance à la drogue le rend plus héroïque [...] Ce n’est pas un dieu, et c’est ce qui le rend si
L a G azette du 221B : Vous dites aussi que les gens confondent les héros avec Dieu. Au début de The Telegram from Hell, Sherlock Holmes apparaît chez Watson avec un œil au beurre noir, une dent manquante et une côte fêlée. Est-ce votre façon de rendre Sherlock plus humain ?
N.M : Non, je ne pense pas que c’était ce que j’avais en tête. Mon intention était juste de lancer l’histoire, et Holmes, en expliquant à Watson pourquoi il est dans un si mauvais état, fait débuter l’aventure. Je ne crois pas, quand je l’ai écrit, que je voulais essayer de mettre l’accent sur la vulnérabilité du héros.
J’ai été confronté à ce problème dès la
intéressant.
avec tous ces termes scatologiques et ses signatures ridicules, vous vous demandez comment celui qui a produit de telles bêtises a également pu créer une si belle musique. Je pense que c’est la même chose pour Holmes. Comment quelqu’un d’aussi brillant, merveilleux et humain peut-il se shooter ? Si un homme plonge dans une rivière pour sauver un enfant qui se noie, nous sommes tous d’accord : c’est un héros. Mais si le même homme saute dans la même rivière pour sauver le même enfant, et le fait avec une chaîne et un boulet attaché à sa cheville, est-il plus ou moins un héros ? Pour moi, le fait que Holmes fonctionne avec la chaîne et le boulet de sa dépendance le rend plus héroïque, mais ne fait pas de lui un dieu. Ce n’est pas un Dieu. C’est là tout l’intérêt.
L a G azette du 221B : Vous faites souvent référence à la musique et à l’opéra dans vos romans. Et dans The Telegram from Hell, il y a une sorte de clin d’œil pour vos lecteurs amateurs d’opéra, car ils savent immédiatement que le personnage qui prétend être un chanteur d’opéra ment. En tant que passionné, aimeriez-vous mettre en scène une production lyrique holmésienne ?
N.M : J’ai un enregistrement de musique écrite pour un ballet sur Sherlock Holmes. Il ne s’appelle pas Sherlock Holmes, je suppose que c’est pour des raisons de droits d’auteur, mais The Great Detective. Je n’ai jamais vu le ballet, mais j’adorerais le voir ! Et ce serait très intéressant d’avoir un opéra sur Sherlock Holmes. Je me demande comment une scène avec Holmes déchiffrant les indices serait mise en musique . Et vous savez, il y a de merveilleux duos pour hommes dans l’opéra, tout le monde aime le duo des Pêcheurs de perles de Bizet. Donc, Holmes et Watson pourraient être un grand duo d’opéra. Doyle a essayé d’écrire une opérette avec J. M. Barrie –auteur de Peter Pan – mais ce ne fut pas un succès.
L a G azette du 221B : Ou peut-être une comédie musicale… ce serait une excellente idée.
N.M : Oui, c’est vrai ! En fait, il y a eu une comédie musicale sur Sherlock Holmes, Baker Street, à Broadway. Elle n’a pas eu beaucoup de succès… On m’a contacté il y a des années pour faire une comédie musicale. Mais je ne savais pas vraiment comment m’y prendre. Ça n’a donc pas abouti. Dommage ! L’idée était d’adapter La Solution à sept pour cent en comédie musicale et je n’arrivais pas à projeter cette histoire sous cette forme. Mais, si je n’étais lié par aucune obligation, peut-être que je le ferais. Ce serait intéressant d’y intégrer Conan Doyle, comme personnage ! Je ne pense pas que Doyle se souciait beaucoup des capacités musicales de Holmes. C’était juste une manifestation de son côté
bohème et de sa nature d’artiste. Je pense que Doyle n’a jamais pris ces choses aussi au sérieux que moi. Je viens d’une famille de musiciens, la musique est une de mes passions, pas seulement l’opéra. J’ai donc développé cette idée un peu plus que Doyle.
L a G azette du 221B : Je sais que vous gardez de bons souvenirs de Sir Laurence Olivier dans le rôle de Moriarty dans le film basé sur votre roman La Solution à sept pour cent. C’était un choix de casting parfait, car il y a quelque chose de shakespearien dans le personnage de Moriarty. Aimeriez-vous écrire une histoire avec Moriarty comme personnage principal ?
N.M : Eh bien, tout d’abord, merci pour la suggestion. Je dois y réfléchir. Mais comment expliquer cela ? Pour moi, Moriarty est une création de la paranoïa induite par l’addiction à la cocaïne de Holmes. Moriarty a eu une liaison avec la mère de Holmes et après que le père ait tiré sur elle, Moriarty s’est enfui. En fait, il était professeur de mathématiques. Il n’était pas « le Napoléon du crime », sauf dans l’esprit de Holmes. Mais quand on apprend son adultère avec la mère de Holmes, il n’avait pas si tort, après tout.
L a G azette du 221B : Ne trouvez-vous pas qu’il y a quelque chose de similaire entre La Maison vide et le troisième acte de Tosca ? Moriarty et Scarpia cherchent à se venger par procuration au-delà de leur mort. Je pense que vous pourriez écrire quelque chose de fascinant sur le personnage en tant qu’Holmésien et lyricomane.
N.M : Très bonne suggestion ! Je n’avais pas pensé jusqu’à cet instant à lui comme une version de Scarpia. Et c’est très intéressant. Je dois donc réfléchir à cette idée. Mais je pense lentement, je lis lentement... Je suis lent en tout, mais je vais y réfléchir. Merci.
Le portrait SHinois de Nicholas MEYER
Si j’étais ...
• une aventure de Sherlock Holmes
- Je serais L’Aventuredupieddu diable.
• un objet ou un lieu canonique ?
- Je serais l’une de ses pipes !
• une qualité du grand détective ?
- Ce serait son pouvoir d’observation.
• un défaut
- Sa méfiance envers les femmes !
• un méchant canonique ?
- Charles Auguste Milverton.
• une femme ?
- Irene Adler !
• une untold story ?
- Le rat géant de Sumatra.
• un pastiche ?
- Quelque chose à voir avec Peter Warlock ...
• un film ou une série ?
- La Vallée de la peur (ce film existe mais Sherlock Holmes n’est pas dedans : The Molly Maguires, avec Sean Connery et Richard Harris
• un acteur qui a joué Sherlock Holmes ?
- Daniel Day Lewis

• Et un Watson ? David Robbs !
• une question restée sans réponse ?
- Où Watson a-t-il vraiment été blessé ?
• une odeur, une couleur ou un son lié à Sherlock Holmes ?
- Le violon
• une citation ?
- “Quand un médecin tourne mal, il devient le plus grand des criminels. Il a pour lui le sang-froid et la science.” (LaBandemouchetée )
• un souvenir heureux lié à Sherlock Holmes ?
- Adolescent, j’ai regardé LeChien desBaskervilleavec Peter Cushing et Andre Morrell. Enfin un film qui semblait fidèle au Sherlock Holmes de Doyle !
• Si vous pouviez rencontrer Sherlock Holmes, Watson ou Arthur Conan Doyle, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise ?
- Je serais curieux de savoir ce que Sherlock Holmes pourrait déduire de moi à partir de ma montre !
Interview de Bonnie MacBird TheSerpentUnder

C’est déjà son sixième roman holmésien et Bonnie MacBird n’a pas perdu une once de son enthousiasme des débuts quand elle évoque le plaisir qu’elle ressent à reprendre les personnages créés par Conan Doyle, à les placer dans des situations inédites ou les amener à se révéler en confrontant de nouveaux personnages.
Habituée des colonnes de La Gazette, elle répond à nos questions avec discernement et sincérité.
Propos recueillis et traduits par Fabienne Courouge
La Gazette du 221B : Bonjour Bonnie. Ravi de vous interviewer à nouveau. Comment allez-vous et que pouvons-nous vous souhaiter pour 2025 ?
BoNNie MacBird : Comme c’est agréable d’avoir de vos nouvelles Fabienne. Nous ne pouvons que souhaiter la paix dans le monde. Et à défaut, un beau printemps.
G221B : Quelle est la différence entre commencer votre premier et votre sixième roman sherlockien ? Est-ce plus confortable ou plus intimidant ?
B.M.B. : Les deux ! Je suis rassurée de savoir que j’ai pu écrire alors que je traversais des crises personnelles assez graves ainsi que durant la pandémie. Je ne suis pas sûre que cela entre dans la définition de
« confortable », mais ça me rend peutêtre un peu plus confiante sur le fait que je me puisse me mettre à l’ouvrage quoi qu’il arrive.
Mais c’est aussi plus « intimidant » parce qu’en tant qu’auteure, je cherche toujours à m’améliorer, à faire du prochain roman le meilleur, à me lancer des défis. Bien sûr, je dois rester également prudente, si je vais trop loin dans ce sens, ça devient de la vanité.
Juste après avoir terminé mon dernier livre, j’ai pris des vacances bien méritées et j’ai passé une semaine à Oxford où j’ai participé à un cours d’écriture de flash fiction. J’aime me dépasser et me mettre en danger, et parfois c’est en acceptant de se mettre dans la position du débutant.
G221B : Vous sentez-vous plus libre maintenant que toutes les histoires de Sherlock Holmes sont dans le domaine public ?
B.M.B. : Pas réellement ! Peu de choses intéressantes sont apparues UNIQUEMENT dans ces dernières aventures ! Vous ne pouviez seulement pas mentionner une certaine équipe dans laquelle Watson a joué, et quelques autres détails de ce genre. Rien de très significatif. Cela n’a pas vraiment affecté ce que je fais.
G221B : Les critiques de vos romans ont jusqu’à présent été élogieuses. Êtes-vous sensible à ces critiques ? Faites-vous une différence entre celles qui émanent de professionnels et celles des simples lecteurs ? Ces critiques entretiennent elles votre envie d’écrire ?
B.M.B. : J’adorerais me montrer désinvolte et dire que j’ignore les critiques aussi bien professionnelles que personnelles, mais je ne connais pas un seul écrivain pour qui c’est vrai (quoi qu’ils en disent).
Oui, nous attendons tous les critiques des publications importantes. The Serpent
Under a bénéficié d’une critique dans le Sunday Times de Londres, ce qui était une première et donc très enthousiasmant. Le Washington Post et le Wall Street Journal ont tous deux classé dans la liste des idées de cadeau de Noël mon cinquième livre What Child Is This ? Ces critiques étaient donc très satisfaisantes, et c’est une sorte de reconnaissance de mon travail.
Mais je prends un plaisir particulier quand un lecteur lambda saisit quelque chose que j’ai essayé de transmettre.
Je pense surtout à une certaine catégorie de lecteur, et il est très important pour moi que ces livres ravissent ceux qu’ils sont censés ravir. Mes livres ne peuvent pas plaire à tout le monde, car j’écris de la fiction de genre. Ils sont destinés à être lus dans un train ou au coin du feu. Mais j’espère qu’ils vont rester dans un coin de la tête des lecteurs perspicaces, et je travaille à créer ce petit supplément d’âme. J’espère que mes romans apporteront, d’une certaine manière, un certain réconfort dans le fait de savoir que la pensée critique, l’intelligence, le savoir et la volonté de servir la justice peuvent triompher du mal. D’autant que nous en avons plus besoin que jamais.
Au final, oui, les critiques signifient beaucoup pour moi surtout lorsqu’elles pointent sur certaines choses liées au sens que j’ai voulu donner et qui étaient peutêtre compliquées à écrire.
Pour The Serpent Under, par exemple, Holmes est engagé par une jeune femme impétueuse qui organise des manifestations pour améliorer les conditions des ouvrières d’usine. À propos de cette scène, un critique de BookBub a déclaré : « Étant donné la relation compliquée de Holmes avec les femmes, il est agréable de le voir engager une discussion avec une activiste qui fait penser à « Emily Pankhurst » et donner son opinion sur le droit de vote des femmes d’une manière nuancée qui semble fidèle à son personnage. »
C’est une scène à laquelle j’ai apporté un soin particulier, et le fait qu’elle soit appréciée signifie beaucoup pour moi.
G221B : Qu’est-ce qui a déclenché l’envie d’écrire The Serpent Under ?
B.M.B. : Une citation de Shakespeare dans MacBeth. « Ayez l’air de la fleur innocente, mais soyez le serpent en dessous. » Le thème de la trahison, de la tromperie ou de la traîtrise cachée derrière quelque chose qui semble bénin, ou même charmant m’est venu à l’esprit, mais aussi la terreur des serpents réels. J’ai tout de suite senti qu’il y avait de la matière pour une bonne histoire.
G221B : Cette fois, vous n’avez pas ressenti le besoin de creuser dans le passé de Sherlock Holmes. Avez-vous eu l’impression d’en savoir assez sur lui maintenant ? L’avez-vous en quelque sorte « cerné » ? (Je pense que c’est un peu le cas)
B.M.B. : Merci ! Eh bien, ce serait fatigant de creuser dans son passé dans chaque roman, je pense! Cela deviendrait une sorte de cliché. Mais j’aime mettre les deux hommes dans des situations inédites. Dans The Serpent Under, par exemple, Holmes se fait passer pour un gitan qui serait également un savant d’Oxford (nous savons qu’il n’est l’un ni l’autre) et il s’en sort admirablement. Et la rencontre avec le tatoueur, ainsi que de l’excursion au festival japonais (qui existait vraiment, d’ailleurs !) étaient aussi des opportunités de scènes savoureuses. J’aime envoyer Holmes dans des endroits insolites. J’adore révéler ses talents cachés comme l’hypnose, dans ce roman ! Ainsi, chaque livre n’a pas besoin de fouiller dans son passé, même si je pense qu’à chaque fois, on peut faire découvrir une nouvelle facette « qui lui va » et n’altère pas ce qu’il est dans le Canon.
G221B : Vos romans se déroulent entre 1887 et 1891 : est-ce pour vous l’époque


où Sherlock Holmes était au sommet de son art ?
B.M.B. : Je voulais simplement que Holmes et Watson soient de jeunes hommes aux alentours de la trentaine, car c’est ainsi que je les imagine.
G221B : Êtes-vous tentée par l’écriture d’une enquête menée par un Sherlock Holmes très jeune ou vieillissant ?
B.M.B. : J’adorerais écrire sur un Holmes plus jeune, alors que lui et Watson apprenaient encore à se connaître.
Cependant, cela exclurait Heffie, qu’ils rencontreront plus tard et qui est devenue l’un des personnages préférés des fans. Je suis en revanche moins intéressée par Holmes et Watson vieillissants. Je ne sais pas pourquoi. Peutêtre parce que je prends moi-même de l’âge et que ce n’est pas ce dans quoi j’ai envie de me plonger.
G221B : Du château de Windsor aux docks, vos descriptions du Londres victorien sont merveilleusement évocatrices et le lecteur se sent vraiment comme s’il y était. Outre les recherches historiques, comment parvenez-vous à ce résultat ?
B.M.B. : Merci. Si possible, je visite les lieux réels, ce que je n’ai évidemment pas pu faire pendant la pandémie. Je fais des recherches sur place dès que je le peux. Je cherche aussi à rencontrer des experts. J’ai discuté avec un herpétologiste, professeur à Oxford pour me conseiller sur The Serpent Under, et il était exquis ! J’aime rencontrer des experts insolites. Ce sont généralement des gens passionnants. C’est peut-être l’aspect le plus amusant de ce que je fais.
G221B : Comment choisissez-vous le cadre des enquêtes ? Est-ce un processus spontané, une idée qui surgit dans votre esprit ? Ou un long cheminement pour déterminer les lieux et les circonstances dans lesquels vous souhaitez immerger Holmes et Watson ?
B.M.B. : C’est un processus un peu farfelu. J’adore Paris et j’y étais pour écrire certaines
scènes d’Art In The Blood. J’ai parcouru les rues pour tracer l’itinéraire entre Le Chat Noir et l’endroit où Lautrec vivait à cette époque. J’ai visité un château médiéval écossais qui avait été rénové à l’époque de Holmes et j’en ai utilisé des détails pour Unquiet Spirits, y compris la redoutable chambre froide et la planque pour espionner. Parfois, je choisis simplement un endroit qui me plaît et je décide de le mettre en scène. Pour
The Serpent Under, j’ai choisi le château de Windsor, le zoo, le village japonais (qui a disparu depuis longtemps, bien sûr, mais dont j’ai trouvé des photos et des descriptions) ainsi qu’un atelier d’artiste à la William Morris...Et un salon de tatouage !!
Savez-vous que Jenny, la mère de Winston Churchill, avait un Ouroboros (un serpent ou un dragon qui se mord la queue) tatoué sur le poignet à cette époque ? Ces idées ne sont donc pas si étranges que ça après tout !
quelque chose ou quelqu’un d’inoffensif, le saboteur secret, l’ennemi se faisant passer pour un ami. Des choses qui doivent être découvertes. Même la scène de l’hypnose restait dans ce thème, même si ce qui est découvert par cette méthode, bien que machiavélique, finisse par aider nos héros.
G221B : Pensez-vous que, pour écrire des romans policiers, il faut être optimiste

G221B : Les trois décors des trois de votre dernier roman semblent très différents, mais présentent des similitudes : règles tacites, tromperies et violence interne pour n’en nommer que quelques-uns. Est-ce intentionnel ? Cela souligne-t-il la cruauté inhérente à toute communauté humaine ?
B.M.B. : Pas exactement. Le thème était la trahison, le serpent caché sous
(Holmes et Watson rétabliront la justice) ? Ou pessimiste (le crime est partout et Holmes est comme Sisyphe roulant sa pierre) ?
B.M.B. : Je suis une optimiste assumée. Dans les histoires de Sherlock Holmes, peu importe à quel point le crime est horrible, peu importe à quel point le méchant
est infâme ou dangereux, le crime sera résolu par le héros qui met sa puissance intellectuelle, ses connaissances, sa force et son endurance, sa persévérance et sa volonté au service de la justice. Et ces histoires mettent aussi en scène une des plus grandes amitiés de la littérature. Tout le monde veut avoir, ou être un Watson. Écrire sur le mal, c’est énoncer l’évidence. Rétablir l’ordre est une tâche beaucoup plus difficile. Pas de nihilisme, je reste optimiste jusqu’au bout.
G221B : Heffie a appris vite et elle est en train de devenir une très bonne détective. Elle me fait penser à Elisa Doolitle. Pensezvous que Holmes a l’étoffe d’un Pygmalion ? Comment décririez-vous sa relation entre ces deux personnages ?
B.M.B. : L’allusion à Pygmalion vient sûrement de la scène du livre où Holmes corrige la grammaire de Heffie. Mais non,
ce n’est pas exactement le même type de relation. Il voit du potentiel en elle et aimerait la guider vers des opportunités qui l’aideront à devenir la redoutable combattante du crime qu’elle semble destinée à être.
G221B : Heffie pourrait-elle devenir le personnage principal d’un spin-off ?
B.M.B. : Je suis en train de travailler sur une nouvelle série. Elle va très certainement y apparaître, mais elle n’en est pas la protagoniste principale.
G221B : Et, avec ou sans Heffie, vos prochains romans sont-ils sur la bonne voie ?
B.M.B. : Oui. En fonction de ce que mon éditeur veut, j’ai un septième roman holmésien en cours de planification, ainsi que le premier livre de cette nouvelle série.



Holmes à l’Opéra
Par Brigitte Maroillat
Brigitte Maroillat, holmésienne et critique musicale, nous livre aujourd’hui ses réflexions sur la relation singulière, dépeinte aussi bien dans le Canon que dans des œuvres apocryphes, du Grand Détective avec l’art lyrique
Si les auteurs holmésiens ont beaucoup écrit sur Sherlock Holmes et la musique, ils ont été en revanche moins prolixes sur ses rapports à l’opéra, si ce n’est à travers le personnage d’Irène Adler, cantatrice contre alto qui a été la prima donna de l’Opéra Impérial de Varsovie avant d’abandonner la scène.
Au-delà des études relatives au lien étrange et fascinant que le détective entretient avec l’aventurière de toutes les scènes, théâtrales ou non, l’art lyrique a quelque peu été éludé alors qu’il est incontestablement présent dans le Canon. Et si les regards n’ont pas convergé d’emblée sur le sujet dans la vie de Holmes, c’est sans nul doute que l’équation est par essence paradoxale. Comment un être aussi cérébral, qui juge toute émotion dangereuse sur le cheminement du process
intellectuel, pourrait-il avoir un tel attrait pour cet art, siège des passions humaines, souvent portées à leur paroxysme ? Si la musique, qui a trait aux mathématiques, semble répondre en tout point à la logique holmésienne, l’opéra qui n’a souvent que le cœur comme raison, n’est pas exactement la rive à laquelle on s’attendrait à voir s’arrimer le limier de Baker Street. Cette addiction réjouissante, parmi d’autres plus fâcheuses, mérite analyse.
La musique symphonique concertante est pour Holmes un moyen de se régénérer après un effort mental conséquent, tel que dans La Ligue des rouquins où il dit à Watson « Nous en savons bien assez. Laissons la place au plaisir. Sarasate se produit à Saint James Hall tantôt On s’envole vers les contrées où règnent la
musique, la poésie et l’harmonie ». D’ailleurs, il est paradoxal de constater que Watson, qui présente pourtant Holmes comme une pure machine à penser, emploie dans cette aventure tout un nuancier émotionnel pour décrire l’état de béatitude de Holmes à l’écoute de Sarasate.
Mais qu’en est-il de l’opéra ? L’art lyrique procure-t-il au détective le même plaisir avoué et assumé que la musique ? Se confronter à une peinture vive des émotions humaines dans ce qu’elles ont de plus noble, mais aussi de plus vil, présente-t-il le même attrait pour le détective qui entend garder la tête froide ?
En réalité, comme le laisse à penser sa posture au concert de Sarasate décrite par Watson, Holmes n’est pas aussi dénué d’émotions qu’on peut l’imaginer. Le détective se sait au contraire perméable à celles-ci, et il s’en méfie. C’est pourquoi il se tient fort prudemment éloigné de toute effusion émotionnelle et passionnelle. Sans doute cela explique-t-il qu’il soit davantage attiré par la musique allemande, et de ce fait l’opéra allemand, que par l’opéra italien. « La musique allemande est introspective » dit-il à Watson dans La Ligue des rouquins et cela sied mieux à sa personnalité et son mécanisme de pensée intériorisée.
Holmes est donc sélectif en matière de musique et il en va de même pour l’opéra. Et on comprend alors que sa préférence aille à de grandes œuvres
inspirées de l’histoire (Meyerbeer) ou de la mythologie (Wagner) qu’à un répertoire italien trop expressif et démonstratif sur le plan émotionnel.
Il est incontestablement un amateur averti de l’opéra, et non un curieux occasionnel, puisque, s’il l’on en croit ce qu’il dit à Watson dans la conclusion du Chien des Baskerville, il n’hésite pas à louer une loge pour profiter pleinement de l’œuvre, en l’occurrence ici Les Huguenots, grand opéra français, drame historique sur fond de guerre de religions entre protestants et catholiques, qui n’est pas sans résonance avec un roman historique de Conan Doyle : The refugee, A tale of two continents. Il va sans dire que Conan Doyle, acteur profondément immergé dans la culture de son temps et auteur passionné d’histoire, ne pouvait ignorer l’existence de l’œuvre de Meyerbeer. D’ailleurs, il y fait également référence dans Un Scandale en Bohème , dans lequel il est clairement mentionné qu’Irene Adler, qui a incarné de nombreux rôles masculins sur scène (ce qui lui permet d’ailleurs de mystifier Holmes) a interprété Urbain dans Les Huguenots. Ce grand opéra de Meyerbeer est un fil rouge dans le Canon entre Holmes, Irene Adler et l’auteur Conan Doyle.

Il est intéressant de souligner que lorsque Holmes parle de l’opéra français, il fait surtout référence aux interprètes et à leur technique et non au compositeur ou à la musique.

À cet égard dans Le Chien des Baskerville, Holmes mentionne Jean De Reszke, ténor dramatique, et son frère Edouard, basse, qui ont interprété Les Huguenots ensemble à plusieurs reprises entre 1880 et 1890, sur toutes les scènes d’Europe. De même, pour la musique, Holmes s’attache également aux spécificités de l’interprétation de Neruda et de Sarasate ou du doigté de Joachim dans le concerto pour violon de Beethoven, dont il se remémore ému le souvenir au début de La Ligue des rouquins. En revanche, l’opéra allemand semble se résumer souvent dans sa bouche au seul nom d’un compositeur : Wagner. « À propos, il n’est pas encore huit heures, et on joue du Wagner à Covent Garden ! Si nous nous dépêchons, nous pourrons arriver à temps pour le deuxième acte », laissant entendre ici que seul le compositeur fait la valeur de l’œuvre opératique. Holmes semble donc s’intéresser avant

tout à la technique d’interprétation et à la composition musicale, avant l’histoire même de l’opéra et le bouquet d’émotions qui s’en dégage, qui ne semble pour lui qu’anecdotique.
Son vif intérêt pour la technique appliquée à la musique, le conduit à utiliser, pour les besoins de son enquête, un enregistrement sur cylindre dans Pierre de Mazarin, ce qui montre ici une connaissance méticuleuse de toutes les technologies modernes de son époque. D’ailleurs, il ne s’agit pas de n’importe quel enregistrement : il s’est enregistré lui-même jouant La Barcarolle Contes d’Hoffmann d’Offenbach. Un choix de pièce d’opéra qui pourrait ici étonner au regard de l’âme poétique et fleur bleue d’un tel air aux antipodes du très cartésien Holmes. Le détective serait-il un cœur romantique ? Que nenni… car ce choix s’explique aisément du point de vue tant du détective que de l’histoire : « Belle nuit, O nuit d’amour », est une mélodie entêtante, presque un ostinato, aisément identifiable et facilement associée dans l’inconscient collectif à une performance musicale en direct, ce qui renforce l’illusion qu’il joue vraiment dans la pièce. Elle crée aussi une atmosphère quelque peu hypnotique. Grâce à cet air, Holmes sait qu’il peut détourner l’attention de ses adversaires sur la musique, plutôt que sur ses faits et gestes. Holmes s’appuie ici sur ses connaissances musicales pour en faire un atout psychologique de son enquête.
de Holmes, l’opéra n’en est pas moins en connexion avec une part de lui-même. Il lui offre un exécutoire émotionnel, un dérivatif

Les velléités de Holmes pour l’opéra sont au diapason d’une sensibilité artistique profonde qu’il tient sans doute de la branche française de sa famille. Même si ses drames intenses contrastent avec la personnalité méthodique et rationnelle
que sous les oripeaux d’un affreux palefrenier, comme pour se protéger, un confortable paravent pour celui qui fuit les passions sous toutes leurs formes. Insensible, non ! Prudent oui. Il se tient volontairement au bord de la falaise vertigineuse de l’émotion sans jamais y plonger. Étonnant aussi pour celui dont la vie pourrait être un sublime sujet d’opéra. Imaginons, Holmes en ténor lyrico-spinto, et l’infâme Moriarty en baryton de type verdien, car l’ennemi du héros a toujours un instrument vocal à la sombre parure. Oui cela ne manquerait pas d’allure…

Balade dans la littérature du temps de Sherlock Holmes
Conan Doyle publia les histoires de Sherlock Holmes de 1887 à 1927 et il est difficile d’imaginer une période où la société se transforma si radicalement. D’un point de vue artistique, les aventures du grand détective côtoyèrent des œuvres aussi diverses que Tess d’uberville ,Winnie l’ourson, les Essais de Sigmund Freud, La Guerre des mondes, À la Recherche du temps perdu ou Ubu roi sur les étals des librairies.
La Gazette vous propose, à chaque numéro, une balade dans cette période riche et fascinante.

J.M. Barrie, ami de Conan Doyle et premier auteur de pastiches
Par Fabienne Courouge
Essentiellement connu pour être l’auteur de Peter Pan, James Matthew Barrie, né en 1860 en Écosse fut un romancier et dramaturge prolifique et à succès de la fin de l’époque victorienne et du début du 20e siècle. Les nombreux points communs qu’il partageait avec Arthur Conan Doyle rapprochèrent les deux auteurs qui lièrent une amitié profonde et durable, piquetée de pointes de malice, telles les parodies gentiment moqueuses de Sherlock Holmes que Barrie écrivit dès 1891.

La rencontre de deux jeunes écrivains pleins de points communs
J.M. Barrie et Arthur Conan Doyle se sont rencontrés alors qu’ils étaient tous deux jeunes auteurs fraîchement débarqués à Londres, en 1892. Ils collaboraient alors au magazine The Idler, un mensuel illustré publié en Grande-Bretagne de 1892 à 1911, fondé par l’auteur Robert Barr, dont Jerome K. Jerome (auteur de Trois Hommes dans un bateau) était le coéditeur. Ses contributeurs comprenaient de nombreux écrivains et illustrateurs de premier plan de l’époque (outre Barrie et Conan Doyle, on peut citer Rudyard Kipling ou Mark Twain.).
À cette époque-là, Barrie avait déjà publié, en 1891 et anonymement, dans un autre magazine, The Speaker, une première parodie : My evening with Sherlock Holmes. Cette courte histoire, considérée comme le tout premier pastiche de l’histoire holmésienne, met en scène le Dr Anon, un gentleman anglais imbu de lui-même qui aime à prouver sa supériorité sur tout un

chacun. Il provoque une rencontre avec Sherlock Holmes par l’intermédiaire de Conan Doyle et se livre à une joute de déductions avec le détective (rappelant celle de Sherlock et Mycroft au début de L’Interprète grec). D’abord sûr de lui et flegmatique puis éberlué, Holmes finit par quitter les lieux franchement agacé.
Conan Doyle démasqua Barrie comme l’auteur de cette satire au cours d’un dîner organisé par The Idler, mais ne sembla pas lui en tenir rigueur puisqu’il l’évoqua en termes détachés dans un courrier adressé à sa mère et daté du 6 janvier 1892 : « I went in to the ‘Idlers’ dinner and met J. M. Barrie, Jerome K. Jerome, Barry Pain, Zangwill, Barr (‘Luke Sharp’), Robertson, and others. [...] It was Barrie who wrote the skit on Holmes in The Speaker. » (« Je suis allé au dîner de The Idler et j’ai rencontré J. M. Barrie, Jerome K. Jerome, Barry Pain, Zangwill, Barr (‘Luke Sharp’), Robertson, et d’autres. [...] C’est Barrie qui a écrit la parodie sur Holmes dans The Speaker. »)
Les deux jeunes hommes étaient tous les
deux originaires d’Écosse (Édimbourg pour l’un, Kirriemuir dans le comté d’Angus pour l’autre) et ont tous deux fréquenté l’université Édimbourg.
Barrie et Doyle ont également en commun d’avoir pour mère des femmes fortes et intelligentes, qui eurent une importance capitale dans leur vie. Toutes deux donnèrent à leur fils le goût de la fiction en leur lisant des histoires, celles de Stevenson ou de Walter Scott.
Deux joueurs de la même équipe de cricket
Barrie était fragile et chétif (Conan Doyle dira malicieusement de son ami, qui mesurait à peine 1m55 , que « chez lui, il n’est rien de petit, à part son corps ») et pourtant, l’auteur de Peter Pan était un grand fan et un joueur avide de Cricket, qui créa en 1887 une équipe appelée les « Allahakbarries » ( jeu de mots entre son nom et l’expression arabe « Dieu est grand »).
Cette équipe était composée de personnalités uniques issues de différents milieux : écrivains, poètes, explorateurs, scientifiques, illustrateurs, peintres, journalistes, professeurs, humoristes, politiciens. En fait, les recrues ne sont pas des inconnus. Tout au contraire, ce sont des personnes célèbres et de grand talent dans leurs domaines respectifs. On peut citer, parmi les personnages de renom qui se sont joints aux Allahakbarries : Rudyard Kipling, H.G. Wells et A.A. Milne. Disons-le tout de suite, l’équipe est nulle. Peu de ses membres sont de bons joueurs. D’ailleurs, Barrie leur demande de ne pas effectuer d’échauffement devant l’équipe adverse « car cela peut seulement leur donner confiance ». Il faut dire qu’avec certains, on part de loin puisqu’au cours des premiers matchs, Barrie doit aller jusqu’à leur expliquer les règles du jeu. Avant le premier match, Barrie découvre que certains de

L’équipe des Allahakbarries
Authors vs Artists, 22 mai 1903
En haut, de gauche à droite : E.W. Hornung, E.V Lucas, P.G. WOdehouse, J.C Smith, G Charne, Sir Arthur Conan Doyle, Hesketh Prichard, L.D. Luard, C.M.S. Orchardson, L.C. Nightingale, A. Kinross.
En bas : de gauche à droite : C.Gascoyne, Shan F. Bullock, G Hillyard Swinstead, Reginald Bloomfield, Hon. W.J. James, E.A. Abbey, A.Chevalier Taylor, J.M. Barrie, G.C. Ives Spencer Warson. Assis sur le sol : A.E.W Mason.
ses coéquipiers ne savent pas quel côté de la batte sert à frapper la balle. En 1893, pour y remédier, Barrie est contraint d’écrire un manuel pour son équipe.
Peu après leur rencontre, Conan Doyle intègre cette équipe. Mais, grand, vigoureux et sportif aguerri, il dénote avec la plupart de ses coéquipiers, car il est…un bon joueur (de même que P. G. Wodehouse, le créateur de Jeeves, qui rejoint l’équipe en 1903).
Malgré leur différence de niveau, cette passion commune scelle la complicité entre le père de Peter Pan et celui de Sherlock Holmes. Le médecin et l’auteur à la rescousse de son ami
En 1893, alors que Conan Doyle effectuait une tournée de conférences en Écosse, il est invité par Barrie dans sa maison familiale à Kirriemuir. Dans son autobiographie, Sir Arthur décrit ses hôtes par ces mots « le type même de ces gens magnifiques qui ont fait de l’Écosse ce qu’elle est. Son père était un brave homme, mais sa mère incarnait l’alliance merveilleuse du cœur et de l’esprit, une combinaison rare qui l’élevait aussi haut que ma propre mère. »

Quelques semaines plus tard, Conan Doyle reçut un télégramme de Barrie lui demandant de venir le voir parce qu’il était malade et qu’il avait besoin d’aide. Doyle courut au chevet de son ami et découvrit d’une part qu’il souffrait d’une sévère bronchite, mais qu’il était surtout rongé par l’angoisse, ne parvenant pas à terminer le livret d’une opérette qui lui avait été commandée.
Conan Doyle va alors bouleverser ses
plans pour venir en aide à son compère et l’aider dans son entreprise. De leur travail à quatre mains naît l’opérette Jane Annie (Jane Annie or, the Good Conduct Prize), qui fut créée au Savoy Theatre de Londres le 13 mai 1893 et connut un échec retentissant.
Barrie et Conan Doyle tentèrent d’y apporter des modifications, mais la pièce fut abandonnée après seulement 50 représentations.
Des pastiches comme des clins d’œil amicaux
La complicité entre les deux jeunes auteurs s’en trouva paradoxalement renforcée.
De cette mésaventure, Barrie tirera même, en 1893, le sujet de son deuxième pastiche, L’Aventure des deux collaborateurs, que Barrie écrivit comme un clin d’œil sur la page de garde de l’exemplaire de son roman A Window in Thrums qu’il offrit à Conan Doyle. Dans ce court texte hilarant, deux auteurs écossais, un « grand gaillard » et un « bel homme » rendent visite à Holmes et Watson pour découvrir pourquoi leur opéra n’a pas réussi à attirer le public. Holmes refuse obstinément de leur répondre…

Doyle, dans son autobiographie, revient sur cette anecdote avec une sorte de tendresse : « Cette parodie, la meilleure des nombreuses imitations inspirées par Sherlock Holmes, témoigne non seulement de l’esprit de l’auteur, mais également de son élégant courage. En effet, elle fut écrite immédiatement après notre échec conjoint, qui, à ce moment-là, était pour nous deux une pensée amère. »
Cette même année, en décembre 1893, Conan Doyle fera « mourir » le Grand Détective aux chutes du Reichenbach. Barrie, à peine quelques jours après, publie dans The St. James’s Gazette, son troisième et dernier pastiche, The Late Sherlock Holmes dans lequel le Dr Watson est accusé du meurtre de Sherlock Holmes avant d’être innocenté lorsque Holmes est retrouvé vivant. A posteriori, on peut dire que l’auteur de Peter Pan a montré un certain flair.
Ces textes, avec d’autres, ont été compilés en 1983 par Richard Lancelyn Green dans son ouvrage The Uncollected Sherlock Holmes .
Les années passèrent et l’engagement pour le spiritisme de Conan Doyle éloigna les deux amis qui, pourtant, ne cessèrent jamais de s’estimer. Et quand Conan Doyle s’éteignit, en 1930, Barrie prononcera à son propos cette phrase empreinte de respect et de tendresse, qui semble inspirée par les mots de Watson après Reichenbach: “I have always thought him one of the best men I have ever known, there can never have been a straighter nor a more honourable.” (Je l’ai toujours considéré comme l’un des meilleurs hommes que j’aie jamais connus, il n’y en eut jamais de plus droit ni de plus honorable.).
Sherlock Holmes et le Passe-Muraille
Une nouvelle de Robin Rowles

Troisième partie
(première et deuxième parties dans les n°15 et 17 de La Gazette du 221B)
Après une fouille minutieuse dans le laboratoire de l’Imperial College de Londres, Sherlock Holmes déduit que le saccage de l’endroit est un leurre pour dissimuler un vol. Le doyen de la Faculté des sciences, Sir James, précise à Sherlock Holmes que l’objet manquant est ce qu’on appelle un champ de dispersion de particules, ou PDF (Particle Dispersion Field). Cet appareil est capable de créer un champ de force qui fragmente la matière solide et permet aux objets ou aux personnes de passer à travers.
Extrait du carnet du docteur Watson : Savoir que celui qui avait volé le PDF avait obtenu une autre bobine de focalisation changea drastiquement la donne. Les membres du conseil de guerre qui avait eu lieu dans le salon se séparèrent rapidement. Mycroft partit pour Whitehall. Challenger accompagna Sir James à l’Imperial College. Holmes et moi restâmes à Baker Street le temps que Holmes envoie plusieurs télégrammes, après quoi nous primes un fiacre pour rejoindre Challenger et Sir James à l’Imperial College. La nécessité est mère de l’invention et les plans de Holmes avaient rapidement changé. Le connaissant comme je le connaissais, je soupçonnais Holmes de tendre un piège, tout comme il l’avait fait dans le mystère des plans du Bruce-Partington et dans tant d’autres aventures.
À son arrivée à l’Imperial College, les plans de Holmes se dévoilèrent. Le campus était opportunément vide. Les amphithéâtres et les laboratoires étaient vacants et silencieux. Seule une salle était occupée par Sir James qui travaillait tard. Les cinq autres personnes se cachaient : les chasseurs et les proies. Lorsque dix heures sonnèrent, Sir James posa sa plume et rangea ses papiers. Il baissa le gaz dans son bureau et, prenant sa mallette, s’engagea dans le couloir silencieux. Holmes et moi étions dissimulés dans l’embrasure de la porte du laboratoire. Le temps passait si lentement que je commençais à imaginer que c’était un rêve et que j’allais me réveiller à Baker Street. Cependant, je fus tiré de ma léthargie quand Holmes posa la main sur mon bras pour me rappeler à la vigilance.

J’entendis des bruits de pas provenant du couloir. Pas une démarche assurée, mais plutôt des pas doux et furtifs. Ceux-ci ne pouvaient appartenir qu’à une seule personne, car je connaissais la démarche imposante de Mycroft et le pas de Lestrade. C’étaient donc ceux de la personne que nous traquions. Un frisson m’envahit, que je réprimai rapidement. Il fallait que ce drame arrive maintenant à son dénouement, sinon toute cette mise en scène aurait été inutile. Les pas se rapprochèrent, ralentirent, puis s’arrêtèrent. Notre homme se trouvait devant la porte du laboratoire où Holmes et moi étions cachés. Je glissai ma main dans la poche où j’avais prudemment placé mon revolver.
Je compris que nous avions atteint le point critique de notre aventure nocturne ; le succès ou l’échec se jouait maintenant. Agir trop tôt ou trop tard pourrait se révéler désastreux. Soudain, les bruits de pas s’éloignèrent. Ils ne pouvaient se diriger que vers un seul endroit : le bureau de Sir James. Holmes et moi entendîmes le clic de la porte qui se refermait. Holmes m’empoigna alors le bras, nous sortîmes tranquillement du laboratoire et nous nous glissâmes dans le couloir. Il y faisait sombre, mais la lucarne du bureau de Sir James nous apportait la visibilité nécessaire.
Tandis que Holmes et moi approchions, Mycroft et Challenger nous rejoignirent et nous nous disposâmes de façon à le prendre en tenaille. Au signal de Holmes, nous ouvrîmes la porte et entrâmes. Il n’y avait personne. Holmes claqua des doigts. « Vite, dans l’antichambre ! ». Notre homme était là : un individu au visage jaunâtre et à la moustache fine, vêtu d’un costume de serge et portant un sac Gladstone. Mais le plus intéressant, c’était l’appareil extraordinaire posé sur le bureau, que je supposai être le PDF. Il s’agissait d’une boîte en verre, avec des soupapes, des fils et alimentée par un appareil que Challenger décrivit plus tard comme une batterie à accumulateur. L’objet de sa convoitise était, bien sûr, la bobine de focalisation, et notre invité se retourna brusquement dans notre direction. Il parlait avec un accent d’Europe de l’Est. « Que voulez-vous ? ». Holmes répondit. « Cet appareil. Vous n’avez pas le droit de le prendre ». J’ai dégainé mon arme. L’homme sembla abandonner et repoussa le PDF sur le bureau. Il s’affaissa
contre le mur comme s’il s’était vidé de ses forces. Je posai mon arme sur la table, ce qui se révéla une erreur. Soudain, l’homme se jeta en avant, attrapa l’arme et me tira vers la pièce principale. J’étais heureusement bien entraîné et mettant en pratique mes connaissances en anatomie, je lui assénai un rude coup sur les tibias. Cependant l’homme se redressa et la froide sensation du canon de mon arme pressée contre ma tempe me coupa toute envie de jouer les héros.
L’homme reprit la parole. « Je veux cet appareil. Je relâche ton ami dès que je l’ai ». Holmes, Mycroft et Challenger secouèrent la tête et fixèrent l’homme du regard. Il baissa son arme et, tentant ma chance, je le fis tomber au sol. Mais, il tenait toujours l’arme et prit le dessus. Mycroft et Challenger s’avancèrent, laissant Holmes s’emparer du PDF. Holmes prononça : « Mycroft, Norbury ». Mycroft répondit, non pas à son frère, mais au voleur. « Lâchez le Dr Watson, et vous pourrez avoir votre engin infernal ». L’homme tourna la tête vers nous. « Pas d’entourloupe ! ». Mycroft secoua la tête. « Pas d’entourloupe ». Mycroft et Challenger reculèrent. Je m’avançai, je pris le PDF des mains de Holmes et le remis à l’homme, qui franchit la porte du bureau avec son butin et nous adressa un signe d’adieu sarcastique en agitant l’appareil : « Merci, messieurs. Et s’il vous plaît, ne me suivez pas, j’ai toujours ça ». Il ferma la porte, et nous entendîmes ses pas s’éloigner. Challenger fut le premier à réagir. « Allez, il faut qu’on le rattrape ». Holmes sourit et hocha la tête. « Oui, il le faut absolument ». Dans le couloir, nous vîmes la silhouette de notre homme s’éloigner. Mais il n’alla pas bien loin, car Lestrade lui bloquait la sortie. L’inspecteur était accompagné de deux policiers à la carrure comparable à celle de Mycroft et Challenger ; ils auraient fait honneur à un pack de rugby à XV. L’intrus ne put pas non plus s’échapper par les laboratoires, car sur les instructions de Holmes, Tovey s’était enfermé avant notre arrivée. L’homme posa le PDF sur le sol et, sortant quelque chose de sa poche, le vissa et tira le lourd interrupteur. Il y eut un bourdonnement croissant et pendant quelques secondes, le couloir fut étrangement éclairé. Holmes, ordonna : « Cachezvous les yeux », avant qu’un éclair ne fendît l’obscurité. Quelques instants plus tard, nous ouvrîmes les yeux. Lestrade et ses deux agents se tenaient au-dessus des restes du PDF, mais notre larron s’était volatilisé. « Il s’est encore échappé », observa Lestrade. Holmes secoua la tête. « Je ne pense pas. Je pense plutôt que son petit appareil a mal fonctionné. On pourrait dire que son plan s’est retourné contre lui ». Challenger demanda. « Comment cela ? » Holmes haussa les épaules. « J’ai pris la liberté d’inverser les fils de l’appareil PDF. Les résultats ont été très satisfaisants ». Soudain, il y a eu une rafale venue d’on ne sait où et notre petit groupe fut jeté à terre. Mycroft se trouva incapable de se relever. Lestrade et moi, nous nous avançâmes pour l’aider, mais Holmes intervint. « Merci, messieurs, mais je m’en occupe. Il n’est pas lourd, c’est mon frère. »


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