La Gazette du 221B -N°17 - Octobre 2024

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BrettCon 2024

Retour en images sur l’événement anniversaire de la série.

Entretien exclusif avec les organisateurs

Gus Holwerda

Luke Holwerda

David Youell

Lot 249

L’adaptation par Mark Gatiss

Analyse et critique par Xavier Bargues

Sherlock Holmes et le passe-muraille

Un crossover Sherlock Holmes / professeur Challenger par Robin Rowles

Sherlock Holmes VS Conan Doyle

La pièce où se rencontrent le créateur et la créature! Entretien avec Ophélie Raymond, autrice et Renato Ribeiro, metteur en scène.

Édito

Par Fabienne Courouge,

en chef de la Gazette du 221B

Le petit monde holmésien foisonne d’idées et à chaque nouveau numéro de La Gazette du 221B, c’est avec plaisir et non sans une certaine fierté que nous mettons en lumière les nouvelles incitatives de passionné.es.

Dans ce 17e numéro, nous revenons sur celle des frères Luke et Gus Holwerda et leur complice David Youell qui ont décidé de célébrer le 40e anniversaire du Sherlock Holmes de la Granada en réunissant de nombreux acteurs et membres de l’équipe qui ont participé à la série.

Cette adaptation télévisée, qui compte 41 épisodes diffusés entre 1984 et 1994 et qui met en vedette Jeremy Brett dans le rôle de Holmes et David Burke puis Edward Hardwicke dans celui de Watson, est sans aucun doute la plus souvent citée par les holmésiens comme leur favorite. Un bon nombre d’entre eux affirment même être tombés dans le chaudron holmésien en la regardant. À quoi cela tient-il ? Les réponses sont évidemment variées, mais la fidélité des scénarios par rapport au Canon (ce qui est vrai pour les premières saisons) est souvent citée, ainsi que la qualité de la production. Les décors et les costumes sont en effet remarquable, la réalisation soignée, la bande-son impeccable et ces facteurs expliquent que la série peut être vue et revue sans paraître datée. Mais indéniablement, c’est la performance de Jeremy Brett qui apporte la « magic touch» à cette adaptation. Ce comédien, formé à l’école de la scène, au jeu aussi physique que cérébral, a perfectionné son jeu pour le rôle du détective jusqu’à l’obsession et est considéré, même par des générations de fan né.es après la diffusion de la série, comme «l’ultime Sherlock Holmes». L’autre dossier de ce numéro, dans lequel vous retrouvez aussi la rubrique cinéma de Xavier Barque et la suite de Sherlock Holmes et le Passe-Muraille, est consacré à Sherlock Holmes VS Conan Doyle, la pièce originale d’une jeune autrice, Ophélie Raymond, qui s’est jouée sur la scène parisienne de juillet à fin septembre. Mise en scène par Renato Ribeiro, qui avait déjà collaboré avec Christophe Guillon sur Le Secret de Sherlock Holmes (voir Gazette du 221B N°7), la pièce apporte la question rarement exploitée sur scène de la relation complexe entre le détective de fiction et son créateur. Une création remarquable, oscillant entre comédie et drame introspectif, à ne pas manquer.

Au sommaire de ce numéro

La BrettCon

Photoreportage..................................................P 3

Interview de Luke Holwerda, gus Holwerda et David Youell..................................................... P 14

La rubrique cinéma de Xavier Bargue

Le Lot 249 : une nouvelle adaptation signée Mark Gatiss ..................................................... P23

Actualité Théâtre

Sherlock Holmes VS Conan Doyle, l’aventure intérieure............................................................P 28

Interview d’Ophélie Raymond et de Renato Ribeiro.................................................................P 32

Création

Sherlock Holmes et le Passe-Muraille, de Robin Rowles, deuxième partie.................................P 37

Photo reportage La BrettCon

Le samedi 25 mai dernier, dans la ville de Guilford s’est tenue la première convention consacrée à la série Sherlock Holmes produite par la Granada et diffusée sur ITV entre 1984 et 1994.

Cette série, qui est réputée pour être l’adaptation la plus fidèle aux récits de Conan Doyle, fête cette année ses 40 ans et compte encore de très nombreux fans dans le monde.

Parmi ceux ci, les frères Luke et Gus Holwerda ont lancé, il y a quelques années, The Jeremy Brett Sherlock Holmes Podcast qui revient sur l’œuvre, dissèque les épisodes et propose des interviews des acteurs et membres de l’équipe de la série de la Granada. Rejoints dans leur entreprise par le britannique David Youell, qui produit désormais certains de leurs opus, ils ont décidé célébrer cet anniversaire de la plus audacieuse des façons, en organisant cette

improbable réunion d’anciens de la série.

Les invités ont répondu à leur invitation au-delà de leurs espérances et ont participé avec enthousiasme, ne se contentant pas de se joindre aux panels, mais contribuant activement au succès de l’événement.

Cette ambiance conviviale, où organisateurs, invités et participants se mêlent sans chichis s’installe dès la veille de l’événement. En effet, Betsy Brantley (la Elsie Cubitt des Hommes dansants) , arrivée plus tôt de Virginie, prête main forte aux Holwerda pour installer les accessoires tandis qu’Esther Dean retrouve ses réflexes de costumière pour arranger « comme il faut» le costume de Jeremy Brett qu’elle a apporté pour l’occasion.

Le soir est organisé aux Three Pigeons , le pub local, un dîner réunissant les participants se prolongeant jusque tard dans la soirée

autour d’une dernière bière.

Un décor incroyable parsemé de pièces originales

Dès l’ouverture du rideau qui cache la scène où ont lieu les débats, le public a le souffle coupé : les organisateurs ont reconstitué le salon du 221B de la Granada avec un bon nombre de costumes et d’accessoires d’origine, apportés pour la plupart par les membres de l’équipe technique de la Granada.

Jim, un fan du podcast travaillant au British Museum , s’est porté volontaire pour installer et veiller sur le décor pendant toute la durée de l’événement. Il me confie, alors que je le félicite pour cette réussite : « j’ai travaillé sur du velours grâce à tous les éléments mis à ma disposition».

En effet, on découvre une pépite quel que soit l’endroit où se posent les yeux : mobilier victorien, bustes de Napoléon, tableau de la Chute de Reichenbach , affiches signées, chapeaux melons et hauts de forme, lampes à pétrole, la jambe de bois que portait John Thaw dans le rôle de Jonathan Small et tant d’autres choses encore....

Esther Dean et le célèbre costume qu’elle a créé pour Jeremy Brett: @Sherlock podcast
@Sherlock Podcast

Mais, si chacun est pris d’une bien compréhensible envie de se balader parmi ces trésors, la priorité est évidemment donnée aux panels, car pas moins de six sont prévus dans la journée.

Le premier réunit des membres de l’équipe technique de la série : Esther Dean et Kayt Turner, les costumières, un des directeurs de la photographie, Lawrence Jones ainsi que Martin Kay et David Eve, respectivement ingénieur du son et perchiste. Plusieurs d’entre eux ne sont pas arrivés les mains vides et nous montrent les souvenirs qu’ils ont conservés de la série. Kayt Turner, par exemple, a apporté une impressionnante collection de croquis des costumes qu’elle a créés pour les différents épisodes et même les échantillons des tissus qui lui ont servis. Même s’il n’y a parmi les panelistes aucune célébrité, la salle, comble, est sous le charme et boit littéralement leurs paroles.

L’équipe de la Granada : une

famille !

Le deuxième panel est consacré à la première saison de la série : Les Aventures de Sherlock Holmes . Y participent Betsy Brantley (Elsie Cubitt), Michael Carter (Godfrey Norton), Alison Skilbeck (Annie Harrison) et Matthew Solon (John Hector McFarlane). Tous semblent ravis d’être présents et ne sont pas avares d’anecdotes sur les tournages. Alison a même apporté les notes de travail, ses réflexions sur le personnage qu’elle incarnait et les a partagées à haute voix. Tous sont unanimes sur le fait que l’ambiance sur le plateau, bien que studieuse et à la recherche de l’excellence, était aussi particulièrement conviviale et plusieurs des invités, tout au long de la journée, utiliseront le mot « famille ».

Les panels semblent toujours trop courts tant les discussions sont animées et les anecdotes foisonnantes. Cependant, entre chacun d’entre eux, le public prend quelques minutes pour visiter le hall du théâtre où les invités se montrent tout

à fait accessibles, disposés à signer des autographes et se prêtant aux discussions sur toutes sortes de sujets. Par exemple, Betsy Brantley expose les bloque-porte en tapisserie qu’elle fabrique elle-même et s’adonne à la confection de l’un deux, paré d’un motif inspiré des Hommes dansants . Rarement convention ne s’est révélée aussi détendue et conviviale.

Jeremy Brett, un acteur inspirant !

La matinée s’achève avec le panel de l’équipe de production, mené par Keith Frankel (auteur de l’ouvrage intitulé Granada’s greatest detective ) et composé de John Bruce, John Gorrie, David Carson et Patrick Lau (réalisateurs), Gary Hopkins (scénariste) et Stuart Doughty, qui évoquent ensemble le défi qui leur était posé : adapter fidèlement les aventures du Canon. Là encore, de nombreuses anecdotes sont rapportées au public. John Gorrie, se

souvient ainsi de la difficulté de tourner une scène de dialogue entre Jeremy Brett et Charles Gray (Mycroft) car l’un parlait très vite et l’autre très lentement. Le travail sur le plateau était vraiment coopératif et les comédiens, Jeremy Brett le premier, se montraient très impliqués. Mais avant tout, les réalisateurs se souviennent de Brett comme d’un acteur inspirant qui n’hésitait pas à faire des propositions. Il avait été formé à l’école de la scène et en avait gardé des habitudes, comme celle de ne jamais tourner le dos au public. Il lui était par conséquent très difficile d’être filmé de derrière.

Puis vient un panel rassemblant des acteurs ayant participé à trois des quatre saisons de la série : Joanna David (Susan Cushing), qui connaissait bien Jeremy Brett pour avoir joué avec lui dans le téléfilm Rebecca en 1979, Jack Klaff (Philip Green) et Vernon Dobtcheff (Herr Mendelstam). Cette fois, les anecdotes tournent plutôt autour de l’ambiance hors-plateau, des soudaines

excentricités de Brett qui n’hésitait pas à sabler le champagne à 10h du matin ou à chanter « On the street where you live » (la chanson qu’il interprétait dans My Fair Lady ) entre les scènes.

Jack Klaff avoue de son coté que, sur le tournage, il fut impressionné par la façon dont Brett et Hardwicke était en symbiose. « Même quand ils ne jouaient pas, ils étaient beaux à voir ensemble.», affirme-t-il !

Le panel suivant est placé sous le signe de l’émotion. En effet, la famille de Patrick Gowers, le compositeur des musiques de la série (dont le mythique générique d’ouverture) disparu en 2014, est venu lui rendre hommage. Son épouse et ses enfants évoquent la passion qu’il ressentait pour son métier et le plaisir qu’il a pris à travailler pour la Granada. Katharine Gowers, devenue musicienne professionnelle, raconte même en riant que son père lui avait demandé de jouer les pièces au violon de la bande son, car il voulait un rendu non-professionnel...Et

qu’à l’âge de 14 ans, elle jouait effectivement comme un amateur.

Jeremy aurait adoré

cette convention !

Le panel qui clôt l’après-midi est celui qui réunit Kristofer Tabori, Alastair Duncan et James Faulkner, trois acteurs ayant joué dans Le Chien des Baskerville.

Pour participer à la convention, Kristofer est venu des Philippines où il réside désormais, Alastair des ÉtatsUnis dont il est originaire et James du sud de la France où il a pris ses quartiers depuis quelques années. Il m’a confié, dans un français quasiment parfait, qu’une de ses principales motivations de sa présence était la promesse de verser les bénéfices de la convention à Mind UK, une association qui informe et conseille sur les questions de santé mentale et pour laquelle Jeremy Brett s’était engagé.

Ces trois-là, même s’ils n’ont pas tourné ensemble depuis de très nombreuses années, semblent s’être quittés la veille. Ils se retrouvent comme trois larrons en foire et n’hésitent pas à faire le show, se régalant de l’hilarité du public à l’écoute des anecdotes qu’ils partagent à propos du tournage de cet épisode mythique. Tous les trois s’accordent à dire que, malgré son

caractère parfois difficile, Jeremy Brett était parvenu a créer une ambiance familiale mais également qu’il aurait été aussi étonné que ravi de la tenue de cette convention qui montre à quel point le public reste attaché à cette série quarante ans après la diffusion du premier épisode.

Joyeux anniversaire, David !

À la fin de ce panel, Luke, Gus, David et leurs complices ont préparé une surprise avant le dîner prévu pour l’auditoire et les invités. En effet, parmi toutes les personnalités que les podcasteurs ont conviées, certaines n’ont malheureusement pas pu venir, mais ont tenu à témoigner de leur affection pour la série et de leur sympathie pour l’événement.

C’est ainsi qu’apparaissent sur l’écran Stephen Fry, qui avoue une admiration sans limite à Jeremy Brett ainsi qu’à Patrick Gowers, puis Jenny Seagrove, la Mary Morstan du Signe des quatre , Colin Jeavon (Lestrade) dont le fils et le petit-fils, venus à

la convention, sont très émus en entendant la salve d’applaudissements provoquée par l’apparition de l’acteur à l’écran. Enfin, la vidéo dévoilel’enregistrement de David Burke et son fils Tom (également comédien) qui a tenu à exprimer sa gratitude à ce public qui l’aime depuis quarante ans et à partager quelques souvenirs de tournage. Il se trouve aussi qu’en ce 25 mai, David Burke fête ses 90 ans ; les organisateurs demandent donc à l’assemblée de lui chanter un « Happy Birthday to you », aussitôt entamé de tout coeur et à l’unisson, qu’ils filment pour le partager avec ce légendaire Watson.

La soirée se clôture par la projection de L’Escarboucle bleue , en présence du réalisateur de l’épisode, David Carson qui, une dernière fois, nous régale d’anecdotes.

La convention est alors terminée, mais le sentiment de partage et de camaraderie qui s’est créé pendant ces quelques heures ne s’effacera pas, et chacun espère, au fond de lui, qu’une nouvelle édition sera organisée dans les années à venir.

BrettCon Interview de Gus Holwerda, Luke Holwerda et David Youell

Le 25 mai 2024, les frères Luke et Gus Holwerda et leur compère britannique David Youell, forts du succès de leur excellent podcast consacré au Sherlock Holmes incarné par Jeremy Brett (sherlockpodcast.com) ont gagné leur pari fou! Réussir à monter un événement dédié à la série de la Granada pour en fêter le 40e anniversaire en présence d’une pleiade d’invités. Ces trois passionnés reviennent, pour la Gazette, sur la préparation et le déroulement de cette fête.

L a G azette du 221B : Bonjour Gus, Luke et David. Pouvez-vous vous présenter et nous raconter votre parcours holmésien ?

G us H o Lwerda : Je m’appelle Gus Holwerda. Je suis réalisateur (ainsi que scénariste et producteur) et je coanime le podcast « Jeremy Brett - Sherlock Holmes ». Mon parcours holmésien a

commencé à l’école primaire. Je ne me souviens pas si j’ai lu Une Étude en rouge avant ou après avoir regardé un épisode de la série de la Granada sur PBS, mais pour moi, ces deux souvenirs sont associés. J’étais sans doute un peu trop jeune pour lire Conan Doyle, car les récits, comme les épisodes de la série, me terrifiaient souvent.

Crédit @Sherlock podcast

Mais dans les années qui suivirent, j’ai eu constamment envie de les relire et de les revoir. Et l’incomparable performance d’acteur de Jeremy Brett m’a aussi semblé de plus en plus impressionnante au fil des années.

L uke H o Lwerda : Je m’appelle Luke Holwerda, je suis amateur de chocolat, photographe et coanimateur du podcast « Jeremy Brett - Sherlock Holmes ». Mon souvenir le plus ancien sur Sherlock Holmes, c’est quand on m’a fait lire Le Chien des Baskerville à l’école primaire. Je connaissais cependant déjà Sherlock Holmes, il avait donc dû se passer quelque chose avant. Je pense qu’à cet âge-là, on avait dû me donner une version pour enfant. Ce dont je me souviens le mieux, c’est que ce chien fantomatique et l’ambiance surnaturelle m’avaient beaucoup plu.

d avid Y oue LL : Je m’appelle David Youell et je suis informaticien (enfin, c’est ce que dit mon employeur). Je vis à Portsmouth et je produis régulièrement le podcast.

Bien que je sois né au Royaume-Uni, j’ai vécu de mes 4 à mes 8 ans aux EtatsUnis, dans le Colorado pour être précis, et c’est là que j’ai commencé à m’intéresser aux romans policiers pour enfants. Je me rappelle avoir dévoré tous les volumes d’Encyclopedia Brown ( Bobby-la-Science en français), les aventures d’un gamin qui installe son agence de détective dans son garage et dans lesquels le lecteur doit essayer de résoudre le mystère en même temps que lui. Quand je suis retourné en Angleterre, je me rappelle avoir lu La Bande mouchetée à la bibliothèque de l’école et avoir reçu l’intégrale du Canon pour Noël. J’étais fasciné par cet homme énigmatique qui pouvait voir ce que les autres ne voyaient pas, déchiffrer des situations de manière holistique et qui privilégiait le cerveau au cœur. J’admirais son sens moral, ses raisonnements logiques, mais aussi son humanité. Il avait des défauts,

bien sûr, mais qui ne le rendaient que plus réel. Même si c’est un personnage fictif, il a été mon héros et mon inspiration pendant toute ma vie.

L a G azette du 221B : Comment votre passion pour la série de la Granada est-elle née ?

G us : Notre père, bien que n’étant pas un holmésien, admirait le jeu très original de Jeremy Brett, et, sans égard pour mon jeune esprit fragile, il insistait pour que nous regardions les épisodes dès leurs premières diffusions aux États-Unis. Ces énigmes complexes et apparemment insolubles ont aiguisé ma jeune imagination et ont modelé mes goûts en termes de narration. L’envie de raconter des aventures qui mélangent à part égale l’intellectuel et le physique, comme le faisait la Granada, ne m’a jamais quitté.

L uke : Je me souviens que nous regardions cette série en famille. La performance hors

du commun de Jeremy, associé à celle, plus discrète et subtilement comique de David Burke m’a captivé. Leurs aventures, qui pouvaient paraître un peu fades en ellesmêmes, surtout pour un enfant (« Pourquoi quelqu’un me poursuit-il à vélo, M. Holmes ? »), atteignaient des sommets quand elles étaient portées par ce casting et cette équipe incroyables. Je pouvais vivre dans l’Angleterre victorienne pendant quelques minutes. Star Wars , Transformers et Sherlock Holmes ont enflammé mon imagination et fait naître mon amour de la fiction comme moyen d’évasion.

d avid : Jeremy ne fut pas la première interprétation de Sherlock Holmes que j’ai connue, mais dès la seconde où je l’ai vu sur l’écran, il a visuellement incarné mon Sherlock Holmes idéal. Je me souviens, qu’un jour, quand j’avais environ dix ans, ma mère m’a informé qu’il y avait un épisode de Sherlock Holmes à la télévision et je l’ai regardé. C’était Les Trois Pignons. C’est loin d’être le meilleur épisode, j’ai pourtant été happé par l’univers de la série de la Granada. Peu de temps apprès, j’ai acheté le coffret pour regarder l’intégrale avec délectation.

L a G azette du 221B : quand et comment avez-vous décidé de créer le podcast ?

G us : L’idée du podcast est née autour de Noël 2018. Cette année-là, on m’avait offert un exemplaire dédicacé de l’excellent livre de Michael Cox sur la série : A Study in Celluloïd , que j’ai lu intégralement en une journée (avec soin, pour ne pas endommager ce bel ouvrage). Je me souviens avoir écouté, à peu près à la même période, un podcast sur La 4e dimension et m’être demandé lesquelles de mes séries favorites avaient été ainsi brillamment disséquées dans l’univers des podcasts. Bien peu avaient eu la chance d’être examinées aussi admirablement que par Tom Elliot, le podcaster de La 4e dimension . Et sur la série de la Granada, il n’y avait absolument rien. Avec mes connaissances en production et

en prise de son et le livre de Cox pour nous guider, nous nous sommes chargés de faire la même chose pour le Sherlock de Jeremy Brett.

L uke : Avec Gus, nous nous échangions les VHS et les DVD de la série et nous nous appelions ensuite pour discuter des acteurs, des accessoires ou de la mise en scène de chaque épisode. Souvent, nous regrettions l’absence d’un outil qui servirait de référence. Ma devise étant : « Si ça n’existe pas, fais-le toi-même », nous l’avons fait.

d avid : Je n’ai pas participé à la création du podcast mais j’en ai été fan dès son lancement. Il est apparu en recommandation sur mon application de podcast et évidemment, je l’ai testé. Il y a de nombreux podcast qui parlent de séries, de qualité variable, mais l’épisode que j’ai écouté ce jour-là était époustouflant. C’était exactement ce que je rêvais de trouver.

L a G azette du 221B : quels sont vos rôles respectifs dans la création d’un épisode du podcast ?

G us : Je fais souvent le plus gros des recherches sur l’épisode (en parcourant de vieux magazines et tous les livres sur le sujet, en dénichant d’anciennes interviews, etc.). Je procède à l’enregistrement et au montage du fruit de ces recherches. Puis Luke et moi faisons un deuxième visionnage de l’épisode pour comparer la mise en scène avec le récit original de Conan Doyle. David Youell, notre ami et coproducteur basé au Royaume-Uni, s’occupe des interviews. Sa proximité avec le casting et l’équipe, en grande partie britannique, s’est révélée un atout inestimable. Luke gère aussi toutes les illustrations associées au podcast.

d avid : Ma principale fonction est de faciliter les interviews avec les acteurs et l’équipe de la série, ce qui s’est avéré incroyablement fructueux, car nous en avons enregistré environ quatre-vingt-dix.

Je réponds également aux questions sur divers aspects de la vie britannique qui peuvent survenir lorsque Gus et Luke font leurs recherches.

L a G azette du 221B influence cette passion exerce-t-elle sur vos métiers dans l’univers du cinéma ?

G us : Nous nous inspirons constamment de la série Granada dans notre travail. Il est presque impossible de ne pas comparer tous les détails du jeu d’un acteur à l’excellence de Jeremy Brett, notre référence pour viser la perfection. De même, tant de réalisateurs et de cadreurs de premier ordre ont travaillé sur la série que leurs images servent nous servent de guide. Du style solide de John Madden (oscarisé par la suite) au style excentrique et ciselé de Peter Hammond, il y a toujours quelque chose à puiser dans la série Sherlock si l’on a besoin d’idées.

G us : J’avoue que nous sommes partiaux et n’arrivons pas à nous détacher de la série avec laquelle nous avons grandi. Mais j’affirme que la Granada a objectivement réussi à créer une adaptation fidèle et intemporelle. En tant que professionnels du cinéma, nous avons conscience du budget et du soin apportés à cette série, et cela n’a jamais été égalé depuis. Ainsi, souvent, nous ne trouvons pas notre compte dans les nouvelles adaptations, qui ne cherchent plus à être fidèles au Canon. Certes, on a le droit de modifier les histoires, mais à quoi bon retoucher la perfection ?

L uke : J’essaie de garder l’esprit ouvert, mais invariablement, je finis par comparer chaque tentative à la série Granada. C’est l’étalon pour toutes les adaptations de Sherlock.

L uke : Sans en avoir conscience, je me réfère souvent au travail des réalisateurs et des directeurs de la photographie de cette série. J’aime par exemple filmer à travers une vitre ou ajouter un peu de couleur dans un cadre, ou encore les mouvements de caméra complexes, comme Peter Hammond. Pas mal de mes épisodes préférés ont eu Lawrence Jones pour directeur de la photographie. J’ai été heureux de le rencontrer enfin à la BrettCon.

L a G azette du 221B : Que pensezvous des autres adaptations de Sherlock Holmes, et quelle est votre réaction quand l’une d’elles apparaît sur les écrans ?

d avid : Ma première rencontre avec une dramatisation de Sherlock Holmes s’est faite par l’intermédiaire d’une cassette de la sublime série de Radio 4 avec Clive Merrison et Michael Williams. Elle reste pour moi l’adaptation par excellence. Je suis convaincu que c’est la radio qui offre les meilleures images, car elle vous permet de faire jouer votre imagination. Ajoutez à cela le talent des dramaturges et la qualité du jeu des acteurs de cette série, ainsi que l’inébranlable fidélité au Canon, tout comme dans la série Granada, et vous obtenez quelque chose de phénoménal et véritablement intemporel. Quant aux autres adaptations, je les prends au fur et à mesure qu’elles se présentent. Je ne suis

pas très attaché à un aspect quelconque de Holmes et des histoires, et je pense qu’il est amusant d’essayer différentes choses. Par exemple, j’étais un grand fan des deux premières saisons du Sherlock de la BBC. Tout ce qui apporte un coup de projecteur sur les histoires originales ne peut pas être mauvais.

L a G azette du 221B : Comment l’idée d’une BrettCon, pour célébrer les 40 ans de la série, est-elle née ?

G us : Nous souhaitions depuis longtemps célébrer la série en créant un évènement. Si notre podcast nous a appris quelque chose, c’est qu’il existe de très nombreux fans de la série et de nouvelles personnes qui la découvrent chaque jour. Malheureusement, au fil du temps, de plus en plus de membres du casting et de l’équipe nous quittent. Alors, malgré notre emploi du temps chargé (nous sommes actuellement en production d’un long métrage intitulé The Vast Lonesome ), nous avons décidé que nous ne pouvions tout simplement pas la reporter plus longtemps.

Une date a été fixée et la BrettCon est née !

convention a pris vie d’elle-même jusqu’à devenir cette immense fête de douze heures qui a eu lieu à Guildford ! d avid : J’ai souvent assisté à des événements similaires sur d’autres séries et j’ai toujours souhaité en organiser un sur le Sherlock Holmes de la Granada. Il y a environ dix ans, se tinrent deux événements consacrés à Sherlock BBC, très agréables même s’ils étaient plutôt commerciaux. Nous avions souvent parlé d’organiser ce genre d’événement, mais le moment n’était jamais le bon, nous n’arrivions pas à définir exactement ce que nous voulions et nous n’étions pas sûrs que les gens nous suivraient. Cependant, le 40 e anniversaire était la l’occasion idéale pour au moins essayer. Si nous avons appris quelque chose de notre podcast, c’est que des choses incroyables se produisent si vous demandez et essayez. Alors, malgré nos emplois du temps, nous nous sommes fixés une limite de six mois pour l’organiser et nous avons réussi.

L a G azette du 221B : Pourquoi et comment avez-vous choisi la ville de Guilford pour accueillir la convention ?

nous avons décidé qu’il était de notre devoir, en tant que gardiens de la série, de nous assurer que cet anniversaire soit marqué par une célébration appropriée.

L uke : Le 40e anniversaire de la série approchait sans qu’aucune célébration « officielle » ne soit annoncée ou même envisagée et cela nous devenait insupportable. Après cinq ans d’analyses et d’interviews pour un public passionné et fidèle, nous avons décidé qu’il était de notre devoir, en tant que gardiens de la série, de nous assurer que cet anniversaire soit marqué par une célébration appropriée. Une fois que nous avons commencé à demander aux acteurs et membres de l’équipe s’ils souhaitaient participer, la

G us : Nous avons choisi Guilford pour sa proximité avec à la fois Londres et Manchester, car c’est là que réside une bonne partie de l’équipe et des acteurs.

d avid : Nous avons constaté que la série a des admirateurs dans le monde entier, les transports étaient donc primordiaux. Notre cœur nous disait « Manchester », mais notre raison nous disait « Londres ». Si nous voulions avoir le plus de monde possible, il fallait que ce soit Londres. Malheureusement, à Londres, tout est cher. Comme nous n’avions aucune certitude quant au succès de notre initiative et avions par conséquent limité notre

budget, il devenait clair n’importe quel site londonien serait hors de notre portée. Nous devions donc organiser l’événement hors de Londres, mais avec des transports directs depuis la capitale. Par ailleurs, pendant un certain temps, nous voulions que l’événement ait lieu dans un hôtel, car c’est souvent le cas pour les conventions, mais les hôtels étaient trop chers aussi. Puis l’idée d’un théâtre nous est venue à l’esprit, ainsi que celle de faire les choses à notre façon tout en restant à un prix abordable. Il s’agissait alors de trouver un théâtre, avec un espace événementiel supplémentaire, qui nous accepterait. L’école du comté de Guilford a été l’une des premières à nous recontacter et avait vraiment envie de nous accueillir.

L a G azette du 221B : Comment les acteurs et l’équipe de Granada ont-ils réagi lorsque vous leur avez parlé de votre projet ?

G us : Absolument tous ceux avec qui nous avons été en contact se sont accordés sur le fait que la série, et plus particulièrement Jeremy Brett, avait grand besoin d’être reconnus à leur juste valeur. Pour tout dire, nous avions invité un grand nombre

d’intervenants en supposant que beaucoup ne pourraient pas être présents. Cependant, presque tous ont accepté de nous rejoindre. Finalement, je pense que beaucoup ont été médusés par le nombre de participants à la BrettCon et par l’élan d’amour et de respect qui en émanait. Tous les invités et les participants nous ont indiqué à quel point ils ont trouvé cette célébration remarquable. Je pense que les acteurs et l’équipe ont été sincèrement touchés par le résultat. Nous étions si heureux de donner quelque chose en retour à ceux que nous admirons tant.

L uke : C’était impressionnant. Tout le monde s’est montré enthousiaste et désireux de contribuer à faire un succès de cet événement. Plusieurs membres de la troupe sont même venus de différents coins du monde : Alastair Duncan de Californie, James Faulkner de France et Kristoffer Tabori des Philippines ! Betsy Brantley est arrivée tôt et nous a aidés à installer la scène la veille ! C’était dingue… d avid : Je pense que c’est un peu comme pour les interviews que l’on mène. Je suis conscient qu’il peut paraître étrange de

Le théâtre de la County school de Guilford - Crédit : @Sherlock podcast

recevoir de la part de parfaits inconnus une demande pour s’exprimer sur une série à laquelle on a participé il y a 30 ou 40 ans, et encore plus d’être invité à participer à un événement pour en parler devant un public. Mais nous avions déjà établi des relations avec de nombreux invités, ce qui nous a bien aidés à surmonter leurs réticences. Ils nous faisaient confiance et savaient que nous étions sincères dans notre désir de les célébrer, eux, Jeremy et la série. Donc après l’étonnement général, vint le temps de l’adhésion, puis un soutien sans réserve.

L a G azette du 221B : Organiser tout cela était un sacré défi. Comment vous en êtesvous sortis ?

G us : Organiser un événement (même partiellement) à distance est une tâche herculéenne. Nous nous sommes partagé la besogne pour assurer le succès de la BrettCon. Mon plus grand défi a été simplement de préparer les questions pour près de 30 intervenants sur un événement de dix heures. Ce n’est normalement pas si compliqué, mais lorsque je dois aussi jongler, en tenant compte des fuseaux horaires, entre l’installation du lieu, les besoins audiovisuels pour le jour J et une centaine d’autres problèmes logistiques, me concentrer sur ces questions est devenu plus difficile que prévu. Heureusement, des semaines de préparation, de recherche, de relecture d’anciennes interviews et de re-visionnage de tous les épisodes ont porté leurs fruits ! Finalement, la plupart des panels n’ont pas nécessité beaucoup de questions. Tous les intervenants avaient d’innombrables anecdotes à partager sur leurs tournages avec Jeremy. Les fans ont été ravis d’entendre ces histoires qu’ils ne connaissaient pas.

L uke : Si vous voulez que quelque chose soit bien fait, chaque aspect sera probablement un défi. Et c’était le cas pour la BrettCon. J’aime les défis, tout ce qui mérite d’être fait mérite qu’on en fasse trop… Et j’en ai certainement fait trop.

Comme la convention ne s’est pas tenue dans notre ville natale, chaque idée a été filtrée à travers un prisme britannique, et il fallait aussi garder à l’esprit notre budget modeste. J’ai tendance à me concentrer sur le style tandis que Gus s’occupe du contenu… David a eu la lourde tâche d’essayer de trouver un équilibre entre nous et également de planifier le côté logistique.

d avid : Ce n’est pas une question à laquelle il est facile de répondre, et en vérité, je suis sûr que nous pourrions écrire un livre entier là-dessus. Je n’irai pas jusqu’à dire que tout a été cauchemardesque, mais en toute sincérité, rien ne se passait comme prévu. Pour moi, il s’agissait aussi de trouver un équilibre ! L’organisation de cet événement était déjà un travail à temps plein en soi, mais si vous ajoutez à cela mon « vrai » travail, mon fils, ma petite amie et une douzaine d’autres engagements quotidiens, il devient extrêmement difficile de tout suivre et de terminer les choses dans les délais impartis, d’autant que cela ne faisait que s’intensifier à l’approche de la BrettCon. Étant basé au Royaume-Uni, j’étais le point central de toutes les communications concernant l’événement. Il y avait aussi le problème du décalage horaire entre Gus, Luke et moi… Nous devions trouver les bons moments pour discuter en profondeur de tous les sujets. Chaque aspect de l’événement comportait ses propres complexités, ses défis et ses moments difficiles.

L a G azette du 221B : Quel est votre meilleur souvenir de la convention ?

G us : À la fin de l’événement, des dizaines de participants nous ont remerciés pour l’organisation de ce rassemblement. Beaucoup d’entre eux nous ont déclaré que cela avait été l’une des plus belles expériences de leur vie. Des commentaires comme ceux-là m’ont laissé sans voix. Avoir pu nouer des liens significatifs avec tant de nos auditeurs et nous faire autant de nouveaux amis fut un immense

plaisir. Il y avait un véritable sentiment de communauté dans la salle – pas seulement entre les personnes présentes dans le public, mais aussi avec les acteurs et l’équipe. Tout le monde était là pour la même raison : célébrer Jeremy Brett et les 40 ans de la meilleure représentation du plus grand détective du monde. Que ceux qui connaissaient personnellement Jeremy Brett nous aient répété à plusieurs reprises qu’il aurait adoré cet événement était une satisfaction plus grande que je n’aurais pu l’imaginer. Il y avait des sourires sur les visages de tout le monde toute la journée. Ce sont des choses que je n’oublierai jamais.

L uke : Je suis le genre de personne qui planifie et replanifie, et qui réfléchit à tous les aspects de chaque chose… tout en restant conscient que nous ne pouvons faire que de notre mieux et qu’il faut finalement se lancer à un moment. Le

matin de la BrettCon, nous nous sommes démenés pour terminer l’installation de la scène, qui était une reconstitution du 221b, jusqu’au moment où nous avons laissé les gens entrer dans le théâtre. Nous avions eu la chance d’avoir un rideau fermé devant la scène. Quand le moment est venu, la musique a commencé, le rideau s’est ouvert, et tout le monde a eu le souffle coupé et a applaudi. C’est à cet instant précis que j’ai su que tout irait bien. Après que le premier panel se soit déroulé à merveille, j’ai de nouveau pu souffler. Puis chaque moment était incroyable. Regarder Esther Dean et Kayt Turner habiller notre mannequin avec le costume de Jeremy, croiser le réalisateur David Carson entre les panels ou simplement voir les acteurs, l’équipe et les participants se mélanger dans le théâtre pour toutes les conférences ont été de très bons souvenirs.

d avid : La vidéo où nous avions rassemblé les messages de ceux qui auraient voulu être là mais n’en avaient pas la possibilité est peut-être ce qui m’a le plus touché. Je l’ai regardée une douzaine de fois avant l’événement, j’ai revu chaque vidéo individuellement à plusieurs reprises et j’ai eu les larmes aux yeux à chaque fois. Regarder ensuite cette vidéo dans une salle remplie de spectateurs et ressentir la chaleur, l’amour, l’affection, l’émotion et la gratitude qui émanaient de chacun d’eux, n’était pas quelque chose auquel je m’attendais. Quand le fils et le petitfils de Colin Jeavons ont vu et ressenti la sincère ferveur du public à l’apparition de Colin à l’écran, quand la famille de Patrick Gowers a entendu Stephen Fry rendre hommage à son travail dans la série, ou encore quand les gens se sont émus des mots incroyablement beaux de David Burke à propos de Jeremy, voilà des moments dont je suis extrêmement fier C’était de l‘émotion authentique, brute, belle et pleine d’amour.

Esther Dean installe le costume d’origine de Sherlockl Crédit : @Sherlock podcast

L a G azette du 221B : Comment vous sentez-vous après le succès que la convention a rencontré ?

G us : La BrettCon a été l’un des projets les plus incertains que j’ai jamais entrepris. Nous n’avions vraiment aucune idée de la manière dont cela allait se dérouler. Qu’il ait été unanimement salué comme un succès le place parmi les meilleurs projets auxquels j’ai eu la chance de participer. Je pense que tous ceux qui étaient présents garderont cette journée en mémoire pour toujours. Je sais que ce sera mon cas.

L uke : Je me sens fatigué et je suis tenté de ne rien dire de plus, mais en vérité, je suis fier d’y avoir participé. Avoir contribué à célébrer publiquement une série qui signifiait tant pour moi et avoir réuni des acteurs et des membres de l’équipe qui ne s’étaient pas vus depuis des années, voire des décennies, valait vraiment le coup. Il y avait beaucoup de reconnaissance mutuelle dans la salle. Nous avons remercié les spectateurs d’être là, ils nous ont remerciés de les avoir réunis, etc. C’était une journée magique. J’aurais seulement aimé pouvoir m’asseoir et profiter de la convention comme un spectateur.

d avid : Je ne suis pas encore sûr d’avoir complètement réalisé ou de pouvoir pleinement comprendre à quel point cela a été un succès. Toute la préparation a été faite dans l’incertitude et l’appréhension, et peut-être que je ne me suis pas complètement débarrassé de ces sentiments. De plus, une grande partie de l’événement consistait en des panels, que j’ai presque entièrement manqués en raison de mon rôle dans l’organisation. Mais, étant donné le nombre de personnes qui m’ont parlé ce jour-là et les messages que j’ai reçus depuis de la part de tous ceux qui étaient là, je suis juste très reconnaissant. Je suis fier que nous ayons pu réaliser ce que nous avions prévu, à savoir honorer, du mieux que nous le pouvions, Jeremy, la série et tous ceux qui y ont travaillé et leur

montrer ce que leur travail a représenté pour des gens du monde entier.

L a G azette du 221B : Quels sont vos projets pour le podcast et prévoyez-vous d’organiser d’autres événements ?

G us : Le prochain épisode sera consacré à la pièce de théâtre, jouée en 1988-1989, The Secret Of Sherlock Holmes , avec Jeremy Brett et Edward Hardwicke en vedette. Mais nous avons prévu de nombreux numéros spéciaux en plus de notre diffusion régulière. Nous avons, par exemple, hâte de publier celui sur le travail du compositeur de la série Patrick Gowers. Mais nous sommes aussi en train de terminer le tournage d’un long métrage que nous avons écrit et produit, donc notre régularité sur le podcast pourrait en être légèrement modifiée. Cela sera toutefois compensé avec des contenus passionnants ! Quant aux événements futurs... on a beaucoup évoqué l’hypothèse d’une BrettCon 2. Mais, nous nous remettons encore de la BrettCon 1 ! Reposez-nous la question dans un an !

L uke : Nous venons de sortir l’épisode 46 retraçant en profondeur les événements de la journée à la BrettCon ainsi que notre emploi du temps surchargé avant et après. Raconter tout cela sur bande était une excellente idée tant que tout était encore frais dans nos esprits. C’est comme un journal audio de nos souvenirs. J’ai tendance à m’épuiser sur un projet et à en oublier les détails en peu de temps, donc c’était bien d’en avoir un enregistrement. Est-ce que nous le referions ? Demandez à David…

d avid : Uniquement des interviews et aucune discussion sur une BrettCon pendant au moins six mois !

Le Lot 249 : une nouvelle adaptation signée Mark Gatiss

Xavier Bargues

Que faisiez-vous le soir du 24 décembre 2023 ? Vous étiez probablement en famille, en train d’ouvrir des huîtres, de vous endormir face aux conversations de votre grand-oncle, de combattre une grippe ou d’ouvrir vos cadeaux pour les plus impatients. Et sans le savoir, vous ratiez l’essentiel, à savoir la diffusion sur la BBC d’une adaptation de 30 minutes du Lot 249, l’une des meilleures nouvelles de Conan Doyle.

Le Lot 249 fait partie des récits d’Arthur Conan Doyle entrant dans la vaste catégorie des « contes de mystère », « contes d’épouvante » ou « contes fantastiques », selon la dénomination retenue. Parue initialement en septembre 1892, cette nouvelle a ensuite été reprise dans divers recueils, dont Sous la lampe rouge, consacré aux « contes de médecins » de Conan Doyle. Et pour cause : Le Lot 249 est non seulement une aventure d’épouvante, mais aussi une aventure se

déroulant sur le campus d’Oxford où vivent notamment des étudiants en médecine.

Si vous avez lu cette nouvelle, vous vous souvenez probablement de son intrigue mettant en scène une momie revenant à la vie grâce aux connaissances maléfiques d’un élève, Edward Bellingham. Celui-ci se sert de sa terrifiante créature, qui dispose d’une force considérable, pour s’en prendre à divers étudiants du campus. Le premier d’entre eux est un dénommé Norton, qui réchappe in extremis à une

tentative d’étranglement. Suivent William Monkhouse Lee, sauvé in extremis de la noyade, puis Abercrombie Smith, personnage principal de la nouvelle, poursuivi par la momie alors qu’il se rend chez un ami vivant à l’extérieur du campus.

il s’agit de Sherlock Holmes, même si son nom n’est mentionné à aucun moment. Le détective en herbe vit à quelques kilomètres du campus d’Oxford et évoquera, au cours de l’intrigue, son souhait de s’installer à Baker Street. Il proposera d’ailleurs à Smith

Une adaptation fidèle, mais une fin alternative

C’est sur cette scène de poursuite et de panique d’Abercrombie Smith que s’ouvre le téléfilm de la BBC, diffusée le soir de Noël 2023. Une adaptation particulièrement intéressante pour les holmésiens, puisqu’elle est signée Mark Gatiss, créateur de l’incontournable série Sherlock dans laquelle il jouait le rôle de Mycroft Holmes.

Les amateurs du détective seront d’autant plus comblés que Smith trouve refuge, dès les premières secondes, chez un mystérieux ami possédant un grand sens du rationnel et de la déduction. On l’aura vite compris :

de devenir son colocataire, mais celui-ci refusera. Le spectateur connaît la suite : Holmes s’installera finalement à Londres avec un autre colocataire, médecin lui aussi, à savoir le docteur Watson. On notera que dans cette adaptation, Sherlock Holmes remplace un autre personnage de l’intrigue d’origine, à savoir le docteur Peterson, qui est décrit dans la nouvelle comme un ami du frère de Smith, et qui vit, lui aussi, non loin de l’université.

À l’exception de ce changementde personnage, l’adaptation de 2023 s’avère globalement fidèle à la nouvelle d’origine. Après être entré précipitamment chez Holmes, Smith se lance dans le récit de ses aventures, permettant de reprendre

l’intrigue à son commencement. Tous les personnages de la nouvelle sont bien présents : Bellingham, Monkhouse Lee, Smith et Norton. Le seul absent à l’appel est Jephro Hastie, personnage secondaire mettant initialement en garde Smith vis-à-vis de Bellingham. L’époque est respectée elle aussi. Bien qu’aucune date ne soit donnée, tout est cohérent pour un déroulement des événements en 1884, tel que mentionné dans le texte de Conan Doyle. On remarquera simplement que les étudiants du campus semblent ici étrangement âgés : alors qu’ils devraient tout juste avoir une vingtaine d’années, les acteurs semblent plutôt en avoir une trentaine, voire davantage. Au point que toute personne non avertie pourrait mettre un certain temps à comprendre qu’il s’agit bien d’étudiants d’Oxford, et non de professeurs. On notera que l’adaptation comporte diverses modernisations à la marge. À titre

d’exemple, certains indices permettent de comprendre que la relation entre Bellingham et Monkhouse Lee dépasse ici les simples liens de l’amitié. Plus généralement, le personnage de Bellingham est présenté comme une sorte de dandy intriguant, et s’éloigne donc quelque peu du personnage décrit par Conan Doyle pour se rapprocher d’un mélange entre Brian Jones et Dorian Gray.

Enfin, le téléfilm finit par s’éloigner de la nouvelle en adoptant une fin alternative. Dans l’intrigue d’origine, tout se termine lorsque Smith oblige Bellingham à détruire sa momie et jette au feu un papyrus contenant de probables incantations de magie noire. Bellingham disparaît après cela au Soudan et ne donne plus aucune nouvelle. À noter que dans le texte d’origine, un doute subsiste quant à une éventuelle paranoïa de Smith : malgré des indices concordants, rien ne prouve que Bellingham ait réellement redonné vie à la momie qu’il conserve, et qu’il l’ait

utilisée pour remplir de funestes desseins. Bellingham ne cesse d’ailleurs d’accuser Smith d’être fou.

Dans l’adaptation de 2023, point de doute : la momie est bel et bien revenue à la vie et Bellingham a plus d’un tour dans son sac. Au point, donc, de surprendre le spectateur à la dernière minute du film. Après la destruction du « Lot 249 », Bellingham décide de se venger. Il possède pour cela un « Lot 250 », autrement dit une seconde momie achetée aux enchères, ainsi qu’un second papyrus. Il parvient ainsi à tuer pour de bon Monkhouse Lee et Smith le jour de leur remise de diplôme. On se permettra de regretter, dans cette scène finale, d’importantes incohérences : Monkhouse Lee est tué en une seconde sans aucun bruit, Smith n’aperçoit pas la momie dans son miroir, puis est pris d’un fou-rire hystérique en découvrant la momie s’approcher de lui, laissant le spectateur sur une étrange impression de grand n’importe quoi. Une signature typique de Mark Gatiss peut-être, puisque la série Sherlock, elle aussi, se terminait sur un épouvantable salmigondis.

Le Lot 249, une nouvelle déjà adaptée en films et bande

dessinée

On notera que cette fin alternative n’est en réalité pas totalement nouvelle. Une précédente adaptation du Lot 249 avait eu lieu en 1990 dans le film à sketches Tales from the Darkside: The Movie (en français Darkside : Les Contes de la nuit noire). Composé de trois intrigues indépendantes de 30 minutes chacune, ce « slasher movie » avait donné lieu à une transposition de l’intrigue du Lot 249 à l’époque moderne.

Dans cette adaptation, seules les grandes lignes de la nouvelle étaient respectées : Bellingham (joué par Steve Buscemi) se procure une momie égyptienne et parvient, en déchiffrant un papyrus caché à l’intérieur de la momie, à lui redonner vie et à la contrôler. Dès lors, il l’utilise pour mettre en pièce « Lee Monckton », un camarade qu’il déteste, puis faire de même avec Susan Smith, la sœur du fameux Smith. Ce dernier, joué par Christian Slater, quelque peu agacé de constater que son meilleur ami et sa sœur ont été tués dans

des conditions peu enviables (la momie s’évertue en effet à leur retirer le cerveau par les trous de nez ou à les embaumer), parvient non sans humour à se débarrasser de la momie et du papyrus en espérant mettre ainsi un terme à cette série de meurtres. Bellingham n’a toutefois pas dit son dernier mot : le papyrus détruit n’était pas le bon et l’apprenti sorcier parvient à redonner vie aux cadavres de ses deux victimes pour les envoyer tuer Smith. Bilan des courses : tout le monde est mort sauf Bellingham, et on retombe ainsi sur le « twist final » de l’adaptation de Mark Gatiss.

Avant cela, la nouvelle avait déjà été adaptée en 1967 par la BBC dans le cadre d’une série télévisée intitulée Sir Arthur Conan Doyle. Le Lot 249 constituait le premier épisode de la série, composée au total de 13 épisodes adaptés de diverses nouvelles non-holmésiennes de l’écrivain. Malheureusement, cet épisode ne semble pas avoir été conservé.

Enfin, il est impossible de terminer cet article sans évoquer une autre « adaptation » du Lot 249, n’ayant en réalité aucun rapport avec la nouvelle d’origine, à l’exception du nom de certains personnages. En 2007, paraissait en effet chez Albin Michel une bande dessinée de Stéphane Betbeder et Jean-François Solmon intitulée Le Journal d’Abercrombie Smith : L’aliéné. On reconnaît dans ce titre le nom du personnage principal du Lot 249. De même, on retrouve dans l’intrigue un certain Monkhouse Lee, ainsi que le campus d’Oxford en 1884. Mais ce sont là les seuls points communs avec l’intrigue du Lot 249. Et pour cause, cette bande dessinée est en réalité surtout l’adaptation d’une autre aventure de Conan Doyle, à savoir Le Parasite (ou Le Possédé, selon les traductions), court roman paru en 1894. Faisant également partie des « contes d’épouvante » de

Conan Doyle. Ce roman traite des pouvoirs de l’hypnose et se présente comme le journal intime du professeur Austin Gilroy. Dans cette adaptation en bande dessinée, Austin Gilroy et Abercrombie Smith sont rassemblés en un seul et même personnage. De même, le personnage d’Herrington est à mi-chemin entre celui d’Edward Bellingham et du docteur Gilroy (autre personnage du Parasite). On reconnaît surtout, ici, le personnage de Miss Penelosa (issue du Parasite), devenue ici Miss Sophrina. Pour autant, les auteurs n’hésitent pas à s’éloigner largement des deux intrigues pour développer leur propre histoire – assez décousue au demeurant.

Bilan des courses : on constatera que Le Lot 249 se prête à tous les « crossovers » scénaristiques, puisqu’il est aussi bien possible d’y introduire discrètement le personnage de Sherlock Holmes, que de fusionner son intrigue avec d’autres œuvres de Conan Doyle. Tout innovation est bonne à prendre, tant qu’elle continue à faire vivre l’œuvre du célèbre écrivain !

Sherlock Holmes VS Conan Doyle : l’aventure intérieure

Depuis quelques années, la scène parisienne nous gâte avec de nombreuses pièces holmésiennes. La dernière en date Sherlock Holmes VS Conan Doyle, d’Ophélie Raymond, mise en scène par Renato Ribeiro se signale par une affiche signée Benoit Dahan (co-créateur de l’excellent Dans la Tête de Sherlock Holmes) qui ne peut qu’attirer les regards. Mais contrairement à la plupart des spectacles précédents, ce n’est pas une enquête du Grand Détective qui est présentée, mais les rapports complexes, allant du tortueux au drolatique, entre l’homme de plume et son héros de papier.

Dans le salon du 221B Baker Street, Sherlock s’ennuie et même l’usage de sa solution à 7% ou les tentatives de Watson pour le distraire ne parviennent à le tirer de son abattement. Pour un holmésien, il n’y a là rien d’étonnant. Dès la lecture du Signe des quatre, le lecteur sait que son

esprit est rebelle à la stagnation et qu’il hait la terne monotonie du quotidien. Il est en manque d’aventures car Arthur Conan Doyle a décidé de ne plus lui en fournir. Car si le détective s’ennuie, l’auteur, lui, est bien ennuyé. Sa créature prend trop de place dans sa vie, est devenu plus célèbre

que lui au point que le public le croit réel et que des journalistes envahissants le harcèlent à son propos et il est convaincu que l’écriture des aventures de Holmes l’éloigne de l’écrivain qu’il aspire à devenir. Bref, comme il l’écrivit à un ami : « J’ai une telle overdose de lui – comme d’un pâté de foie gras dont j’aurais trop mangé – que l’évocation même de son nom me donne encore la nausée. ».

Dans la pièce Sherlock Holmes VS Conan Doyle, la dualité entre le créateur et la créature est d’emblée posée et visuellement marquée par la juxtaposition sur la scène du célèbre salon du détective et du bureau de travail de son auteur, régulièrement visité par son épouse Louisa qui l’implore de consacrer plus de temps à sa vie de famille.

L’intrigue se joue non seulement sur la différence, mais aussi et surtout sur la porosité entre ces deux mondes. En effet, Sherlock et Watson ne tardent pas à en traverser la frontière symbolisée par un cadre de guingois pour confronter leur

créateur et découvrir que ce dernier, en désespoir de cause, envisage de l’éliminer. Commence alors un duel tragicomique entre l’auteur qui voudrait réaffirmer son libre-arbitre et son envahissant rejeton de fiction.

Si la réflexion au cœur de la pièce est d’ordre philosophique et s’interroge sur la frontière entre fiction et réalité ou encore sur la vie propre de l’œuvre une fois qu’elle a échappé à son auteur, la pièce évite l’écueil de la logorrhée conceptuelle ou psychologisante grâce à l’écriture élégante et piquetée de répliques saillantes d’Ophélie Raymond. La pièce prend la forme d’une enquête vive et singulière qui séduit sans peine un large public. Cerise sur le gâteau, l’érudition du texte est largement satisfaisante pour les fans du Grand Détective toujours à l’affut de la moindre infraction au texte sacré. Mais ce n’est après tout guère étonnant puisqu’Ophélie Raymond, malgré son jeune âge est une holmésienne passionnée qui a réalisé en 2018 The Final Problem, un court biopic sur Sir Arthur qui a remporté

surnombreux prix en festivals.

La grâce du spectacle doit aussi beaucoup à la mise en scène inventive et rythmée de Renato Ribeiro, qui n’en est pas non à son coup d’essai holmésien puisqu’il a collaboré il y a quelques années au Secret de Sherlock Holmes de Christophe Guillon, encore à l’affiche. Ribeiro a su, avec une vraie économie de moyens, créer la différence entre l’univers réel d’Arthur et l’environnement fictionnel de Sherlock. Ce dernier, grimé de blanc et engoncé dans un costume trop étroit, nous rappelle d’emblée les personnages incarnés par Buster Keaton ou Charlie Chaplin. Ce trait est souligné par le jeu volontairement stylisé, proche de la pantomime, des comédiens qui incarnent Holmes (François Hatt et Guillaume Destrem en alternance) et Watson (Maxime Bregowy et Christophe Sommier en alternance). En contrepoint, les préoccupations prosaïques du gentleman victorien qu’était Conan Doyle (Serge Requet Barville) tels que les tracas conjugaux ou la pression sociale

sont signalées par les interventions de personnages secondaires qui exacerbent son conflit intérieur plus qu’elles n’y apportent une solution.

Et Ophélie Raymond semble confirmer ce que disait Proust : « la seule vie réellement vécue, c’est la littérature », car c’est bien dans la fiction que Conan Doyle trouvera la solution à son dilemme, puisque qu’il lui faudra inventer Moriarty, un adversaire à la mesure de son héros de papier et les envoyer combattre à mort au bord du gouffre bouillonnant de Reichenbach. Evidemment, nous savons que cette disparition ne sera que temporaire et que, quelques années plus tard, les locataires du 221B Baker Street reviendront hanter l’esprit de Conan Doyle. On ne peut qu’attendre, avec une certaine gourmandise, que cela fasse l’objet d’une prochaine pièce de cette autrice prometteuse.

Sherlock Holmes VS Conan Doyle

Interview d’Ophélie Raymond et Renato Ribeiro

L’autrice et le metteur en scène de SherlockHolmesVsConanDoyle répondent aux questions de La Gazette du 221B et nous parlent de la genèse de la pièce, de leurs inspirations, leurs références et leurs projets.

L a G azette du 221B : Bonjour Ophélie et Renato pouvez-vous vous présenter et nous raconter votre parcours holmésien ?

o p H é L ie : Bonjour, je suis Ophélie, jeune autrice et comédienne de 25 ans. J’ai suivi la formation d’auteur-scénariste de l’École de la Cité à Saint-Denis, formation qui me porte depuis et à laquelle je dois beaucoup. Concernant mon parcours

holmésien, tout commence pendant mes années collège. J’ai la chance d’avoir une professeure de français qui nous fait découvrir le détective anglais. Je suis conquise par l’amitié entre Holmes et Watson. Et peu de temps après, grâce à une amie, je découvre la série Sherlock de la BBC et je tombe définitivement dans la marmite holmésienne. J’ai lu et relu le canon

holmésien. J’ai lu et visionné grand nombre de pastiches (notamment La Maison de soie d’Anthony Horrowitz ou Le Mystère Sherlock de J.M. Erre ou le film La Vie privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder, pour ne citer qu’eux). Après avoir été rassasiée sur la question Holmes, j’ai commencé à avoir très faim sur la question de l’homme derrière... J’ai ensuite - et surtout - lu et relu les folles mémoires de Doyle ( Ma Vie aventureuse ) et plusieurs biographies sur lui (notamment La Vie fantastique de Sir Arthur Conan Doyle de John Dickson Carr). Très vite, une évidence m’est apparue : Doyle est son personnage, et bien plus encore ! Je suis tombée amoureuse d’Arthur, comme on aime un idéal. Il mérite toute notre attention.

r énato : Comédien à la base, Je suis vite devenu également metteur en scène de spectacles de théâtre, musical ou encore humour. J’ai co-dirigé l’Espace la Comedia à Paris pendant 13 ans et me suis tout naturellement dirigé vers la production de spectacles. Je partage mon temps entre Lisbonne et Paris depuis 2012. J’ai travaillé au Théâtre National de Lisbonne avec Tiago Rodrigues, joué dans plusieurs télénovelas ou et je suis professeur-formateur de langue française et littérature et théâtre au sein de l’Alliance Française et de l’Institut Français. À Paris, entre la scène, la télévision et le cinéma, je fais beaucoup de mise en scène, comme dernièrement GEEK de Maxime Minault, Belles Amies d’Anne Cardona, Molière ou le dernier impromptu d’Hubert Chevalier mais aussi mon travail de production avec Le Secret de Sherlock Holmes de Christophe Guillon, qui a connu un grand succès à Paris et en tournée. Je suis venu naturellement à la rencontre de l’univers holmésien car j’avais déjà produit une première pièce sur le sujet avec Le Secret de Sherlock Holmes , qui est encore joué à l’heure actuelle au Café de la Gare.

L a G azette du 221B : Racontez-nous la genèse de votre pièce Sherlock Holmes vs Conan Doyle ?

o p H é L ie : Longue genèse ! Cela fait une dizaine d’années maintenant que je porte ce projet en moi. Comme une mission. Je veux rendre à Doyle ce qui est à Doyle, remettre l’auteur à la place centrale. Pour ce faire : le transformer en personnage de fiction. C’est le plus sûr moyen de devenir réel dans notre monde. Pour le travail d’écriture en lui-même, tout a démarré avec des idées de scènes ou de dialogues entre Holmes et Doyle. J’ai d’abord écrit sur le sujet pour moi, pour mon plaisir. Quand j’étais lycéenne, j’ai écrit un court documentaire sur la relation houleuse entre Sherlock et Arthur ( Le Mystère Sherlock ). J’ai ensuite écrit et produit un court biopic fantastique sur Conan Doyle quand j’étais étudiante à l’École de la Cité, en 2018 : The Final Problem (ce film a gagné plusieurs prix en festivals et est actuellement diffusé

sur la chaîne internationale Shorts TV). J’ai travaillé sur ce court film avec en tête un projet bien plus long : une minisérie sur Conan Doyle. The Final Problem en est le court « pilote » Mon projet de mini-série s’intitule Dual . Aujourd’hui, grâce au théâtre et grâce à ma rencontre avec Renato, je donne un début de vie à cet immense projet. J’en profite pour mentionner que l’illustration sur l’affiche de la pièce est signée Benoit Dahan (créateur avec Cyril Lieron de la BD Dans la Tête de Sherlock Holmes ). Il avait fait ce dessin pour m’aider dans la concrétisation de mon projet Dual , il y a deux ans de ça. Je conclurai en disant que cette pièce de théâtre résulte de beaucoup de patience et d’acharnement. Et ce n’est qu’une première étape !

L a G azette du 221B : Aviez-vous en tête d’autres rencontres entre créateurs et créatures ( Frankenstein , mythe de pygmalion, etc.) quand vous avez écrit la pièce ? Quelles ont été vos influences et comment ont-elles joué sur votre création ?

o p H é L ie : Naturellement, je suis une férue de cette thématique créateur/créature. J’ai dévoré Frankenstein de Mary Shelley, Dr Jekyll et Mr Hyde de Stevenson et Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, un de mes livres de chevet. Mais la thématique jumelle à celle que vous évoquez, c’est la thématique du double/ de la dualité. C’est là que réside ma passion et mon obsession. Arthur Conan Doyle est né sous le signe des Gémeaux (pour les initiés, son thème astral

présente un amas planétaire dans ce signe), synonyme de dualité/gémellité. Étant moi-même Gémeaux, je suis aussi dans ces questionnements autour de l’identité. Être Castor ou être Pollux, telle est la question. Plus encore : être Sherlock ou être Arthur, telle est LA question !

L a G azette du 221B : Rénato, à quel stade avez-vous rejoint le projet et quel a été votre rôle ?

r énato : Je cherchais une pièce avec une enquête de Sherlock Holmes pour le grand public pour cet été à Paris. Une amie commune m’a fait rencontrer Ophélie qui m’a proposé son sujet autour de Conan Doyle et après lecture, j’ai dit oui aussitôt.

L a G azette du 221B : Rénato, vous avez collaboré, il y a quelque temps, à une autre pièce holmésienne : Le Secret de Sherlock Holmes . Quelles étaient les points communs et les différences avec Sherlock Holmes vs Conan Doyle et comment les avez-vous exploités ?

r énato : Le Secret est une véritable enquête autour d’un cadavre découvert à Londres. C’est également la genèse de la rencontre de Sherlock Holmes avec Dr Watson alors que dans la pièce qui nous occupe, le sujet est davantage psychologique et permet au spectateur d’en apprendre davantage sur l’auteur Conan Doyle. Le seul point commun est Sherlock Holmes car ici il n’y a pas d’enquête au sens classique du terme.

L a G azette du 221B : De nombreuses pièces mettant en scène Sherlock Holmes ont été jouées à Paris ces dernières années. En avez-vous vu et comment expliquezvous cet engouement ?

o p H é L ie : J’en ai vu plusieurs. L’engouement est évidemment dû à la célébrité du personnage d’une part, et d’autre part, à une raison que je juge plus triste : nous vivons dans un monde en chaos constant. Tout n’est que bruit, pagaille, et guerre. Un personnage comme Sherlock Holmes est rassurant. Il trouve toujours la solution au problème. Sherlock Holmes me fait du bien à chaque fois que je vais mal. Aujourd’hui, je me rend compte que, ma fascination pour le détective a démarré, cela coïncide pendant période de ma vie très difficile. J’ai trouvé refuge au 221B Baker Street. Et quel bonheur de voir que je ne suis pas la seule. Je ne suis ni la première, ni la dernière. Merci à Arthur Conan Doyle d’avoir créé un véritable symbole.

r énato : C’est un héros de la littérature mondiale qui a séduit tout le monde avec ses enquêtes. Dernièrement le cinéma, la BBC et Netflix l’ont remis à l’honneur et ont relancé sa célébrité, donnant envie à plusieurs créateurs de revisiter le mythe.

L a G azette du 221B : Avez-vous procédé au casting ensemble et comment s’est il déroulé ?

r énato : Oui nous avons discuté ensemble, du choix des comédiens que nous souhaitions. Nous avons fait ces choix avant de leur demander de venir pour une lecture et leur proposer le projet.

o p H é L ie : Nous y avons procédé ensemble. J’ai pu, outre l’autrice de la pièce, être l’assistante à la mise en scène et j’ai donc suivi de près le casting et le grand travail de direction d’acteur de Renato.

L a G azette du 221B : Aviez-vous en tête des critères (physique, voix ou gestuelle) pour les rôles principaux ? Et aviez-vous des interprètes de Holmes et Watson « de référence » ? Si oui, lesquels et pourquoi ?

r énato : Pas forcément, plutôt des envies de comédiens plus que des critères spécifiques. En ce qui concerne les références, j’avais plutôt l’univers de la pièce en tête avec un climat entre Tim Burton et le burlesque.

L a G azette du 221B : Comment avezvous articulé les scènes de comédieavec celles de questionnement existentiel ?

o p H é L ie : Je les articule avec simplicité : j’alterne les charges d’énergie positive et négative. Je dois une partie de mes techniques de narration à mes excellents professeurs de l’École de la Cité. Mention spéciale à Adrien Fargue et à Jérôme Bloch. Je lis beaucoup sur les coulisses de création d’une œuvre. J’aime citer Phoebe Waller-Bridge, la créatrice de l’excellente série Fleabag . Selon elle, il faut « désarmer les spectateurs avec de la comédie, puis les frapper aux tripes avec du drame quand ils s’y attendent le moins ». Et je suis d’accord avec son analyse très imagée ! Cette femme est brillante et fait partie, avec Steven Moffat et Mark Gatiss (les créateurs de la série Sherlock ), de mes scénaristes modèles.

r énato : Les premières scènes devaient être davantage du côté de la comédie pour créer ensuite un revirement vers le climax plus sombre de la dernière partie. Il s’agissait d’emmener le public vers un crescendo drama-comique.

L a G azette du 221B : d’autres projets holmésiens en vue ?

o p H é L ie : Oui ! Dans mon travail d’écriture autour de Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes VS Conan Doyle n’est que le sommet de l’iceberg... Mais avant d’avoir la possibilité d’écrire et de faire vivre la suite que j’ai en tête, j’ai un autre projet théâtral exclusivement sur Sherlock avec Renato qui j’espère verra le jour.

r énato : J’espère que nous allons collaborer à nouveau sur un projet, davantage une comédie policière où Sherlock Holmes sera présent mais il s’agit d’un projet confidentiel pour le moment.

Phoebe Waller-Bridge
Steven Moffat et Mark Gatiss

Sherlock Holmes et le Passe-Muraille

Une nouvelle de Robin Rowles

Deuxième partie

(première partie dans La Gazette du 221B N°15

Holmes affirmait souvent qu’après avoir éliminé l’impossible, ce qui restait, aussi improbable que ce soit, devait être la vérité.

Je ne fus donc pas surpris qu’il acceptât calmement l’affirmation du professeur. Mais ce fut la formidable silhouette de Challenger qui s’éleva pour contrer cette théorie. Sir James s’excusa promptement, essayant de prétendre qu’il ne cherchait pas à fuir l’altercation. Lestrade le suivit sous le prétexte de récupérer ses notes dans le bureau de Sir James.

La discorde continua à gronder sourdement pendant les 30 minutes du trajet qui nous ramenait à Baker Street, puis éclata ouvertement quand nous nous installâmes au salon. Cependant, elle n’opposait pas Sherlock Holmes et le professeur ; c’étaient les cerveaux surdimensionnés de deux géants qui s’affrontaient. Mycroft Holmes et Challenger finirent à couteaux tirés. Un véritable Choc des Titans.

La prise de bec fut finalement interrompue par l’arrivée de Mme Hudson apportant le thé. La gouvernante saisit immédiatement ce qui se passait, et, me tendant le plateau, sépara les antagonistes, leur ordonna de s’asseoir calmement, chacun à une extrémité du canapé. Si la situation n’avait pas été aussi grave, elle eût été comique, l’homme qui était quelquefois le gouvernement britannique et le pionnier de la science étaient assis dos à dos, comme deux gigantesques serre-livres. Les ressorts du vieux Chesterfield grinçaient en signe de protestation contre le poids cumulé des deux hommes. Mme Hudson versa le thé et la paix et l’harmonie firent leur retour au 221B Baker Street.

Au cours de ce petit intermède, Holmes avait souligné les points essentiels de l’affaire, et je me fis un devoir de les noter. Selon moi, il y avait plusieurs questions clés. En supposant que quelqu’un ait traversé le mur, comment s’y était-il pris ? Et quel était le but de l’explosion ? Enfin, cette dernière était-elle la cause ou l’effet ? Tant de questions auxquelles Holmes répondit comme d’habitude, sans que j’aie besoin de les poser.

« Effectivement Watson, quelqu’un a traversé le mur ». À ce moment-là, Challenger s’agita et Mycroft se retourna à moitié. Le canapé craqua de façon inquiétante. Holmes leva un doigt pour réprimer le grognement que les deux colosses s’apprêtaient à émettre. Après quelques secondes, chacun se replia dans son coin, voulant éviter de perdre la face. Holmes continua donc : « La méthode consiste à modifier temporairement la structure du mur, le réduisant aux particules de matière ». Challenger, à ce moment-là, ne put s’empêcher de protester : « ces particules sont appelées… », mais Holmes l’interrompit en claquant des doigts. « Je sais comment on les appelle, professeur, mais gardons un vocabulaire simple… Où en étais-je ? Ah oui… L’explosion a été à la fois une cause et une conséquence. En d’autres termes, elle a permis à la porte de s’ouvrir, puis l’a refermée. Et la pièce a été saccagée pour camoufler le fait que quelque chose a bel et bien été volé. C’est une ruse bien connue des voleurs. »

« Avez-vous des questions, Professeur ? » Holmes avait remarqué que Challenger levait prudemment la main et attendait que le détective l’invite à prendre la parole. Ce n’était peut-être qu’un phénomène temporaire, mais il semblait que le géant des sciences était en train d’assimiler les bonnes manières. Challenger rassembla ses pensées puis énonça calmement « Mais qu’est-ce qui a été volé alors ? ». Holmes se pencha en arrière sur sa chaise et alluma sa pipe. « C’est ce que Sir James nous dira demain, espérons-le. J’ai laissé une note à Tovey, demandant à Sir James de dresser un inventaire complet de tout ce qui se trouvait dans cette pièce. Cela prendra quelques heures, mais si j’ai vu juste, nous devrions avoir des nouvelles demain vers l’heure du thé. »

Je ne pus m’empêcher de sourire. Certains font des suppositions à l’aveuglette, d’autres de prudentes estimations, mais les étranges prédictions de Holmes se révélaient souvent étonnamment exactes. « Entre deux maux, choisissons le moindre », fis-je observer. Holmes hocha la tête en signe d’approbation. « Oh oui, dit-il, le pauvre Sir James devra s’expliquer devant le conseil d’administration de la faculté, car ce n’est pas la première fois qu’une de ses expériences tourne mal. ».

Les nouvelles fraîches furent apportées le lendemain par Sir James sous la forme d’une petite boîte en carton. Autour d’un café, ce dernier commença sa démonstration. Il sortit ce qui ressemblait à une ampoule électrique, coiffée d’un petit prisme hexagonal. Challenger arriva à ce moment-là et commença immédiatement à expliquer son utilisation. Pour autant que j’aie compris ce que disait le professeur, il s’agissait d’une bobine de focalisation qui s’appliquait sur un dispositif qu’il appela un générateur de « champ de dispersion de particules ».

Pour éviter une explication fastidieuse, je vous dirai simplement qu’il s’agit d’un appareil qui repousse les particules de matière, créant ainsi une ouverture dans cette dernière. L’explosion était due à la transformation de la masse en énergie cinétique, puis en chaleur, puis d’un retour à l’état solide lorsque le champ de dispersion s’est dissipé et que les atomes se sont à nouveau réunis dans leur position d’origine. Le phénomène n’a duré que quelques secondes, mais cela a suffi pour permettre au détenteur de l’appareil de passer à travers l’obstacle.

C’est ainsi que le mystère du passe-muraille fut résolu. Mais le mobile restait à découvrir. Holmes intervint alors. « Si quelqu’un est en possession de cet appareil, peut-il l’utiliser sans la bobine de focalisation ? ».

Sir James répondit à cette question. « Ce n’est pas possible, M. Holmes. Les restes de la bobine doivent se trouver mêlés aux débris laissés par l’explosion. Sans ce composant, le

champ de dispersion de particules n’est pas utilisable.

À ce moment-là, Mme Hudson frappa à la porte tenant en main un télégramme de Lestrade. Le texte en était concis et direct. « Explosion chez le joaillier de Bond Street. Silhouette aperçue traversant le mur. Suspect identique à l’incident de l’Imperial College. » Holmes se tourna vers Sir James et Challenger, qui, pour une fois, était resté sans voix.

« Je dirais, messieurs, que le propriétaire de cette bobine s’est fabriqué un nouvel exemplaire ». C’était une triste nouvelle. L’enquête était revenue à la case départ. Mais Holmes gardait le pire pour la fin « Et maintenant, qui qu’il soit, il sait que nous sommes à ses trousses ». Il griffonna une réponse à Lestrade, lui demandant de mettre toutes les divisions de police en état d’alerte et envoya un deuxième télégramme à Mycroft résumant la situation. Un autre conseil de guerre se préparait et je prévoyais une longue journée, et peut-être une longue nuit à venir...

Fin de la partie 2

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La Gazette du 221B -N°17 - Octobre 2024 by fabienne courouge - Issuu